Le Maître de Ragnarok et la Bénédiction d’Einherjar – Tome 1
Table des matières
- Prologue
- Acte 1 : Partie 1
- Acte 1 : Partie 2
- Acte 1 : Partie 3
- Acte 1 : Partie 4
- Acte 1 : Partie 5
- Acte 2 : Partie 1
- Acte 2 : Partie 2
- Acte 2 : Partie 3
- Acte 2 : Partie 4
- Acte 2 : Partie 5
- Acte 3 : Partie 1
- Acte 3 : Partie 2
- Acte 3 : Partie 3
- Acte 3 : Partie 4
- Acte 3 : Partie 5
- Acte 3 : Partie 6
- Acte 4 : Partie 1
- Acte 4 : Partie 2
- Acte 4 : Partie 3
- Acte 4 : Partie 4
- Acte 4 : Partie 5
- Acte 4 : Partie 6
- Acte 5 : Partie 1
- Acte 5 : Partie 2
- Acte 5 : Partie 3
- Acte 5 : Partie 4
- Acte 5 : Partie 5
- Acte 5 : Partie 6
- Acte 5 : Partie 7
- Épilogue
- Épilogue 2
- Illustrations
***
Prologue
Il existait une légende liée au Sanctuaire de Tsukimiya.
Elle disait. « Dans le miroir divin réside un pouvoir mystérieux. »
Elle disait. « Le miroir divin est en réalité un précieux miroir de grande renommée. »
Elle disait. « Si vous regardez dans le miroir à travers un miroir opposé lors d’une nuit de pleine lune, alors vous serez attirés dans un autre monde. »
Franchement, il s’agissait tout simplement du type de légende urbaine cliché que vous pourriez trouver n’importe où.
Il y avait une abondance d’histoires semblables dispersées à travers la planète qui parlait d’utiliser des miroirs opposés et de faire un chant afin d’invoquer un diable, ou d’être capable de voir de cette façon le passé et l’avenir. Il était probable que l’image merveilleuse de ces mondes infinis s’étendant devant eux, alors lorsqu’on regardait à travers un kaléidoscope, faisait entrer les personnes dans un état d’esprit où elles avaient de tels fantasmes.
En réalité, la légende mentionnée ci-dessus n’était pas quelque chose qui se transmettait au sanctuaire de génération en génération ou quoi que ce soit du genre. C’était tout simplement une rumeur qui avait commencé à circuler à un moment donné parmi les habitants résidants proches de la ville de Hachio.
Sans aucun doute, cette rumeur était destinée à conduire à une situation comme celle-ci.
« Y-Yuu-kun, Yuu-kun, Yuu-kuuun ! Partons d’ici ! » La fille aux yeux larmoyants qui marchait à côté d’Yuuto avait dit cela d’une voix tremblante, tirant fermement sur la manche du garçon.
Le cœur d’Yuuto Suoh s’était mis à battre nettement plus fort. Lorsqu’elle le regardait comme ça avec des larmes dans les yeux, en tant qu’homme, il ne pouvait s’empêcher de ressentir le désir impulsif de la protéger.
Son nom était Mitsuki Shimoya. Elle était l’amie d’enfance d’Yuuto avec un an de moins que lui et en première année du lycée. Ses grands yeux ronds étaient vraiment tape-à-l’œil, lui ajoutant le charme honnête et rustique d’une fille élevée à la campagne.
« Hé, hé ! Nous sommes déjà allés si loin. Il est maintenant trop tard pour que tu dises quelque chose comme ça, » Yuuto soupira et haussa les épaules.
Le vent constant avait fait frémir les arbres, alors que le chant des insectes avait résonné ici et là. Si l’on regardait dans les buissons environnants, ils ne verraient que des ténèbres.
Niché dans cette sombre forêt de montagne, le petit et vieux sanctuaire délabré n’avait été faiblement éclairé que par la lumière de la pleine lune et des étoiles.
« Je te l’ai dit, ça ira, » lui assura-t-il. « Après tout, toutes les personnes qui ont fait cela avant aujourd’hui ont vécu afin de pouvoir raconter l’histoire. »
« Ma-Ma-Mais ! » cria Mitsuki en serrant fermement la manche d’Yuuto.
Elle était toujours une fille joyeuse, avec un sourire imperturbable qui brillait comme un tournesol, mais sa plus grande faiblesse était les histoires de fantômes. C’était quelque chose que son ami d’enfance Yuuto savait très bien. Même si cette épreuve de courage avait été planifiée comme une activité de groupe amusante par la classe de Mitsuki, sa peur des fantômes avait conduit Yuuto, qui était dans une classe supérieure, à être entraîné dans l’histoire.
Grâce à ça, les élèves de premières années s’étaient ligués et les avaient taquinés tous les deux à ce sujet. Yuuto se sentait embarrassé à cause de ça. Pourtant, ce n’était pas totalement une mauvaise expérience.
Depuis qu’ils étaient très jeunes, Mitsuki avait toujours compté sur Yuuto. Quand il avait commencé la première année de l’école primaire, il l’avait trouvée mignonne, comme s’il s’était retrouvé avec une véritable petite sœur. Mais dans les dernières années de l’école primaire, en raison du fait de ne pas aimer la façon dont ses amis se moquaient de lui, son comportement envers elle s’était refroidi. Il avait été agacé par sa dépendance constante à son égard.
Quand il était entré au collège, les sentiments d’Yuuto envers Mitsuki avaient fait une autre volte-face. Peut-être avait-il eu l’impression que le fait qu’elle comptait sur lui n’était pas si mauvais, ou plutôt qu’il avait commencé à y prendre plaisir. Maintenant, dans sa deuxième année de lycée, il voulait réellement qu’elle compte totalement sur lui.
Ses émotions étaient si inconstantes.
Il commençait enfin à en comprendre la raison.
« Si tu as peur, alors tu peux rester ici. Je veux pouvoir me dépêcher et en finir avec ça, » déclara Yuuto en agitant son bras, retirant sa manche de la main de Mitsuki.
Ce n’était pas comme s’il ne ressentait pas un sentiment de culpabilité pour avoir agi de la sorte avec elle, mais perdre trop de temps à se disputer comme ça pourrait le faire être qualifiée de mauviette par les premières années, et après ça, ils se moqueraient de lui. Et surtout, il voulait tout simplement avoir l’air cool devant elle.
« Maintenant..., » il se pencha vers les doubles portes du sanctuaire, puis il les poussa en produisant un grincement audible.
Dans la pièce se trouvait un miroir rond rouillé, et son état était encore pire que le sanctuaire lui-même. Non, pour être honnête, il était même douteux qu’on puisse même l’appeler un miroir. Sale, brouillé et brisé, il était incapable de refléter le visage d’Yuuto alors qu’il se tenait juste devant.
Il poussa un soupir, déçu. « Cette vieille chose est plutôt de mauvaise qualité. »
« Y-Yuu-kun !? Dire quelque chose comme ça va nous faire avoir de la malchance ! » cria-t-elle.
« Tu t’inquiètes trop, Mitsuki, » déclara Yuuto. « Mais le fait de simplement prendre une photo n’est pas drôle. »
Sortant son smartphone chéri, le LGN09 alias Laegjarn, il avait fait une pause dans ses pensées.
Comme preuve qu’ils avaient effectivement suivit la route proposée sans se dégonfler, les règles de ce test de courage indiquaient que l’on était supposé prendre une photo du miroir dans le sanctuaire.
Mais étant âgé d’un an de plus, Yuuto se surprit à aller plus loin que les premières années.
« Hé ! Qu’est-ce que tu fais !? » Mitsuki faillit crier alors que ses traits se raidirent.
« Hm ? Je pensais juste que je prendrais un autoportrait avec cet objet divin. Oh ! En parlant de ça, penses-tu que l’utilisation d’une caméra frontale compte comme un miroir opposé ? » demanda-t-il.
« Qu-Qu-Qu-Qu-Quoi !? Ne-ne fait pas ça ! Yuu-kun, si tu te retrouves dans un autre monde, alors je vais..., » déclara Mitsuki.
« Tout va bien, » l’avait-il rassuré. « Il s’agit uniquement d’une superstition. »
« Hein !? » dans l’esprit d’Yuuto, quelque chose ressemblant à une incantation résonnait.
Ce n’était pas du japonais. Ce n’était pas non plus l’anglais. Il s’agissait d’une langue qui ne lui était pas familière. Mais malgré ça, d’une certaine manière, il avait eu le sentiment que cela lui parlait.
Une fois de plus, ce qui ressemblait à une voix résonnait dans son esprit. C’était plus clair qu’avant, et plus facile à discerner.
Il s’agissait de la voix d’une jeune femme.
« Quoi... !? Hein !? » Au moment où Yuuto se tourna dans la direction de la voix, un intense vertige le surprit.
Sa conscience et sa vision étaient troubles, mais il pouvait voir... deux miroirs. Émettant une lumière étrange, ils semblaient bouger devant ses yeux, se chevauchant et se séparant, encore et encore. C’était plutôt comme un kaléidoscope.
Et il y avait quelque chose d’encore plus bizarre. Dans l’arrière-plan de l’un des deux miroirs était apparue la forme à peine visible d’une fille. La fille dansait avec une intensité vraiment sauvage, comme si elle était possédée. Ses vêtements d’un blanc purs, qui rappellent ceux des prêtresses au service d’une divinité, flottaient délicatement autour d’elle alors qu’elle bougeait.
« Qu’est-ce que c’est !? » choqué, Yuuto se frotta les yeux, mais l’image ne disparut pas.
En réalité...
Alors qu’au début, l’image était si transparente que c’était comme s’il regardait un hologramme, les couleurs devenaient progressivement plus opaques, et le corps souple de la fille avait acquis une apparence plus tangible.
« Yuu... kun... Yu... ku... » La voix de Mitsuki semblait si lointaine. Il pouvait à peine entendre la fin de ce qu’elle lui avait dit.
Instinctivement, il regarda derrière lui avant de s’exclamer. « Hein !? »
Il était à court de mots. Mitsuki n’était plus là, et un solide mur blanc bloquait son chemin. La surface du mur était densément couverte de divers dessins. Beaucoup de ses représentations d’art avaient été modelées d’après des personnes, mais parmi elles se trouvaient des images qui ressemblaient à des monstres indescriptibles, une combinaison d’humains et de bêtes.
« D’où est-ce que ça vient !? » Alors qu’il déclarait ces mots à haute voix, il prit conscience d’une sorte de tumulte autour de lui. Cela ressemblait à un nombre considérable de personnes.
Mais c’était étrange. Pourquoi y aurait-il tant de personnes dans les montagnes si tard dans la nuit ? Et le plus étrange était qu’elles n’étaient pas là il y a un instant. Tout était arrivé trop soudainement pour que ce soit des étudiants qui auraient couru depuis le lieu du rendez-vous.
Perplexe, Yuuto tourna la tête afin de de nouveau regarder devant lui et ses yeux s’écarquillèrent devant le spectacle.
Même s’il aurait dû être à l’extérieur, il était clairement dans une pièce. Dans un vaste espace qui avait la largeur d’un petit gymnase se trouvaient plusieurs dizaines de personnes vêtues de simples et amples vêtements. Il s’agissait d’hommes dont les visages burinés n’étaient clairement pas d’origine japonaise.
Ils le regardaient tous avec prudence en affichant des expressions de surprises.
« Est-ce que j’ai fini dans un film ou quelque chose du genre ? » se demanda-t-il. « Et, hein !? Ce miroir ! »
Le miroir ornant l’autel derrière les hommes lui semblait familier. Bien que celui-ci soit de loin plus lustré et plus brillant, il paraissait parfaitement correspondre à celui qui était enchâssé à Tsukimiya.
« Si vous regardez dans le miroir à travers un miroir opposé lors d’une nuit de pleine lune, alors vous serez attirés dans un autre monde. » La rumeur du Sanctuaire de Tsukimiya était soudainement apparue dans la tête d’Yuuto.
« Cela ne peut pas être vrai, n’est-ce pas !? Il n’y a absolument aucune chance..., » déclara-t-il.
Alors que ces mots énigmatiques retentissaient dans l’esprit d’Yuuto, une lame dorée fut poussée vers sa gorge.
C’était arrivé si soudainement qu’Yuuto se trouva incapable de parler. Même s’il avait pu parler, il doutait qu’ils comprennent ses mots. En vue du ton de celui qui lui parlait, Yuuto se disait que le ton dur pourrait être utilisé par quelqu’un demandant une explication, mais c’était tout ce qu’il avait comme information.
Alors qu’il était incertain de ce qu’il devait faire, ses yeux suivirent la lame jusqu’à arriver sur les jolis doigts fins qui tenaient l’arme. Ces doigts lui rappelaient le poisson des glaces [1]. Puis, relevant son regard, il vit des mèches de cheveux argentés qui semblaient scintiller. Ils dansaient dans son champ de vision.
Il s’agissait d’une fille d’une incroyable beauté, comme il n’avait jamais vu auparavant. C’était comme l’une de ces valkyries que vous aviez lues dans les mythes et légendes qui auraient sauté tout droit hors des pages. Elle avait à peu près le même âge qu’Yuuto, ou peut-être un an de plus. Elle avait un beau visage, comme s’il avait été ciselé dans de la glace, et elle avait une expression glaciale qui correspondait parfaitement à ça.
Yuuto avait été tellement subjugué par elle qu’il avait totalement oublié sa situation actuelle.
À ce moment-là, il n’avait absolument aucune idée du rude malheur qui l’attendait.
Notes
- 1 Poisson des glaces : Le poisson des glaces est un poisson blanc, fin, long, quasi translucide et luminescent vivant dans les eaux très froides. Donc il s’agit d’une allusion à ça en indiquant que les doigts ressemblent à ça.
***
Acte 1
Partie 1
« Ouaaaaaaissss !! » Les troupes autour de lui avaient hurlé un cri de guerre tonitruant.
Les vibrations de milliers de personnes piétinant avec leurs pieds semblaient se transmettre à travers les roues jusqu’à son corps, résonnant au cœur de son être. C’était comme si la terre elle-même tremblait.
Depuis la zone arrière du char, Yuuto avait continué à observer le champ de bataille. De grandes quantités de cadavres étaient dispersées tragiquement dans ces terres incultes balayées par la tempête de poussière. La majorité des corps étaient des dépouilles d’ennemis, mais le nombre d’alliés abattus n’était pas insignifiant.
Leurs armes désormais sans maître, baignées dans les rayons du soleil, miroitaient d’une couleur dorée.
Entre ce spectacle et l’odeur de sang qui flottait sur le champ de bataille, poussé par un vent sec, Yuuto ne pouvait pas réfréner un sentiment de nausée irrésistible. Même maintenant, il n’était toujours pas habitué à l’atmosphère du champ de bataille.
La principale amélioration par rapport à sa première campagne était qu’au moins là, il n’avait pas vomi.
« Il semble que la bataille soit plus ou moins décidée. Je ne devrais pas être surprise, Grand Frère, mais tes ordres étaient vraiment spectaculaires, » Félicia, la fille se tenant toujours à côté d’Yuuto en tant qu’assistante et préposée, lui avait offert son compliment dans un ton vif. « Contre un ennemi ayant un nombre de soldats plus important, avoir pu revendiquer une victoire si facilement... Il est difficile de te voir comme autre chose qu’un dieu de la guerre réincarné. »
Elle était d’une beauté impressionnante avec un sourire mature et chatoyant. De longs cheveux dorés qui tombaient jusqu’à sa taille traînaient doucement derrière elle dans le vent. Les vêtements fins et blancs qu’elle portait, exposant beaucoup de peau, semblaient très déplacés ici sur le champ de bataille.
« Ce n’est pas grand-chose, » sans fierté ni modestie, Yuuto avait répondu avec indifférence. En effet, pour lui, il n’y avait rien à se vanter à propos de tout ça.
Il avait tout simplement connu des informations pertinentes.
« Ceux qui étaient fantastiques étaient Alexandre le Grand et Oda Nobunaga, » déclara-t-il. « Je n’ai pas eu moi-même ces idées. »
« Hein !? Alex... ? » demanda Félicia.
Yuuto réagit à l’inclinaison de tête de Félicia avec une tentative de sourire ironique.
La tactique employée par Yuuto avait des milliers d’années dans son monde : la formation de bataille des phalanges de soldats citoyens Hoplite. Ils avaient combattu avec des lances incroyables de trois à quatre fois leur taille. Dans des affrontements au corps à corps, cette arme ridiculement longue serait inefficace en raison de l’incapacité de faire des mouvements serrés, ce qui n’en faisait rien de plus qu’un gros bâton inutile. Par conséquent, personne dans ce monde n’avait pris le temps de le considérer à sa juste valeur. Mais dans les batailles de grands groupes, elle était facilement devenue une arme vraiment mortelle.
Les longues lances pouvaient être utilisées afin de percer des ennemis depuis l’intérieur de formations soudées et sans failles, de sorte que les adversaires ne pourraient pas s’approcher de vous sans ajouter leurs corps à la pile de cadavres déjà existante. Il y avait un concept similaire dans l’histoire japonaise appelé le « mur de lances ».
Nous parlions là de la sarisse [1] d’Alexandre le Grand et la longue lance d’Oda Nobunaga. À l’époque moderne, les historiens les considéraient comme des tactiques qui avaient assuré la victoire aux souverains et aux héros suprêmes dans des périodes de temps révolues.
« Je ne suis rien de plus qu’un tricheur... Arg ! » Yuuto avait fini par avaler ses mots et il avait détourné son regard de Félicia. Le véhicule se balançait comme si une meule avait heurté une pierre et ses gros seins rebondissaient devant lui.
« Oh Mon Dieu ! Héhé ! » Félicia avait alors fait apparaître un sourire espiègle. Peut-être avait-elle remarqué ce qui lui était monté à la tête.
Yuuto réalisa soudainement que son visage avait rougi d’un rouge vif. Il avait constaté qu’il était extrêmement embarrassé.
Après tout, il s’agissait d’un champ de bataille. Ils n’avaient pas un instant à perdre pour de telles frivolités. Agité, Yuuto expulsa toutes ses pensées charnelles et replaça son esprit sur la bataille.
« Très bien, nous avons clairement ébranlé l’ennemi. C’est maintenant que nous devons en finir une bonne fois pour toutes. Levez le plus haut possible vos bannières, et que toutes les troupes... chargez ! » déclara-t-il.
Avec un mouvement puissant de sa main, Yuuto avait pris son manteau et avait donné son ordre.
Bwooooo ! Bwoooooo ! Les soldats qui gardaient le périmètre autour de lui avaient fait rugir les trompettes à l’unisson. Dans le même temps, un cri de guerre perçant les oreilles s’était amplifié dans la zone proche de lui.
Yuuto fit grimacer son visage en raison de l’explosion de bruit, puis, soudain, ses yeux trouvèrent un cadavre gisant sur le sol. Il s’agissait de traits qu’il reconnaissait. Ce n’était pas quelqu’un avec qui il aurait pu dire qu’il avait été proche, mais il pouvait se souvenir de quelques conversations qu’il avait eu avec ce soldat.
Sa mort avait été le résultat des ordres d’Yuuto, et de rien d’autre. Quelque chose d’amer se répandit dans le cœur d’Yuuto, et il ressentit une lourdeur, comme si une masse venait d’arriver sur son dos.
« Pourquoi suis-je en train de faire tout ça ? » Il ne le disait à personne en particulier, se contentant de marmonner.
Environ deux ans s’étaient écoulés depuis qu’il était venu ici, dans le monde d’Yggdrasil.
Les gens d’ici s’étaient battus sans fin sur des terres ayant des ressources limitées. Avec une épée ou une lance à la main, ils volèrent sans merci la vie des autres alors que des chars tirés par des chevaux couraient sur les champs de bataille ensanglantés.
Le fort saisissait tout tandis que les faibles étaient piétinés et opprimés.
Bien qu’il s’était retrouvé tout seul dans ce monde non civilisé où il ne parlait même pas la langue, il avait surmonté les hauts et les bas. Puis, à travers une série d’étranges circonstances, il avait gravi les échelons jusqu’à diriger ce clan, le Clan du Loup, en tant que patriarche.
Il était en mesure de commander le destin d’un autre homme avec un seul mot.
« Grand Frère, tu sais, tu as la mauvaise habitude de tout prendre sur toi, » soudainement, quelqu’un l’avait fermement enlacé par-derrière.
Il s’agissait bien entendu de Félicia. Cette chaleur apporta à Yuuto un confort et une assurance indescriptibles. Elle pouvait être effrontée et provocatrice à certains moments, mais Félicia était une fille qui était sensible aux subtilités du cœur humain. Naturellement, elle avait rapidement compris ses préoccupations.
Tel un chuchotement, une jolie mélodie chatouillait le lobe de son oreille. Mystérieusement, en entendant seulement cette mélodie, Yuuto avait l’impression que l’angoisse qui avait infiltré son cœur se dissipait.
Il s’agissait d’un galldr, un art secret qui combinait la magie avec la musique et, selon l’incantation, pouvait avoir une variété d’effets sur l’auditeur.
« C’est tout ce que je peux faire pour toi, » déclara Félicia.
« C’est plus que suffisant. Merci beaucoup, » exprimant sa gratitude sincère, Yuuto se libéra doucement de ses bras. Le battement de son cœur, sa chaleur et la douceur contre lui se combinaient avec les effets du galldr afin de le calmer, à l’exception de la partie qu’il ne pouvait maîtriser. Plus précisément, sa partie inférieure.
« Oh, Grand Frère, tu es si cruel ♡, » se mit-elle à rire.
« La bataille n’est pas encore finie, alors ne baisse pas ta garde..., » déclara Yuuto.
Fwoosh !
Soudain, une flèche avait volé droite sur Yuuto. Elle s’était arrêtée nette à moins de dix centimètres de son visage.
« En effet, il ne faudrait pas baisser notre garde, » quand Félicia ouvrit la main, la flèche qu’elle avait saisie dans les airs tomba sur le plancher du char.
Elle avait attrapé la flèche qui était venue en volant à grande vitesse sur Yuuto et l’avait protégé, avant même qu’il ne pût essayer de l’esquiver. Elle avait une formidable vision dynamique et des réflexes surhumains.
Whoosh, whoosh, whoosh!
Sans un moment de répit, de nombreuses flèches continuèrent à pleuvoir directement vers Yuuto.
« Oh mon Dieu ! » Félicia avait rapidement pris la corde enroulée autour de sa taille et, d’un claquement de son poignet, s’était mise à l’utiliser. Elle fit tournoyer la corde dans les airs tel un ruban de gymnastique rythmique, envoyant les flèches vers le sol les unes après les autres alors qu’elles venaient sur nous.
Cette corde était du genre assez primitif, elle était utilisée afin de lier les ennemis capturés, et était considérablement plus lourde qu’un ruban, mais Félicia l’avait manipulée sans un soupçon d’inconfort. Ses bras étaient plus minces que ceux d’Yuuto, mais elle possédait une terrible force.
« Merci Félicia, » dit-il. « Tes techniques à la corde sont tout aussi fluide que d'habitude. Tu es vraiment comme une reine guerrière. »
« Héhé. Mais n’es-tu pas considéré comme le roi ? Cela signifie-t-il que tu essayes de me le proposer ? » Félicia haussa les épaules avec espièglerie.
Il n’y avait pas un soupçon de peur ou de nervosité en elle. Comme on pourrait le deviner d’après le spectacle précédent, Yuuto, étant originaire du Japon moderne, ne serait pas un adversaire pour elle dans un combat. Elle était non seulement compétente quant aux techniques avec une corde, mais elle était également une habile artiste martiale avec les lames et les lances, et elle était considérée comme l’un des meilleurs soldats du Clan du Loup. En plus de cela, Yuuto s’était rendu compte que, depuis le début, elle n’avait pas une seule fois baissé la garde. À la place, elle avait fait semblant de jouer plus tôt avec lui afin d’essayer de l’empêcher de trop s’inquiéter.
Yuuto ne pouvait pas dénigrer quelqu’un comme elle, qui, bien que vivant côte à côte avec la mort, avait une attitude si détendue qu’elle pouvait se préoccuper des soucis de ceux qui l’entouraient. Il s’agissait d’un état d’esprit qu’il ne pouvait pas encore atteindre.
« Hm, cela semble venir de là-bas, » Félicia fixa son regard sur l’origine des flèches, et Yuuto vit ce qui ressemblait à la silhouette d’un homme sur une petite colline brandissant un arc.
Au moment où elle l’avait aperçu, il sembla avoir réalisé qu’il avait été découvert, et la silhouette dévala la colline avant de disparaître dans l’armée ennemie.
Yuuto regarda la colline d’où l’archer avait disparu, puis il marmonna. « Apparemment, il se trouvait à environ 100 mètres de distance. Même Nasu no Yoichi [2] serait étonné. »
« Le seul homme qui pourrait faire une telle prouesse, même dans un clan aussi grand que le Clan de la Corne, est Haugspori, le porteur du Ljósálfar. Je ne peux penser à personne d’autre. Il est véritablement un maître comme les rumeurs le disaient, » Félicia avait parlé avec un respect teinté de méfiance.
« Mais à toi, toute seule, tu as été capable de te défendre contre ces flèches, Félicia. Bon sang, cela démontre bien que toi, une Einherjar est bien surhumaine, » Yuuto avait fait un sourire sec.
Une différence majeure entre le monde d’Yuuto et ce monde était l’existence des Einherjars, le nom donné aux humains choisis par les dieux.
Ces personnes avaient des motifs mystérieux appelés runes situées quelque part sur leur corps, et ces runes accordaient à leur détenteur divers types de protection divine. Donc, si cette personne portait la rune de la Lumière des Elfes, Ljósálfar, cela lui accorderait ainsi un talent avec un arc et la capacité de lire les vents.
Les personnes qui portaient de tels pouvoirs extraordinaires étaient si rares qu’elles étaient censées être moins d’une personne sur dix mille, et donc, peu importe le clan, elles étaient nommées à d’importants postes.
Félicia, qui était l’adjudante d’Yuuto, était une Einherjar qui possédait la rune de Skirnir, le Serviteur sans Expression. Alors même qu’elle était jeune et une femme, elle était pourtant parmi les guerriers les plus importants du clan en raison de ce mystérieux pouvoir.
« Run est sauf... n’est-ce pas ? » demanda Yuuto. Un regard de détresse se glissa sur son visage alors qu’il pensait à une autre Einherjar du Clan du Loup, et il reporta son attention vers la ligne de front.
En raison de son ordre de charger, la bataille était devenue encore plus violente. En effet, ladite Einherjar devrait en ce moment se battre là-bas. Le côté ayant le net avantage était celui du Clan du Loup, dont Yuuto était responsable. Ces troupes dispersaient progressivement les forces ennemies et repoussaient la ligne de front. Pourtant, le champ de bataille était un endroit imprévisible. Même s’ils gagnaient, cela ne voulait pas dire que personne ne mourrait.
Tout comme ce soldat dont il ne connaissait même pas le nom.
« Tse Tse. Il n’y a pas besoin de s’inquiéter de ça, » déclara Félicia. « Elle est notre Mánagarmr, tu sais ? Elle devrait être... »
« Sigrun du Clan du Loup a attrapé la souveraine du Clan de la Corne ! » La voix de Félicia avait été noyée par un cri victorieux en provenance des lignes de front.
Les soldats qui se trouvaient à proximité rayonnaient de fierté, plaçant leurs poings en l’air et rejoignant les autres soldats dans leurs cris de victoire.
De loin, Yuuto aperçut les soldats du Clan de la Corne qui fuyaient en masse. Il semblait même y avoir ceux qui avaient jeté leurs armes et s’étaient rendus.
Félicia laissa échapper un rire puis elle fit un clin d’œil à Yuuto. « Comme je m’y attendais. Il semble que Run ait pris le dessus pour nous ! »
« Faites place ! Père ! Poussez-vous de là ! Père... ! » Une voix digne qui était inappropriée pour un champ de bataille résonna telle une douce clochette. Un soldat à cheval se précipita dans la direction d’Yuuto. Ses longs cheveux argentés se balançaient derrière elle telle la queue d’un loup. Cette guerrière poussait sans ménagement les soldats hors de leurs formations de bataille alors qu’elle parcourait le chemin à vive allure.
D’autres voix, aussi mal ajustées aux circonstances, retentirent sur tout le champ de bataille, alors qu’elles semblaient enivrées.
« Oh, c’est Grande Sœur Sigrun ! »
« Charmante comme toujours ! »
Ce n’était pas comme si Yuuto lui-même n’avait pas compris leurs sentiments d’admiration. Même de loin, elle était une belle fille. Ses bras et ses jambes étaient longs et sveltes, et ses longs cheveux argentés traînaient derrière elle tandis qu’elle éperonnait son cheval, la faisant apparaître comme un personnage fantastique d’un mythe ancien.
Notes
- 1 Sarisse : La sarisse ou sarissa est une longue lance de 6 m de long environ, allongée jusqu’à 7,6 m dès le premier quart du iiie siècle av. J.-C. Cette arme, mise au point sous le règne de Philip II au milieu du 6e siècle av. J.-C., est utilisée par les phalangites (ou sarissophores : « porteurs de sarisses ») macédoniens durant les conquêtes d’Alexandre le Grand et les guerres des diadoques. Elle reste en usage dans les armées des royaumes hellénistiques.
- 2 Nasu no Yoichi : (那須与一) (env. 1169 — env. 1232) ou de son nom complet, Nasu no Suketaka Yoichi, était un samouraï de la fin de l’époque de Heian (794 – 1185) qui doit sa célébrité à un haut fait militaire de la guerre de Genpei relaté dans le Heike Monogatari.
***
Partie 2
Les cris d’admiration continuèrent.
« Grande Sœur, encore une grande réussite pour vous ! »
« C’est notre Mánagarmr ! Les hommes du Clan de la Corne ne pourraient jamais vous résister ! »
« Vous vous trouvez sur mon chemin. Poussez-vous de là ! » Sigrun cracha brusquement ses mots en affichant un regard froid montrant bien qu’elle n’éprouvait aucune émotion pour les soldats qui la couvraient de flatteries et de louanges.
Les soldats s’étaient blottis les uns contre les autres avec un « Ahh ! » face à ce regard glacial.
Ces regards glaciaux n’avaient fait qu’augmenter en intensité au cours de ces deux dernières années, et même maintenant, elle était enveloppée par une atmosphère tranchante telle une lame qui donnait l’impression que le simple fait de l’approcher vous aurait coupé en morceaux.
Bien que sa carrure lui donnait l’apparence de quelque chose qui était si mignon qu’elle semblait à peine capable de tenir une épée, elle avait gagné le titre de Mánagarmr ou « Le Plus Fort Loup d’Argent » qui la désignait comme appartenant à l’élite de l’élite. Il s’agissait donc d’une personne qu’il était impossible à battre au corps à corps en raison de ses capacités martiales.
En regardant de plus près, on pouvait voir que les yeux des soldats montraient un mélange de respect et de peur.
« Ah ! » À l’instant où elle avait aperçu Yuuto, son expression s’était complètement adoucie. Elle avait ralenti son cheval afin d’arriver au trot et s’était approchée du char d’Yuuto, où elle était descendue doucement du dos de son cheval.
« Père, tu es sauf ! J’espère que tu n’as pas été blessé, » demanda Sigrun.
« Je ne me trouvais même pas sur la ligne de front, donc je ne pourrais pas me faire blesser, » Yuuto l’avait rassurée. « Run, c’est plutôt moi qui devrais te demander, es-tu blessée ? »
« Ne t’inquiète pas de ça. Grâce à la protection divine d’Angrboða, je suis complètement sauf. Il n’y a même pas une égratignure présente sur moi, » répondit Sigrun.
« Il s’agit de la chose la plus importante pour moi, » déclara Yuuto. « Et aussi, je suis fier de toi pour avoir réussi à capturer le chef du Clan de la Corne. Bon travail ! »
« Je suis indigne d’une telle louange, Père. Je suis humblement enchantée de ces compliments, » bien que son discours indiquait qu’elle utilisait un ton formel, un sourire large et joyeux s’était répandu sur le visage de Sigrun.
Dès qu’elle s’en rendit compte, Sigrun raidit son expression, mais elle était si heureuse d’être félicitée par Yuuto que les coins de sa bouche ne pouvaient s’empêcher de présenter ce sourire.
« Pff, Run, tu es en effet un fidèle toutou, » Félicia riait alors qu’elle disait ça.
« Pff ! » avant qu’il ait eu l’occasion de s’arrêter, Yuuto éclata aussi de rire face aux paroles de Félicia. Il s’agissait d’une pensée cruelle, mais Yuuto ne pouvait pas regarder Sigrun sans ne pas avoir le mot « assis » qui lui venait à l’esprit.
« Père ? Ai-je dit quelque chose d’étrange ? » Sigrun inclina la tête. Cette habitude rappelait celle d’un chien. Une fois qu’il en eut pris conscience, Yuuto réalisa qu’il ne la voyait pas autrement et cela le dérangea.
« N-Non, ce n’est rien. Ne t’inquiète pas à propos de ça, » comme il le disait tout en couvrant sa bouche et en détournant son regard, il n’était pas très convaincant. Mais bien sûr, il ne pouvait pas dire ce qu’il pensait vraiment.
Sachant que si cette conversation allait plus loin, il pourrait lui-même, laisser sortir ça, Yuuto avait décidé de les ramener sur le sujet initial.
« Ce qui est le plus important, c’est ta récompense, » déclara Yuuto. « Que désires-tu ? Ton accomplissement était important, alors je vais te donner ce que tu désires. »
« Vraiment ? N’importe quoi ? » demanda Sigrun.
« Tout ce que je peux te donner, » déclarai-je.
« D-D’accord ! A-Alors, veux-tu bien me caresser la tête ? » Sigrun regarda Yuuto, ses yeux pétillants débordant d’espoir, alors qu’en réalité, ce qu’elle avait demandé était si trivial.
Cet air distant et inaccessible qui l’avait entourée plus tôt était introuvable en ce moment et c’était ainsi chaque fois qu’elle se trouvait proche d’Yuuto. Maintenant, Yuuto ne pouvait vraiment pas s’empêcher de la voir comme un chien qui avait repéré son maître et attendait un festin.
« Euh, eh bien, juste demander quelque chose de si simple est un peu..., » Yuuto affichait une expression troublée, se grattant la joue.
Décerner des punitions et des récompenses était le travail le plus important du souverain. Le fait de permettre à celle qui avait capturé un général ennemi d’accepter une si maigre récompense était clairement un problème. Si la rumeur se rependait que cette glorieuse réussite avait été récompensée par une simple flatte sur la tête, alors il était fort à parier que personne ne voudrait servir sous les ordres d’Yuuto dans un avenir proche.
« Cette récompense signifierait pour moi quelque chose de plus grand que toute autre chose !! » Sigrun avait fermement protesté.
Il ne semblait pas qu’elle feignait d’être altruiste ou de faire preuve de considération quant à l’état financier du Clan du Loup. Il paraissait que c’était, du fond de son cœur, son souhait le plus sincère.
Souriant avec résignation, Yuuto plaça doucement sa main sur la tête de Sigrun. « Tu as vraiment fait du bon travail ! »
« Ai-je pu t’être utile, Père ? » demanda Sigrun qui le regardait du coin de l’œil.
« Oui, plus que tout autre, » déclara Yuuto. « Mm, donc je ne peux pas accepter que tu ne demandes que cela comme récompense. Hé, Félicia, tu choisiras plus tard quelque chose pour elle à ta propre discrétion... »
« Pffff! Hahaha ! Je vois bien ça, » Félicia éclata de rire. « Je peux voir cette queue qui remue dans un va-et-vient ! »
Il avait alors regardé par-dessus la jeune fille qui se tenait à ses genoux. À ce moment-là, il avait alors vu que la beauté aux cheveux dorés, qui agissait d’une manière indiquant qu’elle était complètement indifférente à ceux qui pourraient être en train de regarder, était accroupie et elle se tenait l’estomac. Ses épaules tremblaient et elle raclait même ses ongles le long de la paroi intérieure du chariot. Peu importe comment vous l’auriez regardée, elle riait trop, causant ainsi une énorme scène.
Yuuto avait déploré cela, car selon lui, si seulement Félicia n’avait pas eu de tels moments, elle serait une combinaison parfaite de beauté et de compétences. Mais maintenant, elle ne serait d’aucune utilité jusqu’à ce que ses crises de rire disparaissent.
« Hmm, qu’est-ce qui se passe, Félicia... ? » commença Sigrun.
« Laissez-la être ainsi. Dans la vie, il y a certaines choses qu’il vaut mieux garder en tant que mystère, » déclara Yuuto.
« Ah ! Je comprends ! Si tu le dis, Père, alors cela doit avoir un sens ! » déclara Sigrun.
« Non, vraiment, ce n’est pas un gros problème, » Yuuto avait baissé ses épaules d’un air découragé alors qu’il disait ça.
Félicia avait ses propres caprices, mais l’acceptation aveugle de Sigrun envers Yuuto et tout ce qu’il disait l’inquiétait également. Si l’on devait décrire Sigrun en termes simples, ce serait probablement une guerrière dévouée, et même fanatique. Même si elle avait un talent naturel et avait reçu le titre de Mánagarmr à un si jeune âge, elle semblait ignorante des affaires mondaines, sa vie ayant été exclusivement axée sur les compétences martiales.
C’était probablement pourquoi elle ouvrirait seulement son cœur à ceux qui avaient démontré une force et à ceux qu’elle respectait.
En fait, pendant environ les six premiers mois après qu’Yuuto soit venu dans ce monde, Sigrun l’avait traité comme les soldats présents autour de lui. Il ne valait pas mieux qu’un rocher sur le bord de la route pour elle. Malgré la façon stupéfiante dont ils s’étaient rencontrés, à l’époque elle n’avait même pas pris la peine de se souvenir de son nom.
Mais là, avec son genou à terre, cette même fille avait maintenant montré qu’elle reconnaissait Yuuto comme son maître et qu’elle avait hâte de le servir.
« Comme c’est ironique, » Yuuto murmura dans l’autodépréciation.
Au cours des deux années (oui, juste deux ans) qui avaient suivi l’arrivée d’Yuuto, tant de choses avaient changé dans une rapide succession d’événements plus ou moins dramatique. Cela avait affecté le monde autour de lui, et Yuuto lui-même.
Il avait une peau claire quand il était arrivé en ce monde, mais sa peau avait depuis longtemps été teintée par le soleil. Sa carrure élancée n’avait pas changé, mais ses muscles avaient été considérablement tonifiés. Il était également devenu un peu plus grand. Et, il avait également acquis une grande partie des compétences nécessaires afin de se débrouiller dans ce monde.
Yuuto avait survécu à de nombreuses batailles sanglantes. Il n’était plus un enfant errant perdu et effrayé à travers ce monde. Y compris les branches du clan, il tenait entre ses mains la vie et l’avenir de dizaines de milliers de membres du Clan du Loup, en tant que leur patriarche souverain.
« Oh, ce n’est pas le moment de se laisser prendre par le sentimentalisme, » déclara-t-il. « Run, qu’en est-il de la souveraine capturée du Clan de la Corne ? »
Sigrun, qui lui avait affiché un côté plus semblable à un chiot alors qu’elle était caressée par Yuuto, avait instantanément repris son attitude plus digne. Bien qu’Yuuto avait eu moins d’occasions de la voir ainsi de ses propres yeux ces jours-ci, cette image était celle qui venait à l’esprit de la plupart des membres du Clan du Loup quand vous mentionniez le nom de Sigrun.
« Mais... Père, comme je voulais d’abord m’assurer de ta sécurité, » déclara Sigrun. « Je l’ai laissée sous la garde de quelques soldats se trouvant à proximité. Elle devrait être dans un char en route vers ici au moment où nous parlons. »
« Je vois..., eh bien, je me demande ce que nous devrions faire avec elle, » pour aucune raison particulière, Yuuto regarda le ciel.
Le soleil couchant avait commencé à teindre d’une couleur cramoisie le ciel de l’ouest. Les cris des corbeaux attirés par tout ce sang étaient devenus forts et grinçants.
À ce moment-là, ces pensées étaient naturellement focalisées sur ce qu’il devrait faire avec la souveraine ennemie. Il jeta un coup d’œil à Félicia, qui avait finalement réussi à réprimer son fou rire.
« Est-ce qu’elle acceptera sérieusement mon Calice ? » lui demanda-t-il.
« C’est difficile à dire, » lui répondit-elle. « J’ai entendu dire que Lady Linéa, la souveraine du Clan de la Corne, est extrêmement fière. Elle peut préférer une mort honorable à une vie tachée de disgrâce. »
« Dans ce cas, la faire mourir de notre propre main serait problématique, » Yuuto poussa un soupir de frustration.
Dans le monde d’Yggdrasil, le souverain était considéré comme le « parent » de tous les membres du clan, et ceux-ci le servaient en ayant les rôles d’« enfants » ou de « frères et sœurs plus jeunes », organisant le clan dans une sorte de structure pseudo-familiale.
À travers le rituel du « Calice de l’Allégeance, » un souverain établissait avec leurs enfants et leurs frères et sœurs cadets un lien ferme semblable à une cérémonie traditionnellement tenue lors des mariages Shinto et des initiations Yakuza. Le souverain pourvoyait à ses enfants et à ses frères et sœurs plus jeunes ce qu’il leur fallait avec soin et affection, et en retour, ils montraient à leur souverain la déférence et le respect dû à un parent ou à un frère aîné. Ces relations pseudo-familiales nées du Calice avaient en elles bien plus d’importance que les relations familiales classiques.
En d’autres termes, si leur souverain était tué, les membres du Clan de la Corne ne pardonneraient probablement jamais au Clan du Loup, se perdraient dans la haine et chercheraient la vengeance en raison de leur parent tué.
***
Partie 3
« Le commandant en second de l’ennemi ne devait pas participer à cette bataille, n’est-ce pas ? » demanda Yuuto à Félicia.
« C’est bien le cas. Apparemment, c’était en raison d’un ordre donné de rester à l’arrière afin de garder la capitale de leur clan, » répondit Félicia.
« J’ai rencontré une fois le commandant en second du Clan de la Corne alors que j’accompagnais ton prédécesseur, » Sigrun avait déclaré cela. « Je peux affirmer avec certitude que le commandant en second ne participait pas à cette bataille. »
Au milieu du chaos du champ de bataille, la propagation de la désinformation était chose fréquente. Mais avec Sigrun qui avait pris le commandement de la ligne de front, Yuuto pouvait faire confiance en ses paroles entre tous.
« Donc, une partie de la chaîne de commandement est encore intacte. Tout ceci est devenu plutôt problématique, » Yuuto se gratta la tête après avoir dit ça.
Alors que le commandant en second était traité plus comme le chef ou porte-parole des enfants et des frères et sœurs, il était toujours le numéro deux de la famille. Dans le cas où l’impensable événement devrait arriver au souverain, il était le suivant dans la ligne de succession.
Et dans la tradition du clan, ce successeur qui était choisi pour être le commandant en second non pas en raison de relations de sang, mais en vertu de sa force et de sa capacité. Le nouveau dirigeant serait sans doute également un adversaire redoutable.
