Le Maître de Ragnarok et la Bénédiction d’Einherjar – Tome 10

***

Prologue

« Quand l’Atlantide sombrera-t-elle dans l’océan ? » Yuuto chuchota, arrivant à peine à laisser sortir les mots.

Honnêtement, il n’était pas prêt à accepter cette idée. Son cœur souffrait, niait, et criait que cela ne pouvait pas être vrai.

En même temps, il ne pouvait pas totalement écarter cette possibilité.

Si Yggdrasil était en fait la légendaire Atlantide, la terre dont on dit qu’elle avait sombré dans l’océan, cela expliquerait bien des choses : La raison pour laquelle la géographie d’Yggdrasil n’apparaît pas sur les cartes modernes, et pourquoi les connaissances futures que Yuuto avait apportées dans le passé ne s’étaient jamais répandues dans d’autres terres et n’avaient jamais changé l’histoire.

Le lien le plus définitif entre eux était l’existence de l’álkipfer, le « cuivre elfique » — en d’autres termes, l’orichalque, un métal rare qui n’existe pas à l’époque moderne.

Et peu importe ce que Yuuto ressentait, il avait la responsabilité de demander des détails à Saya. Il portait le poids de dizaines de milliers de vies sur ses épaules.

« Si nous suivons exactement ce qui est écrit dans le Timée et le Critias, » dit Saya, « alors c’est quelque temps après 9560 av. J.-C. qu’il coulera… peut-être. »

« Excusez-moi ? Attendez, c’est clairement faux, n’est-ce pas ? » Yuuto ne pouvait s’empêcher de contester cette affirmation. Les chiffres qu’elle donnait n’avaient aucun sens.

Parce que la Terre subissait un processus appelé précession axiale, l’étoile Polaire changeait en fonction de l’époque.

Yuuto avait appris que l’étoile Polaire d’Yggdrasil était une étoile connue dans les temps modernes sous le nom de Beta Ursae Minoris, également appelée Kochab.

Kochab était l’étoile Polaire pour l’époque s’étendant approximativement de 1500 av. J.-C. à 500 apr. J.-C. dans le calendrier grégorien.

En d’autres termes, l’Yggdrasil où Yuuto avait voyagé existait quelque part dans cette période.

9500 av. J.-C. était si loin que l’étoile Polaire aurait été Véga, deux étoiles avant. C’était beaucoup trop loin.

Saya avait fait un sourire en coin, et avait hoché la tête. « Tu as raison. 9560 av. J.-C., c’est beaucoup trop loin dans le passé. C’est avant même que l’humanité ait développé ses premières langues écrites, tu sais ? C’est pourquoi il y a une théorie selon laquelle, lorsque Platon a écrit les dialogues, il s’est trompé d’un chiffre. »

« Un chiffre ? » Yuuto avait répété. « Alors, 956 av. J.-C. ? »

Si c’était le cas, alors l’effondrement d’Yggdrasil dans la mer serait destiné à se produire plusieurs centaines d’années dans le futur du point de vue de Yuuto, et cela signifiait qu’au moins les personnes qu’il connaissait personnellement seraient à l’abri du danger.

Au moment où il commençait à se détendre un peu, Saya avait agité les mains et avait dit : « Ahh, non, non. Les dialogues de Timée et de Critias sont des enregistrements écrits de conversations qui auraient eu lieu vers 560 av. J.-C. environ. Ils font référence à une grande guerre entre l’Atlantide et les anciennes nations méditerranéennes, et mentionnent que 9 000 ans se sont écoulés depuis. Et si neuf mille ans étaient en fait neuf cents… »

En d’autres termes, cela situerait la date à 900 ans avant 560 av. J.-C..

Yuuto avait haleté. "... 1460 av. J.-C. ! » La période s’alignait parfaitement.

Saya avait hoché la tête. « Exact. C’est à peu près la période à laquelle nous pensons que tu étais. Au moins, on peut dire que l’Atlantide existait aussi à cette époque. »

« Mais quand est-ce qu’il coule !? Que disent les archives sur le moment où il a réellement coulé !? » Yuuto avait crié, et il avait presque sauté du canapé.

Yuuto ne savait pas exactement en quelle année il avait voyagé, mais Kochab était l’étoile Polaire depuis environ 1500 av. J.-C. Et dans Yggdrasil, l’utilisation de cette étoile comme étoile polaire était largement établie, donc il était sûr de supposer qu’un certain temps s’était écoulé depuis.

En d’autres termes, l’année 1460 av. J.-C. pourrait déjà être proche. En fait, elle était peut-être déjà passée.

Yuuto avait senti l’anxiété le pousser de l’intérieur, et il ne pouvait plus rester assis.

« Hm, c’est le problème, tu vois, » dit Saya. « Le Critias était censé contenir plus de détails sur l’histoire de l’Atlantide, mais il est resté incomplet. Malheureusement, il n’y a rien d’écrit sur la date. Tout ce qu’il y a, c’est une sorte de bref résumé dans le Timée. Il y est dit qu’après la grande guerre avec les nations méditerranéennes, une série bizarrement puissante de tremblements de terre et d’inondations s’est produite, et la terre a disparu dans l’océan. »

« Tremblements de terre et inondations bizarres…, » Yuuto marmonna pour lui-même, puis posa une main sur sa poitrine et laissa échapper une inspiration.

Pendant les trois années qu’il avait vécues dans ce monde, il n’avait pas connu de gros tremblements de terre.

En ce qui concerne les inondations, il ne se souvenait que de celles provoquées par l’homme dans le cadre de sa stratégie militaire.

Ce n’est pas comme s’il pouvait complètement baisser sa garde, mais au moins cela ne semblait pas être une menace immédiate, et cela le soulageait.

« Je me sens mal de gâcher ton soulagement, mais je suis presque sûre que tu n’as pas vraiment autant de temps », déclara Saya. « Si nous nous basons sur ce que nous savons de la mythologie nordique, alors tu as déjà traversé Fimbulvetr… les trois années d’hiver rigoureux. Tu as vaincu le dieu des récoltes abondantes, Frey, et tu as combattu le dieu de la bataille Thor trois fois. »

Alors que Saya racontait les mythes, elle les montrait sur ses doigts. Puis elle regarda Yuuto droit dans les yeux, la pitié dans son regard.

« Tu es déjà à la fin des temps. Le Ragnarok a déjà commencé… »

***

Prologue 2

« Ils ont vraiment choisi un bien mauvais moment pour venir ici », avait maudit le jeune homme aux cheveux roux en regardant au loin l’armée du Clan de la Flamme, campée en formation avec les montagnes dans le dos.

Sur le dos de chacune des mains du jeune homme se trouvait un symbole qui brillait d’une faible lumière.

Ces symboles étaient connus sous le nom de runes et conféraient de grands pouvoirs à leurs porteurs, des guerriers choisis que l’on appelait Einherjars.

Normalement, seule une personne sur dix mille environ possédait une rune. Et il était dit que dans toutes les terres d’Yggdrasil, il n’y avait que deux Einherjars qui en possédaient deux.

L’une de ces personnes était la þjóðann, l’impératrice divine et souveraine de tout le royaume. Et l’autre était ce jeune homme, Steinþórr, le patriarche de la nation du Clan de la Foudre qui contrôlait les étendues du nord de Vanaheimr.

Il était plus audacieux et intrépide que les hommes normaux, et il était largement connu comme un guerrier sans égal.

« À cause de ça, j’ai perdu ma chance de l’affronter, lui ! » Steinþórr grommela.

Le « lui » auquel Steinþórr faisait référence était l’homme qu’il connaissait sous le nom de Suoh-Yuuto, le patriarche du clan de l’acier. Cela faisait maintenant un mois et demi que Suoh-Yuuto avait annoncé publiquement sa campagne militaire pour chasser et conquérir le Clan de la Panthère.

Alors que Steinþórr se préparait à le poursuivre pour enfin porter un coup fatal à son rival, il avait reçu un rapport indiquant que le Clan de la Flamme, au sud, avait déplacé ses troupes jusqu’à la frontière du Clan de la Foudre, les concentrant autour de Fort Waganea.

D’après les renseignements, même les estimations les plus prudentes faisaient état d’une vingtaine de milliers de soldats face à la forteresse, une force outrageusement importante. Il serait bien trop téméraire d’ignorer une menace aussi dangereuse pour tenter de poursuivre la bataille contre le clan de l’acier.

Afin d’intercepter la menace venant du sud, Steinþórr avait été obligé d’amener huit mille soldats avec lui à sa frontière sud.

« Père, je comprends ce que tu dois ressentir, mais pour l’instant, concentre-toi sur l’ennemi qui se trouve juste devant toi », l’avait réprimandé poliment Þjálfi, l’assistant du commandant en second du Clan de la Foudre. « Ce n’est pas un ennemi avec lequel nous pouvons nous permettre de baisser notre garde. »

Steinþórr n’était pas un homme de petite taille, et Þjálfi était encore plus grand. Mais contrairement à sa taille, Þjálfi avait une attention aux détails et aux particularités qui faisait de lui un bon complément et un soutien pour Steinþórr, dont la devise était « Qui se soucie des détails ? ».

« Oui, oui, j’ai compris. » La réponse de Steinþórr était agacée et maussade, mais même lui était très conscient que le Clan de la Flamme n’était pas un ennemi ordinaire.

Depuis de nombreuses années, le Clan de la Flamme était considéré comme l’une des dix nations les plus puissantes d’Yggdrasil. Et il y a quelques mois, il avait envahi, vaincu et absorbé son voisin, le Clan du Vent, qui avait été une autre superpuissance parmi ces dix nations.

Rien qu’en termes de force militaire, ils étaient probablement plus de deux fois plus puissants que le Clan de la Foudre. Ce fait était aussi clairement démontré par leur force de vingt mille hommes, une armée plus grande que celle que Steinþórr n’avait jamais vue.

Pourtant, même avec cette vue intimidante devant lui, le sourire confiant de Steinþórr restait fermement planté sur son visage.

En fait, il s’amusait.

Ses yeux étaient illuminés par l’excitation, car ils avaient repéré les armes de la ligne de front ennemie : des lances anormalement longues, hérissées comme un mur de pointes et pointant vers les cieux.

Il ne pouvait s’empêcher de penser à la tactique caractéristique du Clan du Loup, la formation d’infanterie en rangs serrés appelée phalange.

À première vue, des lances de cette longueur semblaient trop lourdes et peu maniables pour être utilisées dans un combat de mêlée, mais utilisé en formation serrée, elles devenaient incroyablement efficaces, comme Steinþórr en avait fait l’expérience lui-même.

Cet ennemi pourrait trouver les mêmes idées que cet homme.

Steinþórr n’avait pas pu s’empêcher d’être excité.

« Très bien, alors ! Voyons ce qu’ils ont dans le ventre ! Tout le monde, suivez-moi ! »

Alors que Steinþórr criait à ses soldats, il donna un coup de pied sur les flancs de son cheval, et chargea droit vers la formation ennemie.

Et à ce moment, l’allumette avait été frottée. La bataille entre les armées du Clan de la Flamme et celui de la Foudre avait commencé.

***

Chapitre 1 : Acte 1

Partie 1

Yuuto avait conclu sa campagne contre le Clan de la Panthère et était rentré en triomphe à Gimlé, sa capitale.

À cette période de l’année, la chaleur des rayons du soleil devenait de plus en plus forte, et il semblait que la saison estivale était sur le point de commencer.

« Sieg Reginarch !!! Sieg Reginarch !!! » Les citoyens avaient tous applaudi avec ferveur, leurs voix se répercutant dans toute la ville de Gimlé.

On pouvait sentir l’air frémir à chaque acclamation.

C’était si fort qu’on se demandait si chaque personne dans toute la ville criait en même temps.

Mitsuki se tenait à l’entrée du palais, attendant avec impatience le retour de Yuuto.

« Oh, on dirait qu’il est de retour », dit-elle joyeusement. « Yuu-kun est vraiment aimé par les gens de ce monde, n’est-ce pas ? »

Mitsuki avait les cheveux noirs, un trait incroyablement rare à Yggdrasil. Mais c’était naturel, car elle était japonaise, née et élevée là-bas.

À première vue, Mitsuki semblait être une fille douce et gentille, mais pour être avec le garçon qu’elle aimait, elle était prête à traverser le temps et l’espace pour venir avec lui dans le monde d’Yggdrasil. Elle avait quelque peu du cran.

Debout à côté de Mitsuki, une petite fille avait répondu avec une fierté zélée. « Oh, il l’est vraiment ! À l’école, tout le monde parle toujours de son rêve d’échanger le Serment du Calice avec Maître Yuuto ! »

Cette adorable jeune fille de douze ans aux cheveux coupés juste au-dessus des épaules était Éphelia.

À l’origine, elle avait été capturée et vendue comme esclave, mais Yuuto l’avait achetée, et maintenant elle servait de dame de compagnie à Mitsuki.

« Wôw, vraiment ? » demanda Mitsuki. « Oh, au fait, t’es-tu habituée à ta nouvelle école ? »

Grâce à l’affection de Yuuto pour elle, et à son désir d’avoir un test pour un nouveau système d’éducation obligatoire pour les enfants, Éphelia avait fréquenté une école à Iárnviðr. Après que Gimlé ait été désignée comme la capitale du nouveau Clan de l’Acier, elle avait été transférée dans une nouvelle école ici.

Yuuto avait dit à Éphelia qu’elle pouvait rester avec sa mère biologique à Iárnviðr, mais la jeune fille, d’habitude si timide, avait insisté pour venir avec eux.

Elle était proche en âge par rapport aux jumelles du Clan de la Griffe et semblait s’entendre particulièrement bien avec elles, car Mitsuki les voyait souvent jouer ensemble. Peut-être qu’Éphelia n’avait pas non plus voulu être séparée d’elles.

« Oui ! Tout le monde a été si gentil avec moi ! » Éphelia sourit largement et acquiesça.

 

 

Mitsuki avait entendu de Yuuto que la fille avait rencontré une légère intimidation dans son école précédente, mais en regardant son expression brillante maintenant, il semblait qu’il n’y avait pas besoin de s’inquiéter à ce sujet.

« Je vois. C’est bon à entendre, » répondit Mitsuki.

Elle s’était également prise d’affection pour cette fille honnête et appliquée, et s’en occupait beaucoup, c’était donc un soulagement.

« Oh ! On dirait qu’il est arrivé ! » cria Éphelia.

« Hein ? » Mitsuki se tourna pour regarder vers les portes du palais, où un seul char était apparu tiré par deux chevaux marron foncé. Il était sensiblement plus extravagant qu’un char normal, embelli à divers endroits avec de l’or pur.

Le jeune homme aux cheveux noirs qui chevauchait ce char était descendu et, ce faisant, les dizaines de personnes qui attendaient à l’entrée du palais pour le rencontrer avaient toutes mis un genou à terre.

La seule personne encore debout était Mitsuki, et ses yeux avaient rencontré les siens.

Le jeune homme, Yuuto Suoh, lui avait alors fait signe.

« Hey, Mitsuki, je suis de retour ! Je sais que ça fait presque deux mois. Désolé d’avoir été absent si longtemps. »

« Non, c’est bon », répondit Mitsuki. « Je comprends comment c’est. Bon travail là-bas, et bienvenue à la maison, Yuu-kun. »

« Merci. » Yuuto avait souri joyeusement.

À première vue, Yuuto donnait l’impression d’être une personne joyeuse et douce, mais il y avait aussi quelque chose de plus : une présence lourde et autoritaire.

Ce n’était pas comme s’il était devenu une personne complètement différente. Ses traits étaient toujours ceux du garçon qu’elle avait toujours connu. Et pourtant…

Pourquoi as-tu dû aller de l’avant et grandir si vite tout seul ? Mitsuki pensa cela.

Yuuto était devenu tellement plus cool, et maintenant, tout ce qu’il faisait lui donnait l’impression que son pouls s’emballait. Ça semblait injuste.

« Oh, c’est vrai », dit Yuuto. « Tu te souviens de la promesse d’avant ? »

« Hein ? »

« Celle sur le fait d’avoir un vrai mariage à mon retour. »

Le visage de Mitsuki était devenu rouge, et elle avait fait un petit signe de tête. « … Oui, je me souviens. »

Yuuto cessa de sourire, et avec une expression sérieuse, il prit la main de Mitsuki et se mit à genoux.

« Je vais demander une fois de plus. Mitsuki Shimoya, veux-tu m’épouser ? »

En terminant de parler, il lui fit un petit clin d’œil malicieux.

Cela avait rafraîchi la mémoire de Mitsuki. En y repensant maintenant, elle lui avait dit il y a longtemps qu’elle aimait vraiment ce genre de proposition dramatique.

Il avait dû s’assurer de s’en souvenir, pendant tout ce temps.

Yuuto était vraiment injuste.

Tout ça était vraiment merveilleux.

Elle était submergée par les sentiments de bonheur, d’amour et de nausée qui montaient en elle.

« Désolé, so-mmph ! » Incapable de réprimer sa colère, Mitsuki s’était débarrassée de la main de Yuuto et avait plaqué ses propres mains sur sa bouche, s’enfuyant à toute vitesse.

Yuuto et tous les autres laissés pour compte n’avaient pu que la regarder, abasourdis, alors qu’elle s’enfuyait.

Il suffit de dire que le fait que la proposition de mariage du Patriarche ait été purement et simplement rejetée a été le sujet de discussion le plus brûlant dans tout le palais ce jour-là.

***

« Ohh… oh, je suis désolée. Je suis désolée d’avoir apporté la honte sur toi, Yuu-kun… »

Allongée dans son lit, Mitsuki avait répété ses excuses, de grosses larmes dans les yeux.

Ne deviens pas un fardeau pour Yuuto. Elle s’était juré cela au fond de son cœur, mais maintenant elle l’avait humilié de manière publique. Elle ne pouvait pas se le pardonner.

Yuuto, de son côté, avait juste agité une main avec désinvolture. « Ah, vraiment, c’est bon, d’accord ? Tu es malade, donc tu ne pouvais rien y faire. »

Il ne semblait pas se soucier le moins du monde de ce qui se passait.

Quel mari au grand cœur j’ai... Mitsuki s’était retrouvée à tomber amoureuse une fois de plus.

« Eh bien, le plus important… Oh, euh, je ne parle pas du fait que tu sois malade, je parle du fait que tu m’amènes la honte », déclara Yuuto. « De toute façon, le plus important pour moi est ta réponse à ma proposition, tu vois ? »

« Bien sûr que c’est “Oui” ! Si tu es vraiment d’accord pour m’avoir, alors laisse-moi t’épouser ! »

« Ok. » Yuuto avait souri doucement, et il avait caressé la tête de Mitsuki. « Alors d’abord, tu dois te reposer et te rétablir. »

Un sentiment de chaleur, de sécurité, s’était répandu en elle.

« Oh… mmph ! »

Et pourtant, comme pour contrer ces sentiments chaleureux, une vague de nausée l’avait envahie, et elle avait dû se couvrir la bouche à nouveau.

« Hé, vas-tu bien ? ! » Yuuto cria, et tendit rapidement un pot en terre cuite.

Mitsuki était reconnaissante pour le geste, mais l’idée de vomir juste devant le garçon qu’elle aimait était quelque chose que sa fierté de fille ne permettait pas.

Heureusement, elle avait pu se retenir cette fois-ci, et les nausées avaient fini par disparaître.

« Peut-être que tu as mangé quelque chose qui ne t’a pas convenu », déclara Yuuto en fronçant les sourcils avec une expression douloureuse.

Il avait probablement ressenti un lien personnel avec cette situation, puisqu’il avait beaucoup souffert de troubles digestifs lors de sa première visite à Yggdrasil.

« Hm, c’est ce que c’est, je me demande ? » Mitsuki murmura. « Cependant, mon estomac ne me fait pas vraiment mal. »

« Hmm. » Yuuto avait incliné sa tête, semblant profondément réfléchi. Puis il posa sa main sur le front de Mitsuki. Sa main était un peu froide, ce qui faisait du bien. « Tu as un peu de fièvre. Je suis sûr que tu as probablement juste attrapé un rhume ou quelque chose comme ça. »

« Ahh, ça pourrait être ça. » Mitsuki hocha la tête. « Cela arrive souvent quand les saisons changent, après tout. »

« Bon, alors, assure-toi de manger quelque chose de nutritif et de dormir suffisamment. C’est la meilleure chose à faire pour un rhume. »

« C’est vrai. »

Mitsuki n’avait aucune objection, et elle avait donc décidé de suivre le conseil de Yuuto et de consacrer un peu de temps au repos.

Bien qu’elle soit malade, ses symptômes n’étaient pas si importants, et elle et Yuuto avaient donc supposé qu’elle irait mieux tout de suite. Cependant, en dépit de leurs attentes, après trois jours, son état n’avait montré aucun signe d’amélioration.

Sa légère fièvre continuait, et la fréquence de ses nausées ne faisait qu’augmenter.

Elle n’avait pas d’appétit, et ne pouvait même pas garder la plupart des aliments.

Naturellement, à ce stade, il semblerait que cela pouvait être quelque chose de plus sérieux, et Yuuto s’était inquiété. Déconcerté, il avait appelé Félicia à l’aide.

C’était un monde où tout le monde croyait que les maladies étaient causées par des choses comme la possession par des esprits maléfiques.

Ce sont les prêtres et les guérisseurs qui jouaient le rôle de médecins.

Félicia était une prêtresse qui pouvait utiliser la magie du chant galdr et même les seiðrs, les sorts rituels plus compliqués, et elle avait également une grande connaissance des herbes médicinales et de leurs applications. Dans ce monde, elle était une guérisseuse aussi prestigieuse et efficace qu’on puisse le souhaiter.

Dans le passé, elle avait régulièrement fait des voyages pour rendre visite aux malades dans leurs maisons. Elle s’était également occupée personnellement de Yuuto lorsqu’il était malade, à plusieurs reprises.

Bien sûr, comme Yuuto était une personne du monde moderne, il avait toujours été légèrement réticent à s’en remettre à elle pour des questions médicales parce que sa pratique n’était pas basée sur la science, mais ce n’était plus une situation où il pouvait se permettre d’être comme ça.

Félicia avait mesuré la force de la fièvre de Mitsuki, avait vérifié l’arrière de sa gorge et lui avait posé quelques questions.

Quand elle avait terminé, elle se tourna vers Yuuto, et avec un sourire radieux, elle déclara : « Félicitations, Grand Frère ! En tant que jeune soeur, et en tant que membre du clan de l’acier, c’est un honneur pour moi de pouvoir célébrer cela avec toi. »

Mitsuki savait que ces mots ne pouvaient avoir qu’une seule signification. Par réflexe, elle plaça une main sur son abdomen.

Pendant ce temps, Yuuto n’avait pas encore fait le rapprochement.

« Hein ? Qu’est-ce que tu veux dire ? Alors ça veut dire qu’elle n’est pas malade ? »

Bien sûr, il avait été convoqué du monde moderne à Yggdrasil pendant sa deuxième année de collège, en plein milieu d’une période d’apprentissage très sensible pour les jeunes garçons. Mitsuki réalisa qu’il n’avait probablement pas eu beaucoup d’expositions à la connaissance du sexe et des sujets connexes.

Félicia avait ri, et avait secoué la tête. « Tee hee ! Oh, tu peux être sûr de cela. Au contraire, c’est une occasion de se réjouir ! Je ne peux pas encore le déclarer avec une certitude absolue, mais je crois que Grande Soeur Mitsuki est enceinte. »

***

Partie 2

De retour dans leur chambre, Mitsuki avait brandi le kit de test de grossesse pour montrer à Yuuto l’indicateur « positif ». « Ouais, il semble que je sois vraiment enceinte. »

Alors qu’elle était au Japon, sa mère Miyo l’avait secrètement prise à part et elle le lui avait donné, en lui disant qu’elle en aurait besoin un jour. Mitsuki n’avait cependant jamais imaginé qu’elle finirait par l’utiliser si tôt.

Les normes médicales d’Yggdrasil n’étaient pas très élevées, surtout en comparaison avec le monde moderne.

Après tout, il s’agissait d’un monde où la façon de penser communément acceptée était que les mauvais esprits causaient la maladie.

Lorsque Félicia l’avait déclarée enceinte plus tôt, même cela n’avait pu être considéré que comme une supposition éclairée de sa part. Mais là, c’était différent.

« Au fait », ajouta Mitsuki, « j’ai entendu dire que la précision d’un résultat positif est d’environ quatre-vingt-dix-neuf pour cent. »

Si un test du Japon moderne le confirmait, on pouvait en déduire que c’était une certitude.

« … Je vois, » répondit Yuuto. Assis sur le lit, il avait l’air de ne pas être totalement là.

Cela avait réveillé des sentiments d’anxiété chez Mitsuki. « Hum, est-ce que ça pourrait être que, peut-être, tu ne voulais pas d’enfants ? »

« N-non, bien sûr que non », balbutia Yuuto. « J’ai toujours voulu en avoir, un jour. C’est juste que… J’ai toujours pensé que c’était quelque chose de bien plus lointain, et je ne m’y suis jamais vraiment préparé, en termes de détermination, ou, tu sais. »

Yuuto était maintenant le seigneur régnant de nombreux clans en tant que Réginarque, et connu pour son caractère imperturbable, donc sa réponse trébuchante en ce moment était un peu rare.

Apparemment, ça sortait vraiment de son domaine de prédilection pour lui.

« Je veux dire », tâtonna Yuuto, « Je ne suis qu’un stupide gamin qui va tout juste avoir dix-sept ans le mois prochain — est-ce que c’est vraiment bien pour quelqu’un comme moi de devenir parent ? Est-ce que je peux vraiment être un bon père ? C’est comme si je ne pouvais pas arrêter de m’inquiéter à ce sujet maintenant. »

Le visage de Yuuto semblait si intensément sérieux que Mitsuki pouvait à peine s’empêcher de rire. « Pfft ! »

« Qu’est-ce qui se passe !? Qu’est-ce qui est drôle là-dedans !? »

« Mais, réfléchis-y, Yuu-kun, tu as déjà des dizaines d’enfants, non ? Tu es déjà un parent accompli ! »

« Hé, c’est une chose complètement différente, et tu le sais ! Et tu sais ce qu’on dit : “Les enfants sont élevés par leurs parents, mais ils appartiennent à la société.” Si je dois être père, j’ai cette responsabilité très sérieuse, le devoir de m’assurer que l’enfant grandisse et devienne une bonne personne. »

« Ahaha ! » Mitsuki ne pouvait plus retenir son rire.

Il semblerait que Yuuto n’était pas opposé à avoir cet enfant, c’est le moins qu’on puisse dire. En fait, il avait l’air d’être tout à fait prêt à en élever un. Ce seul fait l’avait rendue joyeusement heureuse.

« Hé, arrête de rire ! » L’expression de Yuuto était devenue de plus en plus aigre.

Il paraissait souvent beaucoup plus adulte aujourd’hui, mais cette expression était encore un peu enfantine.

Savoir que c’était un côté qu’il ne montrait qu’à elle rendait la chose encore plus adorable.

Mitsuki leva une main pour bercer doucement la joue de Yuuto, et elle le regarda dans les yeux. « Yuu-kun, tu penses trop fort à ce sujet ! C’est beaucoup plus simple que ça. Il s’agit de savoir si tu peux aimer cet enfant ou pas. C’est ça qui est important. »

« … Est-ce vraiment comme ça ? » demanda Yuuto d’un ton hésitant. Il semblait avoir du mal à trouver la confiance nécessaire pour la croire.

Jusqu’à très récemment, Yuuto et son père biologique, Tetsuhito, étaient prisonniers de la pire des relations, et ce depuis longtemps.

Son passé était probablement ce qui le remplissait de tant d’anxiété et de doute.

Et donc, Mitsuki avait hoché la tête avec force, et avait dit, « Oui, c’est vraiment comme ça, Yuu-kun. En vérité, il y a aussi le problème de savoir si tu peux soutenir financièrement un enfant, mais dans ton cas, il n’y a aucun problème. Donc, il n’y a qu’une seule question. Alors ? Peux-tu aimer cet enfant ? »

« Bien sûr que je peux ! » Yuuto avait immédiatement crié sa réponse, sans aucune hésitation.

C’était suffisant pour Mitsuki.

Elle voulait offrir à son nouvel enfant tout l’amour qu’elle avait à donner, et elle voulait que Yuuto l’aime aussi. Ce souhait était maintenant exaucé, et les inquiétudes de Mitsuki s’étaient évanouies.

« Merci », elle rayonnait. « Je t’aime, Yuu-kun ! ♥. »

« Moi aussi. » Il avait souri.

« Le fait que tu n’aies pas prononcé les mots toi-même te ressemble tellement, Yuu-kun. » Mitsuki avait fait la moue, rendant son mécontentement très clair.

« Oh, tais-toi. C’est embarrassant ! »

« Bzzt ! Mauvaise réponse. Tu dois le dire. Je l’ai dit, n’est-ce pas ? »

« Argh, donne-moi une pause. Tu vas devoir te contenter de ça ! » Yuuto avait attrapé l’arrière de la tête de Mitsuki, et l’avait tiré vers lui.

Il l’avait embrassée, à peine plus qu’un baiser sur les lèvres, puis il avait détourné le visage.

Il était rouge comme une betterave.

« … Ok, je me contenterai de ça, » répondit doucement Mitsuki, baissant les yeux, son propre visage rougissant.

Il avait réussi à la faire taire avec un baiser.

Yuuto est vraiment injuste, pensa-t-elle.

 

 

Le lendemain, Mitsuki était sortie promener son chiot Hildólfr. Au moment où elle passait devant la cour intérieure, une voix forte la fit sursauter.

« Hé, qu’est-ce que tu fais dehors à te promener comme ça !? » La voix l’appelait d’en haut, la réprimandant.

Bien sûr, il n’y avait qu’une seule personne vivant dans cette ville qui était autorisée à parler à Mitsuki sur un ton aussi brutal et sans réserve.

Elle leva les yeux pour voir Yuuto penché sur la balustrade de la terrasse, la regardant d’un air très inquiet.

« Ce n’est plus seulement ton corps, Mitsuki », avait-il insisté. « Bouger autant c’est… »

« Ahaha ! Tu t’inquiètes beaucoup trop. Ce n’est pas une maladie, d’accord ? Et ma mère m’a dit que marcher est recommandé. »

« V-vraiment !? »

« Ouaip, vraiment. En plus, l’air extérieur est plus rafraîchissant, et ça empêche mes nausées de se manifester autant. »

« Bon, d’accord, mais ne va pas trop loin, d’accord ? » Yuuto avait cédé, mais il était en mode « inquiétude » à ce moment-là.

Mitsuki avait souri à elle-même. Il allait à tous les coups être l’un de ces pères obsédés par la sécurité de son enfant.

Elle l’avait appelé : « Oh, plus important encore, Yuu-kun, as-tu fini ton travail pour le moment ? Si oui, veux-tu venir ici et passer ta pause avec moi ? Nous pourrons manger ensemble. »

Mitsuki comprenait bien à quel point Yuuto était incroyablement occupé en raison des responsabilités de son poste. C’est pourquoi elle essayait de ne pas se mettre en travers de son travail.

Malgré son désir de le voir pendant la journée, elle n’avait pas fait irruption dans son bureau. Mais s’il était sur la terrasse donnant sur la cour, elle se disait qu’il devait prendre sa pause déjeuner.

« Ouais, ça semble bien », Yuuto acquiesça. « Très bien, je vais tout faire descendre là-bas. »

« Super. Alors je t’attendrai ! » Mitsuki lui fit un signe de la main, et il disparut à nouveau dans le bâtiment.

« Maintenant, » dit-elle en se tournant vers Hildólfr, « que dirais-tu de jouer un peu jusqu’à ce que Yuu-kun arrive ? ».

Elle avait sorti un jouet pour chien fait d’une corde, qu’elle avait elle-même fabriqué.

La queue du jeune garmr s’était mise à remuer furieusement. Ces derniers temps, jouer avec elle était devenu la chose préférée d’Hildólfr.

Mitsuki avait tenu le jouet en corde, avait reculé son bras, et avait crié, « Va le chercher ! ». Puis elle l’avait lancé de toutes ses forces.

Hildólfr frappa le sol avec force et s’élança à la poursuite du jouet. Il courait à une vitesse incroyable.

En un clin d’œil, il était allé chercher le jouet et l’avait ramené.

Il le déposa aux pieds de Mitsuki, puis il s’assit docilement pour attendre.

« Bon garçon. Tu as fait du bon travail. » Alors que Mitsuki le félicitait, elle lui donna une friandise, de la viande de poulet qu’elle avait obtenue de la cuisine auparavant.

Elle avait attendu de s’assurer qu’il ait fini de le manger avant de reprendre le jouet et de le lancer à nouveau.

Cette fois, le chiot l’avait attrapé en plein vol, et se pavanait pratiquement en le ramenant.

« Wôw, tu es tellement incroyable ! Et voilà, ta friandise. »

« Woof ! » Hildólfr avait aboyé joyeusement en réponse.

Bien que son espèce soit redoutée dans toute la région de Bifröst comme une bête féroce et prédatrice, il était complètement apprivoisé et amical envers les humains.

C’était sûrement dû à la mère adoptive du chiot, Sigrún, et à la formation approfondie à l’obéissance qu’elle lui avait fait suivre.

« D’accord ! Encore une fois ! » Mitsuki avait ramassé le jouet et elle avait effectué un autre lancé.

Hildólfr s’était élancé à la poursuite du jouet comme auparavant, mais il avait brusquement pris un virage à 90 degrés, courant dans une tout autre direction.

Yuuto était maintenant dans la cour, et Hildólfr se précipita vers lui, courant en rond autour de ses jambes.

« Hm ? Hé, hé, arrête ça », objecta Yuuto. « Tu rends la marche difficile. »

Le chiot s’était arrêté devant Yuuto et s’était couché sur le dos, montrant son ventre.

C’était une pose de soumission.

À part sa mère adoptive Sigrún, Yuuto était la seule personne pour laquelle Hildólfr avait fait ça.

L’expression « loup solitaire » faisait peut-être partie de la culture populaire, mais en réalité, les loups étaient par nature des animaux de meute dotés d’un fort sens instinctif de la hiérarchie.

Hildólfr avait perçu le comportement de tous les autres envers Yuuto, le reconnaissant avec précision comme le chef de leur « meute ».

Mitsuki s’était sentie un peu jalouse.

« Bien, bien, je dois juste te caresser, n’est-ce pas ? » Malgré son supposé grognement, Yuuto souriait gentiment en s’accroupissant et en commençant à frotter le ventre du chiot.

Les yeux de Hildólfr s’étaient fermés dans une expression qui semblait positivement remplie de joie.

Au bout d’une vingtaine de secondes, Hildólfr se leva soudainement et, comme pour se venger, sauta sur Yuuto et commença à lui lécher la joue.

« Uwah, hey ! Ne-ugh ! Hey, c’mon ! » Yuuto avait commencé à bafouiller en signe de protestation.

Bien qu’étant un chiot, Hildólfr avait déjà la taille d’un gros chien adulte. Yuuto n’avait pas pu rester sur ses pieds, et avait basculé en arrière. Cela l’avait apparemment mis dans une meilleure position, car Hildólfr avait commencé à le lécher partout sur le visage, tout en remuant la queue.

Il est clair que le garmr aimait beaucoup Yuuto.

***

Partie 3

Quand Yuuto s’était enfin libéré, son visage était tout mouillé et collant.

« Uugh… c’était horrible », avait-il gémi.

« Tee hee, mais tu ne lui as jamais ordonné une seule fois la commande “Arrête”, n’est-ce pas, Grand Frère ? » Félicia l’avait taquiné avec un rire entendu.

Hildólfr était extrêmement bien entraîné à suivre les ordres standards.

Il aurait reculé immédiatement si Yuuto avait dit « Arrête » sur le bon ton.

Le fait qu’il ne l’ait pas fait montrait que, malgré les récriminations de Yuuto, il avait apprécié le lien et l’affection.

C’était si gentil que Mitsuki avait gloussé.

« Ma-Maître, s’il vous plaît, prenez ça. » Éphelia avait tendu une serviette humide à Yuuto.

La jeune fille était à bout de souffle. Apparemment, elle avait prévu cette situation lors du premier saut d’Hildólfr sur Yuuto, et elle avait couru aussi vite qu’elle pouvait pour aller lui chercher une serviette.

« Ah, merci, Éphy. » Yuuto avait pris la serviette et avait commencé à s’essuyer le visage. « Tu es si prévenante, comme toujours. »

« Oh, pas du tout », dit Éphelia, embarrassée. « Je suis une servante depuis environ un an maintenant, donc il est évident que je dois être capable d’en faire autant ».

« Hein, c’est vrai. Cela fait seulement un an. Wôw, on dirait que ça fait tellement longtemps… »

En remettant la serviette utilisée à Éphelia, Yuuto semblait un peu ému en murmurant pensivement pour lui-même.

Mitsuki n’avait pas entendu parler de tout ce qui s’était passé, mais connaissait les détails de base. Yuuto avait combattu guerre après guerre, avec le Clan de la Corne, puis le Clan du Sabot, puis le Clan de la Foudre, puis le Clan de la Panthère. Puis, en plein combat contre l’Alliance Foudre-Panthère, il avait été renvoyé de force dans le Japon moderne, et dès qu’il avait réussi à revenir à Yggdrasil, il avait dû se battre à nouveau contre l’Alliance Foudre-Panthère qui l’envahissait. Et après cela, il avait mené une campagne pour traquer et soumettre le Clan de la Panthère, jusqu’à il y a quelques jours.

Cette année avait été marquée par une guerre constante, et pour Yuuto, cela avait dû être la plus longue année de sa vie.

« Hee hee, en effet, beaucoup de choses se sont passées, n’est-ce pas ? » Félicia déclara ça, et elle jeta un regard significatif à Mitsuki.

Plus précisément, au ventre de Mitsuki.

« Et maintenant, nous sommes vraiment bénis, car Grande Soeur Mitsuki est enceinte ! »

« Urk ! » Simultanément, Yuuto et Mitsuki s’étaient crispés.

À Yggdrasil, une grossesse avant l’âge de vingt ans n’était pas rare du tout, c’était plutôt normal, en fait. Cependant, selon les normes du Japon moderne, le bon sens disait que c’était beaucoup trop tôt.

Il n’était pas facile pour l’un ou l’autre d’ignorer les normes et les valeurs avec lesquelles ils avaient été élevés. Et donc, ils avaient tous deux eu le réflexe de ressentir de la honte quand le sujet avait été abordé.

« Oh, c’est vraiment si merveilleux ! » déclara Félicia. « Maintenant, l’avenir du clan de l’acier est assuré ! »

« Tu vas trop vite en besogne, » insista Yuuto. « De plus, en Yggdrasil, on ne transmet pas le pouvoir par la lignée. »

« Oh, mais c’est de l’enfant de Grand Frère et Grande Soeur dont nous parlons. Il n’y a aucune chance qu’un tel enfant ne soit pas doué ! » Félicia semblait étrangement remplie de confiance en déclarant cela.

C’est une de ces situations où la tante est d’un soutien plus obsessionnel que les parents de l’enfant, pensa Yuuto avec un sourire en coin.

« Très bien, bon sang », dit-il à voix haute, changeant de sujet. Il fit un geste vers la table voisine, que les domestiques avaient recouverte d’un éventail de nourriture. « Oublions ça pour le moment, et mangeons quelque chose. »

Mitsuki aimait cuisiner, mais elle aimait tout autant manger la cuisine des autres.

Elle courut joyeusement vers la table en s’exclamant : « Wôw, ça a l’air si délicieux… mmph ! ».

Malheureusement, alors que l’odeur du pain frais l’atteignait, elle fut obligée de s’arrêter et de mettre ses mains sur sa bouche, se détournant et mettant une certaine distance entre elle et la table.

Une fois qu’elle n’avait plus senti la nourriture, la nausée s’était calmée.

« Hé, ça va ? » Inquiet, Yuuto avait couru à ses côtés.

« Uhh, o-oui. C’est juste que je ne pouvais pas supporter l’odeur du pain, pour une raison inconnue. »

« Attends, quoi ? Mais tu aimes le pain fraîchement cuit ! »

« Je sais ça, mais… ooh… pour l’instant, ce n’est juste pas bon. » Mitsuki avait secoué sa tête vigoureusement.

Ce n’était pas seulement qu’elle n’aimait pas l’odeur. C’était comme si au moment où le parfum l’atteignait, son corps entier commençait à le rejeter. Une nausée intense montait à chaque fois.

Et c’était avec l’odeur de quelque chose qu’elle avait toujours aimé.

Yuuto s’était arrêté et avait réfléchi, levant les yeux dans le vide comme s’il essayait de se souvenir de quelque chose. « Ohh, attends, je crois avoir lu quelque chose à ce sujet — pendant la grossesse, tes préférences et ton sens du goût peuvent changer, ou quelque chose comme ça. »

Même si l’emploi du temps de Yuuto le tenait constamment occupé, il avait apparemment utilisé de son temps pour essayer de faire des recherches pour elle, probablement tard dans la nuit dernière. Cela rendait Mitsuki vraiment heureuse de savoir qu’elle était si importante pour lui.

Yuuto s’était adressé aux serviteurs. « Je suis vraiment désolé après le travail que vous avez accompli, mais veuillez emporter tout le pain. N’hésitez pas à le partager entre vous et avec le reste du personnel. »

« Quoiiii !? M-mais, ce n’est pas juste pour toi…, » Mitsuki avait d’abord été un peu décontenancée, mais Yuuto avait secoué la tête.

« Je ne suis pas ici pour manger du pain. Je suis ici pour partager un repas avec toi. »

Une telle phrase ne lui laissait rien à dire en réponse. Elle avait silencieusement hoché la tête.

« Alors que dirais-tu de cette soupe ? » Yuuto commença à lui passer de la soupe de viande et de légumes en ragoût.

L’odeur parfumée et savoureuse avait atteint ses narines. Mitsuki avait frénétiquement commencé à agiter ses mains pour qu’il l’enlève. « Argh, désolée mais cette odeur d’ail me rend vraiment malade ! »

« L’ail n’est pas bon non plus, hein ? » Yuuto avait froncé les sourcils plus sérieusement cette fois. « Ça va rendre les choses un peu difficiles. »

Mitsuki avait passé trois mois à vivre à Yggdrasil maintenant, elle comprenait donc ce que Yuuto voulait dire.

Pour les membres du Clan du Loup et du Clan de la Corne, l’ail faisait autant partie de la culture alimentaire quotidienne que le miso et la sauce soja pour les Japonais. Il était utilisé dans la plupart de leurs recettes.

Si Mitsuki ne pouvait pas supporter l’ail maintenant, cela la rendrait incapable de manger une grande partie de la nourriture ici.

« Umm, avons-nous quelque chose d’aigre ? » Mitsuki s’était aventurée. « Je sens que je pourrais être capable de manger ça. »

« Ohh, je me souviens aussi avoir lu quelque chose à ce sujet sur internet. Mais quand même, les aliments acides, hein… Il n’y en a pas vraiment beaucoup ici. Les prunes marinées à la japonaise sont évidemment hors de question. Les agrumes aigres ne sont pas vraiment présent ici, après tout. »

« Ohh…, » Mitsuki avait gémi.

La grossesse était une chose simple, mais aussi tellement compliquée.

C’est quelque chose qui avait été vécu et surmonté par d’innombrables femmes à travers les âges, depuis l’aube de l’humanité. Et pourtant, l’acte sacré d’apporter une nouvelle vie dans ce monde n’était pas quelque chose de facile ou de bon marché.

La joie n’était pas la seule chose qu’elle allait ajouter à sa vie.

Mitsuki était en train de se rendre compte de cette vérité, de la manière la plus dure.

***

Partie 4

« Le soleil est assez fort aujourd’hui », déclara Mitsuki. « On a vraiment l’impression que l’été est là. Oh, Éphy, quel est le mot dans ta langue pour le soleil ? »

Yuuto et Félicia étaient retournés à leur travail, et donc Mitsuki emmenait Hildólfr en promenade avec Éphelia, qui était revenue de ses cours quotidiens.

Dernièrement, Mitsuki avait pris l’habitude de demander à Éphelia les noms d’Yggdrasil pour différentes choses dans le cadre de sa routine quotidienne.

« Sól, ma dame », répondit Éphelia.

