Le Maître de Ragnarok et la Bénédiction d’Einherjar – Tome 11

***

Prologue

Il y a deux ans, Yuuto venait tout juste d’accéder à la fonction de patriarche du clan.

Jour et nuit, il passait ses moments libres à étudier dans un désespoir effréné, utilisant les ressources obtenues grâce à l’utilisation de son smartphone.

Il avait tellement de choses à apprendre, mais l’appareil ne pouvait fonctionner qu’une trentaine de minutes par charge, il n’avait jamais assez de temps.

Cependant, en regardant cette période avec du recul, on se disait que c’était peut-être mieux ainsi.

Il avait été si désespéré, si concentré sur la mémorisation de ce qu’il lisait, et peut-être que les limites strictes de son temps en étaient en partie la raison.

Il y a deux ouvrages auxquels Yuuto se réfère plus que tout autre : pour la théorie politique, Le Prince de Machiavel, et pour la stratégie militaire, L’Art de la guerre de Sun Tzu.

Et puis il y avait un homme dont Yuuto prenait exemple sur le mode de vie, un grand héros de l’histoire de son pays : Oda Nobunaga, le « Roi-Démon » de la période Sengoku.

Nobunaga était un homme qui avait complètement rompu avec les coutumes stagnantes de son époque et avait apporté un grand nombre de changements révolutionnaires, tous fondés sur une base logique.

Consolidation d’un système fiscal complexe et fragmenté.

Des politiques prônant des marchés plus libres et ouverts pour attirer de nouvelles entreprises et stimuler l’économie.

Séparer les militaires des paysans et les traiter comme une caste totalement différente de soldats de carrière.

De lances à long manche faisant plus de trois fois la taille d’un homme, déployées stratégiquement en formations serrées.

Nouvelles applications de l’arme à feu, une nouvelle arme à projectile en plein essor au Japon à l’époque.

Ce ne sont là que quelques exemples, il y en a beaucoup trop pour les énumérer.

Yuuto, lui aussi, devrait apporter des changements radicaux à un Clan du Loup qui était petit et faible afin de le renforcer pour en faire quelque chose de plus grand.

En ce sens, il considérait le parcours et les réalisations de Nobunaga comme le meilleur exemple à suivre.

Ce qui avait été surprenant en approfondissant les recherches, c’est que le Nobunaga de l’histoire était très différent de l’image cruelle et inhumaine propagée dans la culture populaire.

Il est vrai qu’il n’avait montré aucune pitié pour ceux qui l’avaient défié, le cas le plus marquant étant l’incendie des temples et sanctuaires bouddhistes du Mont Hiei.

D’un autre côté, il y avait aussi plusieurs cas où il avait pardonné à ceux qui l’avaient trahi. On raconte qu’il s’était mêlé aux gens du peuple pour faire la fête lors d’un festival, qu’il avait écrit une lettre à la femme d’un de ses subordonnés pour la consoler après une dispute difficile avec son mari, ou qu’il avait fait preuve de compassion et de pitié envers un vieil homme physiquement handicapé. Il avait aussi un côté gentil, empathique et très humain.

Plus Yuuto en apprenait sur lui, plus ces différentes facettes devenaient apparentes, le rendant d’autant plus fascinant en tant que personne.

« Bon sang, j’aimerais bien pouvoir le rencontrer et lui parler, juste une fois. »

Yuuto savait très bien, bien sûr, qu’une telle chose était impossible.

Il avait simplement exprimé ce sentiment à voix haute quand il lui était venu à l’esprit.

À ce moment-là, il n’aurait jamais pu imaginer que, des années plus tard, son souhait serait en fait exaucé.

***

Prologue 2

« Un ordre afin de nous détruire… ? » Étourdie, Linéa ne pouvait que répéter les mots du messager. Elle avait du mal à les comprendre.

C’était une jeune fille de quinze ou seize ans, et bien que son expression soit maintenant sinistre, elle avait toujours un air de beauté douce et délicate. Cela dit, elle était également le commandant en second exceptionnellement talentueux du Clan de l’Acier, la puissante nation qui contrôlait presque toutes les terres de Bifröst à Álfheimr.

Son seigneur régnant, le Réginarque Suoh-Yuuto, avait introduit des inventions et des idées bien au-delà du sens commun de cette époque, et elle était souvent la première à réaliser leur véritable valeur, grâce à son esprit intelligent et adaptable.

Mais même elle avait eu besoin de quelques secondes pour accepter que ce qu’elle avait entendu soit réel.

Voilà à quel point ce scénario était impossible, voire ridicule, pour elle.

« C’est absurde ! Pourquoi y aurait-il une raison pour émettre un tel ordre contre nous !? »

Linéa s’était retrouvée levée de son siège, criant sur le messager.

Le ton dur de sa voix ne convenait pas à la cérémonie de mariage de son seigneur, mais elle avait largement dépassé le stade où elle pouvait faire attention à ce genre de sensibilité.

Le Saint Empire d’Ásgarðr était dirigé par le Þjóðann, dont le titre signifiait « Empereur/Empératrice divin(e) ». Cependant, le Þjóðann ne possédait pas actuellement un grand pouvoir politique réel. La position n’était qu’un vestige de son ancienne influence, ne conservant que son autorité symbolique.

Même ainsi, formellement, le Þjóðann et le gouvernement impérial étaient toujours reconnus comme détenant la souveraineté sur toutes les terres d’Yggdrasil.

En désignant le Clan de l’Acier comme ennemi de l’empire, ils avaient donné à tous les autres clans d’Yggdrasil une justification officielle pour lui faire la guerre.

De même, en tant qu’ennemi de l’empire, le Clan de l’Acier avait été qualifié de « maléfique » et, par extension, avait perdu son statut de gouvernement légitime.

Dans la hiérarchie de l’empire, les patriarches des clans étaient techniquement des seigneurs féodaux gouvernant en tant que mandataires des Þjóðann, et bien que la relation ne soit guère plus que nominale, c’est ainsi que les clans obtenaient l’autorité politique pour gouverner leurs terres.

Rien que d’y penser, Linéa avait mal à la tête.

« Nous avons toujours fourni à l’empire un ample tribut. Il ne devrait pas y avoir de raison pour qu’ils nous fassent ça…, » déclara un homme, son expression déjà sévère s’assombrissant encore plus.

Cet homme grimaçant était Jörgen, l’actuel patriarche du Clan du Loup, et il avait raison.

Comme nous l’avions souligné plus haut, se faire un ennemi de l’empire était extrêmement problématique, tandis que bénéficier de son soutien politique permettait d’utiliser pleinement son autorité symbolique.

C’est pourquoi le Clan de l’Acier, et le Clan du Loup avant lui, n’avait jamais hésité à faire bon usage des profits qu’il tirait de la vente d’objets en verre. Un volume substantiel d’or, d’argent et d’autres trésors avait été donné à l’empire sous forme de généreux paiements de tribut.

Apparemment, Jörgen avait été tout aussi confus que Linéa que cette situation puisse se produire malgré cette loyauté constante.

« Ennemis de l’empire ? Qu’est-ce que cela signifie ? »

« Seigneur Réginarque, qu’avez-vous fait !? »

« Je ne me souviens pas que Sa Majesté ait déjà donné un tel ordre, pas même une fois ! »

Un moment après la remarque de Linéa, plusieurs des autres invités avaient compris la signification de l’ordre d’assujettissement et s’étaient mis à parler brusquement les uns au-dessus des autres.

C’était un monde où la foi dans les dieux et les superstitions populaires avaient encore cours en de nombreux endroits. Les Þjóðann possédaient un grand pouvoir surnaturel sous la forme de leurs runes jumelles, transmises de génération en génération, et il y avait peu de gens chez qui cela n’inspirait pas à la fois révérence et crainte.

« Ne paniquez pas ! » Alors que l’anxiété de la foule rassemblée commençait à se nourrir d’elle-même, un unique cri avait retenti dans la salle du sanctuaire comme un coup de tonnerre.

Instantanément, la foule était devenue si silencieuse qu’on aurait pu entendre une épingle tomber.

« C’est une des choses que j’avais prévu qu’il se produit. Il n’y a aucune raison de paniquer. Nous continuons la cérémonie. »

Le jeune marié s’était adressé à la salle comme si de rien n’était, comme si rien ne s’était passé.

Il n’avait que dix-sept ans, mais ce jeune homme — connu sous le nom de Seigneur Suoh-Yuuto — avait, en deux ans seulement, fait de son minuscule Clan du Loup un État membre de la troisième nation la plus puissante du royaume d’Yggdrasil. Il était une figure héroïque comme on en voit rarement.

Et sa présence dominante, l’air de pouvoir qui semblait l’entourer, était tout aussi extraordinaire.

« C’est bien approprié pour Père, » se dit Linéa en regardant Yuuto avec un respect sincère.

Les invités à cette cérémonie de mariage étaient tous des patriarches de clans, des commandants en second ou des personnes de rang et d’importance similaires de leurs clans respectifs.

Ils avaient tous été stoppés dans leur élan et contraints au silence par une simple remarque de Yuuto. Le Clan de l’Acier avait son lot de personnes charismatiques, mais il était probablement la seule personne capable de réaliser un tel exploit.

Et même face à ce développement effrayant, il était resté complètement calme et imperturbable. C’est comme si la nouvelle ne l’avait pas dérangé le moins du monde.

Il était si fiable, quelqu’un sur qui elle pouvait vraiment compter pour n’importe quoi.

« Je le savais. Il n’y a aucune chance que je puisse envisager d’aimer un autre homme que lui. »

***

Chapitre 1 : Acte 1

Partie 1

« Seigneur Yuuto ! Dame Mitsuki ! Félicitations et meilleurs vœux ! »

« Félicitations ! »

« Vive le Clan de l’Acier ! »

Les citoyens de Gimlé applaudissaient, leurs voix étant une cacophonie qui s’élevait du centre-ville.

C’était le point final de la cérémonie de mariage, une grande parade de rue.

Les deux côtés de l’artère principale étaient pleins à craquer de gens désireux d’apercevoir Yuuto et sa nouvelle femme.

Chevauchant une calèche magnifiquement décorée d’or et d’argent éblouissants, Yuuto et Mitsuki avaient reçu les acclamations et avaient salué en retour.

L’atmosphère était à la fête et à la gaieté, les visages des gens étaient remplis de joie…

« Bon sang, ça devient un vrai bordel…, »

… Mais l’homme du jour se murmurait amèrement à lui-même, même si son visage gardait un sourire heureux.

En ce moment, l’esprit de Yuuto était complètement occupé par des préoccupations concernant l’ordre d’assujettissement émis par le Pjóðann contre le Clan de l’Acier.

« N’as-tu pas dit que c’était quelque chose que tu attendais ? » Mitsuki, sa jeune épouse, le lui avait demandé doucement, tout en maintenant ses propres sourires pour la foule.

« Je bluffais, » répondit Yuuto. « L’anxiété d’un dirigeant se propage à ceux qui sont sous ses ordres. J’ai décidé sur le moment que je ferais comme si ce n’était pas grave. »

Le maintien de la cérémonie et la tenue du défilé dans les délais prévus étaient les résultats de cette décision.

Grâce à l’utilisation des pigeons voyageurs, son clan disposait d’un avantage considérable sur les autres nations en termes de rapidité d’envoi et de réception des informations. De ce fait, il avait pensé que la situation n’était pas assez urgente pour exiger des contre-mesures immédiates de sa part. Cette connaissance avait joué un rôle dans sa décision d’aller jusqu’au bout de son bluff.

« Oh, wôw ! Je n’arrive pas à croire que tu aies pu rester calme et que tu aies pu considérer tout ça en un seul instant, » dit Mitsuki.

« Je devais le faire, » répondit Yuuto. « Le fait d’avoir des choses inattendues comme ça qui vous tombent dessus est quelque chose qui arrive tout le temps sur le champ de bataille. »

Le commandant d’une armée devait être capable de garder son sang-froid en toutes circonstances et de maintenir au moins l’apparence d’un calme imperturbable.

C’était le principe auquel Yuuto se tenait toujours, et ses efforts avaient porté leurs fruits.

« De toute façon, je ne peux pas imaginer que l’ordre d’asservissement soit quelque chose que Rífa ait fait de son plein gré, » déclara Yuuto. « Je dois dire que je ne veux pas non plus l’imaginer, » ajouta-t-il en laissant échapper une pointe d’inquiétude.

« Oui…, » le visage souriant de Mitsuki s’était assombri d’inquiétude pendant une seconde.

De la fin de l’automne dernier jusqu’au printemps dernier, Rífa avait été hébergée par le Clan du Loup à Iárnviðr, mais elle n’avait pas subi d’offenses particulières à son honneur ou quoi que ce soit de ce genre.

En fait, elle avait plutôt apprécié le temps passé là-bas.

Et quand Yuuto s’était retrouvé transporté de force dans le Japon moderne, elle avait prêté ses pouvoirs pour aider à le ramener ici. Il serait certainement étrange qu’elle se donne tout ce mal pour le faire revenir ici, juste pour appeler à la guerre contre lui.

Yuuto poursuivit : « Je dirais qu’il y a de fortes chances que ce soit l’œuvre de quelqu’un d’autre. Quelqu’un qui a émis l’ordre sous le faux nom de Rífa. »

Et si c’était le cas, il avait déjà une bonne idée de qui c’était.

Après quelques recherches, Yuuto savait maintenant que Rífa ne contrôlait plus le gouvernement du Saint Empire Ásgarðr. Il était entièrement à la merci de quelqu’un d’autre, un certain vieil homme.

Il était le patriarche de l’un des dix grands clans du royaume, le Clan de la Lance, qui protégeait la moitié sud de la région centrale d’Ásgarðr. En plus de cela, il était aussi le Grand Prêtre Impérial, l’un des postes les plus puissants du gouvernement…

Yuuto murmura le nom. « Hárbarth. L’homme qu’on appelle Skilfingr, le gardien d’en haut… »

Comme son autre nom le suggérait, le vieil homme semblait avoir une connaissance approfondie de tout ce qui se passait dans l’empire, qu’il s’agisse des scandales secrets et des faiblesses des nobles de la cour dans la capitale Glaðsheimr, ou des détails complets des incidents survenus dans des régions lointaines.

Savoir tout ce qui se passe à Glaðsheimr est une chose, mais connaître les événements lointains en est une autre. Dans le monde d’Yggdrasil, où l’information mettait beaucoup plus de temps à voyager qu’au 21ème siècle, une telle capacité était une menace claire.

En conquérant et en absorbant le Clan de la Panthère, le Clan de l’Acier était enfin devenu assez grand pour rivaliser avec les deux clans les plus puissants de l’empire. Yuuto pouvait au moins féliciter l’homme d’avoir pris des mesures aussi immédiates pour tenter de le réduire.

Chaque chose en son temps. Je vais conquérir Yggdrasil.

C’était le serment que Yuuto s’était fait à lui-même, mais il semblerait que le chemin vers son but ne soit pas du tout aussi facile.

« Kris ! »

Après la fin du défilé et l’arrivée de Yuuto au palais, il avait immédiatement sauté de la voiture et avait crié le nom de sa subordonnée. Il n’y avait plus la moindre trace de la joie du jeune marié dans son comportement.

« Je suis là, mon seigneur. » La réponse était venue directement de derrière lui.

Yuuto n’avait pas senti la présence de quelqu’un, mais il n’avait pas été surpris. Il se retourna et fit face à la propriétaire de la voix, une jeune fille qui semblait n’avoir que douze ou treize ans.

« As-tu de nouvelles informations ? » demanda Yuuto.

« De la région de Glaðsheimr, je crains que non dans ce court laps de temps. »

« Hm, je suppose que c’est logique. »

« Cependant, il y a une autre question…, » Kristina avait fait une pause. « Est-ce que vous pourriez me prêter votre oreille pour un moment ? »

« Hm ? Qu’est-ce que c’est ? » Yuuto se pencha et permit à Kristina de chuchoter directement dans son oreille.

 

 

« Le patriarche Douglas du Clan du Frêne a eu une réunion avec son subordonné pour discuter s’il était préférable pour lui de rester au service loyal du Clan de l’Acier ou non. »

« … Tu as comme toujours une excellente ouïe, » dit Yuuto, les lèvres retroussées en un sourire.

Kristina avait l’air d’une petite fille innocente et adorable, mais en réalité, elle était un maître dans l’art de dissimuler sa présence et de se cacher aux yeux de tous, et un agent de renseignement expert.

Douglas était, pour le moins, un individu dont les capacités lui avaient permis de réussir à se frayer un chemin jusqu’au rang de patriarche de son clan. Il avait sûrement pris soin d’éviter l’attention et les oreilles indiscrètes lorsqu’il avait sa conversation privée.

Mais cet effort était inutile. Kristina l’écoutait toujours facilement à son insu. C’était ce qui la rendait si utile et fiable en tant que fille jurée de Yuuto.

« Eh bien, » marmonna Yuuto avec indifférence, « vu la situation, je suppose que ce n’est pas étrange qu’au moins l’un d’entre eux agisse comme ça. »

Il était lié aux autres patriarches par le Serment du Calice, un lien qui était censé être plus épais que le sang, un lien qu’il était normalement absolument impardonnable de rompre. Mais l’ordre d’assujettissement du Þjóðann avait le poids de la justice impériale, et offrait une porte de sortie parfaitement valable.

À l’heure actuelle, n’importe lequel de ses enfants jurés pourrait revenir sur ses vœux envers lui, et personne ne pourrait les condamner pour cela. En effet, il serait parfaitement naturel pour certains d’entre eux d’envisager l’option de la trahison comme un moyen d’assurer la survie de son clan.

« On dirait que j’ai eu raison d’être rapide pour faire mon propre coup. Au fait, comment ça se présente ? »

« Cela se passera sans problème, » répondit Kristina.

« Vraiment ? » Les yeux de Yuuto s’étaient légèrement élargis. « Je suis un peu surpris. Vu le type dont on parle, je me doutais qu’il pourrait se rebiffer un peu. »

« Héhé, on dirait qu’il a bien plus peur de faire de vous un ennemi que d’être celui de l’empire, père. »

« Hm. Eh bien, s’il va faire exactement ce que je veux, alors ça me convient parfaitement. Très bien, contacte les patriarches subsidiaires et informe-les que nous allons immédiatement nous réunir dans la salle de conférence. »

« Compris, Père. » Lorsque Kristina confirma la réception de son ordre, elle disparut complètement en un instant, comme si elle avait été effacée.

Yuuto n’était pas mieux qu’un amateur dans les arts martiaux, mais même ainsi, disparaître comme ça était un incroyable exploit de furtivité.

« Je suis tellement content d’en avoir fait ma fille jurée. »

Parfois, l’information était bien plus précieuse que le fer ou le verre.

En l’occurrence, sans savoir au préalable que Douglas hésitait, la trahison éventuelle aurait pu surprendre Yuuto et le laisser désorienté. En le sachant à l’avance, il pouvait prendre des contre-mesures.

Dans L’art de la guerre, l’une des sources de savoir les plus prisées de Yuuto, Sun Tzu déclare également que les espions sont la pierre angulaire d’une armée.

Kristina était certainement cela, et bien plus encore.

« Très bien, on dirait que tout le monde est là, je vais donc rappeler ce conseil à l’ordre, » annonça Yuuto, son regard passant sur les autres personnes assises à la table ronde.

Éclairés par la lueur orange des torches murales, les visages des sept patriarches des clans subsidiaires s’étaient tournés vers lui.

Chacun d’entre eux avait un sens de la dignité et de la présence qui convenait à quelqu’un qui s’était élevé à la position de tenir ensemble et de contrôler un clan.

Yuuto continua. « Je suis désolé de vous réunir si tard dans la nuit comme ça, mais je suis sûr que vous savez tous pourquoi je devais le faire. »

Ils avaient tous acquiescé fermement. Yuuto confirma que tout le monde avait compris avant de continuer.

« En effet, il s’agit de l’ordre impérial de subjugation contre le Clan de l’Acier, qui aurait été émis par le Þjóðann. On ne sait pas pourquoi Sa Majesté a émis une telle déclaration contre nous. Actuellement, j’ai demandé à Kristina d’enquêter sur ce point. »

« Pardonnez-moi, » dit l’un des patriarches. « Pendant la cérémonie de tout à l’heure, n’avez-vous pas dit que cet événement correspondait à vos attentes ? » La voix de l’homme était suspicieuse.

C’était Fundinn, le patriarche du Clan des Chiens de Montagne. Son clan était basé sur les pentes abruptes des montagnes Himinbjörg, et Fundinn ressemblait en effet à l’image stéréotypée de « l’homme des montagnes ». Ses lèvres et son menton étaient cachés sous une barbe rude, ses bras et son torse poilus étaient visibles dans les interstices de ses vêtements… et il avait un regard aussi acéré que celui d’un faucon.

« Si vous avez anticipé cette situation, vous deviez avoir des raisons de le faire. Serait-il possible pour vous de nous le dire ? » avait-il demandé. Ses yeux méfiants s’étaient posés sur Yuuto.

Il y avait assez de pression derrière ce regard pour faire trembler de peur un homme normal, mais Yuuto l’avait encaissé sans sourciller avant de continuer.

« Très bien », avait-il répondu. « Pour être franc, c’est le fait que nous sommes devenus trop grands et trop puissants en si peu de temps. Assez grands pour que le gouvernement impérial commence à craindre d’être remplacé sous peu. »

Cette idée était logique à première vue, mais ce n’était en fait qu’un raisonnement que Yuuto avait échafaudé après coup, pendant le défilé. Il s’était dit qu’après avoir déclaré publiquement que la situation était conforme à ses attentes, il aurait une ou deux questions de ce genre.

Cependant, il ne pensait pas non plus que la logique de cette déclaration soit trop éloignée de la réalité.

Le Þjóðann Rífa était une autre affaire, mais Hárbarth était celui qui contrôlait réellement l’empire en ce moment, et ses motivations pour créer cette situation étaient probablement de cet ordre.

***

Partie 2

« Le clou qui dépasse est enfoncé. C’est comme ça que ça a toujours été. Il n’y a aucun intérêt à débattre du “pourquoi” de cette situation. À la place, je veux discuter des problèmes à court terme que cet ordre d’asservissement va probablement entraîner. »

« … Je comprends, Père, » dit Fundinn en hochant la tête, bien que son visage montrait qu’il n’acceptait pas complètement l’explication de Yuuto.

Le fait qu’il soit encore prêt à se taire et à reculer sur ce point montrait à quel point il était d’accord avec tout le monde pour dire que les autres problèmes étaient plus urgents.

« En raison de l’ordre d’assujettissement, tous les autres clans d’Yggdrasil ont une raison acceptable d’attaquer et d’envahir le Clan de l’Acier. Cela dit, je doute fort qu’un de leurs patriarches nous fasse une faveur en menant seul son clan à travers notre frontière. Ils savent à quel point il y a une différence de force militaire entre nous et chacun d’entre eux. »

À l’heure actuelle, le Clan de l’Acier était bordé à l’ouest par ce qui restait du Clan de la Panthère et du Clan du Sabot, au sud par le Clan de la Foudre, et à l’est par les Clans du Croc et du Nuage.

Cinq clans, mais aucun d’entre eux ne méritait d’être appelé un adversaire redoutable pour le moment.

Cependant…

« Voici ce que je crains le plus, » expliqua Yuuto. « C’est que cet ordre d’asservissement donne à tous les clans environnants la justification parfaite pour se rassembler et former une alliance. Individuellement, chacun d’entre eux ne serait pas une grande menace pour le Clan de l’Acier, mais si plusieurs d’entre eux attaquent en même temps, je dois admettre que nous aurions beaucoup de mal à les affronter. »

Il y avait aussi le fait que l’influence de l’ordre impérial pourrait aider à faciliter l’obtention d’une aide encore plus importante pour les clans environnants de la part de clans qui n’étaient pas limitrophes du Clan de l’Acier.

Le Clan de l’Acier n’avait pas assez de ressources pour affronter tout le monde en même temps.

Toutes les personnes présentes à cette table étaient capables de diriger un clan, de gouverner et de maintenir une nation. Ils avaient compris à quel point la situation était grave. L’air autour de la table était sombre et oppressant.

« Et, » poursuivit Yuuto, « j’imagine que cette alliance est exactement ce qui va se passer. Après tout, les clans qui nous entourent se sentent encore plus menacés que l’empire par notre expansion. Cette situation est l’opportunité parfaite pour eux. »

Dans des circonstances normales, faire marcher cinq clans différents au même rythme serait un exercice futile.

Chaque clan avait ses propres motivations et objectifs, différentes choses qu’ils avaient à perdre ou à gagner dans une campagne de guerre. Essayer de les faire prendre des risques et travailler ensemble ne serait pas une tâche facile.

L’ordre d’assujettissement impérial avait créé un scénario où ils pouvaient exactement faire ça. Tout le monde irait à la guerre ensemble sous la bannière impériale.

En regardant l’histoire, on pouvait voir de nombreux exemples de petites armées ou d’États qui s’étaient regroupés pour affronter une force puissante qui les aurait submergés individuellement.

Il y avait eu le cas de l’ascension de l’État de Qin à la fin de la période des Printemps et Automnes de la Chine, qui avait conduit les six autres petits États à tenter de former une alliance contre Qin pour contenir son expansion.

Ensuite, il y avait eu la période japonaise Sengoku, où la coalition dite de « l’encerclement de Nobunaga » s’était formée entre de multiples seigneurs de guerre se méfiant d’Oda Nobunaga et de la montée en puissance du clan Oda.

En particulier, l’exemple de Sengoku avait beaucoup de points communs avec la situation actuelle. Le shogun de l’époque, Ashikaga Yoshiaki, avait publié un édit sous l’autorité de l’empereur du Japon appelant tous les seigneurs de guerre à s’unir contre Nobunaga. Cet appel avait constitué une puissante force d’union qui avait donné naissance à la coalition anti-Nobunaga.

« Si je dois être franc ici, je pense qu’il y a de bonnes chances qu’une alliance contre nous ait déjà été formée à ce stade. On dit toujours après tout que les plans les plus efficaces sont ceux qui sont élaborés dans le secret. Si l’ordre d’assujettissement est rendu public, cela signifie qu’ils ont tous fini de se préparer. »

Le son de la déglutition nerveuse pouvait être entendu dans toute la salle.

Si la prédiction de Yuuto était correcte, cela signifiait que dans un avenir très proche, leurs ennemis attaqueraient en tandem avec des armées de tous les côtés.

Leur nombre s’élèverait à des dizaines de milliers…

« C’est une situation désespérée où la vie de chacun est en jeu. Je sais que certains d’entre vous peuvent être réticents à l’idée de partir en guerre contre l’empire. » Yuuto s’était arrêté et avait regardé chacun des patriarches tour à tour, un par un. « Si vous souhaitez rendre mon calice et échanger le vin que vous avez bu contre de l’eau, dites-le ici et maintenant. Je ne considérerai pas cela comme un crime. Je m’assurerai que vous retourniez en toute sécurité auprès de votre peuple. »

« … !! » Les autres avaient tous sursauté à la proposition soudaine de Yuuto, les yeux écarquillés.

L’expression « échanger le vin contre de l’eau » signifiait rejeter le vin sacré qui avait été bu lors de l’échange du serment du calice, et signifiait donc la rupture du lien entre le parent et l’enfant assermentés.

Comme en témoignent toutes leurs discussions jusqu’à présent, Yuuto et le Clan de l’Acier avaient besoin de tous les alliés qu’ils pouvaient avoir. Pourtant, il était en train de dire qu’il n’empêcherait aucun d’entre eux de le quitter. C’était suffisant pour qu’ils se demandent s’il avait toute sa tête.

Cependant, les prochains mots qui sortirent de la bouche de Yuuto leur firent réaliser à quel point c’était une erreur.

« Bien sûr, cela signifie que la prochaine fois que nous nous rencontrerons, ce sera sur le champ de bataille en tant qu’ennemis, et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour vous écraser. »

Les lèvres de Yuuto s’étaient retroussées en un sourire sinistre, et il y avait une lumière intense dans ses yeux. Cette lumière était la preuve que, même si la situation semblait désespérée, il avait clairement l’intention et l’espoir de gagner à la fin.

Et les nombreux accomplissements de Yuuto jusqu’à présent prouvaient clairement qu’il ne bluffait pas.

Les patriarches étaient tous réduits au silence par l’intensité de Yuuto, incapables de parler, jusqu’à ce que l’un d’entre eux éclate soudainement de rire.

« Héhé, haha haha haha ! Aussi audacieux et fougueux que vous l’avez toujours été ! Je n’en attendais pas moins de l’homme à qui j’ai demandé d’épouser mes filles. Je sais que c’est peut-être un peu direct, puisque c’est le jour de votre mariage et tout, mais je dois vous le demander à nouveau. Ne seriez-vous pas prêt à les accepter toutes les deux ? Ça ne me dérange pas si c’est en tant que concubines au lieu d’épouses. »

Cet homme était Botvid, patriarche du Clan de la Griffe.

Il avait dit son texte en riant, comme s’il ne faisait que plaisanter, mais le contenu de sa demande n’avait rien de drôle.

Il disait indirectement qu’il serait prêt à offrir ses deux filles à Yuuto comme otages, pour garantir sa loyauté.

« O-Oh ! Eh bien, si c’est comme ça, alors s’il vous plaît, j’aimerais que vous preniez aussi ma fille ! » s’empressa d’ajouter Fundinn. « Elle n’est pas aussi jolie et raffinée que les filles de la ville, mais c’est une fille en bonne santé avec beaucoup d’endurance. Je suis sûr qu’elle vous donnera des enfants forts. »

« Oh, mon Dieu, alors je pourrais aussi me joindre à vous et vous demander si vous seriez aussi prêt à prendre ma fille ? »

Avec un petit rire, la femme connue sous le nom de Lágastaf avait également pris la parole. Elle était le patriarche du Clan du Blé.

Comme Yuuto était originaire du Japon, lorsqu’il avait entendu le nom de Lágastaf pour la première fois, cela lui avait semblé être un nom masculin, mais la propriétaire de ce nom était une charmante et belle femme d’une vingtaine d’années.

Apparemment, son mari avait été le précédent patriarche du clan, mais il était mort jeune, et ses enfants subordonnés avaient plaidé pour qu’elle lui succède.

Au premier abord, elle avait l’air d’une femme calme et douce, mais bien que sa nation soit petite, elle était le patriarche d’un clan. Il y avait certainement plus en elle.

Le Clan du Blé était une nation très petite et militairement faible, et elle avait réussi à préserver son existence alors que l’équilibre des forces changeait en changeant ses allégeances au fil des ans, du Clan du Rhinocéros au Clan du Sabot, et enfin au Clan du Loup. Elle possédait manifestement un bon instinct pour la diplomatie.

Si une femme comme elle annonçait qu’elle restait aux côtés de Yuuto, ça voulait dire quelque chose.

« J-Je veux que tu me prennes aussi. ! » La patriarche du Clan de la Corne, Linéa, avait ensuite pris la parole, sa voix s’élevant presque comme pour protester contre Lágastaf.

« Malheureusement, je n’ai pas de fille à offrir, mais lorsque le moment sera venu de partir au combat, j’espère que vous pourrez m’honorer en m’envoyant combattre en première ligne. »

« Et j’aimerais dire “prenez aussi ma fille”, mais je pense que vous êtes déjà entouré de plus de belles filles que vous ne savez quoi en faire, Père. »

Le Patriarche du Clan de la Panthère, Skáviðr, au visage toujours aussi sérieux, avait été le suivant. Il avait été rapidement suivi par le Patriarche du Clan du Loup, Jörgen, qui avait terminé son intervention par un clin d’œil et un gloussement.

Ces trois dernières personnes étaient les alliées de Yuuto depuis l’époque où il était le patriarche du Clan du Loup, et elles lui étaient indéfectiblement dévouées.

Il n’y avait aucune raison pour qu’il doute de leur loyauté.

Il ne restait plus qu’une seule personne, le patriarche du Clan du Frêne, Douglas.

Il poussa un soupir presque impressionné et déclara : « Je pensais amener ma femme et mes enfants pour visiter Gimlé et voir ces curiosités. Je me demande si cela vous conviendrait ? »

L’expression de Douglas s’était éclaircie, comme si un poids lui avait été enlevé.

Il avait lutté pour savoir s’il devait se ranger du côté de Yuuto ou de l’empire, mais il semblerait que cette réunion du conseil l’ait aidé à trouver une réponse.

« Eh bien, Père, je suis assez impressionné par le caractère dramatique de votre jeu d’acteur. Pour être honnête, lorsque vous avez prononcé votre première réplique, même moi j’ai un peu frémi, et j’avais entendu parler du plan à l’avance. Ma voix était fermement emprisonnée dans ma gorge ! »

La réunion était terminée, et après s’être séparé de tout le monde et être retourné à son bureau, Yuuto écoutait Botvid le couvrir de flatteries joyeuses.

Le patriarche du Clan de la Griffe était un homme de forte corpulence, un peu ventru, aux cheveux à moitié coupés et au sourire très amical, ce qui le faisait passer pour un homme d’âge mûr et ennuyeux. Mais en réalité, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de son clan, Botvid avait la réputation d’être un dirigeant rusé et compétent.

Yuuto haussa les épaules et laissa échapper un rire amer. « Nous sommes désespérés ici, bien sûr que je vais mettre tout ce que j’ai dans ce rôle. Si je reste assis et que je laisse les gens faire semblant d’être de mon côté, et qu’au moment où les jeux sont faits, ils finissent par se retourner contre moi, il n’y a rien que je puisse faire. »

***

Partie 3

Il ne s’agissait pas seulement de Douglas. Il était assez facile pour Yuuto d’imaginer que plusieurs des autres patriarches puissent aussi avoir eu du mal à décider quel côté choisir.

Le lien puissant entre le parent et l’enfant juré existait précisément pour empêcher ce genre de choses, mais l’ordre impérial d’assujettissement avait tout renversé, renvoyant pratiquement les choses là où elles étaient avant que Yuuto ne prête le serment du Calice avec eux.

C’est pourquoi Yuuto avait envoyé un contact à Botvid avant la réunion du conseil, et ils avaient accepté de monter ce spectacle. C’était en partie pour dissuader les autres patriarches d’envisager une défection, et en partie pour jauger leur position.

« Trop vrai. Pourtant, je ne m’attendais pas à ce que les choses se passent si exactement comme prévu. Je vois que vous êtes un sacré magouilleur, Père. »

« Hé, ce n’est pas comme si j’avais trouvé l’idée tout seul. J’ai simplement imité un événement historique connu sous le nom de Conseil Oyama. Dans tous les cas, je te suis reconnaissant que tu travailles avec moi, Botvid. C’est grâce à toi que les choses se sont déroulées si facilement. »

« Le “Conseil Oyama”, dites-vous. C’est un nom qui ne m’est pas familier. Pensez-vous pouvoir m’en parler ? »

« Donc, dans le pays d’où je viens, il y a longtemps, il y a eu cette énorme bataille entre les armées de l’Est et de l’Ouest à un endroit appelé Sekigahara. Le chef de l’armée de l’Est était Tokugawa Ieyasu, mais les loyautés étaient compliquées à l’époque, et beaucoup de ses futurs généraux hésitaient encore à s’engager à ses côtés. Il s’adressa à un puissant général nommé Fukushima Masanori et il réussit ainsi à le convaincre. L’astuce consistait à utiliser Fukushima de manière stratégique. Il convoqua un conseil de guerre à Oyama, et fit en sorte que Fukushima “décide” publiquement qu’il s’engageait aux côtés de Tokugawa. Dès que cela se produisit, presque tous les autres généraux commencèrent à s’engager à ses côtés, comme une avalanche. »

« Oho …, » Botvid s’était penché plus près de Yuuto, l’écoutant attentivement avec intérêt.

« Ce n’est pas tout, » poursuivit Yuuto. « Pour atteindre le champ de bataille de Sekigahara, Tokugawa Ieyasu devait traverser une région du pays appelée Tōkaidō. L’un des seigneurs de guerre qui gardaient la région, Yamauchi Kazutoyo, lui déclara : “Hé, vous pouvez vous reposer dans mon château”. L’histoire raconte qu’ensuite, les autres seigneurs locaux de la région de Tōkaidō avaient tous fait de même. »

« Je vois, je vois. » Botvid hocha la tête en signe de compréhension.

Il avait toujours été un homme spécialisé dans la ruse et la finesse, c’est ainsi qu’il avait accédé au pouvoir en tant que patriarche. Il semblait avoir compris l’essentiel du principe en jeu juste en entendant ces deux exemples.

Le cœur humain est faible. Il est effrayant de s’engager seul dans une décision difficile et tentant d’attendre que quelqu’un de plus fort ou de plus accompli prenne une décision et de croire ensuite qu’il a eu raison.

Il est également difficile d’être la seule personne dans la pièce à exprimer son opposition. Et puis il y a le fort sentiment de pression lorsque les autres commencent à s’engager dans un choix, la peur d’être exclu si l’on ne s’empresse pas de les rejoindre.

Tokugawa Ieyasu avait fait un usage intelligent de cette psychologie, en convainquant indirectement les généraux de rejoindre son camp.

« Pourtant, je ne m’attendais pas à ce que vous me choisissiez, parmi tous les autres, pour vous aider. Les membres du Clan du Loup me considèrent après tout comme un serpent venimeux. » Botvid gloussa et affaissa ses épaules.

Avant que Yuuto n’arrive à Yggdrasil, Botvid avait trahi une alliance avec le Clan du Loup. Il avait profité du fait que, immédiatement après avoir pris le pouvoir de son prédécesseur, le précédent Serment du Calice entre les clans était invalide, et il avait attaqué avant qu’il n’y ait une chance de réagir. Il s’était emparé à l’époque d’une grande partie du territoire du Clan du Loup.

Depuis lors, les membres du Clan du Loup le considéraient avec méfiance et mépris.

« C’est exactement pour ça que je t’ai choisi. Sans vouloir te vexer, tu as la réputation d’être un bâtard sournois, alors si quelqu’un comme toi est le premier à s’engager à mes côtés, les autres vont commencer à considérer que rester dans le Clan de l’Acier est un choix intelligent. N’es-tu pas d’accord ? »

« Hmm. C’est vrai. Cependant, vous me révéliez également une faiblesse dans votre position, et j’aurais pu me retourner et l’utiliser contre vous. N’avez-vous pas considéré cela ? »

Le fait de demander à Botvid de coopérer, c’était aussi admettre que l’aide était nécessaire, lui montrer que la situation était vraiment grave pour le Clan de l’Acier.

Mal joué, il y avait suffisamment de chances pour qu’un homme rusé comme Botvid puisse y voir un signe et échapper à sa subordination au Clan de l’Acier.

En fait, Félicia avait été très désapprobatrice à l’idée d’utiliser l’aide de Botvid.

Cependant, Yuuto avançait quand même, convaincu que c’était le meilleur moyen.

La raison de cette condamnation était…

« Avoue-le, tu as vraiment une haute opinion de moi, n’est-ce pas ? »

Yuuto avait dit cela avec un sourire large et confiant, en montrant ses dents.

Pendant un bref instant, Botvid était resté bouche bée, regardant Yuuto et clignant des yeux d’une manière perplexe.

« Ne me dites pas que c’est la seule raison pour laquelle vous m’avez fait confiance ? » demanda Botvid, avec une expression beaucoup plus dubitative.

« N’ai-je pas le droit d’en faire ma raison ? » répondit Yuuto.

« Non, ce n’est pas ça… Quand même, ce genre d’évaluation peut changer selon les circonstances… »

« J’ai cependant dit très haut. J’en étais sûr après ce qui s’était passé lors de la bataille de la rivière Körmt. »

À l’époque, Yuuto avait été renvoyé de force dans le Japon moderne par la magie seiðr de Sigyn. Le Clan du Loup était alors dans une situation encore plus désespérée que celle du Clan de l’Acier en ce moment.

L’armée du Clan de la Foudre avait encerclé Gimlé, et celle du Clan de la Panthère avait encerclé Fólkvangr. Il semblerait que le Clan du Loup était sur le point d’être anéanti.

Même si Yuuto parvenait à retourner à Yggdrasil, il était trop tard pour changer quoi que ce soit… C’était la façon logique de voir les choses. Et, en fait, les autres clans subsidiaires du Clan du Loup à l’époque s’étaient retenus de les aider, restant neutres jusqu’à ce que Yuuto écrase finalement l’armée du Clan de la Panthère à la bataille de la rivière Körmt.

Cependant, dès que Botvid avait entendu que Yuuto était revenu, il avait engagé ses troupes en renfort sans hésiter.

Un homme aussi froid et calculateur ne ferait pas un pari aussi risqué s’il ne voyait aucune chance de gagner. En d’autres termes, il avait sa propre conviction soutenant son choix.

Il avait cru que même dans une situation aussi désespérément désavantageuse, Yuuto mènerait le Clan du Loup à la victoire.

« En y repensant maintenant, tu m’as également envoyé tes jumelles à un stade assez précoce. Normalement, c’est fou de penser que tu aurais renoncé à avoir deux personnes aussi talentueuses à tes côtés. »

Kristina servait d’yeux et d’oreilles à Yuuto, et son utilité allait de soi. Albertina était également bien plus que l’innocente idiote d’enfant qu’elle semblait être.

Elle était amicale, sociable et globalement adorable, et les habitants d’Iárnviðr et de Gimlé l’adoraient.

Botvid aurait pu faire d’Albertina, populaire et charmante, un futur patriarche, le visage public du clan, et faire en sorte que sa sœur Kristina, froide et pondérée, la soutienne en tant que commandant en second grâce à son intelligence et à son esprit de décision.

Faites cela, et l’avenir du Clan de la Griffe serait assuré à coup sûr.

Il était impossible que Botvid ne se soit pas rendu compte que ses filles avaient ce qu’il fallait pour être les futurs chefs du clan.

Et pourtant, il les avait quand même envoyées à Yuuto.

« En tant que patriarche, j’ai eu la chance d’observer un bon nombre de personnes, » dit Yuuto. « Et je pense avoir remarqué quelque chose d’essentiel à leur sujet. Les gens peuvent mentir avec leurs mots, mais pas avec leurs actions. »

En d’autres termes, que Botvid aime ou n’aime pas Yuuto, ses actions avaient montré qu’il était prêt à prendre un risque personnel non négligeable afin de favoriser et d’améliorer sa relation avec Yuuto.

Machiavel, auteur du Prince, avait également écrit : « Ce sont les anciens ennemis qui s’efforcent de servir le prince avec la plus grande loyauté. Le prince a constaté qu’il tirait plus de loyauté et d’utilité des hommes dont il se méfiait au début que de ceux qui étaient des amis de confiance depuis le début. Ils seront obligés de servir le prince avec loyauté, car ils savent qu’il leur faut annuler par leurs actes la mauvaise impression que le prince s’était faite d’eux. »

C’est pourquoi Yuuto avait deviné que Botvid accepterait sa suggestion de travailler ensemble, qu’il y verrait une opportunité.

« Heh heh heh, je vois maintenant. Kris m’a dit ça à propos de vous, Père. Elle a dit que vous n’êtes pas attaché par vos émotions et que vous pouvez voir les choses d’un point de vue plus large. Elle avait vraiment raison, vous êtes très perspicace ! »

Botvid tapa son genou d’une main et rit à haute voix.

« Cela veut-il dire que j’avais raison ? » demanda Yuuto.

« C’est le cas. Je suis sûr que Kris vous en a déjà parlé, mais du plus profond de mon cœur, vous êtes la seule personne dont je ne veux pas être ennemi. Vous me faites plus peur que l’empire ou les Þjóðann ne le feraient jamais. Peut-être que cet incident a rendu ces autres patriarches plus conscients de la peur que vous inspirez. » Botvid ricana pour lui-même, d’un rire méchant, mais aussi plein d’un réel plaisir.

Yuuto avait compris le sens de ce qu’il disait.

Le patriarche du Clan du Frêne Douglas, ainsi que toute autre personne présente à la réunion du conseil qui aurait remis en question leur loyauté, aurait entendu les mots de Yuuto et aurait eu peur qu’il parle en pensant à eux, paranoïaque qu’il ait vu clair en eux.

Cela leur ferait craindre de penser à le trahir.

C’est également un autre refrain que l’on retrouve dans les propos de Machiavel :

« Il est plus sûr d’être craint que d’être aimé. Les hommes ont moins de scrupules à offenser celui qui est aimé que celui qui est craint, car l’amour se préserve par le lien de l’obligation qui, à cause de la bassesse des hommes, est rompu à chaque occasion pour leur avantage, mais la crainte vous préserve par une peur du châtiment qui ne manquera jamais d’arriver. »

Ce n’était pas exactement le meilleur exemple de la « crise qui rapproche les gens », mais l’ordre d’assujettissement contre le Clan de l’Acier avait provoqué une perturbation interne qui, au final, avait conduit à un lien de loyauté encore plus fort entre Yuuto et ses subordonnés.

***

Partie 4

Peu de temps après la fin de la réunion confidentielle de Yuuto avec Botvid. Sous la faible lueur d’une torche, Yuuto montait seul les escaliers sombres et lugubres de la tour.

Il avait demandé à Félicia de l’attendre dehors.

C’était la Tour Nari. Nichée dans un coin reculé de l’enceinte du palais de Gimlé, c’était une tour de prison réservée spécialement aux personnes de haut statut.

L’endroit était complètement silencieux, et les pas de Yuuto semblaient presque anormalement forts dans ce silence.

Pour l’instant, il n’y avait qu’un seul prisonnier détenu ici.

« Eh bien. Voilà un visage que je n’ai pas vu depuis longtemps. »

Lorsque Yuuto était arrivé au dernier étage, l’homme dans la cellule l’avait salué d’une voix joyeuse.

Un masque noir de jais cachait la moitié supérieure du visage de l’homme, ce qui conférait à son apparence un caractère distinctif et douteux.

Il s’appelait Hveðrungr, et il était l’ancien patriarche du Clan de la Panthère. Mais pour Yuuto, il était bien plus que cela…

« Et moi qui pensais que tu m’avais oublié depuis longtemps. »

« Ouais, ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vu, Grand Frère. J’avais prévu de venir te rendre visite une fois que les choses se seraient un peu calmées, mais ça a fini par prendre pas mal de temps. »

… Il avait également été le grand frère de Yuuto, et les deux individus étaient liés depuis longtemps par un lien fatal.

Lorsque Yuuto l’avait rencontré pour la première fois, il s’appelait Loptr, et faisait partie du Clan du Loup. À cette époque, Yuuto venait tout juste d’arriver à Yggdrasil, incapable de parler la langue ou de subvenir à ses besoins. Alors que les autres habitants se moquaient de Yuuto en lui donnant le nom de « Sköll » — qui signifie « Dévoreur de bénédictions » — Loptr avait été différent. Avec sa jeune sœur biologique Félicia, Loptr s’était occupé de Yuuto, avait cru en lui et l’avait encouragé… Cependant, lorsqu’il avait perdu la position de patriarche au profit de Yuuto, Loptr avait perdu la raison dans une crise de jalousie et avait essayé de le tuer, puis avait fui le clan lorsque cette tentative avait échoué.

« En parlant de s’installer, j’ai appris que tu avais épousé ton amie d’enfance. Je suppose que je devrais dire “Félicitations”. »

« Oui, merci. »

« Et pourtant, j’ai entendu dire que tu as aussi pris Félicia dans ton lit ? »

La voix de Hveðrungr était glaciale, et il fixait Yuuto avec des yeux bridés.

Il avait dû l’apprendre directement de Félicia.

« C’est vrai, » répondit Yuuto sans ménagement. « Je suis désolé. Je sais que tu as dit que tu ne me pardonnerais jamais d’avoir d’autres relations si je me mettais avec elle. »

« Et n’ai-je pas dit que si tu faisais ça, je te tuerais ? »

« C’était si je la “faisais pleurer”, tu te souviens ? Jusqu’à présent, je ne l’ai pas fait. »

Bien sûr, Yuuto avait fait pleurer Félicia plusieurs fois, mais il avait décidé de ne pas en parler.