« Si nous la tuons, cela deviendra un cas numéro quatorze des Trente-Six Stratagèmes [1] : “Faire revivre un corps mort”. Cela ne fera que renouveler le moral de leur armée. Dans ce cas, nous n’avons pas besoin de leur fournir une cause juste, » Yuuto avait pris son smartphone chéri de sa poche et avait maintenu le bouton d’alimentation afin d’allumer son téléphone.
Grâce à la batterie solaire miniature qu’Yuuto avait commencé à avoir en tout temps sur lui après avoir appris cette dure leçon de vie lors d’un violent tremblement de terre, il avait pu continuer à utiliser son smartphone pendant les deux années qui avaient suivi son arrivée dans ce nouveau monde.
Mais il s’agissait quand même d’une batterie miniature. Même s’il l’avait gardée au soleil toute la journée, il ne pouvait le maintenir allumé que pendant environ trente minutes d’un coup. C’était une quantité de temps si minuscule comparativement au temps qu’il passait dessus avant ça. Donc, il s’était promis de n’utiliser son téléphone que dans les moments où il en avait le plus besoin.
Après un certain temps, l’écran d’accueil était apparu, et il avait tapé sur l’icône « Bibliothèque ». Sur l’écran suivant était apparue la célèbre bannière « Fuurinkazan [2] » popularisée par Takeda Shingen, qui dénotait la version électronique du livre l’Art de la Guerre [3] de Sun Tzu, un classique chinois qui était encore fortement vénéré au 21e siècle. Il s’agissait de quelque chose qu’Yuuto avait téléchargé et qu’il avait commencé à lire après être devenu souverain, et il avait perdu le compte du nombre de fois où il l’avait relu.
« C’est... vraiment de la triche, » murmura-t-il. « Mon smartphone a tellement à offrir. »
Si Yuuto devait être placé dans les premières lignes, il ne serait pas de taille, et cela même face à un soldat novice. Il y avait tellement de choses dans ce monde dans lequel il était inexpérimenté, et il ne pouvait même pas lire et écrire correctement leur langue.
En toute honnêteté, le décrire avec le mot « inutile » serait un euphémisme.
Mais il y avait qu’une seule chose qu’Yuuto pouvait selon lui faire mieux que quiconque, et il s’agissait de la seule arme qu’il possédait : les connaissances du 21e siècle.
D’accord, il était encore qu’un étudiant et donc, les connaissances et les compétences qu’il possédait avaient leurs limites. Par exemple, s’il voulait construire ici un ordinateur à partir de zéro, cela lui serait totalement impossible.
Pourtant, dans ce monde où la civilisation n’avait pas encore prospéré, il y avait encore d’innombrables choses qu’il pouvait créer même sans compétences ou connaissances particulières.
Par exemple, dans cette bataille, ils avaient utilisé des armes dans le style des longues lances afin de vaincre leurs adversaires. S’il n’avait pas connu un certain jeu de stratégie historique populaire qu’il avait joué précédemment, il n’y avait aucun doute qu’Yuuto n’aurait jamais eu l’idée de faire construire ces longues lances et de les utiliser de cette manière.
Avec le recul, ces idées novatrices lui semblaient si évidentes, mais c’était frustrant dans le feu de l’action quand il essayait de trouver quelque chose d’utile pour le bien des autres. C’était comme l’Œuf de Colomb [4].
Normalement, de telles innovations appartenaient au domaine des génies ayant l’ingéniosité de briser les idées reçues, mais Yuuto utilisait à la place les connaissances du futur. Voilà pourquoi, pour lui, tout ce qu’il faisait était de relever tous les défis qui lui étaient présentés en trichant.
Il avait alors feuilleté de nombreuses pages jusqu’à ce qu’il en trouve une qui était pertinente. Il avait depuis longtemps mémorisé ce qui était écrit dessus.
« La meilleure chose à faire est de prendre le pays entier et intact, » il lisait à voix haute. « Le briser et le détruire n’est pas la bonne chose à faire. Il est donc préférable de capturer une armée entière que de la détruire. Par conséquent, combattre et vaincre lors de toutes vos batailles n’est pas l’excellence suprême, l’excellence suprême consiste à briser définitivement la résistance de l’ennemi sans avoir besoin de combattre. »
Pour le dire simplement, se battre et gagner n’était que la deuxième meilleure stratégie, forcer l’abandon total de l’ennemi était la meilleure stratégie. Yuuto fit un signe de tête, réfléchissant sur chaque mot alors qu’il suivait le texte avec ses doigts.
« Le nombre, » déclara-t-il. « Nous n’avons pas d’autre choix que de conclure un marché. »
En entendant ses mots, Sigrun et Félicia baissèrent la tête en signe de consentement.
Ce n’était pas comme si le Clan du Loup avait beaucoup de choix qui se présentait à lui. Ils avaient déjà saisi le tiers du domaine du Clan de la Corne. C’était plus que suffisant comme butin de guerre. Essayer de pénétrer plus profondément dans le territoire ennemi serait dangereux, et continuer avec cette situation de guerre trop longtemps épuiserait les ressources propres de leur pays.
Cela semblait être le bon moment. Cependant, le problème demeurait présent. « Quel type d’accord devrait-il proposer pour qu’il soit acceptable par les deux parties ? »
Les combats avaient commencé un mois plus tôt par l’invasion du Clan de la Corne ce qui fit que le Clan du Loup avait subi d’importantes pertes. Bien que le fait de tuer le souverain occasionnerait des problèmes bien spécifiques, le peuple d’Yuuto s’attendrait à un compromis important concédé par le Clan de la Corne après tous ces combats.
Yuuto croisa les bras et poussa un gémissement de frustration en considérant le problème. « Compte tenu de la situation, nous pourrions normalement leur faire échanger de la nourriture et des minéraux ou d’autres biens pour le retour de leur souverain, ou peut-être même leur faire céder du territoire. Mais si c’était possible, je préférerais qu’elle accepte mon Calice. »
Même si la nourriture ou le territoire du Clan de la Corne était pris, la racine du problème resterait toujours présente. Yuuto voulait que la guerre entre le Clan du Loup et le Clan de la Corne cesse définitivement. Il n’avait pas d’ambitions territoriales à proprement parler. Il n’avait qu’un seul fil conducteur en tant que souverain, et c’était de permettre aux membres du Clan du Loup de vivre en paix et dans l’abondance.
À cette fin, la coutume de ce monde impliquant le Calice était extrêmement pratique. Cela représentait quelque chose de tellement sacré et vénéré que le simple fait d’aller à l’encontre du Calice, même une fois, fût considéré comme le pire tabou. Le fait de briser ce vœu ferait automatiquement tomber en poussière toute confiance en cette personne.
On ne pouvait pas choisir les parents qui vous donneraient naissance comme on ne pouvait pas choisir les frères et sœurs avec lesquels nous allions être élevés. Mais avec le Calice, toutes personnes avaient le choix d’accepter ou non ce nouveau lien. Ainsi, le fait de trahir la personne que vous aviez choisi avec votre libre arbitre d’honorer en tant que parent avait toujours été considéré comme l’acte le plus méprisable possible en ce monde.
En d’autres termes, si le souverain ennemi acceptait son Calice, devenant ainsi un enfant ou un frère/sœur plus jeune, cela signifierait que le Clan de la Corne ne pourrait plus jamais s’opposer à Yuuto, et par extension, au Clan du Loup.
Paradoxalement, à cause de cela, un souverain ayant le devoir de protéger son propre clan ne se permettrait tout simplement pas d’accepter le Calice, car il finirait par être subordonné à un autre souverain. Ils ne pouvaient donc pas l’accepter.
« Dans ce cas, même s’il s’agit d’une sorte de tricherie, je suppose que nous aurons besoin de la même stratégie que nous avons utilisée avec le Clan de la Griffe ? » à ce moment-là, Yuuto repensa à ça, puis il se mit à rire avec moquerie de lui-même vis-à-vis des événements qu’il venait de se remémorer.
En toute honnêteté, il ne voulait pas le faire. Pourtant, il était le souverain et donc, sa position exigeait qu’il mette les besoins du clan au-dessus de ses propres besoins ou envies.
Les mots de Sun Tzu avaient commencé à se refaire entendre dans son esprit... ses propres besoins.
Il y a deux ans, alors qu’il avait été entraîné dans ce monde et qu’il avait erré en étant impuissant dans cette nouvelle contrée, le Clan du Loup, qui n’avait jamais été prospère, avait toujours pris soin d’Yuuto et l’avait nourri malgré sa faible valeur, et ainsi, il était venu lui-même à prendre soin d’eux.
Il s’était fait plusieurs amis comme Félicia et Sigrun, qui l’avaient suivie à travers les bons et les mauvais moments de la vie. Il voulait désormais les protéger d’une manière ou d’une autre. Il ne voulait pas voir mourir ses proches, ou les voir souffrir d’encore plus de chagrins.
Yuuto poussa un long soupir. Tant que cela signifiait que les pertes en vies humaines seraient ainsi diminuées, le fait d’endurer personnellement quelque chose de très désagréable était un prix qu’il serait plus que disposé à payer.
« D’accord, installez la tente. Préparez-vous à notre réunion, » déclara Yuuto.
Notes
- 1 Trente-Six Stratagèmes : Les 36 stratagèmes (ou stratégies) est un traité chinois de stratégie qui décrit les ruses et les méthodes qui peuvent être utilisées pour l’emporter sur un adversaire. Le traité a probablement été écrit au cours de la dynastie Ming (1366 à 1610).
Les stratagèmes sont applicables à une action militaire ou à un conflit de la vie quotidienne.
- 2 Fuurinkazan : (風林火山), littéralement « Vent, forêt, feu et montagne », est l’étendard de guerre employé par Takeda Shingen, daimyo de la période Sengoku. Le texte inscrit sur l’étendard est une citation du chapitre 7 de L’Art de la guerre de Sun Tzu : « Déplace-toi aussi vite que le vent, reste aussi silencieux que la forêt, attaque aussi férocement que le feu, que ta défense soit invincible comme la montagne. »
- 3 Art de la guerre : (en chinois : 孙子兵法, pinyin : sūn zǐ bīng fǎ, littéralement : « Stratégie militaire de maître Sun ») est le premier traité de stratégie militaire écrit au monde (vie siècle av. J.-C. – ve siècle av. J.-C.). Son auteur, Sun Tzu (孙子, sūn zi), y développe des thèses originales qui s’inspirent de la philosophie chinoise ancienne. C’est l’essence de la guerre psychologique illustrée notamment par la guerre d’Indochine, la guerre du Viêt Nam et la guerre sino-vietnamienne.
- 4 Œuf de Colomb : L’expression « œuf de Colomb », utilisée pour qualifier une idée simple mais ingénieuse, provient d’une anecdote.
Lors d’un repas en présence du navigateur Christophe Colomb, un invité aurait voulu minimiser l’importance de la découverte du Nouveau Monde en disant : « Il suffisait d’y penser. » Pour répondre à cette provocation, l’explorateur aurait proposé un défi à ses convives. Il leur aurait demandé de faire tenir debout un œuf dur dans sa coquille. Personne n’y aurait réussi, sauf Christophe Colomb, qui aurait écrasé simplement l’extrémité de l’œuf et se serait écrié : « Il suffisait d’y penser ! »
***
Partie 4
« Hé, ne poussez pas, » une jeune fille avait ainsi été conduite dans la tente. « Je peux parfaitement marcher par moi-même ! »
« Hein !? » Une exclamation fade provoquée par le choc glissa hors des lèvres d’Yuuto. Se frottant les tempes avec ses index, Yuuto afficha à Félicia, qui était assise à ses côtés, un air perplexe. « ... Cette gamine est-elle la matriarche souveraine ? »
Certes, les vêtements qu’elle portait étaient beaucoup plus élégants que ceux d’un soldat typique, et un cercle d’or brillait sur son front. Il ne semblait y avoir aucun doute qu’elle possédait un statut social élevé. Mais même s’il le savait, il ne pouvait pas s’empêcher d’être surpris en raison de son âge.
Assise à ses côtés, Félicia avait fait un signe de tête solennel. « Tout à fait. Elle est bien Lady Linéa, la matriarche souveraine du Clan de la Corne. »
« Mais elle est encore une enfant, » déclara Yuuto.
« Vous avez à peu près le même âge que moi, gamin ! » la souveraine du Clan de la Corne cria, mécontente des paroles impétueuses d’Yuuto.
Puis, retournant son regard vers elle, il vit qu’elle le regardait avec ses yeux remplis de rage.
Ses cheveux, coupés courts et nets autour de la nuque, lui donnaient une apparence de garçon, et elle était en fait une fille très mignonne. Elle avait probablement environ un an ou deux de moins qu’Yuuto. En voyant son petit corps ligoté avec toutes ces innombrables cordes, il se sentit un peu désolé pour elle.
Yuuto avait entendu dire que la souveraine actuelle du Clan de la Corne était une femme. Bien qu’elle soit une fille, elle avait surpassé tous les autres et avait pris le contrôle des guerriers sauvages et turbulents de son clan en devenant leur souveraine, une femme redoutée et vaillante appelée Hildisvíni, « la Dame Tigresse Cramoisie ». Mais la fille qui était devant lui, grognant et menaçant, lui donna moins l’impression d’une tigresse que d’un chat sauvage, voir même d’un chaton.
« Eh bien, je suppose que dans cet endroit, ce n’est pas si étrange, » déclara-t-il.
En vérité, un jeune homme comme Yuuto servait également de souverain au Clan du Loup, et même si Félicia et Sigrun étaient des filles encore adolescentes, elles étaient toutes les deux placées dans des positions respectées au sein du clan.
En Yggdrasil, la force était la seule chose qui importait. Si vous aviez de la force, être jeune ou femme n’était pas des choses pertinentes.
« De toute façon, je suppose que des présentations seraient appropriées. Je suis Yuuto, le souverain du Clan du Loup, » déclara-t-il.
« ... Hmm, » Linéa avait répliqué à la présentation d’Yuuto en détournant son regard et en se plantant fermement sur le sol.
Mais Yuuto pouvait voir à travers son rapide tremblement. Le fait d’agir de manière si courageuse était probablement une ruse afin de détourner l’attention de sa peur.
« Je ne me soucie pas de ces tentatives inutiles. Permettez-moi d’aller droit au but. Acceptez-vous de devenir l’une de mes subalternes... c’est à dire, l’une de mes enfants ? » demanda Yuuto, adoptant une attitude pleine d’arrogance.
« Je refuse ! » cria Linéa. « Pourquoi un membre des Cornes accepterait-il d’être soumis par l’un de vos Chiens ? Cessez ces absurdités ! »
Sans la moindre hésitation, Linéa avait carrément refusé sa proposition. Et le fait qu’elle les avait appelés des Chiens avait clairement montré qu’elle les considérait avec mépris.
« Certes, nous avons peut-être subi une défaite cette fois-ci ! » continua-t-elle. « Mais les prouesses nationales du puissant Clan de la Corne dépassent encore de loin celles de vos Chiens. Un tel miracle ne se reproduira jamais. Maintenant, si vous voulez me tuer, alors faites-le vite ! Mais votre tête sera la suivante à rouler. Alors, allez vous laver le cou avant d’aller attendre votre destin ! Hahaha ! »
« Hehe, hehe... n’êtes-vous pas celle qui devrait cesser de dire des bêtises ? » Félicia posa une main sur sa joue et affirma cela avec un long soupir, comme si elle déversait un seau d’eau glaciale sur Linéa à la hauteur de son amusement.
Son éclat de rire que Félicia avait eu plus tôt apparut à nouveau et le visage de Linéa s’empourpra d’un rouge cramoisi en un clin d’œil. « Comment ça, des bêtises !? »
« Je veux parler des absurdités que vous débitez chaque fois que vous ouvrez votre bouche. Il est possible que nous ayons autrefois semblé être comme des chiens pour vous. Mais par la main de notre frère aîné, nous avons ressuscité. Nous sommes désormais indomptables, de véritables Loups. Tant qu’il est aux commandes, un simple rassemblement de porc à l’esprit lent ne sera pas de taille face à nous, » un sourire s’étira sur les lèvres de Félicia, et son ton était poli, mais cela ne pouvait masquer le degré de dédain présent dans ses paroles. Vous ne pourriez pas trouver un meilleur exemple d’une insulte enveloppée dans une courtoisie superficielle.
« Quoi !? Ce gamin à l’air faible ne pourrait pas être si génial que ça ! » déclara Linéa.
*Bruit sourd* *Boom !*
Un important bruit retentit dans la tente. Sigrun, qui attendait silencieusement à côté d’Yuuto, avait fait claquer son poing sur le bureau en bois qui se trouvait devant eux, le fracassant de part en part en deux.
Ce n’était pas la force typique que l’on pourrait attendre d’une femme. Même parmi les hommes massifs, il y en avait peu qui pouvaient effectuer un tel exploit.
Un motif qui n’était pas là auparavant apparut sur l’épaule gauche de Sigrun et commença à émettre une faible lumière. Il s’agissait de la rune Hati, la Dévoreuse de Lune, qui avait accordé à son porteur ses traits de loups et sa force physique extraordinaire.
« Surveillez vos paroles ! Je ne pardonnerai à personne d’insulter le Père, » Sigrun s’énerva face à ces paroles et elle regarda de haut Linéa avec importante arrogance. Dans son expression et sa voix, il n’y avait même pas un indice de la douceur qu’elle utilisait lorsqu’elle interagissait avec Yuuto. Elle était froide comme de la glace, et tranchante comme une lame.
« Ah ! » Linéa avait automatiquement tressailli.
Sigrun avait été celle qui l’avait capturée. Même si Linéa avait sûrement été sous la protection de plusieurs soldats forts et robustes, le fait d’avoir eu un combat rapproché avec elle au cours de la dernière bataille avait sans aucun doute gravé une véritable peur de Sigrun dans la moelle même de ses os. Cette force terrifiante venait d’être exposée une fois de plus. Il n’y avait aucun doute que Linéa était terrifiée.
L’air toujours tendu, Sigrun avait effectué un grognement audible. « Tout comme le Père, vous êtes devenue une souveraine à un si jeune âge, mais peu importe comment vous le regardez, vous n’arrivez même à la cheville de sa grandeur. »
« Allons, allons, Run, » Félicia lui parla à ce moment-là. « Cette comparaison est en elle-même une insulte envers notre Grand Frère. »
« Hmm, » répondit Sigrun. « Je déteste quand je suis d’accord avec toi, Félicia, mais pour une fois, elle et moi voyons les choses de la même façon. »
« Arg ! Grr !! » Linéa semblait incapable de trouver ses mots.
« Mais..., mais, mon Dieu ! Elle gémit et elle grogne... Qui est donc le vrai chien ici ? » Félicia se moqua d’elle.
« C’est exact. Cela grogne et renifle comme le cochon que vous êtes. Cela vous convient vraiment, » avait convenu Sigrun.
Regardant les plaisanteries sans retenue entre les deux, Linéa hurla soudain de fureur. « Pourquoi, vous... ! Ne me regardez pas avec dédain ! »
L’expression effrayée de Linéa avait été instantanément remplacée par de la rage, elle se jeta sur Sigrun malgré ses liens. Les gardes qui l’avaient amenée ici lui avaient rapidement tenu les épaules baissées. Pourtant, ses grognements et son regard haineux percèrent Yuuto et les autres.
Elle était vraiment comme un chien enragé.
« Eh bien, maintenant... Il semble que les rumeurs à propos de votre fierté soient fondées, » déclara Yuuto dans un souffle, afin que Linéa ne l’entende pas.
Cette fierté était probablement une couverture de surface pour un manque de confiance intérieure. L’explosion de colère qu’elle avait eue plus tôt était le résultat de son incapacité à supporter d’être méprisée. Pourtant, cela ferait de cette situation le moment opportun.
« Vous deux, maîtrisez-vous, » ordonna Yuuto. Se redressant après avoir reposé son menton entre ses mains, il feignit un ton exaspéré. « Elle est encore, pour le meilleur ou pour le pire, la souveraine du Clan de la Corne. Faites donc attention avec vos mots grossiers. »
« Père ! » Les deux filles avaient immédiatement respecté l’ordre.
Yuuto savait qu’elles avaient agi comme il le leur avait demandé de faire, mais il ne pouvait pas supporter d’entendre plus longtemps tout cela. Il ne se voyait pas comme une grande figure de l’histoire. Il avait essayé de supporter le sentiment de nervosité et d’anxiété qui découlait toujours de leurs flatteries.
« Pardonnez-les pour leurs impolitesses, Lady Souveraine de la Corne, » déclara Yuuto à Linéa. « Je m’excuse que mes subordonnés aient manqué d’une manière ou d’une autre de l’apprentissage de la discipline. »
« ... Euh, eh bien, je suis également allée trop loin en vous appelant des chiens, » répondit Linéa. Son attitude s’était considérablement adoucie.
Depuis qu’il était devenu souverain, Yuuto avait lu de nombreux livres sur les techniques de négociation. Il avait estimé que de telles techniques étaient vitales pour quelqu’un au sommet.
L’une de ces techniques consistait à jouer la scène du « bon flic, mauvais flic ». Il s’agissait d’une tactique classique dans les procédures policières. Avec cette technique, un policier agressif utiliserait des insultes, des menaces et une manière grossière et oppressive pour contrarier la cible. Puis un second policier avec un comportement plus doux interviendrait, réprimandant le policier agressif, afin que la conversation se déroule mieux, et le bon flic gagnerait la bonne volonté et la sympathie de la cible.
Dans cette situation, Félicia et Sigrun jouaient le rôle des mauvais flics, tandis qu’Yuuto jouait le rôle du bon flic.
« Revenons sur le sujet, » déclara-t-il. « De quoi parlions-nous avant ça ? Oh, oui, du fait de devenir mon enfant. »
« ... Et je vous ai dit que je n’étais pas intéressée par l’offre, » Linéa avait encore une fois déclaré son refus, mais cette fois, il lui manquait sa férocité. C’était comme si elle le disait sans enthousiasme afin de tenter de se rassurer.
Les choses se passaient comme prévu, et Yuuto ne pouvait s’empêcher de se réjouir dans sa tête.
Sa conscience le grondait pour avoir escroqué, trompé et menacé une fille d’un âge si tendre, mais s’il ne pouvait pas mener ces négociations vers une fin appropriée, les combats se poursuivraient et les deux parties verraient encore plus d’effusions de sang. Yuuto n’avait d’autre choix que d’utiliser ces moyens pour éviter ce résultat.
Les fondations avaient été posées. Et ayant attendu que le moment soit enfin là, Yuuto pouvait maintenant faire ses véritables demandes.
« Hm... Eh bien, que diriez-vous de devenir ma petite sœur ? » demanda-t-il.
La matriarche souveraine du Clan de la Corne, Linéa, était aussi démoralisée qu’une personne pouvait être.
Peu importe combien de fois elle y avait réfléchi, elle n’avait pas pu trouver une explication satisfaisante quand à la façon dont ils s’étaient retrouvés dans cette situation.
Il y a trois ou quatre générations, le Clan du Loup prospérait, mais maintenant il était en ruines. Dans une telle situation, il était devenu un petit clan dont la puissance nationale était largement inférieure à celui du Clan de la Corne. Et jusqu’à tout récemment, il était dans une guerre avec un pays voisin, le Clan de la Griffe. Il n’était donc pas difficile d’imaginer qu’il continuerait à tomber dans le désarroi jusqu’à sa mort.
De plus, lorsque le nouveau souverain du Clan du Loup était arrivé au pouvoir il y a un an, elle avait entendu dire qu’il n’était qu’un jeune garçon de seize ans d’origine inconnue. Il aurait dû être facile de s’occuper de lui et à le vaincre...
Cela aurait dû être ainsi, c’était même le bon sens qui parlait...
Après avoir rassemblé près du double de soldats que leurs ennemis et alors qu’elle s’attendait à une bataille sans faille ainsi qu’à une victoire facile, elle avait à la place subi une défaite cruelle et écrasante... la fière commandante s’était maintenant résignée à son destin en tant que prisonnière.
La réalité à laquelle elle était maintenant confrontée était sombre : l’ennemi qu’elle avait méprisé comme de simples chiens voyait maintenant clairement son peuple, le Clan de la Corne, comme complètement indigne d’eux. Bien sûr, ce comportement était en partie juste de la vantardise, le Clan du Loup exagérant leur force face à une ennemie vaincue afin de faire avancer les négociations en leur faveur. Après tout, être le vainqueur avait ses avantages.
Pourtant, ce n’était que la moitié la vérité. Les regards de respect et d’adoration que les membres du Clan du Loup avaient faits envers Yuuto n’étaient pas normaux. Ils déversaient tous la dévotion due à un souverain extraordinaire sur ce garçon qui lui semblait faible de prime abord.
Cela comprenait également Sigrun le Mánagarmr et Félicia l’Alsviðr, alias « La Louve Sage », qui étaient toutes deux des guerrières dont les noms étaient connus même parmi le Clan de la Corne. Et plus que toute autre chose en ce moment, le fait que le Clan de la Corne ait subi une telle défaite écrasante était sûrement un aiguillon dans le flanc de Linéa.
Elle commençait à se demander si elle n’avait pas fait une grossière erreur de calcul. Si les choses continuaient comme ça, son propre clan pourrait être détruit.
« ... Une petite sœur ? » demanda lentement Linéa.
Alors qu’une telle concession lui étant présentée comme si Yuuto offrait un coup de main, même Linéa ne pouvait pas cette fois-ci la refuser catégoriquement.
Il était de notoriété publique dans ce monde que de devenir un enfant subordonné signifiait par principe l’obéissance absolue. Bien sûr, elle ne pouvait pas accepter ça.
Les frères cadets et sœurs cadettes devaient également respecter et obéir à leur frère aîné ou à leur sœur aînée, mais cela n’était pas aussi rigide qu’avec les enfants subordonnés. En tant qu’option, il y avait plus de raisons de ne pas au moins considérer avec attention cette proposition.
« C’est le seul et unique compromis que je suis disposé à vous offrir, » lui déclara Yuuto.
« Arg ! » Linéa laissa échapper un cri angoissé et sans paroles.
Il s’agissait d’une affaire qui nécessiterait une délibération minutieuse, mais elle n’avait pas de temps pour le faire. En premier lieu, réfléchir calmement à ces choses dans la situation actuelle serait presque impossible. Par conséquent, elle n’avait pas remarqué le piège.
Yuuto pourrait traiter cela comme une concession, mais il ne lui avait rien donné... il se contentait de retirer les demandes les plus fermes. Il s’agissait d’une tactique appelée la « Surévaluation ».
Il s’agissait d’une tactique de négociation utilisée dans les cas où l’on savait que les demandes correctes seraient refusées dès le départ, donc le négociateur commençait par émettre des exigences encore plus élevées, voire aberrantes, et ensuite, après que ces demandes avaient été refusées, il proposait des demandes plus réduites, qui était en vérité les demandes initiales qui avaient voulu être faites au départ.
En outre, à cause des effets de la tactique du « bon flic, mauvais flic » mentionnée ci-dessus, il avait planté la possibilité troublante que sa proposition soit peut-être plutôt gentille.
Linéa avait été complètement prise au piège par le plan d’Yuuto. « Argg, mais... »
Pourtant, il semblait que Linéa n’était pas encore prête à devenir la plus jeune sœur d’Yuuto. Apparemment, elle était encore en opposition face à l’idée de devenir obéissante à ces chiens de rang inférieur. Si elle devenait sans vergogne la petite sœur d’un « chien » et qu’elle retournait ensuite dans son pays, elle ne pourrait éviter les accusations selon lesquelles elle aurait vendu son propre peuple.
Le fait d’être vue de cette façon serait une insupportable humiliation. Elle avait probablement estimé que la mort serait vraiment une meilleure fin qu’un tel sort.
« J-Je refuse. Nous, du Clan de la Corne, nous refusons de nous placer en dessous de vous, du Clan du Loup..., » déclara Linéa.
« Je vois, » répondit-il. « Alors je suppose que je n’ai pas d’autres options à disposition. Nous allons avoir une deuxième Van sur les bras... »
« ... !? Alors, prévoyez-vous de brûler notre ville jusqu’au sol !? » s’exclama-t-elle.
Le commentaire d’Yuuto était si désinvolte, comme si cela semblait presque être une pensée d’après-coup, mais Linéa bouillait. Le souverain du Clan du Loup la regardait avec des yeux froids et inhumains, semblant complètement imperturbable par l’humeur menaçante de Linéa.
Van.
Le nom d’une ville qui avait autrefois fait partie du domaine du Clan de la Griffe.
Désormais, elle n’existait plus.
C’était parce que l’homme devant elle avait tout brûlé, y compris les femmes et les enfants, ne laissant pas un seul habitant en vie.
« Tout ceci, c’est seulement si vous n’acceptez pas mon Calice, » ajouta Yuuto. « Je n’ai pas l’intention de pardonner à quiconque se dresserait contre moi. »
« ... ! »
Sa déclaration franche et froide avait fait que le sang qui avait empourpré son visage avait complètement été drainé hors de là.
Quand Linéa avait levé ses troupes afin d’attaquer le Clan du Loup, l’une des raisons était son sentiment d’indignation vis-à-vis du Vánagandr... aussi appelé « La Tragédie de Van », et du souverain qui avait ordonné l’attaque. Elle ne pouvait pas accepter quelque chose, ou quelqu’un, qui soit si inhumain. La pensée de cette atrocité pesait de nouveau lourdement sur le cœur de Linéa.
Bien qu’elle portait le titre de « souveraine », elle était encore une jeune fille, et elle n’avait même pas quinze ans. C’était la première fois qu’elle comprenait vraiment depuis qu’elle était devenue souveraine la réalité quant au fait que ses décisions avaient un impact sur la vie de dizaines de milliers de personnes. Son corps n’arrêterait pas de trembler.
« Ça ne me dérange pas. Alors, qu’est-ce que cela va être ? » rajouta Yuuto. « Dépêchez-vous et décidez-vous. Mon offre ne restera pas longtemps sur la table des négociations. »
« Argg!! » elle s’était finalement exclamée. « Très bien. Je deviendrai votre petite sœur. Cependant, je ne deviendrais pas un enfant subordonné ! Simplement une petite sœur ! »
Au fin fond de sa tristesse écrasante, Linéa avait finalement accepté la proposition d’Yuuto.
***
Partie 5
« Ouffffffffffffffff ! »
Une fois que la réunion des patriarches souverains avait été ajournée et que Linéa était complètement hors de vue, l’épuisement s’était abattu d’un coup sur le corps d’Yuuto. Il s’agissait probablement du résultat d’avoir dû maintenir une telle tension pendant si longtemps.
Après ce si long soupir, son corps glissa hors de son siège jusqu’à arriver sur le sol.
« V-Vas-tu bien, Père !? Est-ce que quelque chose est arrivé à ton corps ? » Sigrun se précipita jusqu’à se mettre à genou devant Yuuto, sincèrement paniquée.
Pas l’ombre de la froideur ou de la dureté qu’elles avaient affichée face à Linéa était encore présente en elles. Réalisant cela, Yuuto ne pouvait pas s’empêcher d’afficher un sourire ironique.
Tous les membres du Clan du Loup acceptaient très mal de se faire appeler des chiens, mais la façon dont Sigrun agissait maintenant rendait impossible de ne pas penser à un chien qui gémissait d’inquiétude pour son maître. Bien sûr, il n’y avait aucune possibilité qu’il dise quelque chose d’aussi impoli, alors il avait simplement dit autre chose à la place.
« Je suis juste fatigué, » déclara-t-il. « Tu t’inquiètes toujours trop. Bien que je suppose que je sois faible et fragile selon les normes de ce monde. »
« N-Non, ce n’est pas..., » la voix de Sigrun avait diminué d’intensité et ses paroles s’évanouirent dans le silence.
Elle pense vraiment que je suis faible, pensa Yuuto en affichant un sourire ironique.
Mais il ne la blâmait pas du tout pour ça. Quand il était arrivé dans ce monde, la nourriture et l’eau n’étaient pas tout à fait convenables avec ce qu’il pouvait consommer à ce moment-là, et il avait régulièrement eu du mal à garder quoi que ce soit dans son estomac. Il soupçonnait que l’image restait même maintenant dans les souvenirs de Sigrun.
« Hehe ! Affalé sur le sol comme ça, personne ne croirait que tu étais le grand “Hróðvitnir” dont le nom est célèbre parmi nos pays voisins, » les yeux de Félicia se plissèrent en raison de son amusement.
Yuuto s’était glissé sur le sol, s’appuyant contre les pieds de la chaise pour se soutenir, que la dignité soit damnée.
« Ce n’est que de l’infamie, et non pas de la célébrité, » déclara-t-il en se redressant.
À la suite de l’incident survenu à Van, Yuuto avait acquis le surnom de Hróðvitnir, « l’Infâme Loup », ainsi que la réputation à travers le continent d’être un despote impardonnable et inhumain.
Il avait en vérité aidé à répandre cette réputation partout où il pouvait.
Tout comme avec Sun Tzu, Yuuto avait commencé à lire Le Prince de Machiavel après être devenu souverain afin d’acquérir des connaissances convenables à un dirigeant. Il y était dit que ceux qui seraient des dirigeants, tout en se comportant normalement avec bienveillance, devraient être insensibles ou carrément vicieux à certains moments. Il avait également écrit que, si l’on devait commettre de telles atrocités, elles devraient être faites tout à la fois, plutôt que petit à petit.
Cela ferait que les gens vous craignaient, leur retirant tous désirs de vous combattre, et finalement les incitaient à vous obéir.
Un exemple célèbre de ceci avait été l’atrocité par Masamune Date au château d’Odemori. Après avoir capturé le château, Masamune avait procédé au massacre de ses habitants. En entendant cela, son ennemi Sadatsuna Oouchi avait été absolument terrifié et s’était retiré au château d’Obama sans se battre. Après avoir atteint le château d’Obama, Masamune l’avait capturé sans avoir à verser la moindre goutte du sang de ses propres hommes. Plus tard, Sadatsuna Oouchi devint même soumis à Masamune.
En ce sens, on pourrait dire que l’idée du Vánagandr était née de cet événement.
« Je ne peux toujours pas l’accepter, » Sigrun avait déclaré cela avec indignation. « Le Père n’a jamais commis d’atrocité à Van. Il est une personne si bienveillante... »
« Je ne suis pas bienveillant, juste doux, » répondit Yuuto avec une expression douloureuse, marmonnant en secouant la tête d’un côté à l’autre.
La réalité n’était pas si simple. Tout comme être impartial et insensible pouvait vous permettre d’éviter des effusions de sang à certains moments, être trop amical pourrait en fait conduire un ennemi à vous prendre à la légère, et ainsi intensifier non seulement les combats et les effusions de sang à la suite de ça.
Il était vrai qu’Yuuto avait brûlé Van, mais en réalité, il avait secrètement déplacé ses habitants vers une ville du territoire du Clan du Loup avant de le faire. Et ainsi, la légende de ses atrocités était née.
On disait qu’il ne pouvait pas y avoir d’endiguement des rumeurs. Si la vérité se répandait et que les clans voisins voyaient le Clan du Loup comme faible, cela pourrait mener à des combats où beaucoup plus de sang du Clan du Loup serait versé que celui des habitants de Van qui avaient été épargnés. Pourtant, bien qu’il ait connu ce risque, Yuuto n’avait pas été capable de tuer ces personnes. Il ne pouvait pas aller aussi loin. Il ne pouvait pas être si insensible.
Il avait agi ainsi même si la réalité de ce monde, dans lequel la faiblesse et la douceur seraient remboursées par des effusions de sang, lui avait été clairement montrée à maintes reprises.
« ... Hein !? » s’exclama-t-il. Il fut soudain enlacé avec force.
Dans l’instant suivante, une sensation douce et chaude couvrit son visage.
Encore ? Dès qu’il avait réalisé qui c’était, Yuuto avait paniqué et avait essayé de se retirer.
« Je trouve ta générosité inestimable, Grand Frère, » déclara Félicia. « S’il te plaît, ne te blâme pas. »
La douce et tendre voix de Félicia lui enleva la force de résister. Il pouvait entendre son rythme cardiaque. C’était comme si son dégoût de soi qui avait meurtri son propre cœur avait été guéri.
« ... Félicia, merci, comme toujours, » déclara-t-il.
« Hehe ! Je n’ai rien fait qui nécessite que tu me remercies, » répondit-elle.
« Pourtant, j’apprécie, » déclara-t-il.
« Je-j’ai aussi beaucoup de respect pour toi, Père !! » déclara Sigrun.
« Ah, et merci aussi à toi, Run, » déclara-t-il.
« Super ! » Un sourire se répandit sur le visage de Sigrun comme une fleur en pleine fleuraison. Elle était vraiment folle de joie en entendant les mots simples d’Yuuto.
Yggdrasil n’était ni l’époque ni le lieu où Yuuto était né et avait grandi. Il y avait beaucoup d’aspects de la vie courante ici qui était incommodante pour lui, et le mal du pays soufflait régulièrement dans son cœur tel un vent glacial. Mais il avait aussi des personnes comme Félicia et Sigrun qui avaient pris soin de lui, et qui l’avaient aidé.
Un sourire apparut soudain sur les lèvres d’Yuuto. « Tout va bien. Allons-y et retournons à notre ville, Iárnviðr. »
***
Acte 2
Partie 1
Le souvenir le plus ancien qu’Yuuto pouvait se rappeler était celui de flammes ondulantes d’une fournaise dans une pièce sombre.
Le père d'Yuuto était un artisan sérieux qui rentrait rarement chez lui. Il choisissait principalement de s’enfermer dans son petit atelier en bordure de la ville. Il avait été taciturne, et même dans les quelques occasions où il revenait à la maison, il ne parlait quasiment jamais à quelqu’un.
Naturellement, Yuuto n’avait aucun souvenir d’avoir un jour joué avec lui. Malgré tout, il se rendait souvent à l’atelier et observait simplement son père, alors qu’il balançait son marteau avec une concentration résolue sur ce qu’il faisait.
Quand il avait atteint les dernières années de l’école primaire, son père avait commencé à lui permettre de l’aider. La première fois qu’il l’avait fait, c’était également la première fois que le père d’Yuuto lui avait appris à faire quelque chose. Et ainsi, Yuuto s’était assuré de se souvenir de tout ce qu’il lui avait enseigné.
En y repensant maintenant, il n’y avait pas grand-chose qu’il avait pu faire en tant qu’élève du primaire. Pourtant, le fait d’être capable d’aider son père était quelque chose dont il était fier.
Yuuto avait vraiment beaucoup aimé son père et il l’avait respecté du fond de son cœur.
Il avait cessé de ressentir ça deux mois avant d’être coincé ici en Yggdrasil.
Cela avait duré jusqu’au moment où il entendit les paroles que son père avait déclaré le jour où sa mère était morte...
***
« Tsss, pas encore, » ouvrant les yeux, Yuuto poussa un profond soupir et se leva.
Même s’il ne voulait pas se remémorer de son père, parfois de tels souvenirs remontaient à la surface de ses rêves. Rien n’était plus déprimant pour lui que de penser à ça.
L’intérieur de la tente était à la merci d’une obscurité inconnue. Apparemment, il s’agissait encore de la nuit. Une demi-journée s’était écoulée depuis la bataille contre le Clan de la Corne. Ils devraient arriver dans l'après-demain à la capitale du Clan du Loup, Iárnviðr.
La distance était assez proche pour qu’une personne voyageant en carriole puisse l’atteindre en quelques heures, mais avec des fantassins représentant plus de la moitié de leurs forces armées, c’était la vitesse la plus rapide qu’il pouvait avoir. Et avoir fait un camp n’avait que faiblement réduit son épuisement. Il voulait plus que tout retourner en ville et pouvoir être dans sa propre chambre, mais il ne pouvait pas y faire grand-chose pour le moment.
« Hmm, je suppose que je vais dans ce cas me lever, » murmura-t-il. Il aurait espéré pouvoir se rendormir, mais son esprit était totalement éveillé. Pour l’instant, il ne semblait pas que le marchand de sable lui donne cette possibilité.
Maudit sois-tu ! Vieil homme, Yuuto proféra une malédiction et se dirigea vers le rideau suspendu au-dessus de l’entrée, le poussa et sortit de sa tente.
Un nombre insondable d’étoiles scintillaient dans le ciel nocturne, comme s’il avait été recouvert de gemmes.
Dans le Japon du 21e siècle, grâce à la pollution lumineuse dans les villes, la campagne rurale était vraiment le seul endroit où l’on pouvait avoir une telle vue. Mais Yuuto avait été élevé dans la campagne, donc il s’agissait d’un spectacle avec lequel il avait toujours grandi, et cela expliquait pourquoi il n’était pas particulièrement ému par ça. Tout ce que cela lui faisait maintenant était d’accentuer le mal du pays.
« Ah oui. Aujourd’hui serait le jour de Tanabata [1], » murmura-t-il.
Dans le ciel du nord-est, Yuuto avait remarqué que deux étoiles particulièrement brillantes s’étaient levées à l’horizon, lui rappelant la date affichée sur son smartphone. Cela faisait également deux ans, jour pour jour, depuis qu’il était venu dans ce monde.
« Ayant encouru la colère des cieux, Orihime et le Berger ne purent plus jamais se rencontrer, » Yuuto murmura la vieille légende en utilisant ces deux étoiles comme point de départ pour en chercher d’autres.
Assez rapidement, il trouva Lyra et Aquila. Directement en dessous, à la limite de l’horizon, il y avait une bande de lumière trouble... la Voie lactée, la « rivière des cieux » qui coulait à travers l’espace.
« Franchement... le ciel nocturne ici n’est pas bien différent de celui que j’avais dans mon monde, » murmura-t-il.
Pour les étoiles, même plusieurs millénaires n’étaient rien de plus qu’un clin d’œil. Malgré sa mélancolie, Yuuto s’accrochait fermement à cette pensée.
Ce ciel nocturne familier était un élément d’information importante pour lui. Cela signifiait qu’Yggdrasil n’était pas un autre monde, mais qu’il se situait plutôt quelque part sur Terre.
Basé sur quelques déductions supplémentaires, il avait conclu qu’il était possible qu’il ait été jeté dans le passé. En raison de son estimation de la culture et des outils qu’ils utilisaient ici, il semblerait probable qu’elle se situerait entre 2000 et 1300 av. J.-C.. En d’autres termes, nous nous trouvions vers la fin de l’âge du bronze.
Pour commencer, sur la Terre moderne, Yuuto ne pensait pas qu’il y avait encore un endroit où les guerres étaient menées avec des épées et des lances. Peut-être qu’ils le faisaient dans les profondeurs des bois dans l’Afrique ou dans ce genre de lieu, mais les constellations avaient mis en évidence qu’il était dans l’hémisphère nord.
Après ça, il y avait les territoires. Non seulement le Clan de la Corne, mais aussi le Clan du Sabot s’étaient tous deux vantés de posséder de vastes étendues de terres fertiles. Il avait entendu dire que sur Yggdrasil, il y avait de nombreux clans de la taille et de l’envergure du Clan du Sabot.
Il était difficile de penser que pendant ou après l’impérialisme qui avait commencé à l’Ère des Grandes Découvertes [2] du milieu du 15e siècle, les Occidentaux avaient agressivement envahi d’autres territoires au nom de Dieu alors que l’empire regardait ces voisins ayant beaucoup de vastes terres arables d’un œil intéressé. Ils voudraient très certainement les coloniser. Yuuto ne pouvait expliquer cette situation que parce qu’il avait été envoyé beaucoup plus loin dans le passé.