« Hmm, sól, je vois… nous y voilà. » Mitsuki avait rapidement noté le mot et sa signification sur une feuille de papier mémo qu’elle portait sur elle.

Mitsuki possédait la capacité de lancer la magie de chanson, le galdr, et avec les Connexions galdr, elle pouvait parler et comprendre les gens ici sans aucune difficulté due à la barrière de la langue. Cependant, lancer ce sort plusieurs fois dans la même journée était assez épuisant.

Il arrivait également que, par effet secondaire du sort, des choses qu’elle pensait, mais qu’elle avait l’intention de ne pas dire soient communiquées en même temps que ses mots, ce qui posait ses propres problèmes.

Et donc, Mitsuki avait décidé de commencer à étudier pendant son temps libre afin d’apprendre la langue d’Yggdrasil aussi vite que possible.

« Alors, que dirais-tu pour la lune ? » demanda Mitsuki.

« Ce serait máni. »

« “Máni”, je vois. Et si je me souviens bien, “beau” se dit fagr ou fagra. Donc, puisque mon nom signifie “belle lune”, dans votre langue, ce serait Fagramáni, alors. Héhé, ça sonne un peu bizarre. »

« Pas du tout, Madame. Je pense que c’est un joli nom. »

« Hee hee, merci. »

Alors que toutes deux poursuivaient cette légère conversation, elles aperçurent un visage familier en passant dans la cour.

Il s’agissait d’une fille aux cheveux roux et aux yeux exorbités. Elle portait un sac en cuir à la taille qui semblait être chargée de quelque chose.

« Hé là, Ingrid ! » Mitsuki cria.

Quand Ingrid réalisa qui l’appelait, elle répondit par un signe de la main. « Ohh, c’est la patronne. C’est bon de te voir. »

Toutes les deux avaient eu de nombreuses occasions de parler, et chaque fois qu’elles échangeaient de vieilles histoires sur Yuuto, elles se trouvaient vraiment dans l’autre une âme sœur. Donc, à ce stade, elles avaient échangé des salutations et s’étaient parlé facilement, comme de vieilles amies.

« Que fais-tu ici ? » demanda Mitsuki. « Es-tu en pause ? »

« Oui. Vois-tu, il y avait ce schéma de conception que Yuuto m’a montrée. Il m’a montrée une copie sur ce truc — ça s’appelle un “smartphone”, non ? Eh bien, sur le smartphone, l’image est assez petite, et ça me fait mal aux yeux. » Ingrid soupira, se massant les tempes avec ses doigts.

À première vue, Ingrid ressemblait à n’importe quelle fille normale vivant en ville. Mais elle était en fait un Einherjar de la rune Ívaldi, l’Enfanteuse de Lames, et un génie certifié quand il s’agit de concevoir et de créer des choses.

C’est elle qui avait toujours pris les idées et les inventions de Yuuto, et qui les avait transformées en outils physiques et en armes pour le clan.

Yuuto était maintenant loué comme un souverain légendaire, voire un dieu de la guerre, mais rien de tout cela n’aurait été possible sans le travail assidu de cette fille. Elle était aussi indispensable à Yuuto que son propre bras droit.

« Ahaha ! Je pense que la taille de l’écran est juste quelque chose à laquelle il faut s’habituer, » dit Mitsuki.

Elle était honnêtement assez curieuse de ce nouveau design dont Ingrid avait parlé, mais elle avait sagement choisi de le laisser passer sans commentaire.

Yuuto lui avait dit que les choses dont Ingrid s’occupait étaient toutes top secrètes.

Elle ne ferait que causer des problèmes à la fille si elle commençait à poser des questions sur eux.

« Oh, au fait, j’ai entendu dire que tu attendais un enfant ? » demanda Ingrid avant d’ajouter. « Félicitations ! »

« Merci. » Mitsuki avait légèrement incliné sa tête.

« Je vais m’en assurer et forger une petite lame pour toi comme charme protecteur. »

« Vraiment ? » s’exclama Mitsuki. « J’adorerais ça ! Je m’assurerai de te trouver un beau cadeau aussi, quand ce sera ton tour ! »

« Qu-Quoiiiii !? M-moi ? I… Je ne suis pas vraiment… »

« Quoi ? Attends, les choses sont-elles toujours gênantes entre toi et Yuu-kun ? »

« … Oui. » Après une longue pause, Ingrid avait hoché la tête une fois, le visage cramoisi.

Yuuto et Ingrid avaient passé les trois dernières années en tant qu’amis, se traitant l’un l’autre de la même manière que deux amis masculins.

Dans le cas d’Ingrid, elle avait développé des sentiments romantiques pour Yuuto assez tôt, mais Yuuto avait été trop inconscient pour s’en rendre compte.

De plus, Ingrid avait toujours su que Yuuto était amoureux de quelqu’un d’autre, et elle avait aussi peur de ruiner leur amitié en essayant de pousser les choses plus loin, donc elle avait toujours gardé ses sentiments étouffés.

… Jusqu’à il y a environ trois mois, quand une conversation désinvolte avait conduit à tout révéler à Yuuto.

« Même aujourd’hui, je l’ai vu pour la première fois depuis toujours, et j’étais tellement gênée que je n’ai même pas pu le regarder dans les yeux… » Ingrid l’avait admis. « J’étais tellement tendue, j’étais raide comme une planche, et je ne pouvais pas du tout parler ou agir normalement. Je veux dire, je sais que les choses ne peuvent pas continuer comme ça, mais… arghh… » Elle s’était perdue dans quelque chose entre un soupir et un gémissement.

Il semblerait que les choses ne se soient pas améliorées pendant tout ce temps.

Ingrid s’énervait toujours, et ne pouvait même pas tenir une conversation avec lui.

Comme cela avait été mentionné précédemment, Ingrid était celle qui avait permis à Yuuto d’introduire sa technologie future dans Yggdrasil, et elle était un élément absolument vital et irremplaçable du clan.

Si ces deux-là continuaient ainsi, incapables d’interagir correctement, il ne serait pas exagéré de dire que cela pourrait mettre en danger la prospérité et la sécurité du clan de l’acier dans son ensemble.

Mitsuki était la mère du clan de l’acier maintenant, et elle ne pouvait pas laisser ce problème sans réponse.

Elle avait décidé qu’elle allait devoir sortir un peu de sa zone de confort et avait choisi la première idée qui lui était venue à l’esprit.

« Umm, je sais qu’on ne peut rien y faire, puisque tu t’occupes de beaucoup de choses confidentielles, mais peut-être que le problème est que le fait d’être seule avec lui est ce qui te rend si tendue ? Pourquoi ne pas m’inclure la prochaine fois, et nous pourrions tous les trois nous détendre et passer du temps ensemble ? »

Si deux personnes se retrouvent dans un silence gênant, une troisième personne peut aider à combler le fossé de la conversation.

En fin de compte, c’est peut-être une chose à laquelle ils devraient apprendre à s’habituer, tout comme pour l’écran des smartphones.

« Ah… ! S’il te plaît, fais-le ! » Ingrid avait sauté sur l’offre de Mitsuki sans une seconde de pause. Son désespoir était suffisant pour que Mitsuki recule un peu, mais elle avait gardé son calme.

« Très bien », déclara Mitsuki. « Alors je fixerai une date dès que possible, d’accord ? »

« Merciiiiiiii ! » Ingrid était déjà en train de crier en prenant les mains de Mitsuki et en les serrant très fort. Elle devait se battre encore plus que ce que Mitsuki avait imaginé.

Je dois faire quelque chose à ce sujet ! Mitsuki s’était dit cela avec une résolution renouvelée.

« Pourtant, Yuu-kun est tellement ignorant », déclara Mitsuki. « Te traiter comme une simple amie pendant tout ce temps. Je ne peux pas le croire ! »

« D’accord ? C’est vrai ? Je veux dire, en premier lieu, il… »

Pendant un certain temps après cela, les deux filles avaient eu une conversation animée aux dépens de Yuuto.

***

Après s’être séparée d’Ingrid et avoir commencé à retourner dans sa chambre, Mitsuki avait rapidement repéré une petite fille mignonne, aux cheveux légèrement teintés de rouge.

« Oh, c’est Linéa », avait-elle dit.

La jeune fille était en effet aussi jeune qu’elle en avait l’air, mais elle était aussi le patriarche du Clan de la Corne, et la commandante en second du Clan de l’Acier, un individu talentueux au statut considérable.

Mitsuki n’avait pas eu beaucoup de contacts avec Linéa jusqu’à présent, et elles s’étaient donc rarement parlées. Mais Yuuto lui avait parlé de ses incroyables compétences en matière de planification, d’organisation et de politique intérieure.

Lors de la récente campagne du Clan de l’Acier contre le Clan de la Panthère, elle avait dirigé et organisé toute la logistique à elle seule. Et lorsque l’ennemi avait commencé à brûler ses propres villages, ses efforts avaient permis de nourrir les réfugiés en plus des armées du Clan de l’Acier.

En ce moment, ses réalisations étaient un sujet brûlant dans les murs du palais de Gimlé.

Même maintenant, elle semblait être occupée à donner des instructions à des ouvriers.

Mitsuki avait pensé que ce serait une mauvaise idée d’interrompre son travail, mais le fait de passer devant elle sans même la saluer serait impoli en soi. Alors elle avait essayé d’être discrète.

« Bonne journée », avait proposé Mitsuki, en essayant d’être nonchalante.

« Hein ? O-oh, Mère ! » Linéa avait soudainement regardé Mitsuki avec surprise, et avait fait une révérence polie. Il semblerait qu’elle n’ait pas du tout remarqué que Mitsuki s’approchait d’elle. « C’est bien de vous voir en ce jour. J’ai entendu la nouvelle par Tante Félicia que vous portiez l’enfant de Père. En tant que sa fille jurée, je vous offre humblement mes plus sincères félicitations. »

La salutation et les félicitations de Linéa étaient rigides et formelles, et donnaient l’impression d’une certaine distance.

C’était peut-être compréhensible, compte tenu des circonstances.

Linéa était une autre fille qui était tombée amoureuse de Yuuto. Face à la femme enceinte de l’enfant de l’homme qu’elle aimait, il était difficile d’imaginer qu’elle puisse être détendue ou amicale avec elle.

« Hein ? » Soudain, Mitsuki avait été distraite de ces pensées par la scène qui se déroulait devant elle. Par la façon dont il était familier.

À l’intérieur d’une cloison en bois, les ouvriers utilisaient des pelles pour remplir l’espace d’un mélange gris ressemblant à de la boue.

Puis ils utilisaient un outil à fond plat, comme un fer à repasser, pour lisser la surface du mélange jusqu’à ce qu’elle soit plate et plane.

« Est-ce que c’est… du béton ? » Mitsuki avait demandé avec incrédulité.

Il y a environ dix ans, un tremblement de terre assez important avait frappé Hachio, la ville natale de Mitsuki et Yuuto, et pendant un certain temps après, des ouvriers mélangeant du béton frais pour les réparations avaient été un spectacle fréquent. C’est pourquoi Mitsuki avait reconnu ce qu’elle voyait maintenant.

« Ah, donc vous êtes aussi familière avec ça, Mère ? » demanda Linéa, intriguée. « Est-ce qu’un vaste éventail de connaissances est commun à tous les peuples de la terre au-delà des cieux ? »

« Umm, je ne m’y connais pas vraiment, alors je préfère que vous ne vous fassiez pas d’illusions », a dit Mitsuki. « Je peux dire que c’est du béton, mais je n’ai aucune idée de la façon dont c’est fabriqué ou autre. »

« C’est en fait un processus assez simple. Il suffit de prendre du calcaire et des cendres volcaniques finement broyés, et d’y mélanger de l’eau et du gravier dans les bonnes proportions. »

« Ohh, donc c’est ça les ingrédients », déclara Mitsuki, impressionnée. « Je ne l’ai jamais su. »

Soit dit en passant, les ingrédients et le processus décrits par Linéa n’étaient pas ceux du béton de l’ère moderne, mais ceux de ce que l’on appelle aujourd’hui le « béton romain ».

***

Partie 5

Le béton romain était nettement supérieur au béton moderne : non seulement il est deux fois plus résistant, mais il durait plusieurs milliers d’années, alors que la durée de vie moyenne du béton moderne est de cinquante à cent ans.

L’aspect le plus surprenant de ce matériau était peut-être le fait qu’il était déjà créé et utilisé dans la Rome antique.

« Hm, alors qu’en est-il du système de culture Norfolk et du processus de raffinage du fer ? » demanda Linéa.

« Hé, je vous ai dit de ne pas vous faire de faux espoirs ! » s’exclama Mitsuki. « La seule matière que je maîtrise est la cuisine japonaise. »

« Je vois… Ainsi donc, même dans le royaume céleste dont vous êtes originaire, Père est un cas particulier. » Linéa hochait la tête en signe de satisfaction, comme si sa conclusion ne tenait qu’à un fil.

« Umm, je ne sais pas, je pense qu’il était en fait assez ordinaire », a répondu Mitsuki.

« Ordinaire !? » Les yeux de Linéa s’étaient écarquillés. « Quelqu’un d’aussi grand que Père ? ! » C’était comme si la remarque de Mitsuki l’avait choquée au plus haut point.

« Uh huh, » dit Mitsuki. « Bien sûr, il a toujours été spécial pour moi. Mais il n’a jamais été particulièrement bon pour le travail scolaire ou les études, ou quelque chose comme ça. »

En disant cela, Mitsuki s’était surprise à repenser au passé et à devenir un peu nostalgique.

En effet, Yuuto avait été autrefois un garçon tout à fait ordinaire.

Et maintenant, il était effectivement un roi : un grand héros qui avait conduit une petite nation au bord de la destruction à devenir une superpuissance influente.

Mitsuki vivait ici à Yggdrasil depuis presque quatre mois maintenant, et elle n’était toujours pas habituée à cette différence.

« Je ne peux pas le croire…, » Linéa murmura, abasourdie.

Il semblait qu’elle, comme Félicia et Sigrún, était une fervente croyante en Yuuto comme quelque chose de plus grand que la vie.

« Eh bien, c’est parce que je ne parle que de ce que Yuu-kun était avant de venir dans ce monde », déclara Mitsuki.

« Hein ? »

« Pendant ces trois dernières années, Yuu-kun a travaillé si dur. Il l’a vraiment fait. »

Chaque fois que Yuuto avait acheté un livre numérique, il l’avait fait en utilisant le compte de Mitsuki, donc naturellement Mitsuki avait vu ce qu’il achetait.

C’était une longue et régulière file de livres à l’aspect difficile.

En pensant à la façon dont il avait dû lire ces textes encore et encore pour les comprendre pleinement, elle n’avait que du respect pour lui.

« Quand j’ai enfin pu le revoir en personne et le regarder travailler, j’ai eu l’impression de ne pas le reconnaître », déclara Mitsuki. « Il a tellement grandi ! En fait, j’ai eu l’impression d’être abandonnée. »

« Ha ha ha, il est vrai que la croissance de Père en tant que leader est remarquable », gloussa Linéa. « J’ai essayé désespérément de le rattraper, et j’ai aussi l’impression d’avoir été laissée derrière. Il semble aussi qu’il ait trouvé une nouvelle force pendant les deux mois qu’il a passés dans les terres au-delà des cieux. Son air digne et sa présence dominante ont atteint de nouveaux sommets. »

« Mm… vous savez, il y a cependant quelque chose à ce sujet qui me dérange, » déclara Mitsuki. « C’est comme s’il avait cette détermination, mais ça semble… Je ne sais pas, tragique, ou quelque chose dans le genre. »

« Tragique, vous dites ? »

« Ouais… » Mitsuki hocha la tête, en fronçant les sourcils.

Compte tenu de la puissance actuelle de Yuuto et de la croissance de sa nation, ce commentaire semblait complètement déplacé.

Mitsuki s’inquiétait pour lui, du fardeau qu’il pouvait porter en secret, mais elle n’avait pas l’intention de l’interroger elle-même à ce sujet.

Mitsuki regarda Linéa droit dans les yeux et sourit. « J’aimerais que vous gardiez cela à l’esprit, d’accord ? Et si c’est possible, s’il vous plaît, soyez là pour lui et donnez-lui le soutien dont il a besoin. »

Pendant un moment, Linéa était restée bouche bée, totalement prise au dépourvu.

Mais elle ne tarda pas à répondre : « Pardonnez mon impolitesse, mais n’est-ce pas votre rôle, en tant qu’épouse, de le soutenir de cette manière ? ».

Son ton était un peu maussade, et un peu aigu sur les bords.

« Oh, j’aimerais le faire plus que tout », répondit Mitsuki. « Mais si nous parlons de ses fardeaux en tant que Réginarque Yuuto, je ne pense pas que ce sera possible pour moi. » Avec un sourire en coin, elle haussa les épaules.

Franchement, Yuuto dans son rôle de dirigeant de nations était trop difficile à gérer pour Mitsuki.

Bien sûr, elle acceptait cet aspect de Yuuto et l’aimait quand même. Mais c’était un aspect de lui qu’elle ne pouvait pas comprendre entièrement — dans son esprit, il lui semblait qu’elle ne devait pas le comprendre entièrement.

Elle pensait que si elle en venait à voir les choses comme lui, elle perdrait quelque chose d’elle-même qui était précieuses et irremplaçables pour lui.

« Je peux lui préparer des plats délicieux, et être toujours là pour lui avec le sourire », dit-elle. « C’est à peu près tout ce que je peux faire. Mais je pense qu’il y a des moments où c’est exactement ce dont il a besoin — pouvoir arrêter d’être le Réginarque Suoh-Yuuto, et redevenir simplement Yuuto, le garçon du Japon. »

La politique et les affaires militaires peuvent être une sale affaire. Même Mitsuki le savait.

Et elle savait que Yuuto n’aimait pas avoir à gérer le côté sanglant de son devoir.

Finalement, il y aurait une limite à la tension qu’il pourrait supporter.

Elle voulait être capable de l’aider à oublier ces choses, même si ce n’était que pour quelques instants.

Et elle était aussi fermement convaincue qu’elle était la seule personne à pouvoir le faire pour lui.

Mitsuki regarda Linéa droit dans les yeux, son regard contenant la conviction de cette croyance.

Après quelques instants où elles s’étaient regardées fixement, et c’est Linéa qui avait rompu le silence avec un long soupir.

"... Je comprends ce que vous voulez dire. Il y a des moments où moi aussi, je suis accablée par mes responsabilités de patriarche, et où j’aimerais redevenir une fille ordinaire. »

« Je vois… » Mitsuki avait hoché la tête. « Donc, c’est comme ça pour vous aussi. »

« Cependant, Père dans son rôle de réginarque est toujours Père ! Régner, c’est connaître la solitude. Si vous, en tant qu’épouse, vous ne pouvez pas comprendre ses difficultés, alors j’ai de la peine pour Père. »

« Oui, je pense que vous avez tout à fait raison. Et c’est pourquoi je vous ai dit que je veux que vous soyez là pour lui. » Mitsuki avait regardé Linéa de manière significative, avec un sourire solitaire.

Linéa sursauta, puis demanda, très hésitante, « Vous dites… que vous me donnerez Père, dans son rôle de réginarque ? »

« Oui, je l’ai fait. En tant que patriarche, vous seriez bien plus à même que moi de voir les choses du point de vue de Yuu-kun, de comprendre ce qui le perturbe et de le soutenir comme il en a besoin. »

Tout comme il y a des moments où l’on souhaite oublier la vie professionnelle, il y a des moments où l’on a besoin de quelqu’un qui puisse vraiment comprendre la difficulté et la douleur de ce travail. Malheureusement, Mitsuki pensait qu’elle n’était pas capable de le faire. Elle était encore trop nouvelle dans ce monde, et trop ignorante.

Linéa avait dégluti, puis avait demandé : « … Êtes-vous vraiment d’accord avec ça ? »

Mitsuki avait gloussé et elle s’était gratté l’arrière de la tête. « Je veux dire, je ne suis pas vraiment d’accord avec ça… mais les fardeaux que Yuu-kun doit porter, ils sont beaucoup trop grands pour quelqu’un comme moi pour être capable de le soutenir par moi-même. Oh… en fait, peut-être que même avec vous et moi ensemble, c’est encore un peu trop lourd à gérer ? »

« C’est vrai. » Linéa hocha lentement la tête. « Je ne pense pas que je sois suffisante pour soutenir Père dans son fardeau de réginarque. Peut-être que Tante Félicia serait aussi une personne appropriée pour ce rôle ? »

« Bien. Je pense qu’elle pourrait être absolument nécessaire, en fait, » dit Mitsuki en hochant la tête.

Félicia, plus que quiconque, connaissait et comprenait l’emploi du temps de Yuuto, et elle l’accompagnait partout.

Naturellement, elle était toujours la première à remarquer quand il était fatigué ou en mauvaise santé.

Mitsuki voulait absolument s’assurer qu’elle formait une « alliance » avec Félicia à l’avenir.

« Si je peux être franche », dit soudain Linéa, « je ne vous ai jamais connue que par les photos que Père m’a montrées, et j’ai toujours été jalouse de vous. Mais je n’ai jamais été aussi jalouse qu’aujourd’hui. »

Mitsuki ne pouvait pas penser à quelque chose à dire en réponse. Elle avait l’impression que ce serait mal de s’excuser, ou d’exprimer de la sympathie.

Linéa regarda fixement le visage de Mitsuki pendant un moment, puis elle éclata en un sourire lumineux. « Mais maintenant, je comprends qu’il n’y a personne de plus apte que vous à être la véritable épouse de Père. »

« Ah… ! Merci beaucoup ! » Mitsuki avait rapidement incliné sa tête en signe de gratitude.

Linéa était la commandante en second du clan de l’acier. Elle était le chef des enfants subordonnés de Yuuto, et l’organisatrice centrale des affaires du clan. Être jugée digne par quelqu’un comme elle rendait Mitsuki sincèrement heureuse.

« Mère, votre façon de penser sur ce sujet ne m’a laissé que le plus grand respect pour vous », déclara Linéa. « Et donc, pourriez-vous envisager d’échanger le serment du Calice avec moi ? »

« … Hwuh ? »

***

« Hein, et donc maintenant tu vas échanger le serment du calice de la fratrie avec Linéa ? » demanda Yuuto.

Le soleil se couchait dans le ciel de l’ouest, et Mitsuki racontait les événements de sa journée à Yuuto, qui était rentré du travail.

Les événements de sa journée étaient tous des choses insignifiantes comparées au travail du réginarque, rien qui ne puisse l’intéresser.

Il était si occupé, et il devait sûrement être fatigué, mais il écoutait quand même ses histoires avec intérêt, prêtant vraiment attention et intervenant ici et là.

C’était une conversation futile et sans intérêt, mais pour Mitsuki, c’était le moment le plus agréable et le plus important de tous.

C’était le moment où elle avait Yuuto pour elle toute seule.

« Uh huh. » Mitsuki hocha la tête. « Elle a dit que nous aurons une assemblée appropriée pour la cérémonie, et qu’elle s’en occupera bientôt. »

« Wooow, tu es sérieusement en train de gravir les échelons de l’échelle sociale, tu sais… » Yuuto soupira en secouant la tête. Il semblait sincèrement impressionné. « Linéa est très douée pour savoir comment utiliser les talents des gens, et elle sait aussi très bien juger le caractère. Pour elle, reconnaître quelqu’un comme digne de respect après si peu de temps, c’est déjà pas mal. »

Mitsuki gloussa. « Tu te vantes de moi, ou de toi-même, Monsieur Suoh-Yuuto ? Les yeux de Linéa sont toujours brillants d’admiration quand elle te regarde. »

« Hey, dans mon cas c’est seulement à cause des tricheries que j’utilise ! »

Ils continuèrent ainsi, se plaisantant et se taquinant un peu, jusqu’à ce qu’on frappe à la porte, et qu’une voix s’écrie : « Monseigneur, nous avons apporté votre souper. »

Plusieurs servantes, dont Éphelia, étaient entrées dans la pièce, portant la nourriture.

« Ngh… » Alors que la nourriture était disposée devant Mitsuki, elle avait une fois de plus senti les vagues de nausées monter, et elle s’était détournée.

Pour le dîner de ce soir, elle s’était arrangée pour avoir de la bouillie de riz facile à digérer, préparée avec une partie du riz blanc qu’elle avait ramené du Japon. Mais il semblait que son corps allait rejeter même cela.

À ce stade, ça commençait à ressembler à une maladie grave.

« Je sais que ça doit être dur, mais si tu ne manges pas au moins un peu, ton corps ne tiendra pas le coup », dit Yuuto, avec de l’inquiétude dans la voix.

Mitsuki avait ressenti la même chose, mais, peu importe, c’était comme si son corps rejetait tout.

Pourtant, la nourriture était une denrée précieuse à Yggdrasil. Elle ne pouvait pas se permettre de gaspiller. Elle s’était résolue à en faire entrer de force dans sa bouche, si elle le devait. Mais juste au moment où elle allait le faire…

Toc, toc.

On avait encore frappé à la porte.

« Grand Frère, Grande Soeur, puis-je entrer ? »

« Oh, Félicia », dit Yuuto. « Qu’est-ce qu’il y a ? »

Félicia était entrée. « J’espérais donner ceci à Grande Sœur Mitsuki, si cela vous convient », dit-elle, et elle déposa devant Mitsuki un plat qui contenait ce qui ressemblait à une montagne de petits grains ou graines rouges.

Ils ne ressemblaient à rien que Mitsuki ait reconnu.

« Qu’est-ce que c’est ? » avait-elle demandé.

« C’est de la grenade. »

« Ohh, donc c’est à ça que ressemble une grenade. »

Elle avait déjà entendu le nom de ce fruit, mais c’était la première fois qu’elle le voyait. C’était normal pour une jeune fille japonaise d’aujourd’hui, même si elle avait grandi dans une ville rurale. Elle n’était pas familière avec les aliments que l’on ne trouve pas sur les étagères d’une épicerie japonaise typique.

***

Partie 6

« Le fruit réel est plus gros, de taille et de forme similaires à celles d’un oignon rouge », déclara Félicia. « Ce sont les graines comestibles à l’intérieur qui ont été découpées et préparées ».

« Hein, vraiment ! »

« Je parlais à une connaissance qui a des enfants, et elle a mentionné que beaucoup de femmes de cette région mangent de la grenade pendant leur grossesse. Normalement, elles sont récoltées plus tard dans l’année, mais il se trouve que, par coïncidence, j’ai vu des grenades cultivées dans le sud à vendre alors que je me promenais dans le bazar. »

Il n’y a aucune chance que ce genre de chose arrive par coïncidence ! Mitsuki avait pensé ça, mais elle avait gardé le silence.

Mitsuki savait ce qui avait dû se passer, même sans le demander. Ayant entendu dire que les grenades étaient bonnes pour les femmes enceintes, Félicia avait dû parcourir tous les marchés à la recherche de grenades. Cette attention avait rempli son cœur de bonheur.

« Merci beaucoup, vraiment », déclara Mitsuki, et elle prit quelques graines de grenade avec une cuillère. Elle plaça timidement la cuillerée dans sa bouche.

« Ngh ! Hmm… ! » Mitsuki n’avait pas pu s’empêcher de fermer les yeux et d’agiter sa main libre.

C’était intensément aigre.

Mais en ce moment, c’était exactement ce dont elle avait besoin.

Ce n’était pas le goût acidulé d’un citron, mais un goût incroyablement acide, comme une baie acidulée.

« C’est trop bon ! C’est vraiment, vraiment délicieux, Félicia ! » Mitsuki s’était exclamée.

« C’est si merveilleux à entendre ! » Avec un sourire élégant, Félicia avait fait une petite inclinaison de la tête à Mitsuki. Chacun de ses mouvements et chacune de ses expressions étaient magnifiques.

Pour Mitsuki, qui était consciente qu’elle était encore une enfant à bien des égards, Félicia semblait être une adulte. Elle se sentait un peu envieuse.

« Merci de t’être donné tant de mal, Félicia », dit Yuuto avec gratitude. « Tu nous as vraiment aidés. Je savais que je pouvais compter sur toi. »

« Oh, merci beaucoup ! Je ne suis pas digne d’un tel éloge. » Félicia réagit à l’éloge de Yuuto par un sourire si plein de joie pure qu’il était pratiquement envoûtant. On aurait dit qu’elle allait se mettre à fredonner un petit air d’une seconde à l’autre.

Elle avait un tel air d’adulte, il y a juste une seconde, et tout cela avait été balayé comme un rien.

Tout ça à cause d’une seule remarque de Yuuto.

Je le savais, pensa Mitsuki. Félicia aime vraiment Yuu-kun du fond du cœur.

Un simple regard sur le sourire de la femme suffisait à le faire comprendre.

Alors que Mitsuki commençait à ressentir une petite inquiétude dans sa poitrine, Félicia prit la parole, la sortant de ses pensées.

« Oh, et j’ai aussi apporté ces dattes. S’il vous plaît, goûtez-les, Grande Sœur. »

Félicia avait tendu un deuxième plat. Celui-ci contenait un tas de fruits qui, pour Mitsuki, ressemblaient à des raisins secs, mais beaucoup plus gros.

« On les fabrique en séchant les fruits des palmiers dattiers qui poussent par ici, non ? » demanda Mitsuki.

« Exacte », répondit Félicia. « Et, depuis les temps anciens, on dit que si une femme en mange six par jour, elle donnera naissance à un enfant en bonne santé. »

« Ohh, intéressant. Six par jour, hein ? » Mitsuki avait attrapé l’un des fruits et en avait pris une bouchée.

Cela avait une saveur sucrée qui semblait se répandre dans sa bouche, rappelant les kakis sucrés séchés qu’elle avait mangés au Japon. Le goût sucré était un peu trop fort à son goût, mais heureusement, il n’était pas assez fort pour lui donner la nausée.

« Ah, ça ne descend pas aussi facilement que la grenade, mais je pense que je peux aussi manger ça », déclara Mitsuki. « Je suis tellement heureuse que nous ayons enfin trouvé quelque chose que je puisse manger ! »

Mitsuki avait poussé un long soupir de soulagement.

La situation était devenue si désespérée pour elle ces derniers temps, que l’idée qu’elle puisse finir par mourir de faim lui avait même traversé l’esprit une ou deux fois.

« Hee hee ! Je suis reconnaissante d’avoir pu vous rendre service. ... Ah, Grande Soeur. Si vous êtes d’accord, puis-je être autorisé à toucher votre ventre ? »

« Oh ! » Mitsuki avait souri, et avait hoché la tête. « Oui, bien sûr que tu peux ! »

Elle gloussa, se rappelant que la nuit dernière, Yuuto avait fait la même demande.

Même dans un lieu et à une époque totalement différents, il semblerait que les questions posées à une future mère soient à peu près les mêmes.

Le bébé n’avait pas encore commencé à bouger ou à donner des coups de pied, mais apparemment les gens voulaient quand même toucher son ventre.

« À l’intérieur, il y a le grand frère…, » Félicia s’était murmurée à elle-même. Elle avait doucement, tendrement caressé le ventre de Mitsuki.

Pour Mitsuki, c’était comme si elle pouvait aussi sentir l’amour de Félicia pour Yuuto communiqué à travers ce toucher.

Soudain, Félicia s’était levée, les yeux brillants de détermination, et elle avait annoncé : « J’ai pris ma décision ! À partir d’aujourd’hui, je vais commencer à m’entraîner pour devenir sage-femme ! »

Elle avait saisi la main de Mitsuki, la serrant fermement, et elle avait continué.

« Grande sœur ! Je vous en supplie, permettez-moi de mettre votre enfant au monde ! »

« U-umm… » Mitsuki n’avait pas pu répondre dans un premier temps. C’était un saut si soudain dans la conversation qu’elle avait du mal à rattraper son retard.

Félicia avait semblé en tirer une conclusion hâtive, car elle avait immédiatement affaissé ses épaules avec tristesse, comme si elle avait été arrachée de force à un rêve heureux pour revenir à la réalité. « Non… ? … Ah, oui, bien sûr, c’est votre premier accouchement, après tout. Plutôt que quelqu’un comme moi, vous préféreriez bien sûr avoir une sage-femme avec beaucoup plus d’expérience… »

Elle devait vraiment vouloir être celle qui le ferait.

« Non, ce n’est pas ça », avait interjeté précipitamment Mitsuki en secouant la tête. « J’étais juste un peu surprise, c’est tout. En fait, j’aimerais beaucoup te demander d’être la sage-femme. Si je pouvais choisir quelqu’un pour le faire, je voudrais que ce soit toi, Félicia. »

« V-vraiment !? »

« Oui. »

« Merci beaucoup ! » Le sourire éclatant de Félicia était revenu, et elle avait laissé échapper un petit rire. « Tee hee hee ! Oh, j’ai tellement hâte maintenant. Je me demande quel visage aura le bébé ? Est-ce que ce sera un garçon ou une fille, je me le demande ? Si c’est un garçon, il ressemblera sûrement au Grand Frère. Ohh, j’ai hâte d’être au jour de notre rencontre… »

Félicia était de nouveau de bonne humeur et parlait avec enthousiasme, prise dans une rêverie où son imagination s’emballait.

Il était clair, sans l’ombre d’un doute, qu’elle était vraiment heureuse du fond de son cœur que Yuuto ait un enfant.

« Hee hee, il est beaucoup trop tôt pour être si excitée, Félicia, » déclara Mitsuki, avec un sourire en coin. Elle avait silencieusement soupiré pour elle-même, soulagée.

Félicia n’était pas seulement l’adjointe de Yuuto. Elle était plus que ça pour lui.

Dès les premiers jours de la vie de Yuuto dans cet endroit, alors que tout le monde le traitait d’inutile, elle l’avait toujours soutenu avec dévotion, faisant tout ce qu’elle pouvait pour lui. Elle était quelqu’un de précieux pour lui, quelqu’un de spécial.

Elle était aussi précieuse pour Mitsuki. Pendant ce premier mois après l’arrivée de Mitsuki à Yggdrasil, Félicia avait été une bouée de sauvetage, une alliée et une amie irremplaçable qui avait pris soin d’elle et l’avait aidée de tant de façons.

Peut-être que Félicia n’avait fait tout cela que pour le bien de Yuuto. Mais même si c’était vrai, elle avait été aussi gentille et attentionnée envers l’amoureuse de l’homme qu’elle désirait ardemment — quelque chose dont peu de gens dans ce monde étaient capables.

Et donc, Mitsuki aimait Félicia.

Si possible, elle voulait qu’elles deviennent des amies proches, de vraies amies.

Plus que tout, elle était remplie d’un bonheur simple, sachant que Félicia avait donné sa pleine bénédiction à cette grossesse et était vraiment heureuse pour elle.

Mitsuki avait doucement posé une main sur son propre ventre, et avait chuchoté doucement, « Tu n’as pas à t’inquiéter, mon petit. Tout le monde ici t’attend à bras ouverts. »

***

« Monseigneur, concernant le Fort Waganea… il a subi un assaut féroce du Clan de la Foudre, et a été saisi ! Le commandant des forces là-bas, Lord Kurtz, aurait été tué dans les combats. »

« Hm, est-ce donc ainsi ? » La réponse du patriarche du Clan de la Flamme à l’annonce paniquée de son messager était froide et détachée. Il resta calmement assis, son menton reposant oisivement contre une main.

Le patriarche semblait avoir une trentaine d’années, un homme dans la force de l’âge. Il avait également des cheveux noirs foncés, un trait extrêmement rare à Yggdrasil.

Sa voix était basse et calme, impartiale, même. Mais quand il parlait, c’était comme si l’air de la pièce autour de lui se gelait instantanément dû à la tension.

Toutes les autres personnes rassemblées ici faisaient partie des capitaines et des officiels les plus haut placés du Clan de la Flamme, mais même ces féroces vétérans pâlissaient et des perles de sueur froide commençaient à couler sur leur visage. Ils ne pouvaient que rester là en silence, déglutissant en silence, les yeux rivés sur les moindres mouvements de leur seigneur et maître.

Se murmurant à lui-même, le patriarche du Clan de la Flamme avait lentement levé le menton de sa main, et s’était assis droit. « Cet enfant du Clan de la Foudre… Il a réussi une sacrée démonstration. »

Il avait agi conformément à l’accord passé avec le Clan de l’Acier, en utilisant ses forces pour attirer l’attention de l’armée du Clan de la Foudre sur la frontière et l’occuper pendant que le Clan de l’Acier menait sa campagne contre le Clan de la Panthère. Il avait seulement l’intention de maintenir ses forces ici pour garder le Clan de la Foudre en échec. Mais l’armée du Clan de la Foudre n’avait pas seulement foncé sur une force de défense deux fois plus grande que la sienne, elle avait même réussi à gagner. C’est vrai que c’était un peu surprenant.

« Donc », avait pensé le patriarche, « sa réputation de guerrier sans égal n’est, semble-t-il, pas une simple exagération. »

Les soldats de l’armée du Clan de la Flamme n’étaient pas des conscrits issus de familles de paysans. Ils étaient tous expérimentés, des soldats de carrière qui avaient subi un entraînement intensif et qui étaient toujours en service actif ou de réserve.

Et Kurtz, le commandant qui avait été à la tête de l’armée de la forteresse frontalière, était un général de renom, peut-être même parmi les cinq plus forts du clan. Il avait fourni des résultats énormes et impressionnants sur le terrain pendant la guerre contre le Clan du Vent.

Et pourtant, en dépit de ces choses, voici le résultat.

Heureux des cadeaux nostalgiques qu’il avait reçus, le patriarche du Clan de la Flamme avait adhéré à cette alliance sur un coup de tête, mais cela s’est avéré être un échange assez coûteux pour lui.

« Le Clan de l’Acier a déjà terminé sa campagne contre le Clan de la Panthère, et notre rôle a donc été joué. Et pourtant, je me trouve tout simplement incapable de laisser une blessure sans réponse… » Un coin de la bouche du patriarche du Clan de la Flamme s’était lentement courbé vers le haut, formant un sourire amusé.

Cet homme avait jusqu’à présent détruit et annexé trois clans entiers et leurs territoires, dont le Clan du Vent. Cependant, de son point de vue, la civilisation de ce monde lui paraissait assez primitive, les armes et les stratégies militaires de ses habitants étant loin derrière celles de sa patrie. Franchement, la conquête était ennuyeuse.

Et maintenant, un adversaire d’une férocité inattendue était apparu, quelqu’un qui avait été capable de percer complètement les lignes de front du Clan de la Flamme, que leur patriarche avait équipé de longues lances d’une longueur terrifiante pour créer une barrière de mort infranchissable. Quelqu’un avait vaincu sa stratégie du « Mur de Lances », et du point de vue de sa position de patriarche, c’était une horrible nouvelle… mais le patriarche du Clan de la Flamme sentit au contraire son cœur se mettre à battre la chamade.

Il y avait eu un bam ! alors que le patriarche du Clan de la Flamme s’était levé avec une telle force que ses pieds avaient heurté le plancher en bois.

« Envoyez l’appel à toutes les armées pour qu’elles se rassemblent ! » avait-il crié. « Nous allons chasser ce tigre ! Et je commanderai les troupes moi-même ! »

***

Chapitre 2 : Acte 2

Partie 1

« Maintenant, que faire à ce sujet…, » Linéa fronça les sourcils, fixant intensément les documents qu’elle avait entre les mains.

Elle était assise dans une pièce de la forteresse centrale de Gimlé qui avait été aménagée pour elle comme un bureau temporaire. Comparé à son bureau dans la capitale du Clan de la Corne, Fólkvangr, il était extrêmement simple et dépouillé. Avec seulement son bureau et une paire de chaises pour les invités, elle se sentait déjà à l’étroit.

« C’est clair comme le jour : nous n’avons pas assez de nourriture, » avait-elle murmuré.

Au cours de la campagne militaire visant à subjuguer le Clan de la Panthère, l’ennemi avait employé une stratégie de la terre brûlée, incendiant ses propres terres. À cause de cela, le Clan de l’Acier avait dû faire face à des dizaines de milliers de réfugiés, des gens qui avaient tout perdu — leurs maisons, leurs richesses et leurs emplois.

En outre, le Clan de l’Acier était devenu célèbre pour avoir facilement repoussé les armées d’invasion du Clan de la Foudre et du Clan de la Panthère, puis pour avoir absorbé l’ancien territoire du Clan de la Panthère à Álfheimr. Cette renommée avait attiré un grand nombre de chercheurs de fortune des autres nations de la région, et ils affluaient tous sur le territoire du Clan de l’Acier à la recherche de travail.

En termes de chiffres absolus, la production de nourriture avait connu une énorme augmentation, grâce aux techniques agricoles révolutionnaires de Yuuto et aux conseils supplémentaires qu’il avait fournis. Cependant, même avec cette augmentation, à ce rythme, le clan aurait épuisé toutes ses réserves de nourriture avant la récolte d’automne.

La nourriture était absolument essentielle. Tout le monde devait après tout manger.

Le père biologique de Linéa, le précédent patriarche du Clan de la Corne, lui avait souvent dit : « Tant qu’ils n’auront pas faim, les gens resteront calmes et s’occuperont de leur propre travail. »

En renversant cette affirmation, cela signifiait que si un dirigeant laissait le peuple souffrir de la faim, l’ordre public commencerait à s’effondrer.

Peu de temps s’était écoulé depuis que son clan s’était uni à six autres sous la bannière du Clan de l’Acier.

Au cours de cette période initiale difficile pour le nouveau clan, il fallait absolument éviter que le peuple ne perde confiance en ses dirigeants.

« Nous pouvons combler le manque en abattant notre bétail, mais cela doit être le dernier recours », murmura Linéa.

À l’origine, la plupart des animaux d’élevage étaient abattus avant l’hiver, afin que leur viande fasse partie des réserves alimentaires hivernales. Cela correspondait à la pratique courante ailleurs dans Yggdrasil. Cependant, une fois que le Clan du Loup et le Clan de la Corne avaient commencé à utiliser le système de rotation des cultures de Norfolk, ils avaient accumulé beaucoup plus de nourriture pour animaux. Ainsi, la saison d’été de cette année avait trouvé les deux clans avec une population de bétail beaucoup plus importante, reportée des années précédentes.

Ce qu’il ne faut pas oublier, cependant, c’est que ce bétail est également un élément essentiel du système permettant de produire davantage de cultures. Il devait pouvoir se déplacer dans les vastes champs, paître et fertiliser la terre.

S’ils étaient tués pour leur viande maintenant, l’augmentation de la production alimentaire au fil du temps ralentirait et ne parviendrait pas à répondre à la demande de la population croissante. Il était facile d’imaginer que d’ici l’année prochaine, ils seraient à nouveau dans une situation désespérée.

Cela ne ferait que les mettre dans une spirale descendante progressive.

L’homme d’un certain âge qui se tenait à côté de Linéa s’était penché pour faire une suggestion : « Pour l’instant, avant de faire quoi que ce soit d’autre, nous pourrions peut-être discuter de cette question avec les six autres clans ? »

Cet homme était Rasmus, un membre de haut rang du Clan de la Corne qui faisait partie de l’administration du clan depuis l’époque du prédécesseur de Linéa.

Pendant de longues années, il avait été un chef actif du clan en tant que commandant en second, mais dernièrement, il s’était retiré de ce poste et du service militaire actif, et avait renouvelé son serment du Calice à Linéa en tant que chef des subordonnés de son clan. Maintenant, il servait surtout de conseiller personnel à Linéa.

« Tu as raison. » Linéa hocha la tête. « Il serait de toute façon absurde que nous ayons à supporter seuls le poids de ce dilemme. »

À l’heure actuelle, les vivres redistribués en tant qu’aide d’urgence et de soutien provenaient presque entièrement des Clans de la Corne et du Loup.

C’était, bien sûr, parce que ces deux clans étaient ceux qui avaient connu d’énormes augmentations dans la production et généré d’énormes excédents grâce aux conseils et aux réformes de Yuuto.

Mais tous les clans subordonnés étaient des membres égaux du Clan de l’Acier, en termes d’honneur traditionnel, il était normal que les autres clans contribuent également.

« Eh bien », déclara Linéa, « Peut-être est-ce aussi une bonne occasion pour moi. »

Elle avait rencontré les autres patriarches du clan lors de la cérémonie officielle de création du Clan de l’Acier, mais elle n’avait encore parlé longuement à aucun d’entre eux en privé.