Hveðrungr semblait quelque peu insatisfait de la réponse de Yuuto. « Hmph. Tu as une bonne mémoire. Eh bien, elle semblerait elle-même satisfaite de l’arrangement, alors je suppose que je vais laisser tomber. De plus, même si je voulais te punir, je ne suis pas en mesure de le faire. »

Il avait tapé de la main contre les épais barreaux de bois qui séparaient l’espace entre eux deux.

En tant qu’Einherjar, il était fort, mais briser les barreaux de cette cellule à mains nues serait encore presque impossible sans la force monstrueuse que possède Steinþórr du Clan de la Foudre.

Dans cet état, il ne serait même pas capable de s’approcher de Yuuto, et encore moins de le tuer.

« Allons de l’avant, » dit Hveðrungr. « Dis-moi, qu’est-ce qui t’a finalement amené ici après tout ce temps ? »

Yuuto acquiesça. « Je voulais discuter de certaines choses avec toi », commença-t-il en s’asseyant sur le sol.

« Allez, maintenant, tu fais vraiment ça ? Un noble patriarche, assis de lui-même sur le sol nu et sale ? » demanda Hveðrungr d’un ton exaspéré.

« Hé, si on doit avoir une longue discussion, je ne vais pas m’épuiser à le faire debout. » Un sourire malicieux apparut sur le visage de Yuuto alors qu’il répondait.

Parler comme ça, se lancer des piques, c’était aussi quelque chose qu’ils avaient l’habitude de faire il y a deux ans.

Yuuto avait ressenti un peu de réconfort nostalgique. Cela lui faisait aussi un peu mal au cœur.

« Tu vas me demander pourquoi j’ai essayé de te tuer. Ai-je raison ? » demanda Hveðrungr, en essayant d’aller droit au but.

Cependant, Yuuto secoua sa tête.

« Non. Je n’en ai pas besoin, plus maintenant. Tu as passé toute ta vie à vouloir devenir patriarche, tu as tout risqué pour ça, pour que le petit frère dont tu t’occupais vienne te l’arracher sous le nez. Bien sûr que tu veux me tuer. » Yuuto laissa échapper un petit rire d’autodérision et affaissa ses épaules.

« Eh bien, tu es devenu plus philosophe à propos de ce genre de choses, n’est-ce pas ? »

« Je suis patriarche depuis deux ans, et j’ai vu tellement de gens courir après le pouvoir et l’autorité, s’y accrochant comme s’ils étaient possédés. Je n’ai pas eu d’autre choix que d’apprendre à regarder les choses de façon moins personnelle. »

« C’est un peu insultant d’être mis dans le même sac que ces gens, mais je suppose que je ne peux pas discuter, n’est-ce pas ? » dit Hveðrungr en gloussant.

L’autorité, la promesse de pouvoir sur les autres, semble avoir un effet pervers sur les gens, comme si elle invoquait un démon dans leur cœur. Tuer pour obtenir ce pouvoir, même parmi ses proches en chair et en os, n’était pas vraiment un événement rare.

Yuuto n’allait pas demander « Pourquoi ? » à ce stade. Dans ce sens, il n’était plus un enfant.

« C’est du passé, ça n’a pas d’importance. En fait, je suis beaucoup plus en colère contre toi pour avoir brûlé des terres sur ton propre territoire du Clan de la Panthère. »

« Ah, oui, ça. » Hveðrungr avait hoché la tête, comme s’il était également prêt à répondre à cette question.

Sa voix ne trahissait aucune émotion, comme si le sujet le laissait totalement indifférent.

En d’autres termes, bien qu’il ait brûlé les terres sur lesquelles il régnait et infligé d’incroyables souffrances aux sujets qu’il était tenu de défendre, il ne ressentait pas la moindre culpabilité pour ce qu’il avait fait.

« Tu ne regrettes pas du tout d’avoir fait ça, n’est-ce pas ? » demanda Yuuto, cherchant une confirmation.

« Vas-tu m’attaquer pour cela comme Félicia l’a fait ? Me traiter d’“atroce et d’inhumain” ? Me demander : “As-tu seulement une conscience humaine ?”, peut-être ? » Le ton de Hveðrungr était mélodramatique, et il lança à Yuuto un regard significatif en attendant une réponse.

Yuuto avait eu le sentiment qu’il était testé ici.

Il avait secoué la tête une fois de plus.

« Non, je n’ai pas l’intention de te condamner pour ça. En tant que stratégie de guerre, c’était extrêmement efficace. Le nettoyage et les séquelles ont été un enfer, et cela a porté un coup sérieux au Clan de l’Acier, tant sur le plan financier que sur celui de l’approvisionnement en nourriture. »

Lorsque Yuuto avait formulé ses plans de guerre initiaux, il avait pensé qu’après avoir subjugué le Clan de la Panthère à l’ouest, il pourrait faire demi-tour et vaincre également le Clan de la Foudre, s’occupant ainsi des deux plus grandes menaces pour son clan. Il avait prévu d’être rétabli et prêt à commencer à avancer vers le centre d’Ásgarðr avant la fin de l’été.

Au lieu de cela, la stratégie de la terre brûlée du clan de la Panthère avait fait en sorte que Yuuto ne puisse plus faire de mouvements militaires jusqu’à au moins après la récolte d’automne, causant un retard inévitable dans ses plans généraux.

Yuuto pouvait dire que le coup de Hveðrungr avait été terriblement efficace, avec des répercussions douloureuses et durables.

« Heh heh heh, bien sûr que ça l’était. Même en y repensant maintenant, à ce moment-là, dans les conditions qui étaient les miennes, il n’y avait pas de méthode plus efficace que j’aurais pu choisir. Si je regrette quelque chose, c’est de ne pas avoir persévéré dans cette voie. J’aurais dû continuer à brûler la terre pendant encore plus longtemps. »

Hveðrungr avait dit cela fermement et sans hésitation.

Il est apparu clairement dans ses mots et son ton qu’il ne regrettait rien.

« Je sais que j’ai dit que le passé n’avait plus d’importance, mais je me suis souvenu qu’il y avait une chose que je voulais demander à propos du passé, » dit Yuuto. « C’est à propos du fait que tu as tué Père. Est-ce que tu le regrettes ? »

Le « Père » dont parlait Yuuto était son père juré Fárbauti, le vieil homme qui avait été le patriarche du Clan du Loup avant lui. Fárbauti était mort après s’être jeté devant Yuuto pour le protéger de l’attaque à l’épée de Loptr.

Fárbauti avait aussi été le père juré de Loptr, et Loptr ne l’avait tué que par accident. Toute personne normale aurait été tourmentée par sa propre conscience coupable pour une telle chose.

« Hmm, on peut dire que oui. À l’époque, j’étais tellement en colère que j’ai perdu la tête et j’ai agi de manière impulsive. J’aurais dû prendre mon temps et faire les préparatifs nécessaires avant d’agir. Si j’avais fait ça, Père n’aurait pas non plus eu à mourir. »

Comme prévu, il y avait quelque chose d’effrayant dans la réponse de Hveðrungr.

En parlant avec lui comme ça, il avait toujours un air doux qui rappelait ses jours en tant que Loptr, mais derrière cela, il y avait un vide qui faisait froid dans le dos de Yuuto.

Ce que Hveðrungr regrettait, c’était seulement qu’il n’ait pas été capable d’atteindre ses objectifs, et qu’il n’ait pas obtenu ce qu’il voulait. Le sentiment de culpabilité pour ce qu’il avait fait, ou le chagrin d’avoir perdu son père juré… rien de tout cela n’était présent.

C’est donc à ça que ressemble un soi-disant « psychopathe », hein ? avait pensé Yuuto.

Ces personnes avaient soi-disant en commun d’être de beaux parleurs, d’être sociables, d’être charismatiques et charmantes, mais de manquer terriblement de compassion ou d’empathie envers les autres.

En outre, bien qu’ils aient tendance à être méticuleux et à planifier avec soin, ils peuvent parfois « craquer » et se montrer impulsifs.

Cette description correspondait parfaitement à cet homme.

Il y a deux ans, Yuuto ne l’avait pas vu tel qu’il était.

Bien sûr, contrairement à maintenant, à l’époque Loptr avait fait en sorte d’agir comme une personne normale. Pourtant, quand Yuuto y repensait, il avait l’impression de pouvoir maintenant voir les signes, les diverses allusions dans les paroles et les actions passées de l’homme.

À l’époque, cet aspect froid, rationnel et calculateur était apparu à Yuuto comme quelque chose d’adulte et de mature. Yuuto l’avait admiré pour ça.

Maintenant, il le voyait comme quelque chose d’effrayant. Et maintenant, même plus qu’il y a deux ans, il le voyait comme quelque chose d’incroyablement prometteur.

« Est-ce que tu veux toujours me tuer maintenant, en supposant que tu puisses le faire ? » demanda Yuuto, à la fois par curiosité et comme un test.

« Hm ? Non. Je ne m’attends pas à ce que tu me croies, mais je n’ai pas du tout envie de te tuer. » La réponse de Hveðrungr était directe et semblait naturelle.

Bien sûr, Yuuto n’avait pas l’intention de prendre ses paroles pour argent comptant, mais il sentait qu’il pouvait au moins leur accorder un certain niveau de confiance.

Il n’y avait plus aucune trace de l’intense dégoût qu’il avait ressenti lorsqu’ils avaient croisé leurs épées face à face à Náströnd.

Il n’avait pas non plus l’impression que Hveðrungr ne faisait que réprimer sa haine afin de se mettre dans les bonnes grâces de Yuuto.

En un mot, il ne semblait pas intéressé.

***

Partie 5

« Pendant si longtemps, j’ai pensé que tu n’avais qu’un pouvoir emprunté, aucune force propre, et que tu m’avais volé ma place de patriarche en trichant. »

« “Si tu n’avais pas ce smartphone ou quel que soit le nom qu’on lui donne, tu ne pourrais rien faire”. Je m’en souviens. Le fait est qu’à l’époque, c’était vrai pour moi. »

Deux ans plus tôt, juste avant d’attenter à la vie de Yuuto, Hveðrungr — dans ses derniers instants en tant que Loptr — lui avait craché ces mots haineux, et ils avaient été gravés dans son cœur comme une sorte de malédiction. Même maintenant, il ne pouvait les oublier.

À cette époque, Yuuto avait considéré les connaissances et les informations qu’il obtenait grâce à son smartphone comme s’il s’agissait de son propre savoir, de son propre pouvoir.

Bien sûr, ce n’était pas le cas. Yuuto aurait tout perdu s’il avait perdu le téléphone. Tout ce qui l’avait rendu utile, lui avait valu d’être apprécié, avait été séparé de lui, relié à lui par rien de plus que ce fil fin et fragile.

Yuuto frissonna à l’idée de ce qui aurait pu se passer si cette idée fausse avait continué à grandir en lui. En ce sens, les mots de Loptr avaient bien servi Yuuto, comme une admonestation et un contrôle de son ego qui avaient contribué à faire de lui la personne qu’il était maintenant.

Hveðrungr laissa échapper un petit rire d’autodérision et baissa les yeux sur la paume de ses mains.

« Héhé, je n’ai cependant pas le droit de dire quoi que ce soit à ce sujet. Tous les pouvoirs et techniques que j’utilise ont été pris à d’autres, après tout. C’est peut-être pour cela qu’au fond de mon cœur, j’ai l’impression qu’aucun d’entre eux n’a jamais été vraiment le mien. »

« … Je suis surpris, je ne m’attendais pas à ce que tu aies ce genre de choses qui te pèsent. Tu as toujours eu l’air de déborder de confiance en toi. »

« C’est parce que je n’avais pas confiance en moi. J’étais toujours en train de faire semblant. »

« Je vois, c’était donc comme ça… Ou bien, peut-être que c’est comme ça, pour ce genre de choses. »

Le pouvoir de Hveðrungr était celui de l’imitation.

Il pouvait voler toutes les techniques des autres et les copier pour lui-même. C’était vrai même pour les capacités et les techniques que l’autre personne avait mis des mois ou des années à développer et à maîtriser.

Cependant, les gens n’avaient aucun lien personnel avec les choses qu’ils obtiennent sans aucun travail. C’est cet effort fourni, cette histoire personnelle, qui se traduit par une véritable confiance.

Yuuto avait appris cela grâce à ses expériences d’apprentissage du raffinage du fer.

Hveðrungr, par contre, pouvait simplement exécuter immédiatement toute nouvelle compétence, et donc il ne pouvait pas croire en lui-même, et seul le vide avait rempli son cœur.

« Je comprends maintenant la vérité. Ou plutôt, lors de mon dernier duel avec Skáviðr, j’ai été forcé de comprendre. J’avais concentré tant de haine sur toi à cause de mes propres sentiments d’infériorité. »

« Alors tu m’as détesté parce que nous étions semblables », déclara Yuuto.

« Exactement. La personne pour laquelle j’éprouvais vraiment une haine si amère, celle que je voulais vraiment tuer, n’était autre que moi-même, le faible moi qui n’avait rien à lui. Heh, c’est presque trop drôle, n’est-ce pas ? »

En psychologie, il existe une situation particulière dans laquelle une personne voit une qualité qu’elle n’aime pas chez elle représentée par une autre personne, et elle en vient à détester intensément cette autre personne à cause de cela.

Dans ces situations, ils peuvent être obsédés par le fait de dénoncer et d’attaquer l’autre pour ses défauts, tout en ignorant complètement les leurs.

Yuuto, dans le but d’améliorer ses compétences en tant que patriarche, avait étudié un peu de psychologie et savait que le terme technique pour ce phénomène était « projection ». En projetant ses propres défauts détestables sur une autre personne, on pouvait éviter de penser à son propre côté hideux et maintenir son sentiment de fierté personnelle.

En fait, Loptr avait gardé un sérieux complexe d’infériorité à son égard parce qu’il sentait qu’il n’avait pas de force propre, seulement celle qu’il empruntait aux autres. Et en regardant Yuuto, quelqu’un d’autre avec rien d’autre qu’une force empruntée, devenir patriarche à sa place, sa haine de cette faiblesse avait enflé au-delà de sa capacité à la réprimer, et avait explosé violemment.

« Tout était si simple une fois que je l’ai réalisé. Ce que je voulais vraiment n’était pas de devenir patriarche. Je voulais être reconnu comme meilleur que tout le monde et, ce faisant, prouver que j’avais une force qui m’était propre. Après tout, la personne reconnue comme la meilleure ne pouvait pas être un imposteur. »

Ici à Yggdrasil, le pouvoir était tout. Seuls les meilleurs, ceux qui avaient une vraie force, s’élevaient au-dessus des autres pour devenir patriarche.

En ce sens, la position de patriarche était pour lui l’objectif idéal à atteindre, car elle était l’expression facile à comprendre d’un véritable pouvoir.

« Trouver en moi quelque chose qui m’appartienne vraiment, quelque chose que je suis le seul à posséder. C’est ce que je veux vraiment. Je n’ai plus aucun intérêt pour toi. »

« Aucun intérêt, hein ? » murmura Yuuto.

Après toute la haine irrationnelle, l’obsession que cet homme avait montrée à son égard, tout cela avait été mis de côté si simplement.

C’était une autre chose chez cet homme que Yuuto avait du mal à comprendre, et cela ne faisait que renforcer son caractère anormal.

« Si c’est comme ça, alors je crois que je vais y aller. J’ai obtenu les réponses que je voulais. »

Yuuto s’était remis debout.

Il tourna le dos à Hveðrungr et se dirigea vers la sortie de la pièce.

« Je pense cependant que tu as déjà un talent propre qui est tout à fait étonnant. »

Yuuto avait murmuré ces derniers mots et avait descendu les escaliers.

Du point de vue de Yuuto, chez l’ennemi qu’était Hveðrungr pendant la guerre, la chose la plus terrifiante n’était pas sa capacité à copier des techniques. C’était la capacité sous-jacente qui rendait son imitation possible : son incroyable pouvoir d’observation.

C’était l’une des capacités les plus difficiles à former pour les commandants d’armée, mais aussi l’une des armes les plus puissantes à leur disposition.

Si Hveðrungr n’avait pas été aussi distrait par sa dépendance à l’égard des compétences des autres, s’il avait été capable de réaliser cette force fondamentale qui est la sienne et de la développer encore plus, peut-être que le vainqueur de leur dernière guerre aurait été différent.

Mais ça ne lui servirait à rien de l’entendre de la bouche de quelqu’un d’autre. Il ne serait pas capable d’accepter les résultats à moins de les découvrir par lui-même.

Alors que Yuuto sortait de la tour, Félicia avait couru vers lui. « Comment ça s’est passé ? » avait-elle demandé, avec de l’inquiétude dans la voix.

Yuuto leva les yeux vers le ciel étoilé.

« Je ne me sens pas bien de parler de ton frère de cette façon devant toi, mais c’est une personne horrible. »

D’abord et avant tout, Hveðrungr était complètement égocentrique.

Il ne s’intéressait qu’à lui-même, ou aux choses qui le concernaient. Et pour satisfaire ses intérêts égoïstes, il était prêt à tromper les autres, ou à les piétiner, sans ressentir le moindre sentiment de culpabilité pour ceux qu’il blessait.

Il était brutal et sans remords. « Bâtard sans cœur » serait certainement un surnom approprié.

Et c’est précisément la raison pour laquelle —

« J’ai besoin qu’il travaille sous mes ordres, » déclara Yuuto.

« Quoi !? Après l’avoir rencontré, tu dis encore des choses comme ça !? Si tu le libères, il pourrait très bien retourner immédiatement son épée contre toi ! »

« Je suis prêt à prendre ce risque. J’ai besoin de lui. »

À partir de maintenant, Yuuto allait essayer de suivre la voie de la conquête militaire. Il ne pouvait pas se permettre de toujours faire la « bonne » chose.

Cet homme, Hveðrungr, pouvait utiliser son sens de l’observation pour discerner la vulnérabilité d’un ennemi, imaginer des plans vicieux et rusés auxquels Yuuto n’aurait jamais pensé, et les exécuter sans hésitation ni remords.

Compte tenu de ce qui allait se passer, il était une ressource dont Yuuto avait absolument besoin de son côté.

« Je suis de retour ! »

« Bienvenue, Yuu-kun. Le dîner est prêt ! »

Cette journée pleine d’excitation, de chocs et d’agitation était enfin terminée, et alors que Yuuto retournait dans sa chambre, Mitsuki l’accueillait avec un sourire radieux.

Derrière elle, il pouvait voir du riz blanc, du saumon grillé au sel, de la soupe miso, des omelettes roulées à la Dashimaki… tous les éléments de base d’un pur repas traditionnel japonais préparé à la maison, alignés sur une table.

Yuuto avait senti une chaleur monter dans sa poitrine.

« Je rentre à la maison après une longue et dure journée de travail, et ma femme est là à m’attendre avec un sourire et un délicieux repas qu’elle a préparé pour moi. Je dois dire que je suis un homme chanceux. »

« Hee hee, oui, tu as de la chance, n’est-ce pas ! » La réponse de Mitsuki était vantarde, mais elle avait aussi l’air heureuse.

C’est pourquoi ça avait aussi fait un peu mal à Yuuto de l’entendre.

« Je suis désolé. Une femme merveilleuse et travailleuse comme toi ne méritait pas d’être laissée seule le jour de son mariage. »

Yuuto était assez ignorant lorsqu’il s’agissait du cœur des femmes, mais même lui comprenait que, pour une femme, une cérémonie de mariage était un événement extrêmement important.

Pour ce qui était censé être le plus beau jour de leur vie, il était totalement inexcusable que le marié passe toute la journée, en dehors de la cérémonie, occupé à travailler, laissant sa femme toute seule.

« Non, c’est bon, je comprends. Je veux dire, je ne connais pas vraiment les détails, mais il se passe quelque chose de vraiment sérieux en ce moment, non ? »

« Ouais. Honnêtement, ça me donne un vrai mal de tête, » dit Yuuto avec un soupir.

Pour l’instant, ses actions rapides avaient permis d’éviter toute confusion et tout désordre supplémentaires au niveau national, mais cela ne changeait rien au fait que le Clan de l’Acier était toujours en très mauvaise posture.

Et il était facile d’imaginer que les choses allaient rapidement empirer si le problème n’était pas réglé rapidement.

Yuuto avait besoin de faire quelque chose, et ça devait être rapide.

« Contre une alliance verticale, la parade la plus efficace serait de les briser avec une alliance horizontale, du moins selon la théorie…, » marmonna Yuuto.

« Verticale ? Horizontale ? » Mitsuki avait incliné sa tête sur le côté, perplexe.

« Ah, désolé pour ça, » dit Yuuto en riant un peu. « Ce n’est pas vraiment quelque chose dont on peut parler pendant notre nuit de noces. »

D’ordinaire, ils devraient passer la soirée à se chuchoter des mots doux à l’oreille, mais là, il abordait des sujets violents.

« Non, c’est bon. Je suis désolée de ne pas en savoir plus sur ce genre de choses. »

« Non, tu es très bien comme tu es. En fait, c’est quelque chose dont je suis heureux. »

Le temps passé par Yuuto avec Mitsuki était le seul moment où il pouvait se libérer de la pression écrasante de son rôle de Réginarque Suoh-Yuuto.

Lorsqu’il parlait avec elle, il pouvait oublier qu’il était le chef d’une nation et redevenir un jeune homme ordinaire du Japon. Il pouvait se détendre.

***

Partie 6

Yuuto était conscient que récemment, il s’était un peu trop forcé. S’il n’était plus en mesure de passer ce moment de détente avec elle, ce serait probablement trop dur à supporter pour son cœur. Il finirait par s’écraser sous la pression.

« Oui, je savais que tu dirais ça. »

« Tu as toujours l’air de tout savoir sur moi. »

« Eh bien, c’est le cas, je suis ton amie d’enfance. Je te connais depuis aussi longtemps que je me souvienne, Yuu-kun… Et, j’ai toujours fait attention à toi et seulement à toi. »

« … Merci. »

« Est-ce tout !? Dis-le en retour, Yuu-kun ! Dis-moi toi aussi que tu as toujours fait attention à moi ! »

« Penses-tu que je pourrais dire quelque chose d’aussi embarrassant !? »

« J’ai dit “dis-le”, alors dis-le ! Si tu ne le fais pas, tu n’auras pas de dîner ce soir ! »

« Qu’est-ce que tu racontes, c’est placé juste là ! Tu l’as déjà fait pour moi ! »

« Je vais tout manger moi-même ! Je suis capable de manger beaucoup ces derniers temps ! »

Mitsuki semblait sûre d’elle.

Il était en effet vrai que, dernièrement, les nausées matinales de Mitsuki semblaient avoir diminué, et qu’elle mangeait beaucoup plus qu’avant, peut-être même plus que Yuuto.

« Et le riz d’aujourd’hui a été envoyé ici directement d’Iárnviðr ! C’est la première récolte de riz de l’automne, aussi fraîche que possible. Garanti pour être super délicieux. »

 

 

« Quoi ? V-Vraiment ? »

Yuuto pouvait sentir la salive couler dans sa bouche.

Avec une forte déglutition, il avala.

« J’ai toujours fait attention à toi et seulement à toi. »

« Tu regardes le riz pendant que tu le dis ! »

« Eh bien, oui, peux-tu me blâmer !? On parle de riz de la nouvelle récolte là ! » hurla Yuuto, impénitent.

Au Japon, le riz le plus frais de la nouvelle récolte n’était disponible que pendant une période limitée chaque année et était plus cher. Yuuto n’avait pas goûté de riz frais depuis plus de trois ans. C’était si alléchant qu’il ne pouvait en détacher son regard.

Ce genre de va-et-vient n’était qu’une partie de plus de leur relation qui était toujours la même.

Mais, soudainement, Mitsuki s’était arrêtée, et avait regardé Yuuto plus sérieusement.

« … Hé, Yuu-kun. Les choses vont-elles vraiment s’arranger ? »

Comme toujours, son amie d’enfance pouvait dire quand quelque chose n’allait pas.

Yuuto pensa que depuis que l’ordre d’assujettissement impérial avait mis tout le monde sur les nerfs, elle avait peut-être perçu la tension des gens autour d’elle.

C’est pourquoi il avait décidé d’être assertif et optimiste avec elle.

« Oui, ça va aller. Tu n’as pas à t’inquiéter. »

Mitsuki hocha la tête. « … Ok. Dans ce cas, mangeons ! »

Elle s’était de nouveau fendue d’un beau sourire innocent.

Pour une raison inconnue, ce sourire avait fait une profonde impression sur Yuuto.

 

+++

« Ainsi, je vais maintenant commencer cette cérémonie du serment du calice, un rite qui réunira ces trois clans, le clan de l’épée, le clan des nuages et le clan des crocs, dans la réconciliation, la paix, l’harmonie et une nouvelle amitié. Je m’appelle Alexis, et j’ai eu le grand honneur d’être le médiateur de cette cérémonie. Je vous prie humblement de m’accorder vos faveurs. »

La voix claire et puissante de l’homme résonnait dans l’air autrement calme et solennel du hörgr, la salle du sanctuaire utilisée pour les cérémonies religieuses.

Alexis était un prêtre impérial, un représentant direct du Saint Empire Ásgarðr, et le rôle de médiateur dans une cérémonie du Calice entre les clans de cette région lui revenait le plus souvent.

Les flammes vacillantes des torches voisines projetaient leur lumière teintée de rouge dans toute la salle et sur les participants à la cérémonie, assis face à face de part et d’autre de l’autel, un écran de séparation séparant l’espace entre eux.

À droite de l’autel étaient assis les représentants du Clan de l’Épée, à gauche, les Clans des Crocs et des Nuages.

Au cours des vingt dernières années, le Clan de l’Épée avait été impliqué dans d’interminables conflits frontaliers avec les Clans des Crocs et des Nuages, et leurs relations mutuelles étaient donc tristement célèbres.

Cependant, l’impératrice divine avait récemment émis un ordre de soumission visant le Clan de l’Acier, et les patriarches des trois clans étaient tous arrivés à la même décision : l’augmentation rapide de la taille et de la puissance du Clan de l’Acier était désormais une menace, et ils ne pouvaient plus se permettre de se battre entre eux. Ils s’étaient donc réunis pour négocier un accord de cessez-le-feu.

« Maintenant, conformément à la cérémonie, nous allons enlever la cloison qui divise nos trois honorables groupes. Allez-y ! »

Sur l’ordre d’Alexis, ses subordonnés avaient saisi les bords de l’écran de séparation et l’avaient soulevé pour l’emporter.

La cloison était un symbole, une métaphore physique des frictions et des conflits qui avaient existé entre les trois clans. Avec ce symbole enlevé, les patriarches des trois clans étaient maintenant face à face.

Instantanément, tout le monde dans cette pièce avait été frappé par le sentiment que l’air de la pièce venait de devenir beaucoup plus froid.

Le patriarche du Clan de l’Épée, Fagrahvél.

Le patriarche du Clan des Nuages, Gerhard.

Le patriarche du Clan des Crocs, Sígismund.

Depuis de nombreuses années, ils étaient tous les trois en guerre les uns contre les autres.

Chacun d’entre eux était le patriarche d’une nation puissante à part entière, et ils étaient des seigneurs qui commandaient la dignité et dégageaient une présence redoutable.

Ils se regardaient en silence, comme s’ils se retenaient mutuellement. L’air dans la salle du sanctuaire semblait électrisé par la tension.

Malgré cela, la cérémonie continua. Un calice de cérémonie avait été préparé pour chaque patriarche, son contenu ayant été vérifié pour s’assurer qu’il n’y avait pas de poison, puis il avait été placé devant son destinataire.

« Maintenant, si les trois honorables seigneurs veulent bien prendre ces Calices dans leurs mains. »

Alexis fit un geste, et les trois patriarches s’exécutèrent, prenant les tasses en main et les tendant. Il avait ensuite confirmé qu’ils étaient tous prêts.

« Sachez qu’au moment où vous boirez dans vos Calices, les nombreux et divers incidents de discorde et de dispute entre vous dans le passé, les obstacles qui vous séparent les uns des autres, seront immédiatement supprimés, et vous trois serez liés par un nouveau lien : un lien d’amitié et d’accord. Allez-y ! »

Simultanément, les trois patriarches avaient incliné leurs tasses et avaient bu.

Alexis avait attendu qu’ils aient fini de boire et qu’ils remettent les tasses vides sur la petite estrade posée devant eux. Puis il éleva la voix et s’adressa à toute la salle.

« Par la présente, j’annonce à tous ceux qui sont réunis ici en présence : en cet instant, le serment du Calice de la Réconciliation a été échangé entre ces trois parties, un serment qui les unit dans une nouvelle amitié. Conformément à cela, et afin qu’aucune nouvelle vague de discorde ne vienne endommager ce nouveau lien à partir de ce jour, je vais humblement prendre possession de ces Calices sacrés. »

Sur ce, Alexis se leva et déploya un grand tissu blanc pur. Il s’approcha ensuite de chacun des patriarches du clan et prit leur calice, les rassemblant et les plaçant à l’intérieur du tissu.

Après les avoir toutes rassemblées, il était revenu à sa position initiale et avait lentement et respectueusement plié le tissu, enveloppant les tasses symboliques dans un petit paquet.

Une fois cela terminé, Alexis prit une profonde inspiration et s’adressa à la salle de sa voix tonitruante une fois de plus.

« Avec ceci, la cérémonie du serment du calice est terminée. Le Clan de l’Épée, le Clan des Nuages et le Clan des Crocs sont désormais unis par un lien d’amitié et d’entente mutuelle. À tous ceux qui sont réunis ici, je présente mes félicitations ! »

Tout le monde dans le hörgr avait éclaté en applaudissements nourris.

À ce moment-là, une nouvelle alliance militaire entre les Clans de l’Épée, des Nuages et des Crocs contre le Clan de l’Acier avait été conclue.

« Seigneur Fagrahvél, attendez s’il vous plaît ! »

La cérémonie s’était terminée sans incident, et Fagrahvél se dirigeait vers la sortie du hörgr lorsque quelqu’un l’interpella par-derrière.

Il reconnut la voix, car c’était un homme qu’il connaissait bien.

« De quoi avez-vous besoin, Seigneur Alexis ? » demanda Fagrahvél en se tournant vers le prêtre.

Il n’avait laissé ni son visage ni sa voix trahir une quelconque émotion.

Alexis était, en apparence, un représentant impérial qui s’occupait des cérémonies du calice dans les régions allant de Bifröst à Álfheimr. Mais en fait, il était l’un des nombreux « yeux » du Grand Prêtre Impérial Hárbarth.

En d’autres termes, il était un subordonné direct de l’homme que Fagrahvél n’aimait pas du tout.

Il était naturel que Fagrahvél agisse froidement envers lui.

« Tout d’abord, je tiens à vous adresser mes félicitations et ma gratitude. Je vous félicite pour le succès de la cérémonie d’aujourd’hui. Et je tiens à vous remercier de m’avoir accordé l’honneur de servir d’intermédiaire en une occasion aussi importante, en forgeant la paix entre trois clans qui étaient en conflit depuis si longtemps. »

« Hmph, c’est vous qui avez convaincu ces deux-là d’accepter le cessez-le-feu. Il n’est que juste que vous fassiez la cérémonie, » répondit sèchement Fagrahvél.

En effet, la cérémonie qui venait de se dérouler n’avait vu le jour que parce qu’Alexis avait personnellement rendu visite au patriarche de chaque clan et négocié pour qu’elle ait lieu.

Ils étaient des nations ennemies depuis deux générations de patriarches avant, et pourtant le prêtre avait réussi à les amener tous les deux à la table en si peu de temps.

Et il n’y avait pas non plus que ces deux-là.

« Vous êtes assez impressionnant. Après tout, vous n’avez pas seulement réussi à obtenir la coopération des Clans des Nuages et des Crocs, vous avez également réussi à attirer le Clan du Sabot, le Clan de la Panthère et le Clan de la Foudre. »

Fagrahvél ne prenait pas plaisir à complimenter quelqu’un qui travaillait pour son ennemi politique, Hárbarth, mais dans cette affaire au moins, il devait accorder à Alexis le crédit qui lui était dû.

Désormais, tous les clans qui partageaient des frontières avec le Clan de l’Acier travaillaient ensemble. Et le Clan de l’Épée, l’un des piliers de l’alliance, était également l’un des Dix Grands Clans.

Peu importe la force du Clan de l’Acier, ils étaient complètement dépassés en nombre.

« Tout cela est entièrement dû aux saints conseils de Sa Majesté le Þjóðann. Cela, et peut-être grâce au fait que tout le monde a ressenti la menace que représentait l’expansion rapide du Clan de l’Acier. »

« Hmph. Vous savez, un excès d’humilité est une arrogance à part entière, » répondit Fagrahvél.

Il est vrai que la raison invoquée par Alexis aurait joué un rôle important.

Cependant, il avait quand même cajolé cinq clans différents pour qu’ils s’allient en si peu de temps. Ce n’était pas quelque chose que n’importe qui pouvait faire.

Il y avait quelque chose de mystérieux chez cet homme, tout comme chez son supérieur, Hárbarth.

Alexis s’était moqué de cette remarque en gloussant. « Ha ha, vous êtes très dur. Ce sont mes sentiments honnêtes, je vous assure. »

« Je n’ai pas l’intention de jouer à des jeux d’esprit avec vous, » répliqua Fagrahvél. « J’aimerais que vous en veniez au vrai sujet principal. Vous n’êtes pas venu me voir juste pour me féliciter et me remercier ? »

« Oh, c’est vrai. J’ai quelque chose à vous donner, de la part de Sa Majesté. »

Alexis avait fouillé dans le sac de cuir attaché à sa taille, puis en avait sorti une tablette d’argile.

« Ngh ! Vous auriez dû le dire plus tôt ! »

Fagrahvél avait saisi la tablette et l’arracha brutalement des mains d’Alexis, puis la lit rapidement.

Il s’agissait d’une courte missive lui demandant de devenir le chef de la nouvelle alliance militaire multi-clans et de mener toutes les armées à la bataille contre le Clan de l’Acier en toute hâte.

Il ne ressemblait en rien à ce que la Sigrdrífa que Fagrahvél connaissait aurait pu écrire.

Cependant, il était scellé avec le sceau impérial spécial que seul le Þjóðann était autorisé à utiliser.

Ce sont les secrétaires qui gravaient les symboles sur l’argile pour les messages, et elles étaient capables de repérer toute erreur.

On pouvait supposer que c’était un message qu’elle avait envoyé elle-même.

La vérité est que, jusqu’à présent, Fagrahvél n’avait pas été entièrement convaincue que c’était vraiment une bonne idée d’essayer d’attaquer le Clan de l’Acier.

Cependant, il ne pouvait plus se permettre de penser de cette façon.

C’était un ordre direct de l’impératrice divine elle-même.

Fagrahvél tenait la tablette d’argile à deux mains, et déclara à haute voix :

« … À vos ordres, Votre Majesté. Je détruirai le Clan de l’Acier, sans faillir ! »

***

Chapitre 2 : Acte 2

Partie 1

« Ce fut un mariage très excitant, n’est-ce pas ? Bien que, je suppose que l’on pourrait dire que rien ne pourrait être plus approprié pour le plus grand héros de ces temps turbulent. Maintenant, Princesse, vous serez la prochaine, j’en suis sûr ! »

C’était le lendemain de la cérémonie de mariage de Yuuto et Mitsuki, et Linéa avait fait une courte pause dans son travail en prenant un thé et en discutant agréablement avec son assistant, Haugspori, lorsqu’il lui avait soudainement annoncé cette bombe, tout à fait inattendue.

Linéa avait été tellement décontenancée que son thé était parti dans le mauvais tuyau, et elle avait postillonné et toussé bruyamment.

Après quelques instants, sa toux s’était calmée et elle avait fixé Haugspori d’un regard plein de reproches.

« D’où est-ce que ça vient ? Tu comprends la situation dans laquelle nous sommes en ce moment, n’est-ce pas ? »

« Certainement, » répondit calmement Haugspori, pas du tout perturbé par le ton colérique de son patriarche. « Selon le seigneur réginarque, nous sommes confrontés à une guerre bien plus importante que toutes celles que nous avons menées auparavant. »

Haugspori était un Einherjar de la rune Ljósálfar, l’Elfe de Lumière, et le plus fort général du Clan de la Corne. Linéa lui faisait entièrement confiance, alors naturellement, elle l’avait mis au courant de la réunion du conseil de guerre de la nuit dernière.

« C’est précisément la raison pour laquelle je t’en ai parlé. »

« Hm ? »

« Une fois le conflit engagé, le réginarque sera obligé de se déplacer d’un endroit à l’autre, pour rencontrer l’ennemi au combat, tandis que vous serez sûrement affecté au soutien logistique depuis ici, à Gimlé. Naturellement, vous aurez très peu d’occasions de le voir par la suite. »

« Hmm…, » Linéa ne pouvait pas ne pas être d’accord. Cela avait du sens pour elle.

En fait, l’année dernière, Yuuto n’avait été présent dans la capitale du clan de Gimlé (et à Iárnviðr, avant cela) que pendant environ deux tiers du temps.

Il n’avait passé que la moitié de l’année ici, mais c’était aussi parce qu’il avait été ramené de force dans son pays d’origine, au-delà des cieux, pendant plusieurs mois.

À en juger par les circonstances actuelles, il était presque certain qu’il passerait encore plus de temps hors de la ville, avec peu ou pas de chance que ce soit le contraire.

Face à cette prise de conscience tardive de l’évidence, Linéa était restée sans voix.

« Princesse, si vous ne vous occupez pas des choses maintenant, avant que cela n’arrive, vous pourriez découvrir que plusieurs années complètes vous ont échappé sans même que vous vous en rendiez compte. »

« Nnngh… ! » En grimaçant, Linéa ne parvint pas à étouffer un gémissement douloureux.

Elle avait eu 17 ans cette année.

À Yggdrasil, il n’était pas rare de se marier vers l’âge de quinze ans, elle était donc déjà un peu « en retard » pour sa génération. Elle ne pouvait pas se permettre de se la couler douce et de repousser les choses de quelques années encore.

« Heureusement, Dame Mitsuki a déclaré qu’elle autoriserait son mari à prendre des concubines, et elle vous a même dit directement qu’elle souhaitait que vous souteniez le seigneur réginarque. Il ne devrait y avoir aucun obstacle sur votre chemin. »

« Oui, c’est vrai que Grande Soeur Mitsuki m’a dit ça. »

Linéa repensa à ce moment et soupira, se souvenant de l’admiration qu’elle avait ressentie.

Mitsuki avait dit à Linéa que, dans son nouveau rôle de réginarque, Yuuto portait désormais un fardeau bien trop lourd pour un seul homme… et que Mitsuki seule ne suffirait pas à l’aider à l’assumer.

Mitsuki était une femme comme les autres. Il ne fait aucun doute qu’elle préférerait avoir Yuuto pour elle toute seule si elle le pouvait.

Et pourtant, elle avait refusé d’être liée par la jalousie humaine naturelle, accordant plus d’importance à la façon dont elle pouvait soutenir au mieux son mari, tant dans son corps que dans son esprit, alors qu’il faisait face à ses lourdes responsabilités.

Linéa avait été envahie par l’admiration pour cette attitude inspirante. Elle avait l’impression que ce n’était pas étonnant que Yuuto ait choisi cette femme pour être sa seule compagne pour la vie.

Et, c’était la source de son plus grand obstacle.

« Cependant, Père est dévoué à Grande Sœur Mitsuki, et à elle seule, même s’il est entouré d’autres belles femmes comme Tante Félicia et Sigrún. Quelqu’un comme moi ne pourrait même pas…, » le fait de s’exprimer ainsi la rendait malheureuse.

Fille d’un patriarche, elle avait grandi en mangeant bien et en apprenant à soigner son apparence.

De son propre avis, elle se croyait au moins modestement belle, mais elle avait l’impression de ne jamais pouvoir se mesurer à ces deux piliers de beauté aux cheveux argentés et dorés, toujours aux côtés de Yuuto.

Si même elles deux n’avaient pas réussi à conquérir son cœur, alors quel espoir avait-elle ?

« Eh bien, » répondit Haugspori, « en mettant de côté la tante Sigrún pour le moment, je sais que la grand-tante Félicia et le seigneur Yuuto ont déjà une relation intime. »

« Hwuh !? » s’exclama Linéa, pratiquement abasourdie.

C’était complètement sorti de nulle part, quelque chose qu’elle n’aurait jamais imaginé.

« Qu’est-ce que tu racontes ? » avait-elle crié.

Haugspori avait eu l’air perplexe. « Je ne sais pas pourquoi vous me demandez cela. Vous pouvez le savoir rien qu’en les regardant, n’est-ce pas ? »

« N-Non, je ne peux pas, et c’est pourquoi je te le demande ! »

Haugspori avait poussé un long soupir d’exaspération.

Linéa, bien sûr, avait senti sa colère monter à ce sujet.

À Yggdrasil, le serment du Calice était absolu, et l’autorité et le statut d’un parent assermenté l’étaient également. En tant que parent juré de Haugspori, Linéa ne pouvait s’empêcher de se sentir offensée par son comportement terriblement grossier de tout à l’heure.

Cependant, sa curiosité était plus forte. Elle ravala sa colère et attendit qu’il s’explique.

Haugspori secoua la tête comme pour dire bon sang, puis poursuit. « Dans ce cas, je vous suggère de faire très attention à la grande tante Félicia la prochaine fois que vous la verrez. Observez ses mouvements et sa façon de se tenir. Elle a toujours été une femme séduisante, mais maintenant ses manières sont encore plus féminines qu’avant. »

« Hm. A- Actuellement, j’ai aussi eu ce sentiment d’elle. »

« Vraiment ? C’est évident même dans la façon dont elle regarde le Seigneur Yuuto. Par le passé, son regard brûlait d’une passion ardente, mais maintenant il est plein de chaleur, comme s’il l’enlaçait doucement. Rien qu’en regardant cette différence, il est impossible de se méprendre sur le fait que quelque chose a changé entre eux. »

« Ngh… Mais, tu n’as pas entendu le père ou la tante Félicia en parler directement, n’est-ce pas ? »

« Eh bien, ils ne le feraient pas. Normalement, les moments les plus intimes d’une personne dans la chambre à coucher ne sont pas quelque chose dont on discute avec d’autres personnes. »

« Donc, en d’autres termes, ce ne sont que des suppositions que tu as faites, basées sur… »

« Ha ha ha ! Princesse, considérez avec qui vous parlez en ce moment. » Coupant Linéa d’un rire, Haugspori avait pointé un pouce sur lui-même.

En tant que meilleur archer du Clan de la Corne, ses flèches pouvaient même abattre un oiseau volant dans le ciel avec une précision parfaite, et cette maîtrise de l’arc lui avait valu la renommée de tout le Clan de l’Acier. Il était tout aussi apprécié pour ses prouesses avec le sexe opposé, et l’on disait que toutes les femmes sur lesquelles il jetait son dévolu tombaient rapidement dans son lit.

Il avait une grande expérience des tenants et aboutissants des relations amoureuses, ce qui donnait à ses paroles un certain poids. Même sans preuve plus solide pour les étayer, Linéa ne pouvait pas simplement les rejeter comme des absurdités.

Elle déglutit nerveusement. « Si c’est vrai, alors je ne peux pas non plus rester assise à hésiter. »

« Mais quand même, qu’est-ce que je suis censé faire, exactement ? »

Une heure s’était écoulée, et Linéa était toujours assise dans son bureau, la tête entre les mains, hésitante.

On dit que le meilleur jour pour suivre des plans est le jour où on les fait, mais dans le cas de Linéa, elle avait déjà fait une demande officielle de mariage à Yuuto il y a un an et avait été rejetée.

Même le fait d’aller lui avouer ses sentiments une nouvelle fois ne lui semblait pas correct le jour suivant immédiatement son mariage. C’était trop peu scrupuleux.

« … Argh ! Je n’accomplirai rien en restant assis ici ! J’ai des choses à rapporter à Père de toute façon, alors je vais juste aller le voir ! »

Linéa avait pris une pile de papiers sur le dessus de son bureau et s’était levée.

« Ohh, vous allez “repérer l’ennemi”, je vois ! » dit Haugspori d’un ton excité.

« C’est vrai, » répondit Linéa. « Après tout, “Connais ton ennemi et connais-toi toi-même, et tu pourras mener cent batailles sans désastre”. »

C’était une citation qu’elle avait apprise de Yuuto, à l’origine par quelqu’un appelé Sun Tzu.

En fin de compte, ce qu’elle avait appris de Haugspori sur la relation entre Yuuto et Félicia n’était rien de plus que sa propre version des choses.

Ce n’est pas qu’elle n’avait pas confiance en ce qu’il disait, mais c’était quelque chose qu’elle voulait confirmer de ses propres yeux.

Se précipiter dans des choses basées sur un malentendu ne ferait que la blesser davantage, alors elle allait au moins éviter cela.

« Prenez soin de vous, Princesse, et bonne chasse. »

« Merci. »

Linéa répondit à l’envoi fougueux de Haugspori par un simple signe de tête et se dirigea vers le bureau de Yuuto.

Son bureau était la pièce d’à côté, donc c’était un court voyage.

« Père, j’ai apporté des documents décrivant le rendement de la récolte d’automne de cette année », annonça Linéa en ouvrant la porte.

Le propriétaire de ce bureau n’avait passé qu’une seule nuit depuis sa cérémonie de mariage, et pourtant, il était là, à son bureau, fixant des trous dans une carte et fronçant les sourcils.

Il devait vraiment être enfermé dans une concentration intense, car il n’avait même pas remarqué que Linéa entrait dans la pièce.

« Grand Frère, Dame Linéa est ici pour te voir. » Félicia avait tapé légèrement sur l’épaule de Yuuto, qui avait levé les yeux en sursaut.

« Hm ? O-Oh, désolé ! Je ne t’ai pas entendu entrer. De quoi as-tu besoin ? » Yuuto salua Linéa avec un sourire accueillant.

Ça semblait juste un peu maladroit et forcé.

Linéa n’avait pas à se demander pourquoi. Il était sûrement en train de se creuser la tête pour savoir comment gérer la situation causée par l’ordre impérial d’assujettissement du Clan de l’Acier.

« J’ai apporté des documents décrivant le rendement de la récolte d’automne de cette année, » avait-elle répété en tendant la liasse de papiers qu’elle portait.

« Il y a eu des pertes au début du printemps de cette année, lorsque les troupes du Clan de la Panthère et du Clan de la Foudre ont endommagé et pillé nos terres agricoles, mais malgré cela, la récolte de cette année a encore largement dépassé celle de l’année dernière. »

« Oh, vraiment ? Je suis content d’entendre ça. On ne peut pas faire la guerre l’estomac vide, comme on dit. »

« Donc, nous allons partir en guerre ? » demanda Linéa en fronçant un peu les sourcils.

***

Partie 2

Honnêtement, Linéa avait souhaité que pendant un certain temps, le clan de l’acier puisse se concentrer uniquement sur l’amélioration de sa stabilité et de sa production.

Les anciens territoires du Clan de la Panthère qu’ils avaient capturés étaient encore très endommagés par le dernier conflit. Si elle pouvait enseigner le système de rotation des cultures de Norfolk aux autres patriarches des clans subsidiaires, la production alimentaire globale du Clan de l’Acier dans son ensemble pourrait plus que doubler.

Une nation disposant d’une nourriture abondante et d’une économie saine attire naturellement les immigrants des pays environnants, augmentant ainsi sa population globale.

S’il avait eu quelques années pour patienter, le clan de l’acier serait devenu plus grand et plus puissant que toutes les nations environnantes réunies.

Il n’y avait aucun doute à ce sujet, c’est pourquoi l’ordre d’assujettissement était un développement si terrible.

« Ils vont probablement agir avant la fin de l’année, » murmura Yuuto, en reportant son regard sur la carte posée sur son bureau. « Mais même s’ils ne le font pas, j’ai l’intention de commencer moi-même. »

Il y avait un soupçon de quelque chose de désespéré et de triste dans son expression.