« Pourtant, où est exactement cet endroit ? » murmura-t-il.
Contemplant le ciel tout en étant seul, il ne pouvait s’empêcher de se le demander. Yuuto avait perdu le compte du nombre de fois où il s’était posé cette question, et ainsi, sans but, il regarda la chaîne de montagnes illuminée par la lumière de la lune.
Il s’agissait des montagnes de Himinbjörg, l’une des trois chaînes de montagnes qui avaient jailli du centre d’Yggdrasil et qui étaient connues sous le nom du « Toit d’Yggdrasil ». Yuuto se souvient avoir entendu le mot « Yggdrasil » avant même de venir ici. Il s’agissait d’un terme utilisé assez souvent dans les jeux et les mangas. Il se référait à l’arbre monde qui était fréquemment apparu dans les vieux mythes nordiques. La ville vers laquelle ils se dirigeaient maintenant, Iárnviðr ou « Bois de Fer », était aussi un nom qui se trouvait souvent dans les mythes nordiques, connus comme une forêt habitée par des loups.
« Cependant, ce n’est pas l’Europe du Nord, » murmura-t-il.
En vérifiant son téléphone et en cherchant dessus, il avait rapidement compris comment évaluer la latitude. S’il pouvait mesurer l’angle sous lequel Polaris était placée dans le ciel, il pourrait l’estimer. Bien qu’il ne soit rien d’autre qu’un simple astronome amateur, Yuuto avait deviné qu’ils étaient plus ou moins entre le 50e parallèle nord et le 52e parallèle nord, donc à peu près alignés avec la partie centrale de l’Allemagne.
Les mythes nordiques étaient à l’origine appelés mythes du peuple germanique, ce qui pourrait laisser croire que c’était l’Allemagne, mais cela ne semblait pas être non plus le cas.
La chaîne de montagnes qu’Yuuto regardait maintenant donnait l’impression d’être assez grande pour percer le ciel, mais c’était quelque chose qu’il avait été incapable de trouver. Il n’y avait rien de semblable à ça près de la ligne du 50e parallèle nord. Il avait déjà souvent fixé la carte de l’Europe affichée sur son smartphone si fortement qu’il pensait qu’il pourrait y avoir désormais un trou. Mais maintenant, il devait encore essayer d’analyser en détail les cartes de la Chine et de l’Amérique.
Pourtant, si c’était la Chine, les yeux et les cheveux des habitants ici semblaient trop occidentaux pour correspondre, et quant à l’Amérique, ce qu’il savait sur ce continent était trop différent de ce qu’il avait entendu jusqu’ici d’Yggdrasil.
« Je n’en ai vraiment aucune idée..., » Yuuto se gratta vigoureusement la tête.
Tant qu’il ne connaîtrait pas la longitude, il ne pourrait pas faire grand-chose de plus. Au cours des deux dernières années, le GPS de son smartphone avait régulièrement signalé « impossible de détecter votre emplacement en ce moment » et rien de plus. Pourtant, avec la connaissance des temps modernes, il avait supposé que la longitude aurait dû être facile à trouver, et malgré ça, elle était toujours inconnue et cela s’était révélé très frustrant.
Il ne connaissait même pas l’emplacement de l’Observatoire royal de Greenwich, en Angleterre, et c’était le point de départ pour trouver la longitude. En conséquence, il avait à peu près abandonné tout espoir de déterminer son actuelle localisation.
« Oh, mon Dieu, Grand Frère ! Ne peux-tu pas dormir ? »
En entendant quelqu’un l’appeler soudainement par-derrière, il se retourna pour voir Félicia avec ses cheveux dorés s’envolant dans le vent, qui lui souriaient en ce moment avec douceur.
Yuuto avait également souri, mais avec amertume. Puis il haussa légèrement les épaules. « J’ai eu un rêve étrange. Ceci m’a réveillé. »
Il avait eu l’intention de faire un commentaire avec désinvolture pour tout simplement faire la conversation, mais il vit le sourire de Félicia s’évanouir instantanément alors que les rouages de son esprit vif commençaient à se mettre à fonctionner à plein régime.
« Ta gentillesse est vraiment l’un de tes points forts les plus admirables, Grand Frère, » déclara-t-elle. « Mais il n’y a franchement pas besoin que tu te soucier autant de... »
« Oh, non. Ce n’était pas à propos de la bataille, » sentant que Félicia était inquiète, Yuuto avait essayé d’interrompre ses préoccupations.
Quand il était arrivé dans ce monde, il avait fait des cauchemars après chaque bataille. À cette époque, Félicia avait toujours enlacé Yuuto avec douceur, afin de le réconforter.
Depuis qu’il était venu dans ce monde, Félicia s’était dévouée à lui avec générosité. Cela n’était pas seulement à partir du moment où il était devenu le souverain patriarche, mais dès qu’il était arrivé ici. À cette époque, il était incapable de parler leur langue, incapable de faire la moindre tâche qui nécessitait de la force. Yuuto ne pouvait même pas compter le nombre de fois où cette dévotion l’avait sauvé.
Même si pour elle, cette dévotion n’était qu’une tentative d’expier ce qu’elle lui avait fait.
Notes
- 1 Tanabata : (七夕, « la septième nuit [du septième mois] ») est la fête japonaise des étoiles provenant des traditions O-Bon et de la fête des étoiles chinoise, Qīxī. La fête a généralement lieu le 7 juillet ou le 7 août, et célèbre la rencontre d’Orihime (織姫/織女, Alpha Lyrae/Véga) et Hiko-boshi (彦星, Alpha Aquilae/Altaïr). La Voie lactée, une rivière d’étoiles qui traverse le ciel, sépare les deux amants, et il leur est permis de se rencontrer une fois l’an. Ce jour particulier est le septième jour du septième mois lunaire du calendrier luni-solaire.
- 2 Ère des Grandes Découvertes : Il s’agit de la période historique qui s’étend du début du xve siècle au début du xviie siècle. Durant cette période, les Européens se livrent à l’exploration intensive de la Terre, cartographient la planète et établissent des contacts directs avec l’Afrique, l’Amérique, l’Asie et l’Océanie. L’expression d’Âge des découvertes est également utilisée par les cartographes.
***
Partie 2
« Eh bien, quel genre de rêves as-tu eu ? » Elle s’était doucement assise à côté d’Yuuto et lui posa la question avec désinvolture.
Une odeur douce et typiquement féminine avait rempli le nez d’Yuuto. Sur les champs de bataille, on ne pouvait pas apporter quelque chose comme du parfum, ainsi, Yuuto était complètement mystifié quant à la façon dont une femme pouvait sentir si bon ici.
« Oh ! J’ai fait un rêve à propos de mon stupide père. Arg, ça me rend malade de simplement penser à lui, » déclara-t-il d’une voix la plus neutre possible alors qu’il essayait de calmer son cœur tremblant.
« Ton vrai père ? Je vois. Tu dois lui manquer et il doit te manquer, » déclara Félicia.
« Bah ! Qu’est-ce que tu racontes ? Je ne veux plus jamais voir un crétin comme ça tant que je vivrais ! » Yuuto cracha et regarda dans l’autre sens avec un Hmph.
Du coin de l’œil, il aperçut Félicia en train de faire des sursauts auditifs, comme lors de ses fous rires. Ou du moins, c’était ce qu’il pensait, mais à l’instant suivant, il remarqua qu’elle se mordait les lèvres, comme si elle endurait une impérissable douleur.
« Tu es celle qui s’inquiète trop des choses, tu sais, » Yuuto retourna les paroles de Félicia, alors qu’il se mit à tapoter le haut de la tête de Félicia.
Yuuto pouvait deviner quelles pensées occupaient l’esprit de Félicia. Elle était contrariée d’avoir ri plus tôt de sa réaction. Elle pensait maintenant qu’elle n’avait surtout pas le droit de rire de ça. Celle qui avait attiré Yuuto dans ce monde, qui l’avait séparé de sa famille et de ses proches, n’était autre que Félicia elle-même.
« Je te suis reconnaissante pour tes préoccupations, mais je suis après tout la seule responsable, » Félicia avait dit cela avec un rire d’autodérision.
Ces derniers temps, elle taquinait Yuuto et ne lui montrait que son sourire éclatant, mais si l’on revenait aux premiers jours de son arrivée, alors son visage aurait toujours été raide avec son expression qui était en tout temps sombre.
La rune qu’elle possédait, celle du Serviteur sans Expression, Skirnir, était une rune permettant d’être très polyvalente. Elle lui avait accordé un talent et un talent extraordinaires dans l’athlétisme et les arts, ainsi que la capacité de manier des pouvoirs mystérieux tels que le galldr.
Parmi les nombreux pouvoirs accordés par le Serviteur sans Expression, il y avait quelque chose appelé le « Gleipnir ». Il s’agissait du pouvoir de capturer et de lier des choses qui contenaient des qualités étrangères (dans le sens de, ne provenant pas de ce monde) ou aberrantes. À l’origine, il s’agissait d’une technique destinée à sceller les pouvoirs surhumains des autres Einherjars, mais c’était simplement son but principal. Il y avait de fortes chances que ce pouvoir ait accidentellement été activé d’une manière inattendue et involontaire.
Yuuto ne comprenait pas vraiment la magie, alors il faisait beaucoup de déductions. Cependant, cette possibilité était plutôt élevée...
« Ce n’était pas seulement de ta faute, » Yuuto avait déclaré ça d’un ton sec. « C’est avant tout de ma faute. J’ai eu tort de ne pas être plus prudent..., » un modeste sourire s’était formé sur ses lèvres.
Le fait de dire qu’il n’avait jamais ressenti de la colère contre ce que Félicia lui avait fait serait certainement un mensonge. Mais elle ne l’avait pas attiré intentionnellement dans ce monde. Il avait été transporté ici en raison d’une série de coïncidences.
Yuuto soupçonnait que le fait d’avoir regardé dans le miroir opposé au sanctuaire pourrait aussi être l’un des principaux facteurs qui l’avaient amené ici. Voilà pourquoi une partie d’Yuuto croyait que ses actions étaient tout autant à blâmer.
Pourtant, Félicia ressentait beaucoup de culpabilité à son égard et essayait de faire tout ce qu’elle pouvait pour lui. Et si elle n’avait pas été là, Yuuto était sûr qu’il serait tombé dans le désespoir et se serait suicidé, ou, sinon incapable de trouver de quoi se nourrir, il serait mort de faim. C’est pourquoi il n’avait que de la gratitude envers Félicia, et bien qu’il le lui disait souvent, elle semblait le considérer comme étant uniquement quelque chose tout à fait naturel. Il ne semblait pas que cela changerait prochainement.
« Euh, Grand Frère ? » Le visage de Félicia s’était mis à rougir en raison de l’embarras alors qu’elle regardait Yuuto.
Il avait pris une profonde inspiration. « Oh, désolé. Toujours ma sale habitude... »
Paniqué, Yuuto retira sa main de la tête de Félicia. Il avait commencé à caresser sa tête depuis un moment sans s’en rendre compte. Peut-être parce qu’il avait passé tellement de temps à interagir avec son amie d’enfance pleurnicharde, chaque fois qu’il voyait une fille au bord des larmes, il avait l’habitude de caresser la tête de la jeune fille afin de la réconforter.
Réticente à déjà se défaire de ce moment-là, Félicia lui lança un regard intense et lui tendit la main. « Oh, je ne me soucie pas vraiment de ça. »
Le pouls d’Yuuto avait réagi à son geste amoureux en s’accélérant.
« Oh non ! Eh bien ! Tu es plus vieille que moi, donc je ne devrais pas... oh ! » Il était trop tard pour regretter ou reprendre ses paroles.
Le regard amoureux disparut rapidement du visage de Félicia. C’était également comme quand Sigrun perdait sa douceur quand elle devait interagir avec d’autres personnes qu’Yuuto.
« Oui, c’est vrai, » déclara-t-elle. « En effet, je suis plus âgée que toi. Oui... et bien, dans une demi-année, j’atteindrai le passage de mon vingtième anniversaire alors que je suis encore célibataire. Eh oui, j’ai peut-être attendu trop longtemps ! Pourtant, cela ne signifie pas que je ne suis pas attirante. C’est simplement que je n’ai pas été prise comme épouse par le moindre homme parce qu’il n’y a personne qui en soit digne parmi le Clan du Loup. Cela veut dire que c’est moi qui ai refusé leurs avances. De plus, j’ai juré sur ma vie qu’en premier lieu, je te servirais pour toujours, Grand Frère, alors comment ces vieillards pourris osent-ils dire des choses comme ça... !? »
Les mots qui sortirent des lèvres de Félicia, des jurons trempés de dédain, provoquèrent un sourire raide et nerveux d’Yuuto.
Ne jamais parler à Félicia de l’âge et du mariage, pensa-t-il avec amusement. C’était, parmi les membres du Clan du Loup, un accord tacite bien connu.
La douce Félicia, dont le sourire éclatant était normalement imperturbable, changeait de comportement dès que ces sujets étaient abordés. Elle devenait instantanément sinistre... presque comme le noir le plus absolu !
Il s’agissait d’une norme à Yggdrasil que les filles adolescentes soient mariées dès que possible. Pour une personne du 21e siècle comme Yuuto, cela aurait pu sembler un peu trop tôt, mais du point de vue du comportement humain, la mentalité d’une personne japonaise moderne était peut-être plus artificielle.
En parlant globalement, jusqu’à la dernière moitié du 19e siècle, le mariage pendant leurs années d’adolescence était tout à fait normal. Le Japon était dans le même cas de figure. À l’époque, il était communément admis dans le monde entier qu’une fille qui ne s’était pas mariée pendant son adolescence devait avoir quelque chose qui n’allait pas chez elle.
Comme il lui restait peu de temps avant d’atteindre cette limite, Félicia ressentait une extrême pression de la part de tous ceux qui l’entouraient, alors son anxiété démesurée à l’égard du sujet était tout à fait normale.
« E-Eh bien ! Si tu utilisais la manière de mon monde de compter les années, tu n’aurais que 17 ans, » lui déclara-t-il.
« C’est exact ! » cria-t-elle. « C’est le calendrier qui est en faute dans le cas présent ! Et bien sûr, ton pays utilise un calendrier bien plus raisonnable, Grand Frère ! Pourquoi ma date de naissance n’a-t-elle pas été sept jours plus tard ? Et cette fille-chien, elle n’a que 18 ans cette année ! Tout cela est bien trop étrange ! » Félicia serra les poings en criant. Cela donnait l’impression de voir un loup d’or hurlant ses ennuis à la lune.
Peut-être que c’était la cause de ses sentiments plus durs envers Sigrun.
Ici, en Yggdrasil, ils n’utilisaient pas le chiffre zéro, donc dès qu’une personne naissait, leur âge commençait automatiquement à l’âge de « un » an. Et, en tant que culture utilisant le calendrier lunaire, une fois que la nouvelle année arrivait, tout le monde avait instantanément avancé son âge d’une année.
En d’autres termes, pour quelqu’un comme Félicia, qui était née à la fin d’une année, quelques jours après sa naissance, elle était déjà considérée comme ayant « deux ans », tandis qu’une personne née au début de l’année, comme Sigrun, avait douze mois avant d’être considérée comme ayant deux ans. Pour une fille qui s’inquiétait de son âge, une telle méthode de calcul devait paraître injuste.
« Oh, je suis désolée. J’ai perdu mon sang-froid pendant un moment, » déclara Félicia.
« Oh... eh bien, j’étais celui qui avait tort, » lui déclara Yuuto.
« En guise de pénitence, permets-moi de t’offrir une berceuse, » répliqua Félicia.
« Hé, je suis un peu trop vieux pour..., » répondit Yuuto.
« Vieux ? » demanda Félicia.
« Non, ça ne fait rien ! C’est bon, » déclara Yuuto.
Sentant que l’expression de Félicia allait se remettre à s’assombrir, Yuuto rétracta rapidement ses paroles. Même s’il était censé être le souverain, il avait pris par réflexe une posture formelle, debout, au garde-à-vous.
Félicia hocha froidement la tête et se dirigea vers la tente d’Yuuto.
« He maintenant ! Tu ne devrais vraiment pas être dans les quartiers d’un homme au milieu de la nuit..., » Yuuto avait commencé à protester.
« Oh ? Personnellement, cela ne me dérangerait pas de répondre à tes besoins pendant toute la nuit. Je pourrais être là afin de t’assister pour que tu sois de bonne humeur demain. On dit bien depuis l’antiquité que la peau d’une femme apaise les angoisses du champ de bataille, » les yeux plissés de Félicia étaient remplis de sensualité alors qu’elle lui jetait un coup d’œil par-dessus l’épaule.
Et pour couronner le tout, sa silhouette, éclairée par le clair de lune, la rendait magique, lui donnant une beauté plus envoûtante qu’à la lumière du soleil, faisant battre le cœur d’Yuuto de plus en plus fort.
Yuuto était, après tout, un adolescent. Alors le fait d’avoir une fille, et surtout une fille aussi belle que Félicia, qui lui parlait de « l’assister » pendant la nuit, n’était pas quelque chose dont il ne serait pas intéressé. Il avait instinctivement dégluti.
« Hehe, alors, que devrions-nous faire ? » demanda-t-elle.
« J’apprécie beaucoup ton offre, mais j’ai peur de devoir refuser. Je ne voudrais pas la trahir, » Yuuto déclara cela d’un ton neutre, évitant son regard.
Il l’avait dit à Félicia sans la regarder parce qu’il avait peur que s’il la regardait, son charme surmonte tout sens de la raison.
Mais même sans tenir compte de Mitsuki, cela ne signifiait pas nécessairement qu’il aurait ainsi cédé. Elle se sentait toujours profondément coupable envers lui. C’est pourquoi il pensait toujours qu’il profiterait de ces sentiments, et de son dévouement inconditionnel à son égard s’il allait de l’avant. Selon lui, ceci reviendrait à souiller la personne qui avait sauvé sa vie en raison de ses propres désirs primaires, et cela ressemblerait à l’acte d’une bête. La fierté d’Yuuto ne permettrait pas un tel acte tant que la situation n’évoluerait pas.
« Oh, c’est dommage ! » avec un sourire malicieux, Félicia avait disparu dans la tente.
Yuuto regarda instinctivement le ciel avant de murmurer. « Laissez-moi tranquille ! Même mon esprit rationnel à ses limites. »
Prenant une profonde inspiration afin d’essayer de se calmer, Yuuto suivit Félicia dans sa tente.
La flamme d’une lanterne allumée par Félicia remplissait sa tente d’un doux éclat orange. Elle était assise sur le lit en bois à l’extrémité de la tente. Elle lui avait fait un doux sourire, tapotant ses genoux.
« Je n’ai pas l’intention de partir jusqu’à ce que tu sois capable de te reposer, Grand Frère, » déclara-t-elle.
Ayant obtenu l’avantage sur lui, Félicia était assise là, souriante avec douceur et avec gentillesse.
Un homme qui ne répond pas aux avances d’une femme devrait avoir honte, ces paroles avaient traversé son esprit. Sa rationalité était réapparue, lui disant de ne pas tomber dans un tel piège.
« Selon ce que j’ai remarqué, tu as à peine dormi au cours du dernier mois, n’est-ce pas ? » demanda-t-elle. « La bataille est finie, alors tu devrais te reposer. S’il te plaît, laisse-moi faire tout ce que je peux afin de t’aider. »
Ses yeux étaient remplis d’une telle inquiétude que c’était comme si elle pouvait pleurer à tout moment, et finalement, il ne pouvait pas le lui refuser. Elle avait parfaitement raison. Le mois dernier, il avait été si fermement angoissé alors qu’il se demandait tout le temps si l’ennemi allait les attaquer et quand cela pourrait se produire. Finalement, au cours de la plupart de ces jours, il avait à peine dormi, et il ne pouvait pas compter le nombre de nuits blanches qu’il avait passé...
Elle semblait toujours plaisanter, mais en réalité, elle était vraiment inquiète pour lui et sa santé. La vérité était qu’avec le fait qu’il était toujours en état d’alerte, il ne se sentait pas non plus capable de dormir profondément ce soir.
« ... D’accord, je vais te laisser faire, » déclara-t-il finalement. Yuuto se prépara afin de se recoucher, puis il se laissa tomber sur le lit et posa sa tête sur les genoux de Félicia. En tant qu’un petit acte de résistance, il s’étendait avec la tête face à l’abdomen de Félicia. Il ne voulait surtout pas qu’elle voie son visage en ce moment.
« Parfait. Bonne nuit, Grand Frère, » déclara-t-elle. Une douce mélodie apaisante put être alors entendue en provenance des lèvres de Félicia.
Il se souvint d’avoir entendu cette phrase musicale auparavant, parce que ce galldr, celui du « repos paisible », lui avait déjà été chanté de nombreuses fois.
Je suppose que je suis vraiment fatigué, pensa Yuuto. Et alors qu’il pensait à ça, ses paupières s’étaient alourdies, et sa conscience avait été absorbée par le galldr, lui permettant de tomber dans l’obscurité.
***
Partie 3
« Père ! Je peux discerner notre ville, Iárnviðr ! » Alors que la voix de Sigrun retentissait, Yuuto se redressa dans le chariot.
Une vue de rêve était apparue dans le champ de vision d’Yuuto : une vaste étendue pleine de pâturages parsemés de terre et de rochers exposés, avec une colossale chaîne de montagnes faiblement visible au loin.
Plus d’une centaine de moutons se déplaçait lentement à travers les prairies alors qu’ils étaient suivis par un chien. Ces bêtes présentes dans ces pâturages représentaient la principale source de nourriture du Clan du Loup et servaient également à fabriquer des vêtements, ce qui en faisait une industrie indispensable. Dans la direction vers laquelle allaient les animaux, il y avait une structure lointaine et à peine visible, de couleur brun-rougeâtre. Il s’agissait de la tour sacrée Hliðskjálf, symbole indubitable de la capitale du Clan du Loup, Iárnviðr.
« Nous sommes finalement de retour à la maison, » déclara Yuuto. « Je sens que je peux enfin pousser un soupir de soulagement. »
Cela faisait plus d’un mois qu’ils avaient quitté cette ville. Il avait vraiment envie d’un toit au-dessus de sa tête et d’un lit douillet dans lequel dormir. Instinctivement, un soupir de soulagement s’échappa hors des lèvres d’Yuuto.
« Exact. Après tout, cette cité est la tanière du Clan du Loup, » déclara joyeusement Félicia, alors qu’elle était assise à côté d’Yuuto.
Revenir chez soi et pousser un soupir de soulagement. Hmm ? Yuuto laissa sortir un rire ironique.
Ses sentiments sur le sujet étaient très complexes, mais à la fin, cette ville était devenue une seconde maison pour Yuuto.
« Je vais prendre un bain le plus tôt possible, » déclara Sigrun avec le plus grand sérieux, galopant à côté du char sur son cheval préféré. Mánagarmr ou pas, elle restait quand même une fille, et voulait naturellement se sentir propre.
« Oui, c’est vrai. Je pense que je vais aussi en prendre un, » acquiesça-t-il.
Être capable de prendre un bain dans cette période était, pour une personne du 21e siècle comme Yuuto, quelque chose en quoi il était vraiment reconnaissant. Il souhaitait pouvoir enlever de son corps la sueur, la crasse et, surtout, l’odeur du sang.
« Hehe ! Dans ce cas, Grand Frère, je suis prête à te laver le dos, » proposa Félicia.
« Tch... !! Père ! Bien que cela puisse être présomptueux de ma part de le demander, je vais aussi t’aider ! » déclara Sigrun.
« Non, c’est bon, » Yuuto avait carrément refusé leurs offres.
Bien sûr, en tant qu’homme, la perspective de deux belles filles qui voulait lui laver le dos avait fait battre avec force son cœur, mais à la fin, garder une tête froide était primordial. S’endormir la veille sur les genoux de Félicia avait déjà franchi cette limite. Yuuto ne voulait pas devenir un politicien débauché, utilisant sa position comme une couverture pour des activités disgracieuses, et il s’accrochait à cet idéal dans son cœur de garçon.
« Ah oui, » demanda Yuuto, changeant de sujet. « Alors, comment t’es-tu senti en essayant cela ? »
« Oh, veux-tu parler de cette chose ? » La question apparemment significative qu’Yuuto avait posée à Sigrun fit apparaître sur son visage un sourire si radieux que cela lui fit immédiatement pensé à un enfant qui venait de recevoir son jouet bien-aimé.
Un mauvais pressentiment s’était fait sentir dans la colonne vertébrale d’Yuuto, mais il était déjà trop tard.
« C’était vraiment incroyable ! Je pouvais vraiment me battre sans aucune retenue ! » déclara Sigrun. « C’était grâce à toi, Père ! Dire que ta nature magnanime est à égalité avec les dieux qui habitent dans les cieux ne serait pas une exagération. Je suis sûre que ton arrivée ici afin de nous sauver, nous, les membres du Clan du Loup, n’était rien de moins qu’un cadeau des cieux... »
« D’accord, j’ai compris ! J’ai compris ! C’est déjà bien assez ! » déclara Yuuto.
« Je-Je vois, » déclara Sigrun.
La tentative effrénée d’Yuuto de mettre un terme aux louanges de Sigrun avait fait disparaître son expression dynamique.
Quand Sigrun commençait à louer son maître, il était presque impossible de la faire arrêter. Yuuto était heureux qu’elle le tînt en si haute estime, mais c’était extrêmement embarrassant et difficile à entendre.
« Hmm, ai-je dit quelque chose qui t’a déplu, père ? » demanda Sigrun alors que son expression était maintenant craintive et timide. Elle ressemblait à un chien avec sa queue entre les jambes après avoir été grondée par son propriétaire, donnant lieu à des sentiments tortueux de culpabilité chez Yuuto. Peut-être que son ton avait été trop dur.
« N-Non. ce n’est pas du tout le cas ! » dit-il hâtivement.
« Vraiment ? » demanda-t-elle.
« Bien sûr. Merci d’avoir partagé tes impressions, » déclara-t-il.
« Pas de problème ! N’hésite pas à me les demander à tout moment, » un sourire satisfait et un gloussement étouffé atteignirent les lèvres de Sigrun.
Pour commencer, des larmes, et maintenant le sourire. Yuuto ne pouvait rien faire de plus que d’afficher un sourire vaincu et ironique.
Le Loup d’Argent le plus Fort, s’étant tenu invincible sur le champ de bataille, avait maintenant été réduit à avoir des sautes d’humeur de joie et de tristesse en raison des paroles d’Yuuto.
Yggdrasil avait été divisé depuis longtemps en huit grands territoires. Parmi ceux-ci, les déplacements entre les régions d’Ásgarðr, Miðgarðr et Álfheim avaient toujours été entravés par les trois chaînes de montagnes escarpées appelées dans leur ensemble « Le toit d’Yggdrasil ».
Le seul chemin permettant de les traverser était le long et étroit bassin de Bifröst, qui s’étendait à travers les chaînes de montagnes et reliait les trois régions. Jusqu’à il y a une centaine d’années, l’ensemble du bassin était sous le contrôle du Clan du Loup, mais après que leurs différentes branches claniques aient commencé à se soulever, cela avait mené à la situation actuelle dans laquelle ils étaient devenus un clan chétif qui ne possédait qu’une petite portion de la partie ouest du couloir.
La capitale du Clan du Loup, Iárnviðr, située à l’entrée ouest du bassin, avait longtemps été florissante en tant que site commercial stratégique. Comme c’était quelque chose de la plus haute importance, elle était constamment attaquée, donc une muraille trois fois plus haute qu’un citoyen standard avait été construite afin de la protéger. Sur l’un des côtés se trouvaient une porte extrêmement visible, peinte avec un vert vif et recouverte d’innombrables dessins blancs et jaunes de loups.
Une fois arrivé à la porte, l’un des nombreux soldats qui s’étaient rassemblés là se précipita vers le chariot d’Yuuto et commença à lui parler. « Bon retour, Père ! Nous avons reçu la nouvelle grâce à un messager sur un cheval rapide. Veuillez accepter mes plus sincères félicitations pour votre grande victoire et pour avoir capturé la matriarche du Clan de la Corne. »
Yuuto était un homme, alors avoir de belles filles comme Félicia et Sigrun l’appelant « Père » était gênant, mais il avait fini par s’y habituer. Mais il était naturel que le fait d’avoir un homme musclé et robuste de plus de quarante ans, avec des cicatrices sur son front et sur une joue qui l’appelaient « Père », rendît Yuuto extrêmement mal à l’aise.
Yuuto avait alors fait un léger salut, et avait exprimé sa gratitude d’une manière formelle. « Merci beaucoup. Jurgen-san (il utilise une formulation japonaise, un reste de son éducation), vous avez bien surveillé cet endroit. »
L’homme appelé Jurgen fronça les sourcils et son expression déjà durcie devint encore plus rigide. « Ceci ne va pas, Père. Vous vous excusez constamment et vous vous abaissez de vous-même. Il est indigne pour un souverain d’utiliser un discours poli avec ses enfants subordonnés. »
« Oh... » pensant à la façon dont cet homme avait toujours trouvé des fautes chez lui, Yuuto grimaça. Cela faisait un mois qu’ils ne s’étaient plus vus, alors Yuuto avait complètement oublié ça et il avait baissé sa garde.
En tant que véritable Japonais élevé dans le pays, la conviction que les anciens devaient être traités avec respect était quelque chose qui imprégnait chaque fibre d’Yuuto. Une valeur comme celle-là, avec laquelle il était né et élevé, ne serait pas changée aussi facilement.
« Je ne cesse de vous le dire, n’est-ce pas ? » déclara Yuuto. « Appelez-moi par mon nom. Il n’est pas nécessaire d’utiliser des formalités. Il est difficile d’être à l’aise avec quelqu’un ayant plusieurs années de plus que moi qui s’abaisse tout le temps. Jurgen-san, ne vous sentiriez-vous pas gêné si quelqu’un vous appelait comme étant leur père alors que vous n’êtes encore qu’un enfant ? »
« Je ne le serais certainement pas, » déclara Jurgen nonchalamment, son expression complètement inébranlable.
Yuuto ne pouvait même pas lire un soupçon d’émotion en provenance de la réponse impétueuse de Jurgen. Peut-être que cela faisait partie de la sagesse acquise en vieillissant. Les nombreuses rides profondément creusées sur son visage étaient le résultat de l’expérience acquis face aux vicissitudes de la vie, et pourtant il dégageait un sentiment de stabilité inébranlable, telle une montagne. C’était à prévoir du commandant en second imperturbable du Clan du Loup, un grand homme empli de dignité et d’un grand calibre révéré comme étant le chef des subordonnés du clan. Yuuto ne pouvait s’empêcher de se sentir décontenancé et mal à l’aise face à une telle personne qui s’abaissait intentionnellement devant lui.
« De toute façon, il y a un an, j’étais juste censé être un chef remplaçant afin de mener à bout cette guerre, » déclara Yuuto. « Il y a eu tellement de confusion, et je sais que nous nous sommes souvent opposés, mais maintenant que notre bataille avec le Clan de la Corne est enfin terminée, choisissons un souverain plus approprié. »
« Hein !? » s’exclama Jurgen. « Que dites-vous après tout ce temps ? Tout cela appartient désormais au passé. Vous avez passé l’année dernière à produire des résultats vraiment spectaculaires. Il n’y a pas un autre membre du Clan du Loup plus digne de la position de souverain que vous. »
« Non, il serait anormal pour un étranger néophyte comme moi de rester souverain, » déclara Yuuto. « Jurgen-san, vous seriez certainement un bien meilleur choix... »
« Père, ne vous préoccupez pas de l’âge ou du lieu de naissance, » coupa Jurgen. « Dans votre position, les capacités sont les seules choses qui comptent. Vous êtes infiniment plus grand que moi ou tout autre. Peu importe à qui vous demanderiez dans notre clan, tout le monde vous répondra la même chose. » Jurgen avait déclaré cela comme s’il s’agissait d’un fait acquis.
« Il n’y a pas de doute quant à cela, » acquiesça Sigrun. « Avec tout le respect que je dois à notre commandant en second, il est vrai que même maintenant, tout le monde te nommera à sa place pour le poste, Père. C’est parce que tu es le genre de grand héros qui n’apparaît qu’une fois tous les 100... non, tous les 1000 ans. »
« Hehe ! Bien sûr, le commandant en second, en tant que chef au sein de notre clan, possède ses propres talents indiscutables, » déclara Félicia. « C’est juste que s’il était comparé à toi, Grand Frère, il serait inférieur à tous égards. »
Apparemment, après avoir écouté leur conversation, Sigrun et Félicia se remirent à complimenter Yuuto.
Allons, laissez-moi souffler ! pensa Yuuto, tout en poussant un profond soupir. Les deux filles étaient normalement en désaccord sur tout, mais pour une raison inconnue, quand il s’agissait de couvrir Yuuto avec des louanges, elles étaient toujours en parfaite harmonie.
« Vous me surestimez vraiment, » se plaignit Yuuto.
« Surestimer ? Non, c’est différent, » déclara Félicia avec fermeté. « Notre clan était à bout de souffle avant ta venue et il n’aurait pas fallu grand-chose pour qu’il disparaisse entièrement. Mais en l’espace d’une année, nous avons été en mesure de forcer le Clan de la Griffe et le Clan de la Corne à nous obéir, et cela en utilisant des moyens impossibles pour moi, ou pour le commandant en second. »
« Non, c’est inexact. Cela aurait été impossible à quelqu’un d’autre que le Père, » corrigea Sigrun.
« C’est ce que je n’arrête pas de dire ! » s’écria Yuuto. « Tout ce que je fais, c’est de tricher ! Tout cela vient du fait que j’ai accès à des connaissances qui n’existent pas dans ce monde, et quant à moi, il n’y a rien de spécial qui me caractérise... »
« La connaissance en elle-même n’est que de la connaissance, » déclara Jurgen. « Il s’agit d’un outil. Afin de l’exploiter et ainsi l’utiliser efficacement, il vous faut une compétence bien spécifique ! Et, sans l’ombre d’un doute, vous possédez cette compétence ! »
Jurgen avait serré ses poings en synchronisation avec ces paroles passionnées. Félicia et Sigrun avaient toutes deux vigoureusement acquiescé face à ce qu’il disait.
« J’abandonne..., » Yuuto haussa les épaules, les paumes tournées vers le haut. Il était impossible de les convaincre. L’entendre d’une seule personne était déjà assez difficile pour lui, mais avoir un groupe de trois personnes qui lui martelait leurs arguments était plus que ce qu’il pouvait endurer.
Pour être honnête, Jurgen présentait une argumentation logique. Cependant, la connaissance qu’Yuuto possédait était bien trop avancée pour ce monde, et donc, elle s’apparentait plus à de la technologie extraterrestre qu’on trouverait dans de la science-fiction. Yuuto avait estimé que la puissance potentielle inhérente à ces connaissances ne pouvait pas être comprise avec la logique ou le bon sens.
Naturellement, les éloges et la reconnaissance de tout le monde l’avaient rendu heureux. Mais d’un autre côté, peu importe combien ils le vantaient, il ne voyait ce qu’il faisait comme rien de plus que de la triche... en empruntant la puissance de quelqu’un d’autre. Pour cette raison, Yuuto gardait constamment ce fait à l’esprit, afin d’éviter que l’arrogance ne l’emporte sur lui.
Afin d’être vraiment un souverain véritablement digne, il s’efforçait de maintenir un cœur réfléchi, une nature curieuse et une oreille prudente, mais attentive quand il écoutait les pensées de ses subordonnés.
Mais Yuuto n’avait pas encore réalisé une vérité pure et simple. Dans un monde où la plupart des personnes qui obtenaient le pouvoir politique ou une grande richesse devenaient hautaines et corrompues, ses principes en eux-mêmes représentaient des qualités extrêmement difficiles à acquérir, mais qui attiraient automatiquement les autres individus autour de ceux qui les avaient, les qualifiant en tant que « Roi ».
***
Partie 4
Après avoir achevé sa conversation avec Jurgen et avoir franchi la porte, Yuuto fut accueilli par des cris de joie et des voix exaltant leur souverain patriarche, comme si le peuple était resté à l’affût de son arrivée.
Le long des deux côtés de la grande rue qui traversait le centre de la cité, il y avait des files de personnes si épaisses qu’elles ressemblaient à un véritable mur.
« Victoire [1], Patriarche ! Victoire, Patriarche ! » cria le peuple.
Yuuto grimaça face à une telle réception, mais fut rapidement capable de se calmer. Il en avait déjà fait l’expérience deux mois plus tôt, lors de son retour triomphal après avoir remporté sa guerre contre le Clan de la Griffe.
« Hehe ! Tu es plus populaire que jamais, Grand Frère. Comme ils sont tous venus ici, pourquoi ne pas leur donner quelque chose en retour ? » suggéra Félicia, répondante à leurs acclamations avec un signe de la main.
Je ne suis pas aussi bon acteur que toi, pensa Yuuto en regardant la foule. Les visages de toutes les personnes présentes dans cette foule débordaient de joie et elles avaient toutes de larges sourires.
Chacun de ces soldats était le frère aîné, le frère cadet, le fils ou le père, le mari ou le petit ami de quelqu’un. Ces personnes ne célébraient pas seulement cette victoire, ils célébraient également le retour en toute sécurité de leurs proches.
« Tu as raison, » murmura-t-il. « Cela fait également partie du travail d’un souverain. »
Yuuto s’était placé sur le bord du char puis il avait soulevé dans les airs l’épée qui avait été gainée à sa hanche. Réfléchissant la lumière du soleil, la lame avait brillé d’une lueur d’argent terne.
Le fait d’être si étrangement embarrassé dans des situations comme celle-ci ne pouvait que le pousser à se sentir encore plus honteux et incompétent. La raison derrière tout ça était sa première année de collège, où, à travers une série de circonstances, il avait été choisi pour le rôle principal dans une pièce de théâtre et avait échoué d’une manière vraiment spectaculaire (et catastrophique).
Je suppose que je suis maintenant devenu quelque chose comme un acteur, pensa Yuuto, alors qu’il avait pris une pose glorieuse.
« Victoire, Patriarche !! » L’explosion soudaine des acclamations l’avait pris au dépourvu.
« Quoi !? » s’exclama-t-il.
Les vagues sonores provoquées par les cris déferlèrent sur lui, le faisant trébucher. Il avait même failli tomber sur ses fesses. Néanmoins, les cris de joie résonnèrent dans le centre de la ville, jusqu’à ce que le son atteigne des niveaux totalement absurdes, faisant même trembler toute la cité.
« Ils sont vraiment frénétiques..., » Yuuto était abasourdi par le vacarme qui augmentait encore maintenant en intensité. Bien sûr, il avait l’intention de les enthousiasmer, mais il ne s’attendait pas à ce que cela atteigne ce niveau. Il semblerait que les soldats-loups qui revenaient dans la ville avec lui avaient eux aussi perdu leur sang-froid, leurs visages reflétant soit l’étonnement, soit le choc face à la réception si bruyante.
« C’est notre Père ! » quelqu’un dans la foule avait crié cela avec euphorie.
Même Jurgen, qui était toujours si calme et recueilli, avec son expression si inébranlable, ne pouvait cacher son choc face à la frénésie qu’Yuuto avait suscitée.
Les deux seules personnes qui avaient l’air complètement normales étaient Sigrun et Félicia. Toutes deux échangèrent un coup d’œil, approuvant de la tête la situation.
« Mon Dieu, notre peuple est si raisonnable, » affirma Sigrun.
« Tout à fait. Ils ont accepté un chef approprié et l’ont apprécié à sa juste valeur, » rajouta Félicia.
Même à leur arrivée au palais, les acclamations continuaient à résonner.
Le palais du patriarche souverain qui gouvernait le Clan du Loup était au centre même de la ville. Une muraille l’entourait et elle s’élevait encore plus dans le ciel que celle qui protégeait la cité.
Ses murs extérieurs étaient faits en forme de colonnes reliées entre elles et peintes avec un beau stuc blanc, rappelant à Yuuto le Parthénon [2] en Grèce. Il y avait un monde de différence entre cette grande bâtisse et les maisons communément trouvées dans toute la cité, qui, du point de vue d’Yuuto, ressemblaient plus à des remises ou à de minables granges.
Yuuto n’avait que de l’admiration pour une si grande structure. Alors que l’ère d’où il venait aurait dû être loin devant les cultures de 3000 à 4000 ans auparavant, c’était toujours le type de bâtiment géant et magnifique qui mériterait des paroles solennelles d’éloges de la part de n’importe qui.
Alors qu’Yuuto arrêtait son char à la porte de la muraille, les membres les plus âgés du Clan du Loup vinrent le saluer et l’acclamer.
« Bienvenue chez vous, Seigneur Yuuto. »
« Toutes nos félicitations. Nous avons reçu l’annonce nous indiquant qu’il s’agissait d’une victoire totale. »
« Avec le Seigneur Yuuto, le Clan du Loup sera capable d’obtenir une paix durable. »
Bien qu’ils aient été désignés comme des aînés, ils étaient tous dans la quarantaine et la cinquantaine, avec leur corps qui était toujours souple et musclé. Ils étaient encore en pleine forme.
Ils avaient tous été des subordonnés plus jeunes de l’ancien souverain... ainsi, ils étaient équivalents à des oncles pour Yuuto. En d’autres termes, ils étaient également ceux qui n’avaient pas accepté Yuuto comme souverain, et par conséquent, avaient refusé à la fois le Calice de Frères et Sœurs et le Calice de l’Enfant.
« Chaque jour, nous avons prié sans faute Angrboða pour obtenir la victoire, » déclara l’un d’eux.
« Tout à fait. Nous, du Clan du Loup, ne devrions pas oublier que la prospérité d’aujourd’hui est entièrement grâce à la protection divine d’Angrboða, » ajouta un autre.
« En effet, en effet. Saluons le maître d’Iárnviðr, Angrboða ! »
L’Angrboða dont ils faisaient l’éloge était la divinité-gardienne qui était consacrée à Iárnviðr, et qui était ainsi vénérée comme la déesse guidant les membres du Clan du Loup. D’une manière détournée, ils revendiquaient cette victoire en raison de leurs prières.
Étant du 21e siècle, Yuuto pouvait voir leur façon de parler comme n’étant rien d’autre qu’une pure impudence, mais ils semblaient être très sérieux. Tout comme au Moyen Âge, quand les procès de sorcellerie étaient monnaie courante, et que les individus n’avaient pas de contre-mesures contre les menaces de la nature, la vie et l’esprit des gens étaient fermement ancrés dans le domaine de la spiritualité.
« Pardonnez-moi, mais je suis un peu pressé, donc j’ai peur que cette conversation doive attendre plus tard, » déclara brièvement Yuuto, balayant les paroles des anciens, et les traversant sans s’arrêter.
Ce n’était pas l’intention d’Yuuto de rejeter les mystères sacrés de ce monde. Après tout, l’existence de pouvoirs mystérieux comme le galldr et d’autres capacités des Einherjars lui avaient été démontrés à maintes reprises. Même le fait qu’Yuuto était ici maintenant ne pouvait pas être expliqué par la science du 21e siècle.
En outre, Yuuto avait eu le sentiment qu’ici, sur Yggdrasil, la foi en une divinité était un élément extrêmement important utilisé afin de contrôler les individus. C’était pourquoi il n’avait pas l’intention de le prendre à la légère.