Ils étaient les frères et sœurs jurés de l’autre maintenant. En tant que leur sœur, et dans l’intérêt de ses devoirs en tant que commandant en second du Clan de l’Acier, elle devait en apprendre davantage sur le genre de personnes qu’ils étaient — et sur l’état actuel des affaires domestiques de leurs clans.

« Quoiqu’ils en soient, ce sont tous des gens qui se sont frayé un chemin jusqu’à la position de patriarche du clan », dit Linéa d’un air sombre. « Ils sont tous forcément sournois et rusés. J’imagine que cela va être un processus très fatigant. »

☆☆☆

La première personne à qui Linéa rendit visite fut le second adjoint du Clan de l’Acier, et l’actuel patriarche du Clan du Loup, Jörgen. Par chance, il se trouvait actuellement à Gimlé, ce qui en faisait un premier choix facile.

« Oh, Commandante en second », avait-il dit. « C’est un plaisir de vous voir, madame. »

C’était un homme grand, solidement bâti et musclé. Il se trouvait dans une pièce de la même taille que le bureau de Linéa, mais qui semblait encore plus petite avec lui à l’intérieur.

Avec les cicatrices d’une arme blanche sur une joue et sur l’un de ses sourcils, son visage possédait un air féroce et intimidant, mais Linéa le connaissait suffisamment pour savoir que cette apparence était trompeuse. Il avait une personnalité sincère et attentionnée et savait s’occuper des gens, ce qui lui valait l’affection et le respect de ses subordonnés.

Son clan et le sien étaient liés en tant que clans frères depuis un certain temps maintenant, et il avait d’abord été le commandant en second de son clan avant de devenir son nouveau patriarche. Ils avaient eu de nombreuses discussions fructueuses jusqu’à présent, la première ayant eu lieu juste avant son voyage de loisirs en groupe avec Yuuto à une source chaude.

Elle était en bons termes avec lui, et pouvait donc lui parler sans tension excessive. Il était le choix parfait comme première cible pour ses négociations.

« Ça tombe bien, j’étais sur le point d’aller vous voir moi-même », poursuit Jörgen.

« Hm ? Tu voulais me parler ? » Linéa lui répondit d’un ton familier, légèrement moins formel que celui qu’il utilisait. Il avait une vingtaine d’années de plus qu’elle, mais par le Serment du Calice, elle était au-dessus de lui en termes de rang.

D’ailleurs, à l’époque où Yuuto était devenu patriarche de clan, il avait eu beaucoup de mal à s’entraîner à parler de manière informelle et simple à des personnes plus âgées que lui. Cependant, Linéa n’avait pas de tels problèmes, elle avait été une « princesse » toute sa vie.

Son père biologique était le précédent patriarche du Clan de la Corne et, dès son plus jeune âge, il s’était efforcé de lui donner une éducation digne d’un futur souverain. Il lui avait martelé un principe important : Ceux qui veulent s’élever au-dessus des autres ne doivent jamais permettre aux personnes de rang inférieur de les traiter avec désinvolture ou irrespect. Et donc, pour elle, le comportement et les signes sociaux en accord avec ce principe étaient venus naturellement.

Jörgen, bien sûr, ne s’était pas offusqué de ce ton et il s’était contenté de hocher la tête.

« Oui, madame », dit-il, « Père m’a ordonné de m’occuper de l’organisation de sa cérémonie de mariage. Mais comme il s’agit du mariage de Père, la cérémonie sera bien sûr un événement national de grande envergure. J’avais donc besoin de venir vous voir pour obtenir votre accord sur le budget. Bien que j’imagine que ce n’est pas un sujet très agréable à traiter pour vous en ce moment… »

Il s’était gratté l’arrière de la tête d’une main, en s’excusant un peu.

Jörgen savait parfaitement que Linéa était profondément amoureuse de Yuuto, il se sentait donc probablement un peu coupable d’aborder ce sujet avec elle.

Linéa leva une main. « J’apprécie profondément ton inquiétude, Jörgen, mais tu n’as pas besoin de t’inquiéter pour moi. »

Ce serait mentir que de dire qu’elle ne ressentait aucun chagrin d’amour dans cette situation, mais après sa discussion avec Mitsuki l’autre jour, elle avait réussi à mettre de l’ordre dans ses sentiments.

D’autant plus que, si Mitsuki serait la seule épouse et la reine de Yuuto, elle avait exprimé son acceptation d’autres femmes comme concubines. Le cœur de Linéa avait déjà basculé vers un nouvel objectif : il lui suffisait de travailler de toutes ses forces pour devenir la maîtresse de second ou troisième rang de Yuuto.

Linéa posa un coude sur l’accoudoir de sa chaise, et continua. « Maintenant, mon frère juré. Je pense pouvoir deviner quel problème t’a poussé à vouloir venir me voir. Ce sont les problèmes de budget, n’est-ce pas ? » Elle laissa échapper un lourd soupir.

« Oui, madame. » Jörgen acquiesça, alors que son expression s’était assombrie. « Comme vous le savez, les finances du Clan de l’Acier sont dans un état plutôt difficile en ce moment. »

La stratégie de la terre brûlée du Clan de la Panthère avait jeté une ombre lourde sur les finances du Clan de l’Acier ainsi que sur son approvisionnement en nourriture.

Tout avait été brûlé, à l’exception des personnes elles-mêmes, dans une grande partie du pays.

La reconstruction et la restauration de ces zones nécessiteraient beaucoup, beaucoup plus que de la nourriture. La seule pensée du grand volume de ressources et de capitaux qui seraient nécessaires suffisait à donner mal à la tête à Linéa.

Et en même temps, le Clan de l’Acier devait aussi construire une tour Hliðskjálf à Gimlé, sa capitale. La tour sacrée Hliðskjálf était essentielle pour les rites religieux d’un clan ainsi que pour son autorité symbolique.

Bien sûr, il y avait aussi l’état actuel des bureaux temporaires de Linéa et Jörgen. Ils étaient si petits qu’ils affectaient la productivité du travail, et à part cela, ils affectaient la capacité à projeter la puissance et la dignité de leurs positions lorsqu’ils recevaient des envoyés d’autres nations.

En plus de cela, le Clan de l’Acier avait engagé un grand nombre de mercenaires pour leur dernière campagne, dont deux mille cavaliers du Clan de la Panthère parmi les prisonniers d’une précédente bataille. L’accumulation des salaires mensuels de tous ces combattants n’était pas à dédaigner non plus.

Franchement, le Clan de l’Acier actuel était déjà à bout de souffle financièrement, et n’avait pas assez de réserves pour faire face à une nouvelle dépense de grande envergure.

« Malgré tout, » dit Linéa, « nous ne pouvons pas permettre que la cérémonie de mariage de Père soit un petit événement bon marché, n’est-ce pas ? »

Jörgen hocha la tête. « Tout à fait, madame. Père n’est pas un homme très voyant, et il a même dit que “quelque chose de simple et d’ordinaire est bien”. Cependant… nous ne pouvons pas le permettre. »

« Oui, tu as tout à fait raison », avait convenu Linéa.

Ce n’était pas seulement une question d’honneur national.

Yuuto semblait toujours sous-estimer sa propre valeur et son impact. La réalité était qu’il y avait eu un déclin national soudain et choquant pendant son absence de deux mois, qui fut suivi d’un revirement complet immédiatement après son retour. Ces événements dramatiques signifiaient que l’amour du peuple pour Yuuto et sa foi en lui n’avaient fait que se renforcer.

***

Partie 2

Son nouveau surnom de réginarque, « le Grand Seigneur », avait immédiatement pris racine parmi le peuple sans avoir besoin de l’incitation de leaders comme Linéa ou Jörgen. Et lorsque Yuuto était finalement revenu à Gimlé après la fin de sa campagne, les acclamations de la population avaient littéralement secoué la ville entière. Il était évident qu’il était devenu extrêmement populaire.

Pendant ce temps, Mitsuki, la femme qui avait capturé le cœur de ce grand héros-roi, était elle-même en train d’acquérir la renommée et la bonne volonté du peuple.

Selon les rapports de Kristina, tout le monde à Gimlé parlait avec impatience de son désir de l’apercevoir.

Et donc, si la cérémonie de mariage se déroulait en petit comité, en présence des seuls associés les plus proches de Yuuto, les masses ne l’accepteraient jamais.

Linéa s’appuya sur sa chaise et regarda dans le vide. « Et pourtant, il y a le festival de la récolte d’automne qui arrive dans deux mois à peine. Nous venons d’avoir la cérémonie de fondation du Clan de l’Acier le mois dernier, et ce mois-ci nous avons eu la célébration de la victoire de la campagne militaire. Si ces grands événements se succèdent, nous allons avoir des problèmes. »

Bien sûr, à bien des égards, le fait d’avoir autant de célébrations qui se fassent d’affilée était tout de même quelque chose dont on pouvait être reconnaissant.

Cependant, en tant que responsable de l’organisation des finances du clan, une telle série d’événements heureux présentait également un problème qu’elle ne pouvait ignorer.

Comme mentionné précédemment, le clan était déjà ébranlé par les dépenses nécessaires à la reconstruction et au rétablissement des terres que le Clan de la Panthère avait incendiées.

Jörgen hocha la tête, une expression troublée sur le visage. « En effet. J’avais pensé que nous pourrions peut-être réutiliser certaines des ressources que nous avions préparées pour la fête de la moisson, mais cela signifierait utiliser ce qui s’apparente à de la friperie, ce qui serait une insulte à la dignité de Père. »

« C’est vrai, » Linéa était d’accord. « Père n’y verrait probablement pas trop d’inconvénients, mais ce ne serait pas une excuse. ... Hm ? Attends ! C’est ça, bien sûr ! » Linéa s’était levée en criant. « Nous n’avons pas besoin de “réutiliser” les ressources destinées au festival de la récolte d’automne. Nous pourrions simplement combiner la cérémonie de mariage et le festival de la récolte en un seul événement ! »

« Les combiner en un seul événement ? » répéta Jörgen, avec un froncement de sourcils perplexe.

« Oui. Par la grâce des dieux, Mère est enceinte depuis peu. À la fin du festival de la moisson, nous pourrions la faire agir comme une doublure symbolique de la déesse de la fertilité, avec Père dans son rôle de symbole du Clan de l’Acier lui-même. Ainsi, leur cérémonie de mariage serait également le point culminant du festival de la récolte. En fait, cette façon de faire devrait augmenter l’impact des deux célébrations, tu ne crois pas ? Et cela réduirait considérablement les dépenses nécessaires. »

« Ohhh, je vois ! » Jörgen hocha vigoureusement la tête, comprenant enfin le concept. « Hmm. Je n’en attendais pas moins de la femme que Père a choisie pour être son second. Je suis heureux d’être venu vous demander conseil. »

« C’était juste une idée chanceuse », Linéa avait souri. « Maintenant, utilise ça comme base pour tes plans. »

« Compris, madame. » Jörgen saisit fermement la main tendue de Linéa dans la sienne, et ils les secouèrent.

Linéa avait entendu dire que ces dernières années, Jörgen avait passé tout son temps à s’occuper des affaires administratives dans la capitale du Clan du Loup, Iárnviðr, mais sa poigne avait toujours la force révélatrice d’un guerrier vétéran, c’était comme serrer la main d’un rocher.

« Ah, ça me rappelle quelque chose, » dit Jörgen. « Nous avons discuté de mon propre problème pendant tout ce temps, mais commandant en second, vous vouliez aussi me voir à propos d’un autre problème. Quel était-il ? »

« Si je disais que mon problème ressemble beaucoup au tien, serais-tu capable de le deviner ? » demanda Linéa.

Jörgen plissa les yeux. « Est-ce que ça a un rapport avec le stock de nourriture ? » demanda-t-il, sur un ton beaucoup plus bas.

Cette démonstration de prudence était attendue de la part d’un leader politique de son calibre.

Si des rumeurs de pénurie alimentaire venaient à se répandre, divers groupes pourraient commencer à acheter ou à thésauriser ce qui est disponible sur le marché. Cela ne ferait qu’aggraver la situation.

Linéa hocha la tête à la bonne réponse. « Oui, c’est exact. »

Elle décida de passer directement à l’essentiel.

« Je vais simplement te poser la question tout de suite : dans l’état actuel des choses, le Clan du Loup va-t-il pouvoir continuer à fournir des vivres en tant qu’aide ? »

Les épaules de Jörgen s’affaissèrent et il secoua la tête avec lassitude. « À ce stade, nous n’aurions plus d’autres options que d’abattre notre bétail. Si fournir de l’aide est ce que Père ordonne, alors nous devrons bien sûr le faire. Mais en toute honnêteté, j’aimerais avoir l’occasion de supplier pour être libéré de ce fardeau. »

Grâce aux nouvelles connaissances et aux instructions de Yuuto, le Clan du Loup avait grandement amélioré sa technologie d’irrigation, augmentant ainsi considérablement la quantité de terres cultivables sur son territoire.

En outre, les vaches et les chevaux étaient plusieurs fois plus forts que l’homme moyen.

L’utilisation de bétail supplémentaire pour aider aux travaux agricoles avait considérablement augmenté la productivité — et par la même occasion, la perte de ce bétail aurait un impact sévère.

À l’heure actuelle, la production alimentaire du Clan du Loup était telle qu’ils avaient plus qu’assez pour nourrir leur propre population actuelle. Bien sûr, aucun dirigeant ne voudrait prendre des mesures qui ralentissent ou bloquent la croissance de sa propre nation.

« Les choses sont à peu près les mêmes pour nous dans le Clan de la Corne », soupira Linéa. « Très bien, je comprends. Je ferai tout ce que je peux pour essayer de convaincre les cinq autres clans de commencer à contribuer davantage à leurs ressources, et j’essaierai d’ajuster les choses à l’avenir. »

« Ahh, vraiment ? Si vous le voulez bien, ce serait merveilleux. Merci. » L’expression féroce de Jörgen se transforma en un large sourire, et une fois de plus il prit la main de Linéa dans la sienne.

Même s’il n’utilisait probablement qu’une fraction de sa force, c’était quand même une prise incroyablement puissante. En fait, ça fait plus que mal.

Cependant, Linéa n’avait pas laissé transparaître la douleur sur son visage, et préféra aborder le sujet suivant.

« Bien alors. En préparation de cela, je voulais en savoir plus sur le Seigneur Botvid, et j’espérais donc que tu pourrais me dire… »

En entendant le nom du patriarche du Clan de la Griffe, le comportement de Jörgen avait complètement changé. « Botvid ? » avait-il répété, coupant Linéa. Sa voix était basse et froide, et sa prise sur sa main était devenue beaucoup plus forte.

« Aie ! » Cette fois, Linéa n’avait pas pu s’empêcher de crier de douleur.

« Ah… ahh, s’il vous plaît, pardonnez-moi, madame. » Troublé, Jörgen s’excusa rapidement et relâcha la main de Linéa, mais son expression resta sinistre. Il semblait avoir une rancune profonde envers le patriarche du Clan de la Griffe.

L’air autour de lui transposait pratiquement une colère tranquille. Cela le faisait ressembler à une personne complètement différente du Jörgen au grand coeur que Linéa connaissait. Une personne plus faible aurait probablement eu les genoux fragiles face à une pression aussi intense et intimidante.

C’était, sans aucun doute, la force de présence qui sied à un patriarche.

Linéa déglutit nerveusement. J’ai sous-estimé cet homme. Il a été éclipsé par des gens comme Sigrún et Skáviðr, mais Jörgen est un monstre à part entière.

Rétrospectivement, cela n’avait de sens que parce que c’était la personne que Yuuto avait choisie pour être son successeur à la tête de son ancien clan. Bien sûr, ce ne serait pas quelqu’un d’ordinaire.

Quelqu’un d’aussi grand et puissant que lui avait servi Yuuto fidèlement pendant des années, sans jamais avoir d’ambitions de son côté.

En réalisant cela, Linéa avait une fois de plus pris conscience de l’incroyable pouvoir de Yuuto en tant que dirigeant.

 

☆☆☆

« Hmm, donc en résumé, vous dites, “Donnez-nous vos réserves de nourriture en guise de tribut”, non ? C’est un peu…, » l’homme d’âge moyen poussa un soupir fatigué et se gratta l’arrière de la tête. « Hahh, je suis vraiment perdu là. »

D’après son apparence, il semblait avoir un peu plus de quarante ans. La ligne frontale de ses cheveux s’était un peu éloignée, et il avait déjà quelques cheveux blancs. Sa carrure bosselée indiquait qu’il était un peu en surpoids, et son visage était affublé d’un sourire affable, mais peu sincère, comme un masque.

« Naturellement, je comprends que les choses doivent être difficiles pour le Clan de la Griffe, Frère Botvid, » dit Linéa. « Mais vous avez sûrement entendu parler des terribles conditions auxquelles le Clan de la Panthère est confronté en ce moment ? S’entraider dans des moments comme celui-ci, c’est ce qu’est une vraie famille. »

Linéa avait réussi à prononcer les mots d’une manière confiante et résolue, mais l’intérieur de sa bouche était complètement sec.

Même si cette personne ne ressemblait à rien d’autre qu’à un vieil homme fatigué et ordinaire, il s’agissait de Botvid, le patriarche du Clan de la Griffe.

Il était connu par ses voisins pour ses ruses machiavéliques, qui le surnommaient la « Vipère du puits ». Et dans les années qui avaient précédé l’accession de Yuuto au rang de patriarche du Clan du Loup, Botvid et ses manigances les avaient conduits au bord de la destruction.

Jörgen avait changé d’attitude par réflexe dès qu’il avait entendu le nom de Botvid, montrant à quel point il se méfiait de cet homme. Elle ne pouvait pas baisser sa garde avec lui, même pour un instant.

« Oh, mais… vous voyez, nous, du Clan de la Griffe, vivons haut dans les montagnes, et nos terres sont pauvres en ressources », lui répondit Botvid. « Nous n’avons pas la chance d’avoir de vastes étendues de terres fertiles, comme le Clan de la Corne. »

« Et c’est précisément la raison pour laquelle le Clan de la Corne assume la grande majorité de la charge de l’aide. Nous sommes tous en difficulté en ce moment. »

« Mais même si vous dites cela, je ne peux pas vous donner ce que je n’ai pas. Nous nous battons juste pour rationner nos fournitures afin de nourrir notre propre population, vous voyez… »

« C’est drôle, j’ai entendu dire que votre clan a accumulé pas mal de profits grâce au commerce », répondit froidement Linéa, une pointe d’interrogation dans son ton.

Elle avait obtenu l’information de Jörgen.

Le Clan de la Corne ne partageait aucune frontière avec le Clan de la Griffe, et donc avec la distance modeste entre leurs nations, Linéa n’avait pas une bonne compréhension de sa situation interne.

Sur ce point, le Clan du Loup avait un peu plus d’avantages, et elle avait donc cherché Jörgen pour apprendre ce qu’elle pouvait.

Linéa avait voulu que sa remarque porte un coup critique aux défenses de son adversaire, le rendant vulnérable, mais ce ne fut pas le cas.

Botvid secoua tristement la tête, son expression semblant déborder de tristesse. « Umm… et bien, en fait, ces derniers temps, nous n’avons vraiment rien vu du tout de ce commerce. Père a des produits comme le papier, vous voyez, et le pain sans sable, et les objets en verre, et bien d’autres. À cause de cela, les marchands ont tout simplement perdu tout intérêt à s’arrêter pour commercer avec notre petit clan. Ces deux dernières années, notre capitale a tellement décliné… qu’elle est pratiquement devenue une ville fantôme. »

***

Partie 3

Il ne semblerait pas qu’il s’agisse d’un mensonge total, cependant, Linéa avait également senti qu’il ne disait pas non plus toute la vérité.

Il cachait vraiment quelque chose.

C’est ce que lui disait l’intuition de Linéa en tant que politicienne.

Cependant, la raison qu’il donnait était assez légitime, sans aucune contradiction. Il n’y avait rien là-dedans pour le prendre en défaut.

C’est exactement comme j’ai entendu. C’est un vieux renard rusé, pensa-t-elle.

À première vue, il semblait être un homme discret, voire timide. Mais tout au long de leur interaction, ses réponses vagues et sans engagement lui avaient permis d’esquiver toutes ses tentatives d’exigences, sans pour autant lui donner quelque chose de concret à quoi s’accrocher et qu’elle puisse utiliser comme levier contre lui.

Il était probablement aussi conscient que, puisque le Clan de l’Acier était encore récemment formé, personne n’avait encore une bonne connaissance des affaires internes des autres clans.

Dans la mesure du possible, Linéa aurait voulu régler ce problème par une simple discussion, mais il n’y aurait aucun progrès à ce rythme.

Elle avait décidé de sortir une arme qui avait fait ses preuves.

« Frère Botvid, laissez-moi être claire », dit-elle d’un ton plus froid et plus ferme. « Je ne suis pas venue jusqu’ici pour vous faire une demande. Je vous donne un ordre en tant que commandante en second du Clan de l’Acier. »

Linéa laissa sa déclaration couler, et elle attendit.

Elle savait bien que tous les problèmes ne pouvaient pas être résolus par une simple discussion.

Elle n’aimait pas user de son autorité de manière aussi brutale, mais elle n’était pas non plus tendre au point de se laisser hésiter lorsque la situation l’exigeait vraiment.

Cependant, même cette manœuvre ne parvint pas à fissurer l’expression gracieuse et souriante de Botvid. « Hmm, eh bien, si c’est une question de politique du Clan de l’Acier à l’avenir, alors j’aimerais très certainement entendre l’opinion de Père sur le sujet, vous voyez. »

Linéa sentit le côté d’une de ses propres tempes se contracter légèrement.

La déclaration de Botvid signifiait en gros : « Ça ne sert à rien de discuter de ça avec une petite fille comme toi. Je n’en parlerai qu’avec Yuuto. »

Il avait eu beaucoup de culot de lui manquer de respect comme ça.

« Alors cela veut dire que vous n’écouterez pas mes ordres, non ? » répliqua Linéa.

« Oh, non, non, bien sûr, ce n’est pas du tout ça », protesta Botvid. « Mais, voyez-vous, mon clan arrive tout juste à se nourrir. Et donc, vous voyez, j’ai pensé que peut-être Père, avec tout son savoir, pourrait trouver une solution astucieuse à laquelle nous n’aurions jamais pensé tous les deux. »

Ahh… c’est donc ça. Linéa poussa un soupir amer… mais seulement dans son esprit.

L’objectif de Botvid était finalement apparu à la surface. En échange d’un peu de nourriture, il voulait que Yuuto lui transmette ses connaissances — en d’autres termes, il voulait qu’elle lui remette une de ses inventions.

Lorsqu’il s’agit des inventions de Yuuto — qu’il s’agisse du processus d’affinage du fer, de la formule du système de rotation des cultures de Norfolk ou de n’importe quelle autre — même une seule d’entre elles avait le potentiel de multiplier la prospérité d’une nation et sa force politique.

Et c’était précisément la raison pour laquelle Yuuto insistait tant et délibérément sur le fait de garder secrètes les techniques qui les sous-tendaient. En fait, depuis la période qu’il avait passée dans sa patrie au-delà des cieux, il donnait l’impression d’être devenu encore plus sérieux à propos de cette politique.

Botvid avait dû voir là la meilleure chance qu’il aurait d’obtenir l’une de ces précieuses inventions. C’était un geste astucieux, c’est sûr. Mais il fallait être au moins aussi rusé pour servir de patriarche de clan.

Linéa avait réfléchi à ses options. Si j’implique Père dans cette affaire maintenant, les choses devraient se résoudre en douceur… mais s’occuper des affaires domestiques du Clan de l’Acier est mon travail en tant que second.

De plus, Botvid avait défié directement l’autorité de Linéa. Il cherchait la bagarre avec elle.

Il pouvait le nier, mais entre les lignes, il avait fait tout sauf le dire à haute voix, Je n’obéirai pas aux ordres d’une petite fille comme toi.

Ils étaient tous deux des enfants subordonnés de Yuuto. Et dans une dispute entre frères et sœurs, il n’y avait rien de plus honteux que de faire appel au parent pour intervenir. En fait, cela ne pouvait que conduire à ce qu’elle soit regardée comme rien de plus qu’une enfant qui dépendait trop de Yuuto pour résoudre ses problèmes.

« Père est un homme occupé, et je n’ai pas l’intention de le déranger en l’amenant à s’occuper d’un problème aussi insignifiant. » Linéa s’était assurée que Botvid entende bien l’accent mis sur le mot « insignifiant ».

En d’autres termes, elle disait : « Avoir affaire à quelqu’un comme toi n’est rien de spécial ».

Naturellement, en tant que vétéran chevronné, le vieux renard rusé n’avait pas perdu son sourire en coin. Cependant, les yeux de Linéa avaient vu quelque chose de surprenant : les mains de Botvid, gracieusement serrées l’une contre l’autre, se crispaient un tout petit peu.

Il était probablement un peu irrité de se faire parler par cette jeune fille, quelqu’une qu’il considérait intérieurement comme inférieure à lui.

« D’accord, très bien, j’ai compris », déclara Linéa. « Si le Clan de la Griffe est vraiment dans une situation si difficile, je vais simplement chercher du soutien ailleurs. Et je ne viendrai pas non plus vous demander une autre aide à l’avenir, alors ne vous inquiétez pas pour ça. »

Linéa termina sa déclaration par un sourire, puis elle se leva avec la ferme intention de partir.

« A — Attendez ! S’il vous plaît, attendez ! » Botvid tendit précipitamment une main pour tenter de l’arrêter.

Je t’ai eu, pensait Linéa au fond d’elle. Mais alors qu’intérieurement, elle souriait, en surface, elle feignait la perplexité. « Hm ? Qu’y a-t-il d’autre à discuter ? »

« Eh bien, nous, du Clan de la Griffe, sommes tout autant membres du Clan de l’Acier, vous voyez. Nous ne pouvons pas simplement refuser de faire quoi que ce soit pour aider, car ce serait… »

« Non, ça me convient parfaitement », déclara Linéa sans détour, coupant la parole à Botvid. « Je ne vais pas vous demander d’imposer des contraintes excessives à votre clan pour notre bien. Concentrez-vous simplement sur le fait de prendre soin de vous. »

C’était un acte — elle avait planifié tout ça.

Lorsqu’il avait entendu parler pour la première fois de la demande d’aide alimentaire, Botvid avait dû évaluer ses besoins relatifs et ceux de Linéa, et en avait conclu que c’était l’occasion d’essayer d’obtenir quelques avantages supplémentaires pour lui-même.

Il serait difficile de prédire le résultat exact des négociations, et il y aurait probablement des compromis de sa part, mais il avait sûrement calculé que quoi qu’il arrive, il en sortirait quand même avec quelque chose à obtenir.

Mais maintenant, il risquait de n’obtenir absolument rien, et de plus, il était confronté à la possibilité que d’autres clans plus obéissants obtiennent un traitement préférentiel plutôt que son propre clan dans les affaires futures. Cela l’avait naturellement poussé à légèrement paniquer.

Bien sûr, Linéa risquait de perdre tout autant si elle n’obtenait aucune aide de Botvid. Intérieurement, elle était incroyablement nerveuse à l’idée de mettre en place ce stratagème, mais elle n’en avait pas laissé paraître le moindre signe.

Botvid ne l’avait considérée que comme une petite fille naïve. C’est ce qui avait scellé son destin.

Linéa avait grandi en tant que fille d’un patriarche, strictement éduquée sur les principes fondamentaux d’un souverain.

Elle n’était pas encore habituée à diriger des troupes en combat sur le terrain, mais lorsqu’il s’agissait des luttes diplomatiques comme celles-ci, elle avait traversé plus que sa part de batailles difficiles.

« J’ai d’autres affaires à régler, je vais donc prendre congé maintenant. » Tournant sur ses talons, Linéa s’apprêta à quitter la pièce.

Au moment où elle atteignait la porte, elle entendit un lourd soupir derrière elle.

"... En fait, je viens de me souvenir. Il se trouve que nous avons une petite quantité de vieux stocks de nourriture en réserve, provenant de la récolte d’une année précédente. Si nous les utilisons, cela devrait représenter une modeste contribution d’aide. »

« Ohh ! Vraiment !? » s’exclama Linéa.

Au fond d’elle, elle pensait, je savais que tu en cachais, mais elle n’avait pas laissé ces mots franchir ses lèvres.

Elle avait agi comme si elle était sincèrement choquée par la nouvelle.

« Je les céderai, si c’est pour le bien du Clan de l’Acier », dit rapidement Botvid. « Cependant, il s’agit de la réserve d’urgence de mon clan, incroyablement précieuse, et je souhaiterais donc humblement une petite compensation en retour. »

« Ahh, mais bien sûr ! Alors, que pensez-vous de ceci : en échange de chaque centaine de gerbes de blé, le Clan de la Corne donnera au clan de la Griffe un de nos chariots blindés, que nous utilisons dans le cadre de la tactique défensive connue sous le nom de mur de chariots. »

Linéa avait l’option de pousser plus fort ici avec le poids de son autorité, mais au lieu de cela, elle lui avait fait une offre claire.

Et plutôt que d’essayer d’être radine, elle avait utilisé un objet de valeur pour faire l’enchère.

Grâce à l’introduction par Yuuto du processus d’affinage du fer, le prix du fer avait quelque peu baissé, mais il valait toujours au moins autant que l’or sur le marché libre. Les wagons utilisés dans le Mur des Wagons étaient recouverts de plaques de fer.

Cela les rendait extrêmement précieux, quelque chose que Botvid voulait désespérément.

Le choix de Linéa pour son offre avait été une preuve supplémentaire de son bon sens politique.

Une fois qu’il était clair qu’elle gagnerait l’échange, elle avait veillé à ne pas gagner de trop, et elle s’était assurée que l’autre partie soit également gagnante dans l’échange. Elle avait créé une situation gagnant-gagnant.

Machiavel est célèbre pour avoir écrit dans ses essais qu’un dirigeant doit inspirer la crainte, mais doit s’efforcer d’éviter d’être méprisé.

C’était le meilleur moyen de forger de bonnes relations politiques sur le long terme. Et c’est quelque chose que Linéa avait compris intuitivement.

« Ah… ! » Les yeux de Botvid s’écarquillèrent. « Parlez-vous de cette invention que vous avez utilisée à maintes reprises pour repousser avec succès les attaques des cavaliers du Clan de la Panthère !? »

Même si la nation de Botvid était éloignée des terres où les batailles en question avaient eu lieu, il semblait tout savoir à leur sujet. Et ce, bien que de gros efforts aient été faits pour garder secrets les détails exacts de ces victoires, car si des informations étaient divulguées sur le Mur de Chariots, quelqu’un pourrait essayer d’en copier le design.

À cet égard, il semblerait que la pomme ne soit pas tombée loin de l’arbre. Botvid ressemblait beaucoup à sa fille biologique Kristina, la chef du réseau d’espionnage du Clan de l’Acier.

« Êtes-vous vraiment d’accord de nous donner ça !? » Botvid s’était exclamé.

« Oui, je le suis. Maintenant que la menace du Clan de la Panthère est passée, ces armes serviront le Clan de l’Acier tout aussi bien si elles sont en possession du clan de la Griffe. »

Maintenant que le Clan de l’Acier avait annexé le Clan de la Panthère, les deux nations non alliées qui bordaient le Clan de la Corne étaient le Clan du Sabot et le Clan de la Foudre.

Le Clan du Sabot avait été piégé dans une tendance de déclin constant après avoir perdu son chef charismatique, le grand guerrier Yngvi. Et lors de la bataille de Gashina, il avait été clairement établi que la tactique du Mur de Chariots était complètement inutile contre le Clan de la Foudre, tant qu’ils avaient le monstrueux Steinþórr à leur tête.

En conclusion, les wagons blindés étaient peu utiles au Clan de la Corne à ce stade, tout en étant une source de coûts d’entretien inutiles.

Naturellement, il s’agissait toujours d’armes militaires de valeur, et disposer de ressources militaires puissantes en réserve n’était pas quelque chose que Linéa considérait comme acquis. Cependant, il ne devrait pas y avoir de problème à en vendre un petit nombre.

Plus que tout, il y avait le fait que pendant la condamnation du patriarche du Clan de la Panthère, Hveðrungr, Yuuto avait dit qu’il avait l’intention de « régner sur tout Yggdrasil ».

Puisqu’il avait fini de conquérir la plupart des terres jusqu’à la côte ouest d’Yggdrasil, cela ne pouvait que signifier qu’il avait finalement l’intention d’envahir l’est, vers la région centrale de l’empire.

Puisque le Clan de la Griffe contrôlait le territoire sur ce qui était actuellement le côté est du Clan de l’Acier, alors leur donner des ressources militaires était parfaitement logique du point de vue du Clan de l’Acier dans son ensemble.

La logique était logique, au moins, mais même ainsi, donner ses propres ressources militaires limitées à une autre nation n’était pas une chose facile à faire.

Linéa, cependant, était décisive et agissait sans hésitation dans ces situations. C’était l’une des choses remarquables chez elle.

***

Partie 4

Plus tard, Botvid avait fait la remarque suivante à sa fille biologique, Kristina :

« Je la prenais pour rien de plus qu’une petite fille, mais elle était plus que ce que je lui accordais. En particulier, il y avait le fait que j’avais du mal à la considérer comme mon ennemie. Elle est passée maître dans l’art de se faire des alliés et de gagner en négociation, et tout cela à un si jeune âge. C’est terriblement impressionnant. »

Et avec un sourire entendu, Kristina avait répondu ce qui suit :

« Pourquoi ne le réalises-tu que maintenant ? Tu devrais déjà savoir que même si Père est entouré de belles filles, le seul moment où elles sont “mignonnes”, c’est quand elles ont affaire à lui. »

☆☆☆

« Très bien, j’ai au moins réussi à obtenir quelque chose de chacun. » Linéa s’adossa à sa chaise et prit une longue et profonde inspiration.

Elle venait de terminer sa réunion avec Lágastaf, le patriarche du Clan du Blé. Avec cela, elle avait terminé les négociations avec les patriarches de cinq des six clans de la fratrie. Il ne restait plus que le Clan de la Panthère.

Jusqu’à présent, les résultats de ces négociations avaient été plutôt bons, ou aussi bons qu’on pouvait l’espérer.

Tout comme avec Botvid du Clan de la Griffe, chaque réunion avait commencé avec l’autre partie montrant qu’ils ne pensaient pas beaucoup d’elle, mais cela avait changé au fur et à mesure que les discussions avançaient et que Linéa se mettait au travail.

Elle les avait amadoués avec des offres, avait apaisé leurs inquiétudes ou les avait menacés, tout en s’efforçant de déterminer ce qu’ils voulaient ou ce dont ils avaient besoin. Finalement, elle s’était assurée qu’à la fin, ils arrivaient à un arrangement que les deux parties pouvaient accepter.

Elle ne gagnerait jamais trop aux dépens de l’autre personne, ni ne lui permettrait de faire de même, elle obtiendrait ce qu’elle voulait de l’accord tout en lui permettant aussi de gagner quelque chose.

Dans chaque cas, elle avait trouvé la ligne et l’équilibre parfait.

C’est pourquoi, même si chacun de ses collègues patriarches avait fini par s’engager à donner une partie de ses réserves de nourriture, ils avaient tous quitté son bureau avec un visage satisfait.

« Mais », murmura Linéa, « c’est encore loin d’être suffisant ».

Les autres clans avec lesquels elle avait négocié étaient des filiales du Clan de l’Acier, mais il s’agissait à l’origine de petits clans provinciaux faibles. Ils n’avaient pas vraiment beaucoup de moyens.

Ce n’était certainement pas suffisant pour nourrir des dizaines de milliers de personnes jusqu’à la récolte d’automne.

Toc toc ! Les pensées de Linéa avaient été interrompues par un coup soudain et inattendu à sa porte.

« Commandant en second, j’ai entendu dire que vous vouliez me parler. Est-ce le bon moment ? » La voix qui appelait de l’autre côté de la porte était sans passion et portait un froid sinistre qui pouvait glacer le sang d’une personne.

« Ah, Frère Skáviðr », dit Linéa. « Oui, entrez. »

« Merci, madame. »

L’homme qui était entré avait des joues fines et une couleur pâle et maladive, mais ses yeux brillaient d’une lumière vive et perçante, et il avait un air dangereux et sinistre.

Si elle ne l’avait pas déjà bien connu, elle aurait pu facilement le prendre pour un tueur à gages et appeler les gardes.

Cet homme, Skáviðr, était l’un des conseillers les plus fiables de Yuuto. Il avait été autrefois le second adjoint du Clan du Loup, mais était récemment devenu le nouveau patriarche du Clan de la Panthère à Álfheimr, qui avait juré fidélité à Yuuto et au Clan de l’Acier.

« C’est bon de te voir après si longtemps », dit Linéa. Elle s’était adressée à lui de manière amicale, sans airs formels. « J’espère que tu es en bonne santé ? »

Il y a un an, Skáviðr avait été envoyé en mission dans la région frontalière occidentale du Clan de la Corne, chargé de défendre la ville fortifiée de Myrkviðr et ses environs. Cela avait permis à Linéa d’interagir régulièrement avec lui et d’apprendre à le connaître.

Elle avait appris que, malgré ce que son apparence pouvait suggérer, Skáviðr était totalement loyal envers Yuuto, et se souciait de ses subordonnés ainsi que de la vie des citoyens. Elle s’était donc prise d’affection pour lui.

« Oui, heureusement, je vais bien », dit Skáviðr. « Je suis heureux de voir que vous semblez avoir gardé une bonne santé vous-même, madame ».

« Je t’en prie, assois-toi et mets-toi à l’aise. »

« J’apprécie. Merci. » Skáviðr fit un petit signe de tête et s’installa dans l’un des fauteuils des invités.

Linéa s’était assise en face de lui et avait commencé à se préparer pour la discussion importante à venir en commençant par une petite conversation plus standard.

« Alors, cela fait un mois maintenant que tu es devenu patriarche. Dis-moi, comment ça se passe ? »

« Je ne peux pas honnêtement dire que ça se passe bien », avait admis Skáviðr. « Je suis un homme simple et rustre qui a passé toute sa vie comme un soldat, concentré uniquement sur la bataille. C’est un rôle totalement étranger à mon expérience, aussi ai-je souvent l’impression de tâtonner dans le noir. »

« Y a-t-il quelque chose en particulier qui te pose problème ? Je sais que je peux sembler peu fiable parce que je suis jeune, mais j’ai plus d’expérience que toi en tant que patriarche de clan. Tu peux me consulter à ce sujet. »

Linéa pensait qu’elle avait une dette envers Skáviðr pour ce qu’il avait fait pour protéger Myrkviðr et ses habitants. Il avait personnellement effectué de dangereuses patrouilles dans les terres environnantes et s’était investi dans la gestion des efforts de reconstruction de la ville.

Linéa n’imposait pas son expérience à Skáviðr, mais essayait plutôt de lui rendre la pareille.

Heureusement, il semblait le comprendre. « Merci beaucoup, madame. Dans ce cas… le problème le plus saillant est, je dirais, la grande difficulté d’essayer de faire vivre ensemble pacifiquement deux peuples aux cultures et aux valeurs très différentes. »

« Ah… » Linéa hocha la tête. « C’est vrai que ça a l’air d’être une vraie plaie à gérer. Après tout, ils ont beaucoup d’inimitié entre eux. »

Actuellement, le Clan de la Panthère de Skáviðr contrôlait le territoire qui était auparavant sous la domination du Clan du Sabot. En d’autres termes, les anciens citoyens du Clan du Sabot qui cultivaient ces terres vivaient maintenant côte à côte avec les nomades du Clan de la Panthère qui avaient initialement envahi la région de Miðgarðr au nord.

Du point de vue des anciens membres du Clan du Sabot, le Clan de la Panthère était des étrangers qui avaient soudainement envahi, pillé et détruit leurs fermes et leurs villages, s’étaient emparés de leur nourriture et avaient enlevé leurs femmes, puis avaient traité leurs terres et leurs habitants comme des déchets après avoir conquis leur capitale.

Quant au Clan de la Panthère, c’était un clan de nomades avec une longue histoire de mépris et de moquerie comme des barbares par les gens des clans agricoles sédentaires.

Ce n’était pas aussi simple que de dire : « Très bien, vous êtes tous un clan maintenant. Oubliez toutes vos rancunes, et travaillez ensemble à vous entendre pour que la nation dans son ensemble puisse prospérer. »

« L’antagonisme semble sans fin, des bagarres éclatent sans cesse entre les deux groupes », dit Skáviðr. « Le fait que nous ayons des lois strictes et appliquées de manière cohérente permet à peine de maintenir les choses en place pour le moment, mais je ne peux m’empêcher de me demander combien de temps cela va encore durer. »

Linéa avait réfléchi un moment. « Hmm… bien, que penses-tu de l’idée de simplement accepter qu’ils ne peuvent pas vivre ensemble ? »

« Que voulez-vous dire par là, madame ? »

« Les anciens membres du Clan du Sabot ont perdu des membres de leurs familles, et ont été opprimés sous le règne du Clan de la Panthère, » dit Linéa. « La colère qui en découle va mettre plusieurs décennies à s’estomper, au minimum. En inversant les choses, cela signifie que tu dois simplement décider qu’essayer de faire vivre les deux peuples ensemble en paix va être impossible pour les prochaines décennies, et c’est tout. »

« Urm… » Skáviðr fronça légèrement les sourcils. « Cependant, ce devoir est quelque chose que mon seigneur et maître m’a confié. Y renoncer si rapidement serait… »

Il avait fait une pause. Il était clair qu’il n’était pas à l’aise avec cette idée.

« Frère Skáviðr, écoute-moi », répondit Linéa sans ambages. « Tu ne dois pas mélanger tes priorités. Ton travail de patriarche n’est pas d’unir deux peuples différents en un seul. Il est de s’assurer que le peuple que tu gouvernes puisse vivre en sécurité et prospérité. Tant que tu fais cela, tu n’as aucune obligation de les unir culturellement au-delà de cela. »

Skáviðr semblait un peu perplexe. « Euh… ? Mais, madame, s’ils sont constamment en conflit les uns avec les autres, comment pourrais-je dire qu’ils vivent en sécurité ? ».

« Ce ne sera vrai que s’ils doivent tous vivre ensemble au même endroit », dit Linéa. « Heureusement, le territoire du Clan de la Panthère est vaste. Tu pourrais simplement diviser les terres, les répartir proprement entre les deux peuples, et faire en sorte qu’ils n’aient pas à s’associer plus que nécessaire. Et si tu comptes faire ça, c’est le meilleur moment pour le faire, alors que la reconstruction ne fait que commencer. »

Skáviðr était resté stupéfait un instant, puis il laissa échapper un rire impressionné. « Ha ha ha ! Vous êtes vraiment très décisive dans votre façon de penser. »

Linéa inclina la tête. « Vraiment ? Mais n’es-tu pas d’accord pour dire que ce serait un gaspillage d’efforts et de ressources dans quelque chose dont tu sais qu’il ne fonctionnera pas ? »

Linéa avança son argument comme si elle n’avait rien dit de particulier, mais en fait, les gens n’étaient généralement pas capables d’être aussi décisifs.

Et il se trouve que le raisonnement de Linéa avait touché du doigt une vérité sur la façon dont le monde fonctionne.

Loin, très loin dans le futur, il y aura les États-Unis d’Amérique, par exemple. Même dans ce pays connu pour être un « melting pot » multiracial, les personnes de races et d’ethnies différentes formeraient toujours leurs propres quartiers et communautés homogènes et séparés, et bien qu’il y ait des exceptions à un niveau individuel et personnel, dans l’ensemble, elles ne s’associeraient pas profondément les unes aux autres.

Ensuite, il y avait les nations du Japon, de la Chine et de la Corée du Sud à la même époque : même si soixante-dix ans s’étaient écoulés depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, il y aurait toujours un profond fossé entre elles concernant leur histoire de guerre.

Linéa était quelqu’un qui croyait aux idéaux, mais en même temps, elle pouvait regarder la réalité d’une situation d’un angle sec et objectif, et prendre des décisions fermes sur cette base.

C’était l’une de ses capacités exceptionnelles en tant que dirigeant et décideur.

« Je ne peux pas prendre ma décision définitive tout de suite, mais je pense que j’envisagerai fortement d’utiliser ce que vous m’avez appris aujourd’hui », déclara Skáviðr.