Linéa était originaire d’un autre clan que Yuuto, elle n’avait donc pas passé autant de temps avec lui que d’autres personnes de son entourage. Malgré tout, elle avait senti que quelque chose n’allait pas, comme si elle ne l’avait jamais vu aussi troublé auparavant.

« Père, je ne suis peut-être pas assez fiable pour résoudre les problèmes auxquels tu es confronté, mais tu peux toujours me parler de ce qui te préoccupe. »

« Hm, ouais, tu as raison. En fait, c’est un timing parfait. J’aimerais aussi te demander ton avis sur ce sujet. »

« Bien sûr ! »

Linéa répondit immédiatement, la joie étant claire dans sa voix. Que l’homme qu’elle aimait et respectait tant se fiait à elle, ne serait-ce qu’un peu, était quelque chose qui la remplissait de bonheur et de fierté.

« Regarde ça pour moi. » Yuuto fit un geste vers la carte sur son bureau.

« C’est une carte de notre région, n’est-ce pas ? »

« Tout à fait. Actuellement, notre clan de l’acier partage sa frontière avec cinq clans environnants : le clan des Crocs, des Nuages, de la Panthère, du Sabot et le clan de la Foudre. »

Un par un, Yuuto avait indiqué chacun d’entre eux sur la carte avec son doigt avant de poursuivre.

« Comme je l’ai mentionné lors de la réunion du conseil hier soir, en raison de l’ordre d’assujettissement impérial contre nous, je crois qu’il est très probable qu’ils se réunissent par le biais d’une alliance militaire, puis qu’ils nous attaquent tous en même temps. »

« … Oui. » Linéa hocha lentement la tête, comprenant le poids de ce que disait Yuuto.

En entendant à nouveau cette information tout en regardant la carte, il était encore plus évident à quel point la situation allait être mauvaise si les prédictions de Yuuto étaient correctes (et Linéa était convaincue que les prédictions de Yuuto étaient toujours correctes).

Chacune des cinq nations extérieures avait une force égale ou supérieure à celle du Clan de la Corne de Linéa.

Le Clan de l’Acier disposait des forces combinées de ses sept clans membres, mais à part le Clan du Loup et le Clan de la Corne, individuellement, ils étaient tous petits et militairement faibles. Et comme les nations ennemies les encerclaient complètement de tous les côtés, cela les plaçait clairement dans une situation stratégique désavantageuse.

« Alors, je me suis dit que je pourrais essayer de faire un trou dans leur coalition. Si je pouvais isoler ne serait-ce qu’un seul de ces clans et les amener à s’allier avec nous, alors, tout comme un barrage de rivière ou une ligne défensive sur le champ de bataille, une fois qu’un trou a été fait, il devient possible de tout faire s’écrouler dans une réaction en chaîne. »

« O-Oh… » Linéa était tellement abasourdie qu’elle ne put que donner cette vague réponse et hocher la tête en guise de réponse.

D’après ce que Linéa avait appris au cours de ses propres recherches, dans l’histoire du Saint Empire Ásgarðr, un ordre d’assujettissement impérial n’avait été émis qu’une seule fois auparavant : il y a plus de deux cents ans, lorsque le premier empereur divin Wotan avait personnellement mené une campagne pour conquérir la région de Jötunheimr.

Depuis lors, l’empire était tombé en déclin, et la situation actuelle était complètement différente de celle d’alors.

Malgré cela, Yuuto avait été capable de prévoir comment les événements allaient se dérouler, presque comme s’il les avait déjà vus, et de planifier des contre-mesures en fonction de ces prédictions.

Et de plus, chacun de ces plans avait un sens logique.

Elle l’avait ressenti lors de la réunion du conseil des patriarches la nuit précédente, mais une fois de plus, Linéa s’était retrouvée tout simplement étonnée des pouvoirs de prévoyance de Yuuto.

Yuuto appuya son menton sur une main et soupira. « Bien sûr, le problème, c’est que n’importe lequel de ces clans sera un casse-tête. »

Linéa avait immédiatement compris ce qu’il voulait dire.

« C’est vrai. D’abord, je ne peux pas imaginer que le berserker Steinþórr ait le moindre désir de faire la paix avec nous à ce stade. Le Clan du Sabot nous en veut toujours profondément d’avoir tué leur précédent patriarche, Yngvi. Quant aux restes du Clan de la Panthère au nord, ils ont encore plus de raisons de nous détester que le simple fait d’avoir tué un grand nombre de leurs frères au combat. Nous avons utilisé leurs chefs capturés comme justification pour installer notre propre patriarche usurpateur pour régner sur les prisonniers de guerre que nous avons recrutés, volant leur fier nom de Clan de la Panthère pour l’utiliser pour un de nos propres clans. »

Ces clans avaient tous des problèmes personnels ou émotionnels avec le Clan de l’Acier à ce stade, donc essayer d’établir des relations amicales avec eux n’allait pas être accepté.

« Il ne reste donc plus que les clans de l’est, » poursuit Linéa. « Cependant, cette fois, nous avons le problème inverse. Nous n’avons pas eu beaucoup de contacts ou de relations diplomatiques avec l’un ou l’autre. Ce serait une chose si nous avions déjà développé des relations amicales ou si nous avions une sorte d’intérêt mutuel, mais sans l’un ou l’autre, ils n’auraient aucune motivation pour se ranger volontairement du côté des ennemis de l’empire. »

En effet, du point de vue de ces clans, le fait d’être considéré comme aidant les ennemis de l’empire pourrait conduire à un ordre d’assujettissement impérial contre eux aussi.

Ce serait le point de départ à partir duquel ils devraient essayer de négocier une alliance. Ils ne partiraient pas de zéro, ils partiraient de moins de zéro.

Il y avait encore plus d’espoir de succès qu’avec n’importe lequel des trois clans occidentaux, mais elle pouvait imaginer à quel point il serait incroyablement difficile de négocier quoi que ce soit.

« Bien sûr, je recommande de continuer à faire pression pour négocier avec ces deux-là, mais à mon humble avis, il serait peut-être mieux pour nous de mettre l’accent non pas sur les cinq clans environnants, mais sur une puissance particulière plus au sud. »

« Oh ? » Les yeux de Yuuto s’étaient élargis par intérêt.

« La superpuissance des terres du sud, le Clan de la Flamme, partage avec nous le Clan de la Foudre comme ennemi commun, et leurs intérêts nationaux s’alignent sur les nôtres. De plus, nous avons utilisé Ginnar comme notre représentant pour leur livrer de multiples cadeaux, et nous avons répondu à leur récente demande d’envoyer des soldats en guise d’aide, ce qui a construit les bases de relations amicales. Je pense que nos plus grandes perspectives pour faire une alliance et prêter le serment du calice de la fratrie sont avec eux. »

« De plus, si le Clan de la Flamme et le Clan de l’Acier parvenaient à former une alliance solide, plusieurs autres petites puissances régionales se rapprocheraient probablement de nous, concluant qu’il est dans leur intérêt de se ranger de notre côté plutôt que contre nous. De plus, les citoyens résidant sur nos territoires apprendront bientôt l’existence de l’ordre d’assujettissement impérial, et une telle alliance forte contribuerait grandement à dissiper leur anxiété. »

Yuuto avait écouté attentivement l’explication de Linéa, hochant fortement la tête, comme si elle avait dit exactement ce qu’il espérait entendre.

« Oui, c’est exactement ce que je pensais aussi. Je devrais vraiment me concentrer sur le Clan de la Flamme. »

Linéa poussa un soupir de soulagement en entendant l’accord de Yuuto. La dernière chose qu’elle voulait était de donner une opinion erronée et de le décevoir.

« Oh, mon Dieu… vous êtes vraiment très impressionnante, Lady Linéa. » Debout aux côtés de Yuuto, Félicia avait laissé échapper un long soupir admiratif.

Linéa secoua la tête. « Pas du tout, j’ai encore beaucoup de chemin à parcourir. Si Père ne m’avait pas expliqué la situation et son plan, mon esprit aurait été trop pris par la vague inquiétude générale concernant notre statut d’ennemis de l’empire, trop troublé par cela pour réfléchir correctement. »

Elle ne disait pas ça pour être humble, mais parce que c’était honnêtement ce qu’elle ressentait.

Techniquement, puisque Linéa était la commandante en second du clan de l’acier, elle devrait assumer ses fonctions de réginarque si quelque chose devait lui arriver. Le simple fait de penser à ce que serait cette situation la faisait frémir.

Elle aurait peut-être pu arriver aux mêmes conclusions que Yuuto, mais elle n’aurait jamais pu le faire aussi rapidement que lui.

En temps de crise, ce qui est le plus vital est la rapidité de la réponse initiale. D’après l’évaluation qu’elle faisait d’elle-même, Linéa était certaine que dans cette situation, elle aurait été un peu trop lente dans le choix de chacune de ses réponses, s’enfermant dans un schéma où elle aurait vu la situation empirer progressivement alors qu’elle devenait de plus en plus impuissante à faire quoi que ce soit pour l’arrêter.

« Dame Linéa, si vous avez un long chemin à parcourir, alors je suis vraiment inutile, » répondit Félicia. « Pendant que vous donniez votre explication, je n’ai pu que hocher la tête et penser, oh, c’est vrai, je suis d’accord après coup. C’est peut-être parce que vous êtes née et avez été élevée pour être un patriarche. J’envie terriblement votre capacité à avoir une vue d’ensemble des choses. »

« C’est vrai, » ajouta Yuuto. « Linéa, tu es la seule avec qui je peux vraiment discuter de ce genre de questions. Nous partageons la même compréhension en tant que patriarches. »

« … ! »

Ba-dump. Linéa avait senti son cœur battre avec force dans sa poitrine.

Elle s’était à nouveau souvenue de ce que Mitsuki lui avait dit auparavant.

« En tant que patriarche, tu serais bien meilleur que moi pour voir les choses du point de vue de Yuu-kun, comprendre ce qui le perturbe et le soutenir comme il en a besoin. »

En même temps, elle se rappelait que Mitsuki avait mentionné qu’elle avait remarqué quelque chose de bizarre chez Yuuto, comme s’il était accablé par une sorte de « résolution tragique ».

À l’époque, ce commentaire ne correspondait pas à ce qu’elle avait vu en lui, mais maintenant elle avait l’impression de le comprendre un peu.

Il y avait quelque chose dans la façon dont il avait regardé il y a un moment, quand il avait dit : « Ils vont probablement agir avant la fin de l’année. Mais, même s’ils ne le font pas, j’ai l’intention de commencer moi-même. »

C’était une attitude très agressive, guerrière pour Yuuto. Et Linéa avait senti une étrange impatience de sa part, comme si quelque chose d’entièrement différent pesait sur lui.

« Père ! » Rassemblant ses forces, Linéa haussa la voix et s’approcha de Yuuto.

« Qu’est-ce qu’il y a ? » Surpris par cette soudaine intensité de la part de Linéa, Yuuto tressaillit et recula un peu.

Linéa, cependant, avait maintenu la pression. « Dis-moi, y a-t-il un autre sujet qui t’a profondément troublé, à part l’ordre d’assujettissement impérial ? »

« Quoi !? » L’expression de Yuuto s’était figée, comme si elle avait vu clair en lui.

Les yeux de Félicia s’étaient légèrement élargis. Il semblerait que la question de Linéa ait touché la corde sensible de quelque chose que Félicia soupçonnait déjà.

***

Partie 3

« Si c’est quelque chose dont tu ne peux même pas discuter avec Grande Sœur Mitsuki, ta propre épouse, alors je sais que ce doit être quelque chose de terrible en effet, mais s’il te plaît, ne porte pas seul un si lourd fardeau. Même si je ne suis pas en mesure de te le prendre, je te demande humblement de le partager avec moi. »

« Grand Frère, je te demande la même chose. Tu sembles si incroyablement tendu ces derniers temps, et je suis terriblement inquiète pour toi. »

« … D’après ce que tu viens de dire, je suppose que cela signifie que Mitsuki l’a aussi déjà remarqué ? » demanda Yuuto, avec du malaise sur son visage. Linéa et Félicia hochèrent gravement la tête.

Yuuto prit une profonde inspiration et laissa échapper un long et lourd soupir. « On dirait que j’ai aussi un long chemin à parcourir. J’essayais de ne pas lui donner plus de raisons d’avoir peur alors qu’elle est encore en plein milieu de sa grossesse. »

Linéa avait dégluti nerveusement. En d’autres termes, le sujet que Yuuto gardait pour lui était suffisamment choquant ou terrifiant pour être dangereux pour la grossesse de Mitsuki.

« Dis-moi, Père, » demanda-t-elle encore. « Que s’est-il passé ? »

« … » Yuuto était resté silencieux.

On aurait dit qu’il était toujours en train de se demander s’il devait vraiment leur dire ou non.

Il était rare de voir Yuuto, quelqu’un de si habile à prendre des décisions, incapable de se décider aussi longtemps.

À ce rythme, il ne semblait pas que Linéa obtiendrait une réponse. Elle jeta un coup d’œil à Félicia.

« Tante Félicia, pouvez-vous quitter la pièce ? »

« Euh… » Félicia s’arrêta un instant, échangea un regard avec Linéa, puis hocha la tête et répondit : « Bien sûr, je comprends. » Elle voulait sûrement connaître la vérité, mais sa décision avait été rapide.

« Je suis désolée, » dit Linéa.

« … Non, tout va bien. Je laisse Grand Frère entre vos mains. » Félicia avait fait une petite révérence et avait quitté le bureau.

Après l’avoir regardée partir et avoir attendu que la porte se referme derrière elle, Linéa s’était tournée vers Yuuto, posant solennellement une main sur sa poitrine.

« Père, je suis la commandante en second du Clan de l’Acier. Bien qu’il me répugne à imaginer que l’impensable t’arrive, dans un tel cas, je suis tenue de te succéder en tant que Réginarque, d’hériter et de perpétuer ta volonté et tes principes. Bien sûr, je comprends que j’ai encore des lacunes à bien des égards… »

« Non, ce n’est pas vrai à…, » Yuuto tenta d’intervenir et d’argumenter cette dernière partie, mais Linéa le coupa à nouveau avant même qu’il ne puisse terminer.

« Mais quand même ! Se préparer au pire est l’un des devoirs les plus importants d’un patriarche. Même s’il s’agit de quelque chose dont on ne peut parler avec personne d’autre, plus le problème est grave, plus j’ai le droit, l’obligation même, de le savoir ! »

Linéa avait dit tout cela sans pause, ses yeux brillaient de la lumière de sa ferme résolution et regardaient fixement dans ceux de Yuuto.

Quoi qu’il en soit, c’était quelque chose qui avait réussi à bouleverser Yuuto au point de l’impatienter alors que même un ordre d’assujettissement impérial ne l’avait pas effrayé ou brisé son sang-froid. C’était quelque chose qui l’inquiétait suffisamment pour qu’il le cache.

C’était sûrement quelque chose d’assez terrible pour faire pâlir en comparaison l’ordre d’asservissement.

Malgré tout, Linéa ne pouvait pas reculer maintenant.

Mitsuki avait dit à Linéa qu’elle lui confierait la tâche d’aider Yuuto dans son rôle de Réginarque. C’était une raison de plus pour qu’elle ne le laisse pas s’occuper seul de cette affaire.

« … Ouais. C’est vrai. Tu as raison, bien sûr. Je devrais au moins quand même te le dire. Je dois le faire, juste au cas où. »

« Ah ! Alors… !? » Linéa se pencha en avant avec empressement, incitant Yuuto à répondre par un léger sourire.

« Oui, je vais te le dire. Mais ne me blâme pas ensuite si tu regrettes que je te l’aie dit maintenant. »

« Non… ça ne peut pas être… Comment… !? »

Linéa ne pouvait que hurler d’incrédulité.

Le récit de Yuuto sur le destin futur de son monde était tout simplement trop absurde.

Elle ressentait cela malgré le fait qu’elle avait une foi totale en Yuuto, une foi aveugle qui était presque de nature religieuse.

D’un autre côté, elle savait pertinemment que Yuuto n’était pas le genre de personne à mentir sur une telle chose.

Elle comprenait maintenant pourquoi il avait eu tant de mal à décider s’il devait ou non lui en parler.

Ce n’était certainement pas quelque chose qu’il pouvait rendre public.

Si l’information se répandait, une anxiété insondable se répandrait dans la population. Dans le pire des cas, les gens désespérés pourraient se livrer à une violence aveugle.

« Yggdrasil va sombrer dans l’océan !? » répéta Linéa, toujours incrédule.

« C’est exact. Pas aujourd’hui, bien sûr, mais dans un avenir assez proche, ce sera absolument le cas. »

« Père, ce n’est pas que je doute de tes paroles, mais… »

« Ne t’inquiète pas, je ne m’attends pas non plus à ce que tu me croies tout de suite. Mais dans le monde d’où je viens, c’est quelque chose qui a déjà été confirmé comme étant arrivé. »

Yuuto grimaça, comme si cela lui faisait mal de dire cette dernière partie.

Son expression n’avait pas donné à Linéa l’impression qu’il mentait.

« … Tu as mentionné que le monde d’où tu viens existait plusieurs milliers d’années dans le futur de notre monde, n’est-ce pas ? »

Yuuto avait hoché la tête. « C’est vrai. Et dans mon monde, ou bien je suppose que je devrais dire, dans l’ère d’où je viens, cette terre d’Yggdrasil n’existe plus. »

Linéa ne déclara rien, et pendant un instant, la pièce fut maintenue dans un silence lourd, oppressant.

Pour Linéa, cette terre dans laquelle elle avait grandi était quelque chose de constant et d’éternel, quelque chose qui avait toujours été là depuis bien avant sa naissance. Elle avait toujours vu la terre s’étendre à l’infini, aussi loin qu’elle pouvait voir, jusqu’aux horizons — non, même au-delà.

Et tout cela était censé couler dans l’océan, sans laisser la moindre trace derrière soi ?

C’était une idée aussi absurde que le soleil se levant à l’ouest et se couchant à l’est.

Pourtant, si Yuuto déclarait cette affirmation avec autant de confiance, c’est qu’il avait suffisamment de preuves pour s’en convaincre.

« … Alors, qu’est-ce qu’on est censé faire ? » demanda faiblement Linéa.

Les gens étaient impuissants face à la force imparable d’une catastrophe naturelle.

S’ils savaient à l’avance que ce cataclysme allait se produire, ils n’avaient pas d’autre choix que d’essayer d’évacuer, mais si tout Yggdrasil lui-même était condamné à sombrer, où pouvaient-ils fuir ?

« Pour l’instant, j’ai demandé à Ingrid de fabriquer un prototype de voilier. Je les produirai en masse, et nous les utiliserons pour fuir Yggdrasil. J’ai l’intention d’emmener tous nos citoyens, et de nous déplacer sur un autre continent. »

« Un autre… continent ? » répéta Linéa, abasourdie. « Une telle chose existe !? »

Il y a des continents à part Yggdrasil.

Jusqu’à présent, c’était quelque chose qu’elle n’aurait jamais pensé.

Cependant, ce n’était pas particulièrement inhabituel pour quelqu’un vivant à son époque.

À la même époque, dans l’ancienne Mésopotamie, Sargon d’Akkad se donnait le titre de « roi de l’univers ». Quant aux Européens, jusqu’à l’ère des découvertes maritimes, leur concept du monde entier ne s’étendait qu’aux parties adjacentes des continents eurasien et africain, ce qui signifie que leur monde n’avait qu’une seule masse continentale contiguë. Les continents américain et australien n’existaient pas pour eux.

Ainsi, l’hypothèse de Linéa selon laquelle Yggdrasil était la seule masse terrestre existante dans le monde n’était pas déraisonnable.

« Ça existe, » dit Yuuto. « Plusieurs même. L’Europe devrait être de l’autre côté de la mer, à l’est d’Yggdrasil, et le continent américain à l’ouest. »

« Attends juste un moment, s’il te plaît ! » cria Linéa avec confusion, sa voix devenant presque stridente.

L’idée qu’Yggdrasil s’enfonce dans l’océan était déjà assez bouleversante en soi, mais le fait qu’il existe d’autres masses terrestres au-delà des mers extérieures suffisait à perturber son concept de la structure du monde lui-même.

Son esprit ne pouvait tout simplement pas suivre.

Elle avait pris une série de longues et profondes respirations. Après une dizaine d’entre elles, elle avait enfin senti qu’elle se calmait.

« Si je suis honnête, Père, il y a plusieurs parties que je ne comprends pas vraiment, mais je comprends au moins pourquoi cela a dû te donner un sentiment de désespoir, et pourquoi tu ne pouvais pas le dire à la Grande Sœur Mitsuki. »

« Haha, je suis désolé de m’être déchargé sur toi, mais je dois dire que j’ai l’impression que le fait de t’en parler m’a enlevé un peu de poids sur mes épaules. »

« Non, je suis contente que tu me l’aies dit », dit Linéa, sans hésiter. « Il est vrai que la seule pensée que cette terre va sombrer dans la mer me terrifie. Mais c’est toujours bien mieux pour moi que de te laisser souffrir seul avec cette connaissance. Je ne suis peut-être pas capable de t’enlever ce fardeau, mais laisse-moi au moins faire tout ce que je peux pour te le rendre plus léger. »

« … Merci. » Yuuto prit une longue et profonde inspiration, puis s’affala contre le dossier de sa chaise.

C’était comme si le soulagement soudain qu’il ressentait avait également libéré toutes les forces de son corps.

Si rien n’était fait, des centaines de milliers de vies humaines seraient perdues sous les vagues de la mer. Même si Yuuto était le plus grand héros et le plus grand dirigeant que cette génération ait jamais vu, c’était encore une trop lourde responsabilité pour lui d’essayer de la porter tout seul.

« Pourtant, ce projet de transporter tout notre peuple vers cette autre masse terrestre à travers la mer… quelle entreprise vraiment énorme ! »

Il était assez facile de mettre le concept en mots, mais la tâche elle-même serait difficile à exécuter à un point où cela semblait au-delà du réel.

Le Clan de l’Acier à lui seul avait une population de plusieurs dizaines de milliers de personnes. Les transplanter tous nécessiterait un nombre énorme de vaisseaux, même si l’on utilisait plusieurs voyages pour essayer de réduire le nombre de vaisseaux à construire.

Ils auraient également besoin de suffisamment de réserves alimentaires pour assurer temporairement la survie de toutes ces personnes à leur destination.

Rien que le fait de faire les calculs de base dans sa tête donnait le tournis à Linéa.

« Géographiquement parlant, allons-nous nous diriger vers l’ouest, vers cette masse continentale “Amérique”, alors ? » demanda-t-elle.

Le Clan de l’Acier avait déjà sécurisé les terres les plus à l’ouest de la région d’Álfheimr, y compris plusieurs ports le long de la côte ouest.

En revanche, pour atteindre la côte maritime orientale, il faudrait traverser les régions de Bifröst et d’Ásgarðr, puis éventuellement la région orientale de Jötunheimr.

En y pensant sous cet angle, il semblerait que l’Amérique était le seul choix possible.

« Non, » dit Yuuto. « Cela peut être notre dernier recours, mais pour l’instant, j’ai l’intention de partir en Europe ». On aurait dit qu’il partait d’une logique complètement différente.

« Puis-je demander la raison ? »

« C’est quelque chose que je compte tester et confirmer à un moment donné, mais Yggdrasil est probablement assez proche de l’Europe. Dans le Timée de Platon, il écrit qu’il y avait à la fois du commerce et des guerres entre les peuples de l’Atlantide et de l’Europe. »

« Hum, c’est quoi cette “Atlantide” ? »

« C’est un nom qui fait référence au Saint Empire d’Ásgarðr. Dans votre langue, le nom Ásgarðr signifie “le pays des dieux”, non ? »

Linéa acquiesça. « Oui, c’est exact. »

***

Partie 4

Selon les mythes de son peuple, la terre d’Yggdrasil avait été formée à partir du cadavre d’Ymir, le premier Géant, dont le nom complet était « Aurgelmir ».

Lorsque l’empire avait été fondé, le nom Ásgarðr en avait été dérivé.

Yuuto poursuit. « Le nom “Atlantis” signifie “l’île d’Atlas”. Dans ce cas, “île” désigne toute masse terrestre entourée d’eau, ce qui inclut aussi un continent. Le peuple de Platon, les Grecs, vénéraient un panthéon de dieux qui vivaient dans l’Olympe, et Atlas est le nom d’un des grands Titans, une race de dieux ennemis des Olympiens. En d’autres termes, pour les Grecs, l’Atlantide était “le pays des autres dieux”. Vois-tu comment les significations s’alignent ? »

« Je vois… »

« Nous nous sommes un peu éloignés du sujet, mais le fait est que sur le continent américain, il n’y a rien dans la langue qui fasse référence à Yggdrasil. Même trois mille ans dans le futur, les gens n’avaient pas encore de véhicules à roues. Nous pouvons en conclure qu’il n’y a jamais eu de contact culturel entre eux et vous. »

« Les terres de l’est du royaume sont trop éloignées, je n’ai donc pas d’informations de là-bas, » dit Linéa en fronçant les sourcils. « Mais il est vrai que je n’ai jamais entendu parler d’une masse continentale à l’ouest. »

Dans le cadre de son devoir de collecte d’informations, Linéa avait souvent appris l’existence de pays étrangers et de leurs affaires grâce aux récits des commerçants et des marchands itinérants, mais elle n’avait jamais entendu parler d’un continent occidental.

Et, dans le cadre de son éducation en tant que fille de patriarche, elle avait tout appris sur les dieux et les mythes de la région d’Álfheimr. Elle avait parfaitement mémorisé tout cela et, encore une fois, il n’y avait pas une seule ligne écrite ou chantée sur une autre masse continentale entière au-delà de la mer occidentale.

En d’autres termes, elle devait être si loin qu’ils n’avaient eu absolument aucun contact.

« Je demande à Ingrid de faire de son mieux pour travailler sur ce projet, mais même pour quelqu’un comme elle, je pense honnêtement qu’il sera trop difficile pour nous de construire des vaisseaux capables de faire un voyage de longue durée à travers l’océan vers l’ouest. Je lui ai donné quelques schémas de vaisseaux de ce type, mais ils nécessiteraient beaucoup de technologies différentes avec lesquelles nous n’avons pas encore assez d’expérience. »

« C’est donc comme pour l’affinage du fer et la fabrication des objets en verre. »

« Exact. Il ne suffit pas d’avoir les connaissances sur le papier pour être capable de produire quelque chose. »

Lorsque Yuuto avait introduit pour la première fois la connaissance de la fabrication du fer raffiné et du verre, personne n’avait pu réussir à fabriquer l’un ou l’autre immédiatement. Les deux projets avaient nécessité six longs mois d’essais et d’erreurs avant de pouvoir fabriquer le produit fini de manière fiable.

« En d’autres termes, tu dis que si nous voulons transporter en toute sécurité un grand nombre de personnes hors d’Yggdrasil vers une nouvelle terre, nous n’avons pas d’autre choix que de nous diriger vers la côte est… »

« C’est ce que je dis. Eh bien, si les choses commencent à mal tourner, et que nous n’avons plus le temps de prendre cette option, je suis prêt à prendre le risque et à partir à l’ouest pour l’Amérique. »

Linéa lança à Yuuto un regard perplexe. « Par cette formulation, cela signifie-t-il que tu connais un indicateur ou un signe permettant de savoir quand la fin approche ? »

« Selon le Timée, la terre s’enfonce dans la mer après une série de plusieurs très puissants tremblements de terre. »

« De puissants tremblements de terre ? » Linéa avait poussé un long soupir. « C’est un soulagement à entendre, » dit-elle en se détendant un peu.

En tout cas, depuis que Linéa était devenue patriarche, elle n’avait pas reçu un seul rapport de tremblement de terre.

« Malgré tout, le fait est que nous n’avons plus beaucoup de temps. Je prévois toujours de marcher sur la capitale impériale de Glaðsheimr d’ici la fin de l’année. »

« … ! » Le souffle de Linéa se bloqua dans sa gorge et elle se retourna pour fixer Yuuto en état de choc.

Il ne restait déjà plus que trois mois dans l’année.

Et en ce moment, le Clan de l’Acier était toujours coincé en plein milieu de la situation causée par l’ordre d’assujettissement impérial, avec une guerre d’une ampleur sans précédent qui se rapprochait rapidement d’eux.

Ils utiliseraient toutes leurs ressources juste pour essayer de faire face à cette situation, donc l’idée de pousser leurs armées dans l’empire central et jusqu’à Glaðsheimr ne semblait pas réaliste.

Mais Linéa avait vu dans les yeux de Yuuto qu’il était très sérieux et qu’il pensait exactement ce qu’il avait dit.

Dans ce cas, il n’y avait qu’un seul plan d’action pour Linéa…

« Tu ne peux pas me dire une chose pareille maintenant ! »

… Et c’était pour lui faire la morale.

Franchement, Linéa était un peu en colère contre lui.

Elle aurait voulu qu’il lui fasse plus confiance, qu’il dépende plus d’elle.

« Tout d’abord, si nous prévoyons la migration massive de notre peuple vers une nouvelle terre et l’invasion de Glaðsheimr en même temps, nous devrons préparer une réserve de nourriture vraiment considérable. Et ce, alors qu’il y a peu de temps encore, nous étions en proie à des pénuries alimentaires ! Comment as-tu pu croire que tu allais te procurer suffisamment de nourriture ? »

« Euhh… hum, nous avons augmenté notre nombre de bétails grâce au système Norfolk, alors j’ai pensé que nous pourrions peut-être tous les abattre et les transformer en rations de viande séchée. »

« C’est naïf ! C’est loin d’être suffisant. Il faut aussi penser à utiliser la plantation consécutive forcée. »

En agriculture, le fait de planter les mêmes cultures dans les mêmes champs, année après année, vide le sol de ses nutriments et l’use, un phénomène connu sous le nom de dommages causés par les cultures répétées.

Si l’on envisage de cultiver une terre à long terme, sur une échelle de dizaines ou de centaines d’années, c’était quelque chose qu’il fallait éviter à tout prix. Mais si la terre devait être complètement abandonnée dans les prochaines années, c’était une tout autre histoire.

Ils pourraient ignorer le système de rotation des quatre cultures et planter quatre fois la quantité normale de cultures alimentaires dans tous les champs consécutivement. Même si ce n’était que pour une courte période d’un ou deux ans, cela permettrait d’augmenter considérablement le rendement.

« Et nous devrons donner la priorité uniquement aux cultures vivrières que nous pourrons conserver longtemps après la récolte. Cela va être très difficile à faire accepter à la population, mais je vais y arriver. »

« O-Ouais, je compte sur toi. »

« Comme tu le sais certainement, les préparatifs pour générer toute cette nourriture ne sont pas quelque chose qui peut être accompli en une nuit ! Plus que tout, le temps est nécessaire ! Si tu m’avais parlé de tout cela ne serait-ce qu’un mois plus tôt, cela t’aurait demandé bien moins d’efforts et de soucis, tu sais ! »

Même Linéa n’avait pas pu s’empêcher de presser un peu ce point contre Yuuto.

Après tout, la récolte d’automne était terminée, et les gens étaient déjà en pleine préparation de la prochaine plantation. Il n’y avait vraiment plus de temps.

Les difficultés économiques liées à la fête de la moisson étant enfin réglées, Linéa espérait pouvoir se reposer un peu, mais désormais, elle allait certainement passer chaque jour à travailler de façon urgente.

« D-Désolé. » Le grand héros-roi Yuuto s’était retrouvé submergé par l’intensité de Linéa, reculant lentement.

Linéa n’en tint pas compte et plaqua ses paumes contre son bureau, se rapprochant encore plus de lui.

« Je sais que je me répète ici, mais tu aurais dû au moins me parler de tout cela plus tôt ! Si tu l’avais fait, nos plans auraient pu être plus efficaces, et nous aurions pu faire certaines étapes des préparatifs en secret ! »

Les remontrances de Linéa avaient continué. Il fallut encore une heure avant qu’elle n’ait terminé.

Lorsque Linéa était retournée à son bureau, Haugspori l’attendait.

« Bon retour. Comment ça s’est passé ? » demanda-t-il, vivement intéressé.

Linéa hocha la tête, lui rendant son salut. « Eh bien, les choses vont à tous les coups devenir plus occupées à partir de maintenant ! Nous avons beaucoup de travail devant nous ! » Elle débordait d’enthousiasme.

Elle avait réprimandé Yuuto de long en large pendant plus d’une heure, mais intérieurement elle tremblait de voir à quel point cette révélation était émouvante.

Yggdrasil allait sombrer dans la mer, et c’était choquant — terrifiant, même. Mais c’était aussi un fait que sans Yuuto ici, des millions de vies auraient aussi été sûrement condamnées à être englouties sous les vagues.

À ce stade, Linéa croyait sans l’ombre d’un doute que Yuuto avait été envoyé par l’esprit du géant divin Ymir pour sauver le peuple d’Yggdrasil.

Elle avait reçu l’honneur de prêter le serment du Calice avec lui. Elle avait eu la chance de pouvoir l’assister dans ses grandes et nobles œuvres. Son cœur avait toutes les raisons de danser d’excitation.

Haugspori soupira. « … Est-ce ainsi ? » Contrairement à Linéa, il semblait découragé et se grattait l’arrière de la tête d’une main.

« Pourquoi cette réaction ? » demanda Linéa avec indignation, en pinçant les lèvres.

Naturellement, le naufrage d’Yggdrasil était quelque chose qu’elle ne pouvait pas partager avec lui, mais c’était quand même contrariant d’avoir une réaction aussi déçue alors qu’elle était si pleine de passion et de détermination.

« Je n’ai pas pu m’empêcher de me dire : “Oh, je parie qu’elle était trop occupée à parler de son travail et que la conversation n’a jamais pris une direction plus romantique.”

« … Uh. » Ce son était tout ce qui s’était échappé des lèvres de Linéa.

Ce n’est que maintenant qu’elle se souvient que le fait d’aller parler à Yuuto de son travail n’était censé être qu’une excuse valable pour aller le voir, pour apprendre de première main sa relation actuelle avec Félicia.

« Alors, permettez-moi de vous poser à nouveau la question, » dit Haugspori. « Comment ça s’est passé ? »

« Et bien, hum… »

Haugspori laissa échapper un long soupir exagéré, fatigué, qu’on pourrait plutôt appeler un gémissement.

C’était humiliant.

« Comment avez-vous réussi à gâcher ça, princesse ? »

« Nous sommes entrés dans une discussion très sérieuse et importante, donc il n’y avait pas le temps d’en parler ! »

« Hmm, je peux certainement l’imaginer, » se dit Haugspori. « Et j’imagine la même chose à partir de maintenant, toutes vos conversations ne portant que sur le travail. »

« Ngh ! » Linéa réalisa qu’elle pouvait aussi clairement imaginer ce futur.

« Honnêtement, Princesse, vous êtes bien trop sérieuse pour votre propre bien…, » déclara Haugspori, exaspéré, mais il se rendit compte de la situation. « Hm, peut-être alors que si vous souhaitez parler de romance avec lui, il serait préférable d’éviter d’utiliser le travail comme justification de votre rencontre, et à la place d’essayer de l’aborder pendant une pause. »

« O-Oh, c’est une excellente idée ! Je pense aussi que ça correspondrait mieux à ma personnalité. »

Les devoirs d’un patriarche étaient tels qu’une décision erronée, ou même un retard dans l’octroi d’une approbation pouvait finir par causer du tort à de nombreuses personnes.

***

Partie 5

Chargée d’une si lourde responsabilité, Linéa considérait le fait de ne pas accorder toute son attention à son travail comme une insulte à son poste et à son peuple.

Si elle s’occupait du travail, alors elle voulait se concentrer uniquement sur le travail.

Avec Yuuto qui s’efforçait si sérieusement d’assurer l’avenir du Clan de l’Acier, elle avait ressenti une résistance à interrompre cela pour des raisons aussi frivoles.

« Dans ce cas, il faut agir tout de suite et aller le voir pendant sa pause déjeuner », proposa Haugspori.

Linéa avait tressailli. « H-Huh !? Tu veux dire aujourd’hui !? »

« Bien sûr que oui », avait-il répondu sans ambages.

« C-Ca ne peut pas au moins attendre jusqu’à demain ? » demanda-t-elle timidement.

Elle venait juste de discuter d’un sujet aussi grave avec lui, après tout. Elle voulait au moins un jour pour remettre les choses en place avant de réessayer.

« Que voulez-vous dire ? Si vous souhaitez vous rapprocher de lui, alors le voir plus souvent est la seule façon de le faire, oui ? »

« B-Bien… »

« Et en premier lieu, votre position était à l’origine celle d’une outsider. Vous avez commencé plusieurs pas en arrière par rapport aux autres femmes pour ce qui est de faire connaissance avec lui. »

« Argh…, » Linéa ne pouvait rien dire en réponse, il avait soulevé un point douloureusement juste.

Jusqu’à la fondation du Clan de l’Acier, Linéa avait été la petite sœur jurée de Yuuto, mais toujours une « sœur extérieure » — ne faisant pas vraiment partie de son clan. Elle n’avait jamais pu le voir qu’une fois, voire deux par mois.

Quelles que soient les raisons, Linéa avait certainement ressenti une différence entre la façon dont il était avec elle et avec les femmes qui avaient servi sous ses ordres depuis ses jours dans le Clan du Loup. C’est comme si tous les deux individus n’étaient pas capables de se confier aussi facilement l’un à l’autre.

« Vous êtes enfin devenue sa fille jurée, un individu beaucoup plus proche de son cercle intime, alors qu’est-ce qu’il y a à gagner à hésiter maintenant !? Il est vrai qu’en matière d’amour, il est parfois important de se retirer et de laisser de l’espace à l’autre, mais fondamentalement, vous devriez toujours passer à l’attaque ! »

« Je… Je vois…, » alors que Haugspori exposait les arguments les uns après les autres, Linéa acquiesçait.

Elle avait l’impression qu’il la poussait un peu trop fort sur ce point, mais elle comprenait que c’était parce qu’il tenait à elle de tout cœur.

De plus, Linéa était quelqu’un qui accordait du crédit aux paroles d’un expert sur des sujets avec lesquels elle avait des difficultés. C’était l’un de ses points forts.

« Très bien. Je vais faire ce que tu dis. Cependant, je suis un peu en retard dans mon travail d’aujourd’hui, à cause de ma distraction de ce matin. Laisse-moi au moins m’occuper de ça en premier. »

« Compris, Princesse. Permettez-moi de vous aider. »

Linéa acquiesça. « Merci, je compte sur toi. »

Et donc, Linéa avait passé un bon moment complètement absorbée par son propre travail de bureau.

En tant que commandant en second d’une grande nation comme le Clan de l’Acier, le volume de travail la tenait aussi terriblement occupée que Yuuto, si ce n’est plus.

Elle devait examiner attentivement les propositions qui remontaient la chaîne de commandement jusqu’à elle, et faire venir les personnes responsables si elle avait des questions importantes, écouter leurs explications et donner ensuite des instructions concrètes.

Si l’administration du clan était comme un corps humain, avec Yuuto comme cerveau, alors on pourrait dire que Linéa était le cœur qui le maintenait en vie.

Les idées et inventions novatrices de Yuuto avaient été le moteur de la croissance du Clan de l’Acier, et tout le monde s’accordait à dire qu’il était le « pilier » symbolique qui tenait toute la confédération ensemble. Mais on pourrait également arguer qu’ils n’avaient besoin de lui que pour fonctionner, sans nécessairement avoir besoin de lui pour effectuer le travail de bureau quotidien.

Cependant, si Linéa ne remplissait pas ses fonctions, il ne faisait aucun doute que les différentes parties du gouvernement commenceraient à s’enrayer, causant toutes sortes de problèmes et de confusion pour les personnes à la base.

« Très bien, le prochain est… »

Une fois une autre tâche accomplie, Linéa tendit la main pour prendre le document suivant de la pile devant elle, mais celui-ci lui avait été arraché des mains.

« Qu’est-ce qu’il y a, Haugspori ? »

« Je m’excuse de vous arrêter alors que vous êtes si absorbé par vos fonctions, mais il est temps. »

« Le temps… ? Ah ! » cria Linéa, réalisant soudain qu’elle avait complètement oublié le plan.

Lorsqu’elle se concentrait vraiment sur son travail, elle devenait incapable de penser à autre chose.

« Le Réginarque Yuuto est allé visiter le jardin de Vingólf. Il semble qu’il y prenne souvent ses déjeuners ces derniers temps. »

« Ah, c’est vrai, Vingólf. C’est un bon endroit pour se détendre. »

Linéa connaissait en effet très bien l’endroit en question.

Son père biologique, Hrungnir, avait été à un moment donné le gouverneur de la région de Gimlé, et Linéa avait entendu des histoires sur la façon dont il avait rencontré et était tombé amoureux de la femme qui deviendrait sa mère au Jardin de Vingólf.

C’est l’endroit qui avait nourri l’amour entre les parents de Linéa, et elle l’avait donc visité elle-même de nombreuses fois.

À cette époque de l’année, l’endroit serait rempli de la couleur des fleurs du cosmos et autres fleurs d’automne en pleine floraison.

Cette pensée lui rappelait de bons souvenirs, et Linéa s’en souvient un peu en s’y rendant.

En entrant, elle avait rapidement repéré Yuuto à l’intérieur du pavillon au centre du jardin.

« Père…, » elle commença immédiatement à l’appeler, mais s’arrêta. Félicia, assise à côté de Yuuto, s’était tournée vers elle et avait mis un doigt silencieusement sur ses lèvres.

Linéa fit de son mieux pour ne pas faire de bruit alors qu’elle s’avançait lentement vers eux. Yuuto était assis, la tête appuyée sur ses bras, sur la table du pavillon, les yeux fermés.

« Alors, il dort ? »

« Oui, à l’instant, en fait. Il avait tellement de choses en tête hier, je ne peux que supposer qu’il n’a pas beaucoup dormi la nuit dernière. »

« Je vois. C’est compréhensible. »

Linéa savait à quel point le sens des responsabilités de Yuuto était puissant.

Face à cette crise sans précédent et à son devoir de protéger le clan et les très nombreuses personnes qui vivaient sous sa coupe, il n’avait pas dû pouvoir s’empêcher de continuer à penser au problème même après s’être couché pour la nuit.

« Pourtant, il va faire mal à son pauvre cou en dormant dans cette position. »

Félicia avait quitté son siège de l’autre côté de la table pour s’asseoir juste à côté de Yuuto. Lentement, et doucement, pour ne pas le réveiller, elle avait soulevé sa tête de la table et l’avait fait reposer sur ses genoux.

« Tee-hee. » Avec un doux rire, elle lui caressa tendrement les cheveux et regarda son visage endormi, les yeux remplis d’affection.

Linéa n’était pas experte dans les affaires intimes des hommes et des femmes, mais elle comprenait ce qu’elle voyait.

Au minimum, l’acte de caresser la tête d’une personne était irrespectueux lorsqu’il était fait à une personne de statut supérieur. Dans le passé, Félicia ne se serait pas permis de faire quelque chose d’aussi effronté.

« Euh… Tante Félicia… Avez-vous, hum, et Père, c’est-à-dire… »

Il était difficile de se résoudre à poser la question directement. Linéa trébuchait, incapable de trouver les bons mots.

« Ah. » Félicia semblait avoir compris la question de Linéa. Elle hocha la tête et déclara : « Oui. Grâce à l’intervention de la Grande Sœur Mitsuki, j’ai eu l’honneur de consommer mon amour avec Grand Frère Yuuto. Et, bien, c’est juste avant sa cérémonie de mariage, donc le moment était un peu inapproprié, mais cela m’a permis de m’accorder l’honneur de devenir officiellement sa concubine à la première occasion appropriée. » Les joues de Félicia étaient rouges. Elle avait l’air un peu timide, mais aussi très heureuse.

« Je… je vois, » répondit maladroitement Linéa. « Donc, vous et Père êtes maintenant… »

Elle pouvait voir que sa propre voix tremblait.

Elle avait l’intention de s’y préparer, mais le fait de l’entendre de première main, d’apprendre que l’homme qu’elle aimait entretenait ce genre de relation avec une autre femme, lui faisait mal au cœur.

Dans ses pensées, Linéa essayait de s’encourager, de se dire que s’il avait accepté d’avoir une relation avec Félicia, alors peut-être qu’il y avait une chance pour elle aussi… mais elle sentit ce petit espoir être écrasé lorsque son regard se promena sur le beau corps doux et voluptueux de l’autre femme.

Sa pleine et énorme poitrine en particulier !

La femme de Yuuto, Mitsuki, était également bien dotée.

En revanche, si Linéa baissait les yeux sur ses propres atouts, elle pouvait aussi voir clairement ses propres pieds. Il n’y en avait pas assez pour lui bloquer la vue, après tout.

Lorsque Linéa se comparait aux deux autres femmes, elle ne pouvait s’empêcher de ressentir un sentiment d’infériorité, se demandant si elle ne manquait pas carrément de charme féminin.

« Vous êtes incroyable. Le cœur de Père était si dévoué à la Grande Soeur Mitsuki, aussi bien gardé que les chariots blindées du Mur de Chariot, et pourtant vous l’avez persuadé de se rendre à vous. J’aimerais avoir autant de chance. »

« Non, c’est entièrement parce que la Grande Soeur Mitsuki est intervenue en ma faveur. Seule, je n’aurais jamais… »

« Il n’y a pas besoin d’être modeste. Même en tant que compatriote, je reconnais combien vous êtes charmante et attirante. À tel point que cela me rend envieuse, en fait. En attendant, je serai toujours traitée comme sa petite sœur, et je ne peux pas être sûre qu’il me considère même comme une femme. » Linéa laissa échapper un soupir désespéré.

Sa rivale amoureuse n’était pas le public approprié pour ses plaintes en ce moment, mais elle ne pouvait pas contenir ses sentiments plus longtemps.

« Ce n’est pas… »

« Inutile de me consoler par pitié. Je sais très bien que mon visage et mon corps sont pratiquement ceux d’une enfant. »

« Erm, mais… »

Félicia avait essayé de répondre, mais elle avait fait une pause et s’était éloignée, ne sachant apparemment pas quoi dire.

« Quant à ma personnalité, je suis une femme profondément ennuyeuse. Lorsque je suis venue dans le bureau de Père tout à l’heure, c’était en fait parce que j’essayais de me rapprocher de lui. Malgré cela, avant que je ne m’en rende compte, je n’arrêtais pas de parler de stratégie et de politique avec lui, en laissant de côté toute trace de pensée romantique. »

« Je ne pense pas qu’on puisse y faire grand-chose, vu la situation à ce moment-là… » Une fois de plus, Félicia tenta de placer un mot pour apaiser les inquiétudes de Linéa.

« Non, » dit Linéa en secouant la tête. « C’est plus que ça. Si j’y repense, ça a toujours été comme ça. Quand je parle avec Père, il s’agit toujours, toujours, de politique et de travail. Il ne faut pas s’étonner qu’il ne me voie pas comme une femme. »

***

Partie 6

« … Lady Linéa, c’est peut-être un peu présomptueux de ma part, mais je crois sincèrement que votre personnalité est en fait l’une des qualités qui vous rendent attirante, et que c’est quelque chose que vous, et seulement vous, possédez. »

« Je vous l’ai déjà dit, je n’ai pas besoin que vous…, » alors que Linéa fronçait les sourcils et commençait à protester, Félicia secoua doucement la tête et intervint.

« Je ne dis pas cela pour vous consoler. Grand frère Yuuto parle toujours du fait qu’il peut toujours parler avec vous de sujets importants en profondeur. Ses idées sont très complexes, et il arrive souvent qu’elles soient trop avancées pour que je les comprenne. Cependant, vous êtes différente. Il m’a dit que vous étiez la seule personne capable de comprendre immédiatement les choses après une brève explication et, en plus, de donner des avis constructifs dans une perspective réaliste. Il dit que ce genre de choses l’aide vraiment. »

« Grand frère a dit tout ça sur moi ? » demanda Linéa. Elle était tellement surprise que pendant un instant, elle était inconsciemment revenue à la façon dont elle s’adressait à lui lorsqu’ils étaient frères et sœurs jurés.