C’était juste que, à ce moment-là, Yuuto avait quelque chose de bien plus important que les dieux qui le préoccupait.
« Seigneur Yuuto, votre manière d’agir était un peu trop brusque envers les autres anciens là-bas, » Bruno, le chef des anciens avait protesté. Le visage de Bruno était sinistre en raison de son important mécontentement.
On disait que les humains devenaient plus fermes dans leur résolution alors que les années s’écoulaient, et Bruno s’était avéré être un exemple particulièrement approprié pour cela dans ces moments-là, harcelant et prêchant Yuuto quant aux principes du Calice.
Le fait d’avoir le clan dirigé par la relation parent-enfant en son centre était la manière d’agir de ce monde. Par conséquent, bien que ces hommes aient reçu la position d’aîné, ils n’avaient en réalité aucun pouvoir réel. Même ainsi, ils étaient toujours ses aînés et oncles, et il devait donc leur montrer du respect dû à leur position.
« Mais je SUIS pressé ! S’il vous plaît, permettez-moi de reporter la discussion avec tout le monde demain ! » La voix d’Yuuto était devenue brutale en raison de son irritation.
Normalement, Yuuto serait capable de sauver les apparences, interagissant avec ceux qui l’entouraient avec un comportement amical alors même qu’il ne les aimait pas. Mais maintenant, il ne pouvait s’empêcher de se sentir impatient. Il n’avait pas entendu sa voix depuis un mois. C’était si proche. Il ne pouvait pas attendre une minute de plus.
« Je crains que non, Seigneur Yuuto ! » déclara l’homme. « Toutes les questions relatives au Calice sont de la plus haute importance et, par conséquent, une telle situation est prioritaire ! En tant que souverain, vous, entre toutes les personnes, devriez savoir... ! »
« Je serai heureuse d’entendre les pensées de l’aîné à ce sujet, » Félicia intervint avec un large sourire entre Yuuto et un Bruno toujours persistant. « Plus tard, je partagerai l’information avec mon Grand Frère, » elle avait fait un clin d’œil à Yuuto.
« Merci beaucoup, Félicia ! Je compte sur toi ! » déclara Yuuto.
« Je ne te décevrai pas, » répondit Félicia. « Mais, même si tu es pressé, s’il te plaît, assure-toi de ne pas te blesser, d’accord ? »
« Promis, je serais prudent ! » répondit Yuuto.
Même quand il prononça ces mots, Yuuto s’éloigna, incapable de s’attarder un instant de plus à cet endroit.
Les cris de Bruno résonnaient après lui. Le prix à payer pour ça sera assurément important et plus tard, il allait sûrement vivre un enfer ! Mais en ce moment, il s’en foutait royalement !
Ce qu’il avait tant attendu depuis un mois allait enfin pouvoir se réaliser.
Notes
- 1 Victoire : Dans le texte originel, il s’agissait du mot allemand « Sieg » qui signifie Victoire.
- 2 Parthénon : en grec ancien : Ὁ Παρθενών / Parthenṓn (à l’origine génitif pluriel de παρθένος, nom féminin, « jeune fille, vierge ») littéralement « la salle (ou la demeure) des vierges », est un édifice situé sur l’acropole d’Athènes et réalisé en marbre du Pentélique et marbre de Paros.
***
Partie 5
Il se précipita à travers la cour entourée par de nombreux dattiers, tout en allumant son smartphone pendant qu’il parcourait le trajet. La force du signal de son téléphone était toujours affichée avec un X rouge dessus.
« Zut, je suppose que c’est normal que cela ne marche toujours pas ici, » Yuuto fit claquer sa langue, se reprochant involontairement d’avoir gaspillé la précieuse énergie de sa batterie.
Tout en serrant fermement son téléphone, Yuuto accéléra le rythme.
Hliðskjálf, la tour sacrée avait une hauteur qui éclipsait même le palais à côté duquel elle se trouvait accolée. La structure entière avait une apparence rougeâtre, et ce n’était pas seulement la faute du soleil couchant dans le ciel de l’ouest. C’était parce que la tour avait été construite avec des briques cuites à la main.
Le devant de la tour était relié aux étages supérieurs du palais par un long escalier. Il s’agissait d’une cible facile à attaquer, mais la structure n’était pas là pour la défense, mais plutôt pour les cérémonies religieuses.
Si Yuuto décrivait la forme de la tour en un mot, ce serait « kagami mochi [1] », la décoration empilée présentée pendant le Nouvel An japonais. Selon les recherches d’Yuuto, il avait beaucoup de choses en commun avec les anciennes ziggourats de Mésopotamie. Ces structures, à leur tour, étaient basées sur le modèle de la Tour de Babel de l’Ancien Testament. Des structures similaires pourraient être trouvées en Europe et en Amérique centrale et du Sud, érigées par des civilisations anciennes, dans un désir humain universel de les rapprocher du ciel... et par extension, Dieu, afin d’offrir leurs prières.
« Pfff... pfff... »
Il ressentait déjà de la douleur dans la poitrine, au niveau de ses côtes, alors qu’il était en train de monter dans ces longs escaliers, mais il se dirigea rapidement vers le sommet, vers l’autel appelé « Hörgr » qui y avait été érigé.
Deux ans plus tôt, c’est à cet endroit-là qu’Yuuto avait trouvé son chemin vers ce monde. Les offrandes de prières pour la victoire, ainsi que la Cérémonie du Calice et beaucoup d’autres rituels sacrés avaient été menés ici.
Sans qu’Yuuto s’en aperçoive, le soleil s’était couché et la lune avait commencé à montrer le bout de son nez dans le ciel de l’est.
Il n’y avait aucun signe d’une autre personne présente en ces lieux, et l’intérieur était rempli d’une atmosphère solennelle. Enchâssé à l’autel se trouvait toujours le miroir divin baigné dans la lumière de la lune et d’où émanait une étrange lumière qui lui était propre.
À première vue, il ne semblait rien de plus qu’un simple miroir, mais il était en réalité fait d’un métal rare contenant de la puissance sacrée, connu sous le nom de cuivre elfique. Le galldr et la puissance des Einherjars provenaient également tous deux de ce cuivre elfique.
Yuuto était certain que ce métal rare et mystérieux avait aussi quelque chose à voir avec la façon dont il avait été amené dans ce monde.
Yuuto partait avec la théorie qu’Yggdrasil était quelque part dans les profondeurs du passé, mais il n’y avait aucun métal avec de telles propriétés trouvables sur l’ensemble du monde au 21e siècle. Les mystères de ce monde semblaient seulement se multiplier chaque fois qu’il découvrait un peu plus de ce monde.
Cependant, à ce moment-là, peu lui importait.
À l’heure actuelle, ce qui était le plus important pour lui était...
« Salut ! Je suis si contennnnte de pouvoir te parler ! Yuu-kun, est-ce que ça va !? »
« Désolé de t’avoir fait t’inquiéter, » répondit Yuuto. « Mais je vais vraiment bien. »
« D’accord, d’accord. Je suis vraiment si soulagée. Bienvenue à la maison, Yuu-kun. »
« Oui, je suis de retour chez moi, Mitsuki. »
S’il était proche du miroir divin, il pouvait se connecter au monde d’où il était originaire.
Cette découverte n’avait pas été le fruit du hasard. Il s’était demandé dès le départ s’il pourrait peut-être rentrer à la maison en utilisant une fois de plus des miroirs opposés, et l’avait essayé en espérant qu’il pourrait refaire fonctionner le transfert. Malheureusement, alors qu’il avait été incapable de revenir au 21e siècle, quand il avait vérifié son smartphone afin de faire quelques tests, l’écran avait indiqué qu’il recevait un signal !
« Écoute ça, Yuu-kun ! Ruri-chan est si méchante, » déclara Mitsuki.
« Oh ? »
Yuuto s’était assis et avait écouté les histoires insignifiantes de Mitsuki, lui offrant une interjection de temps en temps. Le sujet abordé n’avait aucune importance, tant que c’était quelque chose de léger. Si chacun pouvait entendre la voix de l’autre et savoir qu’ils allaient bien, alors c’était parfait et c’était tout ce qui comptait.
Le point principal était que la guerre était un sujet tabou implicite. Il était évident qu’un tel thème ne permettrait pas une conversation agréable. Ce serait idiot s’ils gaspillaient leur précieux temps si limité sur des questions difficiles qui ne feraient que les rendre plus déprimés.
« Et puis, après ça, Ruri-chan..., » déclara Mitsuki.
Bip Bip, Bip Bip.
Tout à coup, le téléphone d’Yuuto retentit du cruel son de l’avertissement, coupant les paroles de Mitsuki. Il s’agissait d’un bruit l’informant qu’il était presque à court de batteries.
« Hmm..., » Mitsuki avait probablement aussi entendu le son. Sa voix indiquait clairement qu’elle était déçue et qu’elle se sentait seule.
Naturellement, Yuuto avait ressenti à ce moment-là la même chose. Il avait toujours apprécié ces instants, mais cela avait toujours fini trop tôt.
« Je suppose que nous n’avons plus beaucoup de temps pour cette fois, » déclara-t-il. « Je t’appellerai encore. »
« D’accord. J’attendrai. Oh, je n’ai pas eu une grosse somme d’argent avec le dernier travail que j’ai fait, mais j’ai quand même put recharger le compte de ton téléphone, » déclara-t-elle.
« Désolé de tous les problèmes que je te cause, » déclara Yuuto.
« Ho, tu m’avais promis de ne plus jamais dire ça, » Mitsuki avait déclaré cela sur un ton légèrement solennel, puis avait interrompu ça avec un gloussement la seconde suivante. C’était un échange de plaisanterie standard entre eux.
« Franchement, tu es comme toujours ma sauveuse ! Merci beaucoup ! » déclara Yuuto.
« Je t’en prie. Hehehe, » Mitsuki avait fait entendre un petit rire alors qu’elle était très embarrassée.
Les livres électroniques qu’Yuuto avait achetés afin de survivre dans ce monde n’étaient pas gratuits et bien sûr, il ne les avait pas eus avant de sa venue dans ce monde. L’argent utilisé afin d’acheter ces livres était ce que Mitsuki avait pu mettre de coté grâce à des petits boulots qu’elle trouvait dans les annonces des journaux.
Yuuto ne pourrait jamais la remercier assez pour ça.
« J’attendrai ton appel, » déclara-t-elle. « Aussi longtemps qu’il le faudra. Prends bien soin de toi, Yuu-kun ! »
« Oui, je sais ! À la prochaine, Mitsuki, » répondit-il.
Avec ces paroles d’au revoir, Yuuto se prépara à interrompre l’appel. Pendant un instant, son doigt avait plané piteusement sur le bouton, immobile, mais il avait rassemblé son courage et il avait mis fin à la communication. Il n’avait pas l’intention de paraître moins masculin en pleurant ou en agissant piteusement face à Mitsuki entre toutes les autres personnes.
Le fait d’avoir été jeté seul dans ce monde avait fait qu’Yuuto avait finalement réalisé un certain nombre de choses. Et parmi elles, il y avait la hauteur de son amour envers Mitsuki. C’était pourquoi il avait besoin de retourner au monde où elle l’attendait.
« Mais puis-je vraiment rentrer à la maison ? » soupira-t-il, perdu.
Si c’était par la puissance des Einherjars qu’il avait été amené ici, alors Yuuto pensait qu’il ne serait pas étrange qu’un tel pouvoir puisse un jour le renvoyer à la maison. Cependant, si un tel Einherjar existait, où serait-il ? Avec des moyens de communication et de transport limités ici sur Yggdrasil, en trouver un semblait être une tâche aussi désespérée que de saisir les nuages.
Une partie des raisons pour lesquelles il avait pris la poste de souverain était parce que cela lui donnait la chance de recevoir des informations et des rumeurs de partout. Il avait espéré que ce serait plus efficace que de braver des dangers infinis en essayant de visiter par lui-même et seul toutes les différentes régions. Mais pour le moment, cela n’avait pas apporté les résultats tant souhaités.
De plus, il ne pouvait pas attendre l’aide des habitants de son monde d’origine. La disparition d’Yuuto il y a deux ans avait causé un certain remue-ménage, et pourtant, personne ne croyait Yuuto ou Mitsuki.
Après tout, c’était quelque chose de tout à fait normal. En entendant une histoire absurde et n’ayant aucun sens scientifiquement parlant concernant des miroirs opposés qui auraient été utilisés afin d’envoyer quelqu’un dans un autre monde, la plupart des adultes l’avaient vu comme rien de plus qu’une plaisanterie.
Un détective avait bien accepté de venir jusqu’au sanctuaire, brandissant en plaisantant un miroir à l’opposé tout en regardant à travers le miroir divin, mais rien ne s’était produit.
En conséquence, puisqu’Yuuto pouvait toujours les joindre par téléphone, l’incident avait été vu comme rien de plus qu’une farce malicieuse, et en ce qui concernait la police à la Ville d’Hachio, il était considéré comme fugueur. Même si la police avait vraiment tout mis en œuvre et qu’elle aurait réussi à faire la lumière sur ce qui s’était passé, il doutait qu’ils soient en mesure de le faire partir de ce monde.
« Même si je pouvais retourner chez moi..., » Yuuto contempla ses propres mains. Ces mains avaient été souillées à maintes et maintes reprises par le sang des autres. Il n’avait plus le droit de la toucher avec des mains si sales. Il avait alors commencé à s’interroger.
« ... Non, je ne peux pas faire ça maintenant, » Yuuto secoua la tête, essayant de dissiper toutes les mauvaises pensées présentes dans sa tête en ce moment de déprime.
À quoi serais-je bon si je devenais trop sensible ? Je vais rentrer à la maison, peu importe comment ! Yuuto se le jura une fois de plus.
« Père, si tu restes ici toute la nuit, tu vas attraper un rhume. »
« ... ! »
Depuis derrière Yuuto, une voix familière lui parla, provoquant le gel instinctif de son dos. Il l’avait fait par culpabilité.
Quand il regarda derrière lui, Sigrun se tenait là, discrètement. Elle était probablement là, cachée tout en restant silencieuse et hors de vue, pendant tout le temps où il avait été au téléphone.
L’arrangement était que, en l’absence de Félicia, Sigrun avait le devoir de protéger Yuuto en tout temps. Même si elle était probablement épuisée par tout ce temps passé sur le champ de bataille, elle avait dû poursuivre Yuuto dans le long escalier après qu’il ait égoïstement fui ses responsabilités. Il se sentait coupable d’être le bénéficiaire d’une telle loyauté.
Soudain, les visages de tout le monde dans le Clan du Loup se mirent à lui traverser l’esprit. En effet, un jour, il devrait retourner au Japon.
En pensant non seulement à Sigrun, mais également à tous ceux qui dépendaient de lui, l’admiraient et le respectaient plus que quiconque, Yuuto renonça à son désir de rentrer chez lui.
Il pensait aux personnes qui lui avaient offert une grande hospitalité, et pour qui il avait désormais une grande affection.
Si cela avait été un an plus tôt, alors il aurait facilement pu les abandonner.
Mais maintenant, il n’était plus si sûr de ça.
***
Au crépuscule, l’homme s’est assis tout droit dans son lit.
À côté de lui dormait une femme totalement nue. Sa peau était humide en raison de la sueur et une odeur obscène flottait dans la pièce.
« Qu’est-ce que c’est ? » l’homme avait foudroyé du regard la porte et avait demandé ça d’une manière hautaine.
Il y avait une silhouette tremblante debout devant la porte. La personne ne s’attendait probablement pas à être remarquée ou reconnue avant même d’avoir parlé.
Mais pour cet homme, qui se comportait toujours comme s’il était sur le champ de bataille, ce n’était rien de bien spécial.
« P-Père, s’il vous plaît, pardonnez-moi pour mon intrusion à cette heure si tardive, » déclara le subalterne. « Nous avons reçu des informations de l’un de nos espions que Rasmas, le commandant en second du Clan de la Corne, est parti. C’est en relation avec le fait que le Clan du Loup établit un lien avec le Clan de la Corne à l’aide du Calice des Frères et Sœurs. »
« Ohh ? Le Calice des Frères et Sœurs, hmm ? ... Ahh, alors c’est parfait ça. En vérité, c’est le meilleur scénario possible. Rassemblez immédiatement les troupes, » déclara le Patriarche.
« Père ! Haha ! Mes bras crient une fois de plus pour pouvoir ressentir le frisson de la bataille, » le subordonné de l’homme avait dit cela avec un rire cruel.
« Mm, oui, nous pouvons enfin ouvrir la voie à notre Bifröst longtemps convoité, » acquiesça le Patriarche. « Maintenant, comment ce fameux petit morveux du Clan du Loup va-t-il gérer ça ? »
Alors qu’il déplaçait son grand corps, un large sourire diabolique s’étira sur son visage.
Notes
- 1 Kagami mochi : Kagami mochi (鏡餅), littéralement « gâteau miroir » est un mochi traditionnel du Nouvel An japonais. Il est habituellement fabriqué à partir de 2 mochi, le plus petit étant placé au-dessus du plus grand et d’un daidai (une orange amère japonaise), une feuille étant attachée sur le dessus.
***
Acte 3
Partie 1
« C’est le matin, Père. »
« S’il te plaît, réveille-toi, Grand Frère. »
Deux voix... l’une digne comme la sonnerie d’une clochette et l’autre douce comme de la soie... avaient extirpé Yuuto hors de son sommeil.
Il y avait un cliquetis, comme si quelqu’un déplaçait quelque chose de lourd. À l’instant suivant, la lumière du soleil avait semblé transpercer ses paupières. Quelqu’un avait enlevé les planches qui avaient été placées devant les fenêtres.
Le verre n’existait pas encore dans ce monde, et donc les fenêtres étaient recouvertes de bois et de branches.
« Oh, bon matin à vous deux, » déclara Yuuto en ouvrant ses yeux.
Deux anges, l’un ayant une chevelure d’or et l’autre ayant une chevelure d’argent, luisant tous deux à la lumière du soleil, apparurent dans son champ de vision.
Pendant un moment, Yuuto se laissa aller à croire qu’il s’était réveillé au Valhalla, le plan céleste où les héros devaient aller après leur mort. Cela aidait à apaiser la très légère déception qu’il ressentait également en les voyant. Après tout, il avait toujours le faible espoir de se réveiller dans sa chambre du Japon moderne pour y constater que tout cela n’avait été qu’un rêve et que cela n’était jamais arrivé.
La fille aux cheveux argentés, Sigrun, avait posé un genou à terre et lui avait offert ses salutations. « Bon matin, Père. »
La fille aux cheveux dorés, Félicia, avait mis un plateau de bois avec du pain, de la soupe et du lait sur la table de chevet avant de faire un large sourire à Yuuto. « Bon matin, Grand Frère. Ton petit-déjeuner t’attend. »
L’arôme du pain fraîchement cuit chatouillait les narines d’Yuuto. Attiré par cette odeur, un Yuuto encore endormi avait finalement levé la tête.
« Wôw, je n’ai pas dormi si profondément depuis si longtemps, » déclara Yuuto.
S’asseyant sur le rebord du lit, Yuuto s’était longuement étiré. Naturellement, comme les matelas dans ce monde n’avaient pas la fermeté appropriée, ils n’étaient pas exactement de haute qualité selon ses standards. Il ne pouvait pas vraiment faire l’éloge des lits ici vis-à-vis du fait d’être à l’aise pour dormir, mais même ainsi, il s’agissait de sa propre chambre, et c’était bien le seul endroit où il pouvait vraiment se détendre. En une nuit, son épuisement avait été balayé et son corps lui donnait l’impression d’être plus léger.
« J’espère que tu as bien dormi ? » demanda Félicia.
« Tout à fait, je déborde d’énergie, » répondit Yuuto.
« Oui... je peux parfaitement voir ça, » répondit Félicia en souriant.
Pour une raison encore inconnue à ce moment-là, ses yeux n’étaient pas dirigés sur le visage d’Yuuto, mais sur une autre partie de son anatomie. Yuuto était, après tout, un garçon au milieu de la puberté, et c’était le matin...
« Hehe hihi. Si je le peux, dois-je réprimer cette énergie pour toi ? » Félicia fit un sourire séduisant à Yuuto, puis posa une main sur le lit d’Yuuto, utilisant l’autre pour replacer les cheveux hors de son visage, tout en rapprochant son visage de celui d’Yuuto.
Yuuto se mit à trembler, troublé, et secoua vigoureusement la tête d’un côté à l’autre. « N-Non, comme je te le dis toujours, ça ne sera pas nécessaire. »
« Je ne crois pas que ce soit ce qu’indique ton corps, » répliqua Félicia.
« C’est juste un phénomène physiologique tout à fait normal ! » répondit-il.
C’était un peu plus que ça, s’il devait le dire en toute honnêteté. C’était juste qu’il ne pouvait pas se permettre de vraiment dire quelque chose comme ça à haute voix, surtout devant elles.
Félicia avait alors léché ses lèvres d’une façon séduisante. « Hehe ! Eh bien, ferons-nous de cela le point central de tes études du matin ? Je me le demande... »
« Tes taquineries envers notre souverain sont proches des frontières de la trahison, Félicia, et je ne peux pas le supporter plus longtemps. Tu es en train de déranger le Père. Dois-je t’abattre, ici et maintenant ? » Sigrun, qui avait été calme jusqu’à ce moment-là, posa une main sur l’épée présente à sa hanche, dégageant un air menaçant.
Ayant reculé devant les avances agressives de Félicia, Yuuto félicita secrètement l’interférence fiable de Sigrun.
« Écoute, Run, » déclara Félicia. « Prendre soin de la santé de Grand Frère fait partie de mes devoirs professionnels d’adjudant. Pour un homme, il y a des choses qui, s’il ne les libère pas, pourraient être préjudiciables à sa santé. »
« Quoi, est-ce vrai ? » demanda Sigrun.
« Très certainement, » répondit Félicia. « Et non seulement cela, mais depuis l’antiquité, il y a des rois qui ont été rendus insensé à la suite des demandes d’une femme. Il serait dangereux pour Grand Frère, notre souverain patriarche, qu’on ne le forme pas à l’avance à ce genre de choses de peur qu’il ne soit séduit par les ruses d’une méchante femme. »
« Hmm, je comprends, » Sigrun se mit alors à réfléchir. « Cela semble plutôt logique. Père, bien que mon corps soit maigre, sens-toi aussi libre de l’utiliser autant que tu le souhaites. »
Voyant avec quelle facilité Félicia avait réussi à persuader Sigrun, la convaincant fermement de changer de camp, Yuuto regarda instinctivement le plafond. Il jeta alors un coup d’œil dans la direction de Félicia, et elle lui adressa un rapide sourire satisfait et fier d’elle, alors même que Sigrun ne le remarqua pas.
Peu importe comment on l’aurait regardée, Félicia était véritablement la femme méchante dans cette situation.
Grondement.
L’estomac vide d’Yuuto laissa sans retenue échapper un cri. Il avait été trop épuisé pour souper hier soir, alors c’était à prévoir. Cependant, c’était aussi une occasion sans précédent pour une contre-attaque.
« M-Maintenant, la faim est plus importante que la luxure ! Mangeons, mangeons ! » cria Yuuto.
« C’est vrai. On ne peut pas se battre avec un estomac vide, » acquiesça Sigrun.
Une fois de plus, Sigrun revint rapidement de Félicia pour se placer du côté d’Yuuto. Bien qu’apparemment, elle-même n’était pas consciente de son changement d’allégeance.
En temps de guerre, le plus important était la logistique militaire..., à savoir la sécurité des approvisionnements alimentaires. En tant que Mánagarmr, le plus Fort des Loups d’Argent, il n’y avait aucune raison pour que Sigrun ne le sache pas. Elle avait toujours traité la satisfaction de l’estomac comme une priorité militaire.
« Oh... mon Dieu... c’est bien dommage, » taquina Félicia. « Quand tu ressens l’étreinte d’une femme, il y a une grande variété de choses qui peuvent être négligées ou oubliées... » Ses paroles se perdirent dans un chuchotement coquet.
« J-Je suis sauvé..., » en poussant un soupir de soulagement, Yuuto tourna son attention vers le petit-déjeuner.
Le pain et la soupe étaient servis dans de la vaisselle en argent. Yuuto se sentait désolé pour les roturiers de la ville, qui étaient relégués à la terre cuite qu’ils avaient eux-mêmes fabriquée, mais il comprenait aussi qu’un souverain qui vivait une existence trop modeste laisserait une mauvaise impression. D’ailleurs, plus que tout, il était opposé à la poterie, craignant que cela lui cause encore des maux d’estomac comme à son arrivée en ce monde.
« Père, s’il te plaît, pardonne-moi pour ma grossièreté, » Sigrun mit son nez près du pain et de la soupe sur le plateau, les reniflants. Après qu’Yuuto lui eut fait un signe de tête, elle prit une bouchée du pain et une gorgée de la soupe.
Bien sûr, elle ne taquinait pas Yuuto en mangeant avant lui. C’était essentiel, car il s’agissait d’une dégustation de sa nourriture afin de vérifier la présence de poison.
La vérité était que, même si ce n’était pas une tâche qu’Yuuto avait demandé à Sigrun de faire, elle avait un nez avec un don incroyable pour détecter les poisons. Jusqu’à présent, elle avait déjà détecté deux fois du poison caché dans sa nourriture. Dans les deux cas, son instinct supérieur l’avait avertie de ne permettre à personne de manger la nourriture.
« C’est sûr, » déclara Sigrun. « S’il te plaît, vas-y. »
« D’accord. Comme toujours, merci beaucoup, » répondit Yuuto.
Même s’il avait exprimé ses remerciements, Yuuto n’avait pas pu s’empêcher de se sentir frustré. Jour après jour, il devait être en alerte face à la menace d’une mort par empoisonnement. Être souverain était un travail pouvant se révéler fatal.
« Tout est bon, itadakimasu, » déclara-t-il.
Son petit-déjeuner ayant été confirmé comme sans danger, Yuuto plaça ses mains ensemble, puis tendit la main pour saisir le pain. Même si Yggdrasil n’avait pas une telle coutume avant les repas, il était difficile de se débarrasser d’une habitude qui avait été ancrée dans son esprit au cours des années de pratique. Le pain ressemblait un peu à du pain melon [1] de chez lui. La chaleur se dégageait encore du pain fraîchement cuit quand Yuuto le porta à ses lèvres et ouvrit sa bouche. C’était techniquement un baiser indirect avec Sigrun, mais après un an d’avoir fait cela tous les jours, Yuuto s’y était depuis longtemps habitué. S’il laissait cela chaque fois le déranger, alors il ne mangerait jamais.
« Hmm, c’est délicieux ! » déclara-t-il. « Il y a un monde de différence entre ça et ce que j’avais quand je suis arrivé. Je suppose que le fait d’être un tricheur à ses avantages. »
Yuuto continuait à se murmurer ça, satisfait, alors qu’il savourait l’arôme frais et la texture douce de la pâte.
Pour faire du pain, il fallait d’abord moudre le blé en farine. Quand Yuuto était arrivé en ce monde, la méthode de mouture était primitive, consistant à déposer le blé sur une pierre plate, puis à le broyer intensément et à l’écraser avec une longue pierre ronde et mince.
Cependant, avec cette méthode, les cosses de blé et les morceaux de pierre finissaient inévitablement par se mélanger avec la farine. En conséquence, le pain fait avec cette farine de blé avait inévitablement une consistance dure ou semblable à du sable, et c’était une expérience très désagréable pour lui.
« Grâce à tes efforts, Grand Frère, le pain est ainsi devenu plutôt délicieux, » Félicia sourit joyeusement.
Sigrun avait fait un important signe de tête.
Naturellement, n’importe qui préférerait que la nourriture qu’ils mangeaient quotidiennement soit aussi délicieuse que possible. Yuuto l’avait très certainement ressenti de cette façon.
Ayant longtemps été habitué au pain moderne, Yuuto n’avait pas été capable de supporter le pain graveleux qui lui était initialement servi, et ainsi il avait utilisé internet pour chercher des meules et avait lu un certain nombre de livres électroniques sur le sujet. Il avait alors été capable de mettre au point une nouvelle méthode pour les gens d’Yggdrasil, appelée un moulin rotatif à bras, où deux disques de pierre circulaires étaient empilés les uns sur les autres avec un morceau de bois faisant tourner le disque supérieur. Bien entendu, seul son propre peuple en profitait.
D’ailleurs, le moulin rotatif à bras avait d’abord été historiquement documenté vers 600 avant notre ère, c’était donc une avancée technologique précurseure de plusieurs siècles pour Yggdrasil.
« Ah oui. Ce pain m’a fait me souvenir de quelque chose. Comment vont les choses avec les moulins à eau ? » demanda Yuuto après s’être soudainement souvenu de quelque chose d’important.
Il avait été découragé par le fait qu’il était le seul à manger un tel pain délicieux. Mais il y avait une limite stricte à ce qui pouvait être fait en utilisant seulement le travail manuel. Il avait donc encore une fois trouvé un livre électronique sur le sujet et, par essais et erreurs, ils avaient construit un petit moulin à eau.
Cela avait été étonnamment pratique, et il y avait maintenant cinq exemples en place dans le clan qui étaient désormais en fonction. Pourtant, cela restait le travail d’amateur. Cela faisait un an qu’il les avait construits. Il ne serait pas surpris si quelque chose n’allait pas bien avec ce qu’il avait fait.
« Ils sont actuellement opérationnels et nous n’avons rencontré aucun problème, » lui répondit Félicia.
« Je vois. C’est une bonne nouvelle, » hocha-t-il la tête. Puis, Yuuto but son lait d’un trait. Il venait d’être trait. Il avait un goût riche infiniment plus délicieux que le lait vendu chez lui dans le Japon moderne.
À cet égard seulement, les personnes ici vivaient des vies beaucoup plus luxueuses que les Japonais modernes. Mais même ainsi, Yuuto ne pouvait s’empêcher de ressentir une insatisfaction insatiable. Bien qu’il ait passé deux ans dans cet autre monde, Yuuto était encore un Japonais.
Il avait compris que c’était quelque chose de rare à cause du climat et du sol ici. Mais quand même...
« Je veux vraiment du riz, » murmura-t-il en poussant un soupir.
Depuis qu’il était arrivé en ce monde, Yuuto avait toujours eu envie de riz blanc.
Notes
- 1 Pain melon : Le pain melon (メロンパン, meron pan) est une spécialité boulangère dégustée au Japon, dont la partie interne est constituée de brioche classique et la croûte faite d’une sorte de cookie. La texture de cette croûte rappelle celle du melon cantaloup, d’où le nom (mais il peut aussi parfois être aromatisé au melon). Il existe de diverses saveurs : chocolat, citrouille, ananas... Des feuilles de chocolat peuvent être intercalées entre le pain et le cookie.
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Partie 2
« ... Ainsi, le premier Empereur Divin Wotan unifia tout Yggdrasil, fondant l’empire sacré d’Ásgarðr et proclamant que Glaðsheimr serait désormais sa capitale. Cela s’est produit il y a 204 ans. » La voix bien audible de Félicia retentit dans la chambre du patriarche.
Aux yeux d’Yuuto, Félicia était non seulement compétente en tant qu’adjudante, garde du corps, sœur, amie et bienfaitrice, mais elle l’était également en tant qu’enseignante.
Lors de son arrivée dans ce monde, Félicia avait été la seule à pouvoir communiquer avec Yuuto, en utilisant le galldr de « Connexions ».
Travaillant en tant que prêtresse au moment où il était arrivé dans ce monde, elle avait souvent visité le sanctuaire du palais et lui avait appris avec patience et douceur la langue de ce pays.
Les humains étaient souvent capables de démontrer une force auparavant impensable quand ils se retrouvaient le dos au mur. Dans les trois mois qui suivirent son arrivée, Yuuto avait acquis la capacité de communiquer à un niveau de base avec des personnes autres que Félicia. Maintenant, deux ans plus tard, il pouvait converser avec presque toutes les personnes avec qui il interagissait sans aucune difficulté, mais depuis qu’il était devenu souverain, il y avait beaucoup d’autres choses qu’il devait savoir sur ce monde. C’est pourquoi les matins étaient réservés, aussi souvent que possible, pour des cours, et c’était à ces moments-là que Félicia lui parlait d’Yggdrasil.
L’enseignement d’aujourd’hui semblait porter sur l’histoire.
« Il y a vraiment beaucoup de noms et de titres tirés des mythes populaires nordiques, » murmura Yuuto. « Je suppose que ce monde a vraiment un lien avec celui d’où je viens... »
« Grand Frère, quelque chose te tracasse ? » demanda Félicia.
« Non, ce n’est rien. J’étais juste en train de marmonner. S’il te plaît, continue, » déclara Yuuto.
« Très bien, » répondit Félicia, reprenant ainsi son exposé d’histoire. « L’empereur Wotan a créé une méthode unifiée pour mesurer la longueur, la taille et le poids, ou en d’autres termes, un système de mesures universel. Il a également normalisé le système de numérotation, a choisi la langue nordique comme langue commune et a standardisé une variété d’autres choses. Afin d’encourager le commerce entre toutes les régions, il s’est donné beaucoup de mal afin d’établir des routes commerciales le long des chemins pédestres et des voies navigables. Il ne serait pas exagéré de dire que les politiques mises en place par l’empereur Wotan continuent de vivre et sont encore présentes dans la vie de tous les jours ce qui nous permet d’être en mesure de mener une telle existence à l’heure actuelle. »
« Wôw, il était vraiment un souverain très sage. » Yuuto avait pris une profonde respiration alors qu’il était stupéfait par ce qu’il entendait.
200 ans plus tard, et les choses qu’il a faites nous touchent encore aujourd’hui. C’est vraiment impressionnant, Yuuto pensait ça avec une véritable admiration.
« En effet, il était un grand empereur avec une capacité unique à faire les choses, » déclara Félicia. « Il y avait juste le fait que l’empereur Wotan était un peu trop énergique, et qu’il a fait beaucoup trop de changements dans certains domaines. »
« Dans quel sens dis-tu ça ? » demanda Yuuto.
« La réforme la plus radicale de l’empereur Wotan était liée au système clanique, » répondit Félicia. « À ce moment-là, la succession était déterminée par le sang et l’hérédité, et ces changements interdisaient ces vieilles habitudes en favorisant la succession en fonction des compétences et des capacités. »
« Cela me semble être une bonne idée, » Yuuto pencha la tête, incapable de saisir quel pourrait être le problème.
Peu importe la qualité du parent, cela ne serait pas une garantie quant aux compétences de l’enfant. Alors que dans certains cas, la pomme ne tombe pas loin de l’arbre, dans d’autres, un homme maigre peut donner naissance à un puissant roi. Dans ce cas, Yuuto pensait que permettre à des personnes plus compétentes de devenir des chefs vis-à-vis des personnes qui obtenaient leur position grâce à l’hérédité était plus efficace.
« Naturellement, il n’y avait pas de pénurie de seigneurs qui gouvernaient des territoires transmis depuis des générations qui ont ressenti à l’époque de la contrariété, » expliqua Félicia. « Et il y en avait beaucoup qui se sont ainsi opposé à ses autres politiques radicales. »
« Je vois. Donc, il avait créé de la colère chez ceux qui avaient un intérêt direct pour que les choses restent comme elles étaient avant sa venue, » déclara Yuuto.
La main d’Yuuto s’était instinctivement placée dans sa poche, Le Prince de Machiavel qu’il avait lu à maintes reprises, lui était venu à l’esprit. Machiavel avait déclaré qu’être détesté et méprisé était inévitable pour un dirigeant. Il avait dit que voler la position sociale, la richesse ou la femme d’une personne pousserait cette personne à avoir un ressentiment particulièrement fort, alors on ferait bien d’être prudent.
Yuuto était aussi quelqu’un qui introduisait de nouvelles méthodes et idées dans ce monde. Cette leçon n’était donc pas dénuée d’importance pour lui.
« En outre, sa politique permettait seulement la succession héréditaire dans la maison de l’Empereur Divin, » déclara-t-elle. « En d’autres termes, il essayait d’affaiblir le pouvoir des seigneurs féodaux, tout en essayant en même temps de renforcer la position et l’autorité de l’Empereur Divin. Cela signifiait probablement qu’au fil du temps, il enlèverait de plus en plus de leur puissance afin de les empêcher de s’opposer à l’empereur. »
« Wôw, c’est pratiquement une tricherie là, » Yuuto remarqua ça avec lassitude. « Dans un tel cas, c’était sûr qu’ils se rebelleraient contre lui. »
Tout comme le proverbe parlant de celui qui faisait le premier pas dit : un chef qui ne prendrait pas l’initiative et ne donnerait pas l’exemple ne pourrait pas s’attendre à ce que ceux qui sont sous ses ordres acceptent de faire de même, ou comme certain disent, fais ce que je dis, pas ce que je fais
« Mais même ainsi, les personnes qui avaient vécu avec une profonde peur quant à l’importante puissance de l’empereur Wotan étaient restées silencieuses pendant son règne. Après sa mort, une fois que l’empereur Sigi est monté sur le trône, l’empire s’est rapidement déstabilisé et c’est devenu le chaos, » déclara Félicia.
« Je suppose que c’était tout simplement à prévoir, » déclara-t-il.
« Pendant le règne de l’empereur Sigi, parce que l’empereur Wotan avait poussé le monde à agir selon la succession par la force, plutôt que la succession par l’hérédité, de nombreuses personnes ont pris ces mots à cœur, » expliqua Félicia. « Des conflits violents ont éclaté dans chaque région, ne laissant dans leur sillage que les puissants qui se sont élevés au-dessus de la masse. »
Yuuto hocha la tête. « Je vois. Donc, avec les choses qui allaient dans ce sens, ils ont dû évoluer vers un système de nomination des souverains parmi les plus forts enfants subordonnés. »
« Tout à fait, » répondit-elle. « Eh bien, l’ancien système de succession héréditaire s’était totalement effondré. Mais s’il avait une réelle puissance en lui, un héritier biologique pourrait quand même succéder au trône. »
« Pourtant, c’est seulement si cette puissance et ces capacités sont reconnues par les autres, n’est-ce pas ? » demanda-t-il.
« Tout à fait. S’ils manquaient de force réelle, peu importe à quel point ils étaient aimés par leurs parents, les autres subalternes ne les reconnaîtraient pas comme le successeur du souverain, » répondit-elle.
« Je vois, » répondit-il avant de se mettre à réfléchir à ça.
Le prédécesseur d’Yuuto avait un fils de sang, mais il avait plus de trente ans sans puissance ni perspectives d’avenir. L’homme s’était résigné quant à sa basse position dans la hiérarchie, ce qui signifiait qu’il ne pouvait même pas s’asseoir au pied de la table des chefs (dans le sens de conseiller secondaire. Les principaux conseillers et dirigeants se tenant à la table). Si les choses avaient été comme elles l’étaient à l’origine, il aurait été roi, régnant sur des dizaines de milliers de personnes.
D’autre part, malgré leur jeunesse, Félicia et Sigrun avaient été accueillies dans des positions de pouvoir et suscitaient beaucoup de respect.
Si l’enfant d’un paria ou d’un criminel avait de la force et les capacités nécessaires, alors il pourrait être accepté comme chef, alors que l’enfant d’un souverain qui manquait de pouvoir pourrait être pris à la légère. C’était une loi fondamentale du monde d’Yggdrasil. Yuuto pensait que c’était dur, mais aussi excessivement rationnel.
Une fois l’ancienne structure de pouvoir réduite à néant, cela ne restait qu’une question de temps avant que ceux qui avaient gravi les échelons en fonction de leurs réelles capacités se regroupent et forment une nouvelle structure de pouvoir.
Félicia avait alors continué. « De cette façon, la puissance globale de l’empire sacré d’Ásgarðr commença à s’affaiblir, mais comme l’espérait l’empereur Wotan, l’autorité de son état central augmenta, » déclara Félicia. « Pour qu’un chef d’un clan sans appui politique puisse établir son pouvoir afin de régner en tant que chef sur une grande surface, ils auraient automatiquement besoin d’une sorte de justification morale ou d’une revendication légitime. Comme l’aurait sur toutes les terres un représentant des cieux tel que l’est l’Empereur Divin. »
« Hm, tout comme le shogun et l’empereur pendant la Période des Royaumes Combattants, » déclara-t-il.
« Hein !? » s’exclama Félicia. Elle, qui avait continué sa conférence sans être dérangée jusqu’à ce moment, pencha la tête. Peu importe à quel point elle était intelligente, elle n’avait aucune possibilité de connaître l’histoire du monde d’Yuuto.
Yuuto agita sa main avec un sourire ironique. « Fondamentalement, c’est une position facilement utilisée à des fins politiques. On peut être nommé à un poste approprié et avoir ses revendications légitimées, sans avoir à devoir passer par une bataille ou un arbitrage inutiles. »
La Période des Royaumes Combattants était une période dans l’histoire qui aurait séduit n’importe quel garçon, et Yuuto l’avait donc minutieusement étudiée. Et cela principalement en raison de l’influence d’une certaine série de jeux vidéo de stratégie.
Les yeux de Félicia s’écarquillèrent alors qu’elle était légèrement surprise par les paroles de son élève, puis son visage se fendit en un large sourire, satisfaite face aux connaissances supérieures de son Grand Frère. « Je ne devrais pas en attendre moins de toi, Grand Frère. C’est tout à fait comme tu l’as déduit. »
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Partie 3
« Bienvenue, bienvenue ! Vous ne trouverez que des produits de bonne qualité ici. »
« Que pensez-vous de ça, jeune fille ? Un peigne fabriqué à Ásgarðr. »
« Ahh, vous avez un œil averti. Voici une lame forgée par l’artisan le plus talentueux et le plus célèbre de Vanaheimr. »
Yuuto et Félicia avaient estimé qu’il valait mieux s’arrêter un peu de travailler et ils avaient décidé de faire une pause en se promenant dans le palais. Quand ils avaient entendu un vacarme venant de la cour, ils avaient alors remarqué la foule.
À côté de là, il y avait un bazar, avec des commerçants et des colporteurs qui proposaient leurs marchandises. Ils gagnaient leur vie en achetant des produits dans une région et en les revendant dans un autre territoire plus éloigné. C’était une profession dangereuse, où une personne pourrait être attaquée par des bandits ou manquer de nourriture à mi-chemin du voyage, et pourtant, beaucoup décidaient de suivre cette voie à la poursuite de la richesse.
« Ceci semble plutôt animé, » Assise à côté d’Yuuto, Félicia acquiesça de satisfaction.
Les frais facturés pour l’emplacement aux commerçants étaient une source importante de revenus pour le Clan du Loup. Les personnes qui habitaient le palais étaient relativement plus aisées que les roturiers qui vivaient en ville, de sorte que c’était un endroit idéal pour s’installer et vendre leurs marchandises.
Dans une cour à peu près de la taille d’un terrain de sport scolaire, il y avait des tentes aménagées sous les saillies des toits, avec une grande variété de biens allant de la nourriture et des vêtements aux armes et aux bijoux, en passant par le bétail.
Pour une cité comme celle-ci se trouvant dans une situation géographique de choix pour le transport, la marchandise était présente en abondance. Si l’on avait l’argent, on pourrait acquérir à peu près tout.
Et cela incluait... des personnes.