« Ok, alors. » Linéa hocha la tête. « Eh bien, garde à l’esprit que c’était simplement mon point de vue personnel. C’est ton clan, Frère Skáviðr. Tu dois le gouverner de la façon que tu penses être la meilleure. »

« Merci beaucoup, madame. »

***

Partie 5

« Ah, d’accord, encore une chose », ajouta Linéa. « Au cas où tu suivrais mon idée, il y aura probablement des gens parmi les nomades qui t’en voudront de les avoir fait quitter les villes qu’ils occupaient. Il se peut même qu’il y en ait un certain nombre, donc je pense que tu dois t’assurer que tu leur prépares des avantages ou des incitations pour compenser cela, et pour qu’ils ne restent pas mécontents. »

« Ha… ha ha ha ! »

« Huh ? Qu’est-ce qui ne va pas ? Ai-je vraiment dit quelque chose d’aussi étrange ? »

« Ah, non, madame, c’est juste que je me suis souvenu de quelque chose que Maître Yuuto a dit ». Skáviðr gloussa. « Il m’a dit un jour que, si nous avions vécu dans une ère de paix, vous seriez sûrement connue comme l’un des plus grands souverains de notre temps. Je vois maintenant qu’il avait tout à fait raison. »

« Quoi ? ! P-Père a dit quelque chose comme ça sur moi… ? » Linéa n’avait pas pu s’empêcher d’esquisser un sourire étourdissant.

C’était censé être une discussion importante entre collègues patriarches, qui exigeait une certaine dignité, mais elle ne pouvait réprimer le puissant sentiment de bonheur qui montait en elle.

Si Yuuto l’avait louée comme ça directement, elle aurait pu penser que c’était de la flatterie polie, mais en l’entendant de la bouche de quelqu’un d’autre comme ça, elle pouvait accepter que c’était son opinion honnête.

« A-t-il dit autre chose sur moi ? » La question était sortie de la bouche de Linéa avant qu’elle ne puisse se retenir.

Elle avait l’intention de profiter de cette réunion pour apprendre la situation domestique du Clan de la Panthère, mais maintenant les choses avaient complètement dérapé. Mais même en pensant cela, elle ne pouvait pas s’en empêcher.

« N’importe quoi est bien ! N’importe quelle petite remarque », avait-elle ajouté rapidement. « Ça ne me dérange pas non plus si c’est quelque chose de négatif. Je peux toujours m’en servir comme base pour travailler à m’améliorer. »

« Hm… Je n’ai jamais entendu de remarques négatives à votre sujet de sa part, » dit Skáviðr. « Au contraire : pendant la campagne contre le Clan de la Panthère, lorsque nous avons commencé à fournir des cargaisons de vivres aux réfugiés, il a remarqué que c’était uniquement grâce à vous qu’il pouvait faire face à une tâche aussi impossible. Il semble qu’il compte vraiment sur vous. »

« Je… Je vois. Alors il a une si haute opinion de moi ! » La voix de Linéa montait en flèche tandis qu’elle s’excitait.

Cela l’avait remplie d’un désir renouvelé de travailler encore plus dur pour être à la hauteur des attentes de Yuuto. Mais juste au moment où elle pensait cela, Skáviðr avait repris la parole.

« Ah, en fait, il y avait autre chose… »

« Il y en a d’autres ? ! Dis-moi ? ! »

« Il a dit qu’il vous adorait autant que si vous étiez vraiment sa petite sœur. »

« En tant que petite sœur…, » Linéa pouvait se sentir tendue, son sourire se figeant.

Elle avait été préparée à accepter avec joie toute critique ou plainte de Yuuto à son égard, mais cela lui laissait des sentiments plus mitigés.

Naturellement, elle était heureuse de savoir qu’il se souciait d’elle.

Elle en était heureuse, mais le fait qu’il la considère comme une petite sœur était un problème.

Bien sûr, elle avait été sa petite sœur jurée pendant un certain temps, mais en tant que femme, elle ne pouvait pas se contenter de ce genre de relation platonique.

« À part ça… Je suis désolé, » ajouta Skáviðr. « Je ne me souviens de rien d’autre en particulier. Cependant, dans tous les cas, Maître Yuuto a très certainement une profonde affection pour vous dans son cœur, madame. »

« Je… je vois. » La bouche de Linéa était sèche. « Mais… en tant que sa sœur, non ? Eh bien, c’est quelque chose que je savais déjà. ... Ah, pardonne-moi. Notre discussion s’est éloignée du sujet. Pour l’instant, la situation actuelle du Clan de la Panthère est plus importante. Y a-t-il d’autres problèmes que tu rencontres ? »

« D’autres problèmes… Je dirais que c’est la pénurie de nourriture, » dit Skáviðr. « L’aide que nous recevons du Clan de l’Acier nous aide beaucoup, et j’en suis vraiment reconnaissant, mais si je dois être honnête, ce n’est toujours pas suffisant. Ainsi, bien que je sache à quel point il est impudique de faire cette demande, serait-il possible d’augmenter le montant que vous nous donnez ? En l’état actuel des choses, nous n’avons pas assez pour approvisionner tout le monde, et dans la périphérie du clan, il y a déjà plus d’un qui meurt de faim… »

« Je le savais… » Linéa poussa un soupir amer, elle s’affaissa et posa son menton sur un bras. Elle avait eu le mauvais pressentiment que cela pourrait être le cas.

Naturellement, selon les calculs de Linéa, elle avait envoyé au Clan de la Panthère plus qu’assez pour couvrir leurs besoins. En fait, il y avait même une petite marge positive incluse.

Cependant, les humains sont des créatures égoïstes. Il était inévitable que certains prennent avidement plus que leur juste part des provisions au moment où elles étaient distribuées, volant ce qui aurait dû aller aux autres.

Lorsque Linéa était chargée de diriger la reconstruction de Myrkviðr, elle avait vu cette horrible réalité de ses propres yeux.

« Eh bien, je suis désolée de dire que je ne peux pas répondre à tes attentes cette fois », déclara Linéa. « En fait, les envois d’aide sont plus susceptibles de diminuer à l’avenir. J’ai déjà rencontré les autres patriarches et conclu des accords pour qu’ils fournissent une partie de leur propre nourriture, mais même dans ce cas… »

« Je vois… donc vous agissiez déjà pour tenter de résoudre le problème. Et même dans ce cas, l’aide va encore se réduire. Hmm. » Les sourcils de Skáviðr se froncèrent, inquiets.

Il imaginait probablement à quel point la situation deviendrait désespérée pour son peuple si ses réserves de nourriture, déjà insuffisantes, diminuaient encore plus.

Il était possible qu’il y ait un nombre important de décès par famine.

C’était un homme qui était toujours prêt à se sacrifier pour la paix et la sécurité de son peuple. En tant que personne ayant le même état d’esprit, Linéa comprenait profondément la détresse amère qu’il devait ressentir maintenant.

« Bien sûr, j’ai aussi l’intention d’en discuter avec Père, mais il serait préférable de ne pas trop en attendre », ajouta Linéa.

« … Oui, vous avez raison. » Skáviðr soupira. « Même quelqu’un d’aussi grand et sage que Maître Yuuto ne peut pas simplement créer quelque chose à partir de rien, après tout. »

Les stocks de nourriture étaient consommés entre les récoltes. Ils n’allaient jamais augmenter.

Le problème était de savoir comment distribuer intelligemment la nourriture à partir des réserves dont ils disposaient. Et la quantité absolue de ces réserves était bien trop faible pour la demande.

Il y avait aussi une limite à ce qu’ils pouvaient acheter sur le marché des autres clans environnants. Ils étaient dans une situation financière difficile pour le moment, et ils n’avaient pas beaucoup de capitaux de côté.

« Malgré tout », ajouta Linéa, « je ne peux m’empêcher d’imaginer qu’il pourrait trouver une idée qui résoudrait tout ça. C’est ce qui est si effrayant chez lui. »

« Ha ha ! C’est bien vrai. » Skáviðr avait eu un petit rire en coin.

Le seigneur suzerain de Linéa et Skáviðr, Suoh-Yuuto, était quelqu’un qui avait surmonté un certain nombre d’épreuves apparemment impossibles.

En seulement deux ans, il était passé de la tête de l’un des clans les plus petits et les plus faibles d’Yggdrasil à la tête de ce qui était devenu sa troisième plus grande superpuissance. Et même s’ils en avaient été les témoins directs, c’était encore trop incroyable pour y croire.

Quelle que soit la situation, il pouvait instantanément trouver un moyen d’éliminer le problème. C’était l’étendue de la confiance qu’ils lui accordaient.

« Même sur la question de l’unification des nomades et des anciens peuples du Clan du Sabot qu’ils ont conquis, je t’ai dit que je ne pensais pas que c’était possible, mais il est toujours possible que Père puisse trouver une solution que je n’ai pas pu… Hum ? Attends, c’est ça ! » cria Linéa.

« Qu’est-ce que c’est ? » demanda Skáviðr.

« Les nomades ! Nous n’avons jamais eu besoin de les nourrir ! »

« Hein ? » La réaction perplexe de Skáviðr était un moment incroyablement rare pour lui. « Je vous demande pardon, madame ? »

Les mots de Linéa avaient dû vraiment le prendre au dépourvu.

C’était tout à fait naturel, car même si les nomades du Clan de la Panthère étaient ses anciens adversaires de guerre, l’idée de ne pas leur donner de nourriture serait encore une suggestion bien trop cruelle.

« Voilà ce que je veux dire : tu ne devrais pas leur faire faire des travaux peu familiers pour aider à la reconstruction des villages et des villes, tu pourrais les faire chasser pour leur propre nourriture. Ils sont originaires des prairies sauvages situées loin au nord, où ils chassaient principalement pour se nourrir, non ? »

« Ah ! Je comprends maintenant ! » Les yeux de Skáviðr s’illuminèrent de compréhension.

La maîtrise d’un arc standard exigeait beaucoup d’entraînement et de temps. Il en va de même pour l’expérience nécessaire pour apprendre à traquer le gibier et à le pister sans se faire repérer.

C’est pourquoi, même dans cette situation de pénurie alimentaire, l’idée d’augmenter le nombre de chasseurs de gibiers sauvages n’aurait normalement aucune application pratique. Cependant, c’était complètement différent s’ils disposaient déjà d’une large population de chasseurs expérimentés et bien entraînés.

En fait, il serait absolument insensé de faire faire à un groupe possédant des compétences aussi importantes tout autre type de travail dans une telle crise alimentaire.

En outre, si les nomades n’étaient pas forcés de travailler sur des projets de construction aux côtés des anciens citoyens du Clan du Sabot, cela réduirait les conflits qui éclatent entre les deux groupes. Ce serait faire d’une pierre deux coups.

« Attends… » Linéa s’était soudainement excitée quand un autre éclair d’inspiration avait frappé. « Nous avons aussi beaucoup d’arbalètes stockées, inutilisées. Il ne faut pas autant de temps pour les maîtriser qu’un arc normal. Nous pourrions ordonner aux soldats des Clans du Loup et de la Corne d’aller dans les montagnes et de chasser le gibier avec les arbalètes, en déclarant officiellement que c’est un entraînement militaire supplémentaire. »

« Ohh, c’est une bonne idée ! »

« Oui… oui, ça pourrait marcher », dit Linéa avec enthousiasme. « Il n’y a aucun moyen de le savoir à moins de l’essayer réellement, mais ça pourrait marcher. Je vais contacter le second adjoint Jörgen tout de suite ! Frère Skáviðr, je te laisse le reste ! »

Linéa se leva, emplie d’énergie, et elle se précipita hors de la pièce.

Dès qu’elle avait une idée, elle passait immédiatement à l’action, cela aussi était une preuve de sa capacité.

 

☆☆☆

Une semaine avait passé, et Yuuto rendit visite à Linéa dans son bureau.

« Hey, Linéa, » déclara-t-il. « Je regardais juste les données de ces rapports, et on dirait qu’on a un nombre assez fou de réfugiés et d’immigrants qui arrivent des clans environnants. Avons-nous assez de nourriture pour couvrir tout le monde ? Si on en arrive là, tu peux aller de l’avant et ordonner l’abattage d’une partie du bétail, d’accord ? »

Linéa posa doucement son stylo, et lança à Yuuto un sourire éclatant.

« C’est bon, Père. Il n’y aura pas de problèmes. Je m’en suis déjà occupée. »

***

Partie 6

La région entourant le Fort Waganea n’avait pas de rivières et recevait peu de pluie. La terre autour de la forteresse était un terrain vague couvert principalement de gravier et de sable, s’étendant vers l’horizon dans toutes les directions.

Quelques petits arbustes poussaient ici et là sur le sol rocailleux, mais il était totalement impropre à l’agriculture. Détenir des terres dans cette région ne procurait que peu d’avantages matériels, aussi a-t-elle longtemps été une sorte de zone tampon entre les territoires contrôlés par les Clans de la Foudre et du Vent.

Pendant au moins les cent dernières années, cette étendue inutile de terres incultes située entre les deux clans du nord et du sud de Vanaheimr avait été la raison pour laquelle ils n’étaient pas entrés en guerre l’un contre l’autre.

Mais maintenant, soudainement, cet endroit était devenu le théâtre d’une guerre à grande échelle entre les Clans de la Foudre et de la Flamme.

Le patriarche du Clan de la Flamme avait installé sa formation principale sur une haute colline à environ deux heures de marche au sud de Fort Waganea. De là, il contemplait ses lignes de front éloignées, où un jeune homme aux cheveux roux flamboyants transperçait ses défenses.

« Oho ! » s’exclame-t-il, le ton de sa voix rebondissant d’excitation. « C’est donc lui que l’on surnomme le “Tigre assoiffé de combats”, n’est-ce pas ? Tout ennemi qu’il soit, je ne peux que le qualifier de splendide. Voyez comment il traverse ma formation, et la coupe en deux ! Je l’avais pris pour un peu plus qu’un homme parmi les souris de ce pays, mais je me suis trompé. Même au pays du soleil levant, il n’y a jamais eu de guerrier d’une force aussi redoutable. Et bien, il pourrait même surpasser des gens comme Lü Bu et Xiang Yu ! »

À côté du patriarche se tenait son second, Ran, qui déglutit en regardant la même scène avec une expression tendue.

 

 

« Est-il… vraiment humain, mon seigneur ? Il me semble toujours impossible que la force et le courage d’un seul homme puissent ainsi vaincre une force plus de deux fois supérieure à la sienne. »

Le Clan de la Flamme avait vingt mille troupes sur le terrain, contre huit cents pour le Clan de la Foudre.

La différence ne serait pas aussi flagrante si le Clan de la Foudre utilisait des tactiques avantageuses, mais ils fonçaient sur la formation du Clan de la Flamme par l’avant, et parvenaient quand même à écraser le nombre supérieur de leurs adversaires. Cela n’avait absolument aucun sens. Cela allait à l’encontre de la logique militaire.

« Décris-le comme impossible, mais tu ne peux toujours pas bannir la réalité devant toi », déclara le patriarche du Clan de la Flamme. « Il n’y a rien d’autre à faire que de l’accepter. Et puisque tu peux le voir, sois attentif. C’est un spectacle que tu auras peu d’occasions de voir dans ta vie. »

« Mon seigneur, je pense que ce n’est pas quelque chose à apprécier autant, » dit Ran avec hésitation. « Ce sont nos forces qui sont repoussées. »

« Ah, c’est ainsi. J’aurais aimé le regarder se battre un peu plus longtemps, mais ce n’est pas le moment. Très bien, commence la retraite. Si nous continuons à faire face à ce type de front… Bien que nous ne verrons pas la défaite, je ne voudrais pas voir les pertes parmi nos hommes. »

Les soldats de l’armée du Clan de la Flamme étaient des combattants d’élite qui avaient été entraînés pendant de nombreuses années pour servir le désir de leur seigneur de conquérir le royaume. Ils étaient une ressource nationale précieuse. Ce serait un véritable gâchis de les sacrifier à une bataille ici, dans une province sans valeur.

De plus, le patriarche du Clan de la Flamme avait prédit cette situation.

Il avait déjà entendu de nombreuses histoires sur la force inégalée au combat du patriarche du Clan de la Foudre, Steinþórr.

Selon une histoire, il aurait capturé une forteresse à lui tout seul, tuant lui-même tous les défenseurs.

Selon un autre, il aurait lui-même combattu à l’arrière-garde alors que son armée battait en retraite, avec seulement quelques dizaines d’hommes à ses côtés, et aurait personnellement repoussé l’armée ennemie qui tentait de poursuivre la sienne.

Une autre histoire raconte qu’il avait été pris en embuscade et encerclé par sept Einherjar, et qu’il les avait tous vaincus par ses propres moyens.

Chaque histoire semblait au-delà de toute crédibilité.

Et donc, le patriarche du Clan de la Flamme n’avait pas été assez fou pour partir en guerre contre un tel monstre sans aucune stratégie pour le vaincre.

Le patriarche du clan de la flamme avait souri. « Si un assaut avancé ne peut pas l’arrêter, alors nous n’avons qu’à procéder comme prévu, et attaquer là où il est le plus faible. »

☆☆☆

"... Il y a quelque chose qui cloche ici. » Steinþórr avait fait s’arrêter brusquement son cheval. « Leur retraite est trop bien organisée. »

Il avait obtenu une victoire dans la bataille contre les troupes du Clan de la Flamme, et était sur le point de saisir l’élan et de mener ses hommes à leur suite pour lancer une attaque de poursuite.

Mais non seulement la retraite était trop organisée, mais il y avait aussi ces lances anormalement longues que l’infanterie du Clan de la Flamme avait utilisées. Tout cela lui donnait un sentiment troublant qui ne voulait pas disparaître, comme une mauvaise prémonition.

Il ne pouvait s’empêcher de se rappeler la première fois qu’il avait affronté Yuuto, lors de la bataille de la rivière Élivágar.

À l’époque, il avait poursuivi l’ennemi alors qu’il se retirait, le poursuivant trop loin. En conséquence, il s’était retrouvé coupé de ses hommes et encerclé par sept Einherjars ennemis, puis englouti dans une inondation artificielle qui l’avait presque tué.

Quelque chose dans la situation actuelle ressemblait trop à ce qui se passait à l’époque.

« Dans ce cas, je parie qu’il cherche à tendre une embuscade, » murmura Steinþórr pour lui-même. « Un autre groupe attendant de frapper. ... Mais où ? »

Maintenant qu’il avait deviné l’objectif de son ennemi, il avait imaginé une carte de la région, en imaginant la disposition des forces adverses.

Cela l’avait rapidement conduit à la réponse.

Les souvenirs de la bataille de Gashina lui revinrent en mémoire.

Il y avait une position qui était devenue la plus faiblement défendue après que l’autre camp ait retiré ses forces. Et c’était la position qui lui causerait le plus de problèmes logistiques si elle était capturée.

« Ah ! » avait-il crié. « Tout le monde, nous retournons à la base immédiatement ! L’ennemi en a après le Fort Waganea ! »

« Monseigneur, l’armée du Clan de la Foudre se replie ! » appela un soldat.

« Oh, est-ce ainsi ? » Le patriarche du Clan de la Flamme fit s’arrêter son cheval. « Keh heh heh, il a donc reconnu ce que je cherchais, n’est-ce pas ? Les rumeurs le décrivaient comme un homme téméraire qui ne savait que charger aveuglément devant lui, mais voyez-vous ? Il s’est montré très intelligent, lui aussi. Splendide, vraiment splendide. J’aimerais beaucoup l’avoir comme subordonné. »

Le patriarche du Clan de la Flamme avait tapé dans ses mains, puis les avait écartées.

C’était un geste d’appréciation sincère, un éloge sans réserve.

C’était un homme qui détestait l’incompétence, et qui aimait ceux qui étaient talentueux et capables.

Que ce soit un allié ou un ennemi ne faisait aucune différence. Même dans le monde d’où il venait, il avait toujours accordé son respect à ceux qui étaient vraiment forts.

Les yeux du patriarche se plissèrent. « Cependant, » murmura-t-il sur un ton plus bas, « Si grand que tu sois, jeune homme, seul, tu n’as pas la force de me vaincre tel que je suis maintenant. Tu as peut-être compris le piège à Waganea, mais qu’en est-il des deux autres endroits, je me le demande ? »

Dans la stratégie du patriarche du Clan de la Flamme, même l’embuscade du Fort Waganea n’était rien de plus qu’un autre leurre.

En découvrant le plan caché ou la ruse de l’adversaire, la plupart des gens avaient tendance à ne plus réfléchir.

Ainsi, il suffisait de faire de cette « réponse » le bluff pour une deuxième couche de tromperie.

Le patriarche du Clan de la Flamme avait utilisé sa force personnelle de vingt mille hommes pour attirer l’armée du Clan de la Foudre, tandis que ses trente mille troupes restantes étaient divisées en trois groupes indépendants pour les dépasser par des routes séparées.

Même s’il ne parvient pas à s’emparer du fort Waganea, les deux autres forteresses faiblement défendues lui tomberont dessus.

De plus, il avait envoyé une missive au patriarche du Clan de l’Acier, l’exhortant à mobiliser davantage de ses propres soldats pour le soutenir.

Peu importe la puissance de Steinþórr, il ne serait pas capable de faire face à tout ça.

Par une étrange coïncidence, c’était une sorte de stratégie étonnamment similaire à celle que Skáviðr avait utilisée contre Steinþórr lors de la seconde bataille de la rivière Élivágar. Cependant, le patriarche du Clan de la Flamme la menait à une échelle beaucoup, beaucoup plus grande, sur une zone plus étendue.

Naturellement, s’il avait tenté de le faire avec une armée de la même taille que celle de son adversaire, chacune de ses forces divisées aurait fini par être détruite, une par une. Le patriarche avait pu utiliser cette stratégie, car le Clan de la Flamme pouvait mobiliser cinquante mille soldats, un nombre largement supérieur à la norme pour les nations d’Yggdrasil.

Rassemblez suffisamment de soldats pour submerger complètement l’ennemi. Organisez soigneusement les lignes de ravitaillement. Placer des officiers forts et compétents à la tête de chaque division. Créer les conditions de la victoire, de sorte que la victoire sans difficulté soit une évidence. C’était la base de la stratégie militaire du Clan de la Flamme.

Il n’y avait rien de surprenant ou même de particulièrement excitant à ce sujet.

Dans sa jeunesse, le patriarche du Clan de la Flamme avait une fois mené une attaque-surprise contre une force de vingt-cinq mille soldats, et avait réussi à prendre la tête du général ennemi dans une victoire éclatante. Cependant, il n’en avait pas tiré une fierté excessive. Au contraire, il s’était efforcé de ne plus jamais livrer une bataille aussi risquée, et avait donc toujours cherché à rassembler plus de soldats que son ennemi avant de se lancer dans la bataille.

C’est ce qui rendait cet homme si terrifiant.

Il n’avait pas été tenté par la gloire de la victoire elle-même, il avait travaillé sans relâche à la recherche des moyens les plus logiques pour l’atteindre.

Et c’est pourquoi il n’avait pas de faiblesses, il était simplement et réellement fort.

« Je le maîtriserai dans environ, oh, trois mouvements de plus, je pense. » Se caressant le menton, le patriarche du Clan de la Flamme avait souri.

Quant à la division qu’il avait envoyée pour attaquer le fort Waganea, il leur avait donné l’ordre de se retirer immédiatement si Steinþórr revenait.

Si Steinþórr donnait la chasse, la force principale du patriarche du Clan de la Flamme entrerait, s’emparerait du fort Waganea, et tiendrait le Clan de la Foudre en tenaille.

Si Steinþórr choisissait de rester et de défendre la forteresse, les deux autres divisions détachées envahiraient plus loin, ravageant le territoire du Clan de la Foudre.

Si le patriarche du Clan de la Foudre essayait de diviser ses forces pour tenter d’empêcher cela, tant mieux. Le Clan de la Flamme écraserait toute division qui n’aurait pas Steinþórr à sa tête.

Il n’y avait plus aucun chemin pour l’armée du Clan de la Foudre qui menait à la survie.

« Hmm. » Le patriarche du Clan de la Flamme fronça les sourcils en lui-même. « Pourtant, je ne peux m’empêcher de trouver regrettable de devoir tuer un si grand homme. »

***

Chapitre 3 : Acte 3

Partie 1

La jeune fille appelée Hildegard déglutit une fois, puis se laissa tomber dans une position basse, accroupie, et tendit une main vers le haut. Elle se mit à parler d’une voix forte.

« Je viens faire appel à votre honorable maison, et bien que cela puisse vous paraître présomptueux, je vous demande de me permettre de me présenter. »

C’était une jeune fille aux cheveux attachés en deux tresses courtes, et bien que ses yeux volontaires et déterminés aient fait une forte impression, son apparence générale était encore plutôt mignonne.

Elle était également assez bien habillée, ce qui laisse penser qu’elle venait d’un milieu aisé.

« Tout d’abord, je vous remercie pour le temps que vous m’accordez et pour avoir accepté de m’écouter », poursuit Hildegard. Elle récita le reste de la salutation cérémoniale qu’elle avait mémorisée, s’assurant d’énoncer chaque mot clairement. « Comme je suis maladroite et grossière, je vous demande humblement de me pardonner si je manque à la courtoisie qui vous est due. Je comprends que c’est la première fois que j’ai l’honneur de vous rencontrer, mon bon monsieur. »

La première impression avait toujours été essentielle.

Si elle pouvait montrer sa capacité à effectuer cette salutation formelle sans erreur, cela devrait rapidement améliorer son image d’exemplarité auprès des supérieurs de cette organisation.

Elle ne pouvait pas se permettre de faire des erreurs.

« Je viens du territoire du Clan de la Griffe, du village de Zaltz, au pied des montagnes Himinbjörg », dit-elle. « Je m’appelle Hildegard et j’ai quatorze ans. L’année dernière, lorsque je suis allée visiter la tour sacrée de Hliðskjálf, j’ai reçu la bénédiction de la déesse Angrboða, et son cadeau, la rune Úlfhéðinn, la peau de loup. Comprenant que c’était mon destin, j’ai rejoint la campagne pour subjuguer le Clan de la Panthère. Cependant, je n’ai pas encore échangé le Serment du Calice avec qui que ce soit. Je suis un guerrier novice, un enfant sans parent assermenté. »

L’homme qui se tenait en face d’Hildegard écarquilla les yeux à cette dernière phrase.

Bien sûr que oui, pensa-t-elle en ricanant au fond de son cœur.

Parce que les Einherjars avaient été bénis par les dieux avec le pouvoir et la protection des runes, ils possédaient des capacités de combat qui les distinguaient largement des gens ordinaires qui n’en ont pas.

En cette ère de guerre constante, n’importe quel clan serait sûrement prêt à tout pour mettre la main sur un guerrier aussi puissant, tout comme n’importe quelle famille de faction au sein d’un clan.

En fait, Hildegard avait déjà reçu des propositions de deux autres factions, lui demandant de devenir un enfant subordonné auprès d’elles.

Mais le Serment du Calice était un engagement ferme et sacré, et une fois qu’il était échangé, on ne pouvait pas facilement s’en défaire. Cela étant dit, si Hildegard devait prêter le Serment du Calice à quelqu’un, elle se disait qu’il valait mieux choisir quelqu’un issu d’une famille qui montait en puissance, ce qui lui ouvrirait de meilleures perspectives pour sa propre carrière.

Et c’est pourquoi elle avait choisi de venir ici.

« J’ai eu la chance de rester quelque temps en tant qu’invitée de Lord David, adjoint au commandant en second de la Famille Jörgen », dit-elle. « Cependant, si je ne devais prêter mon serment du Calice qu’à un seul parent dans cette vie, je souhaiterais plus que tout prêter serment auprès de la Mánagarmr, Dame Sigrún, la guerrière dont le nom résonne dans tout le pays. Et donc je suis venue, même si je sais que la demande est effrontée. J’espère que vous aurez une bonne opinion de moi. »

Intérieurement, Hildegard poussa un soupir de soulagement. Elle avait réussi à finir de réciter l’ensemble du texte sans se tromper une seule fois.

Comme elle avait grandi à la campagne, ce genre de salutations formelles était vraiment difficile pour elle. Mais au moins, le premier obstacle avait maintenant été franchi.

« J’apprécie votre accueil aimable et courtois », répondit l’autre homme. « S’il vous plaît, pardonnez mon retard à me présenter. Je suis Bömburr, commandant en second de la famille Sigrún. »

« … ! » Hildegard se retint de haleter sous le choc, mais ses yeux s’écarquillèrent.

C’était tout naturel, car elle savait exactement qui était cet homme. Elle avait fait quelques recherches sommaires sur cette faction, puisqu’elle prévoyait de prêter son serment du Calice avec eux.

En plus d’être le commandant en second de la famille Sigrún, Bömburr était également le vice-capitaine de la force de soldats d’élite connue sous le nom d’unité des forces spéciales de Múspell.

C’était tout à fait inattendu, elle n’avait jamais pensé qu’elle finirait par se retrouver face à face avec un personnage aussi important de la famille.

Mais, ça pourrait être un coup de chance, pensa Hildegard. Son esprit s’emballa.

Redressant sa posture, elle inclina une nouvelle fois la tête en signe de respect. « Je suis très honorée de faire la connaissance d’une personne aussi renommée. J’ai beaucoup entendu parler de vos glorieux accomplissements. »

Bien sûr, elle ne faisait que suivre le mouvement.

Honnêtement, elle n’avait jamais entendu le nom de Bömburr avant de faire ses recherches sur la famille Sigrún. Et même quand elle avait appris son existence, il n’avait pas du tout de gloire à son nom. Ses accomplissements étaient tous ennuyeux et ordinaires.

Et en le voyant maintenant, il était petit et un peu corpulent — il semblait un peu léthargique pour un guerrier. Il n’avait pas une présence intimidante. Il avait juste l’air d’un vieil homme ennuyeux d’âge moyen.

Hildegard ne pouvait que supposer qu’il était arrivé à sa position actuelle dans la faction de Sigrún en lui faisant de la lèche.

Néanmoins, il s’agissait du chef des enfants subordonnés de la famille dans laquelle Hildegard essayait d’entrer. Compte tenu de sa future carrière, il n’y avait aucun mal à s’assurer qu’il ait une bonne opinion d’elle.

« Ha ha ha ! » Bömburr gloussa. « Je sais que ce n’est que de la flatterie vide, mais ça fait quand même du bien de recevoir des éloges comme ça d’une jeune femme comme vous. »

« Oh, non, je vous promets que ce n’est pas du tout de la flatterie vide… » protesta Hildegard.

Même si c’est exactement ce que c’est, ajouta-t-elle dans son cœur avec un ricanement.

Bien sûr, Bömburr n’avait aucun moyen d’entendre la voix intérieure de la jeune fille, et il ne répondait donc qu’à ses paroles.

« Oh, s’il vous plaît », avait-il dit en gloussant. « Ce n’est vraiment pas nécessaire. De toute façon, vous vouliez entrer dans notre famille, non ? »

« O-oui, monsieur ! » Hildegard était reconnaissante à l’homme d’avoir fait avancer la conversation, elle avait craint de ne pas pouvoir rester polie.

« Je suis sûr que vous le savez déjà, mais nous sommes l’une des factions les plus militaristes du clan », dit Bömburr. « Notre régime d’entraînement quotidien est très strict, et le risque de mourir au combat est également beaucoup plus élevé. Voulez-vous toujours en faire partie, malgré ça ? »

« Cela signifie seulement que nous avons plus de possibilités de nous faire un nom dans le domaine, n’est-ce pas ? » demanda Hildegard, le coin de sa bouche se retroussant vers le haut.

Elle avait étudié les règles de base de l’étiquette et des manières dont elle aurait besoin pour s’entendre avec les plus hauts responsables de la famille, mais elle n’avait pas non plus l’intention de se comporter comme une fille bien élevée.

C’était un monde où la force signifiait tout. Si elle se montrait simplement polie et obéissante, elle finirait par être utilisée et maltraitée. Elle devait montrer qu’elle avait aussi des crocs.

« Heh. Ok, alors, » dit Bömburr. « Il semblerait que vous soyez exactement le genre de personne pour laquelle notre famille est connue. Et j’aimerais certainement avoir un Einherjar fort dans nos rangs. Laissez-moi vous accueillir à bras ouverts, Hildegard. » Bömburr tendit la main.

Hildegard la saisit, et les deux se serrèrent la main.

C’est ainsi qu’avait commencé pour Hildegard un aller simple vers le succès et le statut.

☆☆☆

… Du moins, c’est ce qu’imaginait Hildegard, mais la réalité s’était avérée beaucoup moins rose.

« Pourquoi dois-je faire ce genre de travail !? » Elle frappa rageusement sa houe contre le sol.

En tant que guerrière Einherjar, elle devrait manier une épée, une lance ou un arc.

Et pourtant, on l’avait forcée à se lever avant même que le soleil ne soit levé et on l’avait envoyée dans ces écuries puantes, où elle était censée faire un travail sale comprenant le fait de nettoyer le fumier des chevaux.

Ça n’avait pas du tout de sens.

C’était un travail destiné aux gens médiocres, pas à un héros choisi par les dieux comme elle.

« Comment ça, “pourquoi” ?! » Un homme barbu d’une vingtaine d’années lui répondit par un cri. « C’est parce que tu es une stagiaire qui vient d’arriver l’autre jour. Ne va pas pleurnicher et te plaindre pour ton premier jour de corvée. Ferme-la et mets-toi au travail ! »

« Rrgh. » Hildegard se sentit immédiatement furieusement irritée par cet homme.

Elle avait reçu une offre pour prêter le serment du Calice directement avec le second adjoint de Jörgen, l’un des officiers de haut rang du Clan du Loup.

Pourquoi cet homme lui parlait-il comme s’il était au-dessus d’elle ? Après tout, il était toujours un membre de bas rang de la famille malgré ses vingt ans.

C’était si offensant que cela l’avait rendue malade.

« Tu devrais peut-être faire attention à la façon dont tu me parles, si tu sais ce qui est bon pour toi. » Hildegard croisa les bras et leva le menton avec défi, lançant à l’homme un regard menaçant tandis qu’elle lui crachait ces mots. « Je suis une Einherjar de la rune Úlfhéðinn, la peau de loup. Je vais grimper dans les rangs supérieurs en un rien de temps. »

Comme on pouvait s’y attendre de la part d’un simple novice, ses paroles l’avaient apparemment un peu effrayé. Elle avait été capable de sentir sa peur grâce à son odorat incroyablement perspicace.

Ses lèvres se recourbèrent en un sourire malicieux et elle lui lança la houe à ses pieds.

« Qu’est-ce que tu fais ? », avait-il crié.

« J’ai décidé que tu pouvais faire ce travail stupide », déclara Hildegard. « Qui sait ? Si tu te montres utile, peut-être qu’à l’avenir, j’envisagerai de te jeter un os ou deux. »

« Ngh… ! » L’homme barbu ne pouvait même pas former de mots en réponse.

C’était, peut-être, tout à fait naturel. Il serait beaucoup plus étrange pour lui de ne pas être furieux après avoir été si profondément insulté par une nouvelle recrue, quelqu’un de moins gradé que lui.

« Toi… ! Comment oses-tu ! » L’homme serra les poings, puis se jeta sur elle.

Il semblait être prompt à la colère et à donner des coups de poing, ce qui convenait à la famille dont il faisait partie. Hildegard avait également l’impression qu’il avait une certaine expérience du combat.

Cependant, de son point de vue, il était si lent que c’en était presque ennuyeux.

Elle attrapa facilement son poing dans la paume de sa propre main, puis le serra, assez fort pour que ses os fassent du bruit.

« Gaagh ! St-stop ça ! Arrête ça ! Laisse moi partir ! Aaauughh ! » L’homme se mit à crier et à hurler de douleur. C’était pathétique, elle n’avait même pas encore utilisé la moitié de sa force.

Hildegard regarda droit dans les yeux du gémissant, et parla d’un ton glacial. « “Arrête ça” ? “Laisse-moi partir” ? Peut-être ne comprends-tu pas la position dans laquelle tu te trouves en ce moment ? »

« Argh… S’il vous plaît laissez-moi partir. S’il vous plaît, je vous en supplie. »

« Hee hee, oui, c’est ça. » Hildegard sourit, un sourire qui montrait exactement tout le mépris qu’elle avait pour lui. « Tu dois réaliser exactement où tu en es. »

***

Partie 2

En cet instant, l’homme s’était redressé, le visage rouge vif, et il leva son autre bras pour la frapper… mais il laissa ensuite échapper un souffle, et le redescendit.

« Je vois au moins que tu n’es pas stupide », dit Hildegard avec un ricanement.

« Ngh… ! » L’homme serra les dents, et ne répondit pas.

Il était sûrement en colère et frustré, mais après cette seule attaque, il avait accepté le fait qu’il n’avait aucune chance de gagner contre elle dans un combat.

« Gah ! »

L’homme barbu poussa un nouveau cri de douleur lorsque, soudainement et sans remords, Hildegard enfonça son autre main dans sa cage thoracique, creusant avec ses ongles. Il s’agrippa à son estomac et s’effondra à genoux.

Hildegard baissa les yeux sur lui. « Et qu’est-ce que tu attends ? » demanda-t-elle d’un ton tranchant et menaçant ? « Arrête de traîner et commence à nettoyer. »

Elle lui tourna ensuite le dos, comme si elle avait complètement perdu tout intérêt.

Même s’il décidait d’essayer de l’attaquer par-derrière, elle pouvait gérer quelqu’un de son niveau. C’était ce qu’elle voulait faire comprendre : la différence flagrante entre leurs forces.

Finalement, elle entendit le bruit de l’homme qui ramassait la houe. Puis le son lorsqu’elle fut enfoncée dans le foin.

Il semblerait que l’homme ait décidé qu’il valait mieux se soumettre à Hildegard que d’essayer de s’opposer à elle.

Hildegard sourit. Enfin, elle était libérée de ce travail fastidieux.

« Hé maintenant, qu’est-ce que c’est que tout ça ? » cria une voix familière. « S’occuper des écuries était le travail d’Hildegard, n’est-ce pas ? Tu dois t’assurer qu’elle le fasse. »

Surprise, Hildegard se retourna. C’était le commandant en second, Bömburr. Comme toujours, il avait l’air trop détendu pour quelqu’un dans sa position, un sourire idiot sur le visage.

Lorsqu’elle l’avait vu pour la première fois, il lui avait semblé terne et ennuyeux, mais maintenant, il était un peu déstabilisant.

« Ah, euh, mais… » L’autre soldat débutant regarda timidement d’avant en arrière entre Hildegard et Bömburr.

Hildegard laissa échapper un soupir. Elle n’allait pas pouvoir s’en sortir par la parole.

« Ce genre de travail ne convient pas à quelqu’un comme moi, monsieur. Alors je l’ai donné à quelqu’un de plus approprié. » Elle parlait sans une once de honte, comme si elle n’avait rien fait de mal.

Bömburr poussa un long soupir de lassitude et se gratta l’arrière de la tête.

« Il ne s’agit cependant pas vraiment de savoir qui est le plus “apte” à le faire. Les nouveaux membres commencent par faire les corvées difficiles. C’est comme ça qu’on fait les choses dans cette famille. »

« Pour la famille connue comme la faction la plus puissante et la plus militariste du clan de l’acier, tout le monde semble assez accroché aux manières et aux formalités, » ricana Hildegard. « Lord David était prêt à faire de moi sa petite sœur jurée, et m’a dit qu’il me ferait éventuellement prêter le serment du Calice directement avec Lord Jörgen. Considérant que j’ai abandonné tout cela pour venir rejoindre cette famille, ce genre de traitement est tout simplement terrible. »

En effet, Hildegard ne pouvait pas accepter tout cela. Elle était une Einherjar choisie par les dieux, elle les gratifiait de sa présence, et pourtant ils avaient osé lui faire faire des corvées comme n’importe quel autre petit nouveau.

Elle ne pouvait pas les prendre au sérieux.

« Oh, non, non, tu dois me faire confiance quand je dis que je te considère en fait comme très précieuse, d’accord ? Et d’ailleurs, si nous parlons de la Famille Sigrún, alors nous parlons des Forces Spéciales de Múspell, n’est-ce pas ? Ne penses-tu pas qu’avoir la chance de travailler beaucoup avec les chevaux sera utile pour ta carrière future ? »

« Ha ! Dans ce cas, commencez à m’apprendre les techniques d’équitation. Je suis venue dans cette famille parce que je veux aller sur le champ de bataille et gagner un peu de gloire, et gravir les échelons le plus rapidement possible. Je ne suis pas venue ici pour faire des corvées. »

Hildegard parlait sans détour, mettant tout à plat. À ce stade, elle ne se souciait pas vraiment qu’ils la mettent dehors.

Heureusement, elle n’avait encore échangé le Serment du Calice avec personne. Elle pouvait encore rejoindre une autre faction.

Pour une Einherjar comme elle, il y avait sûrement beaucoup de gens désireux de l’avoir comme enfant juré. Elle n’avait aucun sentiment d’attachement à cette famille, étant donné la façon dont ils l’avaient traitée.

Elle s’attendait honnêtement à ce que Bömburr lui dise de partir sur-le-champ. Au lieu de cela, il avait ri.

« Heh heh ! Heh heh heh ! » Il riait comme s’il s’amusait, sans la moindre trace de colère. C’était tout le contraire de ce à quoi Hildegard s’attendait.

« Qu’est-ce qui est si drôle ? » demanda-t-elle.

« Ah, désolé. Je ne voulais pas être impoli. Nous sommes une famille de guerriers au caractère bien trempé, après tout. Nous avons donc beaucoup d’enfants comme toi qui franchissent nos portes. Bien sûr, peu d’entre eux sont si mauvais qu’ils commencent à agir dès leur premier jour. »

« Khh… ! » Hildegard sentait ses dents se serrer sous l’effet de la colère.

Bömburr venait d’insinuer qu’elle n’était pas différente de tous les péons médiocres du rang. C’était une insulte humiliante.

Comme s’il voulait prendre à la légère sa colère, Bömburr continua à parler, le sourire toujours présent sur son visage.

« Alors, pourquoi ne pas régler la question de ton traitement dans cette famille avec une coutume d’Yggdrasil, un duel en tête-à-tête ? La force est tout, et le fort doit dominer le faible. C’est ainsi que ce monde fonctionne. Et ça correspond aussi à ton propre style, n’est-ce pas ? »

« Parfait, » dit Hildegard. « Je n’aurais pas pu demander mieux. »

Elle se lécha les lèvres, et son esprit de combat se répandit dans son corps et dans l’air autour d’elle.

Quelle que soit son apparence, l’homme en face d’elle était le commandant en second des forces spéciales de Múspell.

Même elle pouvait dire qu’il devait cacher une force qui ne se voyait pas au premier coup d’œil. Cependant, même en prenant cela en considération, elle était toujours absolument certaine qu’elle était beaucoup plus forte que lui.

« D’accord, alors quand voulez-vous le faire ? », a-t-elle demandé. « Je suis prête à commencer tout de suite, si vous l’êtes. »

« Nous ne pouvons pas le faire tout de suite », répondit Bömburr. « Ton adversaire n’est même pas là. »

« Quoi ? Vous voulez dire que ce n’est pas vous qui allez me combattre ? » demanda Hildegard, un peu déçue.

Le ton de sa voix indiquait clairement qu’elle disait aussi : « Alors, tu as peur de te battre contre ta propre nouvelle recrue ? ».

Cependant, sa tentative d’insulte n’avait pas réussi à fissurer l’attitude insouciante du vice-capitaine de Múspell.

« Eh bien, tu as un problème avec la façon dont notre famille fait les choses. Alors, il est normal que tu règles ça en combattant le représentant de cette famille, tu ne crois pas ? »

« Ah… ! Alors, mon adversaire sera… »

« C’est exact. La mère de notre famille, la capitaine de l’unité Múspell, et la plus forte guerrière du Clan de l’Acier : Lady Sigrún. » Les lèvres de Bömburr s’étaient retroussées en un sourire.

Hildegard devina qu’il s’était probablement attendu à ce qu’elle frissonne de peur en entendant le nom de Sigrún.

Certes, cela avait du sens vu la renommée de Sigrún quant à sa force et son habileté.