Il est vrai que beaucoup des stratégies concoctées par Yuuto étaient très éloignées du bon sens, ou supposaient une connaissance préalable de choses que les autres n’avaient pas, et donc même Linéa avait souvent du mal à les comprendre.

De plus — et le plan qu’il avait partagé avec elle plus tôt dans la journée en était un exemple parfait — souvent la seule chose solide était le concept et sa conclusion. En d’autres termes, il savait exactement ce qu’il fallait faire, mais les détails concrets sur la manière de le faire fonctionner étaient beaucoup plus vagues.

Bien sûr, du point de vue de Linéa, cela illustrait en fait une force de Yuuto, plutôt qu’un défaut.

En tant que seigneur régnant, l’action la plus importante qu’un patriarche devait entreprendre était de déterminer une ligne de conduite appropriée et de s’y engager fermement. Si la personne censée s’imposer devant tout le monde et les faire avancer était trop axée sur l’aspect pratique et les détails, il ne pourrait y avoir aucun développement, aucun progrès.

Ceci étant dit, pour prendre les directives de Yuuto et les convertir en plans concrets et réalisables, il fallait que quelqu’un les regarde d’un œil critique, d’un point de vue pragmatique, et souligne leurs problèmes et leurs défauts.

Depuis la formation du Clan de l’Acier, c’était surtout Linéa qui avait assumé ce rôle.

« Je trouve toujours des défauts dans les détails des merveilleuses idées de Père, et j’ai supposé que je le rendais toujours malheureux avec ça… », dit Linéa, avouant ainsi l’un des soucis qui l’avaient toujours tourmentée.

Félicia secoua vigoureusement la tête, niant catégoriquement l’inquiétude de Linéa. « Lorsque vous discutiez tous les deux de la façon de traiter l’ordre de soumission impérial, c’était comme si vous compreniez tous les deux ce que l’autre disait, passant instantanément au point suivant sans avoir besoin d’un seul instant d’hésitation. À mon grand embarras, je dois admettre que je n’ai pas du tout pu suivre. »

En y repensant maintenant, Linéa avait l’impression qu’elle et Yuuto avaient pris l’initiative de discuter du sujet à un rythme rapide, tandis que Félicia n’était pas du tout entrée dans la conversation.

Linéa avait simplement supposé que Félicia s’était retenue parce qu’elle était une subordonnée de la fratrie, un rang qui était normalement considéré comme une étape éloignée de la planification centrale du gouvernement d’un clan. Mais cette supposition était apparemment erronée.

« Lady Linéa, si Grand Frère a pu s’ouvrir et partager son secret avec vous, c’est précisément parce que vous êtes le genre de personne que vous êtes. »

« Vous a-t-il dit ce qu’il m’a dit ? »

« Non, j’ai choisi de ne pas aborder le sujet avec lui. Après tout… c’est une chose dont il ne peut se résoudre à me parler. » Félicia baissa les yeux, l’air un peu triste. Mais ce regard était vite passé, et elle avait souri.

« Cependant, après qu’il vous en ait parlé, son expression était moins douloureuse, comme si une petite partie de l’obscurité qui pesait sur son cœur s’était évanouie. »

« Je vois. Dans ce cas, je suis contente d’avoir pu l’aider un peu. »

« C’est bien plus qu’un “peu” ! Le Grand Frère Yuuto était si épuisé par la tension et le stress ces derniers temps que je pouvais à peine supporter de le regarder. Je craignais que, si cela continuait, il ne soit poussé à son point de rupture. »

Cela venait de Félicia, qui passait chaque instant de la journée à servir aux côtés de Yuuto.

Si elle était si ouvertement inquiète à ce sujet, alors Yuuto était vraiment dans un état dangereux.

« Je suis si heureuse que vous ayez pu l’aider. Vraiment…, » avec une expression de soulagement sincère, Félicia avait recommencé à caresser doucement les cheveux de Yuuto. Yuuto continuait à dormir paisiblement, ignorant totalement l’attention que lui portait la femme qui le regardait.

« Argh, nghh ! » Soudain, Yuuto avait crié dans son sommeil.

« Qu-Qu’est-ce qui s’est passé ! ? » demanda Linéa.

« Le plus probable est qu’il fasse un cauchemar, » expliqua Félicia. « Il en fait souvent, ces derniers temps. »

« Je… Je vois. »

Cela semblait assez sérieux. Cela expliquerait d’autant plus pourquoi Mitsuki et Félicia étaient si inquiètes pour lui.

« Je pense qu’il y a probablement encore beaucoup de choses que Grand Frère a réprimées en lui. »

« Oui, probablement. »

Linéa avait réussi à faire en sorte que Yuuto lui confie son secret, mais c’était quelque chose qu’il gardait pour lui seul depuis six mois.

Bien qu’il soit un héros extraordinaire, il n’est qu’un humain.

Il y avait sûrement six mois de frustration, d’amertume et d’angoisse qu’il avait accumulées.

« Ah, bien sûr ! » Félicia avait soudain frappé dans ses mains, comme si elle avait eu une idée. « C’est l’occasion rêvée. Comme le dit Grand Frère, il faut battre le fer tant qu’il est chaud. Profitons de cette chance et faisons en sorte qu’il libère tout ce qu’il retient. »

« Tout ? Vous donnez l’impression que c’est facile, mais qu’allons-nous faire ? »

« Tee-hee, eh bien… » Félicia sourit malicieusement, et lorsqu’elle décrivit son plan, les yeux de Linéa s’écarquillèrent.

Cela semblait si direct, et si précipité, sautant plusieurs des étapes appropriées pour ce genre de choses du point de vue de Linéa, mais Félicia était maintenant complètement déterminée à aller de l’avant. Elle avait regardé Linéa droit dans les yeux et s’était inclinée profondément.

« Je vous demande humblement de prendre soin de Grand Frère Yuuto. S’il vous plaît, aidez à guérir son cœur. »

+++

« Êtes-vous vraiment sûr que je peux entrer !? » Linéa se tenait face à la porte ouverte, incapable de cacher son inquiétude.

Ils se trouvaient dans ce que certains pourraient appeler le « cœur » le plus intime de Gimlé, un lieu sacré dont l’entrée pour les indignes était impardonnable. Même les subordonnés directs de Yuuto, son cercle de confiance le plus intime, n’étaient pas autorisés à pénétrer dans ce sanctuaire sans y être invités.

Malgré cela, la réponse de Félicia avait été un hochement de tête détendu.

« Oh, il n’y a pas de problème. »

« M-Mais quand même… »

« Pourquoi auriez-vous des raisons d’hésiter maintenant ? Vous avez déjà été avec lui de cette manière deux fois auparavant, n’est-ce pas ? »

« Oui, mais ces fois-là, j’étais avec tout le monde, et y aller seule n’est pas exactement la même chose. »

« Si vous êtes une femme, alors montrez du courage ! » Les mains de Félicia étaient dans le dos de Linéa, la poussant avec force à travers la porte et dans la pièce au-delà.

 

 

Une dernière poussée avait déséquilibré Linéa, et alors qu’elle était occupée à reprendre pied, la porte s’était refermée derrière elle.

« H-Hey ! »

« Je vous souhaite la meilleure des chances ! »

« Ngh… ! » Le visage de Linéa rougissait. Sa seule échappatoire étant coupée, elle était restée un instant désemparée.

Cependant, elle ne pouvait pas rester ici pour toujours.

C’était le genre de chance dont elle avait toujours rêvé, c’était vrai. Si elle ne pouvait même pas en profiter, alors elle n’avait vraiment aucun espoir.

« D’accord ! » Prenant sa résolution, Linéa avait jeté tous les vêtements qu’elle portait et s’était dirigée nue vers le fond de la pièce.

Sur le mur du fond se trouvait une autre porte, et elle l’avait ouverte pour révéler des nuages d’épaisse vapeur blanche qui remplissaient l’air au-delà, rendant difficile de voir quoi que ce soit.

Pour Linéa, en ce moment, c’était en fait un avantage. Cela signifiait qu’il ne serait pas en mesure de la voir non plus, ce qui diminuait un peu l’embarras.

« Ahh, maintenant c’est à ça que ressemble le paradis. Je me sens à nouveau vivant. » La voix de Yuuto avait résonné un peu plus loin.

Cette pièce était un bain fermé que Yuuto avait fait construire spécialement lorsqu’il avait déplacé la capitale du Clan de l’Acier à Gimlé. Yuuto était un grand fan des bains chauds, et chaque soir, après avoir terminé son travail, il avait l’habitude de venir ici et d’évacuer le stress de la journée par un long bain.

« Oh, salut, Félicia. Entre, l’eau est bonne », appela Yuuto, ayant manifestement senti la présence de Linéa dans la pièce.

Cependant, il semblerait qu’il ait supposé par erreur qu’elle était Félicia.

Il y avait actuellement un arrangement tacite qui s’était récemment formé entre Yuuto et ses amantes : la personne qui partagerait le lit avec lui cette nuit-là le rejoindrait dans le bain avant. En d’autres termes, ce soir, c’était le tour de Félicia.

« Père. »

« Whuh ? » Yuuto s’était retourné quand Linéa l’avait appelé, puis il s’était figé.

« L-Linéa !? Qu-Quoi… ! ? »

Apparemment, même le dieu de la guerre renaissant, maître du champ de bataille, avait été troublé par cette situation.

Linéa sentait tout son corps devenir fébrile.

Bien qu’elle soit une femme, elle avait gravi les échelons pour devenir la commandante en second du Clan de l’Acier. Elle était responsable de l’administration de l’une des nations les plus puissantes du royaume.

Cela dit, elle était encore une jeune femme… Révéler son corps nu à l’homme qu’elle aimait était embarrassant.

Pourtant, elle avait rassemblé tout son courage et lui avait parlé.

« Je… J’ai demandé à changer de place avec elle. O-Oh, et bien sûr, j’ai déjà reçu la permission de la Grande Sœur Mitsuki. »

« Ces deux-là…, » Yuuto pressa ses doigts sur ses tempes et gémit. Il semblait avoir déjà compris l’essentiel de la situation.

« Je t’en prie, ne les blâme pas, père, » plaida Linéa. « Elles étaient seulement inquiètes pour toi. »

« Quoi ? » Yuuto fronça les sourcils avec méfiance, apparemment incapable de comprendre cette partie.

 

 

« Elles ont convenu que le meilleur endroit pour te faire mettre ton cœur à nu serait dans le bain. Tu dois encore avoir beaucoup de frustrations et de douleurs amères que tu as gardées enfermées en toi pendant les six derniers mois. Comme je connais déjà le secret que tu gardes, tu n’as pas non plus besoin de me le cacher. Le simple fait de pouvoir en parler avec quelqu’un devrait t’aider à te sentir mieux. »

« … C’est moi, ou ces deux-là sont un peu trop protectrices envers moi ? » Yuuto secoua la tête d’un air las et soupira.

Linéa pourrait bien être la meilleure personne à qui parler pour Yuuto en ce moment, mais sa femme et sa concubine venaient tout de même d’envoyer une femme non mariée se retrouver seule avec lui dans le bain. Même Linéa avait reconnu intérieurement que c’était clairement dépasser les bornes. Mais quand même…

« Cela montre à quel point tu sembles être dans un état dangereux selon elles, Père. »

« Est-ce que je passe vraiment pour quelqu’un de si peu fiable ? »

« Il n’y a personne de plus capable et de plus fiable que toi dans tout le clan de l’acier, Père. Mais cela ne veut pas dire que tu devrais te charger de tout pour protéger les autres. Cela finira par t’épuiser et te briser. »

Les destins de dizaines de milliers de vies reposaient toujours sur les épaules de Yuuto.

***

Partie 7

Et il n’y avait aucun plan, aucune stratégie, qui pouvait garantir le bonheur de chaque personne.

La mise en œuvre de toute politique crée des avantages pour certains et des pertes ou des dommages pour d’autres, c’est ainsi que va le monde.

Si l’on s’autorisait à se sentir peiné par les malheurs de chacun, cela serait paralysant et l’esprit ne pourrait pas tenir le coup sous ce stress.

Dans un sens, ceux qui dominent les autres devaient être quelque peu insensibles au malheur des autres.

Et dans ce sens, Yuuto avait fait défaut. Il était bien trop gentil.

« Mais je vais bien, d’accord ? Je suis encore jeune. »

« Je ne parle pas de ton corps physique. Ce qui préoccupe Grande Sœur Mitsuki et Tante Félicia, et si je peux être franche, ce qui me préoccupe, c’est ton cœur ! »

« … Hé, ça va aller. »

La deuxième fois, la réponse de Yuuto avait été juste un peu retardée.

Il avait probablement réalisé lui-même qu’il était à sa limite.

Et ce n’est pas une surprise qu’il le soit, se dit Linéa.

Après tout, le fardeau d’un secret aussi terrible était bien trop lourd à porter pour un seul homme.

« Père, tu es trop imprudent lorsqu’il s’agit de ton propre bien-être ! Notre peuple est confronté à une crise comme nous n’en avons jamais vu auparavant, et si par un terrible hasard le pire devait t’arriver, le Clan de l’Acier lui-même serait en danger d’effondrement ! Ne comprends-tu pas ? Grand Frère, ton corps n’est plus seulement le tien ! »

Linéa avait perdu le contrôle pendant un instant, criant tout dans un seul souffle. Elle était restée là, haletante.

Yuuto lui avait adressé un sourire en coin, un sourire qui semblait un peu forcé.

« Eh bien, viens et entre dans l’eau pour le moment. Il fait peut-être chaud ici, mais si tu restes debout toute nue, tu finiras probablement par attraper froid. »

Il lui avait fait signe de le rejoindre dans le bain.

« … D’accord. »

Même après tout ce qu’elle lui avait dit, il essayait toujours d’accorder plus de considération aux autres qu’à lui-même. Cela l’avait attristée, mais elle avait obéi. Sinon, il ne serait peut-être plus disposé à l’écouter, du moins c’est ce qu’elle pensait.

Une fois que Linéa fut dans le bain, Yuuto leva les yeux vers le plafond, regardant dans le vide en parlant. « Je sais que cela ressemble à une excuse, mais si je n’ai rien dit, ce n’est pas parce que je ne te fais pas confiance. C’est parce que je pensais que ne pas savoir serait plus facile pour toi. Tu pouvais vivre tes journées sans cette peur dans ton cœur. »

Sous la surface de l’eau, Linéa s’était sentie serrer les poings.

On dirait que ce qu’elle avait dit avait atteint le cœur de Yuuto.

« Depuis que je l’ai découvert, je n’arrête pas d’y penser tous les jours. Je me dis : “Quand est-ce que ça va commencer ? Et si ça commençait demain ?” Je fais des cauchemars où je vois tout le monde se noyer au fond de l’océan, se débattre, souffrir. Je continue à en faire, tu vois. Encore, et encore. »

« … Je sais que ça doit être horrible. » Le visage de Linéa s’était déformé en une douleur compatissante.

Chaque personne vivante meurt. Les dieux avaient placé cette loi fondamentale sur le monde, et personne ne pouvait la défier.

Cependant, la seule raison pour laquelle une personne pouvait vivre sa vie sans souffrir de la crainte constante de ce destin était que, jusqu’à ce moment-là, la mort existait à « un moment inconnu dans le futur ».

Et dans cette situation, il ne s’agissait pas seulement de la mort de Yuuto. Tout le monde dans le monde qui l’entourait se dirigeait vers la même mort certaine.

Cette peur l’avait assailli chaque jour sans pause.

À partir de maintenant, Linéa devra aussi affronter cette peur, mais elle avait foi en Yuuto. C’était une conviction profonde que Yuuto ferait quelque chose pour les sauver tous.

Mais Yuuto lui-même n’avait rien de tel.

Le simple fait d’imaginer ce que ça devait être pour lui donnait un terrible frisson à Linéa. Elle était étonnée qu’il ait réussi à endurer cela pendant six mois tout seul.

« Mitsuki est enceinte maintenant, et je ne vais sûrement pas lui dire et risquer que le choc lui fasse faire une fausse couche. Et Félicia est forte, bien sûr, mais elle est aussi assez fragile mentalement… Quoi qu’il en soit, j’avais prévu d’en parler à tout le monde une fois que j’aurais trouvé la solution et que je serais prêt à la mettre en œuvre. Je me suis dit que j’étais le seul à devoir me sentir comme ça en attendant, tu vois ? »

« Tu es vraiment quelqu’un de gentil, » dit Linéa, mais Yuuto réagit à ces mots par un faible sourire d’autodérision.

« Heh heh, enfin, c’est ce que je m’étais dit, mais il s’avère que c’était plus difficile que je ne le pensais, et beaucoup plus effrayant que je ne le pensais. Ça m’a fait plus mal que je ne le pensais. Je voulais juste céder et le dire à quelqu’un, et j’ai failli céder, tellement de fois. Je parie que ça brise l’image que tu as de moi, hein ? Le grand homme que tu appelais le plus fiable et le plus sûr de tout le clan de l’acier, et qui n’est en fait que pathétique et faible. »

« Ce n’est pas vrai du tout ! » Linéa cria le démenti à Yuuto à pleins poumons.

L’image héroïque qu’elle avait de lui n’avait pas été endommagée. Il n’y avait aucune chance qu’elle le soit.

Après tout, Yuuto avait eu le choix de rester dans son ancienne patrie et d’y vivre en paix avec Mitsuki.

Il avait rejeté cette option. Afin de sauver le clan de l’acier, non, afin de sauver sa famille ici, il avait choisi de retourner sur cette terre sans se soucier du danger pour lui-même.

Les actes de bravoure ignorant la peur n’étaient rien d’autre que l’imprudence des imbéciles. Le père de Linéa lui avait appris cela.

Il lui avait appris qu’un véritable héros était quelqu’un qui connaissait la peur et faisait preuve de courage malgré elle, en endurant la peur et en allant de l’avant.

« H-Huh !? Qu’est-ce que c’est que ça !? »

Soudain, Yuuto se mit à trembler, ses dents claquaient bruyamment, comme s’il avait été arraché aux bains chauds et jeté sur un flanc de montagne enneigé.

Après s’être finalement ouvert à Linéa, quelque chose en lui s’était brisé, et maintenant tous ses sentiments refoulés se déversaient.

« Bon sang, je ne peux pas m’arrêter de trembler. Je dois protéger tout le monde, je suis le foutu réginarque, je dois me ressaisir ! Arrête ! Arrête ! »

« … ! » Linéa ne pouvait plus le supporter. Avant même d’en avoir conscience, elle avait couru vers Yuuto et l’avait enlacé.

« C’est bon ! C’est juste toi et moi ici maintenant, et personne d’autre. Tu n’as pas à te forcer à tenir le coup, tu peux te laisser aller ! »

« Uugh… ! »

Yuuto avait laissé échapper un cri sans paroles, comme un gémissement, et avait rendu son étreinte.

Alors qu’il tremblait, chaque frisson communiquait la profondeur de sa peur directement à travers son corps et dans le sien.

Linéa savait que ce n’était pas un acte d’amour, mais même s’il ne la tenait que parce qu’il avait peur, cela la rendait quand même heureuse.

Il comptait sur elle.

Elle avait pu l’aider.

Yuuto avait toujours été un grand héros aux yeux de Linéa.

Le jeune homme qui tremblait dans ses bras en ce moment était loin d’être héroïque, peut-être, mais en tout cas, l’amour qu’elle ressentait pour lui était plus fort qu’il ne l’avait jamais été auparavant.

Tout ce qu’elle voulait, c’était qu’il se sente en sécurité. Ce seul désir remplissait son cœur, et elle s’était accrochée à lui fermement, ses mains s’agrippant à l’arrière de ses épaules.

Elle ne savait pas combien de temps ils étaient restés comme ça, mais finalement, le corps de Yuuto avait cessé de trembler.

Au lieu de cela, elle avait senti quelque chose d’autre, quelque chose de dur qui se pressait contre elle près de son ventre.

C’est…

Linéa avait rapidement compris ce que c’était, et elle pouvait sentir la chaleur de son visage rougissant.

Son corps était déjà bien échauffé par le bain, et l’effet combiné lui avait donné le vertige.

« Euhh, je, euh, je vais bien maintenant. Tu peux me lâcher », avait dit Yuuto, qui semblait assez mal à l’aise.

« N-Non, c’est… bon. Ça ne me dérange pas. » Linéa avait l’impression que son visage allait s’enflammer, mais elle avait réussi à sortir les mots.

« Non, en tant que mec, si je reste comme ça avec toi, je ne peux pas vraiment contrôler, quoi, hum… »

« Je dis que ça ne me dérange pas. » Linéa était plus forte cette fois.

« Non, écoute, je ne peux pas… »

« Grande sœur Mitsuki m’a donné sa permission d’être avec toi. Donc si tu es prêt à m’aimer, même un peu, alors s’il te plaît… ! » Sa voix tremblait, mais elle avait mis tout ce qui lui restait dans cette déclaration.

Si elle était rejetée maintenant, elle savait que cela la dévasterait et qu’elle pourrait ne pas s’en remettre avant un certain temps.

Cependant, elle ne pouvait pas laisser passer ce moment sans le lui dire, et sans lui faire part de ses sentiments.

Il y eut un court silence entre eux, puis Yuuto mit doucement ses bras autour de ses épaules, et la poussa hors de lui.

Il semblait que c’était sa réponse.

« Tu ne me vois pas comme autre chose qu’une petite sœur, n’est-ce pas ? Tu ne me vois pas comme une femme avec qui tu pourrais avoir envie de faire l’amour, n’est-ce pas ? » Linéa sentait la chaleur derrière ses yeux, et les larmes commençaient à couler sur son visage.

Elle ne pouvait pas s’empêcher de demander, même si elle savait que ces questions étaient injustes pour Yuuto.

« … Bien sûr que oui, » dit Yuuto, presque en colère, et il plongea son regard dans celui de Linéa. « Mais je ne pourrai pas te donner mon amour pour toi toute seule. Je ne pourrai pas t’épouser. Es-tu toujours d’accord avec ça ? »

« … Hein ? »

Linéa avait cligné plusieurs fois des yeux, confuse. Elle s’attendait à ce que ce soit un rejet.

Il lui avait fallu un moment pour assimiler les mots de Yuuto, mais dès qu’elle en avait compris le sens, elle avait crié : « Oui ! Oui, c’est bon, tout va bien ! »

Elle hocha vigoureusement la tête, encore et encore. Yuuto venait d’accepter son amour, et la dernière chose qu’elle voulait était que son court délai lui fasse penser qu’elle avait hésité à accepter ses conditions.

« Tu sais que tu es techniquement de la noblesse, n’est-ce pas, “Princesse” ? Le patriarche du Clan de la Corne, et la fille par naissance du précédent ? Es-tu sérieusement d’accord pour te contenter de cela ? »

« Ça ne me dérange pas du tout. Si je peux avoir ton amour, alors je me fiche de la forme qu’il prend ! Mais qu’en est-il de toi, Père ? Es-tu d’accord avec ça ? »

« Oui, je le suis. Il n’y a vraiment plus de raison de se retenir. Comme on dit, si vous mangez une bouchée de nourriture empoisonnée, vous pouvez aussi bien lécher l’assiette. »

« Qu’est-ce que ça veut dire ? J’espère que tu n’es pas en train de me traiter de poison ! » protesta Linéa.

Yuuto lui fait un sourire malicieux. « Heh heh, désolé, désolé. Tu as raison, il est impossible qu’une fille aussi mignonne que toi puisse être vénéneuse. »

Il s’était penché et avait rapproché son visage de celui de Linéa, qui avait fermé les yeux.

Elle savait que, quelles que soient les choses sombres qui les attendaient dans le futur, le bonheur pur qu’elle ressentait en ce moment était quelque chose qu’elle n’oublierait jamais.

+++

« Comment est-ce, Linéa ? Est-ce que ça te plaît ? » demanda Yuuto.

« Oui. C’est… c’est merveilleux, » répondit Linéa d’un ton haletant, et laissa échapper un soupir.

Elle pouvait sentir le souffle un peu rauque de Yuuto contre son oreille.

« Est-ce que ça fait mal ? »

« Non, je vais bien. Ça ne fait pas mal du tout. »

« Es-tu tendu ? Tu peux te détendre un peu plus. »

« D-D’accord. » Linéa hocha la tête, mais intérieurement, elle savait que c’était impossible.

Elle n’aurait jamais pensé que Yuuto lui ferait ce genre de chose… !

« Ok, je vais le mettre sur toi. »

« Vas-y ! »

D’un seul coup, un liquide chaud se déversa sur son dos.

« Merci. Je suis si honorée que tu me laves le dos comme ça, Père. »

« Eh bien, tu as lavé le mien il y a quelques minutes. C’est normal que je te rende la pareille. »

« Tu dis que c’est naturel, mais je n’ai jamais entendu parler d’une telle coutume. »

Pour ce qui est de la connaissance commune d’Yggdrasil, laver le dos d’une personne était quelque chose que l’on ne faisait que pour une personne d’un statut plus élevé que soi, jamais l’inverse. C’était la coutume que Linéa connaissait.

« Dans le monde d’où je viens, c’est ce qui est normal. Très bien alors, que dirais-tu d’aller te relaxer dans le bain une fois de plus ? Tu es plutôt épuisée, non ? »

« Ah, n-non, je vais bien. »

« Hm ? Qu’est-ce qui ne va pas ? As-tu la tête qui tourne d’être dans la chaleur depuis trop longtemps ? »

« Non, c’est, hum. Je ne pensais pas que ce serait bien pour moi de salir l’eau du bain avec du sang… »

« Oh… Je suis désolé, je n’ai pas réfléchi. » Yuuto avait frappé ses mains ensemble et avait incliné sa tête en signe d’excuse.

« Non, je suis désolée de t’avoir mis mal à l’aise… » Linéa s’interrompit et son regard se dirigea vers une certaine partie du bas du corps de Yuuto.

Il n’était pas du tout fatigué.

« Hum, ça veut-il dire que tu veux encore le faire ? »

« Oh ! Non, c’est juste, c’est arrivé tout seul pendant que je te lavais le dos… Je suis désolé, je n’ai pas assez de self-control. »

« U-Um, si c’est ma faute si tu es dans cet état, alors c’est ma responsabilité de m’en occuper, non ? »

« H-Hey, maintenant, tu as encore mal de la dernière fois, non ? Tu n’as pas à… »

« Je suis d’accord. Si tu es d’accord, je peux le faire autant de fois que tu le veux… »

« Hm. Ok, alors… »

« Je suis vraiment désolé de m’immiscer dans votre bain ! » Au moment où l’air entre les deux nouveaux amants redevenait doux, ils furent interrompus par un cri soudain et pressant.

« Qu’est-ce qu’il y a, Félicia !? » cria Yuuto.

« C’est un message urgent d’un de nos espions infiltrés dans le Clan de la Foudre, » répondit Félicia à bout de souffle.

« Le Clan de la Foudre ? Est-ce que leur armée est en train de bouger ? » demanda Yuuto, son visage redevenant celui d’un patriarche sévère et autoritaire.

Félicia avait été la première à organiser ce rendez-vous entre lui et Linéa. Si elle était prête à l’interrompre avec un message, c’est qu’il était de grande importance.

Linéa déglutit nerveusement elle aussi, appréhendant ce que cela pouvait être.

Actuellement, le Clan de la Foudre était au milieu d’une guerre avec le puissant Clan de la Flamme au sud. Peut-être que l’armée du Clan de la Flamme avait été vaincue, et que l’armée du Clan de la Foudre utilisait cet élan pour remonter vers le nord et envahir le Clan de l’Acier. Cela semblait peu plausible si l’on s’en tenait au bon sens militaire, mais avec les guerriers fous de guerres de ce clan, et en particulier l’homme qui les dirigeait, c’était tout à fait possible.

Cependant, les mots suivants de Félicia décrivaient quelque chose qui était encore plus complètement impossible que ce que Linéa avait imaginé.

« Steinþórr, patriarche du Clan de la Foudre, est tombé au combat. »

***

Chapitre 3 : Acte 3

Partie 1

« Bon sang, qu’est-ce qui se passe !? Cet idiot est mort !? »

Yuuto avait quitté le bain, s’était précipité directement à son bureau, et avait immédiatement envoyé chercher Kristina. Quand elle était arrivée, ce sont les premiers mots qui étaient sortis de sa bouche.

Même aujourd’hui, Yuuto n’appelait Steinþórr que par le terme de « cet idiot », mais il n’était que trop conscient de la force écrasante de cet homme.

Yuuto avait introduit des tactiques militaires bien au-delà de cette époque, comme les formations de phalanges équipées de longues lances, et la forteresse mobile faite de chariots reliés entre eux, connue sous le nom de Mur des chariots. Et pourtant, ce seul homme avait surmonté tout cela grâce à sa propre force physique. Il n’était pas exagéré de dire que la puissance de Steinþórr le plaçait hors des limites de ce qui pouvait être considéré comme humain. C’était un monstre, pur et simple.

Bien sûr, la guerre est imprévisible, et tout peut arriver sur le champ de bataille. Cependant, il était le genre d’homme qui pouvait être entouré de dix mille soldats et les abattre sans transpirer. Il était difficile de croire que quelqu’un comme lui ait pu mourir au combat.

« Le rapport indique qu’il y a huit jours, les armées du Clan de la Foudre et du Clan de la Flamme se sont affrontées à Fort Waganea, dans le sud du territoire du Clan de la Foudre, et que Steinþórr a été tué dans les combats. »

Kristina avait répondu d’un air détaché, ses yeux parcourant le rapport dans sa main.

« Il y a huit jours, hein ? » Yuuto se le murmura à lui-même.

Le Clan de l’Acier possédait des pigeons messagers, qu’il pouvait utiliser pour envoyer des informations beaucoup plus rapidement qu’à cheval, mais la préparation des oiseaux nécessitait un certain temps et des efforts, de sorte qu’ils n’étaient généralement utilisés que pour les messages urgents. La plupart de leurs communications étaient livrées par des messagers à cheval.

De plus, monter directement à cheval n’était pas aussi courant dans les autres pays, de sorte que le cavalier se faisait remarquer. Pour contrer cela, ils se déplaçaient à pied ou en chariot tiré par des chevaux lorsqu’ils se trouvaient en territoire ennemi, se déguisant en voyageurs ou en marchands ordinaires.

Considérant que l’incident avait eu lieu dans la partie sud du territoire du Clan de la Foudre, huit jours étaient à peu près le délai le plus rapide pour que cette information lui parvienne, mais elle n’était toujours pas fraîche, et c’était tout ce qui comptait quand il s’agissait d’informations.

Yuuto avait grandi habitué à l’instantanéité des téléphones portables, et il ne pouvait s’empêcher de penser que tout cela était beaucoup trop lent.

« Quelles sont les chances que ce soit un faux rapport ? » avait-il demandé.

La fuite délibérée de fausses informations afin de confondre l’ennemi était assez fréquente, tout comme la déformation involontaire d’une information en quelque chose de complètement fictif lorsqu’elle se propageait de personne en personne.

En fait, Steinþórr avait été considéré à tort comme mort pendant un certain temps après la première bataille de la rivière Élivágar, et lorsque Yuuto avait été renvoyé de force dans le Japon moderne, la rumeur s’était répandue que le Clan de la Panthère l’avait tué.

En particulier, il fallait considérer le fait que la présence ou l’absence du patriarche du Clan de la Foudre sur le champ de bataille faisait une énorme différence dans le degré de menace de son armée. La diffusion de la fausse information que Steinþórr était mort pouvait inciter le Clan du Feu à baisser sa garde et à avancer ses armées dans des positions vulnérables, permettant au patriarche supposé mort de tendre une embuscade et de mettre en déroute les forces imprudentes.

Il était assez raisonnable de penser que ce genre de stratégie pouvait être en jeu ici, même si cela allait à l’encontre de ses impressions sur Steinþórr, qui avait toujours préféré foncer tête baissée sur son ennemi. Si Yuuto agissait sur la base de fausses informations, il pourrait en payer le prix fort en pertes.

Être très prudent et méfiant ici était le meilleur plan d’action.

« À ce stade, nous ne pouvons bien sûr rien dire avec une certitude totale, » répondit Kristina. « Cependant, selon toute vraisemblance, il devrait être raisonnable de supposer que le rapport de sa mort ne soit pas erroné. »

« Sur la base de quoi ? »

« À l’heure actuelle, l’armée du Clan de la Flamme poursuit son invasion du territoire du Clan de la Foudre, et même les estimations les plus prudentes les chiffrent à pas moins de trente mille personnes. »

« Tr… Trente mille !? » Yuuto avait crié avec sauvagerie.

Bien sûr, le Clan de la Flamme était à la fois assez grand et assez puissant pour être compté parmi les dix grands clans du royaume, mais ce nombre allait bien au-delà de ce qu’il avait prévu.

Le nombre de personnes qu’une nation pouvait mobiliser dans une armée était généralement proportionnel à la productivité agricole de cette nation.

Le Clan de l’Acier disposait du système de rotation des cultures de Norfolk et d’engrais de bonne qualité, dépassant de loin toutes les nations environnantes en termes de productivité de chaque acre de leurs terres cultivables, et même avec tout cela, la plus grande armée qu’ils pouvaient maintenir en ce moment était d’un peu plus de vingt mille personnes.

Comment le Clan de la Flamme pouvait-il disposer d’un tel nombre de soldats en utilisant uniquement les techniques de cette ancienne époque ? Yuuto n’en avait pas la moindre idée.

« Es-tu sûre que ces chiffres ne sont pas inventés ? » demanda Yuuto.

La dynamique d’une bataille était largement déterminée par l’équilibre des effectifs et le moral des troupes. Annoncer des nombres exagérés de troupes pour encourager les alliés et semer le trouble chez les ennemis était une stratégie largement utilisée dans le monde entier.

Kristina, cependant, secoua la tête, son expression toujours sinistre. « Je crois qu’ils ne le sont pas. En fait, je dirais qu’il y a plus de chance que les vrais chiffres soient encore plus élevés. Ces estimations proviennent du Clan de la Foudre, et je ne vois guère de raison pour eux de les falsifier davantage. En plein milieu d’une invasion à grande échelle sur leur territoire, cela perturberait encore plus le moral de leurs propres soldats et risquerait de tenter leurs autres voisins de se joindre à l’attaque. »

« C’est vrai », déclara Yuuto.

Pendant ce temps, le Clan de la Foudre ne pouvait pas avoir plus de dix mille dans son armée, tout au plus.

Steinþórr était un berserker fou de guerres qui ne souhaitait rien d’autre que d’affronter des adversaires forts, mais il était aussi étonnamment doué pour prendre des décisions sur le terrain.

Il n’était pas question qu’il soit assez stupide pour risquer d’aggraver sa situation en invitant d’autres nations ennemies à l’attaquer maintenant.

« Ainsi donc, écrasé sous le poids de ce nombre impressionnant, je suppose que même cet idiot a finalement atteint les limites de sa force, hein ? »

« En fait, il semblerait que ce ne soit pas tout à fait le cas. »

« Excuse-moi ! Oh allez, ne me dis pas qu’il y a autre chose… »

La mort de Steinþórr au combat, et une armée de plus de trente mille hommes — Yuuto venait de recevoir deux révélations qui auraient normalement semblé impossibles.

Deux surprises font place à une troisième, comme le dit le dicton, mais Yuuto avait dépassé le stade de la surprise pour entrer dans celui de l’agacement.

… Ou c’est ce qu’il pensait, jusqu’à ce que les prochains mots de Kristina lui apportent le plus grand choc jusqu’à présent.

« Euh, les détails exacts sont rares pour le moment, mais… d’après les récits des soldats qui ont fui la bataille en question, il y a eu un bruit soudain et terrible provenant des rangs de la formation du Clan de la Flamme — puis Steinþórr et ses combattants de première ligne sont tombés au sol, giclant du sang par des blessures apparues soudainement. »

« Quoi ? »

« Les soldats ne semblaient pas non plus comprendre ce qui s’était passé. Ils ont prétendu qu’il devait s’agir d’une sorte de sorcellerie. Cependant, d’après leurs récits, les sons qu’ils décrivent semblent ressembler à ceux du tetsuhau… »

« C’est… Ce n’est pas possible… » Yuuto murmura, alors que son visage était devenu pâle.

Une possibilité avait immédiatement traversé son esprit, un terrible éclair de lucidité.

La main de Yuuto se porta à sa taille, et il dégaina l’arme qu’il portait désormais pour se défendre en cas d’urgence.

Dans un revirement ironique, Yuuto lui-même avait également conclu que c’était la seule arme capable d’abattre ce monstre à double rune.

 

 

« Qu’est-ce que c’est ? » demanda Kristina.

Avec une expression raide, Yuuto répondit : « Cela s’appelle un “pistolet”. »

Il s’agissait d’un Makarov PM : un pistolet semi-automatique de taille moyenne, adopté comme arme de poing standard de l’armée et de la police soviétiques en 1951.

Yuuto s’était souvenu de la peur qu’il avait eue lorsque son père Tetsuhito le lui avait remis sans ménagement : « Tiens, prends ça. »

Tetsuhito était un forgeron japonais professionnel, et apparemment sa clientèle comprenait quelques personnes issues des milieux les moins recommandables de la société, il avait donc utilisé ces relations pour obtenir l’arme.

« Utilise-le pour te protéger. »

Dans le passé, Yuuto avait toujours supposé que l’homme n’avait jamais eu la moindre pensée pour lui, mais la vérité était qu’il était même prêt à enfreindre la loi pour aider son fils. Il s’est avéré qu’il était en fait assez téméraire dans sa protection.

« C’est une arme à distance, » continua Yuuto en expliquant à Kristina. « Elle utilise de la poudre à canon, tout comme les bombes tetsuhau que nous avons utilisées contre les cavaliers du Clan de la Panthère. Lorsque la poudre s’enflamme, la force explosive est canalisée pour tirer une petite balle en métal, de la taille du bout de votre petit doigt, à une vitesse beaucoup plus élevée et sur une plus grande distance que les flèches. Les balles peuvent transpercer vos cibles. C’est une arme extrêmement meurtrière. »

« C’est… donc une arme bien difficile à affronter. » Kristina, d’habitude si froide et détachée, déglutissait maintenant nerveusement.

Dans une bataille entre armées, l’arme qui faisait le plus de morts et de blessés n’était pas la lance ou l’épée — c’était l’arc et les flèches.

Il existe une certaine expression utilisée dans le monde des arts martiaux japonais, ou plus précisément dans le kendo : la « règle de trois ». Elle fait référence à l’idée que pour qu’un artiste martial non armé puisse gagner contre un adversaire armé d’un sabre, le premier doit avoir trois fois plus de rangs de compétence que le second.

De la même manière, une personne armée d’une épée doit être trois fois plus habile qu’un adversaire armé d’une lance.

C’était une façon d’exprimer l’avantage que vous avez dans un combat si vous êtes capable d’attaquer votre adversaire hors de sa portée.

C’est en raison de ce principe que Yuuto avait consacré ses efforts, dès le début, au développement d’armes à distance plus puissantes pour son armée, comme les arcs composites et les arbalètes, afin de pouvoir attaquer ses ennemis de plus loin.

Il y avait aussi le problème des balles elles-mêmes. On pouvait répondre et réagir à des flèches normales dans une certaine mesure, en essayant de les esquiver ou de les bloquer. Avec un projectile beaucoup plus petit et se déplaçant beaucoup plus rapidement, cependant, ce serait une perspective difficile, voire infaisable.

On pourrait donc dire qu’il était naturel qu’au cours de l’histoire de l’humanité, le fusil ait supplanté et finalement éliminé l’arc comme arme de guerre.

Mais ce n’était que de l’histoire datant de 3000 ans dans le futur d’Yggdrasil. Ce sont des armes qui ne sont pas censées exister ici.

« Mais qu’est-ce que c’est que ce type ? » se demanda Yuuto à voix haute. « En fait, attends, je ne connais toujours pas son nom, maintenant que j’y pense. »

Auparavant, Yuuto avait reçu un message du patriarche du Clan de la Flamme marqué de son sceau, mais les lettres étaient illisibles, ressemblant à un tas de lignes ondulées.

Pourtant, c’était l’homme que Yuuto allait essayer de persuader de devenir son frère juré via le Serment du Calice. Ne pas connaître son nom était déjà un terrible oubli.

***

Partie 2

Bien sûr, ces derniers temps, il était complètement occupé par la coalition des nations ennemies environnantes et par le malheur qui attendait Yggdrasil dans un avenir proche, mais ce n’était pas une excuse pour l’ignorance.

Il avait soudainement réalisé à quel point Mitsuki et Félicia avaient eu raison de s’inquiéter pour lui — il avait clairement travaillé au-delà de ses limites.

« C’est Nobunaga. »

« Hein ? »

Au début, Yuuto n’avait pas compris ce que Kristina avait dit.

Après tout, c’était un mot qui n’appartenait pas à la langue d’Yggdrasil.

Un instant plus tard, Yuuto réalisa qu’elle venait de lui donner le nom du patriarche du Clan de la Flamme. Dans l’esprit de Yuuto, toutes les pièces disparates d’informations avaient commencé à se connecter, comme un puzzle qui s’assemblait.

« C’est… Je comprends maintenant. Alors c’est ça, » avait-il marmonné, les yeux écarquillés. « Félicia. Envoie un autre message à Ginnar, il devrait toujours être sur le territoire du Clan de la Flamme. Dis-lui de faire tout ce qu’il peut pour accélérer le processus de négociation du serment du calice de la fratrie avec le patriarche du clan de la Flamme. »

« D-D’accord ! » avait répondu Félicia.

« Je viens de découvrir que je dois faire tout ce qu’il faut pour le rencontrer en personne et avoir une discussion en tête-à-tête, » ajouta Yuuto, avec une nouvelle détermination.

Yuuto et Mitsuki étaient venus ici de l’ère moderne.

Dans ce cas, il ne serait pas étrange que d’autres personnes d’autres époques se soient retrouvées ici.

Il ne serait pas étrange, même, que l’une de ces personnes s’avère être un conquérant légendaire, le « Roi-Démon » de la période Sengoku du Japon, censé être mort dans un temple en feu, son corps avalé par les flammes.

Yuuto avait senti un filet de sueur froide couler dans son dos.

Compte tenu de la situation dans laquelle il se trouvait, c’était quelqu’un qu’il devait empêcher de devenir son ennemi, quoi qu’il arrive.

« Désolé de vous appeler tous ici si tard pour la deuxième nuit d’affilée, » commença Yuuto en jetant un coup d’œil aux personnes assises autour de la table.

Tout comme la veille, les sept patriarches du Clan de l’Acier s’étaient réunis pour cette réunion du conseil. Cependant, il y avait plus de personnes présentes cette fois-ci : plusieurs des enfants directement subordonnés de Yuuto comme Sigrún, Ingrid, et les jumelles du Clan de la Griffe. En somme, il s’agissait d’un rassemblement des membres importants du noyau dur du clan.

« Il y a peu de temps, j’ai appris une information choquante de la part de Kristina : le patriarche Steinþórr du Clan de la Foudre a été tué lors d’une bataille contre le Clan de la Flamme. »

Plusieurs personnes avaient crié « Quoi !? », et une vague d’agitation se répandit dans la pièce.

Il n’y avait pas une seule personne ici qui ne connaissait pas la force inhumaine de l’homme connu sous le nom de Dólgþrasir, le tigre assoiffé de combats de Vanaheimr.

Chacun d’entre eux avait été impliqué, d’une manière ou d’une autre, dans la bataille de Gashina au printemps de cette année. Ils se souvenaient encore de la façon dont Steinþórr avait été attiré dans un piège et complètement encerclé, pour s’en sortir grâce à un pur tour de force.

« On ne peut pas vous reprocher de trouver cette information plutôt choquante, » poursuit Yuuto. « Après tout, je n’arrivais pas non plus à y croire au début, mais apparemment c’est vrai. »

Cette fois, il y avait eu un concert de halètements, et la pièce était redevenue silencieuse.

Le Clan de la Flamme n’avait pas seulement vaincu l’armée de guerriers frénétiques du Dólgþrasir sur le champ de bataille, il avait même tué l’homme lui-même. À quel point pouvaient-ils être forts ?

Cette question, et la peur qui en découle avaient visité l’esprit de chaque personne présente.

« … Je souhaite demander : par quel moyen le Clan de la Flamme a-t-il abattu ce monstre ? » demanda une voix fraîche et digne.

La question était venue d’une belle fille aux cheveux argentés, dont l’apparence semblait mal adaptée à l’atmosphère oppressante de la réunion du conseil.

Sa silhouette fine et élégante la faisait paraître délicate et fragile au premier abord, mais cette fille — Sigrún — était la plus puissante guerrière du clan d’acier et un général accompli. Elle avait hérité du titre de Mánagarmr, qui signifie « le plus fort loup argenté », transmis au plus fort combattant de chaque génération par le détenteur précédent.

Elle avait affronté Steinþórr en combat mortel plusieurs fois maintenant, et donc elle comprenait sa force inhumaine à un niveau plus personnel, plus viscéral que peut-être n’importe qui d’autre ici.

Lors de sa dernière rencontre avec lui, elle avait même utilisé le royaume de la vitesse divine, une capacité qu’elle avait acquise lors d’un combat à mort contre un loup géant connu sous le nom de garmr. Cette technique de haut niveau forçait la vitesse de réaction de son esprit et les réflexes de son corps à leurs limites absolues pendant un court moment… et contre Steinþórr, tout ce qu’elle avait fait, c’était lui permettre de lui infliger une minuscule égratignure.

Peut-être était-ce une raison de plus pour laquelle elle posait sa question maintenant. Elle ne pouvait probablement pas imaginer une méthode par laquelle les soldats du Clan de la Flamme pourraient tuer Steinþórr.

« Les détails ne sont pas encore clairs, » dit Yuuto. « Cependant, si mon hypothèse est correcte, nous pouvons supposer que c’est dû à un nouveau type d’arme qui utilise la poudre à canon. »

« De la poudre à canon ? » demanda Sigrún, avec un froncement de sourcils perplexe. « Bien que je puisse imaginer que cela puisse le prendre par surprise, j’ai du mal à croire que cela suffise à le vaincre… »

À sa connaissance, la poudre à canon n’était utilisée que pour les pétards et les bombes légères comme le tetsuhau.

Utilisées contre la cavalerie armée du Clan de la Panthère, elles étaient en effet des armes effrayantes, mais elles étaient principalement utilisées pour semer la peur et la confusion chez l’ennemi et ses chevaux, plutôt que de tuer directement quelqu’un.

Elle ne savait pas qu’il existait une arme à poudre avec une capacité de tuer bien plus terrifiante.

« Eh bien, c’est toujours une conjecture. Je demande à Kristina de continuer à enquêter sur le sujet, alors attendez les résultats de cette enquête. »

« Oui, Père ! »

« D’ailleurs, le plus important pour l’instant n’est pas de savoir comment il a été tué, mais plutôt ce qui va se passer maintenant qu’il est mort. Sans lui, l’armée du Clan de la Foudre sera en ruine, rien de plus qu’une foule paniquée en armure légère. Leur pays est probablement aussi dans un chaos interne, ayant juste appris soudainement sa mort. »

Yuuto s’était arrêté un instant, jetant un coup d’œil à gauche et à droite pour croiser les regards des personnes réunies autour de la table.

« Et donc, j’ai pris ma décision. Nous commençons une campagne contre le Clan de la Foudre. »

« … ! » Une fois de plus, une onde de choc de halètements traversa la foule rassemblée.

Cependant, cette fois, leur tension ne provenait pas de la peur d’une menace, mais de l’excitation et de l’exaltation.

Comme décrit précédemment, pour les gens du Clan de l’Acier, le Clan de la Foudre était un ennemi détesté avec lequel ils avaient fait la guerre plusieurs fois maintenant.

Lors de la bataille de Gashina, la disparition soudaine de Yuuto avait conduit à leur défaite cuisante, et lors de la deuxième bataille de la rivière Élivágar, plus tard, le Clan de la Foudre s’était emparé de leur territoire à l’ouest de la rivière.