« Aujourd’hui, notre produit phare est cette paire mère-fille, » déclara l’un des marchands. « Qu’en pensez-vous ? La mère n’est-elle pas magnifique ? Non seulement cela, mais elle a cette belle peau claire, presque translucide caractéristique des territoires du nord ! Et sa carrure nous dit sans équivoque qu’elle a été bien soignée. Et s’il vous plaît, jetez aussi un œil à sa fille. Ne ressemble-t-elle pas à sa mère ? Je parie qu’un jour, sa beauté dépassera celle de sa mère. Kukukuku ! »
Le marchand était un homme avec une robuste corpulence, et sa tête était enveloppée avec morceau de tissu blanc. Il fit un geste avec un sourire vulgaire vers la mère et la fille, qui se tenaient l’une et l’autre dans leurs bras.
Bien que la mère et la fille tremblaient avec de la peur dans leurs yeux, elles se serraient l’une contre l’autre, affirmant au monde qu’elles ne seraient jamais séparées. D’après les apparences, la gamine devait à peine avoir dix ans.
« En y pensant... même l’enfant est très jeune, » Yuuto fronça les sourcils.
En d’autres termes, il s’agissait de la traite d’esclaves. Ce n’était pas quelque chose qui était arrivé seulement à Yggdrasil. Sur Terre, cela avait été une activité commerciale réalisée à la vue de tous partout dans le monde jusqu’à l’âge moderne. Dans le cas présent, ces personnes étaient les derniers vestiges de pays déchirés par la guerre, achetées et vendues par les marchands après que leurs terres aient été envahies par d’autres clans.
« Vendu, » Yuuto avait levé sa main, provoquant une agitation alors qu’il traversait la foule.
En Yggdrasil, les personnes ayant des cheveux noirs étaient une chose extrêmement rare. Ainsi, le commerçant avait rapidement réalisé qui était vraiment Yuuto.
« Ohh, notre Seigneur Souverain Patriarche ! Merci beaucoup ! Alors, concernant le paiement..., » commença le marchand.
« Félicia, » déclara Yuuto.
« D’accord. Cela devrait être plus que suffisant, n’est-ce pas ? » Félicia avait promptement sorti trois pépites d’or de la taille d’un caillou en provenance d’un sac en cuir et les avait placées dans la main du marchand. C’était plus que convenable pour payer deux êtres humains.
Tout en essayant d’étouffer son ressentiment face à cette situation, Yuuto s’approcha de la mère et de la fille. Il s’était ensuite accroupi pour qu’il puisse être à la hauteur des yeux de la petite fille. Son corps tremblait encore et elle se cacha derrière sa mère quand elle le vit s’approcher ainsi. Ses mouvements lui avaient indiqué qu’elle avait enduré des expériences vraiment terrifiantes et traumatisantes.
Ce n’était pas comme si ce marchand était particulièrement cruel ou diabolique. C’était juste que ces individus ne voyaient pas les esclaves comme au même niveau qu’eux-mêmes. Pour eux, ils n’étaient que des objets.
Le grand philosophe Aristote dans la Grèce antique avait confirmé la légalité de la vente des humains, et cela, sans le moindre scrupule. La moralité à son époque était semblable à celle dans ce monde.
« Tout va bien se passer maintenant, » Yuuto avait fait le sourire le plus doux qu’il pouvait offrir pendant qu’il parlait, puis il jeta un rapide coup d’œil autour de lui. Il avait en un rien de temps trouvé qui il cherchait. « Hé, vous là, les gardes ! Conduisez ces deux personnes jusqu’au grand chambellan ! Et assurez-vous de les traiter avec respect. »
« Père, à vos ordres ! » répondit l’un des gardes à qui il avait parlé.
Pour les gardes du palais, Yuuto représentait quelque chose de plus grand que les nuages dans le ciel. Le fait d’avoir été soudainement sollicité par lui leur avait fait savoir qu’ils étaient surveillés, et qu’une attention particulière serait portée quant à leurs actes.
Alors qu’il regardait la mère et sa fille disparaître dans le palais, Yuuto affichait une expression acerbe. L’acte d’acheter des humains avait suscité chez lui des sentiments de dégoût viscéral.
En tant que souverain, interdire l’esclavage sur le territoire du Clan du Loup n’était pas en dehors de son pouvoir. Cependant, même s’il le faisait, les marchands vendraient tout simplement ailleurs les esclaves. Il ne pouvait pas sauver tout le monde. En tant que faible nation tributaire du commerce, Yuuto voulait autant que possible éviter d’attirer la colère des marchands.
Dans ce cas, les acheter était le seul moyen dont il disposait pour permettre aux esclaves de mener des vies où ils pouvaient être traités comme des humains normaux. Puisque les esclaves achetés par Yuuto étaient considérés comme la propriété du souverain, personne n’aurait osé les persécuter ou les opprimer. Ils étaient tous capables de travailler confortablement et sans crainte dans le palais. Chacun d’entre eux avait exprimé leurs gratitudes envers Yuuto.
Comme toujours, cela lui avait laissé un désagréable sentiment persistant qui tourmentait le cœur et l’esprit d’Yuuto. Il n’y avait aucun moyen à sa portée lui permettant de sauver tous les esclaves. Il ne pouvait même pas défendre ses actions face à ceux qui pourraient les décrire comme étant hypocrites.
« C’est juste une goutte d’eau dans l’océan, » Yuuto serra fermement son poing. Il ne pouvait pas s’empêcher de ressentir de la colère en pensant à quel point sa capacité à pouvoir aider les autres était minuscule.
« Où regardez-vous !? Ne regardez pas l’épée de votre adversaire. Regardez leur silhouette dans leur ensemble ! Suivant ! » La voix digne de Sigrun résonna autour d’eux alors qu’ils s’approchaient des portes du château.
Quand il regarda dans la direction de la voix, Yuuto vit que Sigrun donnait aux gardes du palais une formation martiale. Ses cheveux d’argent flottaient doucement autour d’elle.
« Votre avancée est trop peu profonde. Serrez bien votre garde sur les côtés. Suivant ! »
L’un après l’autre, Sigrun les obligeait à effectuer une attaque contre elle avec des épées en bois, puis elle déviait avec facilité leurs attaques.
Yuuto avait réagi face à la sévérité présente dans la voix de Sigrun, ce qui le fit frémir. Comme elle agissait habituellement avec tant de douceur et si docilement dans ses échanges avec Yuuto, c’était rafraîchissant, et un peu nostalgique, de voir la manière brusque et grossière avec laquelle elle réprimandait et poussait à bout les soldats qu’elle formait. Après tout, ceci était le traitement qu’il avait subi quand elle avait entraîné Yuuto au moment où il était arrivé dans ce monde.
« Comme toujours, elle est si forte que c’en est presque comme si elle trichait, » déclara Yuuto en laissant échapper un long soupir d’émerveillement.
Les gardes qui s’entraînaient avec Sigrun n’étaient certainement pas faibles. Ils étaient loin d’être parfaits, mais il était clair qu’on pouvait leur faire confiance quant à la protection du palais. Tous étaient sans aucun doute qualifiés. Et pourtant, Sigrun les affrontait aussi habilement que si elle avait affaire à des bébés.
« Elle l’est vraiment, » songea Félicia. « Même quand je me suis battue contre elle, je pouvais à peine tenir 10 rounds. »
« Même face à toi, Félicia... ? » demanda Yuuto.
Alors qu’ils étaient en train d’observer les batailles simulées, Yuuto s’était retrouvé avec un visage montrant qu’il était abasourdi. Félicia était l’un des plus grands maîtres du Clan du Loup quand on parlait du maniement de l’épée. Considérant que même elle ne pouvait pas se défendre contre Sigrun, cela rendait d’autant plus clair le fait que les compétences martiales de Sigrun s’élevaient à un niveau incomparable vis-à-vis de toutes autres personnes.
« En raison de mon expérience personnelle, je sais que même si mes capacités accordées par le Serviteur Sans Expression Skírnir appartiennent à de multiples domaines, elles ne peuvent pas résister face à un adversaire qui se spécialise dans une discipline particulière, » Félicia poussa un soupir mélancolique, posant une main sur sa joue.
Elle était un touche-à-tout et un maître de rien. Elle devait probablement avoir souvent ressenti une sorte de complexe quant à ce sujet. Malgré ce qu’elle disait à Yuuto, les nombreuses capacités de Félicia compensaient un manque de maîtrise par une grande polyvalence.
« Quel est le problème !? C’est tout ce que vous avez dans le ventre !? » cria Sigrun. « Ces magnifiques muscles sont-ils juste pour le spectacle !? »
La différence dans les prouesses physiques de niveaux moyens entre les hommes et les femmes en Yggdrasil apparaissait comme une dure réalité. En plus de cela, le garde qui combattait en ce moment Sigrun avait une énorme carrure, et ses bras apparaissaient aux yeux de tous comme deux fois plus gros que ceux de Sigrun.
Et pourtant, bien que son adversaire ait mis toute sa puissance dans l’attaque, Sigrun l’avait déviée sans effort. Elle n’était certainement pas une simple humaine.
D’un autre côté, elle ne ressemble pas non plus à un monstre, pensa Yuuto.
Dans le monde d’où venait Yuuto, il y avait un petit nombre d’athlètes qui se classaient parmi la crème de la crème qui avait décrit un certain état comme étant la zone, qui était un état de concentration dans lequel ils affichaient une force et une compétence qu’ils pensaient comme impossible.
Un célèbre joueur de baseball autrefois connu sous le nom du Dieu de la Batte avait expliqué que c’était comme si la balle s’était arrêtée.
Un lanceur avec un nombre record de retraits à la batte l’avait décrit comme si les limites de la zone de frappe avaient été illuminées. Il savait que juste en frappant au niveau de cette zone, il pourrait effectuer un renvoi de balle.
Un footballeur avait déjà dit que, parfois, c’était comme s’il pouvait voir le terrain de jeu depuis un point de vue aérien.
D’après ce qu’Yuuto avait vu, bien que des exceptions existent, les pouvoirs des Einherjars permettaient généralement de réaliser ce genre de miracle. Même si on disait que leurs pouvoirs venaient d’une protection divine, ce n’était pas quelque chose de fréquent d’avoir une telle force surhumaine qu’une Einherjar pourrait massacrer un ou deux cents soldats comme dans un jeu vidéo. C’était juste qu’ils étaient toujours dans la zone de grâce.
« Père !? » Même si elle était en plein cœur d’un combat, Sigrun se retourna pour faire face à Yuuto.
L’épée de bois de son adversaire ne pouvait pas être arrêtée si facilement. Craignant le pire, Yuuto fit une profonde inspiration.
Comme il avait été indiqué précédemment, un Einherjar n’était nullement invincible. Surtout si l’on considérait que le Dévoreur de la Lune Hati de Sigrun n’avait pas accordé à son corps une solidité supplémentaire ou de résistance aux blessures. Le fait d’être frappé à la tête par une épée de bois avec une telle force n’était pas quelque chose que l’on pourrait facilement récupérer.
Cependant, le son qui résonnait à l’impact n’était pas le son sourd normalement produit après avoir frappé un être humain, mais plutôt un son sec et raide.
« ... Vraiment monstrueux, » grogna Yuuto. « As-tu donc des yeux derrière la tête ? Tu es vraiment une tricheuse. »
Yuuto secoua la tête en raison de son étonnement, poussant un soupir de soulagement. Même si elle avait détourné le regard, l’épée de bois de Sigrun intercepta quand même avec succès l’attaque de son adversaire.
Cette scène avait définitivement fait comprendre à Yuuto que son deuxième surnom, Le Plus Puissant Loup d’Argent, Mánagarmr, n’était pas exagéré. Bien que Sigrun soit encore jeune, il était clair qu’elle avait atteint le stade de la maîtrise où elle n’avait plus besoin de compter sur ses yeux pour voir.
« Hm, il s’agit d’une assez bonne attaque, » ajouta-t-elle. « Bon, faisons une petite pause ! »
« Merci beaucoup ! Mère ! » Les soldats avaient répondu à l’unisson sans y réfléchir davantage.
Ils avaient également rapidement baissé la tête, par respect pour la méthode d’enseignement généralement stricte de Sigrun. C’était étrange de les voir se référer à Sigrun comme « Mère » malgré son jeune âge.
Si le Calice du patriarche souverain était donné sans raison à n’importe qui, il serait pris à la légère, et la chaîne de commandement deviendrait alambiquée. Donc, Yuuto avait donné son Calice seulement à ceux du Clan du Loup dans les échelons supérieurs de la hiérarchie, et ceux qui aspiraient à ces postes. Cela représentait moins de cinquante personnes ayant reçu son Calice.
N’importe qui en dehors de ce groupe avait accepté le Calice d’Enfant de l’un de ces chefs, et cela avait conduit à la création de nombreuses factions, dans lesquelles ils serviraient le clan dans son ensemble sous la direction directe de ce dirigeant.
Ce n’était pas le cas seulement pour Sigrun, ou le commandant en second, Jurgen, mais aussi pour Félicia. Ils étaient tous des subordonnés d’Yuuto tout en étant également les chefs de leurs propres factions.
En général, une faction avait tendance à partager certaines caractéristiques avec son dirigeant. La faction de Sigrun comprenait beaucoup de guerriers parmi les plus féroces du Clan du Loup, tandis que celle de Félicia comprenait un grand nombre de fonctionnaires civils.
« Salut ! Bon travail avec la formation, » avait déclaré Yuuto à Sigrun alors qu’il approchait d’elle. « Comme prévu, tu es aussi forte que jamais. »
Sigrun se tourna alors vers Yuuto et un large sourire s’étendit sur son visage. Elle se précipita immédiatement vers lui.
***
Partie 4
« Bonjour encore une fois, Père ! As-tu terminé tes leçons ? » demanda Sigrun.
Son changement d’attitude était si rapide et si drastique que personne ne se douterait qu’elle avait été l’entraîneuse démonique il y a quelques instants de ça.
« On en est seulement à la moitié, » déclara Yuuto. « Mais oublie ça. Plus tôt, tu étais vraiment incroyable. Tu as arrêté cette attaque sans même regarder ainsi que toutes les autres choses que tu as réalisées. Cela doit faire partie du pouvoir accordé par le Dévoreur de la Lune Hati, non ? »
« Eh oui. Je peux savoir la position des armes par le son produit par la lame tranchant dans le vent..., » répondit-elle.
« Ahh, ça a du sens. Et bien, un chi... Je pense que cela doit être que le sens de l’ouïe d’un loup est à un tout autre niveau que celui d’un humain, » répondis-je.
Il avait rapidement masqué le fait qu’il avait commencé à se référer à elle comme un chien. D’une façon ou d’une autre, ces derniers temps, Yuuto remarquait de plus en plus les attributs de chien de Sigrun.
« Comme toujours, Run, je suis vraiment jaloux de tes différentes capacités, » ajouta-t-il.
« Ce-Ce n’est pas vrai ! Comparé à toi, Père, je ne suis rien du tout..., » répondit Sigrun.
« Non, ne te dévalorise pas comme ça. Je te trouve vraiment fantastique, » Yuuto croisa les bras, hochant la tête à plusieurs reprises alors qu’il affirmait ça.
Le désir de devenir fort était un but fondamental et primitif pour tout homme. Un homme ne pouvait s’empêcher d’aspirer à de telles capacités physiques prééminentes.
Quand il était arrivé ici, Yuuto avait eu une intoxication alimentaire environ une fois par semaine. Alors que maintenant son corps s’était habitué à la nourriture, à l’époque c’était tellement catastrophique qu’il avait même développé une aversion quant au fait de mettre de la nourriture dans sa bouche. On ne pouvait pas survivre sans manger, donc cela avait été une période infernale pour lui. S’il avait eu sa force, il était sûr que tout serait allé beaucoup plus en douceur.
« Mes pouvoirs ne servent à rien en dehors de la bataille, » Sigrun lui déclara cela. « Ils ne pourraient rien faire quand il s’agit d’affronter 100 soldats. Mon pouvoir n’est rien comparé à la capacité qui te permet de diriger des dizaines de milliers de personnes, Père. »
« Hein !? Attends ! Ne m’as-tu pas dit dans le passé que je ne servirais jamais à rien ? » demanda-t-il.
« Arg, euh ! Ce-Ce qui est arrivé à l’époque représente le plus grand embarras de ma vie..., » l’expression de Sigrun s’embrumait de mécontentement, l’air égaré.
Les choses étaient vraiment différentes maintenant. Il y avait une période de sa vie où elle avait été quelque peu méchante avec lui, et maintenant elle ne pouvait pas s’empêcher de le traiter avec le plus grand respect.
À l’époque, elle n’avait pas été la seule à penser qu’Yuuto était complètement inutile et qu’il fallait tout simplement l’abandonner. La majorité des membres du Clan du Loup avaient fortement méprisé Yuuto et ils l’avaient tous regardé de haut dès la moindre interaction.
Quand il était arrivé en portant d’étranges vêtements selon le point de vue des habitants de ce monde, un petit nombre avaient pensé qu’il pourrait être un émissaire des cieux, mais cela n’avait pas duré longtemps. Après un petit plus d’un mois, ces mêmes individus avaient constaté que sa faiblesse n’était nullement feinte, et qu’ils s’étaient trompés en pensant ça.
Il ne pouvait même pas parler la langue de ce monde. Il n’avait pas été capable de faire le moindre travail manuel, et il n’avait même pas été apte à gérer des tâches simples qu’un enfant n’ayant aucun sens commun pouvait faire sans problèmes. Il se fatiguait après le moindre effort et s’il forçait le moindrement, son estomac l’indisposait, le faisant tomber malade. Après ça, il devait absolument aller s’allonger pendant un moment.
Yuuto jeta un coup d’œil à l’adjudant qui se tenait à ses côtés.
« Hm ? Quel est le problème, Grand Frère ? » Félicia pencha la tête, intriguée.
Lors des premiers jours après son arrivée, elle avait été la seule à montrer à Yuuto une telle gentillesse et une telle familiarité. Non, attendez, il y avait également eu une autre personne. Il s’agissait du véritable frère aîné de Félicia, un homme qui avait été un ami fidèle et sans pareil pour Yuuto. Il avait été fort, intelligent et populaire. Il était celui sur qui le Clan du Loup avait placé leurs plus grands espoirs.
Mais il n’était plus là.
« Non, ce n’est rien, » Yuuto avait fait une légère secousse de la tête.
Il n’avait nullement le droit de parler de cet homme. Il n’aurait pas non plus eu le courage de le faire. De la même manière que Félicia se sentait redevable envers Yuuto, Yuuto se sentait également redevable envers Félicia.
La raison en était que c’était Yuuto qui avait volé le seul et unique membre de la famille de sang de Félicia.
« En ce qui concerne l’introduction expérimentale de ce système Norfolk [1] que tu as proposé, Grand Frère, le développement des quatre cultures tests semble se poursuivre sans rencontrer le moindre problème, » déclara Félicia.
En tant que patriarche souverain, passer ses journées à examiner des informations, à approuver des demandes et à régler des problèmes non résolus faisait partie du travail quotidien d’Yuuto.
Chaque jour, à partir de midi, Yuuto s’était retrouvé complètement débordé par tout ça. Ayant été absent pendant plus d’un mois maintenant, une montagne de travail l’attendait maintenant.
« Au moins, il semble que nous avons eu un bon départ, » répondit-il.
Considérant que la majeure partie du territoire du Clan du Loup était des régions montagneuse ou vallonnée, ce terrain n’était pas adapté à l’agriculture. Cependant, les habitants ne pourraient naturellement pas survivre sans nourriture.
Donc, tout en réfléchissant à la façon d’augmenter la rentabilité de leurs cultures, la première chose qui était venue à l’esprit d’Yuuto était quelque chose qu’il avait vu dans son manuel scolaire sur les cultures semestrielles, ou avoir deux récoltes par an. En ayant deux récoltes différentes chaque année sur la même parcelle de terrain, on pourrait augmenter la productivité des cultures.
Mais c’était un état d’esprit d’un pur amateur. Après avoir effectué d’autres recherches, Yuuto avait appris que la culture à deux récoltes par an était une énorme surcharge pour la terre. Alors que c’était une bonne utilisation en tant que solution temporaire, il comprenait que cela détruirait rapidement tous les nutriments et que cela rendrait stériles les terres arables. Il était évident qu’après cinq à dix ans d’utilisation répétée, la terre serait épuisée.
Tout en faisant des recherches sur la possibilité de faire deux récoltes par an, il avait découvert le système de quatre champs de Norfolk, une méthode de division d’une parcelle en quatre parcelles, avec dedans de l’orge, du trèfle, du blé et des navets, qui était affecté à tour de rôle sur un terrain différent tout au long des années.
Il y avait aussi des préoccupations au sujet de l’assèchement de la terre sur Yggdrasil, si bien qu’à l’heure actuelle, ils ne pouvaient pas récolter deux fois par année pour se prémunir contre un tel résultat.
Mais avec le système de Norfolk, en plantant des trèfles, ainsi qu’une culture de la famille des pois qui pourrait restaurer la terre à la place de faire une jachère et en plantant une racine comme des navets qui pourraient devenir des aliments pour le bétail, ils pourraient améliorer la production agricole et restaurer en même temps les nutriments de la terre. De plus, cela augmenterait sûrement la production alimentaire pour le bétail.
« Eh bien, il faudra plusieurs années avant que nous sachions à quel point il s’agit d’un système vraiment efficace, » déclara Yuuto en poussant un soupir.
En considérant à quel point c’était innovant, ce n’était pas quelque chose qui pouvait être entièrement mis en œuvre immédiatement. Après tout, la seule expérience d’Yuuto avec ce système était d’avoir lu des documents sur ça. Il avait découvert qu’il y avait beaucoup de connaissances dans le monde qui ne pouvaient être obtenues que par l’exécution concrète.
Par exemple, Yuuto avait compris l’idée primitive quant au fait d’allumer un feu en pressant un bâton de bois dans l’espace entre deux planches de bois et en le faisant tourner rapidement, mais il n’arrivait toujours pas à le faire même après deux ans. Le fait de seulement savoir quelque chose était très différent de le mettre en pratique.
Bien qu’il ait suivi de près ce qui était écrit dans les livres, s’ils mettaient en œuvre le système sur une plus grande échelle et que cela échouait, il était probable que certaines personnes pourraient mourir de faim. Donc, ils ne faisaient que l’essayer sur une petite parcelle de terrain.
Le problème était qu’ils ne pouvaient récolter qu’une fois par an pour l’instant. Donc, chaque cycle prendrait au total quatre ans. Il s’agissait ainsi d’une réforme qui prendrait beaucoup de temps à mettre en œuvre.
« Suivant, » déclara Félicia. « Ce papier que tu as introduit, Grand Frère, est devenu de plus en plus populaire, et beaucoup ont demandé une augmentation de la production. »
« Tu dis que je l’ai introduit, mais franchement, le papier et le système Norfolk ne sont pas des choses que j’ai inventées... il s’agit de méthodes que j’ai acquises en trichant, » déclarai-je.
« Mais tu devrais également reconnaître que, grâce à ces idées, un grand fardeau a été retiré des épaules de nombreux citoyens. C’est donc quelque chose de vraiment louable, » répliqua Félicia.
« C’est vrai, » déclara-t-il. « C’est bien que nos habitants aient assez à manger dorénavant. »
Quand Yuuto était venu pour la première fois dans ce monde, il avait ressenti plusieurs fois ce qu’on ressentait quand on avait très faim, et cette sensation de faim avait créé en lui de l’irritabilité.
Alors que l’écriture existait sur Yggdrasil, le « papier » en lui-même n’avait pas encore été inventé. Les mots étaient gravés sur des tablettes d’argile et des blocs de bois et c’étaient ainsi les principales méthodes de transmission de l’information.
Étant originaire du Japon moderne, la première chose qui avait surgi dans la tête d’Yuuto était le mot « papyrus » qu’il avait vu dans un manuel. Naturellement, il avait cherché en ligne des informations et avait trouvé quelque chose à propos de la création de papier à partir de mauvaises herbes.
Cela semblait si simple que même un profane pouvait le faire. Alors Yuuto avait tenté d’en faire un peu, et bien que le produit final avait été d’une qualité si médiocre qu’aucune personne moderne ne le considérerait comme digne d’être vendu, ce papier avait rapidement disparu des étagères des stands des marchands proches du palais dès les premiers jours. Les mauvaises herbes avaient toujours abondamment germé dans la région. Et la production de papier ne prenait pas plus de temps que de les cultiver. Le papier devint ainsi une autre source de revenus et c’était ainsi devenu un autre point en sa faveur.
Avec les bénéfices produits par le papier, il achetait tout le blé que les marchands avaient à offrir, puis le moulinait dans les moulins à eau dont ils avaient discuté ce matin lors du petit-déjeuner, puis vendait la farine obtenue pour encore plus de profits. À travers cette chaîne de stratégies économiques, la situation alimentaire et financière du Clan du Loup s’était considérablement améliorée.
Le fait d’avoir permis de préserver son peuple de la famine en générant un revenu constant, d’améliorer le niveau de vie et d’avoir chassé les envahisseurs étrangers lui avait valu un important soutien du peuple. Ainsi, les réactions enthousiastes des personnes lors du défilé de la victoire de la veille n’étaient pas hors de propos.
« Eh bien, que veux-tu faire ? Allons-nous augmenter la production ? » demanda Félicia.
« Non, nous ferions mieux de ne pas le faire. Pour le moment au moins, nous devrions maintenir nos prévisions, » répondit Yuuki.
« Compris. Eh bien, je ferai ce que tu as demandé, » déclara Félicia.
« En toute honnêteté, je veux enseigner aux citadins comment utiliser le papier, » Yuuto ne pouvait pas réfréner ses sentiments de culpabilité quant au fait que les personnes vivant dans le palais monopolisaient des ressources accrues. Il s’était souvent imaginé que peut-être le fait d’enseigner aux citadins comment produire le papier leur apporterait aussi une prospérité accrue.
Le papier était assez simple à faire que même un étudiant moyen comme Yuuto pouvait le faire en regardant simplement des informations en ligne. Il n’a pas besoin de compétences hautement spécialisées. Il en était de même des outils. S’il enseignait cela aux citadins, c’était quelque chose qui pourrait facilement se propager dans le reste du monde. Et puis d’autres commenceraient à le produire, et le Clan du Loup n’aurait plus le monopole.
L’implication de tout cela était qu’ils régresseraient à ces temps de pauvreté, dans lesquels la nourriture avait été rare. Qui voyagerait sur de longues distances et paierait de grosses sommes d’argent pour quelque chose qu’ils pourraient faire eux-mêmes chez eux ?
En tant que souverain, il devait à tout prix éviter une telle situation.
Un garde s’était soudainement précipité dans le bureau, puis s’était tenu au garde-à-vous, et avait annoncé. « Pardonnez-moi pour l’interruption ! Nous avons reçu une correspondance de la part du Clan de la Corne ! »
Le système précédent avait exigé de passer par de nombreux gardes avant d’atteindre le souverain lui-même, mais Yuuto avait trouvé que c’était le summum du ridicule, et donc, après avoir effectué seulement un contrôle pour s’assurer que le visiteur ne portait pas d’armes, ils pouvaient maintenant se rendre immédiatement auprès du souverain.
Cela avait suscité beaucoup de plaintes des anciens au sujet de l’autorité et de la dignité ainsi que beaucoup d’autres arguments du genre. Cela avait souvent amené Yuuto à réfléchir sur le fait que le changement était difficile.
« Oh Mon Dieu ! Comme c’était rapide, » les yeux de Félicia s’écarquillèrent en raison de la suspicion, puis elle accepta la plaquette massive d’argile de la part du garde.
Yuuto avait envoyé une correspondance cinq jours plus tôt, après la fin des combats. En envoyant seulement une lettre et en demandant également uniquement une lettre en retour, le temps de voyage ne prenait que quelques heures, mais le fait de prendre son temps avec une lettre et sa réponse était une coutume non seulement des anciens, mais aussi de l’ensemble de la population d’Yggdrasil.
Mais pour Yuuto, la vitesse de propagation de l’information était la différence entre la vie et la mort. Cela lui avait fait penser à ce que Sun Tzu avait dit au sujet de l’influence de la vitesse sur la guerre. Une différence de quelques heures pourrait avoir un impact sur le cours de la guerre. Dans ces moments-là, Yuuto voulait ne pas avoir de regrets.
« Eh bien..., » Félicia ramassa le marteau en bois sur le bureau d’Yuuto et l’abattit sur la tablette d’argile. Elle avait brisé la simple tablette d’argile, ornée seulement d’un sceau appartenant vraisemblablement au Clan de la Corne. De l’intérieur était apparue une seconde tablette d’argile avec un texte gravé dedans.
Les correspondances importantes telles que celle-ci étaient scellées de cette manière : la lettre elle-même était cuite dans une seconde tablette d’argile simple dans un effort pour la dissimuler aux yeux des autres.
« Voyons voir. “À l’intention du Seigneur Souverain Yuuto du Clan du Loup, je suis Rasmas, du Clan de la Corne.”, » tenant la tablette d’argile, Félicia avait lu l’introduction.
Cette forme de tournure de phrase de commencer une lettre avec « À l’intention__, je suis __, » était une forme très formelle et traditionnelle d’écriture de lettres sur Yggdrasil.
Comme le taux d’alphabétisation sur Yggdrasil était inférieur à un pour cent, il était courant que les lettres et les lectures soient traitées par un secrétaire, qui était professionnellement formé pour lire et écrire. Par conséquent, le « À l’intention __ » était en fait une directive pour le secrétaire lisant la lettre de le faire en la présence de cette personne en particulière.
« “Plusieurs membres de nos échelons supérieurs, y compris moi-même, seront présents à la Cérémonie du Calice. Nous prévoyions d’arriver dans les sept jours. Nous croyions que vous traitez notre dirigeant avec hospitalité.” Et c’est daté d’il y a trois jours, » dit Félicia.
Le contenu était assez concis, mais la tablette d’argile était aussi grande que la main d’Yuuto. Et le fait d’avoir scellé la correspondance l’avait rendue encore plus encombrante. Par rapport au papier, c’était vraiment un matériau problématique.
« La traiter avec hospitalité, hein ? » demanda Yuuto. « En parlant de ça, est-ce qu’elle va bien ? Elle ne se sent pas malade ou quoi que ce soit du genre, n’est-ce pas ? »
« En effet, elle va extrêmement bien. On me dit qu’elle avait mangé tout son petit-déjeuner ce matin, » répondit Félicia.
« Je vois. Si elle mange normalement, alors je suis sûre qu’elle va bien, » Yuuto poussa un soupir de soulagement.
Bien qu’elle ait consenti à devenir une petite sœur subordonnée, ce n’était encore qu’un contrat verbal. Naturellement, il ne pouvait pas la laisser errer librement, alors elle était actuellement confinée dans un coin du palais.
Bien qu’elle deviendrait bientôt sa petite sœur subordonnée, elle était encore une souveraine de la nation voisine, le Clan de la Corne. Il ne serait pas bon de la traiter d’une manière incorrecte.
En arrivant au palais, ils avaient détaché ses cordes et lui avaient accordé une chambre afin de lui permettre de se détendre en paix. Pourtant, il n’était pas impensable qu’elle puisse avoir un brusque changement d’avis et qu’elle se mettent à croire qu’elle pouvait être un obstacle pour son propre clan avant de tenter de se suicider. Yuuto avait eu peur de la situation potentielle qui pourrait en découler. Et à un niveau personnel, Yuuto ne pouvait pas supporter l’idée d’une fille d’un âge si tendre qui meurt.
« Assurez-vous de la traiter avec hospitalité, comme le dit la lettre, » ordonna-t-il. « Mais aussi, fais attention à ce qu’elle ne s’enfuie pas d’ici. »
« Hehe, » Félicia se mit à rire.
« Qu’est-ce qu’il y a, Félicia ? Ai-je dit quelque chose de drôle ? » demanda Yuuto.
« Nullement. Je pensais uniquement à quel point tu es devenu fiable comparativement à ce que tu étais il y a deux ans, » répondit-elle.
« ... Tu n’as vraiment pas besoin de me flatter ainsi, » répondit Yuuto.
« Mais tu as déjà tellement fait pour nous, » déclara Félicia. « Depuis que tu es arrivé ici, Grand Frère, nous, du Clan du Loup, n’avons pas vu de fin quant aux améliorations apportées à notre clan. Je suis reconnaissante du fond du cœur que cela soit toi qui soit devenu notre chef, » Félicia regarda Yuuto avec une expression passionnée.
Tandis qu’il regarda dans ses yeux, Yuuto ne pouvait pas sentir le moindre soupçon de mensonge. Son visage était immédiatement devenu rouge. Alors qu’Yuuto s’était habitué à des louanges dans ce genre de situation, il avait coutume de taquiner Félicia à ce moment-là, mais le fait de rencontrer un tel regard sincère était carrément injuste. Il ne pouvait pas supporter de la voir ainsi.
« Hehe ! Haha ! » elle se mit à rire. « Tu sais, la façon adorable dont tu réagis est une autre facette de ton charme, Grand Frère. »
Yuuto aurait pu être fier de voir la manière dont il avait évolué positivement au cours des deux dernières années, mais il sentait que peu importe combien de décennies il allait passer ici, il ne s’habituerait jamais à Félicia.
Notes
- 1 Système Norfolk : Il s’agit d’un type de culture basé sur la rotation culturale des champs afin d’augmenter les rendements. Le système Norfolk a été inventé dans le comté de Norfolk en Angleterre au 17e siècle.
***
Partie 5
À la seconde où Yuuto avait ouvert la porte, il avait été assailli par un bref grondement.
« Qu’est-ce que vous voulez ? » La chef du Clan de la Corne n’avait même pas tenté de cacher son mépris.
À l’intérieur des murs de ce palais, elle était la seule qui oserait prendre un tel ton avec lui. En toute honnêteté, Yuuto détestait les formalités constantes qui le submergeaient, car il n’avait pas l’impression de les mériter, et ainsi, il trouvait un peu de réconfort d’être face à ses manières brusques.
« Ne suis-je pas autorisé à venir voir ma future petite sœur subordonnée ? » demanda-t-il.
« Non ! » s’écria-t-elle.
« Eh bien, c’est dommage alors, » un sourire ironique était instinctivement apparu sur les lèvres d’Yuuto.
Après s’être renseigné sur l’état de santé de Linéa, il avait voulu la voir de ses propres yeux, mais elle ne semblait pas être de bonne humeur.
« Est-ce que quelque chose ne vous plaît pas ? Y a-t-il quelque chose dont vous auriez besoin ? » demanda-t-il.
Bien qu’étant prisonnière de guerre, Linéa était également une invitée vitale pour le Clan du Loup. Dans l’intérêt de l’établissement de meilleures relations, il était important de veiller à ce qu’elle soit traitée de la meilleure manière possible. En réalité, celle qui s’occupait de telles choses était Félicia, qui prenait silencieusement des notes en se tenant toujours à ses côtés.
La pièce dans laquelle ils avaient confiné Linéa était en fait une chambre d’amis présente dans un coin du palais. D’un coup d’œil, on pouvait dire que la pièce avait été méticuleusement nettoyée et que les meubles avaient été choisis et arrangés avec soin ! Le panier sur la table débordait d’un grand nombre de variétés de fruits.
Linéa avait lancé les uns après les autres les grains de raisin dans sa bouche, les mâchant alors qu’elle parlait. « Il ne me manque rien du tout. Mais il y a certains désagréments que je subis. »
« Hmm ! Eh bien, je veillerai à ce que ces désagréments soient immédiatement traités, » déclara Yuuto.
« Bien ! Alors cela veut dire que vous allez sortir de ma chambre. Et pourriez-vous faire partir pour moi ce garde présent tout le temps près de la porte ? » demanda Linéa.
« Il s’agit là d’une demande difficile à exaucer, » Yuuto riait tout en haussant les épaules.
Jusqu’à ce que la Cérémonie du Calice pour la faire devenir un membre à part entière du Clan du Loup ne soit pas réalisée, il ne pouvait tout simplement pas lui permettre d’errer librement. Il savait que c’était vrai ce dont elle parlait. Il était au courant que le fait d’avoir tout le temps quelqu’un à l’entrée, qui inspectait de temps en temps la situation dans la pièce, n’était pas très agréable pour elle.
« Non, attendez ! J’ai trouvé. Pourriez-vous au moins échanger les gardes pour y placer des servantes ? » demanda-t-elle, l’idée lui apparaissant soudainement.
En considérant qu’elle avait été surveillée tout ce temps par des membres du sexe opposé, il était naturel de penser qu’elle pourrait se sentir plus à l’aise avec quelqu’un du même sexe qui la surveillerait à la place.
Yuuto jeta un coup d’œil à Félicia, et elle lui fit un signe de tête.
« Cela devrait être possible, » déclara Félicia. « Naturellement, les gardes du palais devront toujours être positionnés quelque part à proximité. »
Yuuto hocha la tête en retour. « Très bien. Alors, procédons ainsi ! »
« Compris, » déclara Félicia avant de noter quelque chose sur le bloc-note qu’elle transportait quasi tout le temps avec elle.
« ... Est-ce le papier légendaire ? » Linéa marmonna distraitement en regardant le bloc-notes que Félicia tenait.
Au sein du palais, l’utilisation du papier était déjà si répandue que même des prises de notes mineures comme celles-ci étaient inscrites dessus, mais cela restait une curiosité pour les personnes d’autres nations.
« Exact, c’est un outil plutôt pratique. Je remercie énormément mon Grand Frère pour cela, » Félicia sourit, sa plume faite de roseau — encore quelque chose d’autre qu’Yuuto avait appris à faire en utilisant des documents trouvés sur internet — écrivant sur la page de nouvelles notes.
Les tablettes d’argile et les blocs de bois qui avaient été utilisés jusqu’à récemment étaient lourds et peu maniables, et avaient toujours été un cauchemar à trimballer.
« Seigneur Yuuto, vous et moi sommes si proches en âge, et pourtant vous êtes vraiment impressionnant, » déclara Linéa.
« Que se passe-t-il tout à coup ? » demanda Yuuto avec prudence. Son attitude jusqu’à ce moment-là avait été si hostile qu’il avait automatiquement soupçonné des arrière-pensées dans son changement soudain.
Linéa lui fit un sourire ironique. « Peut-être qu’à la fin, je n’étais pas après tout une souveraine convenable. Faire l’expérience d’être vaincue après une défaite dans une bataille où j’étais dans une position offensive m’a conduite à devenir une prisonnière... hehe, hehe... Avec cet accueil d’hier, cela m’a fait réaliser que vous n’étiez vraiment pas quelqu’un de normal. »
« Qu’allez-vous faire exactement après ça ? » Yuuto avait été habitué à la flatterie de ses propres subordonnés, mais d’avoir un chef ennemi qui commençait même à le complimenter était quelque chose qui le surprenait totalement. Il était naturel pour lui de soupçonner qu’elle pourrait être en train de comploter quelque chose.
« Haha ! Sans réfléchir, je viens de dire à haute voix ce qui m’était venu à l’esprit. Je suppose que je me sentais tout simplement jalouse de vous, » répondit Linéa.
Alors qu’elle regardait fixement Yuuto, les yeux de Linéa débordaient des affres de la jalousie et de l’envie.
Peut-être que sa jeunesse elle-même avait apporté sa propre marque de détresses en elle.
Même s’il n’y avait pas tellement de différence d’âge entre eux, le fait de voir quelqu’un d’autre si admiré et respecté par les autres que lui, serait une situation où il ne serait pas déraisonnable d’avoir des sentiments aussi compliqués.
Yuuto allait commencer à parler, puis il s’était de lui même tu. Il savait que la sympathie forcée envers elle lui causerait encore plus de peine. Dans une telle situation, il n’y avait pas de paroles que le vainqueur pourrait offrir au perdant.
***
Partie 6
Même si le soleil était sur le point de se coucher, une bouffée d’air brûlant enflammait ses joues.
Cette zone était la partie la plus profonde du palais, où seulement un petit nombre de membres du Clan du Loup étaient autorisés à y pénétré. Le corridor que Félicia et Yuuto empruntaient en ce moment était essentiellement un couloir droit. Dans un poste de garde situé devant eux se trouvaient dix gardes du palais qui en bloquaient l’entrée. Il y avait également deux autres gardes postés devant l’atelier au bout du hall. Le placement des gardes couvrait tous les angles possibles que même une souris ne pouvait espérer passer sans être vue.
En voyant le visage d’Yuuto, les gardes s’étaient immédiatement mis au garde-à-vous. « Oh, c’est bon de vous voir, Seigneur Patriarche ! S’il vous plaît, entrez ! »
Plusieurs gouttes de sueur coulaient sur le visage d’Yuuto. La zone autour de l’atelier était incroyablement chaude. L’air lui-même semblait être en train de brûler, ce qui faisait que la zone n’était pas bien différente d’un sauna.
« Bon travail, » avec ces mots sincères d’appréciation, Yuuto était entré dans l’atelier.
Deux hommes se tenaient au centre d’une sombre pièce de la taille d’une salle de classe, travaillant autour d’un four en argile, en forme de seau. Une lumière orange éblouissante jaillissait de la moitié supérieure du four.
« Très bien, continue maintenant. Oh, hein ? Yu-Yuuto !? » La jeune fille se tenant sur le côté et regardant fixement le four, remarqua Yuuto et ses yeux s’écarquillèrent. Ses yeux indomptables, et légèrement relevés ainsi que ses cheveux frisés et courts lui donnaient un air vif.
« Salut, cela fait longtemps depuis la dernière fois, Ingrid, » dit-il. « Tu ne devrais vraiment pas être surprise de me voir. »
« Oh, ç-ça fait longtemps. O-Oui, je suppose que c’est vrai, vu que j’ai entendu que tu reviendrais bientôt, mais bon..., » Ingrid avait répondu à la salutation d’Yuuto en se grattant la joue et en donnant une réponse indifférente.
Il avait eu l’impression qu’elle dissimulait comment elle se sentait vraiment. Comme c’était une réaction normale pour elle, Yuuto ne s’en offusqua pas et parla en haussant les épaules. « Qu’est-ce qui se passe ? Tu agis si froidement envers moi. Ne sommes-nous pas amis ? »
« Tais-toi ! Je suis ici en train de trimer sur le four depuis hier. D-Donc je n’ai pas le temps de m’inquiéter de tes goûts. Et, hé ! Personne n’a dit que vous pouviez faire une pause ! Continuez ! » Jetant un coup d’œil à la conversation se faisant à côté du four, Ingrid avait fait des remarques acerbes à ses deux travailleurs sans aucun soupçon de clémence.
Plus jeune que les hommes travaillant à côté du four, on aurait dit qu’elle avait été reléguée à des tâches subalternes, mais en réalité, cette fille de seize ans était en fait la huitième membre dans la hiérarchie du Clan du Loup, et le chef de l’atelier Mótsognir.
Comme Sigrun et Félicia, Ingrid était aussi une Einherjar, en possession de la rune d’Ívaldi, l’Enfanteuse de Lames, et le Clan du Loup en était venu à compter sur ses capacités supérieures de forgeronne.
À première vue, elle semblait de mauvaise humeur et brusque, mais...