Elle était une guerrière féroce et expérimentée, responsable de la mort de nombreux ennemis puissants, dont Yngvi du clan du Sabot.

En y pensant normalement, elle n’était pas quelqu’un qu’un novice de quatorze ans pouvait espérer vaincre, même avec les pouvoirs d’un Einherjar.

Mais… pour la jeune Hildegard, le titre de Mánagarmr, « le plus fort des loups d’argent », était aussi un de ses objectifs.

Compte tenu de son faible rang, elle s’était dit qu’il faudrait probablement un certain temps avant qu’elle ait l’occasion de défier Sigrún dans un combat. Elle n’avait jamais imaginé que cela lui tomberait dessus aussi facilement.

« Comme je l’ai déjà dit, je n’aurais pas pu demander mieux », déclara Hildegard.

Le sourire qui se répandait sur son visage était celui d’une bête sauvage.

☆☆☆

Trois jours plus tard, Hildegard se retrouva dans la cour intérieure de la citadelle de Gimlé, face à face avec une légende vivante.

« Alors, tu es Hildegard ? » demanda la femme aux cheveux argentés.

« Oui. Merci beaucoup d’avoir accepté de me combattre aujourd’hui. »

À première vue, Sigrún ressemblait à une jeune femme à la carrure fine, voire délicate, aux cheveux argentés brillants attachés grossièrement en une seule et longue tresse. Elle avait une beauté dure et glacée, qui rappelait les jolies œuvres d’art en verre si populaires actuellement.

Cependant, contrairement à cette jolie apparence physique, les sens d’Hildegard, semblables à ceux des animaux, lui disaient qu’il s’agissait de la créature la plus dangereuse qu’elle ait jamais affrontée.

Même en se tenant comme ça en face d’elle, elle pouvait sentir un pouvoir terrifiant.

Et même si Sigrún se tenait immobile, sans avoir l’air de monter la garde ou d’être prête au combat, elle n’avait pas la moindre ouverture.

Elle dégageait une aura de force profonde, fruit d’un temps infini passé à affiner et à cultiver ses compétences. Le poids de cette force pesait sur Hildegard, menaçant de l’écraser sous son poids.

C’est donc le Mánagarmr, Sigrún ! Elle devait s’avouer qu’elle avait largement sous-estimé cette personne.

Mais même ainsi, elle ne pouvait pas se laisser abattre avant même que le combat n’ait commencé. Si elle le faisait, elle perdrait toutes ses chances de victoire.

Hildegard se crispa, concentrant son énergie dans son estomac, et lança un regard furieux à la femme.

Les yeux de Sigrún s’étaient un peu élargis. Elle semblait légèrement plus intéressée maintenant. « Eh bien, maintenant. Tu as vraiment l’air prête à te battre. »

« Hmph ! Vous êtes peut-être calme en ce moment, madame, mais je vais m’assurer que vous ne le restez pas longtemps », répondit Hildegard.

Sigrún hocha la tête. « J’attends cela avec impatience. Bömburr, donne-nous le signal du départ. » Elle jeta un rapide regard à son vice-capitaine, et fit un geste de la mâchoire.

Comme s’il était prêt et attendait cet ordre, Bömburr leva sa main droite en l’air, puis il la baissa en criant : « Commencez ! ».

 

 

Dès que sa voix retentit, Hildegard utilisa toute sa force pour décoller du sol et bondir directement sur sa gauche.

La rune Úlfhéðinn, la peau de loup, comme son nom l’indique, conférait à Hildegard des capacités physiques accrues, comparables à celles d’un loup féroce.

Son premier mouvement avait été fait avec toute la vitesse dont elle disposait, et pour une personne normale, il aurait semblé qu’elle avait littéralement disparu.

Ses pieds frappèrent le sol une fois de plus, et elle changea de direction, bondissant en avant pour attaquer Sigrún par le côté.

« Haah !! » Elle frappa, abattant son épée de toutes ses forces.

Le coup était si puissant qu’il aurait tué instantanément un sanglier adulte, mais Sigrún l’intercepta facilement avec sa propre épée en bois.

« Tu es rapide. Tu te déplaces aussi bien qu’Albertina. Bien sûr, ce qui est vraiment effrayant chez cette fille, c’est qu’elle ne projette aucune intention meurtrière. »

« Grrh. Seyah ! » Avec un grognement et un cri fougueux, Hildegard se lança dans sa prochaine attaque.

Elle savait depuis le début qu’elle n’allait pas gagner contre Sigrún après un seul coup.

Elle refusa de reculer, et se lâcha dans un barrage incessant de coups d’épée.

De plus, il s’agissait d’attaques à pleine puissance sans aucune retenue ni considération pour son adversaire. Elle se battait pour de vrai.

Son adversaire, cependant…

« Hmm. Tu ne te déplaces pas non plus à l’aveuglette. On dirait que tu connais tes fondamentaux. Tu dois avoir été bénie par un bon instructeur. »

***

Partie 3

Sigrún fit une analyse réfléchie et sèche de la puissance et de l’habileté d’Hildegard, même si elle continuait à détourner adroitement tous ses coups d’épée.

Elle était délibérément restée sur la défensive, ne faisant aucune attaque de son côté.

Si Sigrún l’avait voulu, elle aurait pu depuis longtemps déjà mettre fin à ce match avec facilité. Hildegard, qui la combattait de front, le comprenait mieux que quiconque.

Ne me sous-estime pas !

Hildegard déchaîna tout ce qu’elle avait. Elle utilisa la force de ses jambes pour bondir dans tous les sens, changeant rapidement de position, mélangeant faux départs et feintes pour tenter de détourner son adversaire.

« Gah… ! » cria-t-elle avec exaspération, car elle n’arrivait même pas à porter un seul coup.

Non, c’était pire : elle n’arrivait même pas à faire vaciller l’expression glaciale du visage de Sigrún, ne serait-ce qu’un peu.

« Très bien, je vais aussi attaquer », dit froidement Sigrún.

« Ah… ! »

Dans un souffle, l’épée en bois de Sigrún fendit l’air, parfaitement synchronisée avec les attaques d’Hildegard.

Hildegard réussit de justesse à bloquer le coup, mais si elle n’avait pas été prévenue de l’attaque, elle n’aurait pas pu réagir à temps.

Ce fait ne faisait que blesser encore plus la fierté d’Hildegard.

« Que penses-tu de ça ? » demanda Sigrún.

« Khh ! Grrh… ! »

Maintenant que Sigrún attaquait, l’équilibre avait complètement changé.

En un rien de temps, Hildegard avait été complètement sur la défensive, faisant tout ce qu’elle pouvait pour repousser les attaques de Sigrún.

Et ce qui était le plus frustrant, c’est que son adversaire ne se battait toujours pas sérieusement. Elle pouvait le sentir à l’impact des épées qui s’entrechoquaient : Sigrún se retenait, afin de pouvoir arrêter son épée juste avant un coup net à tout moment.

« Comparée à tes attaques, ta défense a encore besoin d’être travaillée. » Sigrún continuait sur sa lancée, évaluant sèchement Hildegard tout en maintenant l’offensive.

Elle n’essayait pas de gagner, juste de faire une estimation de la force de Hildegard.

C’était comme si elle était complètement manipulée.

« Hmm, donc c’est tout ce que tu peux faire », ajouta Sigrún. « Très bien, j’ai une bonne compréhension de tes compétences. Il est temps d’en finir. »

En entendant ces mots, Hildegard eut l’impression d’entendre un son venant de l’intérieur d’elle-même, comme si quelque chose en elle se brisait et cédait. « Rgh… ! »

En tant que fille du chef du village, elle avait vécu sa vie avec d’autres personnes à son service.

Même lorsqu’elle était l’invitée de la famille David, personne d’autre n’était capable de lui tenir tête dans un combat. Elle avait toujours été au sommet, regardant les autres de haut. Elle ne pouvait pas supporter que quelqu’un la prenne à la légère, la regarde de haut comme ça. C’était impardonnable.

« “C’est tout ce que tu as” ? » Hildegard avait rugi. « Très bien, alors. Je vais vous montrer ce que je peux vraiment faire ! »

« Vraiment ? Si tu as plus à montrer, dépêche-toi de le faire. Tu n’as pas besoin de te retenir. »

« Ne m’en voulez pas si vous le regrettez après ça, d’accord ? » En disant cela, Hildegard laissa tomber son esprit rationnel et s’abandonna à la créature du fond de son cœur, la Bête.

Depuis le moment où elle s’était éveillée à sa rune, Hildegard avait ressenti la présence de la Bête qui avait également commencé à habiter son corps.

Laisse-moi me battre. Laisse-moi me nourrir. Laisse-moi tuer. La Bête grondait ces demandes au fond d’elle, mais jusqu’à présent, elle avait réussi à la faire taire avec son esprit rationnel.

Mais maintenant, pour la première fois, elle laissa la Bête agir librement.

☆☆☆

« Qu… ! » Soudain, Sigrún fit un bond en arrière, ayant ressenti une puissante aura de la part d’Hildegard. Elle semblait jaillir d’elle, comme une onde de choc.

Un sixième sens du danger était l’une des capacités qui lui avaient été accordées par sa rune Hati, la Dévoreuse de la Lune. Et en ce moment, ce sixième sens lui criait dessus.

Lorsque ses yeux rencontrèrent ceux d’Hildegard, Sigrún sentit un frisson froid parcourir son dos.

Selon son évaluation, Hildegard avait une force physique et une dextérité surpassant celles d’une personne de son âge, mais mentalement, elle était encore faible et trop imbue d’elle-même. Encore une novice en tant que guerrière. C’est ce que leur combat de tout à l’heure avait révélé.

Cependant, la personne en face d’elle en ce moment semblait être quelqu’un de complètement différent.

Ou plutôt, c’était comme si elle était quelque chose, une créature ayant l’apparence d’Hildegard.

« GRAAH ! » Hildegard cria, et elle bondit en avant pour attaquer.

Contrairement à tout à l’heure, ses attaques étaient maintenant de grands coups imprécis et lourds, comme ceux d’un amateur. Cependant, elles arrivaient à une vitesse ridicule, bien plus rapide qu’avant.

« Khh ! » Sigrún bloqua rapidement, mais sentit la douleur de l’impact traverser sa main. Il n’y avait pas que la vitesse, chaque attaque était aussi beaucoup plus puissante.

« GRRR… GRAAAAAH ! » Hildegard grogna et mugit en déclenchant une attaque après l’autre.

Il y avait maintenant des coups de poing et des coups de pied sauvages mélangés aux coups d’épée.

Il n’y avait aucune forme ni aucun schéma. Les attaques étaient incohérentes et irrégulières.

Elles semblaient n’être rien de plus que des frappes irréfléchies et aléatoires qui ne reposaient sur rien de plus que la force physique pure.

« Hrgh ! » Sigrún serra les dents. Aussi jeune qu’elle soit, elle était aussi une combattante expérimentée qui avait affiné ses compétences dans le creuset d’innombrables batailles, contre un grand nombre d’ennemis puissants.

La vitesse et la puissance accrues l’avaient un peu déstabilisée au début, mais elle reprit son calme et utilisa la Technique du Saule contre l’un des coups sauvages d’Hildegard.

Le poids d’Hildegard avait été déplacé, son corps avait été déséquilibré.

« Sei ! » Avec un cri fougueux, Sigrún décocha une puissante frappe directement dans le dos exposé de son adversaire.

Hildegard fut envoyée dans les airs et faillit toucher le sol la tête la première. Mais à la dernière seconde, elle posa ses mains sur le sol et se retourna aussi adroitement qu’un chat, et atterrit sans encombre.

« En ce qui concerne le match, cela aurait été ma victoire, mais… » Sigrún s’interrompit. En effet, il s’agissait d’un coup net contre le dos de son adversaire.

Si ça avait été un vrai combat, ça aurait été fatal, et c’était donc suffisant pour arrêter le match. Cependant…

« URRUUGHH ! »

Les yeux qui fixaient Sigrún de l’autre côté de la cour étaient encore plus brûlants de rage.

Clairement, ce n’était pas fini, loin de là.

En fait, Sigrún n’était même pas sûre qu’Hildegard puisse l’entendre ou la comprendre en ce moment.

« Úlfhéðinn, la peau de loup », commenta-t-elle. « Elle fait honneur à son nom. »

« GRRHHH ! » Grommelant, Hildegard s’élança à nouveau vers l’avant, ne se rappelant même pas qu’elle devait ramasser l’épée en bois qu’elle avait laissé tomber et attaquant à mains nues.

Elle n’était vraiment rien de plus qu’une bête sauvage en ce moment.

Il serait assez facile pour Sigrún de la repousser avec sa propre épée en bois, mais il ne semblait pas qu’elle serait capable d’arrêter la fille tout en se retenant d’utiliser sa pleine force.

Et si Sigrún utilisait toute sa force, elle pourrait finir par blesser gravement un nouveau membre prometteur de sa faction, ce qu’elle voulait éviter.

« Bon sang… » Sigrún jeta enfin de côté sa propre épée en bois. Alors qu’un coup de poing volait vers elle, elle attrapa le poignet droit d’Hildegard.

Elle tira son adversaire vers elle par le bras, puis effectua un coup de pied balayé pour lui faire perdre l’équilibre.

Alors que son adversaire tombait face contre terre, Sigrún avait rapidement fait le tour par-derrière et elle tira le bras vers le haut tout en s’agenouillant sur le dos.

« GRAAAAH ! AAAAAH ! » Bien sûr, Hildegard hurlait et se débattait, mais Sigrún maintenait le bras droit de la fille dans une position verrouillée, et le tirait davantage vers le haut.

Il y avait eu le bruit sourd des articulations d’Hildegard qui étaient tendues…

« GWAAGH ! » Hildegard cria à cause de la douleur intense.

Sigrún avait décidé de la maintenir dans cette position pendant un moment et de voir si elle se calmait. Cependant…

« GRUHH… URAAAAH ! » Soudainement, Hildegard utilisa sa force brute pour pousser Sigrún loin d’elle.

« Quoi !? »

Sigrún avait une carrure mince, mais elle était physiquement très forte, au moins dans la catégorie supérieure en termes de puissance pure parmi les Einherjars connus.

Hildegard avait été enfermée dans une position désavantageuse qui ne lui permettait pas d’utiliser sa propre force contre Sigrún.

Pourtant, malgré ces deux facteurs, Hildegard avait pris le dessus sur elle. Sigrún écarquilla les yeux face à cette révélation.

« GRRAH ! »

« Merde ! »

Alors que Sigrún se remettait de sa surprise, Hildegard se redressa et abattit sauvagement un poing sur Sigrún.

Sigrún inclina son cou et l’esquiva au dernier moment, mais un coup de pied avait rapidement suivi.

Elle le bloqua avec ses deux bras, mais c’était assez puissant pour l’envoyer voler.

Elle toucha le sol en roulant, et utilisa l’élan pour reprendre pied et se relever.

Hildegard se tenait debout et l’observait, haletant fortement et reniflant.

Elle semblait toujours désireuse de continuer à se battre.

Sigrún ne se sentait pas en danger de perdre si cela continuait, mais elle n’avait plus l’impression de pouvoir arrêter le déchaînement de cette fille sans la blesser.

« Bon sang… Tu es une sacrée combattante. Tu ne t’arrêteras pas tant que je n’aurai pas brisé un ou deux de tes os, au moins. » Sigrún laissa échapper un petit soupir, puis elle changea de perception.

Ce n’était pas un match. C’était une bataille.

« … ! » Cette fois, ce fut Hildegard qui fit un bond en arrière, mettant de la distance entre elles.

Ses sens aiguisés et primitifs avaient dû détecter l’énergie agressive émanant de Sigrún.

Pour chaque pas en avant que Sigrún faisait, Hildegard faisait un pas en arrière.

C’est à ce moment-là que, de façon inattendue, Sigrún avait entendu une voix très familière.

« Hé, Rún ! » Yuuto l’avait appelé.

À cet instant, le corps d’Hildegard s’était mis en mouvement.

Cela semblait être une action purement faite par réflexe, sans aucune réflexion.

Son instinct sauvage lui avait dit qu’elle ne pouvait pas gagner contre Sigrún, et elle profitait donc de ce bref moment où l’attention de Sigrún était détournée pour essayer de s’échapper de la zone aussi vite que possible.

Cependant, elle avait essayé de s’échapper dans la pire direction possible.

« Un ennemi qui attasshhhh !? » Félicia s’était instinctivement placée devant Yuuto et avait commencé à dégainer son épée, mais elle n’était pas assez rapide, et elle cria en recevant un coup de pied sur le côté.
« Père ! » Le maître de Sigrún, le jeune homme qui était son objet d’amour et de loyauté, était en danger. Elle avait couru vers lui aussi vite qu’elle le pouvait.
Elle n’avait plus aucune option.

***

Partie 4

Elle plaça une main sur la poignée de la véritable épée à sa hanche. Mais ce qui s’était passé ensuite l’avait surprise.

« … ! » Relâchant un souffle, Hildegard fit un bond en arrière pour s’éloigner de Yuuto.

Le visage d’Hildegard était couvert d’une sueur froide, et tout son corps tremblait.

Sigrún avait senti l’air autour d’eux changer, et son expression s’était tendue.

« Un assassin ? Qui t’a envoyée ? » Yuuto s’était adressé à la fille bestiale d’un ton froid et mortel. Son corps frissonnait violemment.

La colère était visible dans les yeux de Yuuto. C’était peut-être normal, car il venait de voir sa précieuse adjuvante se faire attaquer sous ses yeux.

Hildegard s’était mise à faire des bruits pitoyables et à gémir comme un chien, comme si elle ne pouvait pas résister au regard acéré de Yuuto. Elle s’était retournée sur le dos, les bras et les jambes repliés, exposant son ventre.

En effet, elle adoptait la même position que celle d’un chien qui se suppliait devant son maître.

☆☆☆

« Hein !? » Lorsque l’esprit d’Hildegarde revint, elle était allongée sur le sol, regardant le ciel.

Elle n’avait pas de souvenirs précis de ce qui s’était passé après avoir libéré la Bête en elle.

La seule exception était un souvenir flou d’avoir ressenti une puissante terreur, plus puissante que toute peur qu’elle avait ressentie auparavant dans sa vie. Tous ses muscles et ses articulations lui faisaient terriblement mal.

« Aïe, aïe… Grand Frère ! Grand Frère, es-tu sain et sauf ? », cria une femme.

« Je vais bien », dit une voix d’homme. « Et toi, Félicia ? Vas-tu bien ? »

Hildegard tourna son regard dans la direction des voix, et vit l’homme et la femme inconnus en question. Ils semblaient parler entre eux.

La femme avait des cheveux dorés, et était incroyablement belle.

L’homme était jeune et avait des cheveux noirs foncés.

Attends, des cheveux noirs ? ! L’esprit d’Hildegard vacilla.

Elle se leva d’un bond, se repositionna à genoux et, la tête basse, cria : « S’il vous plaît, pardonnez mon insolence ! »

Elle ne connaissait qu’un seul homme dans le Clan de l’Acier qui avait des cheveux noirs foncés : Suoh-Yuuto, le réginarque lui-même.

« N’essaie pas de t’en sortir par la comédie », déclara froidement Yuuto. « C’est trop tard. Je vais te le demander une fois de plus : qui t’a envoyée ? »

La voix du réginarque était calme, mais elle portait le message sans équivoque qu’elle lui répondrait.

Il la fixait droit dans les yeux, son regard glacé la transperçant, et elle ne pouvait plus bouger son corps.

Sa fierté, ses normes de ne pas laisser les autres la regarder de haut… rien de tout cela n’avait plus d’importance pour elle.

Tout ce qu’elle pouvait penser ou ressentir était la peur qu’elle avait envers le jeune homme en face d’elle en ce moment.

Lorsqu’elle avait affronté Sigrún pour leur duel, elle avait ressenti une énorme pression de la part de la guerrière aux cheveux argentés, mais pour dire les choses franchement, là, c’était d’un tout autre niveau.

Elle pouvait entendre ses propres dents claquer.

« Réponds à la question. »

« Ah… awawah… » Hildegard pouvait à peine respirer. Elle n’avait pas la force de former le moindre mot.

De plus, elle ne savait pas quel genre de réponse elle était censée lui donner.

Qu’a fait la Bête pendant qu’elle était libre ?

Tout ce qu’elle voulait faire, c’était fuir loin, très loin.

Mais l’air qui l’entourait était aussi lourd que de la pierre et pesait sur elle, et ses jambes étaient comme enracinées dans le sol.

La peur était si forte qu’elle avait cru qu’elle allait perdre la tête.

« Wôw !? » Soudain, le jeune homme aux cheveux noirs laissa échapper un cri, comme si quelque chose l’avait surpris.

Pendant ce bref instant, elle avait eu l’impression que les liens de son corps et de son esprit s’étaient un peu relâchés.

Elle ouvrit précipitamment la bouche, désireuse de dire quelque chose, n’importe quoi, avant que le regard du jeune homme ne se pose à nouveau sur elle et ne la rende incapable de parler.

« Je… je suis… Hildegard, mon seigneur, une n-nouvelle… une nouvelle recrue de la famille Sigrún. Je regrette profondément toute impolitesse que j’ai pu montrer plus tôt. S’il vous plaît, je demande votre pardon. » Le front collé au sol, elle ne put que balbutier quelques mots à la fois.

Elle ne comprenait pas tout à fait la situation, mais le plus important pour l’instant était de garder la tête contre terre, de présenter ses excuses et d’obtenir le pardon pour ce qui avait pu se passer.

C’est tout ce à quoi elle pouvait penser à ce moment-là.

« Hildegard ? » déclara le réginarque. « Ah, c’est vrai, tu es l’Einherjar dont j’ai entendu dire qu’elle avait rejoint la famille David. Donc tu es passée à la famille de Rún, non ? »

« Oui, Père, » répondit la voix de Sigrún. « Il y a environ quatre jours. »

Il semblait que Sigrún se tenait tout près, elle aussi. Hildegard n’avait pas levé la tête pour regarder.

« Père, t’attaquer est une offense inexcusable, » déclara Sigrún. « Je m’excuse profondément pour ce que ma nouvelle recrue a fait. »

« Ngh !? » Hildegard pouvait sentir tout le sang commencer à s’écouler loin de son visage.

Elle a attaqué le réginarque ? C’était un crime punissable de mort à la première infraction !

C’est fini. Ma vie est finie… pensa-t-elle. Elle était envahie par un désespoir abject.

Sigrún poursuit. « Bien que je comprenne que d’ordinaire, c’est un crime qui pourrait exiger la peine de mort, la vérité est que la faute me revient en tant que son supérieur, pour avoir été incapable de la superviser et de la contrôler correctement. Si quelqu’un doit être puni, c’est moi. »

Choquée, Hildegard leva la tête pour regarder Sigrún.

Même Hildegard admettait qu’elle avait agi de façon terrible envers la famille qu’elle venait de rejoindre, et malgré tout, le chef de cette famille essayait maintenant de la sauver.

Hildegarde resta à terre, touchée par cet acte de compassion. Yuuto, lui aussi, semblait impressionné. Il poussa un petit soupir.

« Tu sais que je ne peux pas te punir pour ça. Écoute, je ne comprends pas vraiment ce qui s’est passé, mais le fait est que cette fille n’est pas une ennemie, non ? »

« Oui, Père. Tu peux en être certain. »

« D’accord. Dans ce cas, je te laisse t’occuper d’elle. »

« Je te suis reconnaissante pour ta décision bienveillante, Père. »

« Mais alors, pourquoi est-elle en premier lieu allée m’attaquer ? »

« Afin de tester ses capacités, je l’avais un peu bousculée dans un duel fictif. Mais apparemment, quand elle essaie d’utiliser la puissance maximale de sa rune, elle s’oublie. »

« Sérieusement ? C’est une rune vraiment pénible si tu veux mon avis. »

« En effet », acquiesça Sigrún. « Cependant, son incroyable force physique et sa vitesse sont très impressionnantes. Si elle pouvait apprendre à mieux se contrôler, elle pourrait devenir aussi forte que moi, ou peut-être même beaucoup plus. »

« Hein, vraiment ? Eh bien, Rún, si tu la complimentes à ce point, elle doit vraiment être quelque chose. » Yuuto jeta un coup d’œil à Hildegard, son regard étant maintenant rempli d’intérêt.

Il n’y avait plus la pression écrasante ou la sensation perçante qu’elle avait ressentie auparavant.

Cependant, il y avait toujours une présence indéniable en lui, un charisme puissant convenant au héros qui était passé de la direction d’un seul clan faible et minuscule à la direction d’une superpuissance qui tenait de multiples clans sous son emprise.

« Hé, ne t’inquiète plus de ce qui s’est passé, » déclara Yuuto en s’adressant à Hildegard. « Tout le monde fait des erreurs. J’ai déjà oublié tout ça. »

Il posa une main sur la tête d’Hildegard et ébouriffa un peu ses cheveux.

Si quelqu’un d’autre lui avait fait quelque chose comme ça, elle aurait été absolument furieuse contre lui, mais pour une raison étrange, elle n’avait pas ressenti la moindre gêne quand il l’avait fait.

En fait, elle pouvait sentir une chaleur se répandre dans son cœur, comme un sentiment de sécurité.

« Fais de ton mieux, d’accord ? » Yuuto ajouta. « J’attends de grandes choses de toi. »

« O-O-Oui, monseigneur ! » Hildegard cria sa réponse d’une voix bégayante et stridente.

Le réginarque eut l’air un peu surpris, mais il lui fit un petit sourire, et à ce moment-là, elle sentit son cœur battre à tout rompre comme un marteau.

Un sentiment qu’elle ne comprenait pas bien avait commencé à monter en elle, et elle avait levé les yeux vers Yuuto avec une expression de pure félicité.

« Hum… Tu es libre de partir maintenant, d’accord ? » Le réginarque avait l’air un peu troublé, et détournait un peu son regard.

« Hein !? Oh ! D-Désolée, mon seigneur, d’avoir pris de votre temps précieux ! »

« Euh, non, ce n’est pas ce que je veux dire. Um, tu sais. Tu veux probablement aller te changer, non ? »

« Hein… ? » À ce moment-là, Hildegard baissa enfin les yeux et remarqua la tache humide à l’entrejambe de son pantalon.

Elle remarqua alors qu’il y avait une petite flaque d’eau autour de ses pieds.

Cela ne pouvait signifier qu’une chose…

En y repensant, lorsque Yuuto l’avait interrogée, et qu’elle s’était sentie submergée par la pression, il y avait eu ce moment où il avait été surpris. C’était quand… ?

Hildegard se tourna pour regarder à sa droite.

Elle vit alors les visages des soldats de Múspell qui s’étaient tous rassemblés.

Elle regarda à gauche.

Encore une fois, il y avait des soldats de Múspell alignés et qui regardaient.

Le sang qui s’était écoulé de son visage dans son moment de désespoir remontait maintenant d’un seul coup.

« S’il vous plaît, excusez-moi ! » Incapable de rester immobile plus longtemps, Hildegard s’élança aussi vite que ses jambes pouvaient la porter, quittant la cour à toute vitesse comme un lapin en fuite.

☆☆☆

Hildegard se tenait au sommet de la tour sacrée Hliðskjálf de Gimlé, contemplant le paysage urbain crépusculaire.

Le seul son était le croassement des corbeaux. Ils semblaient étrangement désespérés à ses oreilles.

Elle s’était changée pour mettre des vêtements propres, mais elle ne supportait pas de rester assise seule dans sa minuscule chambre avec ses seules pensées. Après avoir erré sans but pendant un moment, elle s’était finalement retrouvée ici.

« Je pourrais simplement sauter », avait-elle murmuré. « Peut-être que cela mettrait au moins fin à mes souffrances… »

Elle avait réfléchi pendant un moment.

« Mais non, si je faisais ça, je serais juste connue comme une femme qui s’est mouillée en public et qui s’est suicidée parce qu’elle ne pouvait pas supporter la honte. Je serais ça et rien de plus. »

La scène surgit à nouveau dans son esprit : la flaque d’eau sur le sol entre ses jambes. C’était trop dur à supporter, et elle s’était mise à taper sauvagement des pieds et à s’arracher les cheveux.

« Devant le seigneur réginarque, comment ai-je pu faire quelque chose de si… si… ! Aaaahhh ! Aaaahhh ! Aaaahhh ! » Incapable de continuer, elle hurla simplement sans mot dire dans le vide. Elle ne pouvait pas s’en empêcher.

Chaque fois que le souvenir et l’image revenaient, elle hurlait et se débattait. Elle répétait ce cycle depuis son arrivée à la tour.

« Je sais ! Je vais faire un voyage. Je vais aller dans un pays où personne ne sait qui je suis, et essayer de tout recommencer. Oui, c’est la meilleure chose à faire. »

« Non, non, ça ne l’est pas », interjeta une voix de derrière elle.

***

Partie 5

Quand Hildegard s’était retournée, elle avait vu une fille familière, aux cheveux argentés.

« Dame Sigrún… »

Sigrún acquiesça une fois, puis s’approcha d’Hildegard, assise contre le muret du toit. « C’est donc ici que tu étais. Je t’ai cherchée partout. »

« Vous auriez mieux fait de ne pas regarder, madame », répondit Hildegard.

Sigrún secoua la tête. « Ce n’est pas une option. Pas quand il s’agit d’une nouvelle recrue si prometteuse dans ma famille. »

« Je n’ai pas besoin de consolation », dit Hildegard en gonflant ses joues et en tournant la tête sur le côté.

« Je n’essaie pas de te consoler, » dit Sigrún. « Je ne fais pas dans la flatterie. Je ne peux pas, vraiment. » Son expression était sévère, et elle parlait de sa manière habituelle, froide et laconique.

Il est vrai qu’il était difficile pour Hildegard d’imaginer que quelqu’un d’aussi direct fasse un compliment pour qu’elle se sente mieux. Cependant, c’était toujours un compliment qu’elle ne pouvait pas accepter.

« Mais je n’ai même pas réussi à poser un doigt sur vous ! » s’était-elle écriée.

Pour autant qu’elle puisse s’en souvenir, tout au long du duel, elle avait été complètement à la merci de Sigrún. La guerrière aux cheveux argentés avait repoussé chacune de ses attaques aussi facilement que si elle balayait un insecte.

Hildegard n’avait même pas été un défi suffisant pour faire sourciller Sigrún.

« Ce n’est pas vrai. » Sigrún tendit un bras, recouvert d’un gant et d’un gantelet de cuir qui remontait jusqu’à son coude. Elle enleva l’armure pour révéler un bleu profond au milieu de son avant-bras.

« J’ai eu ça quand tu m’as donnée un coup de pied », avait-elle dit.

« Je… je suis désolée… » Hildegard s’était rapidement excusée, mais elle ne se souvenait pas vraiment de l’avoir fait. Cela avait dû se produire après qu’elle ait laissé la Bête prendre le dessus.

Elle avait envie d’enfouir son visage dans ses mains. C’était censé être un duel avec des épées en bois, quelle fierté y avait-il à frapper son adversaire avec ses membres ?

« Tu n’as pas à t’excuser », déclara Sigrún. « Les blessures à l’entraînement sont normales et quotidiennes. En fait, tu es la toute première personne de ma famille à avoir réussi à me blesser. Tu devrais être fière. »

Sigrún posa une main sur la tête d’Hildegard et ébouriffa un peu ses cheveux.

 

 

« S’il vous plaît, arrêtez ça. » Instinctivement, Hildegard s’était éloignée de la main de Sigrún.

Sigrún semblait confuse. Elle inclina légèrement la tête, sa main reposant toujours dans l’espace vide où se trouvait la tête d’Hildegard.

« Hm ? Tu n’aimes pas ça ? Chaque fois que Père me loue, ça fait du bien quand il me caresse la tête de cette façon, alors j’essayais de faire la même chose. »

« V-Vous avez raison, c’était merveilleux quand le seigneur réginarque m’a caressé la tête… mais là, c’était désagréable, comme si on me traitait comme un petit enfant. »

« Hmm. C’est plus dur que ça en a l’air. » Plissant les yeux sur sa propre main vide, Sigrún hocha la tête, comme si elle était impressionnée. « Même quand il s’agit d’une tape sur la tête, Père est vraiment un homme étonnant. »

Hildegard ne put retenir un rire.

Avec quiconque, sauf Yuuto, cette femme était froide et insociable, brusque et inflexible. Elle était célèbre pour ça, connue comme la « fleur gelée ». Quelqu’un comme elle qui prend quelque chose d’aussi insignifiant qu’une tape sur la tête et qui s’y attarde si sérieusement avait l’air un peu comique.

« Hm ? Ai-je dit quelque chose d’étrange ? » demanda Sigrún.

« Ah, non, je me disais juste à quel point je suis heureuse. Faire un bleu à l’actuel Mánagarmr est une glorieuse réussite. »

Hildegard ne pouvait pas vraiment donner la véritable raison de son rire, alors elle baissa les yeux et trouva rapidement une excuse.

Pourtant, ce qu’elle avait dit n’était pas non plus un mensonge.

Elle était vraiment fière d’elle-même pour avoir accompli quelque chose que personne d’autre n’avait pu faire.

« Oui, c’est vrai », dit Sigrún. « Tu es vraiment prometteuse. Et c’est pourquoi je ne peux pas me permettre de laisser une autre famille t’avoir. Je ne peux pas te promettre que ça arrivera très vite, mais je pense qu’un jour, je pourrais arranger les choses pour que tu échanges le Serment du Calice directement avec Père. »

« Le pensez-vous vraiment !? » La tête d’Hildegard s’était retournée pour regarder Sigrún si vite qu’elle avait failli se froisser un muscle.

« Oui. Je ne mens pas », répondit Sigrún d’un ton neutre.

« Woww… » Hildegard avait laissé échapper un long soupir ému.

Prêter le serment du Calice directement avec Suoh-Yuuto, le réginarque… ce niveau de statut la mettrait aux côtés des patriarches des clans secondaires. C’était un bond en avant impensable.

Elle n’aurait certainement jamais eu l’occasion d’obtenir ce genre de promotion dans une autre faction du clan.

Et puis il y avait le réginarque lui-même. En personne, il était si fringant, si galant et autoritaire.

Au fond de son cœur, Hildegard se jura qu’elle pourrait supporter un peu de honte, si cela signifiait qu’elle pourrait éventuellement le servir en tant que subordonnée directe.

« D’accord, je comprends », dit-elle enfin. « Dame Sigrún, je voudrais rester dans votre famille. Je ferai de mon mieux, alors s’il vous plaît, prenez soin de moi ! »

« Je vois. C’est bon à entendre. » Sigrún hocha la tête. Elle leva ensuite un doigt et déclara, « Cependant, il y a un autre problème que nous devons régler. »

Son ton avait changé. Il était clair que le prochain sujet n’était pas à négocier.

« Tu as attaqué Père, et tu dois expier ce crime. Tu dois aussi être punie pour avoir blessé Félicia. »

☆☆☆

« Hé, Hilda ! Va chercher de l’eau ! »

« O-oui, monsieur, tout de suite ! » Hildegard avait crié cette réponse en sortant en courant du poste de garde.

Elle avait couru jusqu’au puits le plus proche, puis avait soulevé un seau d’eau. Transférant l’eau dans un seau qu’elle avait apporté, elle retourna au poste de garde.

Elle récupéra l’eau avec un gobelet en terre cuite, le plaça devant l’un des soldats de la famille Sigrún, puis prit un autre gobelet et répéta le processus jusqu’à ce que tout le monde ait de l’eau.

Une fois qu’elle eut fini de distribuer l’eau, un des soldats déclara : « Et Hilda, assure-toi de bien nettoyer les écuries. Les toilettes aussi. Compris, la pisseuse ? »

« Kh… ! … O-oui, monsieur, je comprends. » Son visage avait rougi d’un rouge profond à cause de l’humiliation, mais elle serra les poings et l’endura.

Pisseuse.

En l’espace d’un seul jour, ce surnom s’était répandu dans toute la famille Sigrún. Ce n’était que naturel, cependant, après que tant d’entre eux aient été témoins de ce qui s’était passé. La plupart des membres principaux étaient présents en tant que spectateurs du duel.

Attendez un peu, pensa Hildegard en grinçant des dents. Un jour, je vous montrerai. À vous tous… !

Le feu de l’indignation brûlant dans son cœur, Hildegard gardait les yeux fixés sur son rêve d’un avenir plus rose, avec du pouvoir et un statut… et elle avançait dans une autre journée de travail dégoûtant.

☆☆☆

« Votre Majesté, je suis très heureuse de vous revoir après si longtemps ! » Fagrahvél avait fait son salut à genoux, un poing planté sur le sol. « J’étais inquiète pour votre santé, car j’avais entendu dire que vous étiez atteinte d’une maladie. Cependant, c’est un grand soulagement de voir que vous semblez être de nouveau en meilleure forme. »

Fagrahvél était le patriarche du clan de l’épée, la puissante nation qui servait de gardien nord de la capitale impériale, Glaðsheimr.

Quant à sa relation avec Sigrdrífa, l’actuelle impératrice divine, il était sa « sœur de lait », c’est-à-dire qu’elle avait été élevée par la même nourrice qu’elle. Elles partageaient un lien familial solide, et dans tout Yggdrasil, il n’y avait personne de plus loyal envers elle ou le Saint Empire Ásgarðr.

Son apparence était d’une beauté si stupéfiante que tous ceux qui la voyaient en avaient le souffle coupé. Malgré ce que cette beauté sans tache pouvait suggérer, sur le champ de bataille, elle menait ses armées avec une force furieuse et un commandement adroit, et c’est ainsi qu’on l’appelait « l’épée brillante ».

C’est un nom qui jouit d’une réputation comparable à celle du Tigre assoiffé de combat dans les terres de l’Ouest, et les deux individus étaient souvent cités ensemble.

« Oui, bonjour », dit la divine impératrice. « Vous avez bien fait de faire le long voyage jusqu’ici. »

Le visage de Sigrdrífa-Rífa lui était caché par un écran de séparation, mais du coin de l’œil, Fagrahvél pouvait voir sa silhouette tandis qu’elle hochait la tête.

Cependant, il y avait quelque chose dans sa voix qui semblait légèrement décalée.

C’était la voix de Rífa, sans aucun doute. Elles avaient grandi ensemble, enfants, il n’y avait aucune chance qu’elle confonde sa voix avec une autre.

Cependant, la façon dont elle s’était adressée à elle était étrangement distante. Comme si elle était une personne différente.

« Ah, si cela vous fait plaisir, il y a une autre question que je voulais vous poser, » commença Fagrahvél. « J’ai entendu dire que votre mariage avec Lord Hárbarth a dû être reporté… »

« Oui, malheureusement, mon corps n’a pas encore totalement retrouvé ses forces, alors il fallait le faire. »

« … !? » Fagrahvél gardait la tête baissée, mais il fronçait les sourcils avec méfiance.

À l’instant, la voix de Rífa avait semblé déçue.

Elle avait toujours détesté l’idée de son mariage prévu avec Hárbarth.

Elle détestait Hárbarth lui-même, elle le méprisait complètement.

Le report du mariage aurait dû réjouir Rífa, pas la décevoir.

« Plus important encore, il semble que la situation soit assez animée dans les terres à l’ouest de votre clan, n’est-ce pas ? » avait-elle ajouté.

« Oui, madame », dit Fagrahvél. « Récemment, le Clan de l’Acier a vu sa force augmenter à un rythme incroyable. »

« Oui, et quel ennui terrible ils sont devenus ! »

« … Oui, madame. » Fagrahvél n’avait hésité qu’un instant, puis avait choisi d’acquiescer et d’exprimer son accord.

Ses soupçons avaient grandi au point qu’elle était maintenant sûre que quelque chose n’allait pas.

Elle était au courant des événements qui s’étaient produits à Iárnviðr, grâce aux rapports de ses subordonnés.

Elle savait que Rífa aimait profondément le patriarche du Clan de l’Acier, Suoh-Yuuto.

Qu’est-il donc arrivé à ces sentiments ? !

« Si les choses continuent à ce rythme, ils risquent de devenir une grande menace pour notre empire bien-aimé », dit froidement Rífa. « Nous n’avons plus le temps d’hésiter. Nous devons agir maintenant. N’êtes-vous pas d’accord ? »

***

Chapitre 4 : Acte 4

Partie 1

Depuis le moment où le garçon était apparu soudainement devant Félicia, elle avait ressenti quelque chose envers lui, elle avait senti qu’il était spécial.

Ce n’était pas quelque chose qui pouvait être expliqué rationnellement.

À l’époque, il ne pouvait pas parler, il ne pouvait pas se battre, il était faible et fragile, constamment malade et au lit.

Même lorsque les gens autour d’eux avaient commencé à se moquer du garçon, à le traiter de Sköll, le Dévoreur de Bénédictions, les sentiments de Félicia n’avaient jamais faibli, même pas légèrement.

Ce n’était pas quelque chose qu’elle pouvait admettre aux autres, mais en y repensant maintenant, il y avait des moments où elle préférait presque ces premiers jours.

Au moins, à cette époque, elle pouvait avoir Yuuto pour elle toute seule.

À l’époque, elle avait aussi un grand frère gentil, dont elle était fière.

En y repensant maintenant, c’étaient peut-être les jours les plus heureux de sa vie.

Cependant, ces jours paisibles n’avaient pas duré longtemps.

Le garçon que tout le monde avait méprisé comme un bon à rien avait rapidement grimpé en grade, devenant un jour soudainement le patriarche de leur clan. Et tout aussi soudainement, Félicia était devenue la jeune sœur d’un tueur de famille.

Après cet incident, de nombreux regards s’étaient posés sur elle… des regards remplis de dédain, de rires silencieux et moqueurs, de pitié, de suspicion.

Des rumeurs avaient commencé à circuler selon lesquelles elle avait séduit Yuuto pour gagner son statut dans le clan, qu’elle servait à ses côtés parce qu’elle répondait à ses besoins dans la chambre à coucher. Si seulement c’était vraiment le cas !

Cependant, même avec tous ces défis, ces jours difficiles n’avaient pas été malheureux pour Félicia.

En effet, en tant qu’adjointe de Yuuto, elle était presque toujours à ses côtés, toujours plus proche de lui.

Finalement, le sort magique d’un ennemi avait renvoyé de force Yuuto dans les terres au-delà des cieux, la séparant soudainement de lui. Mais il avait alors choisi son monde plutôt que le sien, et était revenu auprès d’elle.

Et cette fois, il avait amené son amie d’enfance avec lui. (Bien qu’elle ait été en fait la première à arriver.)

La fille du monde de Yuuto était adorable, et charmante.

De plus, elle possédait un bon cœur, et le calibre d’une vraie reine.

Félicia pouvait reconnaître ça sur elle.

Elle pouvait sourire en présence de la fille.

Elle pourrait traiter la fille avec gentillesse.

Et quand elle avait appris que la fille était enceinte de Yuuto, elle avait pu être vraiment heureuse pour eux.

Elle s’était préparée à cette issue.

Elle s’était résignée au fait qu’elle n’était pas assez bonne.

Elle croyait qu’un jour, la terrible douleur dans sa poitrine s’atténuerait et disparaîtrait.

Cependant, chaque jour qui passe, la douleur semblait s’aggraver.

☆☆☆

Le matin, Félicia s’habilla et se prépara pour la journée lorsque la voix de son patriarche l’appela de sa chambre voisine.

« Félicia, peux-tu venir ici ? »

C’était beaucoup plus tôt que d’habitude pour lui.

Un peu surprise, Félicia posa son peigne et répondit : « Bonjour, Grand Frère. Quelque chose ne va pas ? »

« On dirait que Mitsuki a un peu de fièvre. Pourrais-tu jeter un coup d’œil sur elle ? »

« Ah… ! Oui, bien sûr. » Félicia se précipita vers la porte et entra dans la chambre de Yuuto et Mitsuki, toujours en chemise de nuit.

Il s’agissait de la santé de la fiancée de son maître et de l’enfant qu’elle portait. Félicia n’avait pas le temps de se préoccuper de son apparence.

Mitsuki s’était assise sur le lit. Ses joues étaient rouges et sa respiration semblait un peu laborieuse.

« Oh… Félicia, bonjour à toi. Je suis désolée de te déranger si tôt le matin », avait-elle dit.

 

 

« Je t’en prie, n’y pense pas. La maladie est une chose à laquelle nous devons tous faire face. » Félicia s’était précipitée vers le côté de Mitsuki et elle plaça une main sur son front.