C’était l’occasion de se venger de ces humiliations, mieux que tout ce qu’ils auraient pu demander.

Quant à Yuuto lui-même, il était encore en train de sonder le patriarche du Clan de la Flamme pour une alliance potentielle en tant que frères jurés. Mais étant donné qu’ils étaient tous deux dirigeants de nations puissantes, et qu’ils se rencontreraient en personne pour prêter le serment du Calice si cela devait se faire, ce processus prendrait un temps considérable, ne serait-ce que pour déterminer la date et le lieu potentiels de la cérémonie.

Yuuto n’avait pas l’intention de passer ce temps à rester assis.

« Personnellement, je n’aime pas frapper un homme à terre, mais c’est une question d’honneur entre clans. Nous allons profiter de cette chance et les écraser, à fond. » Yuuto ponctua son geste en frappant son poing dans la paume de sa main, montrant ainsi clairement qu’il était déterminé à attaquer.

La plupart des personnes présentes dans la salle avaient acquiescé avec force, mais une voix s’était également fait entendre pour exprimer son doute.

« Comme nous sommes actuellement menacés de toutes parts en raison de l’ordre d’assujettissement impérial, ne serait-il pas dangereux de déplacer un grand nombre de nos troupes ? Il pourrait y avoir des clans qui choisiraient de profiter de cette ouverture pour nous frapper. »

C’est Douglas, patriarche du Clan du Frêne, qui avait timidement pris la parole.

Le Clan du Frêne détenait un territoire au centre des hautes terres de Bifröst, à la limite orientale de la sphère d’influence du Clan de l’Acier. Avant de rejoindre le Clan de l’Acier, il avait été menacé par d’autres nations de cette région, comme le Clan des Crocs et le Clan des Nuages.

En d’autres termes, lorsque cette campagne visant à subjuguer le Clan de la Foudre serait lancée, les forces militaires du Clan de l’Acier commenceraient à se concentrer à l’ouest, et en tant que les plus éloignés du Clan de la Foudre, le Clan du Frêne se retrouverait dans la position la plus dangereuse.

Les inquiétudes de Douglas étaient parfaitement compréhensibles, mais la réponse de Yuuto avait été de courber lentement ses lèvres en un sourire malicieux.

« C’est exactement ce que je vise. Je ne vais pas rester là à me demander quand nos ennemis vont décider de nous attaquer. Autant profiter de cette occasion pour les attirer, puis les réduire en miettes. » Yuuto avait déclaré cela avec désinvolture, comme si c’était une question simple.

« Hah hah hah, c’est exactement le genre de réponse que j’attendais de vous, mon père. Votre audace ne change jamais. »

« Heh. »

« Je vois, alors on va tous les écraser. J’ai hâte de tester mes compétences. »

Jörgen, Skáviðr, et Sigrún — les alliés de longue date de Yuuto depuis son passage au Clan du Loup — avaient tous rapidement répondu positivement, souriant même comme s’ils étaient rassurés par le caractère familier de la situation.

Douglas, quant à lui, n’était toujours pas convaincu. « M-Mais peut-on être sûr que ce sera aussi simple que cela… ? » demanda-t-il. « Si, par exemple, le Clan des Nuages et le Clan des Crocs décidaient d’envahir, il serait trop difficile pour le Clan du Frêne de leur tenir tête tout seul. Les renforts nous parviendraient-ils à temps ? »

Même si, comme l’avait promis Yuuto, ils réussissaient à écraser les forces ennemies qui les envahissaient, si cela n’arrivait qu’après que l’ennemi ait ravagé les terres du Clan du Frêne, on pouvait difficilement s’attendre à ce que Douglas le supporte.

Il essayait probablement d’obtenir l’assurance de Yuuto qu’il ne laisserait pas cela se produire.

« Vous n’aurez rien à craindre. Le régiment de cavalerie indépendant sera stationné dans la région. »

« Je vous demande pardon, monseigneur ? Je n’ai jamais entendu ce nom auparavant. »

« C’est logique, vu qu’ils n’ont été officiellement établis qu’il y a quelques jours. »

« … Je dois donc à nouveau exprimer mon inquiétude. S’il s’agit d’un régiment fraîchement formé de nouvelles recrues, je ne peux pas dire que je sois très rassuré. »

« Oh, non, ces gars sont des combattants d’élite, encore plus forts que les forces spéciales de Múspell. Après tout, ce sont les soldats du Clan de la Panthère que nous avons capturés comme prisonniers de guerre à la bataille de Körmt River. »

« Qu… !? » Les yeux de Douglas étaient devenus écarquillés en raison du choc.

L’extraordinaire habileté des cavaliers du Clan de la Panthère était, comme la force incroyable de Steinþórr, quelque chose de connu loin à la ronde dans tout le Clan de l’Acier.

***

Partie 3

« C-Certes, il est vrai qu’ils feraient un allié des plus fiables sur le champ de bataille, mais ils étaient jusqu’à récemment nos ennemis. Pouvons-nous être sûrs de pouvoir leur faire confiance ? »

« Tu n’as pas non plus à t’inquiéter, » dit Yuuto, en toute confiance. « Ils seront prêts à tout pour faire du bon travail pour nous, afin de conserver leur nouvelle vie et leur nouveau statut. »

Dans l’ère historique d’Yggdrasil, une coutume courante était de traiter les prisonniers capturés d’une nation ennemie comme de simples esclaves, et en temps de guerre, ils étaient forcés d’occuper les positions les plus dangereuses sur le front. Cependant, Yuuto les appréciait plutôt pour leurs compétences, et leur accordait un statut et un traitement en fonction de ce qu’ils pouvaient fournir.

Les combattants du Clan de la Panthère avaient évidemment ressenti une grande gratitude envers lui pour cela, à tel point qu’ils lui avaient demandé de leur donner toute opportunité de se battre pour lui et de faire leurs preuves.

Par sécurité, Yuuto avait demandé à Kristina d’utiliser son groupe d’espions sous couverture, les Vindálfs, pour faire un peu de recherche. Ils n’avaient entendu aucune opinion négative sur Yuuto — en fait, ils n’avaient entendu que de la gratitude et des éloges à son égard. Il n’y avait aucune raison de douter de leur loyauté.

« En plus de cela, » continua Yuuto, « les troupes que nous enverrons là-bas pour envahir ne seront qu’une fraction de nos effectifs habituels. Peut-être un tiers environ. Bien sûr, nous allons demander à tout le monde d’effectuer ses préparatifs de guerre et ses marches comme s’ils y allaient tous. »

« Je vois, donc en réalité, nous allons demander à la majorité des troupes de se préparer à bouger en réponse à une invasion étrangère. »

« C’est le plan. Y a-t-il encore autre chose qui t’inquiète ? »

« Non, monseigneur, vu que vous avez réfléchi aussi loin, je n’ai plus rien à dire. »

Douglas s’était incliné devant Yuuto et avait repris sa place.

On dirait que Yuuto avait finalement réussi à le faire adhérer à son plan.

« Très bien ! Nous fixons le début de l’opération à dix jours à partir de maintenant. Que chacun retourne sur ses terres respectives et termine ses préparatifs au plus vite ! »

« Oui, Seigneur Réginarque ! » Les participants avaient tous répondu d’une seule voix.

Et avec ça, le plan était officiellement en marche. La campagne pour subjuguer le Clan de la Foudre allait bientôt commencer.

« … C’est donc ce qui se passe. Je suis désolé ! Je vais finir par être absent pendant un certain temps encore. »

Yuuto avait joint ses mains devant lui et s’était incliné bas, les yeux fermés.

Yuuto, seigneur et dirigeant de sept clans, possédait une présence dominante qui lui permettait d’ordonner aux patriarches sous ses ordres d’exécuter ses ordres d’un simple geste. Dans tout le Clan de l’Acier, il n’y avait qu’une seule personne à qui Yuuto aurait fait de si humbles excuses.

« Je vois. » Pendant un bref instant, l’expression de Mitsuki était solitaire, mais l’instant d’après, elle acquiesçait et lui adressait un sourire. « … Ok, je comprends. Bonne chance ! »

Avoir une femme aussi raisonnable et compréhensive ne faisait que rendre Yuuto plus coupable d’avoir dû la quitter.

« Je suis vraiment désolé. Je sais que c’est un moment effrayant pour toi, juste au moment où tu dois probablement gérer l’anxiété de ta première grossesse… »

« C’est bon, Yuu-kun, je comprends. Félicia, prends soin de Yuu-kun, d’accord ? »

« Oui, bien sûr ! Je protégerai Grand Frère Yuuto, même si cela me coûte la vie. »

La réponse déterminée de Félicia était admirable, mais la réponse de Mitsuki avait été de froncer les sourcils dans une sorte de moue de colère.

« Je veux que Yuu-kun soit protégé, mais je préfère ne pas voir la sœur jurée que j’aime tant mourir. »

« Je n’ai pas non plus l’intention de mourir avant d’avoir la chance de tenir dans mes bras le nouvel enfant de Grand Frère et Grande Sœur. »

« Bien, parce que je veux aussi que tu puisses tenir mon bébé, Félicia. »

Mitsuki était apparemment satisfaite de la réponse de Félicia cette fois-ci.

L’atmosphère de la pièce était si harmonieuse en ce moment que la dernière chose que Yuuto voulait faire était de la gâcher, mais il y avait en fait une dernière chose qu’il devait lui dire.

« Aussi, eh bien, euh… Il s’avère que je vais aussi la prendre comme concubine. »

Avec une expression tendue et mal à l’aise, Yuuto avait tendu son bras vers Linéa, qui se tenait juste derrière lui. Il avait mis sa main sur le dos de Linéa et l’avait poussé en avant.

Honnêtement, il était bien plus nerveux à l’idée d’en parler à Mitsuki que de lui dire qu’il serait absent pour un moment.

Linéa s’était inclinée profondément devant Mitsuki. « Grande soeur Mitsuki, je me confie à vos soins ! »

Pendant ce temps, Mitsuki s’était penchée près de Yuuto, et fixait son visage intensément.

« Hmm… Eh bien, on dirait que tu as réussi à évacuer certaines choses de ton système. »

« Ah ! C’est, euh…, » Linéa avait l’air de se souvenir de quelque chose, et elle se mit à gigoter, son visage devenant rouge vif.

Yuuto avait aussi senti la chaleur de son propre visage rougir.

« Oh. Non, non, » dit Mitsuki. « Je ne voulais pas dire ça. Je voulais dire que ton visage n’a pas l’air aussi sombre qu’avant, Yuu-kun. »

« … Étais-je vraiment si mal en point ? »

« Oh, tu étais bien sombre. Comme ceci. » Mitsuki avait froncé son visage en une grimace.

Apparemment, c’était son imitation de Yuuto.

C’était sûrement une forte exagération, mais cela avait quand même donné à Yuuto une raison de réfléchir. Il avait essayé pendant tout ce temps de faire comme si tout était parfaitement normal quand il était avec elle.

Il semblerait que Yuuto ait encore beaucoup de chemin à parcourir pour faire bonne figure. Mitsuki était enceinte après tout, et il ne voulait pas lui causer de stress inutile…

« Et voilà, tu essayes encore de garder ton stress et tes soucis pour toi tout seul. » Le doigt pointé de Mitsuki avait touché Yuuto entre les deux yeux, en s’enfonçant. « Si tu continues comme ça, tu vas finir comme Uesugi Kagekatsu, tu sais. »

« Hein ? Attends, tu parles du fils adoptif de Uesugi Kenshin, le Dieu de la Guerre, non ? Il a hérité de la lignée familiale, et il a finalement été nommé par le gouvernement Toyotomi pour faire partie… du Conseil des Cinq Anciens, je crois ? »

« C’est vrai. Il était le fils d’une si grande célébrité, quelqu’un dont tout le monde disait qu’il était le plus fort et le plus extraordinaire, et la pression de devoir suivre ces traces faisait qu’il était toujours stressé et renfrogné, même devant ses serviteurs. » Mitsuki avait retiré son doigt du front de Yuuto et l’avait levé, parlant maintenant comme si elle récitait à haute voix un livre de référence. « On dit que les rides sur son front sont restées ainsi jusqu’au jour de sa mort. »

« Hein, vraiment ? » Yuuto avait regardé Mitsuki avec admiration. « Tu sais, je suis surpris que tu aies appris quelque chose comme ça. »

Yuuto avait utilisé Internet pour étudier l’histoire de la période Sengoku, mais c’était quelque chose dont il n’avait jamais entendu parler.

« Je l’ai lu dans un manga ! »

« Quoi ? C’était tiré d’un manga !? »

« Une fois que j’ai décidé de venir ici avec toi, j’ai lu tous les mangas relatifs à Sengoku que j’ai pu trouver. »

Mitsuki avait donné à Yuuto un clin d’œil ludique.

Blague à part, ce genre d’études était probablement une des raisons pour lesquelles elle était une si bonne épouse. Bien sûr, Yuuto pensait que son caractère intérieur avait le plus à voir avec cela.

« Bref, oui, le fait est que j’étais inquiète que tu finisses de la même façon, Yuu-kun. C’est pourquoi je suis contente que tu aie l’air mieux. Merci, Linéa. »

« Oh, non, c’est uniquement grâce à vos efforts et à ceux de tante Félicia. En tant que plus jeune sœur jurée, je n’aurai pas la prétention de me mettre au-dessus de ma place. J’ai bien l’intention de toujours vous traiter toutes les deux avec l’honneur et le respect que vous méritez. »

« U-Uh, c’est un peu trop rigide et formel. Tu peux juste te détendre et te détendre avec moi, tu sais. »

« P-Pardon. Je suis comme ça, c’est tout. Même mes enfants subordonnés me disent que je prends les choses trop au sérieux. »

« Cependant, cette partie de vous me rappelle un peu le grand frère Yuuto, » dit Félicia avec un sourire.

« Oh, tu as raison, c’est vrai ! » Mitsuki avait ajouté son grain de sel.

« Vraiment ? » demanda Linéa timidement, apparemment heureuse d’entendre cela.

La conversation s’était développée à partir de là, et les trois filles avaient pris plaisir à parler entre elles pendant un certain temps.

Yuuto avait été plus ou moins laissé à l’écart. Cependant, ce n’était pas une sensation désagréable pour lui de les écouter parler.

Leur discussion était si vivante et pleine d’énergie, si heureuse et pleine de couleurs. Rien que de les écouter, son cœur se sentait plus léger.

Yuuto avait commencé à se détendre dans cette atmosphère chaleureuse, mais juste au moment où il avait senti qu’il commençait à s’endormir, Mitsuki s’était soudainement tournée vers lui.

« Tu sais Yuu-kun, tu es vraiment un gars chanceux, assis ici entouré de trois belles jeunes filles comme nous. »

Il n’était pas sûr qu’elle devait utiliser effrontément l’étiquette de « belle jeune fille » pour elle-même, mais ce n’est pas comme si elle avait tort, non plus.

Pour Yuuto, cependant, plus important que leur apparence, c’était le fait qu’elles l’acceptaient tel qu’il était, avec ses défauts. Il avait des gens qui le soutenaient, qui le comprenaient.

Plus que tout autre chose, c’était ce dont il était reconnaissant. C’est ce qui le rendait heureux.

Il avait presque abandonné l’idée d’en avoir un jour, allant même jusqu’à se dire qu’un cœur solitaire était le destin d’un souverain.

Yuuto hocha lentement la tête, un flot d’émotions s’accumulant en lui.

« Oui, tu as raison. Je suis vraiment un gars chanceux. »

« Wow… Je me le demande vraiment maintenant. Peut-être que je vais m’enflammer spontanément ou quelque chose comme ça… »

Dans un état de rêve et de détente, Yuuto avait murmuré ces mots à personne en particulier.

Lorsque les gens connaissent trop de bonheur, ils craignaient qu’un terrible malheur ne s’ensuive, comme s’il s’agissait d’une sorte d’équilibre cosmique de la balance. Telle est la nature humaine.

Bien que sa remarque sur le fait de s’enflammer ne soit qu’une plaisanterie, Yuuto se demandait sérieusement si le fait de s’adonner à ce genre de choses ne lui vaudrait pas un couteau dans le dos.

« Ne dis pas des choses comme ça, » gronda la voix de Mitsuki au-dessus de lui.

Mitsuki était occupée à nettoyer l’oreille de Yuuto tandis qu’il reposait sa tête sur ses genoux comme un oreiller.

« Grand Frère, tu travailles toujours si dur pour le bien de tous les autres. Je crois que tu mérites tout cela. Maintenant, dis “aaah”. »

Félicia avait apporté une cuillère de quelque chose de rouge dans la bouche de Yuuto.

« Hm… » Yuuto avait ouvert sa bouche et l’avait laissé se faire nourrir à la cuillère. Alors qu’il mâchait, une saveur aigre distincte s’était répandue dans sa bouche. « Hein, c’est donc à ça que ressemble le goût de la grenade. »

Il avait envie de l’essayer pour lui-même depuis que c’était devenu l’un des aliments préférés de Mitsuki.

C’était vraiment très acide, mais délicieux aussi.

***

Partie 4

« Hngh ! Hngh ! Comme ça, Père ? » appela Linéa en s’efforçant.

« Aahh, oui, c’est bien, juste comme ça. »

Lorsque Yuuto avait senti ses doigts s’appuyer sur les muscles du bas de son dos, il avait répondu par un soupir de plaisir.

« Mais es-tu sûre que c’est bon pour moi de te faire faire ça ? Tu es toujours techniquement un patriarche de clan. »

« C’est bon ! Je voulais faire quelque chose pour que tu te sentes bien, toi aussi, Père… Et je me serais sentie exclue si j’avais été la seule à ne pas avoir quelque chose à faire. Et puis, c’est une expérience toute nouvelle pour moi, alors je trouve ça agréable. »

Linéa, élevée comme la fille noble d’un patriarche, n’avait apparemment pas d’expérience pour procurer du plaisir à quelqu’un d’autre de manière aussi personnelle.

Lorsque les deux autres filles avaient commencé à dorloter Yuuto, elle était restée là, désorientée, ne sachant pas quoi faire, ressemblant à un petit animal effrayé — ce qui, en y repensant maintenant, était adorable à sa façon.

« Ok, cette oreille est faite. Yuu-kun, retourne-toi. »

« Mhm. »

Yuuto s’était couché sur son autre côté, et Félicia et Linéa s’étaient précipitées sur le côté opposé du lit.

Il se sentait un peu comme un roi.

Bien sûr, en réalité, il était quelque chose d’assez proche d’un roi en ce moment.

« Franchement, je pense que je comprends totalement maintenant pourquoi certains rois sont tombés complètement dans la débauche et ont commencé à ignorer la politique. »

C’était dangereux. Il devait garder ce genre de choses avec modération ! Mais à ce fort sentiment de danger s’ajoutait le murmure de la tentation, que c’était bien de laisser les choses aller juste pour aujourd’hui. Yuuto s’abandonnait définitivement à cette dernière.

« Ne t’inquiète pas, Yuu-kun. Si jamais tu fais ça, je te botterai le cul si fort que tu sortiras de cette pièce en volant. »

« Tee-hee, dans ce cas, je prendrai le relais après cela, et je te tirerai par le bras jusqu’à ce que nous atteignions ton bureau. »

« Alors je vais, hum, hum… Je t’aiderai dans ton travail ! Nous ferons de notre mieux ensemble ! »

« Entendre ça me rend tellement heureux que je crois que je vais pleurer. »

Yuuto ne pouvait que laisser échapper un petit rire en coin à la pensée des promesses complémentaires des trois filles.

Il semblerait qu’il n’allait pas pouvoir laisser sa nation tomber en ruine de sitôt.

Ces filles étaient vraiment trop bien pour lui.

« Père, je t’ai amené Hveðrungr. »

Il était un peu plus de midi le jour suivant, et Yuuto profitait d’un court repos dans son jardin préféré après le déjeuner, lorsque la voix de Sigrún l’appela sur son ton militaire habituel.

Yuuto ouvrit les yeux et, bien sûr, il était là. Le prisonnier masqué se tenait devant lui, maintenu en place par les soldats de Múspell qui le flanquaient des deux côtés.

Bien sûr, Yuuto était celui qui avait ordonné qu’on l’amène ici.

Yuuto s’était adressé aux soldats en premier. « Bon travail. Oh, et vous pouvez partir maintenant, sauf Rún. Laissez-le ici et retournez à vos occupations. »

« Quoi ? Mais, monseigneur…, » commença l’un des soldats. Ils avaient tous l’air perplexe et préoccupé par cette situation.

On pourrait dire que cette réponse était tout à fait naturelle. En ce moment, Hveðrungr n’était lié par aucune corde. Si les soldats le lâchaient, il serait complètement libre.

Cependant, Yuuto leur avait fait un signe dédaigneux de la main. « L’homme n’est pas armé, et Rún est là. Tout ira bien. »

« Oui, Monseigneur ! » Obéissant à son ordre, les soldats saluèrent rapidement, tournèrent les talons et partirent.

Hveðrungr avait attendu que les soldats soient hors de vue avant de parler.

« Je vois que tu profites de la vie au sommet, Yuuto. Tu sembles à l’aise pour faire la sieste avec les genoux de ma petite sœur comme oreiller personnel, alors ne te lève pas pour moi. » Sa voix était froide, et il avait jeté un regard furieux à Yuuto.

Les lèvres de Yuuto s’étaient retroussées en un rictus. Sans bouger, il leva les yeux vers Hveðrungr et répondit : « Malgré tout, tu es toujours aussi mou quand il s’agit de Félicia, n’est-ce pas ? »

Hveðrungr était le type d’homme qui ne s’intéressait jamais qu’à lui-même, mais Félicia était la seule exception, la seule autre personne envers laquelle il montrait un quelconque attachement.

En homme perspicace qu’il était, il aurait sûrement compris que le fait qu’il n’ait pas été exécuté signifiait que son identité de Loptr était toujours gardée secrète.

S’il révélait ce secret, cela mettrait en péril la position de Félicia au sein du Clan de l’Acier. Pour éviter cela, il avait attendu que les soldats soient partis avant de s’adresser à Yuuto de manière aussi familière.

Hveðrungr avait haussé les épaules. « Je n’ai aucune idée de ce dont tu parles. Alors, tu m’as fait venir ici juste pour voir une démonstration de votre intimité à tous les deux ? »

« Oh, non, mais j’espérais peut-être que le fait de voir à quel point nous nous entendons bien pourrait te mettre un peu à l’aise, vu que tu es sa famille et tout, » répondit Yuuto avec désinvolture.

Mais ce raisonnement n’était qu’une excuse. C’était un geste calculé : en commençant avec un message fort et clair que Félicia était de son côté, cela pouvait aider à accélérer la négociation qui suivait.

« Hmph, quelle petite astuce transparente ! Alors, as-tu prévu d’utiliser Félicia pour essayer de me faire faire quelque chose ? »

Hveðrungr l’avait vu sans effort.

Cependant, cela aussi avait été pris en compte dans les calculs de Yuuto.

Voilà à quel point cet homme était talentueux — et c’était exactement la raison pour laquelle Yuuto l’avait fait venir.

« Assieds-toi, et parlons-en. » Yuuto s’était levé, et les deux hommes avaient pris place l’un en face de l’autre.

Yuuto avait fixé les yeux de Hveðrungr pendant un moment, puis avait pris une longue et profonde inspiration avant de commencer les choses.

« Alors, je sais que ça n’a pas l’air convaincant venant de quelqu’un qui faisait juste une sieste, mais je suis un gars occupé, alors je vais gagner du temps et aller droit au but. Serais-tu prêt à prêter à nouveau le Serment du Calice avec moi ? Pas en tant que Loptr, mais en tant que Hveðrungr. »

« Quoi !? » La première réponse fut un cri de surprise, mais cela ne venait pas de Hveðrungr. C’était Sigrún, qui se tenait juste à côté de Hveðrungr, la main sur l’épée à sa taille, l’observant sans laisser sa garde vaciller une seule seconde.

Yuuto réalisa qu’il avait probablement oublié de lui dire autre chose que son ordre de lui amener Hveðrungr dans le jardin.

Hveðrungr lui-même, par contraste, semblait complètement calme.

« Eh bien, je m’attendais à ce que tu aies quelque chose comme ça en tête, mais je dois me demander si tu n’as pas perdu la tête. J’ai essayé de te tuer, tu sais ? »

« O-Oui, c’est vrai, Père ! » s’écria Sigrún. « Il est trop dangereux ! »

« Non seulement cela, mais en tentant de le faire, j’ai tué ton père juré. Je devrais être l’objet de ta vengeance. »

« Absolument vrai ! Et de plus, même en tant que Hveðrungr, c’est un terrible criminel de guerre qui a mis le feu à ses propres terres, infligeant des souffrances à ses propres sujets innocents ! »

« En fait, je trouve beaucoup plus surprenant que je n’aie pas été exécuté après tout cela, et c’est moi qui le dis. »

« Oui, c’est exactement comme il le dit ! Père, lui offrir ton Calice ne devrait pas être une question de temps ! »

À chaque déclaration de Hveðrungr, Sigrún donnait son accord indéfectible.

Il était clair qu’elle était tout à fait sérieuse, et qu’elle parlait par souci réel de la sécurité de Yuuto, mais…

« Pfft. »

Yuuto n’avait pas pu s’empêcher de rire un peu à cette scène.

« Il n’y a pas de quoi rire, Père ! »

« Oui, si c’est une blague, c’est certainement de mauvais goût. »

Alors que Sigrún faisait une rare démonstration de colère ouverte, Hveðrungr croisa les bras à côté d’elle et fit mine d’acquiescer solennellement.

Il s’amusait clairement avec elle, profitant de sa personnalité totalement sérieuse et honnête.

Il la connaissait depuis qu’ils étaient tous deux enfants, et il semblerait aussi connaître toutes les façons les plus faciles de la taquiner.

« … Grand Frère, j’ai bien peur de devoir dire que je suis également opposée à cela. Cet homme ne montre pas le moindre signe de repentance pour ses actions. »

Félicia n’avait pas esquissé un sourire pendant le va-et-vient entre Sigrún et Hveðrungr, et elle arborait une expression de grave préoccupation.

Félicia avait rarement pris la parole pour exprimer un désaccord aussi ferme et clair avec Yuuto sur quoi que ce soit.

Elle avait connu sa propre part de souffrance à cause des nombreux crimes de son frère. Elle ne pouvait s’empêcher de penser à ce qui se passerait s’il avait la possibilité de les commettre à nouveau.

Yuuto comprenait ces sentiments, mais il ne pouvait pas non plus se permettre de reculer devant cette situation.

« Je te l’ai dit hier, c’est exactement pour ça que j’ai besoin de lui. C’est parce qu’il est si impudique, le genre de personne qui ne regrette jamais l’immoralité de ses propres choix. »

Les personnes proches de Yuuto avaient toutes leurs propres bizarreries, mais la plupart d’entre eux étaient des gens bien.

Skáviðr en est un bon exemple. Par son rôle d’exécuteur public de la loi, y compris l’application des peines capitales, Skáviðr avait assumé le fardeau des nécessités les plus sombres et les plus laides du travail de Yuuto. Afin d’accomplir l’objectif de protéger les citoyens les plus faibles dans le cadre de lois équitables, il avait volontairement joué son rôle de personnage sinistre et détesté. En réalité, Skáviðr était un homme d’une grande bonté, bien qu’un peu disgracieux socialement.

Personnellement, Yuuto appréciait les bonnes personnes dont il s’entourait, et appréciait leur compagnie. Mais en tant que dirigeant d’une nation puissante, il y avait quelque chose qui lui manquait avec seulement des gens comme ça.

« Hélas, ce morveux n’est pas capable de faire des projets avec moi. »

Cette célèbre citation historique chinoise avait été attribuée à Fan Zeng, le vieux stratège et conseiller de Xiang Yu de Chu. Il aurait fait cette remarque en déplorant la tendance de son maître à toujours céder au sentimentalisme au détriment de la logique.

Yuuto avait maintenant l’impression de comprendre les sentiments derrière ces mots.

Jusqu’à présent, grâce à l’introduction d’armes et de tactiques qui dépassaient de loin les normes de cette époque, Yuuto avait pu utiliser la puissance de cette supériorité pour forcer la victoire dans toutes ses batailles. Cependant, à partir de maintenant, ils allaient se battre dans des conditions encore plus dures qu’auparavant.

Comme l’avait écrit Sun Tzu, « Toute guerre est basée sur la tromperie. »

Afin d’être victorieux dans les conflits à venir, Yuuto avait besoin de stratégies rusées et sournoises qui ruineraient ses ennemis — il avait besoin de l’esprit de quelqu’un comme Hveðrungr.

« Il se trouve que je viens d’avoir ma cérémonie de mariage, et ma nouvelle femme est enceinte, donc c’est aussi plus facile de faire des pardons, » avait continué Yuuto.

Une très ancienne tradition consistait à alléger les peines ou à accorder des grâces aux prisonniers lorsqu’un souverain ou une personne de haut rang était heureux.

On pourrait dire que c’était le moment idéal pour libérer Hveðrungr de son emprisonnement.

« Pourtant, nous ne pouvons pas savoir quand il pourrait à nouveau nous trahir…, » commença Félicia.

Yuuto lui avait coupé la parole. « Ce serait trop dommage de perdre l’occasion d’utiliser quelqu’un d’aussi talentueux pour une petite raison comme celle-là. »

Yuuto avait balayé les vraies raisons de l’inquiétude de Félicia comme « une petite raison comme ça », comme si c’était une chose minuscule.

Félicia et Sigrún étaient restées bouche bée, la bouche grande ouverte.

Yuuto n’était cependant pas hyperbolique. Il voulait vraiment dire que ce n’était pas un gros problème.

Il était impossible de savoir combien de temps il leur restait avant qu’Yggdrasil ne sombre dans l’océan, et pourtant ils étaient désespérément entourés d’ennemis de tous les côtés.

Rien ne devrait être interdit, pas même de travailler avec l’homme détesté qui a tué mon père juré. Comment pouvons-nous nous permettre de mener cette guerre sans profiter de toutes les ressources disponibles ? C’est ce que ressentait vraiment Yuuto en ce moment.

Un bon exemple de cette position pouvait être trouvé dans l’histoire de la période Sengoku avec le célèbre Oda Nobunaga lui-même. Shibata Katsuie et Matsunaga Hisahide étaient deux généraux qui avaient changé de camp et combattu contre Nobunaga, mais ils étaient aussi très talentueux. Nobunaga leur avait pardonné sur cette base et les avait autorisés à revenir dans ses rangs.

***

Partie 5

Yuuto lui-même n’en était pas conscient, mais c’était exactement le genre de qualité qui convenait à un grand souverain.

Cela dit, les deux filles n’étaient toujours pas convaincues.

« Certes, même moi je dois admettre que cet homme a de grands talents, mais je dirais que c’est exactement pour cela qu’il est si dangereux, » dit Sigrún. Il était rare qu’elle soit aussi insistante.

« Si jamais il essaie de nous trahir à nouveau, tu pourras l’abattre là où il se trouve, » affirma Yuuto, d’une voix basse et glaciale.

En vérité, le fait de ne pas vouloir tuer l’homme qui était autrefois son frère juré faisait toujours partie des sentiments de Yuuto. Cependant, si le moment était venu et que cela s’avérait nécessaire, il avait l’intention d’aller jusqu’au bout — et même de couper lui-même la tête de l’homme si cela était nécessaire.

D’ordinaire, Yuuto était une personne douce et sincère, mais lorsque la situation l’exigeait, il n’avait aucun problème à se détacher de ses propres sentiments et à faire ce qui devait être fait.

« Un homme sage change d’avis, mais un fou ne le fait jamais. » C’était une façon de plus pour Yuuto de posséder la nature d’un vrai roi.

Félicia et Sigrún restèrent silencieuses, leur souffle coupé par la force de l’esprit de Yuuto, mais Hveðrungr gloussa, semblant s’amuser.

 

 

« Heh heh, connaissant la petite chose naïve que tu étais il y a seulement trois ans, c’est vraiment comme si je regardais une personne entièrement différente. »

Son courage et sa capacité à résister à cette pression étaient certainement ce que l’on pouvait attendre du cerveau qui avait pris le contrôle du Clan de la Panthère et l’avait élevé au rang de nation puissante capable d’envahir de grands clans en moins d’un an.

« Je n’aurais jamais été prêt à servir sous le toi de l’époque, pour rien au monde, mais comme tu es maintenant, je ne suis pas contre d’envisager de prendre ton Calice. »

« Quelle insolence ! Comme si vous alliez recevoir une meilleure offre ! »

« Vraiment. Il y a plus de gens qui souhaitent avoir l’honneur de recevoir le Calice de Grand Frère qu’il n’y a d’étoiles dans le ciel ! »

Félicia et Sigrún s’étaient immédiatement emparées de la réponse prétentieuse de Hveðrungr.

Elles étaient toutes les deux zélées quand il s’agissait de leur croyance en Yuuto, elles n’avaient pas pu se retenir de protester contre l’offense.

Yuuto lui-même, cependant, était une autre histoire. Il frappa une main contre sa cuisse et sourit joyeusement.

« Très bien, donc tu acceptes ! C’est une grande aide. »

Il était le genre d’individu qui ne se souciait pas du tout de savoir si les gens lui parlaient avec humilité ou respect. C’est pourquoi il ignorait si facilement les éclats de langage grossiers d’Ingrid, ou les remarques et l’attitude délibérément tranchantes de Kristina.

« Tu prends de l’avance. Tu ne m’as toujours pas donné de détails sur ce nouveau serment du Calice, tu sais. »

« Hm ? Oh, oui, c’est vrai. Eh bien, je ne peux évidemment pas faire de toi un enfant subordonné. Ce sera un serment entre frères et soeurs. Après tout, officiellement parlant, tu as déjà renoncé à la position de patriarche du Clan de la Panthère à Skáviðr et tu t’es retiré de cette famille. »

« Oui, je suppose que je ne pouvais pas m’attendre à être autorisé à revenir dans la lignée principale de la famille, » avait convenu Hveðrungr, avec un sourire sardonique.

Sous le système clanique d’Yggdrasil, chaque clan était structuré à l’image d’une famille, les serments prêtés sur le Calice formant les relations de pouvoir dans cette famille.

En tant que centre de cette famille de clan, le patriarche et ses subordonnés enfants directs étaient le centre du pouvoir pour la gouvernance du clan.

Les frères et sœurs jurés du patriarche recevaient l’honneur et le respect qui leur étaient dus en tant qu’« oncles et tantes » des enfants subordonnés, mais ils étaient de la « famille dérivée », ne faisant pas partie de la lignée familiale principale au cœur du clan. Ils étaient éloignés de toute participation aux politiques ou aux affaires du clan.

Un frère ou une sœur assermenté(e) ne pouvait pas avancer son rang au sein de la famille principale, c’était donc une carrière sans issue.

« Ce n’est peut-être pas le meilleur remplacement, mais j’ai préparé un poste pour toi en tant que commandant de notre régiment de cavalerie indépendant. »

Sigrún sursauta. « Père, je pense que tu lui donnes beaucoup trop de pouvoir ! » dit-elle en élevant la voix. « Nous devrions au moins attendre et voir si nous pouvons vraiment lui faire confiance avant… »

Yuuto secoua la tête, refusant d’entendre ses protestations une fois de plus. « Quand une personne prend le pouvoir, c’est là que ses vrais désirs remontent à la surface. Si nous essayons de le tester sans lui donner de pouvoir, nous ne saurons jamais rien de sûr. »

Au cours des deux dernières années, Yuuto n’avait que trop vu comment le pouvoir et l’autorité changeaient les gens.

Il savait maintenant qu’essayer de juger les gens avant ce changement ne l’aiderait pas à prendre les bonnes décisions.

Il était plus facile et plus rapide de donner du pouvoir à quelqu’un et de regarder ce qu’il en faisait.

« De plus, » poursuit Yuuto, « le régiment de cavalerie indépendante est destiné à agir comme une force militaire totalement détachée. Les diriger nécessite des capacités de décision exceptionnelles, pour pouvoir s’adapter aux conditions changeantes et aux nouvelles informations. Il n’y a personne de mieux placé pour ce rôle que ce type. »

« Hm, à en juger par le nom de ce groupe, je suppose qu’ils sont composés des cavaliers du Clan de la Panthère faits prisonniers lors de la bataille de la rivière Körmt », songea Hveðrungr.

Il avait déjà déduit l’identité de leur base de soldats. Sa perception était aussi impressionnante que prévu.

« C’est exact. Nous avons aussi ceux qui se sont rendus et ont accepté de se soumettre au Clan de l’Acier à la fin de notre campagne contre vous. Cela représente environ trois mille hommes en tout. »

« Ohoh. » Derrière son masque de fer, les yeux de Hveðrungr s’étaient rétrécis.

Quand il s’agissait d’habileté au combat, les cavaliers du Clan de la Panthère étaient les meilleurs des meilleurs. Ils étaient peut-être les plus habiles combattants de tout Yggdrasil.

Si le commandement de leur régiment était confié à Hveðrungr, qui était déjà habitué à les mener au combat, ils pourraient surclasser une force de dix mille fantassins normaux.

Une force de dix mille soldats était égale à la puissance militaire de l’un des dix grands clans.

Donner une position aussi puissante à un ancien commandant ennemi, et qui avait entretenu une vendetta personnelle contre Yuuto pendant si longtemps semblait être une rupture de la logique saine.

Cependant, Yuuto ne s’était pas contenté d’accorder ce pouvoir à Hveðrungr sans réfléchir.

Hveðrungr avait autrefois été le chef d’une armée de plus de dix mille cavaliers aussi armés, avait forgé une alliance avec le Clan de la Foudre, avait profité de l’absence de Yuuto pour pousser le Clan du Loup et ses alliés au bord de la destruction — puis avait été complètement vaincu par Yuuto sans aucun effort apparent.

Ce souvenir était sûrement gravé dans son esprit.

Le calcul de Yuuto était que l’homme n’était pas assez fou pour qu’une simple troupe de trois mille cavaliers le tente en essayant quelque chose d’étrange.

« Très bien. De toute façon, je commençais à me lasser de l’autoréflexion dans cette cellule de la tour. Je vais accepter l’offre. »

« Super ! J’ai déjà préparé le calice. Félicia. »

« … Oui. » Pour une fois, la réponse de Félicia avait été légèrement retardée.

Avec un langage corporel qui montrait clairement qu’elle ne le faisait qu’à contrecœur, Félicia était allée chercher le Calice et l’avait placé devant Yuuto et Hveðrungr.

« J’aimerais que tu n’aies pas l’air si contrariée par tout cela, Félicia, » dit Hveðrungr, avec un sourire amer.

« Je m’en fiche. » Félicia avait tourné sa tête et détourné le regard.

Yuuto avait rigolé. « Ne le traite pas trop cruellement, Félicia. Techniquement, il va être ton petit frère juré maintenant. »

« … ! » Les yeux de Félicia s’étaient agrandis. Apparemment, elle ne s’en était pas rendu compte jusqu’à maintenant.

La façon dont les serments du Calice fonctionnaient était que, traditionnellement, la première personne à échanger le serment du Calice avec quelqu’un en tant que jeune frère ou enfant assermenté était « plus âgée » que ceux qui venaient ensuite.

Même sans tenir compte de cela, Félicia occupait le poste de chef des subordonnés, ce qui signifie qu’elle était chargée de gérer tous les subordonnés de la jeune fratrie de Yuuto.

« Dans ce cas, je serai aussi froide et autoritaire avec lui qu’il est humainement possible, » déclara Félicia avec une expression glaciale sur le visage.

« Haha, je dois dire que j’ai du mal à t’imaginer agir de la sorte, Félicia, » répondit Yuuto.

« Qu’est-ce que c’est ? » demanda Hveðrungr avec un sourire en coin. « Tu joues toujours l’innocente avec lui ? »

« Frère ! »

« Wôw, ça, c’est effrayant. » Hveðrungr avait fait mine de frissonner de manière assez exagérée.

C’est ainsi qu’au bout de deux ans, le serment du Calice fut à nouveau échangé entre les deux hommes, et ils devinrent à nouveau frères jurés.

« Père, j’ai préparé les documents déclarant l’ordre de procéder à des plantations consécutives. Si je pouvais vous demander d’apposer votre sceau, s’il vous plaît. »

« Seigneur Réginarque, concernant la question du district ouest de Gimlé… »

« Yuuto, il y a quelque chose que je ne comprends pas vraiment dans le design des voiles, peux-tu vérifier certaines choses pour moi ? »

Ce qui attendait Yuuto après le renouvellement de son ancienne relation était une montagne de travail.

Les choses s’accumulaient, principalement des demandes pour qu’il prenne des décisions avant de partir en guerre avec l’armée du clan de l’acier et de devenir indisponible.

En l’absence de Yuuto dans la capitale, il transmettrait toute l’autorité concernant ces tâches à son second, Linéa, mais il était peut-être normal que tout le monde souhaite que les décisions viennent de Yuuto lui-même et non de son représentant.

Yuuto s’assurait d’écouter attentivement les personnes qui venaient lui faire des rapports ou lui adresser des pétitions, et il rendait ses décisions les unes après les autres. Cependant, quel que soit le nombre de questions qu’il abordait, le nombre de personnes cherchant à obtenir une audience semblait sans fin.

Il était assez tard dans la nuit quand le dernier d’entre eux était parti.

« C’est enfin terminé — ! » Yuuto avait crié son triomphe en levant ses mains en l’air.

« Je suis terriblement désolée, Grand Frère, » dit Félicia. « Il y a encore des messages non lus. »

« Gah, il en reste encore, hein ? » Yuuto se laissa tomber sur son bureau.

Apprendre qu’il y avait encore du travail à faire alors qu’il pensait que c’était terminé était le sentiment le plus épuisant.

« Le premier est… Oh, c’est de la part de Ginnar, que nous avons en tant qu’envoyé du Clan de la Flamme. »

« Ah ! » À la mention de ce nom, Yuuto se redressa en sursaut. « Dépêche-toi de le lire ! »

Pour l’instant, obtenir une rencontre personnelle avec le patriarche du Clan de la Flamme était la plus grande préoccupation de Yuuto.

Il n’avait bien sûr pas l’intention de minimiser l’importance de son affrontement imminent avec le Clan de la Foudre ou de baisser sa garde, mais pour Yuuto, il ne s’agissait pas vraiment d’une guerre pour régler un compte avec un adversaire égal, mais plutôt pour supprimer et contrôler un adversaire plus faible.

Le fait est qu’avec Steinþórr parti maintenant, Yuuto ne se sentait pas vraiment menacé par le Clan de la Foudre.

D’autres parts, non seulement la véritable identité du patriarche du Clan de la Flamme le préoccupait, mais il y avait aussi le fait que les résultats de leur rencontre et de leur dialogue détenaient la clé pour briser l’alliance des clans ennemis et leur stratégie d’encerclement.

Chaque jour semblait une éternité à attendre une réponse du Clan de la Flamme.

« Informez mon grand-père, le Seigneur Réginarque Yuuto du Clan de l’Acier. Je suis Ginnar, officier exécutif du Clan du Loup. » Félicia commença à lire le message, en commençant par l’introduction formelle.

Ginnar était à l’origine un marchand qui avait voyagé dans un grand nombre de pays à travers la largeur d’Yggdrasil, et Yuuto l’avait invité à rejoindre le Clan du Loup en reconnaissance de ses compétences exceptionnelles en matière de commerce.

***

Partie 6

Actuellement, Yuuto utilisait au maximum les techniques de persuasion et les talents d’orateur de Ginnar qu’il avait acquis au cours de ses longues années d’expérience dans la vente, en l’envoyant comme envoyé diplomatique dans la capitale du Clan de la Flamme, Blíkjanda-Böl. Yuuto l’avait chargé d’ouvrir des négociations en vue d’établir une alliance entre leurs nations et d’échanger le serment du Calice de Frère entre le patriarche du Clan de la Flamme et Yuuto.

« » Tout d’abord, félicitations pour votre mariage. En tant que votre petit-fils juré, je souhaite vous exprimer ma profonde joie, ainsi que mes meilleurs vœux de bonheur et de bonne fortune pour vous et votre épouse pour les nombreuses années à venir. J’ai joint à ce message une belle émeraude que j’ai trouvée dans cette région. Je vous prie de l’accepter, afin que vous puissiez l’offrir en cadeau à Dame Mitsuki." ... Ah, la voilà. »

Félicia avait sorti un petit sac de tissu de l’emballage, et lorsqu’elle l’avait retourné, une pierre précieuse d’un vert profond en était sortie et s’était retrouvée dans sa paume.

« Oh, mon dieu, c’est assez gros, » remarqua Félicia, les yeux écarquillés. En tant que femme, elle ne manquait évidemment pas d’affinité pour les belles pierres précieuses.

« C’est ce que j’attendais d’un ancien marchand, il a vraiment du tact. Mais j’aimerais qu’il se dépêche et qu’il passe directement aux choses importantes. »

« S’il te plaît, ne dis pas ça, Grand Frère. Tu devrais t’assurer de donner ce cadeau à Grande Soeur Mitsuki. Je suis certaine qu’elle l’aimera. »

« Oui, oui, j’ai compris, mais là, j’ai besoin que tu continues à lire. »

« Bien sûr. Maintenant, Seigneur Réginarque, je vais faire mon rapport sur la tâche que vous m’avez confiée concernant l’alliance du Calice de Frères avec le patriarche du Clan de la Flamme. Actuellement, le patriarche du Clan de la Flamme commande personnellement son armée sur le terrain, et comme on ne sait pas encore quand il reviendra à la capitale, il s’est avéré très difficile de déterminer des dates potentielles. »

« Hah, donc je suppose que l’émeraude était probablement sa façon d’essayer de compenser cela, » dit Yuuto avec un sourire en coin. Il jeta et attrapa la pierre précieuse dans sa main et la fit rouler dans sa paume pendant qu’il écoutait la lecture du message.

Normalement, Yuuto n’aimait pas vraiment ce genre de geste qui ressemble à un pot-de-vin.

Ginnar était aussi un bon juge des personnes, il devait donc être au courant de ce fait.

Ainsi, au lieu d’offrir directement l’émeraude à Yuuto, il avait misé sur sa connaissance de Yuuto en tant que mari dévoué à sa femme bien-aimée, et l’avait présentée comme un cadeau que Yuuto pourrait lui offrir.

Il avait vraiment du tact.

« 'Grand-père, cela me peine beaucoup de faire attendre ainsi quelqu’un d’aussi grand et honorable que vous, mais les négociations sont prometteuses. Le patriarche du Clan de la Flamme a exprimé un grand intérêt pour vous et semblait ouvert à l’idée de prêter le serment du Calice de Frères. Nous espérons avoir bientôt de bonnes nouvelles. » Eh bien, maintenant ! » Félicia avait l’air ravie alors qu’elle finissait enfin de réciter le message.

« Cependant, il ne faut pas trop en attendre. Ce texte a été écrit avant que l’ordre d’assujettissement impérial contre le clan de l’acier ne soit publié, tu t’en souviens ? »

Les messages envoyés dans les deux sens avec le Clan de la Flamme devaient passer par le territoire du Clan de la Foudre.

L’ordre d’assujettissement avait été émis il y a quatre jours. De plus, cette région était toujours en proie à un conflit actif, les messagers devaient donc faire attention aux routes qu’ils empruntaient. Yuuto n’avait pas encore confirmé la date d’envoi, mais il était clair qu’il aurait fallu l’envoyer encore plus tôt.

« C’est tout de même une bonne nouvelle, sans aucun doute. »

« Oui. À en juger par ce message, le patriarche du Clan de la Flamme semble prêt à accepter l’offre de devenir ton frère juré. »

« Ouais. Il ne reste plus qu’à prier pour que l’ordre d’assujettissement ne l’ait pas fait changer d’avis à ce sujet. »

« Erm, cela me rappelle une question que je souhaite poser. Penses-tu que notre invasion du Clan de la Foudre pourrait nuire à l’opinion du Clan de la Flamme à notre égard ? »

« Hm ? … Oh, je vois. Tu dois parler de cette histoire de “tout ce que vous avez à faire, c’est de les occuper, pas besoin de s’engager” ? » Pendant un moment, Yuuto n’avait pas compris sa question, mais il s’était vite rappelé à quoi elle faisait référence.