« Arg, Agh, je t’ai dit de ne pas m’énerver, » avait-elle dit à l’un de ses subordonnés. « Fais ça, et tu te brûleras dans peu de temps. Commence déjà par te calmer, toi ! »
Yuuto savait bien qu’elle était en fait une fille très gentille. Elle était juste encline à agir de manière trompeuse contrairement à ses sentiments, ce qu’on pourrait appeler une diablesse tombée des cieux.
En repensant à quelque chose qui s’était produit deux ans plus tôt, le visage d’Yuuto avait spontanément éclaté en un sourire. Quand il n’était arrivé que récemment dans ce monde, elle l’avait réprimandé pendant plusieurs minutes, puis s’était inquiétée pour lui juste après ça.
Quand il pensait au moulin rotatif et au moulin à eau, si Ingrid n’avait pas prêté ses talents à Yuuto, il aurait été incapable de les construire seul. En raison de cela, elle était, comme l’adjointe d’Yuuto, Félicia, une assistante véritablement irremplaçable.
Tout en jetant un coup d’œil aux travailleurs qui mettaient tout ce qu’ils avaient dans ce qu’ils faisaient, Yuuto se mit à parler en se sentant un peu coupable. « Je suis désolé. Si tu es occupée, alors peut-être que je devrais revenir une autre fois ? »
« N-Ne t’en fais pas, » répondit-elle. « M-Même si je ne suis pas vraiment libre en ce moment, cela ira puisque tu es revenu après une si longue absence. Alors, prends tout le temps qu’il te faudra, » Ingrid avait fait un geste théâtral de son menton, indiquant une chaise à proximité.
Yuuto fit un pas en avant, puis il réalisa que cela ne serait pas bien de rester là, mais il remarqua le regard renfrogné sur le visage de Félicia.
Essayant de contrôler sa voix, Félicia offrit à Ingrid des conseils en toute franchise. « Lady Ingrid ! À propos de ce ton que vous utilisez toujours avec Grand Frère, il... »
Ingrid laissa échapper un gémissement et son visage semblait indiquer qu’elle était perturbée. « Ahh, je vois. Eh bien, dans le passé, ce gars... non, attendez, ce n’est pas ça, euh, P-P-P-Père ? Eh bien, il sait que c’est uniquement une habitude que je ne peux pas me défaire si facilement... J-Je-Je-Je-Je suis désolée, P-P-P-P, arg ! »
« Hahaha !! » Yuuto éclata de rire par inadvertance en raison de l’embarras d’Ingrid.
Jusqu’à ce point, elle avait agi avec une telle vigueur, et maintenant elle se mordait la langue tout en faisant la moue.
« Ahh ! N-Ne rie pas ! Non, je veux dire ! Ne vous moquez pas de moi, s’il vous plaît ! » supplia Ingrid, avec des yeux légèrement larmoyants.
Elle avait toujours été une personne plutôt timide, mais son embarras était maintenant pire que jamais auparavant. Son visage était plus rouge que l’intérieur du four.
Yuuto avait fait un geste de la main face à l’embarras d’Ingrid. « Je t’ai dit d’agir comme tu le fais normalement. Quand je t’entends me parler d’une manière si formelle, cela me semble si froid, Ingrid. »
« Je-je suppose que tu as raison. Faire les choses comme on l’a toujours faite, c’est mieux ! » L’expression d’Ingrid changea instantanément et elle hocha la tête de satisfaction, comme si la suggestion avait été la sienne.
« H-Hum ! » Félicia s’éclaircit la gorge. Elle l’avait apparemment fait exprès. Apparemment, elle n’était pas heureuse. « Grand Frère, Lady Ingrid. Je comprends que vous deux êtes proches, mais il est frustrant que vous n’arriviez pas à séparer les comportements publics et privés. »
« J-Je ne suis pas proche de lui ! » déclara Ingrid.
Son déni soudain avait un peu blessé les sentiments d’Yuuto. Mais il avait compris que c’était un réflexe, un déni qu’elle ne pouvait pas s’empêcher de faire en raison de sa timidité.
Yuuto avait alors mis de côté ces paroles en disant. « Eh bien, tu vois, ce n’est pas ce que je veux, mais... »
« C’est un domaine où je ne peux pas te permettre de faire ce que tu veux, Grand Frère, » déclara Félicia tout en s’excusant. « Lady Ingrid se tient à un poste en haut de la hiérarchie, et il y a beaucoup de personnes autour de nous, donc c’est ainsi. »
Elle avait regardé par-dessus son épaule et elle avait rencontré les yeux des autres ouvriers. Il n’était pas possible de garantir que les ouvriers ne laisseraient pas se répandre la rumeur comme quoi Ingrid avait agi de façon si décontractée face à Yuuto. Être amical dans la parole et la manière était acceptable, mais la discipline et l’ordre étaient importants pour une organisation comme la leur. Ainsi, quelqu’un qui devrait être un exemple pour son groupe et qui enfreignait cet ordre représentait un grave problème surtout vis-à-vis de ceux qui suivraient soudainement son exemple. Rapidement, cela aurait très certainement un impact sur la capacité de l’organisation à se réguler.
« Tante Félicia a raison, » déclara Ingrid à contrecœur. « Je vais essayer de..., non, je ferai attention à partir de maintenant. S’il vous plaît, oubliez ce que j’ai eu l’outrecuidance de dire, Père. »
L’expression d’Ingrid s’était raidie et elle resserra sa posture, se tournant vers Yuuto et inclinant la tête.
Le fait de la voir comme ça avait fait prendre conscience à Yuuto de la distance qui les séparait. L’admonition de Félicia lui rappelait un autre conseil du Prince, quant à l’importance d’agir de manière digne pour un chef. Il comprenait que c’était la façon dont les choses devaient être, mais quand même, lui et Ingrid avaient un lien forgé par des heures d’essais et d’erreurs, et avait trempé par la sueur. Yuuto ne pouvait rien faire d’autre que se mordre la lèvre face à la solitude qui se frayait un chemin dans son cœur, le blessant cruellement.
« Oh ! Mais, quand vous êtes justes tous les deux, alors vous pouvez vous appeler par votre prénom et vous comporter comme bon vous semble, » déclara Félicia, choisissant soudainement ce moment pour le faire.
Instinctivement, Yuuto regarda vers Félicia et elle lui avait fait un clin d’œil malicieux. Félicia se retrouvait très souvent à agir de manière douce quand il s’agissait d’Yuuto.
« S’il vous plaît, assurez-vous juste de garder une distinction claire entre les maniérismes publics et privés, d’accord ? » rajouta-t-elle. Elle n’avait nullement oublié de faire remuer son index tout en affichant une expression sérieuse pour faire bonne mesure.
Le visage d’Yuuto s’illumina de joie alors qu’un sourire traversait son visage. « Tu as raison ! J’ai compris ! Je ferai désormais attention ! Ainsi, Ingrid, quand nous sommes seulement nous deux, nous ferons comme nous l’avons toujours fait ! »
« S-S-S-S-S-Seulement tous les deux !? Q-Q-Q-Q-Q-Q-Que dis-tu tout d’un coup !? » bégaya Ingrid, avec une telle consternation qu’il était embarrassant de la regarder.
Sa façon de parler était également revenue à son ancien état désinvolte.
« Hé, maintenant, ne le fais pas apparaître comme étant quelque chose de bizarre, » déclara Yuuto. « Ce que je voulais juste dire par là, c’était que quand nous nous réunirons la prochaine fois, construisons quelque chose à nouveau comme avant. Mon emploi du temps est très chargé actuellement, mais je devrais bientôt pouvoir avoir du temps libre. »
« Ah, Je-je suppose que c’est comme ça que ça se passe. Eh bien, d’accord. Oui. Hmm, ah ! » Même si Ingrid avait l’air abattue pendant un moment, ce regard fut rapidement remplacé par un large sourire alors qu’elle hocha vigoureusement la tête.
Ingrid suivit cela avec un autre, un lourd soupir. « C’est vraiment difficile pour moi de parler avec les personnes. Je suis beaucoup plus à l’aise quand il s’agit de travailler avec mes mains et de faire des choses. »
« Après tout, tu as le cœur d’un artisan sérieux, » acquiesça Yuuto.
Il y avait ceux qui étaient mauvais quand il s’agissait d’interagir avec les autres et qui dépensaient toute leur énergie à faire des choses. Par exemple, Yuuto avait entendu dire que beaucoup de romanciers, dont la profession était de construire des œuvres avec de mots, se trouvaient souvent incapables de converser face à face avec les autres.
D’un autre côté, il se sentait un peu désolé pour une fille de l’âge d’Ingrid. Il pensait que, peut-être, plutôt que de simplement toujours la rencontrer seule, il serait peut-être bon de la persuader d’interagir avec les autres.
Alors qu’il réfléchissait, Félicia pressa sa main sur ses lèvres, et un rire s’échappa alors qu’elle affichait un sourire amusé. « Grand Frère, tu es aussi vilain que jamais... »
« Agh ! Bon sang ! Pourquoi êtes-vous venus tous les deux ici ? Je suis occupée ! Arrêtez d’interrompre mon travail ! » cria Ingrid, énervée. Son visage était redevenu rouge comme une tomate.
« Quoi !? Eh bien ! Plus tôt, ne nous as-tu pas dit de prendre notre temps ? » protesta Yuuto.
« Tais-toi ! Je n’ai aucun souvenir d’avoir dit quelque chose comme ça ! Si vous n’avez rien à faire ici, alors partez ! » Ingrid avait commencé à pousser hâtivement le dos d’Yuuto, puis avait commencé à pousser la paire hors de l’atelier.
Oubliant les formalités, elle avait changé sa façon de parler pour retourner à celle désinvolte afin de leur aboyer dessus des ordres. Pourtant, Félicia, qui aurait dû être dérangée par ça, frappait le mur, avec son corps rongé par un fou rire.
« Comme toujours, merci pour votre travail acharné aujourd’hui, » déclara Félicia.
« Ouais, merci aussi à vous, Félicia, » répondit Ingrid
Après ça, ils étaient tous les deux retournés dans la chambre d’Yuuto.
« Eh bien, je serai de retour demain matin pour te réveiller une fois de plus. Bonne nuit, Grand Frère, » Puis, avec une élégante révérence, Félicia quitta la pièce.
Dès qu’Yuuto avait fermé la grande porte en bois, il avait reculé de plusieurs pas avant de s’effondrer sur son lit.
« Wôw, je suis épuisé, » murmura-t-il.
À la seconde où Yuuto avait atterri dans son lit, une vague de fatigue avait saisi son corps et il avait libéré toute l’air présente dans ses poumons en un long soupir.
La pièce était faiblement éclairée par la lueur orange d’une lampe solitaire. Ce monde manquait encore de bougies, mais ils avaient des lampes en terre cuite avec des mèches faites de brins de bois et de coton. Avec un tel faible éclairage, il pouvait à peine distinguer ce qui se trouvait dans sa chambre.
« Peut-être que ce sont ceux du Japon moderne qui sont étranges de vouloir travailler à travers les profondeurs de la nuit, » déclara-t-il pour lui-même.
Après avoir dit ça, Yuuto prit la pile solaire, qui avait été chargée sur le rebord de la fenêtre, et l’attacha à son smartphone.
Sur Yggdrasil, se lever avant le soleil et souper suivi du fait d’aller se coucher peu de temps après le coucher du soleil était la norme. Il était probablement prudent de dire que c’était ainsi que la plupart des humains avaient vécu jusqu’à l’ère moderne. En regardant dans une perspective historique, jusqu’à l’avènement de l’éclairage au 19e siècle, il était probable que tout le monde se soit conduit ainsi.
Même si les affaires officielles d’Yuuto étaient terminées pour la journée, il avait encore du travail à faire. Ou plutôt, c’était seulement quand personne d’autre n’était autour de lui qu’il pouvait se livrer aux avantages uniques d’un homme moderne.
« Je suppose que cela devrait suffire maintenant, » Yuuto avait allumé son smartphone, et le logo du fabricant du téléphone était apparu à l’écran après un certain temps.
Faire des recherches en ligne, acheter de temps à autre des livres électroniques, rechercher des connaissances qui pourraient être utiles dans ce monde..., tout cela faisait partie de la routine nocturne d’Yuuto.
Pour être juste, ce n’était pas comme si Yuuto n’avait pas de réserves à propos de l’introduction des connaissances du 21e siècle dans ce monde. Il était constamment tourmenté par des soucis comme : « Et si cette connaissance ne faisait que créer un plus grand désordre » ou « Était-il acceptable pour lui d’introduire de telles connaissances ? »
Mais si Yuuto n’avait pas mis ces connaissances à profit, l’existence même du Clan du Loup aurait pu être complètement gommée de la surface de Yggdrasil. En plus de cela, les images d’enfants qui pleuraient de faim et qui avaient accueilli Yuuto à son arrivée (quand il était encore vu comme l’envoyé des cieux), ainsi que les images des cadavres de ceux qui avaient veillé sur lui, resteraient pour toujours gravées dans ses souvenirs.
Il savait ce qu’il fallait faire, mais il avait du mal à se convaincre. Avoir la connaissance et la capacité de changer les choses, mais ne rien faire semblait pour lui infiniment plus coupable. Ainsi, Yuuto avait continué à aller contre ses instincts.
Il repensa à la façon froide dont il avait traité Mitsuki à l’école primaire, après n’avoir pas pu résister aux taquineries de ses amis. C’était une partie sombre et honteuse de son passé. Il ne voulait pas faire quelque chose qu’il passerait le restant de ses jours à regretter comme ça.
Et plus que toute autre chose, il ne voulait pas tomber dans le piège de devenir comme cet homme.
« Quoi qu’il en soit, je suppose que je devrais revenir à ce que je lisais avant le début de la bataille, » déclara-t-il à haute voix.
Au moment où son écran d’accueil était apparu, Yuuto avait tapé sur l’icône de « Bibliothèque », son lecteur de livre électronique, et à partir des couvertures alignées devant lui, il avait sélectionné un livre sur le thème de l’histoire de l’économie.
Sur Yggdrasil, le troc était le principal moyen de faire des affaires. Le commerce ou le troc se passait bien si les deux parties obtenaient quelque chose de valeur égale, mais si la transaction favorisait l’un par rapport à l’autre, il devenait difficile de continuer à faire des affaires. Et trouver quelqu’un qui voulait échanger pour ce que vous aviez était assez souvent très difficile. Il ne pouvait pas s’empêcher de pensée à cela comme très inefficace.
L’or et l’argent pourraient être utilisés comme substituts au commerce, mais ils arrivaient également avec leur propre acte d’équilibrage pénible. Ils ne pouvaient pas non plus empêcher les gens d’utiliser des astuces pour influencer frauduleusement la valeur.
À ce moment-là, Yuuto avait une idée : utiliser le papier-monnaie comme méthode commune d’échange financier. Après tout, ils avaient déjà fait du papier, et si cela améliorait la fluidité de leurs transactions commerciales, cela pourrait forcer le réveil de leur commerce global, renforçant ainsi les prouesses nationales globales du Clan du Loup.
Cependant, les choses n’étaient jamais aussi simples.
« Hmm, je ne pense pas vraiment que je serai capable de mettre ça en pratique, » murmura-t-il.
Alors qu’il continuait à lire, Yuuto réalisa sa propre superficialité. Faire circuler du papier-monnaie avec un montant écrit n’était pas aussi simple que cela semblait de prime abord. Tout d’abord, ils auraient besoin de la technologie d’impression pour reproduire la même chose encore et encore. La fonction du produit dépendra fortement de la possibilité ou non de préparer des métaux précieux de même valeur et de savoir s’ils peuvent ou non gagner la confiance des gouvernements.
Selon ce livre, la première apparition de papier-monnaie dans l’histoire était dans la Chine du XIe siècle, au cours de la Dynastie des Song. Le livre avait également dit que s’ils inondaient le marché avec trop de monnaies, la valeur baisserait rapidement, provoquant l’inflation, et la valeur des produits s’effondrerait aussi, signalant la fin d’une économie.
« Si la société en question n’a pas encore mûri suffisamment, cela pouvait causer plus de chaos, » murmura-t-il. Puis il poussa un soupir. « J’avais espéré que ce serait une bonne idée. »
Yuuto souleva son visage de l’écran, regardant le plafond, à perte.
C’est ça ! Une idée lui vint à l’esprit, mais il s’était rendu compte que cela aussi pourrait ne pas être réalisable une fois qu’il avait effectivement fait des recherches.
« Pourvu que cela ne nécessite pas trop de capital de démarrage, car cela pourrait peut être une bonne idée. Eh bien ! Mais..., nous pourrions probablement l’utiliser pour frapper des pièces de monnaie ? ... Oh, je vais devoir finir ça plus tard. »
La jauge de la batterie indiquée dans le coin supérieur gauche était devenue rouge et Yuuto avait appuyé sur un bouton pour retourner à l’écran d’accueil.
L’affichage à cristaux liquides utilisait le plus de courant de la batterie, surtout qu’il s’agissait d’un écran de cinq pouces assez grand présent sur le téléphone d’Yuuto. Avec la batterie fournie par la batterie solaire, il pouvait compter sur un maximum de 30-40 minutes de lecture continue.
« Eh bien ! Avant de me coucher, je suppose que je devrais au moins l’appeler, afin que je puisse entendre sa voix, » déclara-t-il.
Il avait alors activé l’accès aux réseaux (en gardant en tout temps l’accès activé, la batterie est consommée beaucoup plus rapidement, donc il le garde toujours éteint quand il ne fait que lire), et il avait appelé son amie d’enfance.
La chambre d’Yuuto était dans la partie nord-est du palais. La chambre du patriarche souverain précédent avait été au centre du palais, mais Yuuto avait protesté et avait fait déplacer sa chambre. Puisque cette pièce était la plus proche de la tour sacrée, son téléphone pouvait se connecter tant que la lune était au moins à moitié pleine.
« Allo ! » Une voix dynamique résonna du haut-parleur après que le téléphone ait sonné une seule fois.
Les lèvres d’Yuuto s’étaient fendues en un sourire à la réalisation qu’elle avait anticipé son appel. « Allo. Bonsoir Mitsuki. C’est moi. »
« Oui, bonsoir, Yuu-kun. Tu dois être fatigué après tout le travail que tu as dû faire, » déclara Mitsuki.
« Tout à fait, je suis assez fatigué, » répondit Yuuto.
Il n’avait presque plus de batterie. Il ne pourrait donc pas avoir beaucoup de conversation avec elle. Ce serait un rendez-vous galant secret qui ne durera que quelques minutes.
En considérant toutes les choses importantes pour lesquelles il avait utilisé son téléphone, peut-être qu’il devrait apprendre à être plus efficace lorsqu’il inspectait les livres électroniques pour y trouver plus d’informations. Mais c’était la seule période de la journée où Yuuto commençait vraiment à sentir son cœur se guérir.
« Bonne nuit, Mitsuki, » déclara-t-il.
Et ainsi, Yuuto avait réussi à passer un autre jour sain et sauf en tant que souverain.
***
Acte 4
Partie 1
« Maintenant, nous allons commencer la Cérémonie du Calice, » entonna l’homme. « Je suis Alexis, et en tant que goði, je superviserai cette procédure. Cette journée est particulièrement propice selon les augures... »
Au centre de la salle de cérémonies, un individu d’âge moyen en bonne forme avec une barbe commençait à faire son discours. Le corps de l’homme était enveloppé de vêtements lisses, brillants et haut de gamme. Ils avaient été fabriqués à partir d’un tissu incommensurablement rare connu sous le nom de « Sieke » qui ne pouvait être produit que dans des terres à l’extrême Est. À en juger par ce qu’il pouvait voir, Yuuto était certain qu’il s’agissait de la soie.
On pouvait s’attendre à une pareille chose venant d’un représentant envoyé comme intermédiaire de l’Empereur Divin. Il était naturel qu’il porte quelque chose de si cher, surtout en de telles circonstances.
« ... et cela nous a amenés ici, » continua l’homme. « Et maintenant, en ce jour des plus merveilleux, je présente les deux parties destinées à être réunies par les liens immuables de frère et sœur. En tant que frère aîné, le huitième souverain patriarche du Clan du Loup, le Seigneur Yuuto. Et en tant que jeune sœur, la souveraine matriarche du Clan de la Corne, Lady Linéa. Et grâce à l’autorité de ce Calice, le Clan du Loup et le Clan de la Corne seront liés comme des clans apparentés à partir de maintenant. »
Enchaînant encore et encore sur des choses totalement inutiles, Alexis avait finalement atteint la raison pour laquelle tout le monde était réuni ici. Yuuto ne pouvait s’empêcher de se souvenir des discours de son directeur pendant les assemblées du matin à son école. Alors même que c’était une tradition et une partie du rituel social, il ne pouvait s’éviter de devoir combattre l’envie de bâiller.
À ce propos, Yggdrasil n’avait aucun concept de noms de famille. Si l’on avait besoin d’une telle chose, ils utilisaient habituellement leur clan désigné en tant que tel. C’était ce que signifiait être un clan : ceux qui portaient le même Lignage, une famille.
« Vous serez ainsi unis... Une famille. Alors que je sais que c’est inutile, mais je vais vérifier une fois de plus le vin sacré. »
Le goði Alexis avait soulevé le pichet d’argent et l’avait fait pencher afin de faire couler le liquide par le bec verseur présent. Il sépara le flux d’alcool avec sa main pour en mettre dans les deux Calices posés sur l’autel. Une vingtaine de personnes se tenait de chaque côté du goði. Ils étaient presque tous membres du Clan du Loup, mais environ cinq membres du Clan de la Corne demeuraient également dans la pièce. Comme nous nous trouvions au cours d’une cérémonie sacrée, aucun d’eux ne créait le moindre bruit. Seul le son du liquide avait fait un étrange écho dans la pièce.
Après avoir rempli les deux Calices, Alexis en avait pris un et en avait pris une gorgée. Il le goûtait afin de tester la présence d’un poison. C’était nécessaire, car après tout, ces calices liaient les intérêts de deux pays. Alors que c’était un événement rare, le rang du goði nécessitait qu’il risque sa vie.
« En effet, c’est une fine liqueur, » dit-il. « Maintenant, Seigneur Yuuto, vous serez le frère aîné. »
Alexis reposa sur l’autel le Calice qu’il avait testé, puis se tourna de nouveau vers Yuuto et l’appela. La tension, qui avait été jusqu’à présent inconfortable, avait encore largement augmenté en intensité.
Yuuto déglutit, trouvant difficile de faire face à l’atmosphère solennelle de la cérémonie. Cela rendait sa respiration difficile. Il pouvait sentir les yeux de toutes les personnes présentes dans le hall cérémonial pointés sur lui.
« Oui, » Yuuto bomba sa poitrine puis il répondit avec une voix rauque et feutrée. Il avait essayé de maintenir autant que possible un air empli de dignité, afin de ne pas faire honte au Clan du Loup.
« En partageant le Calice avec elle, vous avez l’intention de faire d’elle votre petite sœur, » entonna Alexis. « Si c’est vraiment votre volonté de veiller les uns sur les autres dans les moments de santé comme dans les moments de maladie, dans les moments de joie comme dans les moments de tristesse, dans les moments de richesse comme dans les moments de pauvreté, alors, s’il vous plaît, buvez promptement de ce Calice. Vous pouvez procéder ! »
Yuuto fronça les sourcils face aux paroles de l’homme. Bien que ce soit normal, le discours accepté pour le Calice afin de cimenter les liens entre frères et sœurs semblait pour Yuuto aux vœux du mariage. Il n’avait encore que seize ans, et avait déjà une certaine fille dans son cœur.
Bien sûr, il comprenait qu’ils faisaient seulement le vœu d’être frères et sœurs par l’intermédiaire du Calice, mais Yuuto ne pouvait toujours pas faire disparaître l’aversion psychologique qu’il ressentait.
« Eh bien, rien ne vaut le moment présent, » murmura-t-il.
Yuuto était celui qui avait dit qu’il voulait qu’un tel état de fait se produise, et ses paroles, une fois prononcées de vive voix, ne pouvaient plus être reprises. Après s’être armé de courage, il tendit la main vers le Calice de cuivre elfique qui se situait juste en face de lui (différent de celui du goði). Le Calice lierait deux clans par l’intermédiaire de leurs souverains. Si le Calice que le Clan du Loup avait préparé était trop minable, cela refléterait négativement le clan. Et pour le Clan de la Corne, qui avait tout perdu, cela refléterait le fait que le Clan du Loup pensait encore moins à eux. Le cuivre elfique avait le même poids que l’or et avait sa propre valeur intrinsèque. Ainsi, le fait que le Clan du Loup ait choisi un tel métal était un signe de très grand respect envers le Clan de la Corne.
« Voici, » il avala une partie du contenu du Calice en une seule fois. Une sensation d’une intense brûlure emplissait sa bouche et l’avaler lui causait des brûlures à l’estomac et à sa gorge.
Honnêtement, c’était désagréable au-delà de l’imagination. Sa tête avait même commencé à être brumeuse.
Pourquoi les adultes boivent-ils ces trucs ? se demandait Yuuto, mystifié. Il avait bu ce qu’il estimait être le montant requis, puis avait présenté à Linéa le Calice.
« Et maintenant, Lady Linéa, nous vous posons la même question..., » déclara le goði.
« ... D’accord, » murmura-t-elle.
« Au moment où vous aurez bu de ce Calice, vous deviendrez la subordonnée du Seigneur Yuuto. À partir de ce moment, vous devez servir loyalement votre frère aîné et son clan sans faillir. Si vous vous êtes vraiment préparée pour ce vœu, démontrez votre résolution en buvant le contenu restant de ce Calice et en laissant cette résolution prospérer pour toujours en vous, » déclara le goði.
Linéa plissa les yeux face au Calice.
Et elle avait simplement continué à le regarder, encore et encore.
Alors que la peur qu’elle pourrait effectivement reculer face au fait de devenir sa petite sœur subalterne avait saisi Yuuto, Linéa avait violemment empoigné le Calice et en avait avalé son contenu en une gorgée.
Il n’y avait pas de cérémonial ni de dignité dans ses mouvements. Il s’agissait d’un petit acte de rébellion de sa part.
« Ouff ! » Linéa essuya le Calice maintenant vide avec un mouchoir se trouvant avant ça dans sa poche, puis, à l’aide de ses deux mains, elle le leva à mi-chemin avant de le retourner et de déclarer. « S’il vous plaît, prenez soin de moi pour toute l’éternité... Grand Frère. »
Sa voix était si faible et si pleine d’amertume qu’il était difficile de savoir qu’elle lui demandait de faire quelque chose pour elle.
Plusieurs membres du Clan de la Corne étaient présents. Bien qu’ils n’aient peut-être pas été d’accord avec l’idée du Calice, il devait y avoir quelque chose qui les avait fait accepter ça.
Dans tous les cas... la Cérémonie du Calice s’était terminée sans incident.
Le différend de longue date entre le Clan du Loup et le Clan de la Corne avait enfin pris fin. Pour une relation qui avait été comme l’huile et l’eau pendant si longtemps, ils pouvaient maintenant recommencer comme des clans apparentés. Grâce au Calice, ils pourraient au moins pour l’instant célébrer des jours paisibles sans guerre. La mission que devait accomplir Yuuto en tant que leur souverain était finalement accompli. Il pouvait dorénavant se concentrer sur son retour à la maison sans se sentir coupable.
Yuuto avait réfléchi tranquillement à la situation, ressentant un sentiment de soulagement.
***
Partie 2
« Princesse ! Di... Dieu merci, tu es en sécurité ! » Un homme d’âge moyen avait éclaté en sanglots sans aucun concept de honte ou de montre qu’il se souciait des regards posés sur lui.
« Commandant en second, je vous l’ai déjà dit, je ne suis plus votre princesse, » répliqua Linéa, alors que quant à elle, elle semblait très consciente des yeux posés sur elle. « Franchement, nous sommes en public. C’est bien trop embarrassant ! »
La cérémonie était finie, et après un demi-mois d’attente, ce serait la première fois que le Clan de la Corne voyait sa souveraine.
Bien que le restant des membres du clan présents n’aient pas fait toute une scène comme l’avait fait l’homme d’âge moyen, les autres délégués avaient salué à leur tour leur souveraine matriarche avec joie, et avec leurs yeux emplis de larmes.
« Ces démons de Loups ne vous ont-ils pas fait du mal ? »
« Ce sont vraiment des bêtes. »
« Il est tout à fait honteux de penser que nous sommes maintenant liés à leur minable clan. »
En affichant un sourire amer, Yuuto les interpella joyeusement et entra dans leur conversation.
Dès l’instant où il avait fait cela, tous les délégués de la Corne s’étaient déplacés pour se placer entre lui et Linéa, comme pour la protéger, et ils lui avaient tous lancé des regards noirs et emplis d’intentions meurtrières. Leurs sentiments d’hostilité et leurs trépidations avaient été abondamment clarifiés. C’était tout à fait naturel, considérant qu’il avait gardé leur souveraine enfermée dans le palais.
« Hé ! Voyons ! Ne faites pas de tels visages effrayants, » déclara Yuuto. « Je vais vous le répéter. Savez-vous que nous ne sommes plus des ennemis ? »
Il baissa les épaules, comme pour les apaiser. Une sueur froide coulait en ce moment dans son dos. Tous, même les plus hauts membres de leur hiérarchie, affichaient des expressions durcies, comme des membres de yakuza qui seraient menacés. Si Félicia n’était pas derrière lui en tant que garde, Yuuto se serait peut-être immédiatement retourné avant de s’enfuir.
« Vous tous, poussez-vous de là ! » ordonna Linéa. « Il est après tout mon grand frère. »
« ... Oui, m’dame ! »
Sur l’insistance de Linéa, les émissaires du Clan de la Corne reculèrent à contrecœur, ouvrant le passage pour Yuuto. Mais ils n’avaient pas renoncé à rester sur leurs gardes. C’était comme pour montrer qu’ils feraient n’importe quoi afin de protéger leur souveraine.
Il était évident que Linéa était aimée par ses enfants subordonnés. L’autre jour, quand il était allé lui rendre visite dans sa chambre, Yuuto avait pensé qu’elle semblait jalouse, peut-être parce qu’elle était impopulaire parmi ses propres gens, mais c’était clairement le contraire.
« Grand Frère ! S’il vous plaît, pardonnez à mes enfants subordonnés leurs paroles et leur manque de manières, » Linéa se retourna pour faire face à Yuuto et lui fit un petit salut.
Ils venaient juste de partager le Calice, et pourtant elle s’adressait à lui plus formellement, en utilisant une manière plus polie de parler. Peut-être parce que deux souverains étaient impliqués, les individus autour d’eux comprenaient le poids du Calice.
Yuuto agita la main, comme pour lui dire de ne pas s’inquiéter à ce sujet. « Il est naturel qu’ils protègent leur souveraine. Ce sont de bons enfants subordonnés. »
« Tout à fait. Ils sont vraiment de bons subordonnés, bien trop bon pour moi, » tout le visage de Linéa fut éclipsé par une ombre alors qu’elle disait ça.
D’une certaine manière, ces mots avaient fait mouche dans le cœur d’Yuuto. Il avait déjà souvent ressenti les mêmes sentiments et les mêmes inquiétudes qu’elle ressentait maintenant. Il était probable qu’elle, tout comme lui, ne se sentait pas digne d’une loyauté aussi féroce de la part de ses subordonnés.
Linéa avait subi une défaite cuisante, et maintenant elle et son peuple avaient été forcés de devenir inféodés au Clan du Loup qu’ils avaient considéré comme inférieur depuis longtemps.
« Grand Frère ! Pourrions-nous aller prendre l’air frais ensemble ? » demanda-t-elle.
« Hm ? Bien sûr, cela me va, » Yuuto accepta volontiers l’invitation de Linéa, lui faisant un signe positif de la tête.
Elle avait été enfermée dans une pièce depuis son arrivée à Iárnviðr. Il avait alors pensé qu’elle voulait juste voir l’extérieur, et pouvoir respirer l’air frais, mais...
« Oh ! Vous tous, attendez ici, » Linéa ordonna aux émissaires du Clan de la Corne d’un mouvement du poignet.
Ils venaient de récupérer leur souveraine, et ils se trouvaient dans une terre étrangère. Les émissaires de la Corne échangèrent alors des regards montrant clairement leur malaise.
« Princesse !? C-C’est dangereux d’y aller seule, » protesta son commandant en second.
« C’est bon, » avait-elle assuré. « Si quelqu’un avait voulu me blesser, ils l’auraient fait longtemps avant aujourd’hui. »
« M-Mais ! » s’exclama-t-il
« Nous, frères et sœurs, devons avoir une conversation en privé. Ne vous inquiétez pas. Nous serons bientôt de retour, » déclara Linéa.
Yuuto avait suivi Linéa, alors qu’il était perplexe quant à la situation. Jetant un coup d’œil par-dessus l’épaule, les yeux d’Yuuto rencontrèrent plusieurs visages grinçant des dents et le regardant fixement.
« Hé, est-ce vraiment bon ? » demanda-t-il en hésitant. « Vous avez finalement pu revoir vos subordonnés. N’avez-vous pas beaucoup de choses à leur dire ? »
« Nous aurons beaucoup de temps pour cela sur le chemin du retour, » répondit Linéa.
« En effet, si vous voulez parler avec Grand Frère, ce serait le bon moment de le faire, » ajouta Félicia.
« Hé, Félicia ! Pourquoi es-tu également venue avec nous !? » s’écria Yuuto.
« Car ma tâche est de te protéger, Grand Frère, » répondit Félicia.
« Euh, tu sais bien que ce n’est pas ce que je voulais dire, n’est-ce pas !? » demanda Yuuto.
Alors que son dévouement quant à ses devoirs de garde était normalement une chose pour laquelle Yuuto était reconnaissant, le dévouement sans borne de Félicia était parfois un désagrément. Linéa avait laissé ses subalternes derrière elle, alors le fait que le bras droit d’Yuuto le suivait l’avait fait paraître faible et lâche.
« Comme elle est aussi votre petite sœur, je suppose qu’il n’y a pas moyen de contourner ça, » déclara Linéa. « Après tout, il s’agit d’une conversation seulement entre frères et sœurs. »
« Êtes-vous d’accord avec cela ? » lui demanda-t-il.
« Bien sûr, cela ne me dérange pas, » en hochant la tête rapidement, Linéa franchit le seuil de la porte extérieur de la tour.
Du sommet de la tour, là où la cérémonie avait eu lieu, on pourrait facilement voir tout ce qui se trouvait à l’horizon. Un soupir d’étonnement s’échappa des lèvres de Linéa face à la magnifique vue se présentant à son regard.
La ville ci-dessous, protégée par une grande muraille extérieure, était pleine de maisons en bois. Le bazar qui se répandait le long de la route principale s’étendait du palais jusqu’à la porte. Tout cela était clairement visible, même de cette hauteur, et c’était débordant d’activités.
Linéa avait été subjuguée devant le paysage pendant un certain temps avant de se retourner pour faire face à Yuuto. Un regard résigné et empli de tristesse était apparu sur son visage. « Désolée de vous avoir fait attendre. »
« Ce n’est rien. Alors, à propos de quoi vouliez-vous me parler ? » demanda Yuuto.
Il pouvait deviner à partir de l’expression de Linéa que ce n’était pas une question triviale qu’elle voulait aborder. C’était tellement clair qu’il semblerait qu’il aurait besoin de se préparer à tout ce qu’elle avait à lui dire. Il avait alors dégluti avec force.
Presque en phase avec cela, Linéa tomba rapidement dans un salut... non, il aurait été plus correct de dire qu’elle s’était arquée devant lui. Ceci avait été fait avec une telle ferveur que son front avait pratiquement cogné ses genoux. « Je vous le demande humblement : s’il vous plaît..., s’il vous plaît, traitez mon peuple, les citoyens du Clan de la Corne, comme vous le feriez pour les citoyens du Clan du Loup. »
Yuuto avait rapidement déterminé que Linéa parlait des personnes du Clan de la Corne vivant sur des terres qui avaient été saisies par le Clan du Loup.
Prendre les habitants des régions conquises comme prisonniers de guerre ou les forcer à l’esclavage était quelque chose qui semblait être accepté partout dans ce monde. Les habitants du pays qui avait perdu voyaient souvent les terres où ils étaient nés et avaient grandi leur être confisquées. De plus, ils perdaient leur dignité et leurs droits en tant qu’individu, devenant ainsi de simple esclave corvéable jusqu’à la mort. Ils étaient quasi toujours exploités pour des travaux manuels harassants. Il était sûr que Linéa était affligée en raison de ce résultat si prévisible en ce monde.
« Je sais que ce que je vous demande est impossible, » plaida-t-elle. « Je sais que cela n’a pas la moindre valeur pour le Clan du Loup. Si mon corps vous plaît, vous pouvez faire ce que vous voulez avec ! S’il vous plaît, je vous en supplie... ! »
Elle était encore une jeune fille. Il était donc naturel qu’elle craigne ce mâle dont elle ne savait rien qui pourrait si facilement abuser d’elle. Le corps qu’elle avait offert s’était alors mis à trembler de façon incontrôlable. Et pourtant, afin de protéger son peuple, elle essayait de s’offrir à leur place en guise de sacrifice.
« Hmm, eh bien..., » commença-t-il.
Ayant les valeurs de quelqu’un du 21e siècle, Yuuto avait trouvé incroyablement difficile d’accepter l’idée de l’esclavage. Dès le début, il avait eu l’intention de leur donner un traitement égal, alors le fait qu’elle ait fait une telle démonstration en s’offrant à lui l’avait laissé un peu décontenancé. Cela étant dit, quand Yuuto avait fait pression sur Linéa pour qu’elle devienne sa petite sœur subordonnée, il avait menacé de faire du mal à son peuple. Il était donc logique qu’elle éprouve une telle anxiété.
Yuuto avait alors ri avec ironie et il commença à caresser la tête de Linéa.
« Grand... Frère ? » Une note de perplexité résonna dans sa voix, ne comprenant probablement pas pourquoi Yuuto agissait ainsi.
À ce moment-là, Yuuto avait finalement senti qu’il commençait à comprendre pourquoi les personnes autour de Linéa l’idolâtraient. Il n’y avait que peu de monarques qui étaient préoccupés de leur peuple comme elle l’avait fait.
Bien que son clan soit celui qui avait attaqué le Clan du Loup, elle pensait probablement que le Clan du Loup pourrait être surpassé par la vague de ferveur militariste et menacer davantage le Clan de la Corne, alors il s’agissait de sa seule chance de les protéger.
« Je vais écouter tout ce que vous avez à me demander, mon adorable petite sœur, » dit-il affectueusement.
« Merci beaucoup... argh ! » s’écria Linéa.
Tandis que Linéa levait la tête afin de regarder le visage Yuuto avec un regard débordant de joie, il lui pressa la tête contre sa poitrine tout en la prenant dans ses bras. En ce moment, la regarder dans les yeux serait bien trop embarrassant pour Yuuto, alors il s’était senti obligé d’agir ainsi.
***
Partie 3
Les statues qui devaient représenter des dieux étaient alignées sur un autel en forme de pyramide faite de pierres dentelées empilées. Au-dessus de l’autel, le miroir était accroché là. C’était lui qui avait amené Yuuto dans ce monde. Il y avait également une torche qui brûlait sans fin.
La Cérémonie du Calice qui s’était tenue devant l’autel avait été une affaire sacrée, menée dans un silence quasi total. Mais maintenant, les hommes étaient assis près de l’autel, faisant de la musique avec des pipeaux, et les femmes se perdaient à danser au rythme de la musique.
L’une de ces femmes était l’adjudante de Yuuto, Félicia. Déjà connue pour sa grande gamme de talents polyvalents, Félicia était également une danseuse talentueuse et éminente du Clan du Loup.
Il s’agissait d’une fête afin de célébrer le fait que le Clan du Loup et le Clan de la Corne étaient devenus définitivement liés. Il y avait beaucoup de personnes qui admiraient les danseuses, et autant d’individus à proximité qui riaient et buvaient ensemble autant qu’ils le voulaient.
« Tout le monde semble passer un bon moment, » Yuuto fit un commentaire à ce moment-là.
Le fardeau de la cérémonie étant maintenant dissipé, Yuuto profitait de l’atmosphère de la fête et de la nourriture qui l’accompagnait. Bien qu’il ne pensait pas qu’il soit approprié pour lui de s’engager directement dans ces frivolités, il n’avait nullement détesté voir cette célébration animée.
Il y avait eu un soubresaut à côté de lui.
Debout derrière Yuuto, à la place de Félicia, Sigrun s’était instantanément mise debout tout en dégageant une dangereuse aura.
« Salut, Yuuto frérot. Cela fait deux mois, » quelqu’un avait déplacé un pichet juste devant Yuuto.
Il s’agissait d’un homme qui semblait être dans la fin de la trentaine, avec un gros ventre et un sourire joyeux qui avait laissé une impression.
« Bonjour, frère, » déclara Yuuto. « Comment allez-vous depuis le temps ? »
« Je te suis reconnaissant pour tes préoccupations, merci beaucoup, » répondit l’homme. « Eh bien, je vais bien. Mais, wôw, penser que le Clan de la Corne céderait si facilement. Ah, il n’y a aucune chance pour qu’un gars comme moi soit un adversaire digne de toi. Je me sens juste complètement embarrassé quant à ma propre stupidité de l’époque. »
« C’est troublant d’entendre une telle flatterie de la part de mon frère, » déclara Yuuto avant de demander. « Alors qu’est-ce que vous complotez cette fois-ci ? »
« Quoi !? Je ne suis nullement en train de comploter quelque chose. C’est ce que je ressens vraiment. Tu es si dur. Oh, tiens. »
Alors que l’homme s’inclina humblement, il tendit le pichet à Yuuto.
Yuuto prit son verre et accepta le liquide que l’homme y versa. Il avait ensuite soulevé la tasse jusqu’au nez de Sigrun, et seulement une fois qu’elle hocha la tête en affirmant que tout était sûr qu’il avait replacé la tasse devant lui.
Le nom de l’homme était Botvid, et il était le frère cadet subordonné d’Yuuto. Il était apparu en ce moment comme étant timide et plutôt servile, donnant l’air d’un homme qui n’arriverait jamais nulle part. Mais en réalité, il était le souverain patriarche du Clan de la Griffe, avec qui le Clan du Loup avait été embarqué dans de violents combats jusqu’à il y a deux mois.
Contrairement à Yuuto, qui avait acquis la supériorité grâce à ses connaissances modernes, cet homme avait grimpé à la position de souverain par la force brute, et il avait presque à lui seul poussé le Clan du Loup au bord de la destruction. Il était l’incarnation même d’une personne qu’il ferait bien de ne pas juger par son apparence.
« Je ne dirais pas que c’est des manigances, mais j’avais quelque chose que je voulais te demander, » déclara Botvid.
« Oh ? » Yuuto avait pris une autre gorgée de sa boisson. Il ne pouvait pas s’empêcher d’avoir soif en raison de la quantité de nervosité qu’il ressentait en étant face avec cet homme, avec qui il ne pouvait pas baisser la garde même pendant une seconde.
Même sans tenir compte de la barrière défensive qu’il érigeait autour de son cœur, il avait fini par sursauter.
« Je me demandais juste quelle considération tu donnerais quand à ton propre mariage, » demanda Botvid.
« Pbfhuh!? » À peine préparé pour la question qui lui arrivait, Yuuto cracha la gorgée d’eau qu’il avait dans sa bouche. Bien sûr, cela avait atterri directement sur le visage de Botvid, qui était assis juste en face d’Yuuto.