Elle était plutôt chaude.

Félicia savait que la température corporelle d’une femme augmentait souvent pendant la grossesse, mais c’était bien trop chaud, même en tenant compte de cela.

« Si je peux, je vais commencer l’examen. » Après avoir confirmé qu’elle avait la permission, Félicia ferma les yeux et utilisa l’œil de son esprit pour lire le flux d’ásmegin dans Mitsuki.

Au moins, elle n’avait pas senti l’ásmegin d’une autre personne.

En fait, il y avait encore l’aura persistante du sort Gleipnir de Félicia. Mais à part cela, il n’y avait aucune trace de malédiction, ou d’autre magie seiðr lancée par une tierce personne.

« Dame Mitsuki, répondre par un léger hochement de tête est très bien : Ressents-tu actuellement une douleur dans ta gorge ? Et aussi dans ta tête ? »

« … ! » Mitsuki n’avait pas émis de son, mais Félicia avait vu un regard de choc passer sur son visage pendant une brève seconde.

Mitsuki hocha la tête. La question « Comment as-tu su ? » était inscrite sur son visage.

« J’ai pu constater une perturbation du flux d’ásmegin dans ta tête et ta gorge », expliqua Félicia.

Ásmegin était l’énergie divine qui était la source des capacités runiques surnaturelles d’un Einherjar, mais c’était aussi l’énergie vitale, une partie de ce qui définissait l’existence des êtres vivants.

Un Einherjar était l’hôte d’une quantité remarquablement importante d’ásmegin, un effet qui avait des conséquences dramatiques. Cependant, en tant que créatures vivantes, tous les gens ordinaires en portaient également une petite quantité en eux.

Si le flux d’ásmegin dans le corps était perturbé quelque part, alors cette partie du corps sera en mauvaise santé.

« Wôw, tu peux comprendre ce genre de chose en sentant l’ásmegin… » Mitsuki cligna des yeux plusieurs fois, clairement impressionnée.

Mitsuki elle-même était une Einherjar à runes jumelles, et bien qu’elle manquait encore d’expérience en matière de compétences, elle était capable de lancer la magie seiðr.

Elle était probablement très curieuse de toutes les applications potentielles de l’ásmegin.

« Il est probable que quelque chose cause un peu de malheur dans ton corps », déclara Félicia. « Cependant, cela ne semble pas être trop grave, et je pense que tu devrais te rétablir d’ici deux à trois jours ».

« Quelque chose “cause du malheur” ? » Mitsuki demanda avec inquiétude. « Cela semble effrayant. Qu’est-ce que ça peut être ? »

« Ha ha, ne t’inquiète pas pour ça », déclara Yuuto en riant. « Félicia dit que ce n’est pas grave. C’est probablement juste un virus normal du rhume ou quelque chose comme ça. »

« Ohh, maintenant je vois. Alors c’est ça. » Mitsuki accepta l’explication de Yuuto, et poussa un profond soupir de soulagement.

Félicia avait également entendu parler de ce soi-disant « virus » auparavant, par Yuuto. Il lui avait expliqué un jour qu’il s’agissait de minuscules formes de vie, trop petites pour que l’œil puisse les voir, et qu’elles provoquaient des maladies lorsqu’elles envahissaient le corps et perturbaient les choses.

Cette explication avait choqué Félicia à l’époque, car jusque-là, elle avait toujours cru que les maladies étaient l’œuvre de mauvais esprits.

« Je pense que je comprends maintenant la nature des symptômes, » dit-elle à Mitsuki. « Je vais tout de suite aller préparer des médicaments pour toi. »

Félicia connaissait bien tous les domaines, mais elle était particulièrement compétente en matière d’herbes médicinales.

Elle voulait en effet se préparer à l’éventualité où Yuuto tomberait gravement malade, ou s’il était frappé par une arme empoisonnée. Elle avait rassemblé toutes les tablettes d’argile qu’elle pouvait trouver avec des informations pertinentes, et les étudiait dès qu’elle avait un moment de libre.

À en juger par les symptômes de Mitsuki, une infusion à base d’écorce de racine de mûrier séchée devrait être un traitement efficace. Félicia avait déjà les ingrédients nécessaires dans sa trousse à pharmacie dans sa chambre.

Elle avait immédiatement commencé à se diriger vers la porte, quand Mitsuki l’avait appelé, « A — Attends ! S’il te plaît, attends ! »

Félicia s’était arrêtée. « Oui ? » demanda-t-elle.

« Si possible, euh, je préférerais ne pas prendre de médicaments. » En disant cela, elle avait posé une main protectrice sur son ventre.

Une fois de plus, Félicia avait ressenti un pincement au cœur. Mais plus forte encore était l’admiration qu’elle ressentait pour Mitsuki, pour avoir fait passer la sécurité de l’enfant à naître de Yuuto avant son propre soulagement de la douleur.

« Je vois », répondit Félicia. « Il est vrai que les médicaments destinés aux adultes peuvent parfois être trop forts pour un bébé. »

« Bien », dit Mitsuki, en hochant la tête. « Je sais cependant que je m’inquiète peut-être trop. »

Félicia secoua la tête. « Non, je comprends parfaitement tes sentiments. Dans ce cas, nous limiterons le traitement à la prière dirigée. »

« Hein ? » Mitsuki avait jeté un regard perplexe à Félicia. Elle s’était ensuite tournée vers Yuuto, comme pour l’appeler à l’aide.

Yuuto avait eu un petit rire ironique et avait haussé les épaules. « Hé, je sais ce que tu ressens », dit-il. « Mais, réfléchis-y. Tu as vu la puissance de la magie galdr et seiðr par toi-même. Il n’y a rien de faux dans ces trucs, alors tu peux te détendre. En fait, ça marche très bien contre la douleur. » Il tapota son propre estomac avec une main. « Crois-moi, je sais. »

Lorsque Yuuto était arrivé à Yggdrasil, il avait souffert de graves maladies d’estomac et de diarrhée à plusieurs reprises, et à chaque fois, Félicia l’avait soigné, y compris par des prières dirigées.

C’est la raison pour laquelle Yuuto disait souvent que sans l’aide de Félicia, il serait mort pendant cette période.

« U-um, bien, ok. Alors, vas-y. » Mitsuki avait donné sa permission à Félicia à contrecœur. Elle n’avait probablement pas encore confiance en elle, mais elle faisait confiance à Yuuto quand il disait que ça marcherait.

Félicia avait souri légèrement. Cela lui avait rappelé des souvenirs de Yuuto dans ces premiers jours. Au début, il avait été très méfiant à l’égard de l’utilisation de la prière, lui aussi.

Félicia était retournée aux côtés de Mitsuki. « Madame, s’il te plaît, détends ton corps autant que possible. Essaie de garder tes muscles mous, et ton cœur calme. » Félicia plaça ses mains sur la tête et la gorge de Mitsuki.

La perturbation du flux d’ásmegin dans une partie du corps entraînait des douleurs et des anomalies qui s’y développaient.

Par conséquent, il fallait rediriger l’ásmegin vers son flux correct. Même si cela n’élimine pas physiquement un virus du corps, cela atténuait au moins la douleur dans ces zones.

« Oh Ymir, notre père à tous. Oh Angrboða, notre mère à tous. » En récitant les mots de la prière, Félicia commença à synchroniser sa propre ásmegin avec celle de Mitsuki. « Rendez la pureté au flux de… ngh !? »

Soudainement, elle s’était arrêtée et avait physiquement fait un bond en arrière loin de Mitsuki, haletante.

« Haahh… haahh… haahh… haahh… »

« Qu’est-ce qui ne va pas, Félicia ? ! » cria Yuuto. « Tu es blanche comme un linge… Est-ce une maladie plus grave que ce que tu pensais !? »

« N-non, non, ce n’est pas ça, s’il vous plaît ne vous inquiétez pas. C’est juste que… L’ásmegin de Grande Soeur Mitsuki était si puissant qu’il m’a submergé, et j’ai presque été engloutie par lui… »

Il s’en est fallu de peu.

Aussi inexpérimentée qu’elle soit, Mitsuki était toujours un Einherjar à double rune. La quantité d’énergie ásmegin circulant dans son corps était massive à une quantité indescriptible.

Lorsque Félicia avait essayé de se synchroniser avec lui, c’était comme si elle avait été soudainement emportée par une crue torrentielle, et à cet instant, elle avait craint que son esprit lui-même ne soit emporté.

En fait, elle soupçonnait que si elle avait eu une seconde de retard pour se déconnecter de Mitsuki, c’est exactement ce qui serait arrivé.

« Je suis vraiment désolée, Grand Frère », dit Félicia avec regret. « Il semble qu’avec mes maigres pouvoirs, je ne peux pas aider. »

***

Partie 2

Soupir… Félicia baissa les yeux vers le sol.

« Hé, ça fait combien de soupirs maintenant ? » demanda Yuuto. « Ne t’en fais pas pour ça. C’est une Einherjar à rune jumelle, non ? Il n’y a rien que tu puisses faire contre ça. »

« Je… sais que c’est le cas, mais… » Félicia se sentait reconnaissante des paroles de Yuuto, mais cela ne suffisait pas à dissiper les nuages sombres de son cœur.

Aujourd’hui, on lui rappelait constamment à quel point elle manquait de pouvoir par rapport aux autres.

D’abord, elle avait échoué dans ses tentatives de rappeler Yuuto à Yggdrasil avec sa magie. Puis, après son retour, elle n’avait même pas réussi à opposer la moindre résistance réelle à Skáviðr dans un combat à l’épée. Même s’il s’agissait d’un combat fictif, cela avait été une défaite humiliante pour elle en tant que combattante.

Puis, l’autre jour, elle avait été prise par surprise et assommée par l’attaque soudaine d’une Einherjar débutante. Et ce matin, elle n’avait même pas réussi à soulager la douleur d’un malade, ce qu’elle pouvait normalement faire sans difficulté.

Félicia était bien consciente de ses forces et de ses faiblesses en tant qu’Einherjar « touche-à-tout, maître de rien ». Elle comprenait que ses vastes compétences et connaissances signifiaient nécessairement qu’elle ne serait pas à la hauteur d’un véritable maître spécialiste dans un domaine particulier.

Mais même ainsi, elle croyait avoir atteint un niveau décent de compétences et d’expertise dans les choses qu’elle pouvait faire. Avoir cette confiance brisée encore et encore lui avait laissé un sentiment de dégoût de soi qui ne voulait pas disparaître.

« Concentrons-nous sur notre travail aujourd’hui, d’accord ? » demanda Yuuto. « C’est ce que Mitsuki nous a dit de faire. »

« … Bien. »

Mitsuki les avait réprimandés tous les deux en disant : « Si Yuu-kun prend un jour de congé, ça va causer des problèmes à beaucoup de gens, non ? Allez-y. » Elle les avait à moitié expulsés de la pièce.

Éphelia était encore en cours du matin. Une autre servante s’occuperait de Mitsuki en attendant, mais il était difficile de ne pas s’inquiéter pour elle.

« D’accord ! Faisons de notre mieux. » Félicia se tapa plusieurs fois sur les joues pour se remonter le moral, puis commença à travailler sur les tablettes d’argile posées sur le bureau.

Il y avait beaucoup de messages qui arrivaient adressés à Yuuto chaque jour.

Les lire et vérifier leur contenu, puis le décrire à Yuuto, cela faisait partie du travail de Félicia en tant qu’adjointe.

« Celle-ci est une missive du patriarche du Clan de la Flamme », avait-elle dit.

« Ahh, c’est vrai, pendant qu’on pourchassait le Clan de la Panthère, il a remué les choses avec le clan de la Foudre. » Un léger pli s’était formé sur le front de Yuuto.

Selon les rapports qui étaient arrivés précédemment, le résultat de cette bataille avait été la victoire du Clan de la Foudre, et ils avaient pris Fort Waganea au Clan de la Flamme.

Yuuto était un homme dévoué, fidèle à sa parole. Il se sentait un peu coupable que son arrangement avec le Clan de la Flamme leur ait fait payer un si lourd tribut, considérant que tout ce qu’il leur avait donné était quelques cadeaux matériels.

« Je vais lire le message tel qu’il est écrit, » dit Félicia. « “Nous allons bientôt faire la guerre au Clan de la Foudre. Quand cela arrivera, nous aimerions que vous y alliez avec vos propres troupes. Il suffit d’en déployer suffisamment pour occuper l’ennemi. Il n’est pas nécessaire de s’engager avec eux en plein combat. Signé, patriarche du Clan de la Flamme.”… Erm, je me demande comment est-ce censé être lu ? »

« Hm, qu’est-ce qu’il y a ? L’écriture est trop brouillonne pour être lue ? »

« Non, ce n’est pas ça, mais plutôt… une sorte de sceau étrangement dessiné à la place du nom. Un symbole personnel, peut-être ? Le format du message en général était également très étrange. Il semble que le patriarche du Clan de la Flamme soit du genre à aimer se démarquer. »

« Ohh, c’est vrai, maintenant que tu le dis, le message n’a pas cette partie formelle, “Informer untel, je suis untel” au début, » dit Yuuto.

« Oui », déclara Félicia. « Et si je peux parler franchement, je pense que c’est écrit de manière beaucoup trop irrespectueuse. » Elle avait fait comprendre son mécontentement en se tournant sur le côté avec un froncement de sourcils.

Yuuto était connu sous le nom de réginarque, ou « grand seigneur », pour beaucoup, et contrôlait en fait plusieurs nations, ce qui devait inspirer le respect aux autres dirigeants. Lui envoyer un message avec une formulation aussi informelle revenait à le ridiculiser.

Félicia était normalement modérée et polie, mais là, elle était plutôt en colère à ce sujet.

« Hé, hé, ce n’est pas grave, » dit Yuuto. « Et on doit une faveur au Clan de la Flamme sur ce coup-là. »

Quels que soient ses sentiments, il n’avait pas semblé se soucier de l’absence de cérémonie dans le document, préférant se concentrer sur son contenu.

Cette tolérance était une qualité qui le faisait passer pour un grand souverain aux yeux de Félicia, mais elle la rendait encore plus furieuse contre le patriarche du Clan de la Flamme.

« Très bien, c’est une question importante », déclara Yuuto. « Félicia, convoque les hauts gradés du Clan de l’Acier qui sont actuellement à Gimlé pour une réunion. Nous discuterons de ce qu’il faut faire. »

☆☆☆

Une fois que Yuuto eut fini de décrire le message du Clan de la Flamme et leur demande de renforts, c’est Sigrún qui répondit en premier.

« “Attaquer le Clan de la Foudre en même temps que le Clan de la Flamme”, tu dis. Cela me convient parfaitement, Père. Je suis impatiente de mettre mes compétences à ton service. »

Lors de la dernière guerre avec le Clan de la Foudre, Yuuto avait utilisé la stratégie de la « forteresse vide » contre eux avec succès au début, repoussant toute nouvelle invasion. Mais le Clan de la Foudre avait quand même repris tout le territoire que le Clan du Loup leur avait pris après la première bataille de la rivière Élivágar.

Si l’on s’en tient aux résultats, l’ennemi avait envahi le territoire jusqu’à Gimlé, pillant les terres environnantes. On peut dire que le camp de Yuuto avait perdu plus de ressources.

Pour Sigrún en particulier, elle avait affronté Steinþórr au combat trois fois maintenant, et avait subi une défaite incontestable et totale à chaque fois.

Elle voulait avoir la chance de se venger de sa rancune envers lui, et cela semblait être l’occasion parfaite.

« Oui, tu as raison », dit Yuuto. « Je commence à en avoir assez de devoir toujours faire la guerre à cet idiot. Je pense que c’est peut-être l’occasion de le faire taire pour de bon… »

Yuuto hocha la tête en accord avec Sigrún, mais il hésita ensuite. Il se tourna vers son second, Linéa.

Toutes les personnes présentes dans la pièce avaient également tourné leur regard vers elle.

Linéa avait réfléchi en silence pendant un moment, fixant un seul point sur la table devant elle, avec une expression très grave.

Enfin, elle leva les yeux vers Yuuto et déclara : « Je dois dire que je suis contre. En ce moment, le Clan de l’Acier doit faire face à une grave pénurie de nourriture, et une campagne militaire à grande échelle mettrait une pression supplémentaire sévère sur les citoyens. »

« Donc, les résultats seront vraiment douloureux, non ? » demanda Yuuto.

« Oui », répondit Linéa. « Même en ce moment, nous arrivons à peine à nous en sortir. Nous devrions commencer à acheter la nourriture sur le marché libre pour approvisionner la campagne, et si nous faisons cela, nous verrons de plus en plus de gens souffrir de la famine. Même d’un point de vue financier, on peut honnêtement se demander si c’est possible. »

« Oui, c’est logique, puisqu’on se bat constamment depuis un moment ». Yuuto laissa échapper un soupir douloureux.

Ils avaient besoin d’équipement et de nourriture, bien sûr, mais il y avait aussi le paiement. Les soldats qu’ils emmenaient à la guerre devaient être rémunérés équitablement pour avoir risqué leur vie au combat. Faire la guerre exigeait d’énormes dépenses.

Depuis le début du printemps de cette année, ils avaient mené trois campagnes militaires de grande envergure en un temps très court. Et ils n’avaient pas gagné beaucoup de richesses utilisables.

Techniquement, le Clan de l’Acier avait capturé une grande partie du territoire de la région occidentale d’Álfheimr, mais à cause de la stratégie de la terre brûlée de leur ennemi, ils étaient actuellement coincés avec encore plus de pression pour financer sa restauration.

Le Clan de l’Acier pouvait faire de gros profits avec les verreries, le papier et d’autres produits et technologies exclusifs, mais il y avait une limite supérieure à ce que cela pouvait couvrir, et ils l’avaient atteinte.

« Hmm. » Jörgen fronça les sourcils. « Quand même, ce serait du gâchis de laisser passer une opportunité si intéressante. » Il croisa les bras et fronça les sourcils.

Depuis que Yuuto était devenu le patriarche du Clan du Loup, Jörgen avait été son bras droit sur lequel il pouvait compter, utilisant ses considérables compétences en matière de politique et de leadership pour que tout se passe bien dans la capitale du Clan du Loup. Et il prêtait toujours son expertise à Yuuto maintenant, en tant qu’assistant du commandant en second du Clan de l’Acier.

Tout comme Linéa, Jörgen était pleinement conscient de la situation difficile à laquelle le Clan du Loup et les autres clans étaient confrontés, mais même ainsi, il ne pouvait pas se défaire de la tentation de cette chance.

« … Oui, tu as raison. » Yuuto soupira, et reposa son menton sur une main.

Sur le champ de bataille, Steinþórr était un guerrier invincible. C’était un exercice futile que d’essayer de prendre ce monstre de front.

Ainsi, la meilleure voie était d’attaquer l’armée de Steinþórr depuis de multiples directions, de tirer ses forces pour qu’elles soient réparties sur une large zone, et ainsi réduire la capacité du patriarche du Clan de la Foudre à influencer la bataille avec sa force personnelle.

C’était la stratégie de base pour contrer le Clan de la Foudre.

Et une attaque coopérative avec le Clan de la Flamme s’inscrivait parfaitement dans ces conditions.

« Je vous demande pardon d’interrompre votre réunion ! » Un jeune soldat cria nerveusement en se précipitant dans la pièce.

Il se dirigea vers Félicia, lui tendit un bout de papier, salua rapidement la salle, puis il partit vite de là.

« Ah… ! » Alors que Félicia parcourait le message, ses yeux s’étaient écarquillés.

« Qu’est-ce que ça dit ? » demanda Yuuto, en se redressant.

L’air autour de lui était devenu plus lourd et plus tranchant. Il pouvait dire à sa réaction que c’était quelque chose de majeur.

« C’est un message de Ginnar, qui voyage et séjourne actuellement avec le Clan de la Flamme », dit Félicia. « Il rapporte qu’ils ont lancé une autre incursion contre le Clan de la Foudre. »

« Pff ! Ahaha ! » Les yeux de Yuuto s’écarquillèrent, mais ensuite, il éclata de rire. « Eh bien, on dirait que quelqu’un est un peu trop impatient pour attendre une réponse ! »

De l’autre côté de la table, Jörgen était furieux. « Il n’y a pas de quoi rire, Père ! Il nous a envoyé la demande, puis a fait avancer ses troupes sans même prendre la peine d’attendre notre réponse ! Il nous manque de respect ! »

Félicia acquiesça sévèrement aux paroles de Jörgen.

Si l’on ajoute à cela le langage peu cérémonieux du message que le patriarche du Clan de la Flamme avait envoyé, c’était carrément offensant.

***

Partie 3

« Hé, calme-toi, Jörgen », déclara Yuuto.

« Comment puis-je être calme à ce sujet, Père ? ! C’est de l’honneur du Clan de l’Acier dont nous parlons ici ! »

« Non, je pense quand même que tu devrais te calmer et y réfléchir à nouveau. Il n’a pas attendu notre réponse à sa demande pour faire avancer ses troupes. Cela signifie que dès le départ, il ne comptait même pas sur notre aide. »

« Oui, Père, c’est exactement ça. Ils nous prennent à la légère… » Jörgen commença, mais Yuuto leva une main.

« Écoute, le Clan de la Flamme a déjà combattu le Clan de la Foudre une fois. En d’autres termes, ils ont vu de première main le pouvoir ridicule possédé par cet idiot de Steinþórr. Et malgré cela, ils ont quand même décidé qu’ils n’avaient pas besoin de notre aide. »

« Ah… ! » Jörgen haleta, les yeux écarquillés.

La pièce était devenue silencieuse, à l’exception du bruit de plusieurs personnes déglutissant nerveusement.

Félicia leva lentement une main. « Peut-être que ceci… et le ton irrespectueux de leur message… signifie simplement qu’ils surestiment leur propre force, et sous-estiment celle du Tigre Assoiffé de Combats, Dólgþrasir. Ne serait-ce pas le cas ? »

Félicia avait combattu Steinþórr de première main sur le champ de bataille, et elle ne savait que trop bien à quel point son pouvoir était surhumain.

Avec le Mánagarmr actuel et le précédent, elle avait été l’un des sept Einherjars qui avaient essayé d’entourer Steinþórr et de le combattre tous en même temps. Il les avait repoussés facilement, et c’était presque un souvenir traumatisant pour elle.

Il était tout simplement trop difficile d’imaginer qu’un tel monstre puisse être vaincu sur le terrain par quelqu’un d’autre que Yuuto.

« Je ne peux pas nier cette possibilité, » déclara Yuuto en réponse. « Mais, heureusement, la demande stipule que tout ce que nous avons à faire est de mettre suffisamment de troupes pour aider à détourner et occuper les forces de l’ennemi. Cela serait suffisant pour satisfaire la dette que nous avons envers le Clan de la Flamme. Que le Clan de la Flamme gagne ou non sa bataille, le Clan de la Foudre subira des pertes à coup sûr. C’est très bien pour nous. » Les lèvres de Yuuto s’étaient retroussées en un sourire.

D’ordinaire, Yuuto était une personne gentille et chaleureuse qui voulait éviter la guerre autant que possible. Mais de temps en temps, il montrait ce côté plus impitoyable de lui-même.

Bien sûr, s’il n’avait pas eu cet aspect en lui dès le début, il n’aurait pas été capable de conquérir les terres de Bifröst jusqu’à la côte d’Álfheimr.

« Linéa ! » Yuuto appela.

« Oui, monsieur ! »

« Combien de soldats pourrais-tu mobiliser avant que ça devienne intenable ? »

« Umm… voyons voir. » Linéa avait réfléchi un moment, faisant des calculs dans sa tête. « Deux mille… non, on pourrait, je pense, mettre trois mille en jeu. »

Félicia n’avait pas réagi à voix haute, mais intérieurement, elle en avait été étonnée.

Elle avait parcouru la majorité des données relatives à l’approvisionnement en nourriture, et avait une bonne compréhension de la situation. Plutôt que de « s’en sortir » comme Linéa l’avait dit, Félicia avait plutôt l’impression qu’ils en étaient déjà au point où ils n’avaient pas assez pour s’en sortir.

Et maintenant, Linéa disait que même dans cette situation, elle pouvait trouver les ressources nécessaires pour mobiliser une force de trois mille soldats. Honnêtement, ça ne semblait pas du tout crédible.

Mais cette fille ne faisait pas de vantardises vides ou malhonnêtes. Si elle disait qu’elle pouvait le faire, alors elle pouvait le faire.

« Très bien, alors. Rún ! »

« Oui, Père ! »

« Tu mèneras les trois mille dans le territoire du Clan de la Foudre. Mais souviens-toi, tu essaies seulement de distraire l’ennemi. N’y va pas trop profondément et ne t’engage pas complètement. Et surtout si cet idiot se montre, tu te tires de là immédiatement. »

« Oui, Père ! » La réponse de Sigrún était plus rapide que jamais, mais les sens aiguisés de Félicia remarquaient toujours le plus petit soupçon de retard.

Ce n’est pas que Sigrún ne comprenait pas la différence de force entre elle et son ennemi. Elle savait sûrement mieux que quiconque qu’elle ne pourrait pas vaincre Steinþórr.

Mais même si elle le savait, ce n’était pas la même chose que de pouvoir l’accepter.

Elle venait d’entendre Yuuto, parmi tous les autres, lui dire qu’elle ne pouvait pas gagner contre Steinþórr. Sigrún s’était jurée à Yuuto d’être son épée, et elle devait se sentir honteuse d’être incapable d’abattre son ennemi.

Yuuto, quant à lui, semblait avoir compris ce que Sigrún devait ressentir, car il s’approcha d’elle et posa une main sur sa tête, la caressant doucement.

« Ce n’est pas que je ne crois pas en ta force. En fait, c’est parce que je compte tellement sur toi que je ne veux pas prendre le risque de te perdre dans cette petite bataille mesquine. D’accord ? »

« Oui, Père ! » Sigrún cria sa réponse avec toute son énergie.

Un spectateur ne verrait rien de différent dans l’apparence de Sigrún, car elle avait son habituel visage de pierre. Mais Félicia la connaissait bien, et elle pouvait dire que la jeune fille avait complètement retrouvé ses esprits.

 

 

Il ne faut pas plus qu’une petite récompense pour la motiver, n’est-ce pas ? pensa Félicia.

Bien sûr, Félicia elle-même trouvait souvent son bonheur et sa déception suspendus aux remarques de Yuuto tout aussi souvent, elle n’avait donc pas de place pour la critique.

Soudain, Linéa prit la parole, sa voix était stridente et tremblait un peu. « U-um, Grand Frère-je veux dire, Père ! »

« Hm ? Qu’est-ce qu’il y a ? » demanda Yuuto.

« U-um, obtenir les fournitures nécessaires pour trois mille soldats est en fait une chose assez difficile à faire. »

« Oh. Hm, alors devrions-nous réduire nos forces à deux mille ? »

« Ah, non ! Hum, ce que je veux dire, c’est que je vais travailler très dur ! »

« Oui, merci. Je sais que ça va être dur pour toi, mais fais de ton mieux, d’accord ? »

« … Bien. » Linéa avait semblé fléchir, ses épaules s’affaissant.

Yuuto inclina la tête, confus quant à la raison pour laquelle elle semblait si déçue.

En gloussant, Félicia décida de prendre la parole. « Grand Frère. Lady Linéa espère que tu lui tapoteras aussi la tête. »

« Hein ? » Yuuto s’était figé, puis il avait regardé Linéa.

Le visage de Linéa s’était mis à rougir de plus en plus et elle avait baissé les yeux avec humilité.

Mais après un moment, elle avait semblé rassembler sa détermination et avait relevé la tête, rencontrant les yeux de Yuuto.

« O-oui, si tu veux bien, s’il te plaît ! » avait-elle crié.

« U-uh, d’accord. Eh bien, je veux dire, ça me va. Mais si tu veux demander une faveur, il y a de meilleures choses que tu peux demander, tu sais. » Yuuto semblait mystifié par cette situation, mais il s’approcha de Linéa, et caressa sa tête, ébouriffant doucement ses cheveux.

Yuuto ne pouvait pas voir le visage de Linéa sous sa main, mais Félicia le pouvait. Elle semblait aussi heureuse qu’elle pouvait l’être.

« Je suppose que ce n’est qu’une preuve de plus de la qualité du caractère de Grand Frère », s’était dit Félicia en souriant doucement à cette scène.

Linéa et Sigrún étaient respectivement les plus forts maîtres du clan en combat martial et en administration. Mais elles étaient prêtes à tout donner d’elles-mêmes pour la promesse d’une tape sur la tête.

D’ordinaire, les officiers les plus performants recevaient des récompenses matérielles coûteuses, des terres, des titres et des privilèges spéciaux. Mais le clan de l’acier profitait des avantages d’un grand talent à un prix tout à fait abordable.

☆☆☆

Une fois la réunion terminée, Yuuto avait un peu de temps libre, alors lui et Félicia étaient allés voir Mitsuki ensemble.

Félicia avait ouvert la porte très lentement et avait cherché à détecter tout mouvement provenant du lit. Si Mitsuki dormait, elle voulait faire ce qu’elle pouvait pour ne pas la réveiller.

La chambre était sombre, mais l’une des capacités de Félicia en tant qu’Einherjar était une impressionnante vision nocturne.

« Il semblerait qu’elle soit endormie », déclara Félicia.

« Ok, alors. Assurons-nous d’être tranquilles, » chuchota Yuuto en jetant également un coup d’œil dans la pièce.

Le sommeil était l’un des meilleurs médicaments pour la plupart des maladies.

Si les deux d’entre eux avaient accidentellement réveillé Mitsuki, ils lui feraient plus de mal que de bien.

« … ? » La servante qui veillait sur Mitsuki semblait sentir Yuuto et Félicia. Peut-être les avait-elle entendus chuchoter. Elle s’était retournée pour leur faire face et s’était inclinée.

C’était une femme qui semblait avoir une vingtaine d’années, avec un comportement très calme. Elle était aussi très belle.

Yuuto s’était approché discrètement d’elle et avait murmuré : « Hey, Raphina. Comment va Mitsuki ? »

« Elle a toujours une forte fièvre. Elle a fini son dîner et s’est endormie il y a peu de temps. »

« Je vois. As-tu été avec elle tout le temps ? Merci d’avoir pris soin d’elle. »

« Oh, non, Dame Mitsuki a été si gentille de donner à ma fille un traitement si spécial, et je lui dois beaucoup en gratitude. C’est le moins que je puisse faire. »

En regardant le visage de Raphina, Félicia remarqua qu’elle ressemblait fortement à sa fille Éphelia. Ou plutôt, il serait plus approprié de dire que c’était Éphelia qui ressemblait fortement à sa mère.

Si Éphelia devait grandir pour être aussi belle que cette femme dans dix ans… c’était presque une perspective effrayante.

« Bien, on dirait qu’elle a au moins pu manger », chuchota Yuuto. Il regardait une table latérale, qui contenait un petit bol vide.

Comme Raphina l’avait dit, il semblerait que Mitsuki venait juste de finir son repas. Le bol vide était encore légèrement humide.

Mitsuki avait vraiment lutté pour essayer de manger pendant un certain temps, mais maintenant elle était de retour à manger des portions un peu normales.

Raphina hocha la tête. « Oui, bien qu’il semblerait que la nourriture froide n’ait pas non plus été très agréable pour elle ».

« Eh bien, c’est un fait. » Yuuto haussa les épaules, un sourire amer sur le visage.

Après avoir expérimenté une variété d’aliments différents, ils avaient finalement trouvé le principal déclencheur des crises de nausée de Mitsuki. Apparemment, c’était la chaleur et la vapeur.

L’humidité et l’odeur des aliments chauds et fraîchement cuits semblaient en être la cause.

Et donc, Mitsuki avait été forcée de manger seulement de la nourriture qui avait refroidi.

Il n’y avait rien qu’ils puissent vraiment faire à part faire avec, et elle s’assurait de manger ce qu’on lui donnait. Mais Mitsuki était une fille qui aimait cuisiner. Par extension, elle aimait aussi le goût de la bonne cuisine, et les repas chauds étaient l’un des moments forts de sa journée. Donc, ne pas être en mesure de manger de la nourriture chaude et fraîchement cuisinée était vraiment stressant pour elle.

« Si nous étions au Japon, il y aurait beaucoup de nourriture que je pourrais obtenir pour elle qui est vraiment savoureuse même si elle est réfrigérée. À cause de moi, elle doit passer par des moments très difficiles, hein ? » Yuuto avait fait un sourire triste, et s’était agenouillé à côté de Mitsuki. Il fixa son visage avec de l’inquiétude dans les yeux, puis il lui caressa doucement la tête.

À ce moment-là, Félicia avait senti une douleur aiguë lui transpercer le cœur.

Tapoter la tête de quelqu’un était une habitude de Yuuto. C’était sa façon naturelle de montrer qu’il appréciait quelqu’un et qu’il tenait à lui.

C’est quelque chose que Félicia voyait tout le temps. Il ne devrait rien y avoir d’étrange à cela. Il y a peu de temps, il l’avait fait à Sigrún et Linéa.

***

Partie 4

Mais alors que Félicia n’avait rien ressenti de désagréable en regardant ce qui se passait avec ces deux-là, en ce moment, elle ressentait une douleur profonde et angoissante.

Pendant ces trois dernières années, Félicia avait été la personne la plus proche de Yuuto, toujours à ses côtés. Et donc, c’est pour cela qu’elle pouvait dire que c’était différent.

La façon dont il lui caressait les cheveux, le regard dans ses yeux, l’expression sur son visage… c’était une autre sorte d’amour que celui qu’il montrait à n’importe qui d’autre.

« Pourquoi ne suis-je pas assez bien… ? », avait-elle chuchoté.

« Hein ? » Yuuto s’était retourné pour regarder Félicia. Avec un sursaut, Félicia avait repris ses esprits.

Elle venait de murmurer ses sentiments à voix haute. Qu’est-ce qu’elle a fait ?

Elle s’était empressée de faire de son mieux pour trouver une excuse. « O-oh, non, erm. J’étais juste frustrée de ne pas être assez puissante pour faire quelque chose pour soulager sa douleur. »

C’était un terrible mensonge.

Elle n’avait rien pensé de tel.

« Es-tu toujours en train de parler de ça ? » demanda Yuuto. « Écoute, quelques jours de repos et elle ira bien. Tu n’as pas besoin de t’inquiéter pour ça. »

Elle avait menti, c’est pourquoi elle souhaitait qu’il ne réponde pas en lui souriant si gentiment.

Elle souhaitait aussi qu’il ne lui tape pas doucement sur la tête comme ça. Cela ne faisait que rendre la différence entre eux encore plus claire.

Les pensées qu’elle essayait toujours de chasser avaient recommencé à tourner dans son esprit.

Pourquoi n’était-elle pas assez bien ? Pourquoi ça ne pouvait pas être elle à la place ?

Elle connaissait de toute façon Yuuto mieux que Mitsuki.

Elle était plus utile à Yuuto que Mitsuki.

Elle pourrait aimer Yuuto davantage, se consacrer à lui encore plus intensément.

Félicia secoua la tête, en en essayant de chasser ces terribles pensées de son esprit, mais elles ne disparaissaient pas.

Elle frissonna contre elle-même, contre la superficialité et la mesquinerie de son comportement.

Son esprit avait compris la vérité de la situation.

Elle avait compris que pendant ces trois années, Yuuto avait constamment voué son amour à Mitsuki, et à elle seule.

Elle voulait leur souhaiter du bonheur à tous les deux. Elle avait l’intention de le faire. Elle pensait avoir réussi.

Mais maintenant, chaque fois qu’elle regardait Yuuto interagir avec Mitsuki, elle avait l’impression que cela lui déchirait le cœur.

☆☆☆

À la lumière d’une seule torche, Félicia grimpa la sombre cage d’escalier.

Cet endroit, la Tour Nari, était niché dans un coin reculé de l’extrémité nord des terres du palais de Gimlé. C’était une tour de prison réservée spécialement aux personnes de haut statut.

Agir avec un prisonnier de haut rang ou de statut élevé de manière trop brutale ou irrespectueuse porterait atteinte à l’honneur d’un clan. C’est pourquoi cette prison était dotée d’une nourriture et d’un mobilier de meilleure qualité que ceux que l’on pouvait trouver dans la maison d’un citoyen moyen.

Bien sûr, entrer et sortir de la tour et de ses cellules était une autre affaire. La sécurité était extrêmement stricte.

Félicia avait atteint le troisième étage, le dernier étage, où il attendait.

« Salut, Félicia. Bon travail aujourd’hui », appela nonchalamment l’homme masqué de l’autre côté des lourds barreaux de bois de sa cellule.

C’était Rungr, l’ancien patriarche du Clan de la Panthère.

Pendant des années, il avait nourri une rancune envers Yuuto et le Clan du Loup, et il avait travaillé pour les détruire. Maintenant, il passait ses journées enfermé dans cette tour.

Son nom d’origine était Loptr, et il était le grand frère biologique de Félicia.

Quand Félicia avait fini son travail, elle montait ici la nuit pour le surveiller. C’était devenu une sorte de routine nocturne ces derniers temps.

« L’intérieur d’une cellule est assez ennuyeux, alors j’ai toujours hâte de voir ton visage », dit Rungr joyeusement.

C’était le même ton de voix aimable et jovial qu’elle se rappelait lorsqu’il était le commandant en second du Clan du Loup, il y a si longtemps.

Elle regarda ses yeux, placés à l’intérieur de son masque de fer. Lorsqu’elle l’avait rencontré dans les champs marécageux de Náströnd, ces yeux étaient injectés de sang et remplis d’une colère maladive. Mais maintenant, ils semblaient calmes, comme si le démon qui l’avait possédé était parti.

Cela, en soi, l’avait vraiment irritée.

« Je vois. Eh bien, je n’ai pas du tout hâte d’y être. » Félicia lui cracha les mots froidement, en se renfrognant.

Tout cela à cause des actes jaloux et égoïstes de son frère, elle avait tant souffert, et elle avait porté un si lourd fardeau.

À cause de son frère, Yuuto avait passé ses journées à regretter douloureusement le passé, à se tourmenter pour cela.

Et malgré tout cela, il était là, assis confortablement dans cette cellule, souriant. Bien sûr, ça la contrariait.

« Mais tu viens quand même me voir », déclara Rungr.

« Tu es la seule famille vivante qu’il me reste, même si tu es affreux. Je n’ai pas vraiment d’autre choix que de m’occuper de toi, n’est-ce pas ? »

« Hm ? Tu sais, tu sembles un peu plus à cran que d’habitude aujourd’hui. Tu n’as pas non plus l’air bien. Est-ce qu’il s’est passé quelque chose aujourd’hui qui t’a bouleversée ? »

« Non, il ne s’est rien passé du tout ! » Félicia nia par réflexe, mais sa voix était trop chargée d’émotion. C’était la même chose que d’admettre qu’elle mentait.

C’était son frère, l’homme qui avait vécu avec elle pendant quinze ans. Naturellement, il l’aurait remarqué.

« Ça doit être quelque chose à propos de Yuuto, non ? » demanda Rungr. « C’est un homme dévoué, et ça peut paraître bien, mais il n’a après tout jamais été doué pour gérer les sentiments des autres à son égard. »

« N’ose pas insulter Grand Frère, ou je ne te pardonnerai pas, tu entends ? ! »

« Ohh, effrayant. Mais j’ai aussi raison, n’est-ce pas ? »

« Non, tu as tort. Vraiment tort. » Félicia s’était détournée avec un « Hmph ! » moqueur.

En effet, son frère avait tort. Il l’avait fait à l’envers, même.

« Ça n’a rien à voir avec Grand Frère Yuuto », avait-elle insisté. « C’est un problème avec moi. »

« Hm, un problème avec toi même. Cela voudrait dire, en résumé, que tu n’as pas été capable d’accepter la femme qu’il a ramenée de son monde natal. Et ta propre superficialité et ta jalousie sont si horribles que tu ne peux pas les supporter. Est-ce que ça te semble correct ? »

« Quoi ? ! » Félicia était abasourdie. La supposition n’était pas seulement correcte, elle était aussi précise.

Elle n’aurait pas dû en attendre moins de lui, pourtant. Yuuto avait souvent dit : « Sa capacité à déterminer la faiblesse d’une personne et à la frapper est phénoménale. » C’était une capacité qu’il pouvait utiliser tout aussi bien en dehors du champ de bataille.

Félicia ne pouvait rien lui répondre, sa bouche s’ouvrait et se fermait comme celle d’un poisson hors de l’eau.

Sentant qu’il avait gagné, Rungr se mit à rire. « Heh heh, on dirait que j’ai deviné juste. Si je peux te donner quelques conseils, en tant que personne ayant suivi un chemin similaire : Ne va pas trop loin en essayant d’étouffer ces sentiments à l’intérieur, et en essayant d’agir comme une bonne personne. »

« Je n’essaie pas de… »

« Mais tu le fais, n’est-ce pas ? Tu ne peux pas te pardonner d’avoir des sentiments sombres ou laids, et donc tu refuses de les reconnaître. Tu essaies de faire comme s’ils n’étaient pas là. »

« Ngh… ! » Félicia avait essayé de répondre, mais elle ne pouvait rien dire.

C’est parce que, encore une fois, il avait raison.

« Continue à faire ça, et rien de bon ne va en sortir, crois-moi, » dit Rungr. « Ces sentiments impurs ne feront que stagner encore plus profondément en toi, et ils finiront par te pourrir de l’intérieur. Tu dois être honnête avec toi-même à propos de tes sentiments. »

« Qu’est-ce que tu essaies de faire ici ? » Félicia demanda d’une voix étranglée. « Laisse-moi deviner, tu veux entrer dans ma tête, me faire penser comme tu veux, et ensuite me piéger pour que je t’aide à t’échapper de cet endroit. C’est ça ? »

« Hein ? Je n’ai jamais envisagé de faire quelque chose comme ça. Cet endroit est parfait pour moi. »

« Il y a un instant, tu disais que c’était ennuyeux ici. »

« Oui, et c’est ce qui fait aussi de cet endroit le lieu idéal pour me remettre en question. Il n’y a rien d’autre à faire pour moi, après tout. » Avec un petit sourire en coin, Rungr haussa les épaules.

Essayer d’argumenter avec cet homme était comme essayer de lutter contre le vent.

Même à l’époque où il était Loptr, il était connu pour sa personnalité difficile à cerner. Un homme dont on ne pouvait pas dire ce qu’il pensait vraiment. Mais Félicia savait que son grand frère avait aussi de l’ambition en lui.

Mais maintenant, c’est comme si tout ce feu avait disparu. Il avait la présence d’un vieil ermite, ou de quelqu’un qui avait rejeté le monde.

« Nous sommes frères et sœurs, après tout », dit Rungr. « Je peux le dire. En ce moment, tu ressembles à ce que j’étais à l’époque. »

« Je n’aurais jamais, jamais trahi Grand Frère Yuuto, comme tu l’as fait ! »

« Bien sûr que non. Mais celui dont tu es si jalouse n’est pas Yuuto, n’est-ce pas ? »

« Argh… ! » Pour la troisième fois d’affilée, le cœur intérieur de Félicia était exposé, et elle ne pouvait rien dire en réponse.

Elle ne pouvait s’empêcher de réaliser que c’était la vérité.

Et bien que ce soit si simple, elle avait essayé de ne pas le voir, de changer de sujet et de parler de Yuuto, ou d’autre chose. Elle avait inconsciemment essayé de ne pas penser à Mitsuki.

Elle aurait aussi bien pu essayer de faire un nœud à son cœur.

C’était vexant à admettre, mais c’était comme Rungr l’avait dit.

Si elle continuait comme ça, l’écart entre la réalité et sa perception tordue de celle-ci deviendrait de plus en plus grand, et à un moment donné, elle s’effondrerait.

« Si mes propres expériences amères peuvent t’apprendre quelque chose, c’est que tu devrais parler de ces choses », déclara Rungr. « Tes sentiments sont déformés parce que tu les enfermes. Parfois, tu as besoin de les laisser s’exprimer. Tu comprends ce que je veux dire ? »

« … je garderai peut-être ce que tu as dit en tête. » Félicia ne pouvait pas accepter ouvertement ce conseil de sa part. C’était mal. Elle avait donc fini par lui donner une réponse moins positive, et moins honnête.