Juste avant que le Clan de la Flamme ne lance son invasion du Clan de la Foudre, il avait envoyé au Clan de l’Acier un message demandant de l’aide. Il disait en substance : « Pas besoin de les affronter. Les occuper est suffisant. »

Félicia demandait si cela signifiait que l’invasion du Clan de l’Acier irait à l’encontre des souhaits du Clan de la Flamme.

« Je suis bien sûr conscient que le Clan de l’Acier est déjà une grande puissance régionale, assez forte pour conquérir ses voisins immédiats, et nous n’avons aucune obligation d’adhérer aux demandes de quelqu’un d’un clan étranger, avec lequel tu n’as pas échangé le Serment du Calice… Cependant, c’est aussi quelqu’un qui, d’une certaine manière, a tué Steinþórr si facilement, et cela me trouble… Je crois que nous devrions faire de notre mieux pour ne pas l’agiter. »

« Hmm, eh bien, je comprends ton point de vue. Dans nos circonstances, faire d’une nation aussi puissante notre ennemi signifierait vraiment la fin du Clan de l’acier. »

« Oui… »

« Je n’ai certainement pas l’intention de provoquer qui que ce soit. Je fais cela parce que j’ai un plan. »

« Si c’est le cas, alors je comprends. »

« Bon, il faudra quand même voir comment ça se passe une fois que les choses auront commencé. » Avec un petit rire en coin, Yuuto baissa les épaules.

Même lui devait admettre que c’était une véritable stratégie de funambule.

Mais, il devait croire au choix qu’il avait fait.

Le dé avait déjà été jeté.

Être pressé au-dessus d’eux.

+++

« Je vois, il semblerait donc que le Clan de l’Acier prévoit de commencer une campagne contre le Clan de la Foudre. »

Le patriarche du Clan de l’Épée, Fagrahvél, avait murmuré ces mots pour lui-même en jetant un coup d’œil au message qu’il tenait dans sa main.

C’était un jour après que Yuuto ait fait sa proclamation de ladite campagne à son conseil de patriarches.

De plus, l’information à ce sujet n’avait pas encore été rendue publique sur les terres du Clan de l’Acier, bien que Fagrahvél n’ait aucun moyen de le savoir.

Pour le monde d’Yggdrasil, où les messages étaient encore le plus souvent transportés à pied, cette information lui était parvenue à une vitesse grotesque.

« Plus de renseignements par le biais de cet imbécile, mon seigneur ? Quelle sorte d’yeux et d’oreilles possède-t-il pour découvrir de telles choses ? C’est tellement bizarre…, »

Erna, l’aide de confiance de Fagrahvél, avait parlé avec un dégoût ouvert dans la voix.

Le grand prêtre impérial Hárbarth, que l’on surnommait « l’idiot », parvenait à obtenir des informations de tous les coins du royaume tout en restant lui-même dans la capitale impériale de Glaðsheimr. Il obtenait des informations de lieux très éloignés avant que les gens sur place ne parviennent à le faire.

C’est pourquoi les gens le craignaient sous le nom de Skilfingr, le Guetteur d’en haut.

Il avait également appris la mort de Steinþórr bien avant tout le monde. Le temps que cette même information soit captée par le réseau de renseignements du Clan de l’Epée et remonte jusqu’au sommet, dix jours entiers s’étaient écoulés.

Erna était loin d’être simplement surprise par ces développements, ils lui donnaient froid dans le dos.

« Euh, peut-être que nous ne devrions pas dire quelque chose d’irréfléchi, tu sais ? Il pourrait écouter. »

Cette voix trop détendue véhiculant une idée dérangeante appartenait à Bára.

Comme Erna, elle faisait partie des Demoiselles des Vagues, un groupe de neuf Einherjars appartenant au Clan de l’Épée. L’aisance de Bára, sa façon de parler enjouée, cachait un esprit vraiment rusé et plein de ressources, ce qui lui valut d’être considérée comme l’une des compagnes les plus fiables de Fagrahvél.

« Oups ! » Erna s’était rapidement couverte la bouche de ses deux mains et avait jeté un regard nerveux autour d’elle.

Elle ne voyait personne d’autre qu’eux trois.

Même en utilisant ses sens aiguisés d’Einherjar, elle ne pouvait pas sentir la présence de quelqu’un.

Mais elle ne sentait toujours pas qu’elle pouvait baisser sa garde. C’était à quel point ce vieil homme était effrayant.

« Bref, oublions ce vieil homme pendant une minute, d’accord ? C’est notre allié pour le moment. » Bára avait fait une pause, puis avait ajouté : « … Même si c’est seulement pour le moment. » Ses mots étaient teintés de venin.

Dans les coulisses, Fagrahvél et Hárbarth avaient été enfermés dans une lutte politique continue pour déterminer les droits de tutelle de l’impératrice divine, Sigrdrífa.

Et la lutte avait été âpre, en effet, surtout face à l’avantage écrasant offert par les informations acquises par Hárbarth.

Il serait tout à fait impossible de leur dire de ne pas avoir d’inimitié personnelle envers cet homme.

« En effet, » dit Fagrahvél en hochant la tête. « Pour l’instant, nous nous concentrons sur le Clan de l’Acier. » Il avait tourné son regard vers une carte montée sur le mur.

C’était ironique : pour tracer sa victoire sur le Clan de l’Acier, il utilisait une carte faite de la substance connue sous le nom de « papier », produite et vendue par le Clan de l’Acier.

« Même si un ordre d’assujettissement impérial a été lancé contre lui, il ne fait preuve d’aucune retenue, hein ? Dès qu’il a su que le Tigre Assoiffé de Combat était mort, il s’est mis à tuer. Je suppose que même s’il change de nom, un loup reste un loup, n’est-ce pas ? »

« De ce que j’ai vu de lui, il ne m’a cependant pas vraiment semblé être quelqu’un qui était désireux de faire la guerre. Au contraire, il était très, eh bien, “inoffensif” n’est pas vraiment le mot. Je dirais plutôt qu’il avait des manières douces. »

« Je pense cependant qu’il est préférable de juger sur les actes plutôt que sur les apparences. Le Clan du Loup était un minuscule clan contre les montagnes de Bifröst, sur le point de disparaître, et maintenant, deux ans plus tard, ils ont plus de puissance militaire que nous, non ? »

« Vous avez raison sur ce point. Sa Majesté a émis l’ordre d’assujettissement, après tout, donc je suis sûre que depuis le début, il prévoyait juste de l’utiliser pour ses propres fins néfastes. Il a failli me duper complètement, moi aussi. » Erna grince des dents de frustration.

Erna connaissait déjà sa part de personnes qui s’approchaient avec des sourires amicaux, derrière lesquels ils cachaient des plans calculateurs et vicieux — cela incluait maintenant la fille en face d’elle.

Ce genre de personne avait une odeur de menteur qu’elle n’avait pas ressentie chez Yuuto, mais c’était quelqu’un d’assez fort pour faire de son clan une nation puissante en l’espace de quelques années seulement. Cela signifiait simplement qu’il devait être plus compétent qu’elle.

Au fur et à mesure qu’Erna repensait à ses souvenirs de lui, elle était de plus en plus irritée à l’idée de le voir.

« Mon seigneur ! L’occasion parfaite pour les attaquer est maintenant, alors qu’ils sont occupés à envahir leur voisin. Montrons-leur notre puissance, et écrasons-les d’un seul coup ! »

« Erna, tu sais, ton point fort c’est que tu es si sérieuse et honnête, mais pourrais-tu utiliser un peu plus ta tête, s’il te plaît ? »

« On dirait que tu es vraiment en train de m’insulter ! Ce n’est pas parce que tu es l’aînée de la fratrie assermentée que tu as le droit de dire tout et n’importe quoi sur moi… »

« Je dirais qu’il y a 9 chances sur 1 pour que ce soit juste un appât. »

« Huh !? » Les yeux d’Erna s’écarquillèrent comme des soucoupes, et elle regarda tour à tour Bára et Fagrahvél.

Fagrahvél avait répondu avec un sourire en coin et un gloussement. « Oui, très probablement. C’est un homme dont le peuple le vénère comme le second avènement d’un dieu de la guerre. Je ne peux pas imaginer qu’il soit assez irréfléchi pour se précipiter à déplacer ses troupes et à s’exposer juste après qu’un ordre d’assujettissement impérial ait été émis contre lui. Il a mis en place quelque chose et attend. Je dirais qu’il fait ce mouvement de troupes afin de débusquer ses ennemis et de les attirer dans une position vulnérable. »

« Je pense qu’il compte aussi sur le fait qu’il sera facile de comprendre que c’est un appât. Il y aura des ennemis qui seront prudents et se retiendront, et d’autres qui penseront que c’est une bonne occasion de s’en prendre à lui. Comme ça, il peut faire réagir ses ennemis de différentes manières et tout mélanger, tu vois ? »

« Cela semble correct. Il est vraiment rusé. » Fagrahvél avait fait un signe de tête lourd et sérieux, en croisant les bras.

« Alors, devrions-nous nous abstenir d’attaquer pour le moment ? » demanda Erna nerveusement. Elle était la seule des trois à ne pas suivre le rythme de la conversation.

 

 

« Non, c’est pour cela que nous allons attaquer maintenant, » dit fermement Fagrahvél.

Bára avait hoché la tête en signe d’accord. « D’accord ? Je pense aussi que c’est la bonne décision. S’il essaie de faire en sorte que nous, ses ennemis, agissions différemment les uns des autres et que nous nous mélangions, alors tu pourrais inverser les choses. Il ne veut pas que nous fassions tous la même chose. »

« En effet. Et l’art de la guerre consiste à faire exactement ce que votre ennemi souhaite le moins que vous fassiez. L’ordre d’assujettissement à leur encontre n’a été émis que récemment. Ils ont peut-être déjà commencé à se préparer à nous contrer, mais ils ne devraient pas avoir préparé quoi que ce soit de significatif pour le moment. Dans ce cas, nous devrions attaquer dès maintenant, avec toutes nos forces disponibles, sans leur laisser le temps de récupérer et de se préparer. Nous devrions les éliminer d’un seul coup ! »

Fagrahvél avait écrasé son poing dans la paume de son autre main.

En fait, l’analyse de Fagrahvél et Bára avait révélé l’intention derrière les mouvements de troupes de Yuuto. Elle les avait amenés à prendre la décision la plus défavorable pour Yuuto, parmi toutes les possibilités qu’il avait prédites.

Dans les jours qui avaient précédé l’arrivée de Yuuto à Yggdrasil, les plus puissants chefs militaires du royaume avaient été résumés par la phrase suivante : « Le Tigre assoiffé de combat chasse à l’ouest, le Beau Roi tient conseil à l’est. » Et ce n’était pas une phrase creuse : la réputation de Fagrahvél comme l’un des deux plus grands commandants militaires du royaume avait été prouvée à maintes reprises.

Cependant, lui et son assistant avaient encore fait une erreur cruciale dans leur analyse, à savoir que tout cela faisait également partie de ce que Yuuto avait prédit.

La période Sengoku avait fourni les exemples de l’édit impérial contre Oda Nobunaga et de la stratégie d’encerclement de Nobunaga. L’étude de cette histoire, et du déroulement des événements à cette époque, avait fait une énorme différence.

Bien sûr, cette connaissance et cette prévoyance ne changeaient rien au fait que cette situation était très certainement indésirable pour lui.

Le rideau menaçait de se lever sur une grande guerre qui engloberait tout Yggdrasil, une guerre peut-être digne du nom de Ragnarok.

***

Chapitre 4 : Acte 4

Partie 1

La capitale du clan de l’Acier, Gimlé, était une ville animée, pleine d’énergie et de vie. En tant que base de pouvoir de Suoh-Yuuto, le grand héros-roi qui a mené sa nation de victoire en victoire, elle était florissante.

Les commerçants fréquentaient la ville à la recherche de verrerie, de papier et de pain sans caillou, et les habitants des territoires voisins affluaient dans la ville à la recherche d’un emploi.

La population de la région connaissait une croissance explosive, mais la loi et l’ordre restaient bien en place. La loi était appliquée à tous de la même manière, et les contrevenants étaient capturés et punis avec toute la célérité requise. Grâce à la sécurité publique ainsi préservée, les habitants de la ville marchaient dans les rues avec des yeux pleins d’espoir et des sourires éclatants.

Cependant, ce jour-là, une atmosphère lourde régnait dans les rues. La cause en était la foule de dix mille soldats rassemblés sur la place devant le deuxième hörgr de la ville, dédié à la déesse Angrboða. En armure et lances en main, ils attendaient, prêts à partir à tout moment.

Ce n’était pas seulement à Gimlé. Dans la capitale du Clan de la Corne, Fólkvangr, une force d’invasion distincte de six mille hommes était rassemblée et prête.

Seize mille soldats avaient au total été mobilisés, les chiffres annoncés officiellement faisant état d’une force de vingt-cinq mille hommes. Cela rendait cette armée combinée encore plus grande que celle utilisée par le Clan de l’Acier pendant sa campagne pour soumettre le Clan de la Panthère.

« Même avec ça, on ne mobilise pas encore toutes nos forces possibles, » murmura Yuuto pour lui-même. « Le Clan de l’Acier a pris de l’ampleur. » Il avait regardé ses troupes de là où il se tenait sur la plateforme de l’autel, devant le hörgr.

La campagne contre le Clan de la Panthère avait entraîné de lourds coûts financiers pour le Clan de l’Acier, mais elle avait également permis un gain énorme dans leur capacité à mobiliser un plus grand nombre de soldats.

Avec cette différence de nombre, on pourrait croire qu’ils envoyaient toutes leurs troupes pour envahir le Clan de la Foudre.

« Grâce à ça, on dirait que notre appât va nous apporter beaucoup de poissons. »

Yuuto avait déjà reçu un message de Kristina : « Le Clan de l’Épée se déplace pour mobiliser l’armée. »

Lorsque la Þjóðann Sigrdrífa avait quitté la capitale impériale et entrepris son voyage secret, les deux Einherjars qui l’avaient accompagnée étaient du Clan de l’Épée.

Compte tenu de ce lien, il était parfaitement naturel que le Clan de l’Épée soit le premier à répondre à un ordre d’assujettissement émis directement par la Þjóðann elle-même.

En dehors d’eux, il y avait également des mouvements suspects dans le Clan du Sabot, le Clan de la Panthère du Nord, le Clan des Nuages et le Clan des Crocs. Il semblerait que les choses progressaient exactement comme Yuuto l’avait craint au départ, et que ces clans avaient tous formé une alliance en secret avant que l’ordre d’assujettissement ne soit émis.

« C’est exactement comme tu l’avais prévu, Grand Frère. Tu es aussi incroyable que d’habitude. »

« Cependant, j’espérais avoir tort, » dit Yuuto, et laissa échapper un petit rire amer.

Il avait espéré qu’en choisissant délibérément ce moment précoce pour déplacer ses troupes, il déclencherait la suspicion chez ses ennemis et les rendrait moins susceptibles de travailler en tandem. Il semblerait cependant que ses espoirs ne se soient pas concrétisés.

Cette guerre allait être difficile.

Yuuto laissa échapper un long bâillement. « Eh bien… c’est certainement ennuyeux de n’avoir rien d’autre à faire que de rester assis. »

Il était assis à l’intérieur d’une tente de pavillon installée dans son quartier général temporaire.

La force principale du Clan de l’Acier avait traversé la rivière Élivágar et envahi le territoire du Clan de la Foudre. Ils étaient actuellement positionnés autour d’un des principaux bastions défensifs de l’ennemi, le Fort Dái.

La forteresse était occupée par environ deux mille soldats, qui avaient immédiatement adopté une position défensive totale. Il semblerait qu’ils avaient l’intention de résister à la capture avec tout ce qu’ils avaient.

L’offensive s’était rapidement installée dans une impasse qui durait maintenant depuis trois jours.

En ce qui concerne la guerre de siège, trois jours, c’était encore très tôt dans le jeu, mais même ainsi, devoir rester assis à attendre aussi longtemps laissait une personne avec un sentiment d’ennui considérable.

Bien sûr, il y avait l’arme secrète de Yuuto, le trébuchet. Il pouvait l’utiliser pour créer des ouvertures dans les murs, puis demander à ses hommes de forcer l’entrée et de capturer l’endroit.

Cependant, le trébuchet devait être construit sur place, ce qui nécessitait d’abord de se procurer les matériaux nécessaires, comme du bois lourd. Cela coûterait beaucoup de travail et de temps supplémentaires ici. De plus, forcer une bataille en mêlée avec l’ennemi dans la forteresse infligerait naturellement un certain nombre de pertes à ses troupes.

Dans L’art de la guerre, Sun Tzu écrit : « La victoire remportée par la bataille est un exemple de mauvaise stratégie. La victoire remportée sans bataille est un exemple de bonne stratégie ». Les armées de Yuuto avaient encore une longue et dure guerre devant elles, et il ne voulait pas perdre de bons hommes ici.

Il avait donc opté pour la norme en matière de guerre de siège offensive : encercler la forteresse ennemie pour l’isoler et demander sa reddition.

« Avec une telle différence dans la taille de nos forces, j’aurais pensé qu’ils se seraient déjà rendus, » murmura Yuuto, secouant la tête en signe de déception.

Le moral de l’ennemi était encore élevé. Il semblerait qu’il faudrait un certain temps pour les pousser à envisager de se rendre.

« En effet, ils sont assez résistants. C’est étonnant, si l’on considère qu’ils ne peuvent compter sur aucun renfort. » À côté de Yuuto, Félicia inclina la tête d’un air perplexe.

Selon les rapports de Kristina, après que Steinþórr ait été tué dans la bataille près de Fort Waganea, son commandant en second Röskva avait pris le manteau comme le prochain patriarche du Clan de la Foudre. Röskva avait déclaré que le Clan de la Foudre menait maintenant une guerre de vengeance, en l’honneur de leur patriarche tué, et cela avait un peu remonté le moral — mais pas assez pour surmonter leur désavantage militaire.

Le Clan de la Flamme avait déjà poussé jusqu’à la zone située juste à l’extérieur de la capitale du Clan de la Foudre, Bilskírnir, et le Clan de la Foudre mettait tout ce qu’il avait pour tenir la ligne là-bas. Ils n’étaient pas en mesure d’envoyer des soldats jusqu’à l’extrémité orientale de leur territoire.

Traditionnellement, le verrouillage complet pendant une défense de siège était une stratégie fondée sur l’hypothèse que des renforts alliés viendraient briser le siège. Félicia avait dû trouver déroutant que les soldats de la forteresse choisissent ici la résistance alors qu’ils ne pouvaient pas s’attendre à une telle aide.

« Ça veut dire qu’ils comptent sur des renforts, » dit Yuuto. « Ce n’est qu’une supposition, mais cela pourrait être la preuve que le Clan de la Foudre a déjà établi son alliance secrète avec les autres clans, et que l’encerclement du Clan de l’Acier est déjà pleinement engagé. »

« Je vois. Alors, ils pensent que s’ils peuvent tenir assez longtemps, nous serons finalement obligés de retirer nos forces chez nous. »

« Oui. » Avec une grimace amère, Yuuto acquiesça.

C’était une situation plutôt frustrante. Il ne pouvait pas se permettre de perdre du temps ici.

« Et ce n’est pas non plus comme si je pouvais les briser en chantant des chansons. »

« Hein… En chantant des chansons ? » Félicia avait répété les mots de Yuuto, incertaine de leur signification.

Yuuto laissa échapper un petit rire ironique. « Oh, c’est une histoire de mon monde. Il y a eu un incident où une armée a encerclé un ennemi qui se tenait sur la défensive, et pour le désorienter, elle a commencé à chanter les chansons de la patrie de l’ennemi. »

« Pourquoi choisiraient-ils de chanter les chansons de la patrie ennemie ? » demanda Félicia. « Cela ne renforcerait-il pas plutôt le moral de l’ennemi ? »

« Pas du tout, en l’occurrence. Les soldats ennemis étaient coupés du monde et perdaient la guerre, vois-tu. Ils ont été trompés en soupçonnant que leur nation était peut-être déjà tombée, de sorte que même les soldats de leur patrie venaient grossir les rangs des troupes qui les entouraient. Dans ce cas, il n’y avait aucun espoir que les secours arrivent un jour. Cela a anéanti leur volonté de se battre. »

« Ah ! Je comprends maintenant ! » Félicia avait hoché la tête plusieurs fois, impressionnée.

Il s’agissait d’une anecdote tirée des archives de la bataille de Gaixia, l’ultime combat de Xiang Yu contre Liu Bang, qui était à l’origine de l’expression chinoise « entouré de chants Chu ». Cette expression était devenue une métaphore littéraire populaire en chinois et en japonais pour désigner le fait d’être désespérément isolé et encerclé par des ennemis, sans perspective d’aide de la part d’alliés.

« De notre côté, nous venons tout juste d’avancer dans le territoire du Clan de la Foudre. Je ne peux pas imaginer que ces gars vont se laisser berner en pensant que nous avons déjà conquis d’autres parties de leur pays, non ? »

« C’est vrai. Pourtant, nous ne pouvons pas simplement laisser cette impasse comme elle est, n’est-ce pas ? Dois-je envoyer des ordres pour commencer la construction de trébuchets ? »

« Passer à cette stratégie maintenant, c’est comme admettre qu’on a perdu avec celle-là. En plus, si on devait les utiliser, on aurait dû le faire dès le début. Les trois jours qu’on a déjà utilisés n’auraient servi à rien. » Yuuto fronça les sourcils et croisa les bras.

Yuuto plaisantait bien sûr à moitié avec cet argument. Il savait pertinemment qu’il ne fallait pas laisser les décisions militaires être influencées par des sentiments aussi personnels.

Il savait aussi, cependant, qu’il ne voulait pas perdre encore plus de temps ici s’il pouvait l’éviter.

« Dans ce cas, j’ai une idée — plutôt bonne, d’ailleurs. »

La voix qui était soudainement entrée dans leur conversation provenait de l’ancien patriarche du clan de la Panthère, l’homme qui était actuellement le commandant du régiment de cavalerie indépendant du Clan de l’Acier — Hveðrungr.

Afin d’utiliser au maximum leur mobilité supérieure, le plan de base du Régiment de Cavalerie Indépendant était de les baser dans la région de Gimlé, d’où ils pouvaient rapidement se déplacer pour aider d’autres régions en danger. Cependant, cette opération particulière était une exception, dans laquelle ils accompagnaient Yuuto et l’armée régulière du Clan de l’Acier. C’était en partie parce que c’était la première fois qu’ils étaient déployés dans un combat réel, et aussi parce que cela permettait de montrer un plus grand nombre de soldats à l’ennemi.

« Oh, vraiment ? » Les yeux de Yuuto s’étaient rétrécis avec intérêt.

C’était, après tout, l’homme qui avait développé une contre-stratégie réussie après l’autre contre le Mur de Chariots, une tactique militaire que Yuuto avait reprise de trois mille ans dans le futur.

Si quelqu’un comme lui disait qu’il avait une bonne idée, ça valait la peine d’en entendre parler.

« Héhé, on va avoir l’impression cependant qu’on ne fait rien d’autre que de se défouler cruellement sur eux, » dit Hveðrungr, avec un petit rire d’autodérision. Cependant, lorsqu’il avait commencé à décrire son plan, Yuuto avait posé une main sur son genou et avait souri.

« Je savais que tu serais à la hauteur ! Je ne peux pas penser à quelqu’un de meilleur que toi quand il s’agit d’élaborer des plans aussi méchants. »

« Est-ce censé être un compliment ? »

« C’est une louange à gorge déployée, mon frère. »

En effet, Yuuto espérait exactement ce genre de choses de la part de Hveðrungr. C’était la raison pour laquelle il l’avait ramené au bercail comme son subordonné.

« Taaamayaaa ! »

Yuuto avait crié un mot inconnu des gens autour de lui, en étirant les syllabes, et immédiatement après, il y avait eu un énorme KABOOM ! qui avait secoué l’air de la nuit noire, aussi puissante que le fracas du tonnerre d’un coup de foudre à bout portant.

***

Partie 2

Il se servait du tetsuhau, l’arme explosive qu’il avait déjà utilisée lors de la campagne du Clan de l’Acier contre le Clan de la Panthère.

Les bombes tetsuhau étaient utiles pour créer la panique chez les soldats ennemis, aussi en avait-il apporté une quantité raisonnable avec son armée cette fois-ci. En ce moment, il les lançait dans la forteresse de l’ennemi — en utilisant une version plus petite du trébuchet.

Bien qu’il n’ait certainement pas la capacité de lancer des roches de 100 kilos comme le plus grand modèle, il pouvait lancer des bombes légères de la taille de la tête d’une personne. Plus important encore, il pouvait être construit avec moins de matériaux, et son assemblage ne prenait qu’une demi-journée.

« Kaaagiyaaa ! »

Un autre cri de Yuuto, et une autre explosion. Le flash lumineux rappelait les feux d’artifice au Japon. En effet, bien que les autres ne l’aient pas reconnu, Yuuto criait les appels traditionnels faits pendant un feu d’artifice japonais.

Yuuto avait recherché et développé les bombes comme une stratégie pour contrer les chevaux de la cavalerie du Clan de la Panthère, mais — et c’est quelque chose que Yuuto lui-même ne savait pas encore — elles avaient également été utilisées dans l’histoire chinoise comme une arme de siège efficace, où elles étaient connues sous le nom de « bombes à fracas ».

Des passages décrivant leur utilisation figurent dans le Xu Zizhi Tongjian, le texte chinois compilant les travaux de plusieurs historiens sur l’histoire des dynasties Song, Liao, Jin et Yuan. L’un de ces passages se lit comme suit : « Les sons de leur grondement de tonnerre se propagent sur cent li. Ils réduisent en cendres la terre sur un demi-million d’hectares. Leur force transperce même les plaques de fer. »

Le li et le étaient d’anciennes formes de mesure chinoises pour la longueur et la superficie, respectivement. Un li correspondait à environ 500 mètres, et un mǔ à environ 667 mètres carrés.

Si l’on devait interpréter ce récit tel qu’il avait été écrit, il s’agirait d’énormes explosions qui pourraient être entendues à cinquante kilomètres à la ronde dans toutes les directions, capables d’incinérer des parcelles de terre de trois cents mètres carrés.

Dans ces documents chinois, il y avait une tendance à exagérer les chiffres descriptifs pour l’effet, donc on ne pouvait pas simplement supposer qu’ils étaient exacts tels quels, mais même des chiffres d’un dixième de ceux-ci seraient indicatifs d’une puissance de destruction significative.

Dans le cas de Yuuto, il était dans sa tente de commandement assez loin de la zone d’explosion, mais même là, il pouvait sentir l’onde de choc de chaque explosion frapper physiquement son corps.

Ce serait sûrement insupportable pour les personnes frappées par ce son et cette force à si courte distance.

« Heh heh, il semblerait que ceux qui occupent la forteresse se soient mis dans une belle tourmente, » observa Hveðrungr, le visage illuminé d’un sourire malicieux.

Et c’était exactement comme il l’avait dit : Ils pouvaient entendre les sons des soldats criant et pleurant qui commençaient à monter de l’intérieur des murs de la forteresse.

Ils avaient probablement entendu des rumeurs sur la nouvelle arme qui avait permis au clan de l’acier de vaincre les cavaliers du clan de la panthère, mais cela n’était pas comparable à l’expérience directe des effets d’une telle arme. Ce serait, au sens figuré comme au sens propre, un choc pour leur système.

Une personne originaire du 21e siècle aurait probablement été exposée à des feux d’artifice, mais ces soldats avaient affaire à quelque chose qu’ils n’avaient jamais connu de leur vie. De plus, ces bombes étaient conçues pour être beaucoup plus bruyantes que n’importe quel feu d’artifice, et lorsqu’elles explosaient, elles projetaient des éclats de fer et de verre.

Et ces armes terribles étaient soudainement déchaînées au milieu d’eux dans l’obscurité de la nuit, dans une situation où ils avaient passé des jours encerclés et isolés par l’armée ennemie.

Les soldats du Clan de la Foudre étaient rapidement tombés dans un état de panique et de terreur totale.

« Grand Frère, c’est le moment. »

« Oui, je sais… Tu sais, c’est aussi un peu bizarre que tu t’adresses à moi comme à ton grand frère. »

« Héhé, franchement, ça me semble répugnant — encore plus que je ne le pensais. Mais c’est ainsi que les choses fonctionnent dans notre monde, je n’ai pas d’autre choix que de m’y résigner. »

« Hé, tu n’as pas besoin d’aller si loin, » dit Yuuto, et avec un sourire sardonique, il se tourna pour distribuer sa prochaine série d’ordres.

S’il continuait à lancer périodiquement des bombes sur l’ennemi, cela les empêcherait de dormir, leur briserait le moral et les priverait de leur volonté de se battre. Cela les amènerait probablement au point de se rendre en temps voulu.

Cependant, il y avait une autre étape dans le plan de Hveðrungr.

« Qu’ils soient maudits ! Il faut toujours qu’ils nous réservent une surprise insolite ! »

Berthold, le général du Clan de la Foudre qui était responsable du Fort Dái, avait craché les mots avec amertume.

Il était l’un des officiers les plus hauts gradés du Clan de la Foudre, stationné là avec l’importante mission de sauvegarder cette forteresse frontalière.

C’était un homme de quarante-deux ans, et il ne fallait pas cacher le fait qu’il n’était pas aussi physiquement vif qu’avant, mais il était en service actif depuis l’époque du patriarche avant Steinþórr, et il avait une abondante expérience des nombreuses batailles qu’il avait vues au fil des ans.

Et pourtant, dans sa longue vie, il n’avait jamais rien vu de tel.

« Ressaisissez-vous, les gars ! Reprenez maintenant le contrôle de vous-mêmes ! » Berthold avait crié à tue-tête. « Bien sûr, le son peut être terrible, mais ces choses ne peuvent pas vraiment vous blesser tant qu’elles ne frappent pas trop près de vous ! »

Il avait évité de paniquer, et dans le court laps de temps qui s’était écoulé depuis le début de l’attaque, il avait calmement analysé la nature des bombes tetsuhau. Un tel exploit montrait que ce général était bien digne de la tâche de commander le Fort Dái, la première ligne de défense du Clan de la Foudre contre le Clan de l’Acier.

Cependant, ses cris étaient noyés par les explosions encore plus fortes des bombes, et son message ne parvenait donc pas à ses troupes.

C’était vraiment des armes exaspérantes.

Et qui plus est, si la surprise et l’impact de leur terrible bruit paniquaient temporairement ses soldats maintenant, ce n’était même pas vraiment tout le problème. L’expérience de Berthold lui avait permis de réaliser la véritable menace qu’ils représentaient.

« S’ils peuvent nous frapper avec ça tous les jours et toutes les nuits, mes hommes ne tiendront pas. Ils vont craquer d’ici peu… »

Tenir une forteresse contre un siège était un long concours d’endurance, qui pouvait durer des mois.

La clé de la victoire dans une impasse aussi longue réside dans la capacité à maintenir le moral de ses soldats. Ou, en d’autres termes, dans l’efficacité avec laquelle on pouvait les maintenir nourris et reposés.

En dépit d’autres facteurs, l’esprit d’une personne peut rester étonnamment résistant tant qu’elle est nourrie et reposée de manière adéquate.

Bien sûr, les ennemis de Berthold avaient jusqu’à présent déployé les efforts habituels pour tenter d’empêcher ses troupes de se reposer : assauts sur la porte à intervalles irréguliers, retentissement des gongs de guerre, etc.

Ceci, cependant, était quelque chose d’un niveau complètement différent. Ces fortes explosions forceraient une personne à sortir du sommeil le plus profond.

S’ils défendaient une grande ville fortifiée comme Bilskirnir, se terrer dans des bâtiments au centre de la ville pourrait suffire à protéger ses hommes du bruit, mais il était impossible d’y échapper dans une forteresse de cette taille.

Si cela durait ne serait-ce que trois jours et trois nuits de plus, le manque de sommeil les priverait de leur esprit et de leur capacité à se concentrer sur quoi que ce soit. Ils seraient totalement épuisés dans leur corps et leur esprit.

« Que dois-je faire ? Dois-je me rendre ? Non, c’est… »

Un soldat se précipita soudainement dans la pièce. « S-Sire, j’ai un rapport ! »

« … » Berthold s’était arrêté, laissant échapper une longue inspiration, avant de demander : « Qu’est-ce que c’est ? »

Sur le champ de bataille, il faut toujours garder l’esprit calme. Berthold savait que c’était le secret de la survie à la guerre, et donc, chaque fois qu’il recevait un rapport, il s’assurait toujours de prendre une profonde respiration et de se calmer avant de l’écouter.

Et pourtant, il était encore tellement surpris par les prochains mots qui sortaient de la bouche du soldat qu’il était obligé de se demander s’il les avait bien entendus.

« La porte principale a été forcée, et l’ennemi a pris le contrôle de l’entrée ! »

« Qu… !? » Berthold se retrouva choqué et sans voix… mais seulement pendant un instant. « Tch ! Alors ces fichus faiseurs de tonnerre n’étaient qu’une diversion ! »

Il avait immédiatement saisi le nœud de la situation, preuve de l’excellence de son commandement.

Alors que les soldats du Clan de la Foudre étaient occupés à courir partout, paniqués par cette nouvelle arme à laquelle ils n’avaient jamais eu affaire auparavant, les soldats du Clan de l’Acier avaient utilisé un bélier pour ouvrir la porte de la forteresse.

Normalement, le bruit et les vibrations de l’impact du bélier auraient immédiatement alerté ses hommes de la tentative d’intrusion de l’ennemi, et ils auraient pu les bombarder d’une grêle de flèches et les repousser. Cependant, les fortes explosions avaient fait en sorte qu’ils n’aient pas réalisé ce qui se passait, et ils avaient laissé l’ennemi terminer son assaut.

« Le petit morveux du Clan de l’Acier nous a encore joué un tour…, » Berthold soupira, ses épaules s’affaissèrent.

En réalité, ce n’était pas Yuuto qui avait eu l’idée de ce plan, mais Hveðrungr, l’ancien allié du Clan de la Foudre, mais Berthold n’avait bien sûr aucun moyen de le savoir.

« Le clan de l’acier nous a également transmis un message demandant notre reddition, monsieur. »

« … Je vois. »

La porte de la forteresse avait été percée, et la zone qui l’entourait était entièrement sous contrôle ennemi. Avec la différence de nombre de troupes entre eux, il n’y avait rien que Berthold puisse faire pour sauver la situation.

S’il choisissait de continuer à se battre, cela ne se terminerait que par un massacre unilatéral de ses hommes.

« Très bien. Je vais me rendre. Dites-leur que je me fiche de ce qui m’arrive, mais en échange, je leur demande d’épargner la vie des soldats ici… »

Naturellement, lorsque Yuuto avait appris cette décision résolue et honorable, il n’avait eu que le plus grand respect pour elle, et ainsi, la vie de Berthold avait été épargnée.

Tout comme lors de la campagne précédente contre le Clan de la Panthère, le tetsuhau s’était avéré une arme précieuse et efficace, et l’invasion du Clan de l’Acier s’était poursuivie à un rythme confortable.

Profitant de la prise de Fort Dái, l’armée du Clan de l’Acier avait rapidement avancé jusqu’au Fort Gashina, qu’elle avait également capturé sans effusion de sang.

Avec cela, le Clan de l’Acier avait, avec peu ou pas de combat réel, reconquis tout le territoire qui leur avait été pris par le Clan de la Foudre dans leur guerre précédente.

Pour la plupart des membres du Clan de l’Acier, c’était une occasion de triomphe et de joie. Cependant, il y avait une exception…

« Rrgh, bon sang ! C’est totalement différent de ce que j’attendais ! »

Dans la cour principale de la forteresse, une jeune fille nommée Hildegard hurlait de frustration, n’appréciant visiblement pas cette situation.

C’était une jeune fille aux cheveux tressés, aux yeux remplis d’une agressivité impudente et effrontée qui laissait une forte impression sur ceux qui croisaient son regard.

***

Partie 3

En partie à cause de son jeune âge, elle ressemblait à première vue à quelqu’un qui n’avait pas sa place sur un champ de bataille, mais elle était en fait un membre à part entière des Forces Spéciales de Múspell, réputées être l’unité la plus élite de l’armée du Clan de l’Acier.

Bien sûr, elle n’avait échangé le Serment du Calice avec le commandant Múspell Sigrún que la veille de leur départ en marche, elle en était donc la membre la plus récente.

La colère d’Hildegarde provenait d’un point en particulier, qu’elle avait criée à haute voix :

« Quand vais-je avoir la chance de faire mes preuves ? »

Depuis le début de l’invasion du Clan de la Foudre, elle n’avait rien fait d’autre que d’attendre à l’arrière. Elle n’avait pas encore eu l’occasion de tirer une seule flèche.

Afin d’atteindre son objectif de recevoir le serment du Calice du grand Réginarque Yuuto, l’homme qu’elle admirait le plus, elle devait mettre quelques réalisations à son nom et gagner un peu de gloire pendant cette campagne.

« Aaaugh ! Bon sang de bonsoir — ! »

Tout ce que la jeune fille pouvait faire à propos de sa colère refoulée à ce moment-là était de la projeter vers l’extérieur, en criant à la lune qui brillait dans le ciel nocturne.

Thwack !

« Aïe ! » Hildegard poussa un cri de douleur lorsqu’un poing la frappa sur le dessus de la tête.

« Arrête de hurler au milieu de la nuit, tu fais du bruit ! »

Le propriétaire de cette voix et du poing qui la précédait n’était autre que son supérieur direct et nouveau parent juré, Sigrún.

Les bras minces de Sigrún étaient, selon toute apparence, trop jolis et trop fragiles pour balancer une épée lourde sans grande difficulté, mais la vérité était tout le contraire : elle était un Einherjar, et un coup de poing de sa part possédait une force incroyable.

« Aïe… Je suis… Je suis désolée…, » Hildegard serra sa tête palpitante en s’excusant, des larmes se formant dans ses yeux.

Lorsqu’elle était encore stagiaire dans la famille Sigrún, elle avait provoqué de sérieux problèmes, mais elle était totalement obéissante maintenant.

Sigrún était excessivement protectrice quand il s’agissait de Yuuto, mais elle ne montrait pas la moindre pitié quand il s’agissait de ses propres enfants jurés.

Le coup de poing qu’Hildegard venait de recevoir à la tête était une punition typique pour les erreurs, et quelque chose qu’elle avait dû affronter tous les jours. En fait, un tel coup sur la tête était plutôt léger.

Et cette même commandante au cœur de démon lui avait aussi dit : « Tu as un grand potentiel ». Au cours du long mois d’entraînement brutal qui suivit, même une enfant à problèmes comme Hildegard avait été mise en forme, y compris en termes d’attitude.

« Je vais te montrer ! Un jour, je te surpasserais… ! »

Et pourtant, elle laissait encore souvent échapper des déclarations de ce genre. Cela montrait que, dans son cœur, elle ne se soumettait toujours pas vraiment aux autres.

Elle était elle-même un Einherjar, et terriblement fière de sa force. Tout cela s’était réuni pour créer une sacrée personnalité.

« As-tu dit quelque chose ? » demanda froidement Sigrún.

« Non, rien ! » Hildegard s’était immédiatement mise au garde-à-vous et avait secoué la tête.

La rapidité de sa réaction montrait à quel point elle avait été « entraînée ».

« Bien, alors. En fait, je me suis aussi retrouvée agitée et incapable de dormir. Tiens, allons-y un moment. » En disant cela, Sigrún lança à Hildegard une épée en bois.

Elle en tenait aussi une pour elle. Apparemment, c’était son intention depuis le début.

« Agitée ? Vous, Mère ? » Les yeux d’Hildegard s’écarquillèrent légèrement lorsqu’elle attrapa l’épée.

Sigrún était toujours aussi impassible, ne semblant jamais montrer de réaction émotionnelle. Certains l’appelaient même « la fleur gelée ». Être trop agitée pour dormir était le genre de problème dont se plaignait un débutant, mais de sa bouche, on aurait dit une blague.

« J’ai trop de mauvais souvenirs de cet endroit, » déclara Sigrún en fronçant les sourcils.

Hildegard avait passé chaque jour avec Sigrún pendant un mois entier, et c’était la première fois qu’elle la voyait arborer une telle expression.

Mais elle avait une idée sur sa cause.

« Oh, c’est vrai, c’est ici, à Gashina, que le Clan du Loup a subi une misérable défaite, non ? » demanda-t-elle.

À l’époque, Yuuto commandait l’armée du Clan du Loup, mais il s’était soudainement volatilisé, ayant été transporté de force dans son monde au-delà des cieux. Hildegard, bien sûr, ne connaissait que l’histoire publique, à savoir que Yuuto avait subi des blessures qui l’avaient rendu incapable de continuer à diriger l’armée.

L’armée du Clan du Loup avait été désorganisée par cet événement soudain, et dans ce moment de faiblesse, ils avaient été vaincus par les armées alliées du Clan de la Panthère et du Clan de la Foudre. Le Clan du Loup perdit son général et héros Olof, et par la suite, les deux villes de Gimlé et Fólkvangr furent encerclées et assiégées par l’ennemi. Toutes ces épreuves étaient nées de la bataille de ce lieu détesté.

En effet, cela laisserait naturellement des souvenirs amers. Cette guerrière au sang-froid était après tout encore une femme humaine. Ce n’était peut-être pas étonnant qu’elle n’ait pas été capable de rester calme ce soir.

Sigrún hocha la tête à la question d’Hildegard. « C’est vrai. C’était aussi la pleine lune cette nuit-là… Et donc, je suis ici pour soulager un peu de cette frustration. Tu as aussi de l’énergie à dépenser ce soir, n’est-ce pas ? »

Sigrún avait mis son épée en bois en forme, prête à combattre.

Quand elle avait vu Hildegard hurler à la lune, elle avait dû voir en elle l’exutoire parfait pour son stress refoulé.

« Voulez-vous vraiment faire ça au milieu de la nuit ? »

Aussi futile qu’elle ait pu être, Hildegard avait tenté de résister.

« Ce soir, c’est la pleine lune. Tu as les pouvoirs du loup en toi — c’est plus que suffisant comme lumière pour toi, non ? »

« … Vous me connaissez bien. »

Les loups étaient connus pour leur vision nocturne exceptionnelle, et la rune d’Hildegard était Úlfhéðinn, la peau de loup. Comme son nom l’indique, cette rune conférait à son porteur la force et les capacités d’un loup.

Elle pouvait se battre aussi facilement maintenant qu’en plein jour.

« Mais, je suis toujours si fatiguée quand je me bats avec vous, Mère. »

« Tu dis cela, alors même que tu positionnes ton épée. J’aime ça chez toi. »

Une aura menaçante se dégageait du corps de Sigrún, comme une soif de sang qui se répandait dans l’air. Cela donnait des frissons à Hildegard.

 

 

Super, la voilà dès le départ… la fameuse « Aura de glace » du commandant Múspell !

Les forces spéciales de Múspell, reconnues à l’intérieur comme à l’extérieur comme l’unité militaire la plus forte et la plus élite du Clan de l’Acier, étaient entièrement composées de soldats préparés au combat.

Toute leur formation avait été conçue pour simuler des situations de combat réelles.

Cette puissante aura d’intention meurtrière que Sigrún imposait à ses soldats avait pour but de les entraîner à ne pas se laisser submerger par l’atmosphère d’une vraie bataille, afin qu’ils puissent utiliser toutes leurs capacités sans problème. C’était une autre façon pour elle de prendre soin d’eux en tant que leur mère jurée.

En tant que telle, elle ne combattait pas vraiment avec l’intention de tuer. Malgré cela, elle avait une présence menaçante digne du plus fort guerrier du clan, et bien plus puissante que tout ce qu’un soldat moyen pourrait projeter.

De plus, il semblait encore plus dangereux que d’habitude ce soir. Peut-être était-ce à cause des souvenirs désagréables qu’elle avait évoqués.

Ce serait plus que suffisant pour paralyser un soldat débutant, et peut-être même un soldat expérimenté verrait ses jambes bloquées sur place.

C’était une pression incroyable. Mais…

« Ne m’insultez pas ! »

Hildegard l’écarta facilement et s’élança en avant, se plaçant à portée de frappe, et abattit son épée en bois d’un coup de tête.

Sigrún l’avait facilement bloqué.

Leurs épées s’entrechoquent encore et encore. Après plus de dix échanges, Sigrún reprit la parole.

« Un tel esprit et un tel cran, je ne m’attendais pas à ça de la part d’une recrue. Et ce, même si je mets deux fois plus d’intention meurtrière derrière mes attaques que d’habitude, » dit-elle avec un petit rire.

Elle continuait à parer les attaques d’Hildegard tout en parlant, malgré le fait qu’Hildegard déversait toute sa force dans chaque coup.

C’est son calme, son aisance, qui agaçait vraiment Hildegard.

Ne voulant pas être en reste, elle répliqua en criant : « Deux fois plus ? Me détestez-vous à ce point !? »

« J’ai dit que je t’aimais bien tout à l’heure, n’est-ce pas ? En fait, je t’aime vraiment. »

« Ce n’est vraiment pas ce que je pense ! »

« Vraiment ? Même si je t’adore tous les jours ? Comme ça, par exemple. »

« Ce n’est pas de l’amour, c’est du bizutage ! »

Hildegard parvenait à peine à repousser les attaques de Sigrún en ce moment, mais tout au long de son entraînement, elle avait été frappée par son épée en bois trop de fois pour pouvoir les compter.

Sigrún se retenait toujours juste assez pour ne pas infliger de vraies blessures, mais elle infligeait quand même de la douleur. Beaucoup de douleur.

Si elle avait un tel niveau de compétence qu’elle pouvait ajuster sa force avec précision au point d’infliger une douleur sans blessure, alors Hildegard ne voulait rien d’autre que lui hurler d’arrêter ses attaques avant qu’elles ne frappent du tout.

En fait, elle lui avait déjà crié ça une fois.

La réponse de Sigrún ? « Les gens n’apprennent pas vraiment de leurs erreurs à moins de ressentir de la douleur. »

Quand elle avait entendu cela, Hildegard avait crié, « Ne me dites pas cette merde ! » —au plus profond de son coeur.

« Oh, l’attaque de tout à l’heure était plutôt bonne, » dit Sigrún. « Elle avait plus de puissance derrière elle. »

« Bien sûr que oui ! » répondit Hildegard en criant.

Après tout, elle y avait mis un mois entier de colère refoulée.

« Oui, on dirait que tu t’es beaucoup améliorée. J’en arrive au point où j’aurai du mal à être indulgente avec toi. »

« Hah, il ne faudra pas longtemps avant que je vous surpasse ! »

« Je suis impatiente de voir ça. »

« Quoi — !? » Hildegard s’écria alors qu’elle était soudainement déséquilibrée. Alors qu’elle s’apprêtait à lancer une nouvelle attaque aérienne, une force inattendue s’était ajoutée au mouvement de son épée.

Son centre de gravité étant déplacé, elle avait trébuché et, avant qu’elle ne puisse se redresser, ses pieds instables s’étaient dérobés sous elle et elle était tombée à plat sur son derrière.

« Aïe ! »

« On dirait qu’il y en a pour un moment après tout, » pensa Sigrún, et pointa la pointe de son épée sur le nez d’Hildegard.

C’était incontestablement la victoire de Sigrún.

***

Partie 4

« Ngh… ! » Hildegard gémit.

« Allez, un autre tour. Lève-toi, » dit Sigrún.

« Oui, Mère ! »

Hildegard se redressa immédiatement. C’était une réaction plutôt soumise de la part d’Hildegard, mais c’était parce qu’elle savait, de par son entraînement, qu’une réponse lente lui vaudrait une réprimande très physique.