Yuuto toussa violemment. « D-Désolé ! »
« Ce n’est rien. S’il te plaît, ne t’inquiète pas à ce sujet. Je suppose que c’est descendu dans le mauvais trou ? » Le souverain souriant du Clan de la Griffe s’essuya le visage et fit un commentaire amusant.
À ce moment-là, n’importe qui qui observerait l’homme le verrait comme étant une personne généreuse et ayant un grand cœur, mais Yuuto savait qu’il y avait de la tromperie cachée sous ce visage impassible. À partir du moment où Botvid était apparu devant Yuuto, le sourire sur son visage n’avait pas vacillé, et cela même quand Yuuto lui avait vomi de l’eau.
« On me dit que rien n’a encore été décidé à ce sujet, » déclara l’homme.
« Je-Je suis encore un peu jeune pour me marier, » répondit Yuuto.
« Tu n’es absolument pas trop jeune. Frère, tu es exactement à l’âge où il serait tout à fait normal de prendre une épouse, » affirma Botvid.
« Hmm... » Yuuto était en perte de réponse.
Il avait répondu du point de vue de quelqu’un de l’époque moderne. Mais ayant observé la façon dont les gens s’inquiétaient pour Félicia après avoir attendu trop longtemps alors qu’elle avait dix-sept ans selon leur calendrier, il comprit que leur façon de penser était différente.
« Eh bien, que penses-tu de ma fille ? » demanda l’homme en souriant.
« Donc c’est votre véritable but. Vous avez ainsi vraiment intrigué quelque chose, » Yuuto avait fait un léger grognement et avait reposé son menton dans ses mains. Plus il vieillissait, plus la conversation devenait pénible et ennuyeuse.
Fondamentalement, cela devait être un mariage stratégique. Yuuto avait du mal à accepter ce genre de choses, mais il savait, à cause de son adoration pour la période des Royaumes Combattants, que cela avait été une pratique courante partout dans le monde jusqu’aux temps modernes.
« Nullement ! Je pensais qu’il serait peut-être avantageux pour nous de forger un lien plus durable avec toi et le Clan du Loup, » déclara l’homme. « Et à propos de ça ? Dis oui maintenant et je pourrais ajouter une seconde pour adoucir l’affaire ? »
« Wôw, hé..., » s’exclama-t-il.
Qu’est-ce qu’il est, un présentateur pour une émission de magasinage à domicile essayant de faire plaisir afin de vendre ses marchandises ? pensait Yuuto, étonné.
D’une certaine façon, cela montrait à quel point il était désespéré de gagner les faveurs d’Yuuto. Offrant ses deux filles, il essayait clairement de forger des relations favorables.
La perception d’Yuuto de lui-même était assez faible, mais les faits étaient clairs. Au cours de l’année depuis son arrivée au pouvoir, il avait restauré le Clan du Loup alors même que celui-ci était au bord de la destruction, et il avait écrasé le Clan de la Griffe et le Clan de la Corne sans les détruire complètement. En regardant objectivement, l’évaluation d’Yuuto du point de vue de Botvid comme étant une excellente perspective de mariage pour ses filles était bien présente.
Il y avait également le fait que, à mesure que les relations entre le Loup et la Corne se seront approfondies, le Clan de la Griffe avait probablement senti un danger imminent. Des trois clans, il était le plus faible.
Botvid s’était alors courbé, rapprochant son visage de celui d’Yuuto. « Je peux moi-même te le dire, ce sont vraiment de magnifiques filles. Eh oui, elles ressemblent à leur mère. Tu peux être assuré qu’elles ne ressemblent pas à moi. »
« Je pense que vous êtes un peu hâtif, » déclara Yuuto en levant une main pour que Botvid ne vienne pas plus près. Il faisait de son mieux pour échapper à la puanteur de l’alcool qui se dégageait de l’homme d’âge moyen. « C’est une question d’importance politique. Ce n’est pas quelque chose que vous pouvez décider sous l’influence de l’alcool. »
Bien qu’Yuuto ait été ambigu à ce sujet, accepter la proposition n’était pas une option pour lui. Il n’avait aucune intention de s’installer dans ce monde. L’idée de se marier avec une personne de ce monde ne lui était jamais venue à l’esprit.
« Oh, je suis désolé, » déclara l’homme. « Je pensais juste que ça pourrait être un bon moyen d’unir nos clans sur le long terme. »
Réajustant sa position sur son siège, il était clair que Botvid n’avait pas l’intention d’abandonner. En vérité, une lumière brillait dans les yeux de Botvid, comme s’il venait de se souvenir de quelque chose.
Il avait alors fait un simple signe de tête. « Mmm, tu marques un point, Grand Frère. Eh bien, je ne veux certainement pas gagner la colère de tous ceux qui assistent à cette belle fête en monopolisant l’homme du moment. À plus tard. »
Botvid gifla ses genoux et se leva, se retirant comme si son air nonchalant jusque-là n’avait été qu’une ruse.
Yuuto avait un mauvais pressentiment en voyant le dos de l’homme disparaître.
Il faudra du temps avant que ses prémonitions portent ses fruits.
***
Partie 4
« Alors, qu’en est-il de ma petite-fille ? Si vous me permettez de le dire moi-même, je dirais qu’elle est plutôt belle, et je crois que vous la trouverez sûrement à votre goût, Seigneur Yuuto, » alors que Bruno, le porte-parole des anciens, discutait joyeusement devant lui, Yuuto ne put s’empêcher de ressentir un sentiment de déjà-vu futile, en pensant, pas encore.
Il n’y avait pas de fin au flot d’individus qui venaient pour verser de l’alcool à Yuuto et bavarder avec lui. Parmi eux, beaucoup, comme Botvid, étaient venus avec leurs propres propositions de mariage. Il s’agissait de la sixième offre qui était présentée au cours de cette seule fête.
Il semblait que le type de personnes qui accédaient au pouvoir avait tous des pensées similaires. Yuuto se sentait comme s’il s’était retrouvé dans une boucle infinie.
« Je vous l’ai déjà dit, je n’ai pas l’intention d’épouser quelqu’un en ce moment, » déclara Yuuto avec fermeté.
« Ah ! Mais vous avez déjà l’âge parfait pour ça, Seigneur Yuuto, » déclara doucement l’homme. « Ah, euh ! Naturellement, je ne vous demanderais pas de prendre quelqu’un en dessous de vous en tant qu’épouse. Vous pourriez la prendre comme concubine, aussi longtemps que vous la traitiez bien... »
Bruno refusa d’abandonner, alors même qu’Yuuto fit claquer sa langue avant d’essayer de l’éloigner. L’endurance mentale de l’homme ne semblait jamais vouloir s’épuiser.
Yuuto était bien conscient que c’était normal dans ce monde. Pourtant, votre petit-fille n’est pas un outil politique, pensa-t-il. Une indignation faisait rage dans son cœur.
Bruno était l’un de ceux qui avaient refusé de servir sous les ordres d’Yuuto quand il était devenu souverain patriarche. Alors que les soutiens envers Yuuto s’étaient développés au sein du Clan du Loup, son attitude avait soudainement changé et il avait commencé à essayer de se rapprocher d’Yuuto. Et maintenant, il lui offrait sa propre petite-fille.
Avec des événements comme celui-ci, Linéa et le restant du Clan de la Corne étaient bien dans leur droit de dénigrer le Clan du Loup comme n’étant que des chiens.
« Ouf. » Yuuto sauta sur ses pieds.
« S-Seigneur Yuuto, que se passe-t-il ? Ai-je dit quelque chose qui vous dérangeait ? » demanda Bruno.
Bruno était un peu troublé par le fait qu’Yuuto se soit soudainement levé. Son visage se raidit en raison de l’anxiété, et peut-être qu’il se sentait légèrement mécontent.
« Nullement. J’ai juste besoin d’aller utiliser la salle de bains, » déclara Yuuto.
Oui, tu m’as dérangé, pensa Yuuto, mais son visage impassible aidait à vendre son mensonge alors qu’il s’éloignait rapidement de Bruno.
Toute cette affaire était si ridicule, il ne pouvait plus le supporter plus longtemps. S’il était resté là encore une minute de plus, il aurait pu dire quelque chose qu’il regretterait.
« Oh, je vais également y aller..., » commença Bruno, se levant également pour me suivre. « Hop ! »
Un regard éblouissant d’une observatrice perspicace, Sigrun, l’avait fait se réinstaller sur son siège.
L’homme aurait pu être un peu plus persistant avec une Félicia aux manières douces, mais avec l’effroi et la peur produits par le Loup d’Argent le plus Fort, Mánagarmr, même le chef des anciens ne s’opposerait pas à elle. Yuuto pouvait vraiment compter sur Sigrun.
Félicia laissa échapper un long soupir. « Je voudrais un tel chien de garde pour moi. Tu sembles avoir tellement de plaisir à refuser ces demandes de mariage. »
Elle affichait un air de frivolité quant au sujet, mais sa voix était sincère. Il était clair que Félicia avait également fait face à des problèmes en raison des offensives de Bruno. Yuuto laissa instinctivement sortir un rire amer.
« Pardonnez-moi, Seigneur Yuuto, » lui déclara le maître de la Cérémonie du Calice alors qu’il marchait dans sa direction. « Félicitations pour l’accomplissement de cette journée. »
« Oh, Seigneur Alexis, merci d’être venu aujourd’hui après avoir parcouru un si long chemin, » Yuuto avait un peu paniqué et avait baissé la tête. Après avoir atteint Félicia et Sigrun, il avait pris une posture formelle, en pliant un genou.
Le goði, un membre des échelons supérieurs de l’empire qui se tenait comme un représentant de l’Empereur Divin, était d’un rang beaucoup plus élevé qu’Yuuto, qui n’était vraiment rien de plus qu’un seigneur féodal.
Il s’agissait du pouvoir officiel de l’empereur qui avait accordé au souverain leur autorité quant au fait de gouverner une terre. Défier l’autorité de l’Empereur Divin équivalait à défier la loi elle-même. Par conséquent, même si le souverain du Clan du Loup était considéré comme le chef incomparable d’un puissant clan, cela signifiait également qu’il devait afficher le plus grand respect envers le goði.
« Eh bien ! Maintenant que ces deux clans qui se sont si longtemps battus sont devenus parents, peut-être pouvons-nous enfin avoir un peu de paix dans la Ceinture de Bifröst, » déclara l’homme avec chaleur. « Je suis reconnaissant et heureux que vous vous soyez lié à ce digne clan. »
« Nullement ! Je suis celui qui vous est reconnaissant, du fond du cœur, pour avoir organisé une si belle cérémonie, » répondit Yuuto.
Yuuto pensait que Félicia et Jurgen étaient bien meilleurs pour ces échanges de plaisanteries et de mots mielleux. Il avait honnêtement trouvé que c’était un échange futile et vain, mais cela faisait également partie du travail d’un souverain.
« Cela peut paraître un peu indiscret, Seigneur Yuuto, mais d’où viennent vos parents biologiques ? » demanda Alexis, ne regardant pas le visage d’Yuuto, mais plus haut sur sa tête, au niveau de ses cheveux.
Au sein de Yggdrasil, les individus ayant les cheveux blonds, bruns ou roux étaient assez communs. Il y avait ceux avec des cheveux plus foncés, mais c’était presque toujours une teinte brunâtre. Il était très rare de voir quelqu’un avec des cheveux noirs comme ceux d’Yuuto. Ce n’était pas surprenant qu’Alexis soit curieux.
Quoi qu’il en soit, c’était plutôt impoli de sa part, pour quelqu’un qui avait à peine parlé à Yuuto, de poser une telle question.
« De l’est, » Yuuto répondit en donnant une réponse sans danger.
Provenant d’un futur si loin dans le temps, il n’y avait aucune chance qu’il puisse honnêtement déclarer la vérité. S’il venait à déclarer cette vérité, il était peu probable que quelqu’un le croirait, et il était possible que les relations diplomatiques puissent devenir problématiques pour le Clan du Loup si les personnes croyaient que leur souverain était mentalement inapte.
« Hm, je ne pense pas avoir vu des personnes qui vous ressemblent aussi loin que je sois allé, » Alexis pencha la tête tout en faisant un visage sombre.
En effet, c’était à attendre du chef du Saint-Empire d’Ásgarðr..., en d’autres termes, l’état unifié de toute la région de Yggdrasil. En tant que membre de cet état, il était probablement familier avec tous les domaines de Yggdrasil. Le fait que « aussi loin à l’est » qu’Alexis avait pu aller n’avait pas de personne ayant des cheveux noirs était un point extrêmement important.
Yuuto avait pris note dans son esprit de cette information. Et son esprit avait répondu avec, cela pourrait être ta chance.
« Un peu sur le même sujet. Mais avez-vous déjà entendu parler d’Einherjar avec la capacité d’aller, euh, je veux dire, envoyer quelqu’un dans un autre monde ou quoi que ce soit du genre ? » demanda Yuuto.
Ce n’était pas seulement la superficie des terres qu’ils possédaient, mais aussi l’histoire riche et ancienne qui avait fait du Saint-Empire d’Ásgarðr le premier royaume d’Yggdrasil.
Yuuto avait demandé dans l’espoir qu’il pourrait trouver des pistes ou des idées afin de le ramener dans son monde d’origine, mais le visage d’Alexis ne fit que se dégrader, puis il se détendit dans la confusion alors qu’il parlait.
« Hm ? Un autre monde ? Voulez-vous dire par hasard le royaume des dieux ? » demanda Alexis.
« E-Euh ! Eh bien ! Hum ! Quelque chose comme ça, » répondit Yuuto.
« Il est certain que quiconque cherche une audience avec les dieux eux-mêmes devrait avoir la nature effrontée que vous possédez vous-même, Seigneur Yuuto. Mais j’ai bien peur que je ne puisse voir un tel désir que comme de l’arrogance insouciante. Du point de vue des dieux, les humains tels que nous n’avons pas la capacité de contrôler les catastrophes naturelles et autres calamités. Donc, nous sommes considérés comme simplement faibles et impuissants, et rien de plus. Si vous encouriez leur colère, ce ne sera pas seulement vous, mais tous ceux qui sont ici qui subiront leur colère. »
Yuuto grimaça en raison d’avoir été si durement réprimandé. Étant du Japon du 21e siècle, on pouvait sentir un fossé entre lui et les personnes de cette époque qui étaient zélés dans leur foi et très superstitieux.
Dernièrement, Yuuto avait pensé que, vu comment il avait été envoyé dans Yggdrasil et forcé d’accepter l’existence d’Einherjar, cela ne serait pas si étrange qu’il y ait quelque chose de si transcendantal, mais il ne pouvait pas se résoudre à cette possibilité comme pourrait le faire le peuple d’Yggdrasil.
Cela étant dit, à ce rythme, il n’allait pas obtenir l’information dont il avait besoin. Il devrait adoucir en quelque sorte la situation.
« Hmm, en fait, quand j’ai demandé au sujet du monde des dieux, c’était plus figuratif que n’importe quoi d’autre, » déclara Yuuto. « Vous voyez, je me demandais juste s’il y avait un autre domaine où les gens vivaient, si les dieux avaient fait d’autres peuples et des royaumes en plus de nous. C’était tout. »
« Je vois. C’était donc ce que vous vouliez dire par là, » déclara Alexis, montrant qu’il était satisfait de la réponse d’Yuuto. Il semblerait qu’il avait d’abord interprété tout ce qu’il avait dit comme si Yuuto avait l’ambition d’acquérir encore plus de territoires. « Mais je dois m’excuser. J’ai peur de ne pas vous être d’une grande utilité. Si c’était dans l’autre sens, alors je pourrais avoir quelques idées, mais... »
« ... Dans l’autre sens ? Voulez-vous entendre par là que quelqu’un vienne ici plutôt que d’y aller ? » s’écria Yuuto.
Peu importe à quel point l’information était triviale, s’il s’agissait de se déplacer entre les mondes, Yuuto voulait l’entendre. S’il pouvait comprendre pourquoi il avait été amené ici, alors peut-être qu’il pourrait trouver un moyen de rentrer à la maison.
Yuuto avait peut-être lancé des questions comme s’il était en train de tenter sa chance, mais Alexis avait un visage amer comme s’il avait avalé un insecte. Comme pour dire, merde !
« ... J’ai peur que ce soit un lapsus, » déclara Alexis. « S’il vous plaît, oubliez ce que j’ai dit. J’ai peur que ce soit une question de haute sécurité pour notre empire, donc je ne peux pas vous le dire. S’il vous plaît, pardonnez-moi. »
« Quoi !? Ne pouvez-vous pas me dire quelque chose ? Je ne le dirai à personne d’autre ! » déclara Yuuto.
« S’il vous plaît, essayez de me comprendre. Ce n’est pas moi qui peux en décider..., » déclara Alexis.
« S’il vous plaît, n’importe quoi ! » Yuuto avait crié en désespoir de cause.
Étant arrivé jusqu’ici, il ne pouvait pas maintenant se retenir. Yuuto avait demandé à l’homme encore et encore, mais chaque fois, Alexis avait juste secoué négativement sa tête.
Un indice avait été présenté si soigneusement devant lui, et pourtant il ne pouvait pas le saisir. Tout ce que Yuuto pouvait faire en réponse à ce sentiment de vexation était de se mordre les lèvres.
***
Partie 5
Dès que la fête s’était terminée, Yuuto s’était rapidement retiré dans sa chambre.
Toutes les personnes qui avaient passé du temps avec Yuuto lors du banquet avaient toujours une décennie ou deux de plus que lui. Plus important encore, il avait dû garder l’attitude en tant que patriarche souverain afin de s’assurer qu’il conserverait la dignité requise. C’était vraiment très épuisant mentalement.
Après avoir frappé son lit avec un bruit sourd, Yuuto appela son amie d’enfance, cherchant en quelque sorte une certaine forme de soulagement.
« Toi, tu n’es qu’un vieux pervers de maître de harem ! » lui cria-t-elle dessus. Ce fut les premiers mots qu’il avait entendus après que la communication fut établie.
Yuuto ne pouvait rien lui répondre face à cela alors qu’il regardait fixement le plafond. Il lui déclara sur un ton formel. « Oh ! Bonjour, Mitsuki-san. Qu’est-ce qui vous arrive pour que vous me sortiez ça tout à coup ? »
« Eh bien ! N’as-tu pas partagé un Calice avec cette souveraine du Clan de la Corne si j’ai bien compris ton explication précédente ? » demanda Mitsuki.
« Ben ouais. Je l’ai fait, mais..., » commença Yuuto.
Yuuto avait essayé de ne pas alourdir l’angoisse de Mitsuki avec ces histoires rocailleuses de la vie dans ce monde, mais il lui avait parlé de la Cérémonie du Calice qui s’était déroulée aujourd’hui.
Son intention avait été de soulager ses inquiétudes en lui disant qu’il n’y aurait pas de conflits cette fois-ci.
Et comme résultat, il y avait...
« Tu vois, je le savais ! Tu es vraiment en train de te construire un harem ! » s’écria Mitsuki.
Yuuto ne pouvait pas s’empêcher de sentir à quel point tout cela était ridicule en raison de sa situation actuelle dans ce monde.
« C’est tellement important que je devais le dire deux fois, » son rire caqueta en provenance du haut-parleur du téléphone.
Il savait pertinemment que Mitsuki avait agi de la sorte comme une blague, mais ses premières paroles étaient toujours poignardées dans son cœur, et le sang continuait à affluer à son visage.
Il avait reçu de nombreuses propositions de mariage aujourd’hui, mais comme il s’était senti coupable et ne s’était engagé envers aucune d’entre elles, il ne ressentait plus aucune raison de s’inquiéter ni de devoir les mentionner.
« Hein !? Mais n’as-tu pas dit qu’elle était une petite sœur subordonnée plutôt qu’une enfant ? » ajouta Mitsuki. « Alors, je suppose que “maître” sonne d’une manière étrange. Dans ce cas... n’es-tu pas en vérité un grand frère du harem ? »
« Je n’ai même jamais embrassé une fille auparavant, et pourtant tu me fais porter toutes ces terribles accusations, » se plaignit-il.
« Oh ! Tu n’as donc jamais embrassé quelqu’un. Hmm. Pas encore, je vois. Je vois, je vois. Pas même un baiser, » elle avait répété la même chose encore et encore avec un ton de voix amusé.
Leur amitié existait depuis si longtemps qu’Yuuto savait qu’elle ne lui voulait pas de mal. Mais même ainsi, les veines de son front battaient encore avec force.
« Tu parles comme si tu l’avais fait de ton côté, » dit-il sèchement.
À l’âge d’Yuuto, avoir de l’expérience avec les femmes était quelque chose qui accordait un certain statut social. Le fait de se voir rappeler son inexpérience à plusieurs reprises était vraiment ennuyeux pour lui.
Les prochains mots de Mitsuki avaient précipité Yuuto dans les profondeurs du chaos. « Hmm, oui, je l’ai fait. »
« T-Tu as fais quoi ? » s’écria-t-il.
« Hehehe ! Jaloux ? » demanda Mitsuki.
« O-O-Ouais, c’est vrai ! » Yuuto bafouilla impudemment.
Il ne pouvait en aucun cas se sentir heureux pour elle. La panique qui l’avait saisi aurait suffi à dissiper la ferveur des filles du Clan du Loup qu’elles avaient envers lui.
Qui ? Avec qui était-ce !?
Yuuto et Mitsuki étaient des amis d’enfance, mais ce n’était pas comme s’ils sortaient ensemble. Il n’aurait pas été surpris si, pendant ces deux années écoulées depuis qu’il était parti, elle était tombée amoureuse de quelqu’un. Il aurait été dans sa troisième année de collège, donc ils étaient tous les deux au bon âge pour s’intéresser à de telles choses.
Tout l’outrage qui avait rempli la tête d’Yuuto plus tôt avait disparu, remplacé par la question quant à savoir avec qui Mitsuki avait partagé son premier baiser.
Était-ce quelqu’un qu’il connaissait ? Peut-être que c’était un nouveau garçon qu’elle avait rencontré dans les deux années depuis qu’il était parti loin d’elle ? Ou, cela pourrait-il avoir été... ?
« ... Alors, qu-qui est-ce ? » Il ne pouvait pas supporter de devoir dire ces mots, mais Yuuto devait absolument le savoir.
« Ohh, donc tu veux savoir, » déclara Mitsuki.
« Ng ! »
Mitsuki, tu es une sale gamine ! Il s’agissait des mots qu’il aurait voulu dire, mais il les avait bloqués avant qu’ils ne quittent sa gorge.
Mitsuki était plus jeune, mais elle était là, le menant en bateau. C’était plutôt humiliant, surtout après la journée qu’il avait passée. Pourtant, même si c’était par la force, il devait savoir qui avait embrassé Mitsuki.
« Hehe, hihi ! » elle se mit alors à rire. « Yuu-kun, c’est toi ! »
« ... Hein !? » s’exclama Yuuto.
« Franchement. C’était quand nous étions à la maternelle. Je t’ai fait un bisou sur la joue. Ne t’en souviens-tu pas ? » demanda Mitsuki.
« Euh... Hmm..., » dit-il.
Son cerveau travaillait à plein régime, essayant de déterrer ses souvenirs. Il avait un léger souvenir de quelque chose comme ça...
Yuuto s’effondra sur le sol avec ses deux genoux sur le plancher et il poussa un gros soupir. « Franchement, ne me fais pas peur comme ça. »
« Hihi ! Maintenant, tu as eu un avant-goût de ma propre douleur, » déclara Mitsuki. « Bon sang, tu n’arrêtes pas de t’entourer de filles, les unes après les autres. Je sais que tu ne peux pas y faire grand-chose quant à cette situation, mais quand même... »
« Hein !? Qu’est-ce que c’était ça ? » demanda Yuuto.
Mitsuki avait marmonné la dernière partie trop faiblement pour qu’Yuuto puisse l’entendre clairement.
« Riiiennnnn du tout ! » s’écria-t-elle.
Il y avait clairement quelque chose, mais Yuuto avait décidé de ne pas pousser plus loin ses questions. Il n’avait plus le désir de le faire en ce moment.
« Laisse-moi souffler un peu, » se plaignit-il. « Je suis revenu dans ma chambre parce que je suis épuisé, et c’est ainsi que je suis traité ? Je n’arrive pas à le croire ! »
« Hahaha ! Désolée, » déclara Mitsuki.
« N’as-tu pas au moins le moindre remords quand à ça ? » demanda Yuuto.
« Nullement ! » répondit Mitsuki.
« Toi, espèce de... ! Un jour, je te ferais payer ! » répliqua Yuuto.
« Et voilà ! Vas-tu venir me chercher ? Tu as intérêt à te dépêcher..., » déclara Mitsuki.
« Hein !? Quoi !? » Pendant un moment, il n’avait pas compris ce qu’elle voulait dire. Mais quand la compréhension était venue dans son esprit, son pouls avait commencé à s’accélérer. C’était totalement une attaque-surprise.
Mitsuki, tu es un peu effrontée... ! Ses lèvres se mirent à sourire alors que la pensée lui vint à l’esprit.
« ... Ouais, » dit-il. « Je le ferai, peu importe ce que je devrais surmonter. »
Dans tous les cas, il avait appris qu’Alexis, ou devrait-il plutôt dire l’Empire, possédait un indice qui pourrait lui être utile. S’il pouvait gagner leur confiance en effectuant une certaine sorte d’hommage, alors peut-être qu’il pourrait lui donner cette information.
Non, d’une façon ou d’une autre, il devrait leur faire cracher le morceau.
« Peu importe quoi ? » demanda-t-elle. « Je ne peux pas t’attendre pour... »
« S’il te plaît, excuse-moi quant au fait que je dérange ton repos, Grand Frère ! » La voix emplie de détresse de Félicia était venue avec le claquement inélégant de la porte.
Quoi !? Ça devenait vraiment intéressant, se lamenta Yuuto alors que ses épaules s’affaissèrent. Mais en raison du comportement de Félicia, il était clair que ce n’était pas une question triviale.
« Mitsuki, je suis désolé, » soupira-t-il. « Quelque chose est soudainement arrivé. »
« Hein !? Qu-Que se passe-t-il !? » s’exclama Mitsuki.
« Je ne suis pas encore sûr, » répondit Yuuto. « Nous venons de terminer une bataille. Ce n’est probablement rien de dangereux. Calme-toi et va dormir. Bonne nuit ! »
« Attends, bonne nuit !? Yuu-kun ? Yuu... » dit-elle.
Il avait clos succinctement la discussion en mettant fin à l’appel, et était allé jusqu’à couper le courant de son téléphone.
Il avait un mauvais pressentiment à propos de ça. Il ne voulait pas que Mitsuki entende des conversations trop pénibles. Et plus important encore, si Mitsuki était présente, il ne serait pas en mesure de changer son état d’esprit.
« Félicia, que vient-il de se produire ? » demanda Yuuto.
Son visage n’affichait plus l’exubérance juvénile d’un garçon de son âge qu’il avait eu il y a quelques instants. Maintenant, il affichait un air empli d’inquiétudes.
Félicia regarda le smartphone d’Yuuto d’une allure chargée d’excuses, mais elle répondit tout de suite à la question d’Yuuto. « N-Nous venons de recevoir un message à l’aide d’un pigeon voyageur de la forteresse frontalière, le Fort de la Corne. Tu vois... Le Clan de la Corne est en train d’être attaqué par le Clan du Sabot. »
« As-tu bien dit le Clan du Sabot !? » Les yeux d’Yuuto s’écarquillèrent en raison du choc.
Même Yuuto, qui n’était pas très au courant de ce monde, avait déjà souvent entendu parler du Clan du Sabot.
Il y avait environ une centaine de clans dans tout Yggdrasil, à quelques unités près. Et parmi ceux-ci, le Clan du Sabot était l’un des Dix Grands Clans.
***
Partie 6
« Merci à tous de vous être rassemblés ici malgré l’heure tardive, » jetant un coup d’œil à leurs visages, Yuuto avait d’abord remercié les nombreux officiers pour leurs efforts.
Les différents officiers du Clan du Loup étaient rassemblés et alignés dans la salle d’audience, sous les ordres du commandant en second, Jurgen.
Tout le monde, du plus bas au plus haut gradé, se tenait au garde-à-vous, prêt à se mettre au lit, bâillant ou affichant des sourires superficiels, avec certains d’entre eux regardant autour d’eux en indiquant carrément qu’ils n’étaient pas vraiment disposés à faire tout ce chemin. Naturellement, les jeunes Einherjars, ce qui voulait dire Félicia, Sigrun, et même Ingrid, étaient également présentes.
Linéa était également présente vu qu’elle appartenait aussi à une partie affectée par la présente affaire. Les émissaires du Clan de la Corne étaient également ici avec elle.
« Nous sommes dans une situation désastreuse, alors je vais aller droit au but, » annonça Yuuto. « Il y a quatre jours, une grande puissance de l’ouest, le Clan du Sabot, a lancé une invasion sur le territoire de nos alliés, le Clan de la Corne, faisant tomber la forteresse à la frontière de leur territoire. Les troupes du Sabot sont estimées à environ 10 000 soldats, alors qu’ils auraient plus de 500 chars de guerre. »
« 10-10 000 !? »
« A-Avez-vous bien parlé de 500 chars !? »
Des cris de choc et de panique avaient surgi de différents officiers présents dans la salle d’audience.
Dix mille pourraient sembler un petit nombre pour quelqu’un du 21e siècle, mais dans un monde comme Yggdrasil, où la technologie agricole était encore à ses balbutiements, il était peu probable qu’il y avait beaucoup de nations qui pourraient soutenir une telle population.
En fait, la bataille de Kadesh avait été considérée comme la plus grande bataille de l’histoire ancienne, avec les forces égyptiennes qui avaient un peu plus de 18 000 hommes.
Le choc pour les membres du minuscule et lointain Clan du Loup devait être insondable quand ils avaient entendu que le Clan du Sabot avait 10 000 hommes. Le Clan du Loup avait un peu plus de 2000 soldats qu’il pouvait mobiliser à tout moment.
La guerre était avant tout une question de chiffres. En un coup d’œil, les histoires d’une petite armée renversant une grande armée étaient spectaculaires, mais c’était précisément parce qu’elles étaient presque toujours impossibles. Ainsi, quand de telles choses s’étaient produites, elles étaient devenues de brillants phares qui illuminaient l’histoire pendant de nombreuses générations.
La différence entre les deux clans était évidente.
« Les souverains patriarches de ce monde sont clairement rusés, » déclara Yuuto. « Ils ne ratent pas une occasion. »
« Qu’est-ce que vous dites ? » Le chef des anciens, Bruno, pencha la tête alors qu’il demandait ça.
Vous êtes qu’un conseiller. Le comprenez-vous ? pensa Yuuto, mais il garda une expression stoïque et continua à parler.
« Le Clan de la Corne vient de subir une défaite écrasante de notre part, le Clan du Loup, et leurs forces ont été anéanties, » continua Yuuto. « Nous avons retenu Linéa, leur souveraine, comme prisonnière de guerre, alors le Clan du Sabot sait qu’elle n’est pas chez elle. De plus, son commandant en second a fait le voyage jusqu’ici pour la Cérémonie du Calice d’aujourd’hui. Il n’y aurait pas de meilleur moment pour envahir leur territoire que maintenant. »
« Hmm, je suppose que c’est exactement le moment qu’ils ont attendu, » le commandant en second, Jurgen, acquiesça pensivement.
Les émissaires du Clan de la Corne plissèrent les sourcils, le visage grave.
Linéa intervint : « Tout est de ma faute ! C’est parce que j’ai perdu..., » et elle avait continué à se blâmer, presque en transe ou une stupeur. Son visage était si pâle et déchirant à voir qu’Yuuto ne pouvait pas supporter de la regarder.
Mais il s’agissait de la guerre. S’il n’était pas honnête à propos de la situation, cela pourrait avoir un impact sur les résultats de la bataille. Il ne pouvait pas simplement se retenir pour le bien-être mental de sa mignonne petite sœur subordonnée. En effet, il avait dû se débarrasser de toutes ses émotions, et il avait ainsi continué à parler en tant que souverain du Clan du Loup.
« Cette situation nécessite une action urgente, » déclara-t-il. « Nous, du Clan du Loup, devons envoyer une aide immédiate à notre nation sœur, le Clan de la Corne. »
Une clameur de voix avait éclaté parmi les troupes rassemblées à travers la salle d’audience.
Ils avaient compris la raison de cela. En échangeant le Calice de Frères et Sœurs, les deux nations devaient se protéger mutuellement. Il s’agissait d’une loi absolue ici sur Yggdrasil.
Mais leur demander de faire face à un ennemi cinq fois plus nombreuse était de la pure folie. Il n’y avait probablement aucun moyen de gagner, et c’était comme s’il les envoyait à la mort. Il n’était pas surprenant que tout le monde soit si troublé.
« M-Mais, Seigneur Yuuto, il s’agit quand même du Clan de la Corne qui a été attaqué, et non pas le Clan du Loup, » objecta Bruno. « Tant que nous ne nous mêlerons pas inutilement à ce conflit, aucun mal ne nous sera fait, n’est-ce pas ? »
Bruno avait été le seul à expliquer à Yuuto les vœux liés avec le Calice, alors il connaissait clairement les implications morales de ce qu’il disait. Cependant, l’ennemi était cette fois-ci trop fort. Le Calice avait été créé à l’origine pour aider l’organisation à fonctionner de manière fluide. Il s’agirait vraiment de mettre la charrue avant les bœufs si le Clan du Loup était détruit en protégeant le Clan de la Corne. Il n’y avait pas de latitude afin d’essayer de garder les apparences dans un moment comme celui-ci.
« Bruno, salaud !! » Plusieurs émissaires du Clan de la Corne avaient été indignés. Parmi eux, le commandant en second du Clan de la Corne, Rasmas, avait provoqué un tollé.
Il s’agissait d’une réaction naturelle, considérant que pour lui, il semblait probable que son pays était mis de côté.
« Pourquoi êtes-vous en colère ? » grogna Bruno. « Je vous dis que nous n’avons pas l’intention de vous attaquer afin d’aider le Clan du Sabot. Cela inclut toute autre action négative contre vous. De cette façon, vous pouvez vous battre sans crainte une attaque venant de derrière vous. Si vous considérez tout ce qui s’est passé entre nous au cours de toutes ces dernières années, vous avez plus de raisons de nous remercier que d’être en colère contre nous. »
Puis Bruno se détourna d’eux avec dédain.
Des voix de dissidences et d’oppositions à l’idée de déployer des troupes jaillirent des officiers rassemblés.
« Ohh, c’est vrai, tellement vrai ! »
« Je me sens mal pour le Clan de la Corne, mais nous venons juste de leur donner le Calice. Nous n’avons pas besoin de leur montrer de la bonne volonté. »
« Mmhmm. En effet, il n’y a aucune obligation pour nous de brandir nos lames face au Clan du Sabot. »
Ils échangeaient tous des regards et acquiesçaient. Il était probable que les paroles de Bruno parlaient pour tous les officiers présents.
Pourtant, Yuuto avait trouvé ces paroles comme étant tout sauf imprudent. Ils avaient tous des familles et des façons de vivre pour les protéger. Le fait de mettre en danger tout cela pour un clan qui n’avait été qu’un ennemi la veille n’avait pas de sens.
« Notre clan n’a plus la force de s’opposer au Clan du Sabot, » la voix affaiblie de Linéa retentit alors qu’elle était pâle. Son sang semblait avoir totalement été drainé hors de son visage, alors qu’elle se tenait chancelante dans cette pièce lassée par la guerre. « Sans l’aide du Clan du Loup, mon peuple va... »
Ils étaient tous deux des pays qui partageaient une frontière. En tant que souveraine de son clan, elle avait une connaissance intime du fonctionnement du Clan du Sabot.
Le Clan du Sabot était un clan qui avait rapidement étendu son influence en asservissant les habitants des autres nations et en les forçant à travailler durement.
Ces esclaves, dépouillés de leur individualité et traités comme des biens par leurs « propriétaires », étaient une source cruciale de travaux forcés durant cette ère. Il était de notoriété publique que les habitants des pays qui avaient été détruits pendant les guerres étaient aptes à être utilisés comme des outils par leurs semblables.
« Nous sommes censés protéger les habitants du Clan du Loup, et non pas ceux du Clan de la Corne, » Bruno lui avait répliqué cela.
« Tout à fait. C’est votre travail de protéger votre propre peuple, » avait convenu un autre homme.
« Nous n’avons plus les ressources nécessaires afin de défendre votre peuple à cause de tout ce temps passé lorsque le Clan de la Corne n’arrêtait pas de nous attaquer. »
Que ce soit en essayant de plaire à la majorité ou de dominer avec ses prouesses le parti le plus faible, Bruno commença à prendre la tête, parlant de sa lassitude de guerre. Peut-être était-ce parce que les clans ne voyaient pas les habitants des autres clans comme des êtres humains au même niveau qu’eux-mêmes.
« C-Comment pourriez-vous tous... !? » Les yeux de Linéa s’étaient vidés, engloutis dans le désespoir.
*Bam !!* le bruit de quelque chose frappant le mur retentit avec fracas dans la salle d’audience.
« Ne débitez pas des propos aussi lâches, imbéciles sans caractère !! » La voix d’Yuuto, tel un coup de tonnerre, avait explosé dans toute la salle d’audience. Il n’y avait plus aucun signe du garçon normalement doux au cœur trop tendre.
Du sang commençait à couler du poing droit avec lequel il avait cogné dans le mur avec tant de force. Il ne montra pas le moindre soupçon d’inquiétude pour son poing ensanglanté, et à la place, une lueur de rage flamboyait dans ses yeux alors qu’il transperça de son regard chaque personne présente dans la salle d’audience.
Ce qui lui traversait l’esprit en ce moment, étaient les paroles de son père quand Yuuto l’avait informé de l’état critique de sa mère alors qu’elle était alitée à l’hôpital.
« J’ai peur de ne pas pouvoir quitter mon travail maintenant. Je serai là plus tard. »
Son père avait toujours priorisé son travail sur sa famille, mais à ce moment-là, il avait même mis sa propre commodité sur eux. En conséquence, il n’était pas venu prendre soin de la mère d’Yuuto dans ses dernières heures. Quant à la mère d’Yuuto, elle s’était toujours inquiétée de l’homme qui l’avait finalement abandonnée.
Il était impossible pour qu’Yuuto abandonne sa famille. Dans son cœur, il n’était pas question qu’il fasse cela un jour. Il ne deviendrait jamais comme cet homme affreux. Ces pensées et ce sentiment avaient stimulé Yuuto au maximum quant à ce qu’il fallait faire, le guidant au jour le jour.
« Les vœux du Calice d’Allégeance ne sont-ils pas censés être absolus !? » avait-il rugi dans la pièce.
Yuuto avait fait pression sur Linéa pour qu’elle accepte de prendre son Calice de Frères et Sœurs. Mais lui-même avait choisi de faire d’elle sa petite sœur, sans que personne le pousse à le faire. Même s’il mettait de côté son sens du devoir, Yuuto sentait que Linéa était sa famille et qu’il avait besoin de la protéger.
« N’étiez-vous pas tous tout le temps en train de nous féliciter Linéa et moi plus tôt dans la journée pour la Cérémonie du Calice ? » demanda Yuuto. « Dans cette même cérémonie, cela n’avait-il pas pour but d’établir un pont immuable entre nous et le Clan de la Corne afin que nous devenions tous une même famille !? »
Les anciens et les hauts gradés avaient tous baissé simultanément la tête face aux paroles d’Yuuto. Ils avaient déjà tous dit leur point de vue. Dans cette situation, ce qu’Yuuto disait ne devrait être rien de plus qu’un noble et vague vœu pieux. Et pourtant, ils ne pouvaient rien dire face à cet homme qui se tenait seul face à eux.
Comme on pouvait s’y attendre d’anciens ou de hauts gradés, tout le monde ici avait de longs états de service militaire qui les avaient amenés jusqu’à ce rang. Ils étaient dans cette position précisément parce qu’ils avaient enduré tant de difficultés sur les champs de bataille. Et pourtant, des personnes de ce calibre avaient été réduites au silence par un garçon d’à peine seize ans.
« Hee...hee hee hee..., » même si elle tenait son corps tremblant avec ses deux bras, Félicia ne put s’empêcher d’afficher un sourire.
S’il s’agissait d’un véritable combat à coup de poing, Yuuto serait très certainement le plus faible de la pièce. Tout le monde savait parfaitement cela. Et pourtant, chacun d’entre eux avait été impressionné par lui à ce moment-là... et il était de même pour le soldat le plus fort du Clan du Loup, Sigrun.
À l’heure actuelle, ce qui causait des tremblements dans tout le corps de Félicia n’était pas en raison d’une peur présente jusqu’au tréfonds de sa moelle, mais plutôt à cause d’une trop grande sensation d’excitation.
On y était. C’était la face cachée du spectaculaire chef pour lequel elle était tant captivée en raison de sa splendeur.
Il était très clair que les connaissances qu’Yuuto possédait étaient essentielles pour le bien du Clan du Loup. Mais un simple et faible garçon doté de connaissances, même si c’était des connaissances utiles, et de rien d’autre, aurait-il pu vraiment inspirer un dévouement aussi intense à quelqu’un comme Félicia ou aux plus féroces guerriers du Clan du Loup, comme Sigrun et Jurgen ?
Surtout en période de grande crise, les humains étaient tenus de montrer leur véritable caractère. Ceux qui normalement se déchaîneraient verbalement quant à la morale et à la bravoure pourraient s’enfuir face à un véritable danger. En particulier, le chef des aînés, Bruno, correspondait parfaitement à ce modèle.
Et puis, il y avait des exemples du contraire. Comme ce garçon qui normalement semblait de prime abord peu fiable, dont le véritable caractère était celui d’un terrifiant lion.
Yuuto Suoh avait une fois appris que le kanji qui composait son nom signifiait « Protégez ceux qui sont autour de vous et combattez avec courage. » C’était bien plus exact maintenant que jamais auparavant. Il avait toujours montré sa véritable force quand il s’agissait de protéger les personnes autour de lui. Et cela même si c’était fait pour une fille d’un autre pays et que cela pourrait lui causer des problèmes.
« Je vais sauver le Clan de la Corne, » déclara Yuuto. « C’est ce qui a été décidé et c’est tout. »
Aucune opinion dissidente n’avait été exprimée en réponse aux paroles d’Yuuto. Même le visage pâle de Bruno hochait la tête à plusieurs reprises.
Félicia sourit ironiquement à Linéa, qui était de son côté restait figée avec les dents qui claquaient après avoir été témoin du soudain et féroce changement chez Yuuto. Quand ils l’avaient rencontrée pour la première fois, Félicia s’était hérissée quand Linéa parlait du Clan du Loup comme des chiens. Mais maintenant, cela lui semblait tellement stupide d’avoir été préoccupé par une chose si triviale.
Quand Yuuto était arrivé en ce monde, il était aussi désemparé qu’un chaton qui allaitait. Cependant, après avoir enduré des batailles pendant plus de deux ans, il avait grandi pour devenir un lionceau indomptable. Pendant qu’un lion dormait, il était possible de faire face à lui toutes les espiègleries que l’on voulait faire. Mais si le lion se réveillait et rugissait de rage, alors peu importait ce que vous étiez, que ce soit un loup ou un chien ou bien d’autres choses..., personne ne pourrait s’opposer à lui.