Mais c’était son frère. Il était perspicace.

Elle était sûre qu’il serait capable de voir à travers elle, de toute façon.

***

Partie 5

Félicia avait soudainement réalisé qu’elle était retournée dans sa chambre.

Elle était revenue ici sans même y penser. Sa routine quotidienne lui avait été utile, au moins.

Elle s’était dirigée vers son lit, comme si elle y était attirée, et s’était assise.

« Il dit “en parler”, mais c’est plus facile à dire qu’à faire. » Félicia fixa un regard apathique dans le vide.

Depuis que Yuuto était revenu des terres au-delà des cieux, il semblait porter une sorte de lourd fardeau.

Parler à Yuuto de ses sentiments signifierait lui imposer un fardeau encore plus lourd en plus de cela.

Mitsuki avait donné sa permission pour que Yuuto ait des concubines, mais une fois que cela se produirait réellement, elle trouverait certainement cela désagréable.

Et comme elle était au début de sa grossesse, c’était un moment important pour sa santé. Elle ne devrait pas avoir à gérer un stress supplémentaire et injustifié.

En effet, si Félicia devait avouer ses sentiments, elle ferait mieux d’attendre un moment plus approprié.

« Je ne fais que me trouver des excuses stupides », avait-elle soupiré. « À ce rythme, le temps qui passe n’aura aucune importance. Je ne serai jamais capable de le dire. Au final, je suis juste indécise et égoïste. » Félicia avait émis un petit rire sec à ses propres dépens.

Elle avait peur.

Elle avait peur de perdre la relation avec Yuuto qu’elle avait maintenant.

Si elle pouvait continuer à cacher et à réfréner ses sentiments désagréables, alors elle pourrait toujours rester l’adjointe de Yuuto, sa plus proche confidente. Elle pourrait rester à ses côtés.

Si elle se dévoilait et lui parlait honnêtement, et que les choses deviennent gênantes ou moches, alors elle ne pourra plus rester proche de lui. Elle pourrait même ne plus être autorisée à interagir avec lui.

Mais même ainsi, il était douloureux de voir Yuuto et Mitsuki être si intimes l’un avec l’autre.

Elle avait l’impression que son cœur était déchiré en deux à cause de la douleur, et elle sentait aussi les émotions sombres qui se bousculaient au fond d’elle, s’aggravant de jour en jour.

Si elle se taisait, tôt ou tard, elle ne pourrait de toute façon pas rester proche de Yuuto.

« Qu’est-ce que je suis censée faire… !? » Félicia cracha les mots avec une frustration amère. Elle était habituellement une femme très calme. Cela ne lui ressemblait pas d’agir de la sorte.

Elle connaissait déjà la réponse.

C’était exactement comme son frère l’avait dit. Elle devait s’ouvrir à ses sentiments, puis avoir une discussion sérieuse avec eux sur ce qu’il fallait faire à partir de maintenant.

Mais quand même, elle avait peur de perdre leur relation.

Elle n’arrivait pas à trouver le courage d’aller de l’avant.

Elle voulait maintenir cette relation tiède si elle le pouvait, aussi décevante qu’elle puisse être parfois.

Elle voulait juste être ensemble avec Yuuto.

Elle ne voulait pas avoir à le quitter.

Ses pensées tournaient en rond… et puis, elle entendit une voix.

« Oh, Félicia, tu es de retour ? » La porte de la chambre voisine s’était ouverte, et Mitsuki avait jeté un coup d’œil à travers. Elle ne portait que ses vêtements de nuit.

« Oui, il y a un instant », répondit Félicia. « Comment te sens-tu ? Un peu mieux ? »

« Oui, heureusement. Je suis de nouveau en pleine forme. » Mitsuki leva les deux bras et les fléchit, en riant joyeusement.

C’était comme elle l’avait dit, la teinte rouge et chaude de son visage avait disparu et elle semblait beaucoup plus saine.

Ce sourire heureux et insouciant de Mitsuki avait irrité Félicia. Mais bien sûr, elle ne l’avait pas laissé paraître.

« As-tu besoin de quelque chose de moi ? » Félicia demanda poliment.

« Ouais, tu peux venir avec moi une seconde ? J’ai besoin de toi pour m’aider à mettre Yuu-kun au lit. »

« Grand Frère ? » Félicia fronça les sourcils, mais elle se leva pour la suivre.

Mitsuki ne semblait pas agir comme si c’était une urgence, mais il s’agissait de Yuuto, le frère juré bien-aimé de Félicia. L’aider passait toujours en premier.

Se demandant ce qui pouvait bien se passer, Félicia était entrée dans la chambre de Yuuto et elle l’avait trouvé assis sur une chaise à côté du lit, affalé en avant avec son visage sur le lit, endormi et ronflant.

Le plus probable est qu’il était assis à côté de Mitsuki, veillant sur elle, et qu’il s’était endormi de cette façon.

« S’il reste comme ça, j’ai peur qu’il se froisse un muscle ou autre, tu sais ? » déclara Mitsuki. « Mais je ne pouvais pas me résoudre à le réveiller. »

« Je vois. » Félicia hocha la tête et redressa doucement le torse de Yuuto, puis passa un bras sous ses jambes et le souleva de la chaise.

Elle l’avait pris dans ses bras aussi facilement que si elle prenait un chat.

Félicia était mince, mais c’était un Einherjar. Sa force physique était bien supérieure à celle de la moyenne des gens.

« Pfff ! Ahaha ! Tu le portes comme une princesse ! » Mitsuki éclata de rire, puis sortit son smartphone et commença à le faire fonctionner. Il commença à faire des bruits de cliquetis.

Si la mémoire de Félicia était bonne, c’était le bruit qu’il faisait lorsqu’il prenait des « photographies », des images fixes d’un moment figé dans le temps, conservées à jamais.

Elle s’affairait à préserver des images de son amant tenu dans les bras d’une autre femme… Félicia ne comprenait vraiment pas cette fille.

« Je vais l’allonger maintenant », dit Félicia.

« Ah, d’accord, s’il te plaît et merci. » Mitsuki s’était empressée de ranger le smartphone, puis elle écarta les couvertures pour Félicia.

Félicia avait doucement déposé Yuuto dans l’espace ouvert, et Mitsuki avait remis la couverture sur lui.

« Il ne s’est pas réveillé du tout, hein ? » Mitsuki commenta.

« Il doit sûrement être très fatigué. Il a toujours été très dévoué à son travail, mais plus récemment je pense qu’il a été particulièrement motivé. »

« Tu le penses aussi, hein, Félicia ? »

« Veux-tu dire que tu ne connais pas non plus la raison, Grande Soeur Mitsuki ? » Félicia avait été un peu surprise par cette question.

Elle était sûre que Yuuto aurait au moins parlé à Mitsuki du secret qui l’accablait.

« Non, » dit Mitsuki. « Il ne me dira rien. Yuu-kun, il a un grand sens des responsabilités. Mais tu le connais. Il a aussi toujours tendance à essayer de tout prendre sur lui. »

Mitsuki avait fait la moue en disant cela et avait joué à toucher la joue de Yuuto avec un doigt.

C’était un petit geste qui aurait dû symboliser la proximité de ces deux-là, un signe d’intimité.

Mais malgré cela, le voir avait fait bondir quelque chose en Félicia.

C’était une question importante, n’est-ce pas ?

Ce n’était pas quelque chose que Mitsuki devrait être capable de simplement plaisanter.

« Si vous ne pouvez même pas partager vos préoccupations l’un avec l’autre, alors comment pouvez-vous vous appeler mari et femme !? » Ce n’est qu’après avoir crié ces mots que Félicia avait réalisé ce qu’elle avait fait.

Normalement, elle aurait dû être capable de répondre à Mitsuki avec un sourire, et de poursuivre avec une déclaration vaguement favorable de sa part.

Mais après avoir eu cette conversation frustrante avec son frère dans la tour, c’est comme si elle avait perdu la capacité de maîtriser ses émotions.

Elle avait besoin de s’excuser, tout de suite. Elle devait dire : « Pardonne-moi d’avoir dit quelque chose d’aussi impertinent. » Elle le savait, mais les prochains mots qui sortirent de sa bouche étaient complètement à l’opposé.

« Tu es censé le soutenir », grogna Félicia. « Si tu ne peux pas faire ça correctement, alors je ne peux pas confier mon grand frère à quelqu’un comme toi ! »

Félicia disait cela à la femme du réginarque. Mitsuki était quelqu’un de bien plus haut placé que Félicia. Lui parler comme si elle avait le droit de décider de ces choses était plus qu’offensant. C’était impardonnable.

Et pourtant… Mitsuki avait humblement baissé la tête devant Félicia, s’inclinant profondément.

« Merci, Félicia. Tu es vraiment une bonne personne. Je prendrai tes conseils à cœur. »

Lorsque Mitsuki avait relevé la tête pour regarder Félicia, ses yeux étaient remplis d’un véritable respect.

La conscience de Félicia s’était enflammée. Elle n’était pas du tout la personne gentille que Mitsuki disait être. Ses mots ne venaient pas de la gentillesse ou de l’inquiétude. Ils venaient de la jalousie. Des sentiments en elle qui criaient « Tu as eu l’honneur d’être choisie par Yuuto, et tu n’en es pas digne ! ».

« Eh bien, c’est bon tant que tu comprends. » Honteuse, Félicia détourna les yeux.

Mais Mitsuki avait saisi sa main. « Depuis que je suis arrivée dans ce monde, tu as toujours veillé sur moi. »

« N-non, non, je n’ai pas vraiment… »

« Non, tu l’as fait ! Tu m’as aidée à parler la langue, à comprendre l’ásmegin, à m’apprendre toutes sortes de petites choses nécessaires à la vie quotidienne. Et quand je ne pouvais pas manger, tu faisais tout pour trouver quelque chose que je pouvais avaler. Et tu m’as même grondée comme ça, pour essayer de m’aider à être meilleure. Personne d’autre ne pourrait jamais faire pour moi ce que tu as fait. Je ne pourrai jamais te remercier assez. »

« S’il te plaît, arrête. Tu n’as pas besoin de me remercier », supplia Félicia. Mais les mots n’avaient pas été prononcés par humilité. C’était ses sentiments honnêtes.

En effet, elle n’avait rien fait qui mérite la gratitude de Mitsuki.

Elle n’avait rien fait pour Mitsuki, après tout. C’était pour le bien de Yuuto.

« Non, c’est inacceptable », déclara Mitsuki. « S’il y a quelque chose que je peux faire pour toi en retour, je le ferai, peu importe ce que c’est. Donc, il suffit de me le dire. Après tout, c’est en grande partie grâce à toi que Yuu-kun et moi pouvons enfin être ensemble. »

« Ngh… ! » À cet instant, la digue dans le cœur de Félicia s’était brisée.

C’était la pensée qu’elle avait passé tout ce temps à essayer d’aider l’homme qu’elle aimait, seulement pour l’aider à finir avec une autre femme. Elle était une idiote. Tout cela était une vaste blague.

Et elle en entendait la confirmation de la part de sa rivale pour son cœur. Il n’y avait rien de plus humiliant.

« Très bien, alors », a grogné Félicia. « Je veux que tu me donnes le grand frère Yuuto. »

« Hein ? »

« Ce que je veux, c’est le grand frère Yuuto. Il est tout ce que je veux. Tant que je peux l’avoir, je n’ai besoin de rien d’autre. Et pourtant, et pourtant toi… ! Tu es la seule à être dans son cœur. C’est injuste. Je l’aime aussi ! En fait, je suis sûre que je l’aime au moins autant que toi, Grande Sœur Mitsuki ! »

Félicia était consciente que les choses qu’elle disait allaient plutôt loin.

Mais, pour une raison inconnue, son cœur se sentait rafraîchi au lieu de se sentir coupable.

Elle avait l’impression de s’être enfin débarrassée de toutes les choses qui l’étouffaient.

Elle était honnête. Elle parlait avec son cœur.

Quelle que soit la punition qui l’attendait pour cela, Félicia était maintenant prête à l’affronter.

« Je suis… désolé. » Les excuses n’étaient pas venues de Mitsuki, mais d’en bas.

Les yeux de Félicia s’étaient écarquillés et elle avait baissé les yeux. Le regard de Yuuto avait rencontré le sien.

« G-Grand Frère, tu étais réveillé !? » cria Félicia.

« Ouais, je suis sûr que n’importe qui se réveillerait avec quelqu’un qui crie à côté de son oreiller ». Yuuto s’était gratté la tête, puis s’était assis.

« Je… Je suis terriblement désolée. J’ai interrompu ton repos… »

« Non, je dois m’excuser ici », déclara Yuuto. « Je savais que tu avais des sentiments pour moi. Je le sais depuis longtemps maintenant. Et même si je le savais, je n’ai jamais pu les retourner, j’étais égoïste. Je voulais que tu restes avec moi. Alors j’ai laissé les choses traîner, sans les résoudre. J’étais trop dépendant de toi. C’est moi qui ai été injuste. »

« Ouais. Tu es injuste », coupa Mitsuki, froidement. « Tu es un idiot, de part en part. Une honte pour les hommes partout dans le monde. »

Elle croisa les bras et hocha la tête, comme pour l’inciter à s’excuser.

***

Partie 6

Mitsuki ajouta : « Et qu’est-ce qui pourrait te rendre insatisfait d’une personne aussi belle qu’elle ? Elle t’aime à ce point. Tu dois lui rendre ses sentiments correctement. »

« Pourquoi diable dis-tu une chose pareille ? ! » cria Yuuto.

« C’est important parce que c’est moi qui le dis ! Je dis qu’elle a l’approbation totale de ta femme ! »

« Tu sais, je te connais depuis toujours, mais ces derniers temps, c’est comme si je ne te comprenais plus du tout… » Yuuto plaça sa tête dans ses mains.

Il était sur le point de se marier le mois prochain, et sa future épouse lui disait de la tromper.

Et ce n’était pas un mariage politique, mais un mariage romantique.

C’était normal qu’il soit confus.

« Est-ce que ça te convient vraiment, Grande Sœur ? » Félicia avait réussi à demander, encore à moitié assommée.

Pour Félicia, son amour pour Yuuto était quelque chose qu’elle pensait ne jamais être acceptée, et certainement jamais réciproque.

Elle n’était pas en position de se plaindre d’être la deuxième ou la troisième fille de la file, tant qu’elle pouvait être à lui.

Mitsuki gloussa. « Ouais. C’est bon. Je le dis depuis un moment maintenant, n’est-ce pas ? Oh, mais, j’ai une grande condition. »

« Qu’est-ce que c’est !? » demanda Félicia désespérément.

Si son amour pouvait porter ses fruits, alors elle était prête à accepter n’importe quelle condition pour qu’il en soit ainsi.

Mitsuki tendit sa main. « Je veux que tu échanges le serment du Calice avec moi, et que tu deviennes ma sœur jurée. Est-ce que ça te convient ? »

« Eh ? »

« Si je suis honnête, Félicia… tu es la femme dont j’ai toujours eu le plus peur », déclara Mitsuki. « Chaque fois que Yuu-kun parlait de toi, j’avais toujours peur que tu sois celle qui me le vole. J’ai toujours eu peur de cela. Et une fois que je t’ai rencontrée en personne, cette peur n’a fait que se renforcer. Je ne peux pas du tout rivaliser avec toi. »

« Qu’est-ce que tu dis ? » Félicia fixa Mitsuki, abasourdie.

Qu’est-ce qu’il pourrait y avoir chez Félicia qui ferait que Mitsuki aurait peur d’elle ?

Mitsuki avait l’avantage de connaître Yuuto depuis qu’ils étaient enfants, et d’ailleurs, il n’avait voué son cœur qu’à elle. Félicia n’avait jamais pensé qu’elle pouvait venir changer cela.

« Il n’y a aucune chance que quelqu’un comme moi puisse espérer rivaliser avec toi, Grande Soeur Mitsuki, ne le vois-tu pas ? ! » cria Félicia.

« Est-ce que tu comprends au moins ce que tu dis ? Tu es vraiment belle, et sexy en plus, et tu es gentille, et tu es capable de soutenir Yuu-kun au travail et en privé. Yuu-kun est entouré de beaucoup de jolies filles, mais il n’y a pas d’adversaire plus effrayant que toi. Et d’ailleurs, tu n’es peut-être pas capable de le dire, mais moi je le peux. Le cœur de Yuu-kun a vraiment vacillé à ce sujet. »

« Vaciller… Le cœur de Grand Frère a hésité à m’aimer !? » C’était complètement inattendu. Félicia ne l’aurait jamais imaginé.

Félicia savait mieux que quiconque à quel point la dévotion de Yuuto pour Mitsuki était forte. Elle ne pouvait pas vraiment croire ce qu’elle entendait.

« J’étais toujours inquiète », déclara Mitsuki. « Inquiète que, bien sûr, peut-être qu’il m’aime maintenant, mais peut-être qu’à un moment donné, tu finirais par le convaincre. »

« Même… même toi tu étais inquiète ? » Félicia avait toujours considéré que Mitsuki était une reine digne de ce nom pour un grand seigneur tel que Yuuto.

Et c’est pourquoi elle avait toujours pensé qu’elle n’avait aucune chance contre Mitsuki. C’est pourquoi elle était si jalouse.

Mais, enfin, maintenant, elle avait compris. Mitsuki était juste une autre fille amoureuse.

« J’ai… toujours eu peur de toi, aussi, Grande Soeur Mitsuki. » Félicia suivit l’exemple de Mitsuki et elle avoua ses craintes. « J’ai toujours eu peur qu’un jour, tu m’enlèves complètement Grand Frère. J’étais si jalouse de toi, parfois je souhaitais même que tu n’existes pas. »

C’était, par essence, un rituel.

Un rituel qui ferait de ces deux filles de véritables camarades.

« Tee hee. Quand même… » Avec un ricanement, Félicia sourit gentiment à Mitsuki.

Tout ce qu’elle avait dit jusqu’à présent était vrai.

Et ce qu’elle allait dire ensuite était aussi vrai. Elle pouvait au moins être fière de cela.

« Malgré tout, je n’ai jamais été capable de te détester, Grande Soeur Mitsuki. »

« Je ne pourrais non plus jamais te détester, Félicia, » dit Mitsuki. « Tout ce que je veux, c’est que Yuu-kun soit heureux. Et sur ce point, je pense qu’il n’y a rien qui nous sépare. Et je pense que je pourrais combattre n’importe qui d’autre, tant que tu es mon alliée. »

« Oui, je pensais aussi que toi, Grande Sœur, tu es la toute dernière personne dont je voudrais faire mon ennemie. Chacune de nous est la plus grande menace pour l’autre. Dans ce cas, il est logique qu’on se donne la main. »

« C’est vrai. Et si on fait équipe, on peut affronter n’importe qui. Toutes les filles là-bas mises ensemble ne me feraient pas peur ! » Mitsuki fit un petit sourire malicieux.

Félicia s’était retrouvée incapable de retenir un éclat de rire. « Pff ! Ahaha, tu as tout à fait raison. Très bien, alors. Échangeons le Serment du Calice. » Félicia prit la main de Mitsuki.

Elle sentit la main de Mitsuki serrer la sienne en retour.

« Ok, je dois dire que j’ai l’impression d’avoir été laissé complètement en dehors de la boucle sur ce sujet, » intervint finalement Yuuto. « Ai-je tort de penser ça ? »

Son visage était rouge vif. Apparemment, toute cette conversation l’avait mis dans l’embarras.

Le sourire de Mitsuki était devenu encore plus large, comme si elle venait d’avoir une idée intelligente.

« Très bien alors, Yuu-kun, je vais t’impliquer. Et je vais te donner un rôle très important à jouer. Ici et maintenant, tu vas être le médiateur de notre cérémonie du Calice. »

« Attends, moi ? » demanda Yuuto.

« Ouaip. Ne crois-tu pas que tu es la mieux placée pour ça ? » Mitsuki regarda Félicia, qui hocha la tête en signe d’accord.

C’était une alliance formée pour protéger Yuuto, après tout.

Yuuto laissa échapper un long soupir. « D’accord ! Alors, très bien. Mais Mitsuki, tu es enceinte, alors pas d’alcool, d’accord ? »

« Ahh, c’est vrai. Mais dans ce cas, nous n’avons qu’à substituer quelque chose d’autre. »

« Ok. Alors dois-je aller chercher de l’eau ? »

« Ce n’est pas bon. Très bien, Yuu-kun ! Ferme les yeux ! » ordonna Mitsuki.

« Quoi ? » Complètement confus, Yuuto n’arrivait pas à suivre.

« Fais-le, c’est tout ! »

« Quoi, est-ce quelque chose que je ne peux pas voir ? »

« Oui. C’est un secret spécial entre deux filles. Maintenant, dépêche-toi et ferme les yeux ! »

« Ouais, ouais, ok. C’est quoi ton problème... » Se laissant aller à marmonner des plaintes, Yuuto ferma finalement les yeux.

Une fois que Mitsuki eut pu confirmer cela, elle regarda Félicia, toucha son index de manière significative sur ses lèvres plusieurs fois, puis elle fit un clin d’œil.

« Uhh… ça ne peut pas être ce que je pense, n’est-ce pas ? » demanda Yuuto.

« Oh oui, ça l’est. Après tout, il n’y a pas de meilleur Calice sacré plus approprié pour que nous deux échangions nos vœux, n’est-ce pas ? »

« Tu as tout à fait raison », dit Félicia, incapable de s’empêcher de sourire.

Félicia s’était agenouillée sur le lit, et s’était penchée vers le visage de la personne qu’elle aimait le plus au monde.

Son cœur battait fort dans ses oreilles, si fort qu’elle craignait que Yuuto puisse l’entendre. Mais il ne semblait pas le remarquer.

Elle fit un dernier regard dans la direction de Mitsuki.

Mitsuki hocha la tête une fois, fermement.

Il n’y avait pas de retour en arrière possible. Félicia plaça ses lèvres contre celles de Yuuto.

« Mm !? Hmmph !? » Choqué, les yeux de Yuuto s’étaient ouverts.

Par réflexe, il tenta de se retirer, mais Félicia passa ses bras derrière sa tête et l’attira vers elle. Elle pressa ses lèvres encore plus fort contre les siennes.

« Mnn ? !!?"

Après au moins trente secondes à savourer la sensation de ses lèvres contre les siennes, Félicia le relâcha lentement.

« Quoi… mais… hein… !? » Les yeux de Yuuto clignaient rapidement dans la confusion. On aurait dit qu’il n’avait toujours pas compris la situation.

Et sa vue était si adorable pour elle, qu’elle sentait son amour pour lui monter du fond de sa poitrine, déborder. Elle embrassa ses joues, son front, son nez, tout son visage dans un torrent qu’elle ne pouvait pas arrêter.

Et pourtant, ses sentiments n’étaient pas du tout satisfaits. Elle voulait le toucher davantage, être encore plus proche de lui, tellement qu’elle ne pouvait pas le supporter.

Elle avait enduré ces pulsions pendant trois années entières, jour après jour. Elle était à sa limite. Elle l’avait dépassée.

« Grand Frère, je veux tout de ton amour. Je souhaite que tu me fasses l’amour comme tu l’as fait avec Grande Soeur Mitsuki. »

« Qu, quoiiii !? Non, attends, Félicia, pourquoi enlèves-tu mon pantalon ? ! »

« Très bien, Yuu-kun, il est temps que tu abandonnes. Tu as déjà fait tout ce chemin. » Mitsuki était soudainement derrière Yuuto, et elle attrapa ses deux bras pour le plaquer au sol.

« Mitsuki, qu’est-ce que tu fais ? ! Mmph — » Avant que Yuuto ne puisse en dire plus, Mitsuki l’avait fait taire en couvrant ses lèvres avec les siennes.

Elle ne s’était pas arrêtée là, elle enfonça sa langue dans sa bouche et la frotta contre la sienne.

« Ouf ! Très bien alors, je pense que ça rend le Calice de sœurs officiel. » Mitsuki gloussa de façon séduisante. Un filet de salive coulait entre sa bouche et la sienne.

Ba-dump. Juste devant les yeux de Félicia, la virilité de Yuuto palpitait, et s’étirait de plus en plus.

L’air de la pièce avait changé, comme si quelque chose de tendu avait finalement cassé.

« … Ok. Bien. Tu l’auras voulu », la voix hurlante de Yuuto se fit entendre. Elle était rude et puissante, sans aucune hésitation. « Je me suis retenu tout ce temps. Mais si tu veux aller aussi loin avec moi, je ne me retiens plus ! »

 

 

Cette nuit-là, les gémissements et les cris de Félicia avaient résonné un nombre incalculable de fois sur les murs de la chambre du patriarche.

Et ainsi, Mitsuki et Félicia étaient devenues des sœurs jurées cette nuit-là.

***

Partie 7

« Nnn… mmm… » Félicia avait été réveillée par la lumière du soleil matinal qui entrait par la fenêtre de la chambre.

Elle ouvrit lentement les yeux. Yuuto et Mitsuki étaient couchés juste à côté d’elle. Ils semblaient tous deux dormir confortablement.

Félicia avait alors ressenti une douleur aiguë dans son bas-ventre. Elle prit une profonde inspiration et la laissa sortir dans un long soupir de soulagement.

« Ce n’était pas un rêve… » Elle se murmura les mots à elle-même, comme si elle essayait de s’en convaincre. Elle tendit le bras pour toucher Yuuto, caressant doucement ses cheveux.

Bien sûr, elle pouvait se souvenir clairement de tout ce qui s’était passé la nuit dernière.

C’est juste que c’était si merveilleux, trop merveilleux. C’était, en effet, ce dont elle avait toujours rêvé. Il était difficile de penser que cela pouvait être réel.

« Grand frère… Je t’aime de tout mon cœur. » Elle rapprocha lentement sa tête de la sienne et, en fermant les yeux, posa doucement ses lèvres sur sa joue.

Désormais, elle n’aurait plus besoin de se retenir. Elle pourrait être ouverte dans son amour pour lui.

Cette connaissance l’avait remplie de joie.

Elle sentit soudainement les yeux de quelqu’un qui la regardait. Elle regarda et elle vit que les yeux de Mitsuki étaient ouverts.

Félicia fut immédiatement prise de panique. « G-Grande Soeur !? Tu étais réveillée ? ! »

« Oui, bien que je me sois réveillée il y a seulement une seconde. Bonjour. »

« B-Bonjour ah-argh ! » Félicia était si troublée qu’elle n’avait même pas pu finir de répondre à la salutation sans se mordre la langue. Elle porta une main à sa bouche, grimaçant de douleur alors que des larmes se formaient dans ses yeux.

« Vas-tu bien !? » demanda Mitsuki.

« O-Oui, je vais bien ! » répondit Félicia. « Mais plus important encore, est-ce que tout va bien pour toi, Grande Sœur !? »

Mitsuki avait eu l’air confuse. « Moi ? Je me sens très bien. Pourquoi ? »

« Non, ce que je veux dire c’est… » Félicia lutta pour trouver les bons mots. « La nuit dernière, mon plus grand souhait a été exaucé. C’était merveilleux pour moi, mais, hum… Je m’inquiétais que ça n’ait pas été le cas pour toi. »

Hier soir, Félicia avait agi avec audace, poussée par ses émotions sur le moment. Mais maintenant que c’était un nouveau jour et que son esprit s’était un peu calmé, l’anxiété de ce qu’elle avait fait revenait.

Il y avait peut-être encore des conséquences qui l’attendent. Son cœur battait la chamade alors qu’elle attendait la réponse de Mitsuki, se sentant comme un prisonnier attendant sa sentence finale.

« U-Um, eh bien, » dit Mitsuki, hésitant au début. « Eh bien, oui, il y a une partie de moi qui ne se sentait pas vraiment bien à ce sujet. Mais je t’aime, Félicia, et je voulais que tu sois heureuse. Et je savais que Yuu-kun est celui qui te rendra heureuse. Donc, je me suis dit, c’est comme ça que ça doit être, tu vois ? Ahaha. »

Félicia avait senti un serrement dans sa poitrine. Elle avait laissé sa jalousie mesquine la ronger de l’intérieur, alors que Mitsuki avait été prête à se soucier autant d’elle malgré cela.

Ce n’était pas étonnant qu’elle ne puisse jamais vaincre une femme comme ça.

Félicia était remplie d’admiration pour la bienveillance de Mitsuki, sa grandeur d’âme. Elle se leva du lit et s’agenouilla sur place, posa ses mains sur le sol devant elle et se prosterna.

Elle avait déjà juré corps, cœur et âme à Yuuto, lorsqu’elle avait prêté le serment du Calice avec lui.

Mais elle avait fait un autre serment ferme dans son cœur en ce moment : elle se dévouerait entièrement à Mitsuki, la servant avec amour et loyauté.

« Merci beaucoup », avait-elle juré. « Grande sœur Mitsuki, je t’aime aussi ! »

☆☆☆

Le messager du Clan de la Foudre était arrivé. « Monsieur, nous avons reçu des rapports indiquant que le Fort Tamanos à l’est et le Fort Limös à l’ouest sont tombés aux mains du Clan de la Flamme ! On estime que l’ennemi a attaqué les deux sites avec dix mille hommes chacun ! »

« C’est impossible ! » Le second adjoint du Clan de la Foudre, Þjálfi, avait répliqué en criant. « Ils sont déjà trente mille à nous encercler ici, à Fort Waganea ! Même ça, c’est absurde, et maintenant vous dites qu’ils en ont vingt mille de plus ? ! » Il passa ses doigts sauvagement dans ses cheveux. « Comment est-il possible qu’il mobilise un nombre aussi ridicule de troupes ? ! »

En tant que bras droit des Steinþórr, Þjálfi était celui qui devait toujours s’occuper personnellement de l’attitude désinvolte de son patriarche et des difficultés sans fin qu’elle causait. Ce travail constant l’avait amené à ne pas sourciller face à ce que les gens normaux auraient trouvé stressant. Mais maintenant, il crachait ses mots, incapable de cacher sa panique et son irritation.

Bien sûr, c’était naturel. La politique de Steinþórr était toujours : « Qui se soucie des détails ? » Et donc, Þjálfi était celui qui établissait les règles et maintenait l’ordre dans l’armée du Clan de la Foudre, développait ses plans et stratégies militaires, et donnait des instructions détaillées aux généraux. Bien que Steinþórr ait mené la charge, c’est Þjálfi qui dirigeait l’armée.

De ce fait, il savait à quel point il serait extrêmement difficile de mobiliser et de transporter une armée de cinquante mille hommes.

« Où trouvent-ils la nourriture dont ils ont besoin pour autant de personnes ? », avait-il crié.

La rivière Körmt bordait le Clan de la Foudre au nord, et ils bénéficiaient donc de certains de ses avantages. Mais même dans ce cas, ils ne pouvaient produire assez pour soutenir une armée de huit mille personnes.

Le clan de l’Acier avait absorbé le Clan de la Panthère et la vaste étendue du territoire occidental qu’il contrôlait, mais même eux ne devraient pas être en mesure de fournir vingt mille hommes.

En plus de cela, la plupart des terres entre le Clan de la Foudre et le Clan de la Flamme étaient des terres désolées et arides. Il ne devrait pas être possible de rassembler des provisions sur le terrain.

« Et puis il y a les soldats eux-mêmes », poursuit Þjálfi. « Ce ne sont pas des paysans pressés de servir, ce sont tous des soldats de carrière bien entraînés. Cela n’a aucun sens… »

Deux batailles contre le Clan de la Flamme avaient suffi à Þjálfi pour jauger leurs compétences, et franchement, cela l’avait laissé pantois.

Lors d’une précédente guerre avec le Clan du Loup, il avait été impressionné par la discipline et le contrôle des forces de Yuuto. Mais cette armée les surpassait même.

Bien sûr, le Clan de la Foudre avait réussi à repousser deux attaques de ces soldats, mais c’était entièrement grâce à leur invincible guerrier et héros, Steinþórr.

« Je… Honnêtement, je ne sais pas ce que nous devons faire ! » Frustré, Þjálfi s’était mordu la lèvre inférieure.

Il y avait trois armées ennemies maintenant : Centre, Est, et Ouest. Et chacune d’entre elles était trop puissante pour être affrontée à moins que Steinþórr ne soit en tête sur le terrain.

Pendant ce temps, il n’y avait qu’un seul Steinþórr. Quelle que soit l’armée ennemie qu’ils choisiraient d’envoyer à sa poursuite, les deux autres se déplaceraient plus loin et ravageraient les terres du Clan de la Foudre.

Et puis il y avait le fait qu’ils venaient à peine d’apprendre que le Clan de l’Acier était en mouvement. Honnêtement, il avait l’impression qu’il n’y avait plus rien à faire.

« A-Assistant en Second ! » Un autre messager était entré en courant dans la pièce. « Un envoyé du Clan de la Flamme est arrivé ! »

Le sourcil de Þjálfi s’était froncé. « … Faites-le entrer, » grogna-t-il à voix basse.

Après un moment, l’envoyé était apparu. C’était un vieil homme frêle, aux cheveux blancs et au dos courbé, qui semblait avoir au moins soixante ans.

Les premiers mots qui sortirent de la bouche du vieil homme furent : « Je suis venu avec une offre pour les termes de votre reddition. »

« Tch. » Þjálfi avait claqué sa langue avec amertume.

C’était un acte d’irrespect si effronté. C’était humiliant, et il ressentait l’envie de courir et de couper la tête de l’envoyé sur le champ, mais il se retint, déterminé à laisser au moins le vieil homme finir sa déclaration avant d’agir.

Selon les conditions proposées, il était potentiellement prêt à les accepter. C’est à ce point que le Clan de la Foudre était acculé dans un coin en ce moment.

Au minimum, ils ne pouvaient pas éviter de donner une bonne quantité de terres à ce stade. Prêter le serment du Calice de Frère serait également sur la table.

Steinþórr s’opposerait sûrement à devenir le jeune frère juré de quelqu’un, mais Þjálfi pensait que si on en arrivait là, la meilleure chose pour le clan serait de le convaincre d’accepter pour le moment, et de se concentrer ensuite sur la reconstruction de leur force nationale.

« Mon maître et patriarche a été profondément ému par la force et la valeur du Seigneur Steinþórr, et souhaite l’avoir comme enfant juré, » dit l’envoyé.

« Comme son enfant ? ! » Þjálfi sentait les veines sortir de sa tempe.

Faire le vœu de devenir l’enfant subordonné d’un autre n’était pas différent d’accepter de devenir son esclave.

Dans Yggdrasil, la parole d’un parent assermenté était absolue. Un enfant devait obéir à tout ordre de son parent assermenté, quel qu’il soit.

Si votre parent assermenté vous ordonnait de mourir, on attendait de vous que vous mettiez fin à vos jours.

Accepter de devenir un jeune frère ou une jeune sœur sous serment était une chose, mais prêter le serment d’un enfant sous serment était une condition absolument inacceptable.

Le vieil homme hocha la tête. « Oui, comme son enfant juré. Et si vous acceptez, mon seigneur patriarche promet que le Seigneur Steinþórr aura l’honneur de devenir un des hauts officiers du Clan de la Flamme, et… »

Avant que l’envoyé ne puisse en dire plus, il avait été interrompu par un éclat de rire sauvage.

« Heh ! Heh heh ! AHAHAHAHA !!! » Le rire se répercutait dans l’air, remplissant la pièce.

Il provenait d’un jeune homme aux cheveux roux, allongé paresseusement sur le trône au centre de la pièce. Lorsqu’il avait fini de rire, il s’était lentement relevé. « Je dois dire que c’est une première dans ma vie. Personne ne m’a jamais traité comme ça avant. »

Steinþórr s’était approché de l’envoyé du Clan de la Flamme, s’était arrêté, puis il avait levé un pied.

BAM ! Avec un bruit semblable à un coup de tonnerre, le pied de Steinþórr s’écrasa sur le sol en briques dures avec une telle force qu’une toile de fissures en sortit en cercles concentriques.

Le vieil homme avait été chargé de venir jusqu’au cœur de la terre ennemie pour délivrer son message, il devait donc nécessairement avoir la tête froide. Mais cette frayeur soudaine était trop forte pour lui, il s’était laissé tomber au sol comme une pierre, atterrissant sur son derrière.

« Ha ! Est-ce qu’il pense que c’est tout ce qu’il faut pour s’occuper de moi ? » Steinþórr hurla. « Pense-t-il qu’il m’a capturé ? Il peut aller de l’avant et laisser ses soldats faire ce qu’ils veulent sur mes terres. Mais peu importe les dégâts qu’ils font, et peu importe le temps que cela prendra, je vais les traquer jusqu’au dernier et leur arracher cette satanée gorge ! »

L’air autour de lui s’était gonflé alors que son esprit de combat avait jailli de lui, une énergie qui avait submergé tout le monde dans la pièce.

C’était une déclaration appropriée de la part de l’homme connu sous le nom de Tigre assoiffé de combats.

Le vieil envoyé leva les yeux vers Steinþórr, tremblant de peur, ses dents claquant. Steinþórr le regarda de haut en bas avec un visage de bête affamée et sauvage. Il se pencha vers lui et continua.

« Retourne voir le patriarche du Clan de la Flamme et dis-lui ceci : Je me fiche du nombre de chiens que tu as à tes trousses. Je suis le Tigre de Vanaheimr, et tu ne me dompteras jamais ! »

Et avec ça, les négociations étaient terminées.

Lorsque l’envoyé était revenu au Clan de la Flamme, et qu’un messager ait relayé ces événements au patriarche, celui-ci avait répondu ainsi :

« Est-ce ainsi ? Alors, on ne peut rien y faire. Il en est ainsi. »

***

Chapitre 5 : Acte 5

Partie 1

« Urrghh… »

Le souverain du Clan de l’Acier, le réginarque Suoh-Yuuto, était vénéré. Ses compétences en matière de commandement d’une armée sur le champ de bataille étaient si grandes qu’on disait de lui qu’il était un dieu de la guerre réincarné. Sur le plan intérieur, il avait adopté de nombreuses politiques novatrices qui faisaient de lui un génie bien plus sage que tout autre.

Il avait gagné sa première bataille dans le Clan du Loup, concrétisant ainsi la légende selon laquelle il était le Gleipsieg, « l’enfant de la victoire ». Et depuis lors, son palmarès s’était poursuivi. Il avait combattu ennemis après ennemi, menant son peuple à travers de nombreuses crises.

Pourtant, maintenant, cette légende vivante était assise à son bureau, gémissant, profondément troublé.

« Il n’y a pas d’autre façon de voir les choses. Je l’ai trompée… » Yuuto s’était assis, les coudes sur le bureau, les mains jointes, le front posé sur celles-ci. Il regardait vers le bas en soupirant.

Il avait déjà mis sa fiancée enceinte, et leur cérémonie de mariage était toute proche, et pourtant il était allé jusqu’à avoir des relations avec une autre femme. En tant qu’adulte, et en tant qu’homme, comment cela pouvait-il être pardonné ?

Au moins, jusqu’aux événements de la nuit précédente, si vous aviez posé cette question à Yuuto, sa réponse aurait été immédiate et claire : il avait le devoir de traiter sa fiancée comme la chose la plus précieuse de sa vie. La tromper avec une autre femme était méprisable, et totalement hors de question.

Cependant, cette question n’était pas si simple.

La personne qui l’avait poussé à tricher était sa fiancée, Mitsuki elle-même.

Ça n’avait aucun sens pour lui.

« Grand Frère ? » Une voix familière était parvenue aux oreilles de Yuuto, une voix remplie de tristesse. Cela l’avait fait revenir à la raison, et il leva la tête.

Félicia était là, à côté de lui, semblant sur le point de pleurer. « Grand Frère, regrettes-tu ce qui s’est passé hier soir ? Je… c’est parce que je n’ai pas pu retenir mes sentiments, et que j’ai agi de façon si égoïste… »

« Non ! Non, ce n’est pas ta faute ! » Yuuto cria précipitamment.

En fait, ce n’était pas du tout la faute de Félicia.

Si quelqu’un avait été l’instigateur, c’était Mitsuki. Bien que même elle n’ait rien fait de plus que de faire le premier pas.

Bien qu’il ait été poussé dans cette situation par les deux filles, il avait finalement fait l’amour avec Félicia de son plein gré.

Et il était conscient qu’au fond de lui, une partie de lui était vraiment heureuse d’avoir enfin pu être avec elle de cette façon.

Cela n’avait fait qu’amplifier son dégoût de soi.

« Puis-je vraiment aller de l’avant et me marier comme ça ? » Yuuto se lamenta. « Est-ce que je le mérite ? »

Il avait entendu parler de la frilosité, mais ce terme ne pouvait pas vraiment décrire les sentiments complexes qu’il éprouvait maintenant.

Ce que Mitsuki lui avait dit ce soir-là n’avait pas rendu les choses plus simples pour lui.

« Ah, désolée, Yuu-kun, » Mitsuki l’avait interrompu. « Je vais dormir avec Félicia dans sa chambre ce soir. »

« Hein ? »

« C’est une soirée pyjama réservée aux filles. Pas de garçons autorisés, et ça veut dire pas d’écoute non plus, compris ? »

Alors que Mitsuki sortait de leur chambre en fredonnant un petit air pour elle-même, Yuuto leva les mains et cria « Est-ce moi ? ! Est-ce moi qui suis fou ici !? »

Ses doutes et sa confusion n’avaient fait que s’accentuer.

 

☆☆☆

Quand Mitsuki était retournée voir Yuuto le lendemain matin, ce furent les premiers mots qui sortirent de sa bouche : « Alors, veux-tu savoir de quoi Félicia et moi avons parlé la nuit dernière ? Désolée, c’est un secret. Pas vrai, Félicia ? »

Elle semblait satisfaite d’elle-même.

Et parce qu’elle lui parlait en japonais, il remarqua qu’elle avait maintenant cessé d’utiliser — san avec le nom de Félicia. C’était quelque chose qu’elle ne faisait pas, même lorsqu’elle parlait de Ruri, son amie la plus proche au Japon. À quel point était-elle devenue intime avec Félicia en une seule nuit ?

Quant à Yuuto, toute la nuit, il n’avait cessé de réfléchir et n’avait pratiquement pas dormi. Les voir agir de manière si heureuse et si proche l’avait franchement irrité.

Bien sûr, il savait que le fait qu’elles s’entendent bien était une bonne chose. Mais pour une raison inconnue, ça le dérangeait toujours.

« Je m’excuse, Grand Frère », déclara Félicia. « Mais comme elle l’a dit, c’est un secret que je ne peux pas révéler, même à toi. » Elle posa une main sur sa poitrine, rougissant un peu.

Cela venait de Félicia, la fille qui avait juré une fidélité absolue à Yuuto. Il ne pouvait s’empêcher d’être curieux de savoir de quoi elles avaient pu parler.

« Oh, mais laisse-moi cependant te dire une chose, » ajouta Mitsuki.

« Oh ? ! » Yuuto ne prit pas la peine de cacher sa curiosité.

« Essaie de ne pas agir si maladroitement avec Félicia, d’accord ? Elle est en fait assez affectée par ça. »

« G-Grande Soeur, tu n’as pas à… » Félicia avait tâtonné.

Mitsuki leva un de ses doigts. « Non, c’est quelque chose qui doit être dit. Tu es avec lui toute la journée au travail, après tout. »

Yuuto devait admettre qu’elle avait tout à fait raison de soulever cette question.

Après ce qui s’était passé entre lui et Félicia, le lendemain au travail, il avait été pratiquement incapable de lui parler. Même quand il essayait de le faire, il était raide et distant, complètement différent de la façon dont les choses étaient normalement.

Il était le seigneur du grand clan de l’acier, et elle était son adjointe. La relation entre eux au travail était primordiale.

Il ne pouvait pas dire qu’ils aient fait quoi que ce soit qui ressemblerait à un bon progrès au travail hier.

Amener des affaires privées au bureau et les laisser interférer avec ses fonctions ne ferait que causer des problèmes à tout le monde. Il devait faire tout ce qu’il pouvait pour éviter cela.

« Très bien », a dit Yuuto. « Je vais essayer de faire mieux. »

« Félicia est le genre de fille qui sourit en public et pleure en privé, donc tu dois faire plus attention à ses besoins, d’accord ? » ajouta Mitsuki.

« Grande Sœur, s’il te plaît, laisse-le là pour le moment », plaida Félicia. « En faire plus ne ferait qu’ennuyer Grand Frère. »

Elle semblait un peu inquiète pour Yuuto.