« Maintenant que j’y pense, qu’en est-il de ce pouvoir que tu as utilisé la première fois que nous nous sommes battues ? Ne vas-tu pas t’en servir ? » demanda Sigrún, en tapant sa lame de bois contre son épaule.

Hildegard grimaça en se remémorant cette occasion, puis finit par pousser un soupir de lassitude.

« C’est vrai. Vous voulez dire la Bête… »

La rune d’Hildegard avait un pouvoir particulier qui était différent des autres runes.

Il libérait la bête qui vivait au fond d’elle, et le pouvoir de la bête était capable d’augmenter sa force physique et son agilité jusqu’à des extrêmes incroyables, anormaux même selon les normes des puissants guerriers Einherjar.

« J’ai scellé cette chose loin… »

« Scellé ? C’est du gâchis. Si tu pouvais apprendre à le contrôler complètement, il ferait une arme magnifique pour toi. »

« Je préférerais que ce ne soit pas le cas. » Le visage d’Hildegard se crispa encore plus.

Il est vrai que libérer la Bête lui conférait un pouvoir incroyable, mais cela la privait aussi de son esprit conscient. C’était une épée à double tranchant.

Dans son état d’inconscience, elle avait attaqué le Réginarque, et s’était même mouillée devant lui, une expérience horrible qui lui avait donné envie de ramper dans un trou et de mourir.

Elle ne voulait plus jamais vivre une expérience aussi terrifiante et humiliante.

« Eh bien, je suppose que c’est vrai que si tu ne peux pas garder ta conscience, c’est trop dangereux de l’utiliser. »

« Exactement ! »

« Alors tu dois juste te rendre plus forte. Maintenant, vas-y ! »

« Oui, Mère ! »

Et leurs lames de bois s’entrechoquèrent une fois de plus.

« Haah, haah… J’ai encore perdu. Haah, haah… Laissez-moi au moins vous donner un bon coup ! »

Allongée sur le sol, à plat sur le dos, le corps étalé en largeur, Hildegard se plaignait.

Même après plus de vingt affrontements, la lame en bois d’Hildegard n’avait pas effleuré le corps de Sigrún.

« Si tu le veux, alors améliore-toi, » répondit Sigrún en posant son épée en bois sur ses épaules. « Si tu continues à ce rythme, dans six mois, tu devrais pouvoir gagner environ une fois sur dix. »

Sigrún n’était pas essoufflée, mais elle respirait un peu plus fort qu’au début, et son visage était couvert de sueur.

En repensant à ce qui s’était passé il y a un mois, alors qu’elle n’avait rien pu faire pour perturber l’expression détendue et froide de Sigrún, Hildegard pouvait voir qu’elle avait fait de réels progrès. Mais même ainsi…

« Encore six mois de traitement brutal, et c’est tout ce que je pourrai faire… ? » murmura Hildegard d’un air consterné.

C’était comme si un mur insurmontable s’étendait au-dessus d’elle, d’une hauteur impossible.

Avec toute sa puissance, Hildegard n’était toujours pas capable de se battre contre cette louve aux cheveux argentés… et pourtant, il avait fallu à Sigrún elle-même toute sa force et son habileté pour faire une petite égratignure au Dólgþrasir. Alors, à quel point avait-il été fort ? Elle n’arrivait pas à l’imaginer.

Ensuite, il y avait son sage et courageux Réginarque, qui avait à maintes reprises facilement repoussé le Tigre affamé, menant ce monstre par le bout du nez. Et puis le patriarche du Clan de la Flamme, qui avait apparemment tué ce même monstre sans le moindre problème. Il y avait tellement de personnes ridiculement fortes dans ce monde.

Lorsqu’elle s’était éveillée à sa rune, il y a un mois, Hildegard avait été tellement persuadée qu’on ne pouvait pas l’arrêter, que sa force la mènerait jusqu’au sommet. En y repensant maintenant, elle réalisait à quel point elle n’avait été qu’un gros poisson dans un petit étang, ignorant tout des personnes bien plus fortes qu’elle.

Elle avait été tirée de ses pensées par le bruit d’un applaudissement. Toujours au sol, elle avait tourné la tête pour regarder dans la direction du son et elle avait vu…

« S-Seigneur Réginarque !? »

C’était le chef de sa famille et le dirigeant de sa nation, la personne qu’elle considérait avec toute la révérence du divin. Elle s’était précipitée sur ses pieds, puis était retombée à genoux et avait baissé la tête.

Elle avait l’impression d’avoir toujours l’air faible et honteuse devant lui. Une fois de plus, elle avait envie de ramper dans le plus proche trou disponible.

« Ah, ce n’est pas nécessaire, » dit le Réginarque. « Nous ne sommes pas en public. Tu peux te détendre. »

Hildegard leva la tête. Il était là, juste en face d’elle. On ne pouvait pas se tromper sur son apparence ni sur sa voix. C’était le jeune homme pour lequel elle éprouvait une admiration sans fin depuis qu’elle l’avait vu pour la première fois, il y a un mois, et qu’elle ne pouvait normalement voir que de loin.

Hildegard était heureuse, mais aussi figée par les nerfs.

« Je regardais votre combat. Tu es la nouvelle recrue de l’époque, non ? Tu es un sacré numéro pour avoir pu te battre comme ça contre Rún. »

En entendant Yuuto parler d’elle sur un ton aussi impressionnant, le cœur d’Hildegard se gonfla de joie et elle se sentit éclater en un sourire.

Mais Sigrún secoua la tête et intervint. « Non, elle est encore trop inexpérimentée. »

Tu n’avais pas besoin de dire ça ! se dit Hildegard.

« Vraiment ? C’est la première personne que je vois se battre aussi bien contre toi. »

À la déclaration de Yuuto, la fille qui se tenait derrière lui avait hoché la tête. « Oui, je suis d’accord. Je pense que même moi, j’aurais du mal à le faire aussi bien. »

Hildegard serait la première à admettre que sa mère jurée Sigrún était une femme extrêmement belle, mais cette autre fille n’en était pas moins un sommet de beauté à part entière.

« Si même Félicia le dit, c’est qu’elle est forte, c’est sûr. Très bien, alors. Rún, je veux emprunter cette fille et quelques autres membres compétents du Múspell pour me servir de gardes du corps pendant un moment, est-ce d’accord ? »

« … ! » Hildegard sentit son cœur faire un bond.

Être la garde personnelle de Yuuto signifiait qu’elle servirait à ses côtés. Si elle faisait bonne impression auprès de lui, cela augmenterait ses chances de gravir les échelons. Et plus que tout, il y avait la possibilité que cela lui permette d’être invitée dans sa chambre à coucher.

Le cœur d’Hildegard battait la chamade rien qu’en pensant à toutes les issues potentielles qui lui traversaient l’esprit, mais une fois de plus, la voix de son supérieur était intervenue et avait jeté de l’eau froide sur tout.

« Je n’ai aucun problème avec ça, Père, mais… dois-tu prendre celle-ci ? » demande Sigrún, d’un ton résolument négatif.

Bien sûr, Hildegard n’était pas en mesure de prendre la parole et d’argumenter en ce moment.

« Oui, il n’y a aucun doute quant à sa force », poursuivit Sigrún, « mais je m’inquiète de la laisser servir à tes côtés alors que son comportement est encore… »

« Je me tiendrai bien ! Je promets d’être calme et de me comporter au mieux de mes capacités ! » s’écria Hildegard. Avec une telle chance unique en jeu, elle n’avait finalement pas pu se taire.

« C’est comme tu peux le voir, » déclara Sigrún sans ambages. Hildegard n’avait fait que lui donner raison.

Certes, s’immiscer dans une conversation entre deux supérieurs était le summum du comportement inapproprié. Hildegard criait intérieurement d’angoisse en voyant à quel point elle était irréfléchie.

« Mais des gardes du corps, Père ? Pour quoi faire ? » demanda Sigrún d’un ton interrogatif.

Avec cette question, Hildegard avait aussi réalisé que quelque chose clochait.

En tant que commandant en chef, Yuuto était situé dans la position la plus sûre et la plus protégée des formations de l’armée, et il avait déjà des combattants forts et compétents comme Félicia à proximité pour le protéger.

En ce sens, sa demande pour encore plus de gardes du corps était assez troublante.

« Se pourrait-il que des assassins aient infiltré nos rangs ? »

La supposition de Sigrún était basée sur le fait que, dans cette situation, c’était la seule méthode qui restait au Clan de la Foudre pour tenter de renverser la situation.

Cependant, Yuuto avait fait un signe de la main, écartant cette possibilité. « Ah, non, rien de tout ça, » dit-il. « En fait, je viens de recevoir un message du patriarche du Clan de la Flamme demandant à me rencontrer et à me parler en personne. Il a dit qu’il n’était pas nécessaire de s’embarrasser de toute une cérémonie de rencontre formelle, que puisque nous étions proches, nous pouvions aussi bien nous voir. »

***

Chapitre 5 : Acte 5

Partie 1

« Le sanctuaire dédié à Fjörgyn, dans le village de Stórk ? »

« C’est exact. »

Yuuto avait répondu d’un signe de tête à Sigrún, qui réfléchissait à la situation.

Stórk était un minuscule village situé à environ deux jours de marche au sud de Gashina.

La terre n’était pas fertile et le village n’était pas non plus situé sur une route commerciale, ce qui fait que la région n’avait pratiquement aucune valeur stratégique.

Le Clan de la Flamme avait choisi cet endroit uniquement parce qu’il était exactement à mi-chemin entre les positions actuelles des campements militaires du Clan de l’Acier et du Clan de la Flamme.

Les deux nations n’étant pas actuellement liées par le Serment du Calice, il serait plutôt difficile et risqué pour l’un des deux souverains d’entrer dans le camp militaire de l’autre.

C’est ainsi qu’un endroit neutre, à faible distance de la formation de l’une ou l’autre armée, avait été choisi comme lieu de rencontre.

« J’essaie de négocier des relations amicales avec lui, donc si j’emmène trop de soldats, on finira par croire que j’essaie de l’intimider. Cela dit, nous sommes encore assez loin en territoire ennemi. »

« Je vois, c’est donc pour cela que tu voulais un petit nombre de combattants d’élite. » Sigrún hocha la tête en signe de compréhension.

Après avoir pris le contrôle du Fort Gashina, les forces du Clan de l’Acier avaient chassé tous les soldats du Clan de la Foudre dans les environs, mais il était encore raisonnablement possible que certains se cachent encore.

Cependant, si Yuuto devait prendre une grande escorte de soldats avec lui au lieu de rencontre, alors même s’il essayait d’établir une alliance avec le Clan de la Flamme, ils pourraient potentiellement le voir comme une sorte de menace envers eux.

« Je comprends maintenant la situation, » dit Sigrún. « Il est vrai que ce serait un peu inquiétant de n’avoir que Félicia comme garde personnelle. Je vais aussi… »

« Non, Rún, je veux que tu restes ici et que tu prennes le commandement des troupes. Je ne m’attends pas à de mauvaises surprises, mais on ne sait jamais ce qui peut arriver à la guerre. »

« Quoi — !? » Les yeux de Sigrún étaient devenus grands, choqués.

Apparemment, elle avait simplement supposé qu’elle irait aussi avec Yuuto.

« Penses-y — tu es la seule personne ici en ce moment à qui je peux confier ce rôle, » dit Yuuto.

Il ne mentait pas non plus.

En raison de la situation actuelle avec l’ordre d’assujettissement et l’alliance d’ennemis encerclant le Clan de l’Acier, les patriarches des clans subsidiaires de Yuuto n’étaient pas ici avec lui. Ils avaient envoyé des représentants déguisés en sosies, les vrais patriarches étaient retournés dans leurs territoires respectifs pour préparer leurs défenses.

Parmi les subordonnés de Yuuto qui voyageaient avec cette armée, Sigrún était la plus haute gradée, et elle avait aussi un palmarès d’accomplissements militaires qui faisait que personne ne pouvait nier ses qualifications pour le commandement.

« Erm, mais…, » Sigrún s’interrompit, cherchant un argument.

Elle était encore surprotectrice quand il s’agissait de Yuuto.

Il pouvait dire juste en la regardant à quel point elle était inquiète pour lui.

« Mère, soyez assurée que je protégerai le seigneur réginarque sans faille ! » s’écria Hildegard en frappant son poing contre sa poitrine avec fierté et confiance.

Les sourcils de Sigrún se froncèrent. « Tu ne fais que me rendre encore plus inquiète pour lui. »

« Hé ! Vous avez dit il y a un instant que vous n’aviez aucun doute sur ma force ! »

« Oui, je l’ai dit, mais cela ne signifie pas que je suis à l’aise de laisser Père entre tes mains… »

« Rrgh. » L’expression d’Hildegard se crispa d’irritation. « Mère, il n’y a personne de mieux placé que moi pour cette mission d’escorte ! En fait, je pense que je serais un meilleur choix que même vous ! »

« Quoi ? » En réponse à la déclaration incroyablement audacieuse d’Hildegard, Sigrún lui lança un regard perçant.

Les Forces Spéciales de Múspell étaient réputées pour être les plus forts combattants du Clan de l’Acier, et beaucoup de ses membres étaient des têtes brûlées. Sigrún avait l’habitude de traiter avec de telles personnes, et elle était généralement prête à laisser passer une remarque grossière ou un manque de manières, mais il semblerait que le fait que quelqu’un prétende être meilleur qu’elle en face soit suffisant pour la faire réagir.

Cependant, Hildegard ne broncha pas devant le regard de Sigrún.

« En tant qu’Einherjar douée des pouvoirs du loup, mon odorat et mon ouïe sont bien supérieurs à ceux de la moyenne des gens ! » s’exclame-t-elle. « Détecter l’emplacement des ennemis fait partie de mes plus grands talents ! »

« Oh ? » Yuuto avait semblé se réveiller avec intérêt.

Pour une mission d’escorte comme celle-ci, les compétences de combat étaient bien sûr importantes en cas d’embuscade, mais la capacité à détecter la présence et l’emplacement des ennemis était encore plus cruciale.

Sigrún avait beau être la plus forte guerrière du Clan de l’Acier, et une maîtresse de l’épée, si elle était attaquée par une embuscade d’une centaine de soldats, elle aurait du mal à se défendre et à protéger Yuuto en même temps.

D’un autre côté, si Hildegard avait les pouvoirs de détection supérieurs qu’elle prétendait avoir, elle serait capable de sentir l’approche de forces hostiles avant qu’elles ne soient proches, donnant au groupe de Yuuto une bien meilleure chance de s’échapper avant toute attaque.

Il était évident que l’un d’entre eux serait le meilleur choix pour cette mission.

« Hm. » Yuuto avait eu l’air pensif pendant une seconde. « Attends, mais il y a juste une minute, n’étais-tu pas surpris par le fait que je sois là ? »

« C’est parce que j’étais complètement concentrée sur mon entraînement avec Mère ! » protesta Hildegard. « Je n’aurais jamais pu essayer de la combattre tout en gardant mon attention pour autre chose. »

« Je suppose que c’est vrai, » dit Yuuto en hochant la tête, apparemment convaincu.

« En tant que votre escorte et garde, je pourrais consacrer toute mon attention uniquement à notre environnement, en surveillant les menaces. »

« Hm… Ne le prends pas mal, mais je ne suis pas sûr de pouvoir te croire sur parole en ce qui concerne ton sens de l’ouïe et de l’odorat. Je préférerais avoir un moyen de confirmer à quel point ils sont bons. »

« Je comprends. D’abord, je peux dire que tante Kristina est là-bas. »

Hildegard avait pointé son doigt dans ce qui semblait être une direction aléatoire.

« … »

Il n’y avait pas eu de réponse, et quelques instants de silence complet avaient suivi avant que Sigrún ne prenne la parole.

« Je suis presque sûre qu’elle n’est pas là. Au moins, je ne peux pas la sentir. »

« J’ai bien peur de ne pas non plus la sentir, » ajouta Félicia.

Les deux autres Einherjars s’étaient mis d’accord pour dire qu’Hildegard avait tort.

« Attendez ! S’il vous plaît, sortez déjà ici et montrez-leur ! » cria Hildegard dans l’obscurité. Cependant, il n’y avait aucun signe de personne apparaissant, et encore moins de quelqu’un qui s’approchait.

Yuuto grimaça, et parla dans la direction qu’avait indiquée Hildegard. « Kris, c’est un ordre. Si tu es vraiment là, sors. »

Sachant comment Kristina pouvait être, il était certain que si elle était là, elle ne se dévoilerait pas, alors il décida d’aider un peu Hildegard.

C’était en partie parce qu’il se sentait mal pour elle dans cette situation, mais aussi parce qu’il voulait honnêtement obtenir une évaluation de la qualité de ses capacités de détection.

Les jumelles Kristina et Albertina étaient passées maîtres dans l’art de dissimuler leur présence. Personne ne pouvait se comparer à elles en termes de furtivité.

Si Hildegard avait été capable de détecter la présence de Kristina dans l’obscurité malgré cela, alors elle était sans aucun doute le choix parfait pour l’emmener avec lui à la prochaine réunion.

Yuuto avait attendu de voir les résultats…

Kristina était en effet apparue, dans la direction indiquée par Hildegard. Elle avait une expression légèrement maussade — peut-être que le fait d’avoir été découverte avait quelque peu entamé sa fierté.

 

 

« C’est la première fois que je suis détectée à cette distance, » avait-elle fait remarquer.

« Wow, » dit Yuuto en haussant les sourcils. « Si tu admets ça, ses capacités sont vraiment impressionnantes. » Il était sincèrement impressionné.

Il avait choisi de ne pas parler du fait que Kristina les écoutait aux portes.

Ce genre de choses faisait partie de qui elle était.

« Très bien alors, c’est réglé. » Yuuto se tourna vers Hildegard. « Je t’emmène pour faire partie de mon escorte. Je compte sur toi. »

« Oui, monseigneur ! Vous pouvez compter sur moi ! » La réponse d’Hildegard était forte et pleine d’entrain.

Yuuto hocha la tête, satisfait, et se retourna vers Kristina.

« À ce propos, je vais te le dire puisque tu es là, Kris. Tu vas aussi m’accompagner. »

« Eh bien, oui, naturellement. » La réponse de Kristina était d’une nonchalance presque exaspérante, comme si elle venait d’entendre quelque chose d’évident.

Une des capacités spéciales de Kristina lui permettait d’amortir la présence d’une autre personne et de la rendre plus difficile à détecter, tant qu’elle tenait sa main. C’était une autre capacité inestimable à avoir à portée de main pour aider à éviter le danger, et sa réaction était probablement parce qu’elle était déjà pleinement consciente de cela.

« Et aussi… Je pense que je vais aussi emmener cet individu. »

Yuuto se retourna et désigna le « cet individu » en question, qui était actuellement allongé près d’un feu de camp voisin, en train de se détendre.

Sigrún sembla surpris par cette affirmation. « Lui, Père ? Mais, je soupçonne qu’il pourrait causer encore plus d’offense que Hilda. »

« Quoi — S’il te plaît, ne m’utilisez pas dans cette comparaison ! Je devrais penser que je suis au moins meilleur que ça ! »

« Ne t’inquiète pas, tout ira bien, » dit Yuuto avec une confiance totale, les coins de sa bouche se recourbant en un sourire.

« Si ce que je sais du patriarche du Clan de la Flamme est exact, il va adorer. »

***

Partie 2

« Alors c’est ça Stórk, hein ? » murmura Yuuto pour lui-même.

Il regardait un ensemble de maisons entourées d’une clôture en bois.

Cette installation était une méthode de protection courante pour les petites colonies d’Yggdrasil : la zone entourant les maisons était équipée de barrières grossières — des douves profondes ou de hautes clôtures faites d’épais poteaux de bois.

Yuuto avait entendu dire que cette région en particulier était infestée de brigands errants et de gangs de bandits venus des montagnes voisines. Il s’était donc préparé à avoir des ennuis, mais finalement, rien ne s’était produit en chemin et ils étaient arrivés à destination sans incident. C’était un peu décevant, mais il valait mieux le voir comme un bon signe pour les choses à venir.

Hildegard ne semblait pas perturbée par la situation, cependant.

« … Ai-je l’honneur de m’adresser au Seigneur Réginarque Yuuto, du Clan de l’Acier ? »

Ils avaient été accueillis à l’entrée du village par un jeune homme qui tremblait de peur en s’adressant à Yuuto.

Yuuto était le seigneur et le dirigeant d’une grande et puissante nation en pleine expansion, il était donc normal que certaines personnes aient ce genre de réaction craintive à son égard, mais de toute évidence, avec cet homme, ce n’était pas la seule chose dont il avait peur.

Son regard n’arrêtait pas de passer de Yuuto à ce qu’il chevauchait. Il semblerait qu’il ne pouvait pas l’ignorer même pendant une seconde.

C’était exactement ce que Yuuto avait espéré, et intérieurement il avait gloussé pour lui-même. Cependant, il s’était assuré de ne pas montrer cette émotion sur son visage.

« Oui, c’est ça. » Yuuto avait gardé une expression froide et avait fait un seul et digne signe de tête.

Jetant de côté une partie de sa cape, il étendit son bras droit pour montrer le protège-poignet en fer qu’il portait à la main droite.

À Yggdrasil, le fer était un métal précieux plus précieux que l’or, et même si Yuuto avait introduit des techniques d’affinage du fer et l’avait rendu un peu moins rare parmi son peuple, ce n’était toujours pas le genre de chose sur laquelle un voleur ordinaire pouvait mettre la main.

L’emblème du Clan de l’Acier y était également gravé, ce qui en faisait une preuve définitive de l’identité de Yuuto.

« Pouvez-vous me laisser passer ? » demanda Yuuto.

« Oui, » balbutia l’homme. « On m’a prévenu de votre arrivée. S’il vous plaît, entrez. Le seigneur Nobunaga vous attend déjà dans la salle des pas perdus. »

« Très bien. Tout le monde, on y va. » Yuuto tourna la tête et fit un geste au groupe derrière lui, et ils franchirent la porte du village.

En se dirigeant vers le hörgr, ils avaient croisé des villageois locaux, qui à chaque fois s’étaient figés et avaient commencé à trembler de peur.

Yuuto était accompagné d’un total de neuf gardes : Félicia, Kristina, Albertina, Hildegard, et cinq des membres les plus qualifiés des forces spéciales de Múspell.

Toutes les filles étaient, bien sûr, d’une beauté stupéfiante, et quant aux hommes, ils étaient non seulement bien bâtis, mais chacun d’entre eux était également d’une beauté robuste. Ce n’était pas une grande suite, mais elle était tout de même assez voyante.

Cependant, en termes de spectacle, il y avait un membre de plus dans le groupe de Yuuto, et c’était avec son aide que Yuuto avait stupéfié les habitants du village pendant qu’il le traversait.

+++

« Bwah hah hah hah ! »

Debout à l’intérieur du hörgr, la salle du sanctuaire consacrée à la déesse Fjörgyn, l’homme regarda le patriarche du Clan de l’Acier et son groupe s’approcher en montant les escaliers de l’entrée, et il éclata d’un rire ravi.

L’homme avait des cheveux noirs, un trait extrêmement rare à Yggdrasil.

Il avait déjà plus de soixante ans, mais son corps et son expression étaient remplis d’une énergie vibrante qui lui donnait l’impression d’être encore au début de la quarantaine, ou peut-être même à la fin de la trentaine.

Il s’appelait Nobunaga. Il était le patriarche du Clan de la Flamme, qui régnait sur la région de Helheim — et qui contrôlait désormais aussi la moitié sud de Vanaheimr.

« Eh bien, il semble qu’il soit un homme aussi intéressant que les rumeurs le décrivent ! Quelle entrée vraiment spectaculaire ! »

Tout d’abord, l’acte audacieux de n’emmener que neuf accompagnateurs était magnifique et digne d’éloges. Et en plus, la moitié d’entre eux étaient des femmes, et trois d’entre elles étaient même des enfants !

Les hommes de son groupe étaient également tous incroyablement beaux, et d’ordinaire, la seule beauté affichée par ce groupe dans son ensemble aurait suffi à attirer son attention.

Cependant, à ce moment précis, Nobunaga ne leur avait pas du tout prêté attention.

« J’ai entendu dire que l’empire de Ming avait des tigres, et que le pays de l’Inde avait une créature géante au long nez appelée éléphant, deux bêtes que l’on ne trouve pas dans ma patrie. Et j’ai entendu parler d’une terre lointaine appelée Afrique, où les gens ont tous la peau aussi noire que celle d’un taureau, tout comme mon ancien serviteur Yasuke. J’ai entendu l’intrigante affirmation que le monde est rond comme une balle. Mais ça, cette créature, c’est quelque chose dont je n’ai entendu parler que dans des contes mythiques ! »

Le regard de Nobunaga était fixé sur un point : La créature à fourrure blanche sur laquelle Yuuto était monté.

« Moi non plus, je n’ai jamais vu un loup aussi gigantesque », remarque son second, Ran, qui avait les yeux écarquillés par le choc.

En effet, de par sa forme, il ressemblait exactement à un loup géant.

Cette créature était un garmr, une espèce de bête originaire des montagnes Himinbjörg, loin au nord, où ils étaient à la fois craints comme prédateurs et vénérés comme créatures sacrées par les habitants locaux.

En tant que puissant chef de guerre et souverain, Nobunaga avait reçu une grande variété de trophées d’animaux rares en guise de tribut, mais un loup assez grand pour porter un homme adulte sur son dos était quelque chose que même lui n’avait jamais vu.

De plus, il y avait le fait même que cette créature avait été apprivoisée pour servir de moyen de transport à cet homme. C’était surprenant en soi.

« Heh heh heh, quand j’ai rencontré mon beau-père pour la première fois au Shotokuji, j’ai fait mon propre spectacle et je lui ai fait une surprise, mais je dois admettre que ceci fait honte même à cela !

Nobunaga avait fermé les yeux un instant, se remémorant le souvenir de ce jour lointain.

C’était à l’époque où il n’était qu’un homme d’à peine vingt ans.

Il avait reçu une demande de rencontre en personne de son beau-père Saito Dosan, le seigneur régnant de Mino. Nobunaga avait amené avec lui une suite équipée d’armes à feu, qui étaient encore assez rares à l’époque, et il avait changé de tenue entre les différentes parties de sa visite. Ses actions étaient inhabituelles et avaient déconcerté les badauds pendant la visite.

Mais cette démonstration du patriarche du Clan de l’Acier lui avait donné l’impression d’être l’objet d’une telle méchanceté.

“D’accord, nous devons absolument faire en sorte que ces négociations aboutissent.”

Assis au sommet de Hildólfr, Yuuto avait senti un frisson s’emparer de lui.

Lorsqu’il atteignit le sanctuaire, il y avait au moins plusieurs centaines de soldats du Clan de la Flamme qui l’attendaient. Il lui fallait une bonne dose de courage pour continuer à avancer alors qu’ils étaient moins de dix à ses côtés.

Cependant, ce n’était pas vraiment le plus gros problème à ce stade. Il avait pris la décision de montrer ses intentions pacifiques en n’amenant qu’un petit nombre de personnes, et il était déterminé à aller jusqu’au bout.

Non, ce qui avait fait froid dans le dos de Yuuto, ce sont les armes qu’ils avaient.

Leurs longs canons cylindriques brillaient d’un éclat noir et métallique, et ils étaient tous tenus prêts contre l’épaule, pointant vers le ciel.

Il en avait vu des images dans des films et des mangas — c’était des fusils à mèche de style japonais.

“Il en a donc plus d’une centaine…,” murmura Yuuto pour lui-même.

Il était impossible que Nobunaga ait pu en apporter autant directement de la période Sengoku, ce qui signifie qu’il avait dû les faire construire ici à Yggdrasil.

En d’autres termes, il ne pouvait pas s’agir de la fin de son approvisionnement, et il avait la capacité de produire encore plus.

En revanche, même si Yuuto avait accès aux connaissances et aux informations de l’ère moderne, il n’allait pas pouvoir maîtriser la fabrication des armes du jour au lendemain.

Même dans l’exemple de l’arme à feu à mèche introduite pour la première fois au Japon, ils disposaient de modèles réels à disséquer et à analyser, et il avait quand même fallu deux ans au souverain de Tanegashima pour réussir à produire la sienne.

Même avec la célèbre et talentueuse forgeronne Ingrid à ses côtés, deux ou trois ans ne suffiraient pas. Il lui faudrait de nombreuses années d’expérimentation avant de pouvoir produire suffisamment d’armes pour rattraper le Clan de la Flamme. Et pendant ce temps, Yggdrasil sombrerait dans l’océan.

Jusqu’à présent, Yuuto avait toujours combattu ses ennemis en conservant un avantage technologique et stratégique écrasant sur eux. Mais maintenant, s’il faisait du Clan de la Flamme son ennemi, pour la première fois, il serait forcé de faire la guerre à un adversaire qui le surpassait en termes d’armement.

Yuuto n’avait pas pu s’empêcher de déglutir nerveusement.

Mais l’instant d’après, même la menace des fusils à mèche avait complètement disparu de son esprit, comme si elle avait été soufflée par une explosion.

“Je suis heureux de faire votre connaissance, Seigneur Patriarche du Clan de l’Acier. Je suis le patriarche du Clan de la Flamme, Oda Nobunaga.”

"!?"Lorsque les yeux de l’homme rencontrèrent ceux de Yuuto, ce dernier sentit son cœur battre avec force dans sa poitrine, comme un marteau s’abattant sur une enclume.

La force derrière le regard de Nobunaga était incroyable.

Il était clair que le patriarche du Clan de la Flamme ne le regardait pas de manière menaçante. En fait, son expression était plutôt accueillante et amicale.

Et pourtant, même ainsi, Yuuto se sentait accablé. C’était comme s’il voyait un vaste océan s’étendre derrière l’homme, et il luttait pour ne pas être entraîné dans cet océan.

Ce type… Il n’y a pas d’erreur. C’est vraiment lui.

Auparavant, la personne de laquelle Yuuto avait ressenti la pression la plus écrasante et la plus menaçante avait été Steinþórr, l’ancien patriarche du Clan de la Foudre. Mais comparé à cet homme qui se tenait devant lui, ce monstre à deux runes ne semblait plus être qu’un petit chaton docile.

Yuuto descendit de Hildólfr et fit une légère révérence avant de se présenter.

« Je suis heureux de faire votre connaissance. Je suis le patriarche du Clan de l’Acier, Suoh Yuuto. C’est un honneur de rencontrer face à face le plus célèbre héros de l’histoire de ma patrie. »

« Oho ? Votre patrie, c’est ça ? » Nobunaga avait rétréci ses yeux et avait regardé plus attentivement le visage de Yuuto. « J’avais des soupçons quand j’ai reçu ce katana en cadeau de votre part. Alors, vous êtes aussi originaire du Nippon ? »

Nobunaga gloussa. Il trouvait sans doute un peu de plaisir à rencontrer un de ses compatriotes de plus, ici, dans cette étrange contrée si éloignée du Japon.

Pour Yuuto lui-même, il avait appris que l’un des plus grands héros historiques de son pays, quelqu’un dont il respectait beaucoup l’exemple, était venu dans ce monde d’Yggdrasil et s’était élevé pour régner sur l’une de ses plus grandes nations. Même si cette situation représentait désormais une menace pour lui, Yuuto ne pouvait s’empêcher de se sentir heureux.

***

Partie 3

« Oui, c’est vrai. Cependant, je suis venu d’une époque située plus de quatre cents ans dans le futur par rapport à la vôtre. »

« Vraiment ? Alors je pense que vous aurez de nombreuses histoires intéressantes à me raconter. »

Ainsi, la première rencontre entre les deux compatriotes japonais avait commencé sur une note amicale.

« Alors, ce petit rat chauve a vraiment vaincu mes ennemis, n’est-ce pas ? »

Nobunaga avait écouté le récit de Yuuto avec grand intérêt, hochant parfois la tête pensivement.

Comme Yuuto venait du futur de Nobunaga, ce dernier avait voulu savoir ce qui s’était passé après sa disparition du Japon.

« Oui. En l’espace de seulement dix jours, Hideyoshi a quitté le château de Takamatsu et a effectué une marche forcée jusqu’à Kyoto. Il a attaqué l’armée d’Akechi avant qu’ils aient pu se préparer correctement pour lui et a fini par mettre leurs forces en déroute. »

« En seulement dix jours !? » Nobunaga s’était tapé la main sur la cuisse en signe d’amusement et avait ri, les yeux pétillants. « Hah hah hah, je n’en attendais pas moins du rat chauve ! Il n’est rien s’il n’est pas rapide pour filer d’un côté et de l’autre. »

La distance entre le château de Takamatsu et la capitale japonaise, Kyoto, était d’environ deux cents kilomètres. Faire traverser cette distance à une énorme armée en seulement dix jours aurait été un défi presque impossible à relever.

Nobunaga avait sûrement une compréhension beaucoup plus personnelle de cette difficulté, puisqu’il était effectivement de cette époque et connaissait la logistique impliquée.

« Ainsi, en battant Akechi Mitsuhide, l’ennemi de son défunt maître, Hideyoshi a rapidement étendu sa puissance et s’est imposé comme l’un des plus forts membres du clan Oda. »

L’a-t-il fait ? J’imagine que Gonroku n’était pas très content de ça. »

« Gonroku ? » Yuuto avait répété le nom, confus.

Pendant qu’ils parlaient, Nobunaga continuait à désigner les gens par des noms bizarres ou inconnus, et Yuuto avait du mal à savoir qui était qui.

« Hm ? Je parle de Shibata Shurinosuke, » répondit Nobunaga.

Yuuto ne reconnaissait pas le nom de Shurinosuke, mais le nom de la famille Shibata lui disait quelque chose.

« Oh. Vous voulez dire Shibata Katsuie. C’est comme vous l’avez dit, il s’est opposé à Hideyoshi et, plus tard, a combattu et perdu contre lui à la bataille de Shizugatake. Et, euh, votre jeune soeur, Oichi, est malheureusement morte à ses côtés… »

« Quoi ? Pourquoi Oichi aurait-elle quelque chose à voir avec ça ? »

« Oh, c’est parce qu’à ce moment-là, elle s’était remariée, cette fois avec Katsuie… »

« Ohoho, vraiment, maintenant ? Eh bien, maintenant que j’y pense, ces deux-là avaient été plutôt amoureux l’un de l’autre, malgré la différence de classe entre eux. »

Le regard de Nobunaga dériva vers le plafond du hörgr tandis qu’il se remémorait ces souvenirs, hochant distraitement la tête.

Il s’agissait d’un ajout historique de l’homme lui-même, quelque chose que l’on ne pouvait trouver dans aucun manuel scolaire.

C’était tellement plus vivant et réel.

« Alors, est-ce que ce rat chauve a continué à prendre mon clan Oda pour son usage ? »

« Oui, il l’a fait. Il a pris le contrôle de la principale lignée familiale, puis a entrepris de supprimer les autres factions qui lui résistaient. Environ dix ans après votre mort, il a finalement réussi à conquérir et à unifier le Japon. »

« Vraiment ? Eh bien, je suppose que c’est comme ça, » dit Nobunaga avec un sourire en coin, en posant son menton sur une main.

Conquérir toutes les provinces rivales du Japon et les unir sous une seule domination était un rêve que Nobunaga avait passé presque toute sa vie à poursuivre.

Alors qu’il était à deux doigts de l’atteindre, il avait été trahi par l’un de ses alliés et n’avait pas pu s’assurer que ses descendants héritent du contrôle de son clan. Au final, son loyal subordonné avait fini par prendre à la fois son clan et la gloire d’avoir atteint le but de sa vie.

Yuuto pouvait facilement deviner à quel point cette connaissance devait être décevante pour lui.

« C’est du moins tout ce que je sais de l’histoire. Mais après être censé être mort lors de l’incident à Honno-ji, comment avez-vous atterri dans cet endroit ? »

Parler de sujets trop sombres et déprimants pour son homologue causerait des problèmes à Yuuto. Il avait donc décidé de les amener sur un autre sujet, même si c’était un peu fort de sa part.

À première vue, Nobunaga apparaissait à Yuuto comme un homme d’une trentaine d’années ou tout au plus d’une quarantaine. Cependant, il était au courant de l’incident du Honno-ji.

Et s’il le savait, alors ça voudrait dire…

« Hmph, c’est exactement comme vous le dites. J’ai été pris en embuscade à Honno-ji par ce fou à tête d’or, et avec Ran ici présent, j’ai été forcé d’entrer dans les salles intérieures du temple. J’ai survécu à Okehazama et Kanegasaki, et à bien d’autres moments dangereux, mais à ce moment-là, même moi, j’ai pensé que j’étais sûrement fini. C’est alors que c’est arrivé. Un vieux miroir sur l’une des étagères a soudainement brillé d’une lumière vive. Quand je suis revenu à moi, j’étais dans ce pays. »

« Ah, j’avais le sentiment que c’était quelque chose comme ça. C’est la même chose que ce qui m’est arrivé. »

Le miroir en question avait dû être fabriqué avec de l’álfkipfer, le « cuivre elfique » magique d’Yggdrasil, et il avait dû être relié à un endroit quelconque de ce monde.

L’Álfkipfer ne pouvait normalement être obtenu qu’à Yggdrasil, et la façon dont un miroir fabriqué avec ce matériau s’était retrouvé dans le lointain pays du Japon restait un mystère.

« Oho, donc vous avez également été amené ici par l’un de ces étranges miroirs. »

« C’est le cas. Au début, je ne pouvais même pas parler la langue, et j’ai eu beaucoup de mal à vivre ici. »

« Keh heh heh. C’était la même chose pour moi. Apprendre une langue étrangère à mon âge, c’était un vrai combat ! »

Contrairement au récit lugubre de Yuuto, Nobunaga s’en moquait comme d’un simple événement du passé.

Yuuto avait vu cela comme une autre façon de l’impressionner.

« Au fait, quel âge avez-vous maintenant ? »

« Je suis arrivé à 60 ans cette année. »

« Alors je vous félicite pour cette magnifique étape. »

Yuuto s’était souvenu, grâce à ses études, qu’Oda Nobunaga avait quarante-neuf ans lorsqu’il avait péri à Honno-ji. Nobunaga était célèbre pour son amour de la pièce de théâtre nô Atsumori, dont il citait souvent la réplique : « La vie humaine ne dure que cinquante ans. »

Nobunaga était mort à presque exactement cinquante ans, comme dans son verset préféré, et cette lecture avait laissé une profonde impression à Yuuto.

S’il devait calculer en fonction de cet âge…

« C’est impressionnant, tout comme je m’y attendais. Transporté dans cette terre étrangère dont vous ne connaissiez même pas la langue, en un peu plus de dix ans vous vous êtes élevé au pouvoir en tant que dirigeant du Clan de la Flamme, l’une de ses nations les plus puissantes. »

« Vous feriez mieux de ne pas vous méprendre. Je ne me suis pas élevé à la tête d’une grande nation. J’ai pris le Clan de la Flamme et l’ai transformé en une grande nation. »

Le ton de Nobunaga était très sérieux et concret.

Cette incroyable confiance en lui, à la limite de l’arrogance, n’était peut-être que le propre d’un héros légendaire sorti de l’histoire.

« Alors, et vous ? » demanda Nobunaga. « Quel âge avez-vous ? »

« Erm, je viens d’avoir dix-sept ans il y a peu de temps. Oh, mais d’après la façon dont on comptait l’âge à votre époque, je serais considérée comme ayant dix-huit ans. »

« Si jeune ! Oh, mais plus important encore, combien d’années se sont écoulées depuis votre arrivée ici ? »

« Environ trois ans. »

« Oho, seulement trois ans ! » Assis en tailleur en face de Yuuto, Nobunaga se tapa à nouveau la main sur la cuisse. « Eh bien, que dire de ça ? Vous êtes bien plus impressionnant que moi ! »

« Pas du tout. J’étais juste… Je suppose que je devrais dire béni par la chance. »

« Ne soyez pas trop humble. On ne peut pas se hisser à une position de pouvoir et de domination par la seule chance. Ce monde n’est pas si gentil que ça. »

« C’est en grande partie grâce à vous, Seigneur Nobunaga. J’ai étudié vos politiques et vos méthodes, et j’ai beaucoup appris de leur exemple. »

« Hmph, une flatterie si évidente. Mais ça ne me fait pas de mal de l’entendre. Pourtant, vous avez l’habitude de balancer le vrai nom d’une personne dans une conversation normale, n’est-ce pas ? »

« Hein ? … Oh, à l’époque d’où je viens, c’est devenu normal pour tout le monde. J’espère que je ne vous ai pas offensé. »

Par « vrai nom », Nobunaga faisait référence au concept japonais d’imina, selon lequel appeler les gens par leur vrai nom est tabou dans certaines situations. Dans ce cas précis, il faisait probablement référence à son propre prénom, Nobunaga.

Pendant la période Sengoku, appeler quelqu’un par son véritable prénom n’était autorisé que pour les membres de la famille proche et immédiate, et cela serait considéré comme offensant pour tout autre personne. Yuuto s’était souvenu de tout cela grâce au commentaire de Nobunaga, bien qu’il soit déjà un peu tard.

« Cela ne m’a pas offensé en particulier, mais cela m’a rendu curieux. »

« Hum, alors, comment dois-je m’adresser à vous ? »

« Hm. Je pense que cela dépendra de la façon dont notre discussion va se dérouler à partir de maintenant. » Les lèvres de Nobunaga se retroussèrent en un sourire.

Les seules personnes autorisées à appeler un homme de son époque par son véritable prénom étaient les membres de sa famille proche.

En d’autres termes, la façon dont Yuuto l’appelait à l’avenir dépendait de son acceptation ou non de prêter le serment du Calice de la Fraternité.

« Alors, le Calice de la Fraternité est avec une répartition égale de la puissance entre nous, c’est ça ? » demanda Nobunaga. « Mais, d’après ce que j’ai vu de vous jusqu’à présent, je me demande si vous valez vraiment tant que ça ? »

Alors que Nobunaga disait cela, l’aura intimidante qui l’entourait semblait s’étendre vers l’extérieur avec une force presque explosive.

Yuuto se sentait attaqué, comme si une main invisible avait serré son cœur dans sa poigne, et qu’un poids massif pesait sur lui.

« Ngh !? »

« Kh… !? »

« Eek ! »

« Ah ! »

De derrière lui, Yuuto pouvait entendre les cris stridents et haletants des filles qui l’avaient accompagné.

Chacune d’entre elles était un Einherjar qui avait survécu à de nombreuses batailles et frôlé la mort, et aucun d’entre elles ne manquait de force de caractère. Malgré cela, elles avaient été facilement écrasées par la présence de Nobunaga.

En effet, c’était vraiment l’aura de l’homme qui avait mis un terme à l’ère séculaire des états belligérants au Japon, et qui avait presque pris la nation entière pour lui.

Et avec un sourire en coin, Yuuto avait balayé cette incroyable pression de côté.

« En tant que Japonais, je vous considère avec le plus grand respect. Mais l’équilibre du pouvoir entre nos clans est une autre affaire. »

Yuuto portait aussi sur ses épaules le destin du Clan de l’Acier, le poids de dizaines de milliers de vies.

En tant que porteur de ce poids, il ne pouvait pas se permettre de laisser la pression de l’intimidation d’un autre homme le mettre à genoux.

Yuuto avait pris une longue et profonde inspiration, et avait mentalement changé de rythme.

***

Partie 4

« On se serre la main par-dessus la table, tout en se donnant des coups de pied en dessous. »

« Tendez la main pour serrer la main avec votre droite, tout en tenant une massue dans votre gauche. »

Comme l’illustrent ces dictons, les réunions diplomatiques, en particulier entre les hauts dirigeants des nations respectives, n’étaient jamais une simple conversation amicale. Aussi paisibles que les choses puissent paraître en apparence, la diplomatie internationale met en jeu des intérêts divergents et des gains et pertes potentiels à grande échelle.

Nobunaga avait commencé à faire pression afin d’obtenir des conditions qui lui étaient encore plus favorables.

Yuuto ne pouvait pas se permettre de le laisser gagner. Il redressa sa posture et prit le visage du réginarque, seigneur d’une nation puissante. Il ouvrit son cœur et laissa l’aura du conquérant en lui se déverser.

« En tant que patriarche du Clan de l’Acier, je vais une fois de plus vous faire cette proposition, à vous, le patriarche du Clan de la Flamme. Je veux que vous échangiez avec moi le serment du calice de la fratrie, avec un partage égal de l’autorité, cinquante-cinquante. »

Les deux individus s’étaient regardés, et l’air entre eux avait semblé crépiter et faire des étincelles.

Cette fois, les soldats du Clan de la Flamme avaient poussé des cris de surprise.

« Donc, vous avez aussi une bonne dose de combativité en vous. Tant mieux, ce serait plutôt inintéressant sinon. »

Un sourire vicieux se dessina sur le visage de Nobunaga, et l’aura qui l’entourait semblait devenir encore plus intense, l’air encore plus lourd.

Le Roi Démon de la période Sengoku avait reconnu Yuuto et était enfin devenu sérieux.

Le temps des échanges de plaisanteries était terminé. C’était la vraie bataille.

Uugh, qu’est-ce qui se passe là ?

Les yeux pleins de larmes, Hildegard ne peut s’empêcher de pleurnicher, ne serait-ce que dans ses pensées.

Il y a quelques instants, les deux patriarches du clan évoquaient joyeusement la patrie commune dont ils étaient originaires.

Elle les avait même entendus éclater de rire de temps en temps. Tout semblait se passer très bien, quand tout à coup, c’était comme si l’air avait changé dans toute la pièce, et maintenant tout le monde était pressé par le poids écrasant de leurs auras menaçantes.

La source de cette force était, bien sûr, les deux personnes au milieu de la pièce qui se regardaient en souriant.

Tout le corps d’Hildegard tremblait, jusqu’au plus profond de son être, et elle ne pouvait pas l’arrêter.

Tous les poils de son corps se hérissaient, et l’air lourd était si oppressant qu’elle avait même du mal à respirer.

En regardant sur le côté, les membres vétérans de l’unité Múspell étaient figés et tout aussi pâles qu’elle, si ce n’est plus.

Félicia et les autres membres de haut rang du Clan de l’Acier étaient assis en face d’elle, elle ne pouvait donc pas voir leurs visages, mais elle pouvait voir les perles de sueur qui s’étaient formées sur leurs joues et leurs bras.

S’il n’y avait pas eu ce dur entraînement que Mère m’a fait subir, j’aurais pu me mouiller à nouveau ici…

À cet instant, Hildegard était peut-être plus reconnaissante envers Sigrún qu’elle ne l’avait jamais été depuis qu’elle avait rejoint la faction de son clan.

La pression qu’elle ressentait en ce moment était si forte qu’elle faisait passer l’aura d’intention meurtrière de Sigrún pour une simple brise en comparaison, mais l’entraînement qu’elle avait reçu de sa mère jurée lui avait au moins donné un certain niveau de résistance à cette pression.

Grâce à cela, jusqu’à présent, elle s’en était tirée sans avoir à se mouiller un tout petit peu, pendant une fraction de seconde.

À la décharge d’Hildegard, elle n’était pas une fille manquant de courage ou de nerfs.

Comme le prouvait la façon dont elle avait repoussé l’aura menaçante de Sigrún pendant leur match d’entraînement, elle était en effet tout à fait adaptée à ce genre de situation.

Cependant, il se trouvait que les deux personnes en face d’elle étaient tout simplement d’un autre ordre de grandeur en termes de puissance.

Uungh, je n’aurais jamais dû venir sur cette mission !

 

 

Elle avait l’impression que les minutes s’effaçaient de sa vie, à un rythme de plus en plus rapide.

C’était trop dur à supporter pour son cœur.

Honnêtement, elle avait envie de se lever et de s’enfuir en courant, sans se soucier des apparences ou de la honte. Mais elle ne pouvait pas bouger un muscle, c’était comme si elle était paralysée.

C’était comme une torture. Elle ne le comprenait pas.

Il ne faut pas qu’il y ait une bataille entre les dieux ici sur le sol !