Et, en fait, Yuuto était assez troublé en ce moment.

Sa fiancée venait de lui dire qu’il devait accorder plus d’attention à une autre femme. Comment était-il censé répondre à ça ?

« Oh ! » Mitsuki ajouta. « N’est-il pas temps pour vous deux d’y aller ? »

« Oui, tu as raison », déclara Félicia. « Alors, Grande Sœur, je vais emprunter le Grand Frère pour la journée. »

« Bien sûr, je compte sur toi pour prendre soin de lui ! »

« Bien sûr. Il est entre de bonnes mains. »

« Content de voir que tu es si douée pour le partage », dit Yuuto avec un soupir de lassitude.

« Bien sûr qu’on l’est. Nous sommes sœurs, après tout. »

« Oui. »

Les deux filles s’étaient souri gentiment. Yuuto se sentait étrangement exclu.

C’était encore tôt le matin, mais pour une raison inconnue, il se sentait déjà épuisé.

 

☆☆☆

Au fil de la journée, Yuuto n’arrivait toujours pas à se défaire de son inquiétude. Après avoir envoyé Félicia faire une course qui allait prendre du temps, il s’était rendu seul dans la chambre de Jörgen pour lui demander conseil.

Jörgen n’était pas vraiment empathique avec lui.

« Hm. Et quel est le problème exactement ? »

Jörgen avait plusieurs épouses, et était assez pointu en matière de relations interpersonnelles. Yuuto avait espéré que lui, plus que quiconque serait en mesure de donner de bons conseils pour résoudre le problème, mais la réponse de Jörgen avait été de se demander s’il y avait un problème en premier lieu.

« Les deux femmes s’entendent à merveille », dit l’homme. « C’est une chose merveilleuse, n’est-ce pas ? Moi, j’ai toujours du mal à faire en sorte que mes femmes soient heureuses avec moi et entre elles. Je vous envie beaucoup. »

« Oui, elles s’entendent trop bien, et c’est ce qui me fait peur », répondit Yuuto. Et ce n’est qu’une fois les mots sortis de sa bouche qu’il réalisa ce qu’il ressentait.

C’est ce qui était au cœur de son anxiété.

Comme Jörgen l’avait dit, la situation actuelle était idéale pour Yuuto. En fait, c’était bien trop pratique pour lui. Yuuto avait l’habitude de se battre, et il ne pouvait donc pas s’empêcher de penser qu’il y avait une sorte de piège, une énorme embûche qui l’attendait juste au coin de la rue.

« Attends ! » avait-il crié. « Se pourrait-il qu’en vérité, Mitsuki ne m’aime pas tant que ça ? ! »

Normalement, si vous voyez la personne que vous aimez s’entendre avec un autre partenaire, vous êtes jaloux.

Yuuto, au moins, pensait que c’était normal.

À l’époque où il se débattait avec le choix de rester dans le monde moderne ou de retourner à Yggdrasil, il avait imaginé la possibilité de rompre avec Mitsuki… et la simple pensée qu’elle aime un autre homme l’avait bouleversé.

Et pourtant, après ce qu’il avait fait, Mitsuki ne ressentait-elle vraiment rien de tel ?

« Pff ! Ha ha ! » Soudain, Jörgen éclata de rire.

Yuuto lui lança un regard furieux. Il était en train de partager ses graves problèmes, et Jörgen se moquait de lui.

« Qu’est-ce qui est si drôle ? »

« Ah, Père, pardonnez mon impolitesse. Je n’ai pu m’empêcher de rire en voyant que la personne aimée est souvent la moins apte à s’en rendre compte. »

« Excuse-moi ? »

« En commençant par le projet de Mère de construire une rizière, j’ai eu de nombreuses occasions de parler avec elle. Je peux dire avec certitude que vous êtes toujours au centre de ses pensées, Père. »

« V-vraiment ? »

Jörgen croisa les bras et hocha la tête à plusieurs reprises. « Oui. Chaque fois qu’elle lançait un projet ou prenait une décision, il semblerait que ce soit toujours en pensant à vous, et chaque fois que nous conversions tous les deux, elle était toujours beaucoup plus excitée de parler de vous que de tout autre sujet. »

Yuuto n’avait pas eu l’impression qu’il mentait.

Le problème avec Félicia avait rendu Yuuto si confus qu’il avait commencé à douter de tout. Mais en y repensant maintenant, Mitsuki l’avait toujours traité comme quelqu’un qu’elle aimait. Et même ce matin, elle l’avait vu partir au travail avec un large sourire joyeux.

Il ne pensait pas qu’il y avait une raison de douter de l’authenticité de ce sourire.

« Eh bien », poursuivit Jörgen, « si vous trouvez toujours votre cœur troublé par la façon dont les choses se passent, alors vous devriez en parler avec elle. C’est ce que font un mari et une femme, non ? »

« Oui, je crois que c’est la seule chose que je puisse faire. » Yuuto acquiesça. Il décida que, pour l’instant, il devait aller de l’avant et se fier aux conseils de quelqu’un ayant plus d’expérience de la vie.

***

Partie 2

Dès que Yuuto était rentré dans sa chambre après avoir terminé son travail, il n’avait pas perdu de temps pour aller droit au but. « Mitsuki, je suis de retour ! D’accord, j’ai besoin que tu répondes honnêtement à quelque chose pour moi ! »

Au cours des deux derniers jours, ses inquiétudes à ce sujet lui avaient fait perdre la tête et il avait eu du mal à travailler.

Et si le travail de bureau de Yuuto en tant que patriarche souffrait, alors l’administration du Clan de l’Acier serait retardée. Et le résultat de cela serait des problèmes pour un grand nombre de personnes.

Ce problème devait être résolu dès que cela était humainement possible.

« D’accord ? Qu’est-ce que tu as, tout d’un coup ? » Mitsuki leva les yeux vers Yuuto avec confusion.

Elle tenait une tablette informatique, elle devait donc être en train de lire un livre numérique.

À grandes enjambées, Yuuto se dirigea vers Mitsuki et la regarda droit dans les yeux, le visage sérieux.

« Y a-t-il quelque chose que tu as refoulé, quelque chose qui te contrarie ? Si c’est le cas, je veux que tu me le dises. »

« Hein ? Euh, non, pas spécialement. Hmm… si je devais trouver quelque chose, peut-être… J’ai vraiment envie de manger des prunes marinées. Dernièrement, j’ai eu une envie intense d’en manger, mais bien sûr, nous n’en avons pas… »

Mitsuki gloussa en disant cela, puis elle déglutit, comme si le fait de s’en souvenir lui avait mis l’eau à la bouche.

Yuuto soupira. Il semblait qu’il n’arriverait à rien en lui posant des questions indirectes.

« Non, ce n’est pas ce que je veux dire. Écoute, je parle de toute l’affaire avec Félicia. Es-tu vraiment d’accord avec ça ? »

« Ohh, donc c’est de ça qu’il s’agit. » Mitsuki avait souri d’un air entendu. « Bien sûr, je pense que normalement, je serais soit super jalouse d’elle, soit j’essaierais plutôt de garder mes distances pour ne pas avoir à penser à elle. »

« C’est vrai, ouais. Mais au contraire, tu t’entends si bien avec elle, et ça n’a aucun sens pour moi. »

« Ouais, je ne comprends pas vraiment non plus. » Mitsuki haussa les épaules.

« Ok, sérieusement ? ! »

Mitsuki n’avait pas pu s’empêcher de rire de la réaction dramatique de Yuuto. « Ahaha ! Je veux dire, ce n’est pas comme si je n’avais aucun sentiment négatif à ce sujet, tu sais ? J’aimerais bien t’avoir pour moi toute seule, Yuu-kun. »

« … Bien. » Yuuto acquiesça. Intérieurement, il était soulagé.

Si Mitsuki lui avait dit qu’elle n’était pas du tout jalouse, qu’elle ne voulait pas du tout l’avoir pour elle toute seule, alors cela voudrait dire qu’elle ne l’aimait pas vraiment.

« Mais… il y a quelque chose chez Félicia, » dit Mitsuki. « Il y a ce sentiment, comme si je la connaissais depuis très, très longtemps. C’est peut-être la raison. Si je voyais l’une des servantes ou des fonctionnaires essayer de flirter avec toi, ça m’énerverait, mais avec elle, pour une raison inconnue, je peux être d’accord avec ça. »

« Hein. Quoi, comme une sorte de sentiment de déjà-vu ? »

« Je suppose que oui ? Quelque chose comme ça. Et ce n’est pas seulement avec Félicia. Sigrún, et Ingrid, et Linéa aussi. Quand je pense à elles, il y a ce sentiment étrangement nostalgique. Les voir être amicales et proches de toi ne me rend pas si jalouse que ça. »

« Un sentiment de nostalgie… » Alors que Yuuto répétait les mots de Mitsuki, un souvenir avait fait surface. C’était la fille qui partageait son visage, Rífa. Ou plutôt, la þjóðann Sigrdrífa, divine impératrice du Saint Empire d’Ásgarðr.

Toutes les filles que Mitsuki venait de nommer avaient quelque chose en commun : elles avaient toutes partagé une table avec Rífa un soir, en s’amusant autour de la chaleur d’un hotpot.

Ce n’était qu’une nuit parmi tant d’autres, mais Rífa avait dit à Yuuto que c’était le souvenir le plus précieux de toute sa vie.

Si précieux, en fait, qu’elle avait été émue aux larmes rien qu’en s’en souvenant.

« Tu sais, peut-être que Rífa est ton incarnation passée, ou quelque chose comme ça », déclara Yuuto.

« Oh, comme une vie antérieure ? En fait, j’ai aussi un peu eu ce sentiment. J’ai toujours eu l’impression que nous étions connectées, pas seulement deux étrangères qui se ressemblent. Mais dernièrement, je n’ai pas pu la contacter du tout, et ça m’inquiète vraiment. » Mitsuki baissa les yeux, alors que son expression s’était assombrie.

Il y avait une sorte de connexion mystique entre Mitsuki et Rífa, et grâce à cela, les deux pouvaient se contacter dans leurs rêves.

Cela avait fini par être le catalyseur du processus qui avait ramené Yuuto à Yggdrasil.

Cependant, depuis le rituel d’invocation qui l’avait ramené, Mitsuki avait été incapable de visiter les rêves de Rífa.

« Il semble au moins qu’elle soit toujours en vie, » lui dit Yuuto. « Nous n’avons pas reçu d’avis officiel annonçant la fin de son règne. J’ai également envoyé les Vindálfs dans la capitale impériale, et ils disent que plus d’une personne a obtenu une audience avec elle, et a même entendu sa voix. »

Les Vindálfs, dont le nom signifie « bande d’elfes du vent », étaient une organisation d’espions déguisés en artistes itinérants.

Yuuto recevait régulièrement des rapports des agents de Vindálfs, il était donc presque certain que Rífa était toujours en vie.

Yuuto avait fait de son mieux pour paraître confiant alors qu’il rassurait Mitsuki. « Je suis sûr qu’elle s’est juste rendue malade en utilisant trop de son ásmegin. Elle va revenir dans tes rêves d’une nuit à l’autre. » Il essayait aussi de se rassurer lui-même.

Mitsuki l’avait probablement senti, et elle avait donc répondu avec un sourire brillant et énergique.

« Oui, tu as raison. J’espère qu’elle va mieux maintenant. »

 

☆☆☆

Le lendemain, pendant une pause momentanée dans le travail, Yuuto raconta à Félicia ce dont il avait discuté avec Mitsuki la nuit précédente.

Après qu’il l’ait fait, elle hocha la tête et déclara : « Oh, maintenant que tu le dis, elle m’en a parlé quand nous étions ensemble avant-hier soir. »

Yuuto était toujours un peu gêné avec Félicia, mais maintenant il était au point de pouvoir lui parler normalement à nouveau.

Il ne pouvait s’empêcher de penser qu’il était assez effronté pour pouvoir considérer cela comme normal aussi rapidement.

« J’avais aussi les mêmes doutes », poursuivit Félicia, « pensant que Grande Sœur Mitsuki était bien trop gentille à mon égard, et je lui ai donc posé moi-même la question. Elle m’a dit à peu près la même chose que ce qu’elle t’a dit. »

Dans Yggdrasil, il était considéré comme moralement acceptable pour un homme d’avoir plusieurs épouses ou maîtresses, tant qu’il était de bonne moralité et capable de subvenir à leurs besoins. Les gens d’ici acceptaient cela comme une chose parfaitement naturelle.

Félicia était née et avait grandi dans ce monde, et donc son sens du bien et du mal dans ce domaine était complètement différent de celui de Yuuto.

Mais même pour Félicia, il avait été un peu étrange que Mitsuki ne semble pas agir avec jalousie.

« Il se pourrait bien que ton hypothèse soit correcte et qu’elle soit la réincarnation de Lady Rífa », poursuit Félicia.

Yuuto hocha la tête. « Oui, même si je n’ai jamais vraiment été un grand croyant dans ce genre de choses. Mais dans cette situation… »

Ça ne pouvait pas être une simple ressemblance fortuite. Elles étaient bien trop identiques pour cela. Même Yuuto, qui connaissait Mitsuki depuis qu’ils étaient enfants, n’aurait pas été capable de les distinguer si ce n’était pour la différence de couleur de leurs cheveux et de leurs yeux.

Le fait qu’elles soient toutes deux des Einherjars à runes jumelles était un autre point commun étrange. Une rune était déjà rare à Yggdrasil — une personne sur dix mille — et les runes jumelles étaient si rares qu’il n’y avait soi-disant que deux personnes dans tout le royaume qui en possédaient : Rífa, et Steinþórr.

Et puis il y avait leur capacité à se rendre visite dans les rêves. Cela rappelait beaucoup le pouvoir de l’effet « miroirs jumelés », qui permettait la communication entre Yggdrasil et l’ère moderne.

Il devait y avoir quelque chose d’important reliant les deux filles.

« Mais si c’est le cas, alors je dois dire que c’est absolument merveilleux ! » s’exclama Félicia.

« Hein ? Merveilleux ? » Yuuto répéta. Il ne comprenait pas ce qu’elle voulait dire.

Félicia regardait rêveusement dans le vide, les yeux pétillants. « Pourquoi, penses-y ! Après être tombée amoureuse de quelqu’un d’un autre monde, dans sa vie suivante, elle est renée à ses côtés pour pouvoir être avec lui, et elle a enfin pu réaliser ce souhait ! Oh, c’est une telle romance épique ! »

« Euhh… tu sais, quand tu le dis comme ça, ça semble moins réel », avait admis Yuuto.

Pour Yuuto, Mitsuki était quelqu’un qu’il avait toujours connu, son amie d’enfance.

Embellir leur relation par un drama ne leur convenait pas. Ils avaient toujours été ensemble, et leur amour avait grandi à partir de là.

« Mais Grand Frère, c’est vrai que l’amour de Grande Soeur pour toi est si profond. »

« C’est vrai, hein ? » demanda Yuuto en se grattant l’arrière de sa tête. Ces jours-ci, il avait vraiment du mal à être confiant à ce sujet.

« Sans l’ombre d’un doute. J’ai l’impression de la comprendre beaucoup mieux après avoir tant parlé avec elle avant-hier soir. Tu peux me faire confiance ! »

« Ok, mais je veux dire, je la connais depuis plus longtemps que je ne peux m’en souvenir, donc… »

« Tee hee ! » Félicia gloussa. « Tu sais, on dit souvent que les amoureux peuvent être le plus enfoncés dans les ténèbres quand il s’agit de l’autre. »

Yuuto poussa un long soupir. « Oui. En fait, Jörgen m’a dit quelque chose de très similaire l’autre jour. »

Yuuto ne comprenait toujours pas tout, mais au moins, d’autres personnes étaient assez certaines que l’amour de Mitsuki pour lui était réel.

Peut-être que c’était quelque chose dont il ne devait pas être trop anxieux.

Yuuto avait beaucoup d’autres choses à faire en ce moment, il ne pouvait pas non plus se permettre de passer du temps à y penser.

Et donc il s’était remis au travail. Alors qu’il se concentrait sur ses tâches, les jours passaient vite… et avant qu’il n’ait eu le temps de faire le point sur ses sentiments, le matin de son mariage arriva.

***

Partie 3

« Père », appela Jörgen. « Il est temps… »

« Exact. » Quand Yuuto s’était retourné, son manteau avait capté l’air. C’était de la fourrure, faite à partir de la peau d’un garmr.

Sur sa poitrine, l’emblème du clan de l’acier — deux épées japonaises croisées, cousues dans le tissu avec du fil d’or.

Sur ses bras, il portait des gantelets de fer noir qui scintillaient à la lumière, et sur sa tête, il portait une couronne d’or. Son apparence était digne du seigneur de la troisième nation la plus puissante d’Yggdrasil.

« Vous êtes splendide, Père. » Jörgen s’était un peu étouffé, et s’essuya les yeux d’un bras. « Vous êtes vraiment devenu un grand homme. Je suis sûr que notre prédécesseur vous regarde avec joie depuis son siège au Valhalla. »

Jörgen avait parlé de Fárbauti, le patriarche du Clan du Loup avant Yuuto, et la seule personne que Yuuto n’ait jamais accepté comme son parent juré par le Serment du Calice.

Pendant les premiers jours de Yuuto à Yggdrasil, alors que les autres se moquaient de lui et l’appelaient Sköll, le Dévoreur de Bénédictions, Fárbauti avait tant fait pour lui. Tantôt en le sermonnant durement, tantôt en l’encourageant chaleureusement ou en lui donnant de sages conseils, le vieux patriarche avait toujours contribué à le guider vers ce qui était juste.

Yuuto leva les yeux vers le vide et murmura : « Je ne peux que l’espérer », aussi solennellement que s’il parlait devant une tombe.

Fárbauti avait été terrassé par une lame destinée à Yuuto. Son père juré était mort en le protégeant.

À l’époque, si Yuuto avait mieux compris les sentiments des autres, les choses auraient pu se passer différemment. Peut-être que le vieil homme aurait pu être là aujourd’hui, à assister à ce mariage.

Cette pensée lui faisait un peu mal à la poitrine.

Jörgen reprit la parole. « Père, le temps aujourd’hui est ensoleillé et clair, sans un seul nuage dans le ciel. Les dieux qui gouvernent les cieux ont choisi de bénir ce jour spécial. »

Yuuto hocha la tête. « Je vois. Je suis vraiment content d’entendre ça. »

Tant de personnes avaient travaillé dur, sacrifiant leurs jours et leurs nuits, pour mener à bien les préparatifs de cette cérémonie.

Personne ne serait heureux qu’une tempête surprise vienne gâcher tout ce temps et ces efforts.

Et Yuuto savait aussi que le chemin qu’il allait parcourir à partir de maintenant serait loin d’être ensoleillé. De terribles tempêtes l’attendaient déjà dans un avenir proche.

Ainsi, en ce jour qui marquait le début d’un nouveau chapitre de sa propre vie, il était heureux que le temps soit ensoleillé et clair. Il voulait quelque chose qui lui fasse croire qu’une partie de son avenir était radieuse.

Jörgen éleva la voix, et cria : « Faites place ! Faites place au réginarque du Clan de l’Acier, le seigneur Suoh-Yuuto ! »

La route menant de la porte du palais à la tour sacrée de Hliðskjálf était bordée de part et d’autre par des soldats dont les lances étaient orientées de manière à se croiser et à bloquer le chemin.

Dès que Yuuto était apparu à l’entrée du palais, ils avaient commencé à retirer leurs lances, les repositionnant pour qu’elles pointent droit vers le haut. Il y eut une cascade de sons, le shing ! des pointes de lances en métal, et le clack ! lorsque les pointes de lances frappèrent le sol, deux par deux. En un rien de temps, le chemin avait été dégagé.

Yuuto n’avait pas réagi avec surprise ou hésitation. Il s’était avancé, le visage empreint d’une autorité sans faille.

Comme Yuuto se déplaçait sur le chemin, le shing ! métallique des lances croisées avait commencé à résonner à nouveau.

Deux par deux, les paires de lances s’étaient croisées derrière lui, fermant le chemin une fois de plus.

Aujourd’hui, seul Yuuto était autorisé à emprunter cette route.

Yuuto arriva bientôt à la tour, où les escaliers étaient eux aussi bordés des deux côtés par ses fidèles soldats.

Il monta l’escalier lentement, pas à pas, comme si chaque pas avait une grande importance.

Il atteignit le sommet de la tour et pénétra dans sa salle rituelle et son sanctuaire, le hörgr. C’était une grande chambre de la taille d’un gymnase d’école japonaise moderne. Il y avait environ une centaine de personnes assises à l’intérieur, qui l’attendaient.

« Ha ha… maintenant, c’est un vrai spectacle », murmura Yuuto dans son souffle.

Directement à sa droite était assis le quatrième officier du Clan du Loup, David, et à côté de lui se trouvait Sveigðir, fils de feu Olof, et nouvellement nommé chef de la famille Olof.

Sur le côté gauche se trouvait l’assistant du commandant en second du Clan de la Corne, Haugspori, et assis à côté de lui, l’ancien commandant en second Rasmus.

Ils étaient tous des personnages importants dans leurs clans respectifs, et les personnes assises autour d’eux avaient également un rang ou un statut significatif. C’était un véritable rassemblement de VIPs.

Et qui plus est, ces personnes étaient les plus éloignées de l’autel de cérémonie, assises au fond de la salle. Pendant une seconde, Yuuto s’était surpris à penser que c’était fou que les choses en soient arrivées là.

Il descendit l’allée entre les personnes assises et arriva devant l’autel. Félicia l’attendait, en tant que prêtresse chargée de diriger les prières cérémonielles.

Au lieu d’une de ses tenues habituelles, plus révélatrices, Félicia portait une robe plus modeste, légèrement ample. De magnifiques accessoires en or ornaient ses cheveux, son cou et ses poignets.

« Hé là. Ce genre de tenue te va bien à toi aussi, tu sais », chuchota Yuuto sur le ton de la plaisanterie. Il s’assura qu’il était assez silencieux pour que personne d’autre ne puisse entendre.

« Merci beaucoup », murmura Félicia en retour. « Mais pour aujourd’hui, je pense que tu devrais garder toutes ces louanges pour Grande Soeur Mitsuki. »

« Ouais, je suppose que tu as raison », déclara Yuuto, et les deux individus échangèrent des sourires.

Il y eut un rugissement d’acclamations à l’extérieur de la tour.

Mitsuki, son épouse, avait fait son apparition devant le public.

Yuuto avait couru toute la matinée pour s’occuper des préparatifs de dernière minute, et il n’avait pas vu Mitsuki depuis qu’ils s’étaient levés le matin.

Il se demandait à quel point elle devait être plus belle maintenant.

À en juger par les bruits de la foule à l’extérieur, il pouvait garder ses attentes élevées.

Enfin, il commença à entendre des cris d’étonnement de la part des gens à l’intérieur du hörgr. Il semblait que sa future épouse était arrivée.

Yuuto s’était lentement retourné… et était resté là, à cligner des yeux.

« W-Wow… » fut tout ce qu’il put dire. La fille qui se tenait devant lui ne ressemblait en rien à l’amie d’enfance à laquelle il était habitué.

Il connaissait Mitsuki depuis aussi longtemps qu’il pouvait s’en souvenir. Il était presque sûr de bien la connaître, et même en tenant compte de son parti pris en tant qu’homme qui l’aimait, il savait qu’elle était assez belle.

Mais il n’avait aucune idée qu’elle était aussi belle.

L’incertitude mal définie qu’il avait ressentie dans son cœur s’était envolée.

Il la regarda fixement, médusé, tandis qu’elle se mettait lentement à côté de lui.

« Yuu-kun. Yuu-kun. »

« Quoi ? »

« Pourquoi restes-tu ainsi ? Tourne-toi et fais face à l’avant. »

« O-oh, c’est vrai. » Un peu troublé, Yuuto s’était tourné vers l’autel.

« Quoi, tu es nerveux ? » demanda Mitsuki.

Du coin de l’œil, Yuuto vit le profil de son visage, souligné par le capuchon de soie blanc pur de sa robe. Elle était plus belle que toutes les filles qu’il avait vues dans sa vie. Mais sa voix à l’instant était la même que celle qu’il avait toujours connue.

Il avait lentement compris que la fille à côté de lui était vraiment son amie d’enfance.

« Je ne suis pas nerveux, je suis juste époustouflé par ton apparence », avait-il chuchoté.

Mitsuki gloussa. « Alors je suis jolie ? »

« Oui, et tu le sais. »

Peut-être à cause de sa relation avec Mitsuki en grandissant, Yuuto avait tendance à éviter d’exprimer directement des choses comme ça à elle. Mais aujourd’hui, ce n’était pas un problème.

« Si je peux avoir l’attention et le silence de toutes les personnes présentes ! » La voix de Félicia avait résonné, douce et claire comme une cloche. Immédiatement, la salle de rituel était devenue silencieuse.

Le seul bruit était le crépitement des torches ornementales, qui semblait fort contre le silence.

Félicia s’agenouilla alors devant l’autel, et commença la prière rituelle. « Oh, grande mère Angrboða, déesse du Clan de l’Acier ! »

Baigné par la lumière des torches, le miroir divin de l’autel scintillait d’un rouge pâle.

Ce miroir était le lieu où tout avait commencé.

Yuuto avait passé tant de jours à souhaiter rentrer chez lui. Il n’aurait jamais pu imaginer à l’époque qu’il se marierait avec Mitsuki ici, dans ce monde. Il commença à avoir une boule dans sa gorge.

Félicia se retourna pour faire face à Yuuto une fois de plus, et posa sa main sur sa poitrine, fermant les yeux. « Oh, accordez vos bénédictions à notre seigneur réginarque, Suoh-Yuuto. »

Ensuite, elle plaça une main sur la poitrine de Mitsuki, et elle parla, « Oh, accordez vos bénédictions à son épouse, Shimoya-Mitsuki ».

Les deux appels terminés, Félicia écarta alors les bras, comme pour les présenter à nouveau au public.

« Au nom du très saint Angrboða… je reconnais par la présente ce mariage entre Suoh-Yuuto et Shimoya-Mitsuki ! »

Lorsque Félicia avait terminé sa déclaration, tout le monde dans la salle avait éclaté en applaudissements nourris.

Juste au bon moment, Albertina, Kristina et Éphelia étaient apparues, lançant des poignées de pétales de fleurs en l’air.

« Félicitations ! »

« Vive le réginarque ! »

« Longue vie à Dame Mitsuki ! »

Des acclamations et des cris de félicitations étaient venus de toutes les directions.

Alors que l’ambiance de fête dans la salle atteignait son zénith, Yuuto s’était tourné vers Mitsuki et avait dit : « Mitsuki, donne-moi ta main ».

« Hein ? » Mitsuki s’était détournée de la foule pour regarder Yuuto.

Pendant qu’elle le faisait, il fouilla dans la poche de son pantalon et en sortit une belle bague avec un rubis en son centre.

C’était un autre chef-d’œuvre forgé par Ingrid, fabriqué en secret pour qu’il puisse surprendre Mitsuki avec ça aujourd’hui.

À Yggdrasil, il n’y avait pas de coutume d’échanger ou de porter des alliances. Cependant, en tant qu’homme, Yuuto voulait faire ce qu’il pouvait pour que ce mariage soit plus proche de celui dont Mitsuki avait toujours rêvé.

« Oh… c’est vrai. » Mitsuki avait tendu sa main gauche à Yuuto.

Yuuto avait lentement ajusté la bague au doigt de Mitsuki.

« Yuu-kun, merci. Je t’aime ! » Des larmes coulaient des yeux de Mitsuki, mais elle souriait. Elle semblait être la plus heureuse qu’elle n’ait jamais été.

Yuuto avait senti son propre cœur se remplir d’une joie poignante.

C’est à ce moment-là qu’un homme était entré en courant dans la salle.

« S’il vous plaît, permettez-moi de faire mon rapport ! » avait-il crié.

Il était complètement essoufflé, et sa voix était stridente. Elle ne correspondait pas du tout à l’atmosphère de la pièce.

Alors que les participants assis commençaient à murmurer nerveusement, Jörgen cria avec rage à l’intrus : « Vous ne voyez pas que nous sommes en pleine célébration !? Que ça attende plus tard ! »

Jörgen était l’homme chargé d’organiser et de diriger l’ensemble de la cérémonie.

Perturber la fête de cette manière porterait atteinte à son honneur et à sa fierté.

« Attends ! » Yuuto cria d’une voix féroce. « Laisse-le parler. » Il regarda directement l’homme, un soldat, et demanda : « Qu’est-ce qui se passe !? »

Le visage de Yuuto n’était plus celui d’un marié à son mariage, mais celui d’un commandant d’armée chevronné. Un simple coup d’oeil à l’état de panique de ce soldat lui avait fait comprendre qu’il s’agissait d’une affaire urgente.

« Le þjóðann a… »

« Lady Rífa ? ! Qu’est-ce qui lui est arrivé !? » Yuuto cria, sa voix devenant plus aiguë.

Il avait un étrange sentiment de malaise.

Son esprit avait rapidement envisagé la pire des possibilités, qu’elle soit morte.

En fait, cette pensée était complètement fausse. Cependant, les prochains mots qui sortirent de la bouche du soldat furent, peut-être, bien pires pour le Clan de l’Acier.

« Le þjóðann a déclaré le Clan de l’Acier comme ennemi de l’empire, et a donné l’ordre de nous détruire ! »

« … !? » Une vague de halètements avait balayé la foule.

Le clan de l’acier était maintenant devenu l’ennemi de tous les autres clans d’Yggdrasil.

***

Partie 4

« Keh heh heh. Même aussi tard dans la partie, il choisit un assaut direct comme dernier mouvement. Quel homme vraiment splendide ! » Le patriarche du Clan de la Flamme continuait de glousser en regardant dans sa lunette, observant la formation de soldats du Clan de la Foudre qui chargeaient hors de Fort Waganea.

Le Clan de la Flamme avait trente mille troupes en place, presque quatre fois plus que les huit mille du Clan de la Foudre.

Tenter un assaut frontal avec un tel désavantage n’était rien d’autre qu’une pure imprudence.

S’il s’agissait simplement de l’acte d’un homme ivre de sa propre valeur, chargeant sans penser à autre chose qu’à la gloire, alors le patriarche du Clan de la Flamme ne l’aurait pas loué ainsi.

Mais il savait que c’était différent.

Le jeune tigre qui menait la charge avait vraiment l’intention d’attaquer de front et de détruire son ennemi.

« Heh heh, peut-être que si je n’étais pas ton adversaire, tu aurais également réussi », a-t-il ajouté.

Le patriarche du Clan de la Flamme avait presque soixante ans maintenant.

Il avait passé la plupart de sa vie à la guerre.

Il avait participé à plus de cent batailles sur le terrain.

Il comprenait intimement le déroulement de la bataille maintenant, comme il connaissait sa propre respiration.

Certes, le jeune chef du Clan de la Foudre était un guerrier général peut-être sans égal dans ce monde, mais le patriarche du Clan de la Flamme était également fermement convaincu qu’il ne poserait aucun problème.

« Je suppose qu’il pourrait être amusant de l’encercler, de le blesser et de l’affaiblir, puis de le capturer. Mais même en faisant cela, il n’y a aucune certitude qu’il devient mon subordonné. »

Il n’était pas prêt à sacrifier plusieurs milliers de vies de ses propres soldats pour une promesse de gain aussi incertaine.

Sur le champ de bataille, un moment d’hésitation peut conduire directement à la mort.

Le patriarche du Clan de la Flamme fixait son ennemi. Son esprit de guerrier commença à s’élever en lui, brûlant tout ce qui lui restait d’attachement à la perspective de Steinþórr comme enfant juré.

« On ne peut rien y faire, alors. Ainsi soit-il. Au moins, tu mourras glorieusement. »

Les armes nécessaires pour tuer le tigre avaient déjà été préparées.

Contre ces armes, la force ou l’habileté d’un combattant n’avait aucune importance.

Ils avaient tué Baba Nobuharu, le général de Takeda Shingen qui avait traversé soixante-dix batailles sans une seule blessure. Ils avaient tué des membres de la redoutable bande des samouraïs pourpres, ces soldats à l’armure rouge dont la rumeur disait qu’ils étaient invincibles.

Ce guerrier aux cheveux rouges, bien qu’il soit plus puissant que n’importe quel autre homme vivant, ne ferait pas exception.

Le patriarche du Clan de la Flamme inspira profondément, et cria son ordre. « Visez ! Votre cible est le rouquin à l’avant de la formation ! Ne vous occupez de personne d’autre. Feuuuuuuuu ! »

Il y eut une cascade de détonations qui fendirent les oreilles, et tout le champ de bataille et ses environs furent remplis d’échos.

 

☆☆☆

« Ngh !? » Steinþórr sentit un terrible frisson parcourir son échine, et tout son corps se crispa.

L’instant d’après, sa vision surhumaine s’est arrêtée sur la masse de minuscules objets noirs qui se dirigeaient vers lui, à une vitesse incroyable.

Ils étaient de la taille de petits cailloux, ou peut-être un peu plus petits, et parfaitement ronds. Mais malgré leur petite taille, l’instinct de Steinþórr lui disait qu’ils représentaient une terrible menace pour sa vie.

Et ils se déplaçaient si vite, bien plus vite que les flèches. N’importe qui d’autre que Steinþórr aurait sûrement été incapable de réagir à temps.

Réalisant qu’il ne pouvait pas espérer les éliminer tout individuellement, il commença immédiatement à faire tourner son marteau devant lui à grande vitesse.

Ting-ting-ting-ting-ting-ting ! Le marteau de Steinþórr dévia une grande partie des projectiles. Mais ils étaient tout simplement trop rapides, trop petits, et trop nombreux.

« Grh… ! » Steinþórr grogna de douleur, et son cheval laissa échapper un cri strident.

Plusieurs des projectiles avaient réussi à passer son marteau, le transperçant à l’épaule gauche, à la cuisse droite et au côté droit de ses côtes.

Son cheval était encore moins chanceux. Sans rien pour le protéger, il avait été criblé d’innombrables blessures par les mystérieux projectiles, et il s’était effondré au sol sur le champ, déstabilisant Steinþórr.

« Tch ! Argh… ! Qu’est-ce que c’était que ça !? » Steinþórr toucha le sol en roulant, mais s’était rapidement remis sur ses pieds.

Un vertige soudain l’avait frappé, et il avait failli perdre l’équilibre.

Ses blessures semblaient brûler de l’intérieur, et du sang en jaillissait.

Ces blessures étaient graves. Si Steinþórr ne se faisait pas soigner tout de suite, sa vie serait en danger.

« C-comment ai-je pu être blessé si facilement… !? »

Il n’arrivait pas à comprendre ce qui se passait. Il était censé être invincible sur le champ de bataille, après tout.

Mais la situation ne donnait pas à Steinþórr le temps de penser à de telles choses plus longtemps.

Zaaa ! Il sentit soudain tous les poils de son corps se hérisser.

Il dirigea son regard vers les premières lignes de la formation militaire du Clan de la Flamme. Les soldats tenaient tous ce qui ressemblait à des bâtons noirs, et tandis qu’il regardait, ils pointaient les extrémités de ces bâtons dans sa direction.

Il ne comprenait pas ce qu’ils étaient, mais il savait dans ses tripes qu’ils représentaient la plus grande menace pour sa vie à laquelle il avait été confronté jusqu’à présent.

Paniqué, il essaya de s’enfuir, mais la blessure de sa jambe droite rendait la course difficile.

« Feuuuuuuuuuu !!! »

Bang ! Bang !

Ba-ba-ba-ba-ba-ba-ba-ba-baang !!

Il y a eu une autre cacophonie de sons explosifs, et une autre masse de ces projectiles noirs vola vers Steinþórr.

« Raaaagh !! » Se forçant à ignorer la douleur fulgurante dans son épaule gauche, Steinþórr fit de nouveau tourner son marteau devant lui.

Il dévia les projectiles, encore et encore, trop nombreux pour être compté.

Pour ceux qui passaient à travers ses défenses, il utilisait sa vue incroyable pour tracer leur chemin, et ses réflexes de bête pour plier son corps hors du chemin.

C’était la pleine puissance de la lutte ou de la fuite, un homme avec une force physique miraculeuse poussé à réaliser un exploit d’une dextérité divine.

Mais il ne pouvait toujours pas leur échapper.

« Gahh… ! » L’une d’elles transperça le bras droit de Steinþórr, qui poussa un cri de douleur.

Il réussit à ne pas lâcher son marteau de guerre, mais ses bras avaient perdu leur force.

« Troisième rang ! Feuuuuuuu ! »

Bang ! Bang !

Ba-ba-ba-ba-ba-ba-ba-ba-baang !!

Sans aucune pitié ni pause, il y eut une autre série d’explosions, comme un coup de tonnerre balayant le champ de bataille.

Sans aucun moyen de se défendre contre eux, Steinþórr avait été frappé par le barrage de projectiles noirs, et ils avaient transpercé son corps de toute part.

***

Épilogue

Face à la vue de leur héros, le Dólgþrasir, tombant sur le sol, couvert de blessures sanglantes, les soldats du Clan de la Foudre s’étaient mis à hurler.

« Le Seigneur Steinþórr a été tué !? Aaaaauugh ! »

« Ce n’est pas possible ! Comment a-t-il pu être tué !? »

« Qu’est-ce que c’est que ces armes ? ! Est-ce qu’ils utilisent la sorcellerie ? ! »

« Il n’y a aucun moyen de gagner contre eux ! »

« Courez ! Courez pour vos vies !! »

Le moral de l’armée du Clan de la Foudre était construit autour de la foi que les hommes avaient en Steinþórr, sa force et ses compétences surhumaines.

Ce symbole absolu de la force avait apparemment été tué avec facilité. En un clin d’œil, la terreur s’était répandue comme une traînée de poudre dans les rangs.

Ils s’étaient dispersés comme des fourmis, courant pour sauver leur vie dans toutes les directions.

Le patriarche du Clan de la Flamme regarda cela et se moqua. « Ils abandonnent leur patriarche abattu, c’est ça ? Quelle démonstration de… hm ? »

Il s’arrêta court, car parmi les hommes en fuite, il y en avait un qui courait vers les lignes de front, et en atteignant le Steinþórr tombé, il entreprit de le ramasser.

Le patriarche du Clan de la Flamme avait souri face à ça. « Heh. Alors, il y avait un homme loyal parmi eux, hein ? C’est admirable. Cependant, je ne suis pas prêt à lui céder mon prix. »

Il s’était retourné et avait appelé un de ses pages : « Apportez-moi un tanegashima. »

« Oui, monsieur ! » Le préposé s’était avancé, tenant un objet en forme de tube fait de fer noir.

« Préparez un tir. »

« Oui, monsieur ! » Le page avait utilisé une torche pour allumer un petit morceau de corde attaché à l’extrémité arrière du tube.

Ensuite, il versa une poudre noire et une balle dans le tube, et utilisa une tige pour les tasser fermement.

Après quelques autres étapes mineures, le processus était terminé et le page tendait l’appareil à son patriarche.

« Monseigneur, c’est prêt. »

« Bien. Maintenant, faisons en sorte que le tigre ne fasse pas son dernier voyage seul. » Le patriarche du Clan de la Flamme avait tenu le tube de fer devant lui, parallèle au sol, et avait appuyé sur la gâchette attachée à sa face inférieure.

Il y a eu un grand Bang ! et une bouffée de fumée.

L’arquebuse à mèche : L’un des premiers exemples d’arme longue de poing, et le précurseur du mousquet. Au Japon, elle était souvent appelée tanegashima, en raison du fait que le modèle largement produit au Japon était basé sur des prototypes conçus sur l’île de Tanegashima.

Inventée en Europe au 15e siècle, cette technologie avait trois mille ans d’avance sur l’armement d’Yggdrasil. C’était quelque chose qui n’aurait jamais dû exister ici.

Les balles qu’il tirait étaient assez puissantes pour percer le fer et l’acier d’une armure de mailles.

Le coup du patriarche du Clan de la Flamme avait fait mouche. Il avait suffi d’un seul coup pour que l’homme qui tenait Steinþórr s’effondre sur le sol.

Mais, plutôt que d’essayer de s’échapper, l’homme s’était maintenu au sol, dos à l’ennemi, protégeant Steinþórr de tout nouveau tir.

Il se tenait malgré tout devant son maître.

« Oh, bravo ! » cria le patriarche du Clan de la Flamme. « Voilà comment un bon soldat doit se comporter. Maintenant, nous devons au moins une prière d’adieu à ces deux héros vaincus. Ran, viens avec moi. »

Remettant son arme à son page, il fit signe à son second de le suivre.

« Oui, monsieur », déclara Ran.

Les deux hommes avaient avancé sur le champ de bataille.

Quand ils avaient atteint le corps de Steinþórr, le patriarche du Clan de la Flamme avait joint ses mains.

« Ton nom était Steinþórr, n’est-ce pas ? Ta bataille était un spectacle splendide à voir. Tu peux partir pour ton Valhalla avec la fierté dans ton cœur. »

« … Je t’emmène, bâtard. » Une voix grave résonna des pieds du patriarche du Clan de la Flamme, comme si elle résonnait depuis les profondeurs de l’enfer, et les mains de Steinþórr s’emparèrent de ses jambes.

Steinþórr commença lentement à tirer son corps vers le haut.

Après avoir été touché par tant de balles de plomb, c’était un choc qu’il respire encore, et encore moins qu’il soit capable de bouger.

« Monseigneur ? ! Monstre répugnant, ne t’approche pas de lui ! » Ran cria.

« Non. Recule. » Le patriarche du Clan de la Flamme leva une main pour empêcher Ran de dégainer son épée.

Le refus apparent de Steinþórr de mourir était surprenant, mais ça ne semblait pas déstabiliser le patriarche. En fait, il éclata de rire.

« Gah hah hah hah ! Alors tu respires encore ! Quelle incroyable ténacité ! Personne en ce monde ne peut égaler ta force et ton courage. Ni personne dans les âges passés… ni dans le futur à venir. »

Tout en parlant, il dégaina l’épée du fourreau à sa taille.

C’était la lame qu’il avait reçue en cadeau du Clan de l’Acier, le chef-d’œuvre personnellement forgé par le génial artisan Ingrid.

Le patriarche du Clan de la Flamme leva la lame au-dessus de sa tête, pointant vers le haut. « Je pense que ce serait du gaspillage de laisser à quelqu’un d’autre l’honneur de te tuer. Ainsi, je vais prendre ta vie moi-même. Sache que tu mourras de la main du Roi-Démon, Oda Nobunaga, descendant des Taira. »

Au moment où il prononçait son nom, Nobunaga tournait la lame de manière à ce qu’elle soit orientée vers le bas, puis l’abattait sur Steinþórr en une poussée verticale visant le cœur.

 

 

Steinþórr était trop faible à cause de ses blessures. Il n’avait plus la force de s’écarter du chemin.

La lame toucha sa cible. Elle transperça le corps de Steinþórr en un mouvement fluide.

« Gagh ! » Steinþórr grogna de douleur. Alors que ses forces l’abandonnaient, il grogna, luttant pour parler.

« Non… pas dans un… endroit comme celui-ci… Suoh-Yuuto… Je n’ai toujours pas… réglé les choses avec… »

Ce furent les derniers mots de l’homme connu sous le nom de Dólgþrasir, le Tigre affamé de batailles.

Nobunaga s’était accroupi et, avec soin et respect, il retira les doigts de Steinþórr de ses jambes, un par un. Il s’approcha ensuite et passa sa main sur le visage de Steinþórr, fermant les yeux du mort.

Il frappa ses mains l’une contre l’autre une fois et les maintint ainsi, offrant une prière silencieuse.

Après un long moment, Nobunaga se tourna vers son second Ran et il déclara : « Donne-lui une sépulture honorable. »

Il retira ensuite sa lame du corps de Steinþórr, jeta le sang, puis il regarda au loin, à travers le terrain vague.

Vers l’horizon au nord.

Nobunaga avait souri. « Keh heh heh… Je vois. “Suoh-Yuuto”. Quand je pense que c’est ce nom qui a franchi les lèvres d’un si grand guerrier dans son dernier souffle… Je suis maintenant d’autant plus impatient de le rencontrer. »

À suivre

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Illustrations

 

Fin du tome.

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