Alors qu’Hildegard continuait à se plaindre intérieurement, tout ce qu’elle pouvait faire pour l’instant était de rester assise et de regarder les événements se dérouler devant elle.

Oho ! Si jeune, et pourtant il peut manier autant de volonté !

Intérieurement, Nobunaga était réellement impressionné que ce jeune homme ait réussi à repousser la pression intimidante de Nobunaga avec la sienne.

C’était un homme qui aimait ceux qui avaient de la force.

Si ses subordonnés ne pouvaient pas produire de résultats, il les écartait sans ménagement, comme il l’avait fait avec Hayashi Hidesada et Sakuma Nobumori, d’importants serviteurs du clan Oda qui avaient servi depuis l’époque de son père. À l’inverse, tant que quelqu’un pouvait lui démontrer sa force et son utilité, il acceptait les personnes issues de milieux modestes, comme ce fut le cas pour Hashiba Hideyoshi. Il pouvait même pardonner la trahison, comme il l’avait fait avec Matsunaga Hisahide.

Ce jeune homme assis en face de lui avait pris le contrôle du minuscule et faible Clan du Loup et l’avait transformé en une nation qui contrôlait la majorité de la région d’Álfheimr en seulement deux ans.

L’état de la civilisation à Yggdrasil était très en retard sur l’époque dont il était originaire. Il était facile d’imaginer que, comme lui, ce jeune homme avait dû utiliser un assortiment de connaissances venues du futur et nouvelles pour les gens d’ici, afin de favoriser son ascension au pouvoir.

Mais même ainsi, cela n’avait pas changé l’incroyable accomplissement que c’était.

Nobunaga avait décidé qu’il aimait Yuuto. Cependant, il était aussi le type d’homme tordu qui aimait brutaliser les personnes qu’il appréciait le plus.

« Maintenant, comment allons-nous aborder cela ? Je soupçonne que je sais pourquoi vous voulez cette alliance avec moi. C’est à cause de l’ordre d’asservissement émis par cette soi-disante þjóðann, oui ? »

« Alors, vous étiez déjà au courant…, » dit Yuuto, avec une expression amère.

Nobunaga avait répondu avec un sourire malicieux. « Bien sûr que je le sais, vu que j’ai également reçu un message demandant ma participation à la campagne contre vous. »

Nobunaga n’avait aucune connaissance du fonctionnement des dieux ou des esprits, et il n’était certainement pas né et n’avait pas été élevé dans la culture religieuse d’Yggdrasil. Il était également le genre d’homme qui, bien que ne croyant pas aux enseignements du bouddhisme, se désignait publiquement comme le Roi-Démon du Sixième Ciel, volant un titre au panthéon bouddhiste.

Nobunaga n’avait pas une once de révérence ou de crainte pour l’autorité ou le pouvoir symbolique de la Divine Impératrice, ni l’intention d’obéir un jour à son autorité impériale.

En fait, c’était le genre de personne qui, si vous lui disiez : « Fais ça ! » il serait tenté de refuser, même si c’était quelque chose qu’il avait prévu à l’origine de faire.

Ainsi, il avait complètement écarté l’ordre d’asservissement et l’avait oublié jusqu’à ce jour. Mais dans le but de tester le caractère de ce jeune homme, c’était l’arme parfaite.

« Je peux voir que, pour vous et le Clan de l’Acier, mon Calice deviendrait une clé pour vous sauver de cette situation dans laquelle vous êtes entourés d’ennemis de tous les côtés, et ainsi vous sauver de votre perte. Cependant, pourquoi ne vois-je rien de particulièrement appétissant dans cet arrangement pour nous, le Clan de la Flamme ? Et je vous conseille de ne pas répondre en me disant que je ne serai pas menacé par une grande puissance du nord, ou quelque chose d’aussi ennuyeux. Après tout, même sans partager une alliance avec vous, je connais très bien votre situation, et je sais que vous n’êtes pas en mesure de monter une réelle menace contre nous — ou de préparer une défense contre nous. »

D’un seul coup, Nobunaga avait exposé la situation du Clan de l’Acier et ses objectifs pour l’alliance, puis abattu d’avance l’argument que Yuuto pourrait avancer.

Si Yuuto ne pouvait pas répondre efficacement ici, alors c’était bien, Nobunaga pourrait prétendre que cette alliance était une faveur de son clan pour le leur, et utiliser cela pour obtenir plus d’avantages et de bénéfices de l’arrangement. Et si Yuuto parvenait à dépasser ses attentes avec une réponse intelligente, alors ce serait amusant.

Peu importe la tournure de la situation, Nobunaga pouvait en apprécier les résultats.

Nobunaga avait examiné le visage de Yuuto, à la recherche de sa réaction. Le jeune homme ne semblait pas particulièrement perturbé.

« Si vous comprenez si bien notre situation, alors il n’y a pas de raison de passer sous silence certaines choses. Dans ce cas… Que pensez-vous de ceci ? Au cours de notre invasion du Clan de la Foudre jusqu’à présent, nous avons capturé et pris le contrôle de la région de Gashina. Si vous acceptez de prêter le serment du Calice avec moi, nous remettrons l’intégralité de ce territoire au Clan de la Flamme. »

« Quoi !? » Même Nobunaga n’avait pas pu s’empêcher d’être interloqué.

Le dirigeant d’une nation avait la responsabilité première de protéger le territoire qu’il contrôlait.

Et qui plus est, Gashina n’était pas n’importe quelle vieille étendue de terre.

Il était situé à côté de la rivière Körmt, et le sol du bassin fluvial était riche et parfait pour l’agriculture. L’esprit de Nobunaga s’emballait en pensant au nombre de soldats qui pourraient être nourris avec le blé cultivé ici.

Ce territoire avait une importance stratégique extrêmement élevée. Accepter si facilement de l’abandonner était quelque chose que seul un imbécile ferait.

Leurs négociations venaient juste de commencer, ils devaient donc encore en être aux premiers coups de ce jeu. Si ce jeune homme mettait une carte aussi précieuse sur la table si tôt, cela pourrait le laisser ouvert à des demandes encore plus importantes à la fin.

Nobunaga lui avait-il accordé trop de crédit par erreur ? L’avait-il mal jugé ?

En regardant Yuuto d’un air soupçonneux, il avait vite compris que ce n’était pas vrai.

Il n’y avait pas une trace d’hésitation ou de doute dans les yeux de Yuuto. Il n’avait pas non plus montré le moindre regret pour ce qu’il allait abandonner.

Ce n’était pas du tout le visage de l’homme faible qui faisait des offres généreuses pour s’attirer les faveurs de l’autre partie. C’était le visage de quelqu’un qui avait discrètement fait ses propres calculs astucieux, puis avait décidé de s’engager contre le grand Oda Nobunaga, avec la ferme intention d’en sortir vainqueur. C’était le visage d’un vrai homme.

Qu’est-ce qui se passe ici ?

Nobunaga fronça les sourcils, incapable de comprendre le véritable but du geste de Yuuto.

Y avait-il peut-être un problème avec Gashina ? Il n’avait pas reçu d’informations à ce sujet. D’après ses recherches antérieures, la région avait connu une augmentation importante et régulière de sa productivité au cours des dernières années.

Il ne pouvait pas du tout deviner ce que ce jeune homme essayait de faire. Et ce mystère était merveilleux.

Heh heh, vous êtes un adversaire amusant !

Contrairement à son âge, le cœur de Nobunaga dansait avec une excitation enfantine.

« Qu’est-ce que vous en pensez ? » demanda Yuuto, en mettant plus de puissance dans son ton. « Je dirais que cet arrangement est plus qu’appétissant pour le Clan de la Flamme, n’est-ce pas ? »

***

Partie 5

Tout à l’heure, il avait vraiment le sentiment que son offre avait déséquilibré son adversaire, et il devait pousser plus fort ici.

En tant que dirigeant de sa nation, Yuuto avait le devoir de conserver et de protéger le territoire qu’il contrôlait. Il en était pleinement conscient.

Et en plus, c’était une terre fertile le long de la rivière Körmt.

S’il appliquait le système de rotation des cultures de Norfolk, les engrais et les autres techniques agricoles avancées détenues par le Clan de l’Acier, alors en trois ans, cette région produirait sans aucun doute plus du double de ses récoltes, ce qui ferait croître encore plus le Clan de l’Acier.

Bien sûr, cela ne serait vrai que s’il avait trois ans devant lui.

On ne savait pas si Yggdrasil existerait encore dans trois ans.

Au minimum, Yuuto prévoyait d’avoir déjà achevé le déplacement de son peuple vers un autre continent d’ici là.

En ce sens, Gashina était une terre qu’il comptait abandonner de toute façon.

Bien sûr, il n’était pas prêt à offrir un territoire qu’il détenait depuis longtemps à l’intérieur des anciennes frontières du Clan de l’Acier, car il serait trop difficile de gérer les questions d’honneur national et de devoir envers son peuple. Mais les terres qu’il avait récemment acquises du Clan de la Foudre étaient de bonne guerre, et il serait en mesure de le justifier auprès de son clan.

De plus, en cédant un territoire qui allait bientôt ne plus avoir de valeur pour lui de toute façon, il pouvait éliminer la menace d’une invasion par le sud, ce qui lui donnait l’assise nécessaire pour se préparer à marcher vers le centre de l’empire sans se soucier d’une attaque par-derrière.

Si cela signifiait que cette négociation réussissait, alors il ne pouvait demander mieux. Une partie de lui avait l’impression de tromper Nobunaga, étant donné que la terre serait bientôt perdue dans les mers, mais dans cette situation, il ne pouvait pas laisser cette frustration l’arrêter.

« Hm. Il est vrai que cette offre rendrait aussi cette alliance avantageuse pour nous. Cependant, je sais aussi que toute offre qui semble trop belle pour être vraie a une face cachée, » dit Nobunaga, et fixa Yuuto avec des yeux qui semblaient le chercher.

C’était une réaction parfaitement naturelle.

En fait, comme indiqué ci-dessus, il y avait un piège caché dans l’offre de Yuuto. Bien sûr, il ne pouvait pas exactement l’expliquer.

Sans montrer aucun changement dans son expression, Yuuto avait continué, récitant le discours qu’il avait mémorisé.

« Notre succès durant cette campagne n’aurait pas été possible sans le Clan de la Flamme. Votre guerre avec le Clan de la Foudre a attiré leurs armées vers le sud, et vous avez tué leur ancien patriarche Steinþórr. On peut dire que nous avons récolté les bénéfices de votre combat contre eux. Comme j’ai l’intention de devenir votre frère juré, garder avidement ces avantages pour notre clan maintenant ne ferait que conduire à un sentiment persistant d’injustice entre nous dans le futur. J’en ai simplement conclu que si je voulais forger une amitié plus solide et durable avec votre clan, il serait préférable que je sois plus généreux avec ce butin. »

« Est-ce pour ça ? Vous voulez forger une amitié solide et durable avec nous, n’est-ce pas ? Eh bien, je n’ai aucune raison de douter de ces paroles. Et mettre la main sur une grande quantité de terres fertiles sans avoir à se battre pour les obtenir n’est pas non plus une mauvaise proposition. »

« Alors, cela signifie-t-il… ? »

Yuuto s’était inconsciemment penché vers l’avant, pensant qu’il avait peut-être enfin trouvé sa voie.

Mais Nobunaga avait levé une main, lui coupant la parole.

« Ce n’est pas une mauvaise proposition… mais ce n’est qu’en vivant dans une lutte constante et désespérée que la vie brille de la plus grande lumière. Et l’homme connu sous le nom de Nobunaga n’est pas quelqu’un qui se contente d’accepter ce que les autres lui donnent. »

« Qu… !? »

« Si je peux obtenir quelque chose d’aussi précieux sans le moindre effort, alors je n’épargnerai aucun effort et j’obtiendrai encore plus par la force de mon ambition ! Voilà ce que je suis ! »

La main que Nobunaga avait levée pour faire taire Yuuto était maintenant serrée en un poing.

Yuuto pouvait voir que le bras de l’homme était traversé par de nombreuses cicatrices d’épée.

C’était une preuve visuelle qui confirmait ses paroles. C’était un homme qui avait vécu sa vie en prenant ce qu’il voulait par la force.

« L’invitation à vous attaquer est arrivée à ma porte, comme elle l’a sûrement fait pour tous les autres clans. Vous serez obligé pendant un bon moment de vous occuper de ça. Je n’aurais qu’à profiter de cette situation, et je pourrais m’emparer de toutes les terres adjacentes à la rivière Körmt sans trop de problèmes, non ? Si je devais me contenter de Gashina et laisser le reste partir, ce serait gâcher une opportunité pour mon clan, vous ne pensez pas ? Hm ? »

Utilisant sa compréhension complète de la situation de Yuuto à son avantage, il visait maintenant à arracher tout ce qu’il pouvait et à obtenir le maximum de bénéfices pour sa propre nation.

C’était exactement ce à quoi on pouvait s’attendre de la part de l’homme qui avait passé sa vie à essayer de conquérir tout le Japon. Ça n’allait pas être facile du tout.

« Dans ce cas, en plus de Gashina, je vous donnerai Cozzene. Alors… »

« Pas assez ! » Nobunaga s’était écrié, rejetant l’offre de Yuuto avant même qu’il ait pu finir de parler.

« N’est-ce pas assez ? Cozzene est une région très abondante, vous savez. »

« Oh, c’est loin d’être suffisant ! Je ne veux pas de morceaux, je veux tout. »

« … Ça ne mène nulle part. » Yuuto soupira et secoua la tête.

En d’autres termes, Nobunaga exigeait tout le territoire de Yuuto — exigeant que Yuuto et sa nation se soumettent et deviennent une filiale du Clan de la Flamme.

Dans une négociation, il est normal de ne pas mettre toutes ses cartes sur la table dès le départ. C’est quelque chose que l’autre partie comprendra naturellement aussi, comme un accord tacite entre les deux parties.

Ainsi, lorsque Yuuto avait offert Gashina en premier lieu, il était dans la portée de ses calculs que Nobunaga pourrait ensuite exiger davantage. Au pire, Yuuto était même prêt à renoncer à tout le territoire qu’il avait capturé du Clan de la Foudre au cours de cette campagne.

Cette demande, cependant, il ne pouvait pas l’accepter.

« Alors vous préférez faire de nous vos ennemis ? Je n’aurais aucun problème avec ça. » Nobunaga affichait un sourire cruel et mettait encore plus de pression.

Ce type me pousse dans ses retranchements dès qu’il en a l’occasion, se dit Yuuto.

C’était comme si tout était transparent pour cet homme — pas seulement le dilemme actuel de Yuuto, mais le résultat qu’il essayait le plus d’éviter. Il allait rester coincé dans ce désavantage s’il ne pouvait pas faire quelque chose à ce sujet.

Il avait décidé qu’il n’avait pas d’autre choix, et avait attrapé l’objet attaché à sa taille.

« Je me pose la question, » dit-il en le sortant de son étui. « Je pense que vous devriez éviter de faire du Clan de l’Acier votre ennemi. »

Avec un sourire intrépide, Yuuto avait saisi l’objet à deux mains, tourna brusquement son corps à quatre-vingt-dix degrés sur le côté, et tira légèrement en arrière avec son index.

Il y avait eu un grand BANG ! Mais pas seulement un. Il y en eut un deuxième, un troisième, un quatrième, alors que Yuuto appuyait sur la gâchette en une succession rapide.

Le son explosif des tirs résonnait dans tout le hörgr, et dans la direction où il avait tiré, il y avait quatre nouveaux trous aussi larges que le petit doigt d’une personne, traversant tout le mur.

« Quoi ? Un tanegashima ! ? Vous en avez aussi ! ? Et il peut tirer à plusieurs reprises !? »

Même Nobunaga avait été ouvertement choqué par cela.

À l’époque de Nobunaga, le pistolet à mèche était l’arme à feu la plus avancée disponible, et sa faiblesse la plus fatale était son incapacité à tirer en succession.

Plus que quiconque, Nobunaga aurait passé de nombreuses heures à se débattre avec le dilemme posé par cette faiblesse, et il aurait donc certainement compris à quel point une arme qui surmonte cette faiblesse serait effrayante.

« C’est vrai, et je peux toujours continuer à tirer. Je vous l’ai dit, vous vous souvenez ? Je viens d’un monde situé 400 ans dans votre futur. »

Avec cela, Yuuto avait fait un spectacle pour souffler la fumée du canon de son arme, et l’avait remis dans l’étui à sa taille.

Ses mains et son épaule étaient douloureuses à cause du recul, mais c’était un moment critique, et il s’était donc assuré de ne rien laisser paraître.

« Tout comme votre clan a ses tanegashimas, nous avons ceux-ci. Si vous avez l’intention de faire un geste contre nous, nous ne vous laisserons pas partir facilement. Je vous fais confiance, vous comprenez ? »

Yuuto avait dit cela avec une confiance dramatique, mais en réalité, c’était totalement un bluff.

Il était vrai que le pistolet de Yuuto était incroyablement avancé par rapport aux normes des armes de ce monde. Cependant, il n’avait ramené avec lui que celui-ci de l’ère moderne.

De plus, les balles modernes étaient également limitées, et il ne pouvait pas en fabriquer davantage.

Il parlait comme s’il en avait une grande quantité, afin de menacer le patriarche du Clan de la Flamme et de le faire reculer. C’était sa carte maîtresse.

Après tout, Yuuto en savait beaucoup sur cet homme.

Il savait que Nobunaga était audacieux et intrépide, et qu’il se déplaçait aussi vite que l’éclair une fois qu’il avait décidé d’agir… mais qu’il était aussi prudent, prêt à prendre son temps et à poser les bases de son succès avant de passer à l’action.

Nobunaga était un homme qui créait les conditions de ses victoires avant de partir au combat, et qui n’entamait pas une bataille qu’il ne pouvait pas gagner.

C’est ce sur quoi Yuuto misait avec cette provocation.

« Oho… » L’expression de Nobunaga avait changé.

Jusqu’à il y a un instant, on aurait dit qu’il testait Yuuto, mais aussi qu’il le taquinait. Comme si tout ça n’était qu’un jeu pour lui. Maintenant, cette couche avait été enlevée.

Le Roi-Démon de l’ère Sengoku regardait Yuuto sérieusement maintenant, et Yuuto se sentit dégoûté par la véritable aura de l’homme qui semblait rayonner de lui.

La présence intimidante de l’homme était absolument accablante, et Yuuto lui faisait face, non pas avec une réelle puissance, mais une menace vide. Cela demandait une quantité incroyable de courage.

Yuuto se montrait fort et confiant à l’extérieur, mais son cœur battait la chamade, et rien qu’en affrontant le regard de Nobunaga, il pouvait sentir sa force mentale s’épuiser.

Le silence s’était étiré pendant quelques instants apparemment sans fin, et chaque seconde qui passait semblait être une heure.

« Hm, il semble que vous affronter tous nous causerait un peu plus de peine que ça n’en vaut la peine. »

Nobunaga avait hoché la tête une fois, acceptant l’argument de Yuuto.

Enfin, Yuuto négociait sur un pied d’égalité.

Il savait que la glace était encore mince et qu’elle pouvait craquer à tout moment.

« Tout d’abord, je n’ai de toute façon pas le temps de perdre à me battre pour ces terres de l’ouest, » continua Nobunaga, parlant soudainement d’une manière très franche. « D’autant plus si mon ennemi me cause de réels problèmes. Je suis déjà vieux, après tout. J’ai toujours ce rêve que je n’ai pas pu réaliser à Nippon : conquérir le pays et l’unir sous ma domination. Si je souhaite que ce rêve devienne réalité ici, alors une fois que j’aurai fini de mettre le Clan de la Foudre sous ma coupe, je préférerais honnêtement éliminer toute menace d’attaque par-derrière, afin de pouvoir me dépêcher de marcher sur la capitale impériale Glaðsheimr. »

***

Partie 6

Comme le soupçonnait Yuuto, cet homme n’allait pas se contenter de régner sur le clan de la Flamme et le Clan de la Foudre. Il semblerait que dans ce pays, tout comme dans celui d’où il venait, il aspirait à une conquête totale.

Et il allait avancer vers ce but de front, le plus rapidement possible, sans cacher ses intentions. Cela lui ressemblait aussi beaucoup.

« Au risque de me répéter, mon clan est également assez occupé par notre propre situation, et nous aimerions également éliminer toute menace d’attaque par-derrière pendant que nous nous en occupons. »

« Oui, il semblerait que vous et moi ayons chacun notre lot d’ennemis sur lesquels nous devons nous concentrer pour le moment. Je dirais que cela signifie qu’il est un peu trop tôt pour que nous nous battions les uns contre les autres. »

Toutes les railleries et les pressions de Nobunaga avaient disparu, comme si elles n’avaient jamais existé.

Si c’est ce que tu ressens, alors tu aurais dû commencer par ça ! se dit Yuuto, mais il savait aussi que Nobunaga avait probablement changé d’avis après l’avoir testé et trouvé digne.

Si Nobunaga avait trouvé Yuuto indigne de sa considération, il se serait sûrement contenté de faire la guerre, de conquérir le clan de Yuuto et de l’ajouter à ses propres forces.

Peut-être que cette nouvelle attitude était une indication que le Serment du Calice de la Fraternité était de nouveau en discussion. Mais juste au moment où Yuuto pensait cela, les mots suivants de Nobunaga avaient fait chuter ces espoirs à nouveau.

« Malgré cela, c’est un problème. Je vise à être le conquérant incontesté de ce royaume, et je n’ai donc aucune envie de prêter un serment égal à quiconque. Après tout, il n’y a pas deux soleils dans le ciel. »

Nobunaga avait reposé son menton sur un bras, plongé dans ses pensées.

C’était le rêve qu’il avait passé toute sa vie à essayer de réaliser, puis auquel il s’était consacré à nouveau après avoir été envoyé dans ce nouveau monde. Ce dévouement n’était pas quelque chose qu’il pouvait compromettre si facilement.

Mais Yuuto n’était pas non plus prêt à reculer.

« Vous ne voulez pas y réfléchir ? », avait-il demandé.

« Ce n’est pas aussi simple que vous le dites, » répondit Nobunaga.

Puis, soudain, il s’était tapé la main sur la cuisse, comme s’il venait de trouver une idée géniale.

« … Oh, c’est ça ! Que dites-vous de ça, mon garçon ? Que pensez-vous de devenir mon enfant ? »

Quelques instants auparavant, Yuuto avait rejeté l’idée de se soumettre à Nobunaga. Cela semblait impossible pour cet homme, mais pendant un moment, Yuuto s’était demandé s’il n’avait pas simplement oublié, un trou de mémoire dans sa vieillesse.

Curieux, Yuuto avait donné à Nobunaga un regard interrogateur, l’encourageant à continuer.

« Bien sûr, je ne vous le demanderais pas sans condition. Si vous acceptez mon Calice et que vous deveniez mon enfant juré, je vous accorderais le poste de commandant en second, et la main de ma fille Homura en mariage. Comme je l’ai déjà dit, je suis déjà un vieil homme. Il ne me reste que peu de temps. En plus de cela, je n’ai pas engendré d’autres enfants dans ce pays. »

« Attendez, mais ça veut dire… »

Yuuto était presque sûr de savoir ce que ça voulait dire.

Son esprit lui disait toujours que ça ne pouvait pas être vrai, que c’était impossible.

Mais Nobunaga avait fait un signe de tête décisif, et l’avait confirmé.

« Épousez ma fille, et héritez de mon nom de famille. »

« Qu’en pensez-vous ? Au départ, j’absorberais le Clan de l’Acier dans le Clan de la Flamme, mais au final, le Clan de la Flamme tout entier serait à vous. Ce n’est pas un mauvais accord, n’est-ce pas ? »

Nobunaga avait tendu la main d’une manière qui exigeait pratiquement une poignée de main pour sceller l’accord.

Il est vrai que ce n’était pas du tout une mauvaise affaire.

En fait, Yuuto avait trouvé cela plutôt tentant.

Nobunaga — l’Oda Nobunaga — le reconnaissait comme digne de devenir son fils, et le successeur de sa famille et de son clan.

Il n’y avait aucune chance que ça ne le rende pas heureux.

Et pourtant, Yuuto n’avait pas eu d’autre choix que de secouer lentement la tête.

« Je suis désolé. Je ne peux pas accepter cette offre. »

Si on demandait à Yuuto s’il voulait prendre la main de Nobunaga à ce moment précis, il mentirait s’il disait le contraire.

En fait, s’il était le Yuuto d’il y a juste un an, il aurait absolument accepté le Serment du Calice dans ces conditions. Bon, d’accord, il y avait sa relation avec Mitsuki à prendre en compte, donc toute l’affaire du mariage avec la fille de Nobunaga aurait été difficile à résoudre.

Fondamentalement, les politiques de Yuuto en tant que patriarche dans le passé avaient toutes pour but d’assurer la sécurité de son peuple.

Les générations futures se pencheront sur les exemples historiques de l’impitoyabilité d’Oda Nobunaga lors de l’incendie des temples du mont Hiei, ou de la dureté de son comportement envers ses subordonnés, et se feront une image de lui dans la culture populaire comme d’une personne cruelle et sans cœur. Cependant, Nobunaga était aussi généralement un souverain bienveillant sur le territoire qu’il gouvernait.

Sa célèbre politique de « marchés libres et de guildes ouvertes » avait grandement stimulé la croissance économique et réduit les prix des marchandises dans ses terres.

Il avait institué de vastes réformes fiscales paysannes, supprimant les systèmes complexes d’impôts publics manorialistes et féodaux préexistants et les remplaçant par un impôt principal sur la quantité de riz cultivée sur les terres d’un agriculteur.

On disait que les fiefs territoriaux de Nobunaga, Owari et Mino, étaient si ordonnés et sûrs dans la plupart des endroits que les femmes pouvaient parcourir les routes seules.

Ici à Yggdrasil, le fait que le Clan de la Flamme puisse soutenir des dizaines de milliers de soldats dans ses armées était également une preuve de sa prospérité. Il avait certainement aussi dû promulguer un certain nombre de réformes et d’améliorations utiles ici.

Il ne fait aucun doute qu’il sera un souverain bénéfique pour les peuples du Clan de l’Acier, un souverain qui leur garantira un avenir plus prospère.

Mais Yuuto connaissait la vérité sur le sort d’Yggdrasil maintenant. Confier le Clan de l’Acier à Nobunaga n’était pas une option.

« Pourquoi pas ? » demanda Nobunaga. « Est-ce parce que vous ne pouvez pas faire confiance à ce qui n’est rien de plus qu’une promesse verbale, une promesse que je pourrais oublier une fois que j’aurais acquis le Clan de l’Acier pour moi-même ? Pensez-vous qu’Oda Nobunaga est un homme qui reviendrait sur sa parole ? Je ne peux que vous demander de me croire quand je vous dis que je pense vraiment ce que je vous offre. »

« Non, » dit Yuuto, « Je vous crois. Je sais que, bien que vous ayez mérité votre réputation de “Roi-Démon”, vous avez également honoré vos serments et vos engagements à un degré incroyable selon les normes de l’âge chaotique dans lequel vous avez vécu. »

« Hm. »

« Cependant, il y a quelque chose que je dois faire, à n’importe quel prix. » Yuuto avait regardé Nobunaga droit dans les yeux. « Et pour l’accomplir, je ne peux pas accepter de prêter le serment du Calice à quelqu’un si cela me place en dessous de lui. »

Il allait arracher le peuple à cette terre qu’il avait toujours connue, le forçant à traverser la mer pour s’installer sur une nouvelle terre. Et il allait entreprendre cela à une échelle incroyablement grande.

Il n’était pas nécessaire de réfléchir pour conclure que pour y parvenir, Yuuto avait besoin d’un pouvoir et d’une autorité absolus et incontestés. Ce n’était pas quelque chose qu’il pouvait imposer aux gens s’il était le subordonné de quelqu’un d’autre.

Même si, après la mort de Nobunaga, Yuuto accédait de nouveau au rang de patriarche, les choses seraient différentes. Puisqu’il se serait volontairement soumis à la domination d’une autre personne, il ne bénéficierait plus du même soutien fervent de la part de ses sujets, soutien qui s’apparentait pour l’instant à une foi religieuse.

Il ne savait même pas si Yggdrasil allait durer aussi longtemps.

Il ne pouvait pas se permettre de prendre son temps.

Nobunaga avait regardé Yuuto attentivement pendant un moment, puis avait renâclé. « Hmph. Vous avez une forte lumière dans les yeux, mon garçon. Ils brûlent de principes et de convictions. Je pense qu’il serait grossier d’essayer d’imposer un compromis à quelqu’un qui a ces yeux. »

« Je suis désolé. »

« Laissez-moi vous demander, alors : Qu’est-ce qui vous pousse à rejeter mon offre ? Qu’est-ce que vous avez l’intention d’accomplir ? La conquête du royaume ? Voulez-vous dire qu’en tant qu’homme, vous souhaitez également prendre le pouvoir de vos propres mains plutôt que d’en hériter d’un autre ? »

Alors que Nobunaga bombardait Yuuto de questions, la puissance de son esprit guerrier faisait vibrer l’air autour d’eux.

Cette présence, ainsi que ses paroles, avaient fait comprendre à Yuuto qu’il était vraiment un souverain né, tout à fait le héros que les légendes lui avaient dépeint.

Yuuto secoua lentement la tête. « Non, bien que je veuille conquérir la capitale et prendre le contrôle du royaume, ce n’est pas à cause de ma fierté d’homme ou quelque chose comme ça. »

« Oho ? »

« J’ai… quelque chose dont je veux discuter avec vous, mais seulement avec vous seul. Est-ce que cela vous conviendrait ? »

« Hm… » Après avoir réfléchi un moment, Nobunaga hocha la tête et se tourna vers son commandant en second. « Ran. » Nobunaga lui avait fait un geste du menton.

« Oui, monseigneur ! » répondit Ran en se levant immédiatement. Comme on pouvait s’y attendre de la part d’un loyal serviteur qui servait son maître depuis Honno-ji, Ran n’avait pas besoin de plus d’explications. Il rassembla rapidement les autres soldats du Clan de la Flamme et les emmena avec lui hors de la salle de rituel.

« Félicia. » De même, Yuuto avait appelé le nom de son adjointe, et elle avait hoché la tête en réponse.

« Je comprends. »

Félicia se leva et prit la suite du Clan de l’Acier avec elle et quitta le hörgr, tout comme les soldats du Clan de la Flamme l’avaient fait.

Une fois que Nobunaga avait pu confirmer que tout le monde était parti, il s’était à nouveau tourné vers Yuuto.

« Alors, de quoi voulez-vous parler qui nécessiterait de se donner la peine de renvoyer les autres ? » demanda-t-il, d’un ton profondément curieux.

« C’est la vérité sur Yggdrasil. »

« Hm, la “vérité”, vous dites ? »

« Cette terre va sombrer dans l’océan dans un avenir très proche. Le Clan de l’Acier, le Clan de la Flamme, l’empire, tout cela aura disparu. »

Yuuto avait choisi de révéler délibérément à Nobunaga ce dont il n’avait parlé à personne d’autre que Linéa.

Nobunaga était également le dirigeant d’une immense nation, et il portait la responsabilité d’un grand nombre de vies sur ses épaules, encore plus que Yuuto.

Yuuto s’était dit qu’il avait aussi le droit et le devoir de connaître ce danger.

« Vraiment ? Ce n’est pas la blague la plus drôle, mais vous aimez certainement penser à une grande échelle. »

La réaction de Nobunaga était exactement ce que Yuuto avait prévu.

« Oui, je suppose que c’est la réponse normale, » avait-il dit en affaissant ses épaules.

En effet, si quelqu’un avait dit exactement la même chose à Yuuto, il l’aurait rejeté comme un délire né de la paranoïa ou des fantasmes apocalyptiques de quelqu’un.

Et donc, Yuuto avait recommencé, et avait tout expliqué depuis le début, morceau par morceau.

***

Partie 7

Le fait que ce monde était une Terre plus de trois mille ans dans le passé par rapport à l’époque à laquelle Nobunaga avait vécu.

Le fait que, malgré cela, à l’époque de Yuuto, aucune masse continentale ayant les mêmes caractéristiques qu’Yggdrasil n’existait plus.

Les nombreux liens et similitudes entre Yggdrasil et la terre appelée Atlantide que l’on trouve dans les textes de la Grèce antique.

L’enregistrement de l’Atlantide ayant sombré dans l’océan.

Bien qu’il ne puisse pas être sûr de la date exacte à laquelle Yggdrasil coulera, ses recherches suggèrent que c’est assez imminent.

La conclusion à laquelle Yuuto était parvenu, à savoir qu’il devait s’emparer de l’autorité du chef impérial et l’utiliser pour convaincre le plus grand nombre possible d’habitants d’Yggdrasil de migrer vers une nouvelle terre.

Yuuto avait expliqué tout cela à Nobunaga avec sérieux.

En tout, il avait fallu presque une heure pour lui raconter toute l’histoire, mais il avait écouté attentivement tout le temps, sans s’interrompre ni rire des choses que Yuuto disait.

« Il y a au moins quelques points dans votre histoire qui ont un certain sens. En particulier, le fait que ce soit trois mille ans avant mon époque. »

Nobunaga semblait quelque peu réceptif et il pouvait comprendre les concepts que Yuuto expliquait.

C’était impressionnant, et aussi normal pour lui.

Une anecdote raconte que des missionnaires portugais lui avaient montré pour la première fois un globe terrestre et lui avaient expliqué que la Terre était ronde. On raconte qu’alors que les serviteurs de Nobunaga rejetaient tous l’explication comme incompréhensible, Nobunaga seul disait : « C’est logique. »

Et le voilà qui dépassait la soixantaine, avec un esprit encore assez souple pour s’adapter aux forces étranges à l’œuvre ici.

« Cependant, » avait-il poursuivi, « je ne peux pas simplement accepter tout ce que vous dites sur le papier. Il n’y a pas assez de preuves pour le confirmer. Et vous n’avez même pas la moindre idée de quand cela va se produire, n’est-ce pas ? Pourquoi, même le Mont Fuji peut entrer en éruption n’importe quand sans prévenir, mais cela n’a pas arrêté le grand nombre de personnes qui ont choisi de vivre juste à côté. Il ne serait pas sain d’esprit de me demander d’abandonner ma nation et mes ambitions pour quelque chose d’aussi incertain. »

L’esprit de Nobunaga pouvait être flexible, mais d’un autre côté, il était aussi un individu réaliste convaincu qui préférait la logique étayée par de nombreuses preuves. C’est ce qui le rendait si redoutable.

Il était assez souple pour accepter n’importe quelle vérité, tant qu’elle coïncidait avec une logique saine.

Malheureusement, comme il l’avait dit lui-même, les affirmations de Yuuto n’étaient pas étayées par suffisamment de preuves. Et c’était trente-cinq mille ans avant l’ère de Yuuto, donc il ne pouvait pas vraiment mettre la main sur des preuves solides, non plus. Même si par hasard il trouvait quelque chose, un document ancien, il n’avait aucun moyen de prouver qu’il était authentique.

Nobunaga pourrait simplement prétendre que Yuuto l’avait falsifié, et il n’aurait aucun moyen de le réfuter.

À ce stade, Yuuto n’avait pas assez de preuves pour convaincre un réaliste comme Nobunaga de modifier sa trajectoire.

« Malgré cela, je suis pleinement convaincu que c’est la vérité. Et je suis déterminé à relocaliser mon peuple sur une nouvelle terre. »

« Est-ce ainsi ? Eh bien, c’est votre clan. Vous pouvez en faire ce que vous voulez. » Avec un sourire en coin, Nobunaga avait fait un signe de la main à Yuuto, comme pour faire fuir un chien.

Yuuto savait que cela pouvait arriver.

Le moment décisif était passé, et les deux hommes suivaient maintenant des chemins séparés.

Nobunaga s’était levé, et avait regardé Yuuto.

« Je vais vous dire une dernière chose. Je le pensais vraiment quand je disais que je n’ai aucun intérêt à prendre les terres du Clan de l’Acier. Vous avez ma parole. »

Yuuto avait hoché la tête. « Merci. »

Nobunaga était le genre d’individu qui ne rompait pas les promesses qu’il faisait.

Le fait qu’il ait répété sa déclaration à l’instant était probablement son propre petit cadeau d’encouragement à un jeune homme sur le point de traverser la route difficile qui l’attend.

Yuuto était reconnaissant de le recevoir.

« Cependant ! »

Les yeux de Nobunaga avaient soudainement brillé férocement.

Il afficha un sourire sauvage, et une aura violente et surpuissante s’éleva de lui.

Yuuto avait senti des frissons lui parcourir l’échine, et il avait dégluti nerveusement.

Cette pression dépassait de loin tout ce qu’il avait ressenti jusqu’à présent. Nobunaga était techniquement plus petit que Yuuto, ou devrait l’être, mais en ce moment il semblait être un géant de plus de deux fois la taille de Yuuto.

C’était probablement la véritable aura du conquérant de la période Sengoku, l’homme qui faisait peur à ses ennemis en tant que Roi-Démon.

« Gravez ces mots dans votre coeur. Si quelqu’un se met en travers de ma conquête du royaume… je n’aurai aucune pitié pour lui. »

Le commandant en second du Clan de la Flamme, Ran, attendait son suzerain à l’intérieur d’un petit bâtiment détaché près du hörgr, qui leur servait de dortoir pour la nuit. Après un certain temps, le patriarche était entré.

« … Bienvenue, monseigneur. »

« Hm. »

Le salut de Ran fut juste un peu plus lent que d’habitude, car pendant une seconde, il avait été submergé par l’esprit intense qui se dégageait du corps de son maître.

Le fait qu’il n’y ait eu qu’une seconde de retard était probablement dû au fait qu’il avait passé presque la moitié de sa vie à servir aux côtés de son maître, et qu’il y était donc quelque peu habitué.

En d’autres termes, même Ran avait été submergé par l’aura de Nobunaga. C’est dire à quel point elle était exceptionnellement forte aujourd’hui.

« Il semblerait que mon seigneur apprécie beaucoup le patriarche du Clan de l’Acier », fit remarquer Ran.

Il n’y avait personne de mieux que lui pour percevoir ce que son patriarche pensait et ressentait.

Cela faisait maintenant dix années entières qu’ils avaient été transportés tous les deux à Yggdrasil, et il n’avait jamais vu son maître avoir l’air d’aussi bonne humeur que maintenant. Il devait être satisfait de rencontrer un adversaire de taille pour la première fois depuis si longtemps.

« Oh, oui ! Il m’a fait face sans même reculer d’un pas. C’est un jeune homme impressionnant. Grâce à lui, j’ai passé un moment agréable. Il manque cependant encore un peu de maturité. »

« Manque, mon seigneur ? J’aurais dit qu’il est assez aguerri pour quelqu’un de si jeune. »

Ran avait été profondément impressionné par le jugement réfléchi de Yuuto, rare chez quelqu’un qui n’avait même pas vingt ans. C’était exactement le niveau de maturité que l’on pouvait attendre du jeune homme qui avait transformé le minuscule Clan du Loup en une grande et puissante nation.

Ran s’était même surpris à envier Yuuto, qui était plus jeune que lui.

Mais selon l’évaluation de son maître, même le patriarche du Clan de l’Acier était immature.

« En quoi diriez-vous qu’il a des lacunes, par exemple ? »

« Il y a ce tanegashima qui pouvait tirer plusieurs fois de suite, par exemple. Je vous parierais neuf chances contre une que ce n’était rien de plus qu’un bluff. »

« Eh !? » Les sourcils de Ran s’étaient levés et il avait écarquillé les yeux de surprise.

Cela avait creusé de lourdes rides sur son front, plissant son joli visage.

« Mais, monseigneur, nous avons vu le feu, n’est-ce pas ? Voulez-vous dire qu’il a utilisé une sorte d’astuce pour le faire apparaître ainsi ? »

« Non, l’arme elle-même était réelle. Cependant, je dirais que c’est la seule qu’il possède. Tout au plus, il pourrait en avoir deux ou trois autres. Et seulement deux de ces armes ne feraient pas assez de différence sur le champ de bataille pour vraiment nous menacer. »

Le Clan de la Flamme avait une armée de plus de cinquante mille hommes.

Aussi puissant que puisse être ce tanegashima du futur, il est vrai qu’il ne serait pas une réelle menace face à un tel nombre.

« Comment avez-vous pu découvrir le mensonge ? »

« À cause de ce qu’il a lui-même dit. Il est ici depuis environ trois années entières. Réfléchis ! Même avec un échantillon de tanegashima à utiliser comme modèle de conception, combien d’années nous a-t-il fallu pour arriver au point où nous pouvions en fabriquer autant ? »

« Ah…, » Ran réalisa son erreur embarrassante et grimaça. Il avait été tellement distrait par l’existence d’un tanegashima à tir rapide qu’il avait négligé cette information cruciale.

« Heh heh, au départ, les habitants de cette terre ne pouvaient même pas fabriquer leur propre fer. Construire une arme aussi avancée de A à Z en moins de trois ans serait tout simplement impossible, oui ? En d’autres termes, il doit l’avoir apporté depuis le futur. »

« Maintenant que vous dites ça, ça a du sens… Cependant, si vous avez compris qu’il bluffait, pourquoi ne pas l’avoir traité de menteur ? »

« Parce que je n’étais pas complètement certain que c’était un mensonge. »

« Ah, je vois… »

Après presque quinze ans à servir aux côtés de son maître, Ran avait une bonne compréhension de la personnalité de l’homme.

Lorsque Nobunaga avait dit « neuf chances contre une » à propos du bluff, il reconnaissait également qu’il y avait une chance sur dix que Yuuto ait dite la vérité.

Le maître de Ran n’avait qu’un seul but, la conquête et la domination de cet empire.

Il n’avait aucun intérêt à conquérir directement les terres du Clan de l’Acier, qui se trouvaient loin à l’ouest de la capitale impériale.

S’il devait consacrer ses ressources militaires à une guerre contre le Clan de l’Acier et, contre toute attente, subir une défaite ou de lourdes pertes, cela poserait de nombreux problèmes pour les préparatifs de l’invasion de la capitale impériale, qui devaient commencer bientôt.

Il voulait éviter un tel risque inutile.

« Cela me fait penser, pourquoi avez-vous décidé de ne pas échanger le serment du Calice avec lui ? Lorsque vous avez dit que vous n’aviez pas l’intention d’échanger un Calice divisé en parts égales, c’était la première fois que j’en entendais parler. Avez-vous changé d’avis ? »

Jusqu’à la réunion, Nobunaga avait dit que si le patriarche du Clan de l’Acier était à la hauteur des histoires à son sujet, il serait plus que disposé à échanger le Serment du Calice de la Fraternité avec lui.

Et, d’après ce qui s’était passé pendant la réunion, son maître avait été convaincu que le patriarche du Clan de l’Acier était vraiment digne.

Si satisfait, en fait, qu’il avait été prêt à offrir au jeune homme le poste de Ran comme commandant en second et le droit de lui succéder comme prochain patriarche.

« J’ai compris que si je prêtais serment à parts égales avec lui, cela me causerait bien des ennuis par la suite. »

« Des ennuis, monseigneur ? Pourquoi cela ? Dans ce pays, le serment du Calice est absolument contraignant. Si vous vouliez éliminer le risque d’attaque de sa part, ne serait-ce pas la plus grande assurance que vous pourriez demander ? » Ran inclina la tête d’un air perplexe.

Nobunaga avait légèrement ri. Il s’agissait d’un rire amusant, mais qui semblait également indiquer une nouvelle conviction.

« Ce serait un problème parce que le lien est absolu. Heh. Il était plus impressionnant que je ne l’avais imaginé, et j’ai eu une prémonition pendant nos négociations. Un sentiment qu’un jour prochain, lui et moi allons nous retrouver, afin de décider une fois pour toutes qui prendra le contrôle de cette terre. »

***

Épilogue

« Bon sang ! C’était quoi l’aura de ce type ! ? C’était un monstre absolu ! »

Yuuto était étalé sur le lit bas, criant des plaintes en l’air.

Il était complètement épuisé, ne pouvant même plus bouger son corps.

« Tu as fait des merveilles, Grand Frère », déclara Félicia, en utilisant un éventail à main pour souffler de l’air frais sur son visage.

Félicia elle-même avait apparemment été affectée physiquement par l’aura de Nobunaga, son visage était pâle et maladif.

Elle se trouvait cependant du bon côté de la barrière. Les soldats de Múspell, et même l’Einherjar Hildegard, étaient tous assis ou couchés sur le sol, et ils semblaient complètement épuisés de corps et d’esprit.

Même si Albertina n’avait pas son sourire habituel, elle s’était accrochée à Kristina et ne l’avait pas lâchée.

Kristina faisait un bon travail d’agir bien sur la surface, mais elle avait un regard un peu flottant et distrait.

« C’était donc Oda Nobunaga, le grand héros dont tu as modelé tant de stratégies ? Grand Frère, je dois dire que c’était une figure qui dépassait de loin tout ce que j’avais conçu. Steinþórr semble être un chaton mignon en comparaison. »

« Tu n’as vraiment pas tort… »

Bien sûr, s’il s’agissait d’un combat en un contre un, Steinþórr serait absolument vainqueur.

Mais ce n’était pas ce dont ils parlaient.

C’était la présence écrasante de Nobunaga, l’immense force de son charisme. Elle était si puissante que le simple fait de se trouver dans la même pièce que lui donnait la sensation d’être écrasé par elle.

« Je suis vraiment impressionnée que tu aies été capable d’affronter quelqu’un comme ça, Grand Frère. Si c’était moi, je crois que j’aurais été trop emportée par sa présence pour être capable de parler. »

« Oui, mais j’ai toujours l’impression qu’il s’est moqué de moi pendant tout ce temps. »

L’esprit soudain et intense que Nobunaga avait lancé à la toute fin de leur rencontre était d’un tout autre niveau.

Il ne semblerait pas que le patriarche du Clan de la Flamme ait été facile avec Yuuto pendant la première partie de leurs négociations, mais cela semblait signifier qu’en fin de compte, tout cela n’avait été rien de plus que quelque chose qu’il avait accepté pour son propre amusement.

« Ça, ça ne peut pas être vrai… ! » s’exclama Félicia.

Félicia avait tendance à surestimer Yuuto, elle avait donc apparemment du mal à croire que quelqu’un puisse réellement prendre le dessus sur Yuuto en ne le prenant qu’à moitié au sérieux.

Mais si elle avait sursauté, c’est parce qu’au fond d’elle, elle ne pouvait pas effacer le sentiment que cet homme était peut-être vraiment si puissant.

« Eh bien… ça ne veut pas non plus dire que je vais le laisser me battre. »

Yuuto avait levé ses jambes en l’air puis les avait ramenées vers le bas, utilisant l’élan pour sauter sur ses pieds.

La volonté de se battre s’était allumée dans son cœur, et cela avait rapidement pompé de l’énergie dans son corps fatigué.

« Les choses ne se sont pas passées comme je l’avais initialement prévu, mais malgré tout ce qui s’est passé, j’ai obtenu de lui la promesse qu’il ne nous attaquerait pas, ni notre territoire. Grâce à cela, je peux tout concentrer pour m’occuper des autres clans et de leur stratégie d’encerclement. Je vais cependant devoir m’occuper d’eux rapidement — avant que ce monstre de vieil homme ne fasse son prochain mouvement. »

Ironiquement, le jour même de la rencontre entre les patriarches des Clans de la Flamme et de l’Acier, les roues du destin avaient commencé à tourner dans un tout autre endroit.

Les cinq clans alliés — le Clan de l’Épée, le Clan des Nuages, le Clan des Crocs, le Clan de la Panthère et le Clan du Sabot — avaient tous déclaré publiquement et simultanément la guerre au Clan de l’Acier.

L’invasion du Clan de l’Acier avait commencé.

À suivre…

***

Illustrations

Fin du tome.

***

Si vous avez trouvé une faute d’orthographe, informez-nous en sélectionnant le texte en question et en appuyant sur Ctrl + Entrée s’il vous plaît. Il est conseillé de se connecter sur un compte avant de le faire.

Laisser un commentaire