Yuuto se laissa tomber sur son trône et posa son menton dans ses mains, toujours bouillonnant de rage.
« Une stratégie de vigilance est la stratégie la plus inefficace, » déclara-t-il. « Le fait de rester neutre nous ferait perdre de la crédibilité des deux côtés. »
Cela pouvait sembler être une bonne stratégie d’attendre d’avoir plus d’informations, et en attendant, de maintenir une bonne façade avec les deux côtés avant de parier sur le cheval gagnant quand le moment viendrait.
Cependant, ce n’était pas vraiment le cas dans une telle situation. Ce serait vu simplement comme s’il avait déclaré leur position seulement après que l’état actuel du conflit ait penché dans un sens et qu’ils auraient choisi leur allégeance en se basant sur les vainqueurs et les victimes.
Selon Le Prince, la neutralité ne mènerait qu’à la destruction. Les braves étaient mieux lotis en rendant leur allégeance claire. Yuuto était entièrement d’accord avec ce concept.
Les humains étaient plus susceptibles de faire confiance à ceux qui les soutenaient et les aidaient dans les moments difficiles, par rapport à ceux qui ne faisaient que leur lécher les bottes en les assurant de leur victoire et de leur valeur. Ils se souviendraient aussi de ceux qui les avaient traités cruellement comme des opposants.
Pendant la bataille de Sekigahara, les Clans Satake et Akita avaient adopté des positions neutres et le résultat fut la perte de leurs territoires. D’autre part, le Clan Shimazu avait pu revenir sur son territoire après ses actions courageuses, mais antagonistes. La façon dont ils avaient fini par diviser le pays s’était déroulée exactement comme Machiavel l’avait prédite.
« Non seulement cela, mais nos clans ont échangé le Calice devant un émissaire de l’Empereur Divin, » déclara Yuuto. « Nous n’annulerons pas les vœux qui accompagnent ce Calice juste à cause de la situation. Essayiez-vous donc de briser le vœu du Calice le jour même où nous l’avons partagé ? Voyez comme le Calice du Clan du Loup perd rapidement sa valeur ! Et si nous faisions cela, nous donnerions au Clan de la Griffe toutes les excuses pour nous trahir. »
« ... Ah ! » Un regard de compréhension traversa les visages des officiers.
Le Clan du Sabot était une menace militaire si importante qu’ils avaient été distraits et totalement incapable de penser à un tel résultat. Un chef digne qui voulait être considéré comme un frère aîné devrait absolument protéger ses subordonnés. S’il laissait de côté sa petite sœur subordonnée, Yuuto perdrait tout respect en tant que frère aîné et chef, et personne ne serait jugé durement par les autres clans pour avoir fait défection vis-à-vis d’un tel chef.
« Le Clan du Sabot est un clan avec qui nous n’avons aucun lien, » déclara fermement Yuuto. « Donc, si nous permettons la destruction du Clan de la Corne, ce ne sera qu’une question de temps avant que nous soyons frontaliers avec un clan beaucoup plus puissant. Et naturellement, le Clan du Sabot ferait savoir dans tout Yggdrasil que le Clan du Loup a rompu ses engagements avec le Clan de la Corne. Le moral des soldats baissera, et le Clan de la Griffe pourrait changer d’allégeance pour aller du côté du Clan du Sabot. Ils pourraient ainsi lancer une attaque en tenaille contre nous. Il n’y aurait aucun moyen pour nous de gagner dans une telle situation. »
Pour le Clan du Loup, ce serait le pire des cas possibles.
Peut-être que c’était comme l’avait dit Jurgen, et cela avait toujours été le plan. Si c’était bien le cas, Yuuto ne pouvait s’empêcher d’être étonné de l’ingéniosité de la personne au sein du Clan du Sabot qui avait élaboré un tel plan.
Pourtant, il ne pouvait pas se permettre de danser dans la paume de l’ennemi.
« Le Clan de la Corne dispose d’environ 2 000 soldats pour défendre sa capitale, » continua Yuuto. « Quant au Clan de la Griffe, son territoire ne longe pas celui du Clan de la Corne. Il n’y a pas besoin de craindre leur trahison en ce moment. Si nous sommes prêts à nous inquiéter plus tard d’être trahis au niveau de notre arrière alors que nous sommes face à une force ennemie ayant cinq fois notre effectif, pourquoi ne pas les attaquer maintenant avec des forces combinées, et avoir la chance d’affronter un ennemi qui serait seulement deux fois notre taille ? »
« Hmmm... »
« C-C’est vrai... »
Les officiers bredouillaient entre eux, alors qu’ils avaient des sueurs froides en raison du discours d’Yuuto.
Celui qui les commandait maintenant était le héros national Yuuto, celui qui avait détruit le Clan de la Griffe et le Clan de la Corne en une succession rapide de campagnes militaires. Une force militaire cinq fois plus grande serait bien sûr difficile à vaincre, mais ils pouvaient parfaitement voir que la possibilité de gagner contre une armée deux fois plus grande était plus importante. Les officiers n’étaient pas du tout enthousiastes, mais ils avaient commencé à considérer le lancement d’une attaque comme étant la meilleure solution.
« Eh bien, vous êtes-vous tous préparés à ça ? » aboya Yuuto. « Run ! »
« ... Père ! » À l’appel d’Yuuto, la fille aux cheveux argentés avait fait un pas en avant par rapport à la rangée d’officiers alignés. Ses mouvements étaient plus lents que d’habitude, puisqu’elle avait été complètement émerveillée par Yuuto. Elle semblait trembler d’anticipation.
« Prends en charge l’unité Múspell et vas-y en première, » ordonna-t-il. « Utilise le schéma B : Formation Mongole. Ne fais rien d’imprudent. Tu dois prioriser la prévention des pertes dans nos troupes en essayant d’abattre l’ennemi. »
« Compris ! » Sigrun avait effectué un salut avant de se précipiter hors de la salle d’audience. Elle avait compris, sans avoir à le dire, qu’il n’y avait pas une seconde à perdre. En tant que le Loup d’Argent le plus Fort, Mánagarmr, même avec les instructions brèves qu’il lui avait données, Yuuto ne doutait absolument pas qu’elle prendrait les bonnes décisions sur le terrain quand le moment viendra.
Elle était normalement si indiscutablement fidèle qu’elle causait un peu d’inconfort à Yuuto, mais à l’heure actuelle, elle était vraiment sa soldate la plus fiable.
« Jurgen ! » aboya-t-il.
« Père ! » son commandant en second répondit.
Bien qu’ils se trouvaient dans des circonstances si troublantes, Jurgen ne pouvait pas cacher les coins de sa bouche qui remontaient.
Normalement, Yuuto donnait l’impression qu’il n’était pas très fiable, mais dans des moments comme celui-ci, il était plus rapide que le plus ancien général à s’endurcir pour la bataille à venir.
La jeunesse elle-même est l’insouciance, pensa Jurgen avec un sourire, mais il savait que ce n’était pas vrai ici.
Au cours de la dernière année, Jurgen avait appris à connaître Yuuto pour ce qu’il était vraiment. Yuuto n’était en aucune façon ignorant de ses responsabilités en tant que patriarche souverain. Il les avait comprises mieux que tout autre. Son évaluation de la situation antérieure était extrêmement exacte. Et le plus important, il avait la capacité d’influencer ceux se tenant devant lui.
Il n’avait même pas vingt ans, mais il ne faisait aucun doute qu’il ne ferait que continuer à mûrir.
Même s’il était évident qu’il n’était pas indifférent quant à obtenir la position de souverain, Jurgen sentait que les individus avec une aptitude aussi grande pour occuper pleinement cette position comme Yuuto étaient rares et précieux. Il était un leader digne de ses subordonnés.
« Dépêchez-vous et rassemblez les troupes. Que tous les préparatifs soient achevés pour l’aube ! » ordonna Yuuto.
« Compris, Père ! » Jurgen avait répondu à la tonalité altière et autoritaire d’Yuuto avec une unique inclinaison.
Normalement, Yuuto aurait modéré ses propos en parlant à Jurgen, qui était son aîné de deux décennies, mais il s’agissait là d’une situation d’urgence. Il n’avait pas le temps de s’inquiéter de comment il pourrait être perçu par les autres.
Pour Jurgen, qui avait exigé la dignité de son chef, c’était pleinement l’Yuuto qu’il avait voulu voir dans une telle situation.
« Linéa ! » appela Yuuto.
« O-Oui !? » Linéa s’était placée au garde-à-vous.
Elle était la véritable souveraine du Clan de la Corne, et pas seulement la subordonnée d’Yuuto. Mais même ainsi, il n’y avait pas de place pour elle de s’opposer à Yuuto dans cette horrible situation.
« Retournez au Clan de la Corne et ralliez vos soldats, » ordonna-t-il.
« C-Compris ! » répondit Linéa.
« Ingrid ! » déclara Yuuto.
« H-hwha !? A-As-tu besoin de m-moi !? » Ingrid laissa échapper une réponse paniquée.
Bien qu’elle ait obtenu le rang de huitième dans la hiérarchie grâce à ses nombreuses réalisations, Ingrid n’avait pas vraiment d’expérience dans de véritables batailles. Elle n’avait probablement jamais pensé qu’elle serait appelée comme ça.
« Tu dois avoir l’un d’eux de prêt, non ? » déclara Yuuto. « Alors, il est maintenant temps de l’utiliser. Pourrais-tu le prêter à Linéa ? »
« S-S-Sérieusement !? Attends, vraiment ? Mais elle n’est pas l’une des nôtres, » tenta d’objecter Ingrid.
« Faux. Elle est ma petite sœur, » les coins des lèvres d’Yuuto se soulevèrent dans un sourire.
Maintenant, ils étaient définitivement de la même famille, nés d’un lien plus profond que le sang qui avait été forgé par le Calice. Contrairement à Botvid du Clan de la Griffe, il pouvait aussi lui faire confiance à un niveau personnel. En plus de cela, il s’agissait d’une affaire des plus pressante. Ils n’avaient pas le luxe de se disputer sur des détails.
Ingrid, bouillonnant d’irritation, avait enfin cédé même si c’était à contrecœur.
« Ahh, zut ! Tu es toujours autant le cœur tendre, mais tu agis plutôt de manière audacieuse et énergique ici ! » elle s’était plainte, puis avait ajouté avec un ton plus doux, « E-Eh bien ! C’est bon... Je suppose que cette partie de toi est la raison qui fait que j’ai une telle foi en toi. »
***
Acte 5
Partie 1
À l’origine, le Clan du Sabot était une ramification du Clan du Sanglier, un clan qui avait jusqu’à il y a peu, exercé une grande influence à Álfheim, mais alors ils étaient devenus un minuscule clan en s’isolant dans la partie la plus à l’ouest d’Álfheim... qui était d’ailleurs la pointe la plus occidentale d’Yggdrasil lui-même.
Après cela, l’actuel souverain patriarche du Clan du Sabot, Yngvi, avait suivi son ascension vers sa position en avalant tous les clans qui entouraient la famille principale du Clan du Sanglier, transformant ainsi le Clan du Sabot en l’un des dix meilleurs clans sur la centaine présente sur la surface d’Yggdrasil.
Yngvi, l’homme qui avait ressuscité le Clan du Sabot, avait eu 36 ans cette année. Son corps débordait encore de la force de la jeunesse, mais il était aussi enveloppé dans l’entêtement et la ruse que son expérience apportait. Son corps et son esprit étaient clairement à leurs apogées, ce qui avait stimulé encore plus loin son désir de puissance. Même s’il gagnait tout le territoire qu’il pouvait acquérir à sa portée, cela ne ferait qu’encore plus amplifier son ambition.
S’il s’emparait du territoire fertile du Clan de la Corne autour du bassin du Körmt, il ne faisait aucun doute que l’influence du Clan du Sabot allait croître de façon exponentielle et que le chemin vers l’Empereur Divin et d’Ásgarðr s’ouvrirait pour eux.
Le Clan du Sabot avait attendu une occasion propice depuis quelque temps déjà. Puis, ils avaient appris que le Clan de la Corne et le Clan du Loup se battaient, mais qu’en plus, le Clan du Loup avait écrasé l’armée du Clan de la Corne.
En plus de cela, ils avaient appris par l’intermédiaire de leurs espions que la souveraine du Clan de la Corne était retenue prisonnière par le Clan du Loup, et que même le commandant en second avait pris congé pour aller inspecter l’état actuel de sa souveraine. Cela avait créé une circonstance opportune unique dans une vie.
En vérité, ce que le Clan de la Corne offrait maintenant ne pouvait guère s’appeler de la résistance, et le Clan du Sabot avait rapidement vaincu trois forteresses. Yngvi avait trouvé tout cela plutôt décevant et insatisfaisant. Pourtant, il n’avait pas perdu son temps en des lamentations. Il était simplement passé à l’attaque de la capitale du Clan de la Corne, Fólkvangr.
« Heh heh heh! » ricana-t-il. « Cela doit signifier que les cieux me préparent à être le Souverain Suprême. »
Ce qu’il disait était arrogant, franc et simple. Normalement, les insécurités pour ceux qui sont au sommet leur faisaient dévaler la pente, mais comme le chef du Clan du Sabot était plein de confiance, les gens au-dessous de lui ne ressentaient aucune peur ou trépidation. Ne pas avoir le moindre manque de confiance était un autre type de compétence de commandement.
En refrénant son désir de prendre et de saisir, Yngvi avait ordonné à ses soldats de faire une pause. « Nous allons camper ici pour ce soir. Cependant, ne baissez surtout pas votre garde. »
Aussi fier qu’il soit, Yngvi était un général ayant une longue histoire de service militaire. Il savait au plus profond de son être que la moindre négligence sur le champ de bataille pouvait signifier la mort. Il ne serait pas assez fou pour continuer à marcher par orgueil alors que ses soldats étaient épuisés. Après tout, il aurait besoin des services des enfants et des petits-enfants de ses soldats. Il ne serait pas bon de les faire mourir en vain.
Décidant de leur prochain mouvement dans une tente qui avait été érigée, Yngvi réalisa soudainement qu’il y avait une activité chez les troupes de l’arrière.
« Hm ? » murmura-t-il. « Quoi... ? »
À peine avait-il commencé à se demander ce qui se passait que...
Bwooooooo !!! Bwooooooo !!!
Un bruit à se crever les tympans retentit dans toute la zone. C’était le bruit provoqué par une attaque ennemie.
« Bien, bien !! Je n’aurais pas pensé qu’ils oseraient lancer la première attaque ! » Les coins de la bouche de Yngvi se contractèrent en un rictus alors qu’il se levait. Il s’attendait à ce que le Clan de la Corne s’enfermerait comme une tortue dans sa carapace et qu’il ne voudrait surtout pas en sortir.
Mais c’était exactement ce que Yngvi espérait. Un siège aurait pris beaucoup trop de temps.
Comme il était en possession d’un territoire aussi vaste, la terre du Clan du Sabot avait des frontières avec bien plus de pays que les terres du Clan de la Corne. Il deviendra de plus en plus dangereux pour le Clan du Sabot de concentrer ses soldats uniquement sur le Clan de la Corne. Et si Yngvi, le souverain, restait trop longtemps loin de son pays, trop de choses seraient laissées inachevées. Donc, s’ils pouvaient tout régler sur le champ de bataille en une fois, ce serait une raison de grande célébration pour lui.
« Eh bien ! Maintenant, finissons-en rapidement avec eux, » dit-il avec confiance, debout pour examiner l’ennemi qu’il était sur le point de détruire.
Mais même cette arrogance avait été emportée aussi rapidement qu’une plume par le vent.
La tente d’Yngvi était située sur une haute colline à partir de laquelle il pouvait surveiller toute son armée. Un spectacle incroyable se déroulait maintenant au-dessous de lui, éclairé par des torches et le clair de lune.
« Q-Qu’est-ce que c’est !? » s’exclama Yngvi.
À en juger par le symbole qu’ils portaient, les soldats semblaient être membres du Clan du Loup. Ils étaient venus aider leurs proches du Clan de la Corne et ils s’étaient joints à la bataille. C’était bien. Tout se déroulait selon son plan.
Leurs nombres étaient encore plus faibles que ce à quoi il s’attendait. Il y avait probablement seulement une centaine de soldats dans cette troupe. Ce n’était absolument pas suffisant pour affronter l’armée du Clan du Sabot qui comptait environ 10 000 hommes.
Pourtant, toutes les cents membres du Clan du Loup étaient à cheval.
Et contre cette centaine de cavaliers, les troupes du Clan du Sabot avaient été incapables de riposter efficacement. Totalement surpassés par leur adversaire, ils réussissaient à peine à se battre et tombaient rapidement dans la panique, alors que des cris de douleur et d’angoisse s’élevaient du champ de bataille et que le camp lui-même tombait dans le chaos.
« Leurs troupes sont à cheval !? Des imbéciles ! Comment comptent-ils se battre !? » cria Yngvi.
Se battre à cheval demandait d’effectuer une longue période de formation. Au moins cinq ou dix ans. Peu importe le clan, être capable de trouver des individus qui pouvaient monter à cheval était difficile..., ils étaient une denrée rare.
Le Clan du Sabot était l’un des Grands Clans. Il y en avait un petit nombre qui pouvait monter à cheval. Yngvi lui-même était chevronné, et il était même parmi les meilleurs de son clan.
Pourtant, même avec ses compétences, il ne songerait jamais à se battre à cheval. Avec le peu de soutien offert au niveau de jambes, il y avait l’angoisse que le combat à cheval conduirait inévitablement à être mis à terre par son cheval puis abattu. Combattre avec l’ennemi à cheval était un jeu de hasard.
Ou c’était comme ça que cela aurait dû être.
Les troupes qui avaient lancé l’attaque de nuit tiraient flèche après flèche depuis des carquois attachés sur leurs dos, tandis que d’autres soldats frappaient à la vitesse de l’éclair avec des lances qu’ils tenaient fermement dans leurs mains, faisant rage avec une telle ferveur sans jamais perdre leur équilibre.
Ils utilisaient amplement la centaine de personnes à leur disposition, comme s’ils avaient été formés pendant des années pour cette attaque. Parmi eux se trouvait une femme assez jeune pour qu’on puisse l’appeler à la place une jeune fille.
C’était comme dans un cauchemar.
Yngvi s’était pincé dans sa cuisse, et avait bel et bien senti une poussée de douleur. Ce n’était pas un rêve, c’était la réalité.
« Cela... ne peut pas être possible ! » *Clack !* il avait giflé avec forces ses deux joues, essayant de revenir à la réalité.
C’était le champ de bataille, et en ce moment, ils étaient attaqués par l’ennemi. Et lui, en tant que commandant, ne pouvait perdre la tête maintenant.
« Calmez-vous tous ! » beugla-t-il. « Aussi inattendu que cela puisse être, l’ennemi n’est présent qu’en un petit nombre. Si nous restons calmes, nous pouvons les vaincre ! Messagers ! Informer les lignes de front ! Dépêchez-vous ! »
Yngvi avait crié si fort que sa voix avait semblé se casser, et ceux proches de lui s’étaient remis au garde-à-vous. Plusieurs de ses hommes s’étaient précipités vers les lignes de front en panique.
Quoi qu’il en soit, Yngvi était encore le héros qui avait uni le gigantesque Clan du Sabot. Les généraux ordinaires, se précipitant dans la confusion, ne feraient qu’aggraver la situation.
Il s’était rapidement ressaisi et s’était orienté vers la situation.
C’était facile à mettre en mots, mais la situation était chaotique, changeant d’instant en instant, et avec une erreur de calcul capable de transformer le cours de la bataille qui pouvait faire changer de la victoire à la défaite, il était très difficile de rester calme.
Plus que tout, la raison pour laquelle il avait été capable d’étouffer facilement le chaos sur les lignes de front était le respect et la confiance qu’il avait mérités grâce à ses nombreuses réalisations militaires, ainsi que sa volonté d’exécuter quiconque aurait poussé ses opérations militaires dans le désarroi.
Cependant, le général ennemi était assez capable. Dès qu’il avait vu que le Clan du Sabot s’était ressaisi, il avait ordonné une retraite. Ils s’étaient retirés soudainement et en douceur, sans soupçon de doute ou de confusion.
Alors qu’ils s’étaient préparés avec une contre-attaque, les soldats du Clan du Sabot étaient plus qu’un peu déçus.
« Ne les laissez pas s’enfuir ! »
« Attrapez-les ! »
« Faites-les tomber de leurs chevaux ! »
Naturellement, avec leurs cris de colère, les soldats du Clan du Sabot cherchaient à les poursuivre. Mais bien sûr, l’ennemi était à cheval alors ce n’est pas réalisable. Comme pour afficher clairement qu’il était impossible de les rattraper, ils s’éloignèrent lentement, jusqu’à ce que le Clan du Sabot les perde de vue dans l’obscurité de la nuit.
Après avoir tourmenté leurs forces, l’ennemi s’était échappé sans même avoir vu l’un de ses soldats se faire abattre. Il ne pourrait y avoir aucune plus grande disgrâce pour les soldats du Clan du Sabot.
Mais pour le Clan du Sabot, ce n’était que le début du cauchemar.
***
Partie 2
À peu près au même moment, une unité du Clan de la Corne avec à sa tête Linéa avait atteint la capitale du Clan de la Corne en toute sécurité, prête pour la bataille.
Cela faisait deux mois que Linéa n’était pas allée dans son bureau, mais elle n’avait pas le temps pour le sentimentalisme. Elle avait continuellement chassé tous ceux qui étaient venus lui rendre visite. Finalement, quand elle avait donné la plupart de ses instructions, son corps avait été saisi par une grande fatigue.
« Ces choses appelées étrier sont incroyables, » murmura Linéa, se penchant en arrière dans sa chaise.
Linéa ne possédait pas une très bonne compétence en équitation. Mais elle avait toujours été capable de parfaitement contrôler son cheval tout en le faisant avancer au trot, sans avoir besoin de faire passer sa monture sur une allure de galop.
De toute évidence, un cheval et son cavalier avaient chacun leurs propres volontés. Ce qui signifiait que, parfois, on agirait de manière imprévisible vis-à-vis de l’autre. Par exemple, même un frisson pourrait jeter le cheval dans un état de confusion. Dans ce cas, le cavalier perdrait probablement son équilibre et tomberait. Et en essayant comme il pourrait de rétablir leur posture, il n’y aurait rien à attraper sur le cheval pour s’aider.
C’est pourquoi le fait d’avoir ces étriers fournissait une certaine forme d’assurance pour tout changement qui pourrait survenir. Même au niveau de compétence de Linéa, elle pouvait galoper sur un cheval. Pour cette raison, les voyages qui prendraient normalement quatre jours en chariot avaient été raccourcis de deux jours. Cette différence représentait quelque chose d’énorme.
Au retour de Linéa, l’absence à la fois de la matriarche souveraine du Clan de la Corne et de son commandant en second avait conduit à un désaccord interne. Ce conflit était lié au fait de savoir si le clan devait se rendre face aux envahisseurs ou riposter. Si elle était arrivée même un jour plus tard, la scission entre les deux factions aurait complètement divisé le clan. La raison pour laquelle elle l’avait fait à temps était grâce à ces étriers.
Plus important encore, avec les étriers, il faudrait seulement un peu d’entraînement pour que les soldats apprennent à se battre avec des armes à cheval. Quand cela lui avait été signalé, elle avait réalisé qu’elle n’avait jamais envisagé cette possibilité. Ou plutôt, il serait juste de dire que ce n’était pas quelque chose qu’elle avait eu l’occasion de considérer, car la pensée de se battre avec des armes au sommet d’un animal si instable défiait tout bon sens.
Pour être sûr, ce n’était pas une question d’incompétence ou d’esprit borné. Les principaux soldats du Clan du Loup, Sigrun et le commandant en second Jurgen avaient beaucoup plus d’expérience à cheval qu’elle, ainsi que plus d’expérience avec les tactiques militaires. La même chose était vraie pour le héros du Clan du Sabot, Yngvi. Et même ainsi, ce n’était pas quelque chose qu’ils avaient même envisagé, pensant que c’était irréalisable.
Ce n’était pas une surprise, car l’étrier ne serait pas développé avant le quatrième siècle avant J-C, ce qui signifiait qu’ils voyaient un objet de près de deux millénaires dans le futur ! Pour Yuuto, il avait été complètement incapable de monter à cheval à un moment donné et il s’était demandé simplement si une selle et des étriers pouvaient le rendre plus facile pour lui, mais c’était une technologie tellement avancée pour cette époque que cela pourrait aussi bien être une tricherie.
« Pour commencer, il arrive avec ces longues lances, et maintenant ces étriers... Grand Frère Yuuto est vraiment un dieu de la guerre ressuscité, » murmura Linéa.
« Ce n’est nullement exagéré. Ce conseil de guerre qu’il a menée m’a donné des frissons. Haha ! » Le sous-commandant du Clan de la Corne, Rasmas, avait ri après ça. Comme si le fait de déclarer ses mots lui avait fait se rappeler de la scène, son corps avait instinctivement eu un petit frisson. « Pour le dire franchement, j’ai ressenti une telle indignation à la pensée que tu serais en aval d’un tel chiot, Princesse, mais il pourrait tout à fait être plus comparable à un lion... J’étais si aveugle. »
« Je suis surprise que tu admettes ça, Rasmas, » déclara Linéa. « Pourtant, cette bataille semblait si désespérée, et maintenant, il semble que nous pourrions gagner. ».
« Gagnons, peu importe comment. Nous ne devons pas nous laisser piétiner par le Clan du Sabot, » répliqua Rasmas.
« Oui, tu as raison ! » déclara Linéa, en faisant un signe de tête décidé.
Elle ne pouvait s’empêcher de penser que c’était sa propre faiblesse qui avait permis cette crise. Même après avoir assumé le rôle de général, elle n’avait jamais pu faire disparaître le doute constant quant à la possibilité qu’elle ne puisse pas gagner cette bataille. Mais elle n’avait pas de temps pour y penser maintenant. Tout ce qu’elle pouvait faire désormais était de donner tout ce qu’elle avait à ce qu’elle pouvait changer.
« Princesse, en cas de victoire dans cette bataille, j’ai une proposition, » déclara Rasmas d’un ton très formel.
« Pourquoi es-tu si formel ? » demanda Linéa. « Et c’est un peu hâtif de parler d’après victoire avant même que nous ayons gagné. »
Cette bataille était vraiment pour le destin et l’avenir du Clan de la Corne.
Ce n’était pas le moment pour les pensées oisives, c’était le moment de se consacrer corps et âme à la victoire. Sur les champs de bataille, le moindre manque de force mentale signifiait la différence entre gagner et perdre, ou plus importants, la vie et la mort.
Elle pensait que quelque chose comme ça aurait dû être bien plus évident pour un soldat comme Rasmas ayant un long passé militaire que pour quelqu’un de jeune comme elle.
Mais à la seconde où elle avait entendu la proposition de Rasmas, toutes ses pensées avaient été balayées. En fait, même si ça n’aurait pas dû être ainsi, pendant longtemps, l’esprit de Linéa s’était vidé de toutes pensées.
***
Partie 3
« Linéa, je suis désolé de vous avoir fait attendre, » déclara Yuuto.
Les principales troupes des forces du Clan du Loup sous le commandement d’Yuuto étaient arrivées à Fólkvangr après tout au plus quatre jours. C’était juste à temps pour servir de renforts aux troupes anxieuses du Clan de la Corne qui pouvaient entendre le Clan du Sabot à leur porte. Néanmoins, la vitesse de déplacements des soldats était limitée par l’unité la plus lente de l’armée. Pour le Clan du Loup qui se concentrait sur l’infanterie, ils étaient tout compte fait arrivés encore assez rapidement.
Les troupes du Clan du Loup avaient complètement écrasé les troupes du Clan de la Corne lors de leur dernière bataille, alors le Clan de la Corne connaissait mieux la puissance du Clan du Loup que n’importe quel autre clan d’Yggdrasil.
Les citoyens du Clan de la Corne regardaient maintenant avec une grande foi les soldats du Clan du Loup, qui s’étaient rassemblés au centre de la ville.
« Où est maintenant l’ennemi ? » Yuuto avait demandé cela à Linéa après être sauté de son char.
Il était venu la chercher.
En rencontrant le regard d’Yuuto, le visage de Linéa avait rougi si vite qu’il semblerait presque entendre le sang qui se précipitait dans son visage. « Hein !? Quoi !? »
« Hm ? Qu’est-ce qui ne va pas ? Avez-vous contracté un rhume ? Je ne voulais rien dire, mais vous avez l’air un peu souffrante, » déclara Yuuto.
« N-NNN-Non ! Puisque nous sommes sur le point d’entrer dans la bataille, je suis juste excitée, c’est tout ! C’est seulement à cause de ça ! » répondit Linéa.
« Holà ! Vous êtes bien trop remontée quant à ça. Si le commandant suprême du Clan de la Corne n’est pas plus pondéré, peut-il vraiment faire son travail ? » déclara Yuuto d’une voix surprise, alors que son visage indiquait un certain malaise.
Un commandant suprême était responsable de la vie de toute une armée. La moindre erreur de calcul pourrait signifier la différence entre la vie et la mort pour beaucoup d’individus.
Dans ces moments-là, le général d’une armée amie avait besoin d’instaurer le bon état d’esprit à son allié.
« Ah, bon sang ! C’est parce que Rasmas m’a dit quelque chose de bizarre, » murmura Linéa. « Je suis tellement inquiète que je ne peux pas vous regarder dans les yeux, Grand Frère ! »
« Hein !? Avez-vous dit quelque chose ? » demanda Yuuto.
« Non ! Rien du tout ! » répondit Linéa.
« Je vois. Alors ? » demanda Yuuto.
« Oui ? Que voulez-vous dire par “Alors” ? » demanda-t-elle à son tour.
À la stupéfaction de Linéa, Yuuto se grattait le visage en signe de vexation. « Je vous ai demandé quelque chose ! Où est maintenant l’ennemi ? »
Bien qu’Yuuto soit normalement gentil avec n’importe quelle fille qu’il se devait de protéger, en ce moment, au bord de la bataille, il avait épuisé sa patience. Il ne pouvait pas s’empêcher de lui parler d’une voix un peu rude.
Linéa avait repris ses esprits en transmettant les informations demandées. « Je... Je suis désolée ! Selon les estimations de ce que nos éclaireurs nous ont rapporté, ils avancent alors qu’ils se situent à moins d’une demi-journée de marche de nous. »
« Une demi-journée, hein !? Ouf, nous sommes vraiment arrivés à temps, » déclara-t-il.
À côté d’Yuuto, son adjuvant Félicia avait également poussé un soupir de soulagement. « C’est vraiment le cas. Si la capitale avait été prise avant notre arrivée, ce serait la pire situation imaginable, alors je suis vraiment soulagée. »
Cependant, quand elle tourna son regard vers Linéa, elle poussa un lourd soupir chargé d’émotions.
« Eh bien ! Je suppose que, même dans un tel cas, Grand Frère avait déjà techniquement conquis cette ville, » déclara Félicia. « Cela pourrait parfaitement être une autre facette de ta nature incroyable, mais de penser que tu ne ferais pas de discrimination contre une autre nation, Grand Frère... »
« Non, non, c’est différent de ces forts que j’ai capturés avant, » déclara Yuuto. « Dans tous les cas, prendre une cité de cette taille serait difficile. »
« Hehe ! Grand Frère, tu pourrais probablement la prendre sans même aller au combat, » Félicia avait ri d’une manière très suggestive, ce qui fit qu’Yuuto se demanda quand elle cesserait finalement de le surestimer.
Il n’avait pas réalisé la véritable signification derrière les paroles de Félicia.
Quoi qu’il en soit, blâmer quelqu’un en ce moment semblait trop sévère. Yuuto se souciait uniquement de savoir s’il pouvait ou non gagner la bataille. Il y avait beaucoup de choses qui devaient être faites pour le permettre.
Et la question en ce moment était...
« D’accord... commençons par manger ! » Yuuto s’adressa aux autres d’une voix aiguë, s’installant sur place en s’asseyant les jambes croisées. « Ceux qui le désirent peuvent boire un verre d’alcool. »
Son adjointe, Félicia, avait commencé à émettre des ordres à ceux qui se tenaient à proximité afin de faire préparer la nourriture. Mais les yeux de Linéa s’écarquillèrent largement sous le choc.
« Hé ! Pour commencer, de la nourriture et maintenant de l’alcool ! Comment pouvez-vous être si décontracté !? Grand Frère, le Clan du Sabot est presque là ! » s’écria Linéa. « Nous sommes dans tous les cas désavantagés en nombre, nous devons donc nous dépêcher de trouver une position avantageuse et mettre nos soldats en position. »
« “Attendez tranquillement ceux au lointain, attendez-les alors qu’il se fatigue tout en restant dans le confort, attendez les affamés avec le ventre plein. Voilà la maîtrise de la force.”, Linéa, » déclara Yuuto.
« Hein !? Q-Qu’est-ce que ça veut dire ? » La bouche de Linéa était grande ouverte face au difficile dicton mémorisé par Yuuto.
C’était comme si elle comprenait à peine son sens.
« C’est un verset des paroles d’un manuel de guerre de Sun Tzu, qui ont longtemps été louées et qui sont restées pertinentes pendant plus de 2 500 ans, » répondit Yuuto. « Nous campons dans un endroit avantageux et attendons que l’ennemi arrive de loin, nous nous reposons et attendons nos ennemis épuisés, et nous mangeons au contenu de notre cœur afin d’attendre nos ennemis affamés. C’est ainsi que nous maîtrisons la force. »
Yuuto déclarait cela avec autorité comme s’il comprenait parfaitement de quoi il parlait, même s’il ne faisait que répéter le manuel de guerre de Sun Tzu. Yuuto avait estimé que les implications de ces mots étaient plutôt évidentes. Il devait rendre hommage à Sun Tzu pour le livre qu’il avait écrit.
En tout cas, les mots de l’homme correspondent parfaitement à la situation actuelle du Clan du Loup.
« Ils viennent de loin, ils sont fatigués et ils n’ont pas mangé, » expliqua Yuuto. « Il n’y a aucune chance qu’ils puissent faire un étalage de leur force dans une telle situation. Alors... commençons à manger ! » Yuuto échangea des regards amusés avec Linéa, les coins de sa bouche se tordant vers le haut.
« Je... Je vois. Cela vous ressemble tellement, Grand Frère. De penser que vous seriez si familier avec un tel manuel de guerre si ancien ! » Linéa interjeta encore et encore, exprimant apparemment son admiration sincère.
En dépit de tous les problèmes qu’Yuuto lui avait occasionnés, le réconfort qu’il avait apporté maintenant était équivalent de lui avoir fourni 100 000 soldats. Elle avait répété ses paroles jusqu’à ce qu’elles rentrent en elle, les gravant ainsi dans son cœur.
« Euh ! Mais nous sommes supposés faire notre camp quelque part sur une position avantageuse, non ? » demanda-t-elle. « Si nous prenons une trop longue pause, ne manquerons-nous pas de temps ? »
« Sun Tzu a également dit qu’en faisant usage de détours, nous pouvons toujours avoir une certaine forme d’avantages. Nous avons déjà prévu pour cela, » répondit Yuuto.
« C-C’est vrai ! » Les joues de Linéa se mirent aussi tôt à rougir, alors que sa voix tremblait en raison de l’émotion. Elle s’était maintenant assise par terre. Ses yeux alors qu’elle regardait Yuuto débordaient d’adoration. C’était pourquoi elle ne l’avait pas réalisé.
Yuuto débordait d’une confiance superficielle, mais son poing était serré en raison de l’inquiétude. « Run... ne meurt pas, » murmura-t-il si faiblement afin que Linéa ne puisse pas l’entendre.
En tant que patriarche souverain, il avait envoyé son guerrier le plus fort parce qu’elle était la meilleure pour cette mission. Il avait refusé de voir cela comme une erreur à ce moment de l’histoire. Mais dans ce monde, Sigrun était une amie précieuse pour Yuuto. Le cœur d’Yuuto avait été déchiré par la perspective qu’il puisse l’envoyer à une mort certaine.
Une voix ferme et douce vint chatouiller le lobe de l’oreille d’Yuuto. « Grand Frère, Run ira bien. Elle peut faire face à cela. »
Même si Félicia n’aurait pas pu entendre ses murmures, il semblait que ses angoisses l’avaient atteinte, et tout de suite après ça, des larmes apparurent dans les yeux d’Yuuto, prêtes à se répandre. Cet adjudant de classe supérieure ne semblait pas être quelqu’un face à qui il pouvait efficacement garder ses secrets.
Se levant soudainement, il posa ses lèvres près de l’oreille de Félicia. « Je... suis celui qui a décidé que de se battre serait la meilleure option. Je pense toujours que, pour le Clan du Loup, c’était sans aucun doute le meilleur choix. Mais... si nous nous rendions et donnions notre terre, au moins tout le monde échapperait à la mort. »
En tant que celui qui avait décidé qu’ils allaient au combat, il savait qu’il était la dernière personne à pouvoir dire quelque chose comme ça. Ses propres mots lui avaient donné envie de vomir. Mais même ainsi, le doute rongeait son cœur.
Même s’ils devenaient des esclaves forcés à travailler dur, ou étaient taxés de plus en plus impitoyablement, leurs vies devenant de véritables calvaires, cela serait très certainement préférable que la mort, pensa-t-il. Afin de protéger les citoyens du Clan du Loup, il avait envoyé certains de ces citoyens à une mort certaine. N’était-il pas en train d’envoyer mourir des individus sur un coup de tête ?
Chaque fois qu’ils étaient allés au-devant d’une bataille, il s’agissait des incohérences qui surgissaient dans son esprit.
« Grand Frère. Je ne désire pas la “vie paisible” d’une esclave, » déclara Félicia, les yeux pleins de détermination. « Tout le monde ici ressent la même chose. Qui dans le monde souhaiterait que leurs épouses, leurs parents et leurs grands-parents, leurs frères et sœurs ou leurs enfants souffrent de telles douloureuses expériences ? Tous ceux qui se sont rassemblés ici l’ont fait afin de protéger leur famille ! »
« Tout le monde ressent... la même chose que moi ? » répéta-t-il.
Cela ne peut pas être..., la voix de la raison avait fait écho dans un coin de l’esprit d’Yuuto.
Peu importe combien c’était difficile, il devrait y avoir quelqu’un qui pensait que toute solution de remplacement était préférable à la mort.
Mais même ainsi, il voulait que quelqu’un reconnaisse ses choix. Et que cette même personne lui dise qu’il ne se trompait pas.
Le fait de tenter de protéger quelqu’un augmentait la probabilité de mourir. Afin de prendre une décision pondérée, il devrait d’abord dissiper tous ses doutes.
« Oui ! Tu es notre souverain ! » déclara Félicia. « Si tu nous dis que le blanc est noir, alors nous le prétendrons nous-mêmes, si tu nous dis de nous battre, alors nous nous battrons, si tu nous dis de mourir, alors nous mourrons. Oui, pour nous, tu es absolu ! Il y a longtemps, quand nous avons partagé le Calice avec toi, nous t’avons ainsi confié nos vies. Donc, s’il te plaît... utilise-nous comme bon te semble ! »
« ... Bon sang ! Être le souverain est après tout un travail sérieux, » s’exclama Yuuto.
Il était libre de faire n’importe quoi. Il serait pardonné pour tout. Mais être un souverain était un lourd fardeau. Celui qui avait dit que la liberté et le devoir allaient de paire avait bien dit que les choses étaient ainsi.
***
Partie 4
Bwoooooo ! Bwooooooo !!
« Hein !? Encore !? » Yngvi presta sur la corne de guerre. Il devenait malade de l’entendre sonner attaque après attaque, jour après jour. Il ne pouvait pas dormir comme ça.
Dès l’attaque initiale, pendant trois jours et trois nuits, Yngvi et le Clan du Sabot avaient subi des attaques intermittentes de la part des troupes à cheval.
Il s’agissait toujours de la nuit quand ils décidaient d’attaquer vraiment. Ils se glissaient dans l’obscurité et lançaient leur assaut.
Il semblerait que l’ennemi savait qu’une alerte était en train d’être sonnée, donc ils n’avaient pas eu l’occasion de se précipiter en profondeur dans la formation comme ils l’avaient fait la première fois.
Ils étaient arrivés dans le camp tout en soulevant un nuage de poussière, et dès qu’ils avaient su que l’ennemi était là, ils avaient lâché une volée de flèches, puis ils s’étaient retournés avant de se retirer.
Cette fois, c’était la même chose. Au moment où Yngvi arrivait afin de poser les yeux sur eux, ils avaient déjà commencé leur retraite, et peu de temps après ça, ils avaient disparu dans l’obscurité.
« Lâches ! Chaque fois, vous tournez les talons et fuyez ! » rugit Yngvi. « Ne pouvez-vous pas vous battre de front !? »
Alors qu’il sombrait dans la colère, Yngvi avait donné dans un coup de pied dans un tronc d’arbre qui se trouvait à proximité. Alors qu’il était incapable de réprimer sa rage, il tapait du pied.
Afin de faire face aux attaques-surprises constantes, ils avaient, pendant deux jours, maintenu une formation de combat dans laquelle les troupes du Clan du Sabot faisaient un cercle autour de Yngvi, ou ce que l’on pourrait appeler aujourd’hui dans le Japon, la formation de batailles du « carré et du cercle ».
Grâce à cette formation, les pertes avaient été drastiquement réduites, mais le moral du Clan du Sabot avait considérablement diminué. Vivant dans une peur et une tension constantes, ne sachant jamais quand ils pourraient être attaqués, ne pouvant jamais baisser la garde, incapable de faire une contre-attaque, et ne sachant jamais quand cesseraient ces attaques... cela suffisait pour épuiser le cœur le plus vaillant.
Cela étant dit, ils savaient déjà que l’ennemi approchait. Ils ne pouvaient pas baisser la garde maintenant. Et il était évident que s’ils hésitaient, l’ennemi verrait cela comme une opportunité et lancerait une attaque.
Ils avaient envoyé des éclaireurs afin de patrouiller, mais dans l’obscurité de la nuit, repérer l’ennemi était difficile. Et plus que tout, l’ennemi était rapide.
Il était vrai que, du fait d’être facilement visible à la lumière du jour, l’ennemi n’attaquerait pas durant cette période. Mais les soldats du Clan du Sabot étaient si fatigués en raison des attaques nocturnes qu’ils durent faire de nombreuses pauses. La formation de bataille « du carré et du cercle » qui avait si bien marché contre l’ennemi n’était pas bien adaptée pour les déplacements. La vitesse de marche du Clan du Sabot avait sensiblement baissé.
C’était tout simplement la situation qu’Yuuto visait à obtenir. Les forces du Clan du Sabot, qui comptaient une dizaine de milliers de personnes, étaient ridiculisées par une centaine de cavaliers.
« Enfin l’aube, je vois, » Yngvi regarda d’un air somnolent le ciel de l’est, maintenant teint d’un pourpre pâle.
Leurs plans prévus initialement avaient été longtemps retardés, mais ils allaient finalement atteindre Fólkvangr avant midi. Même s’ils attaquaient la forteresse du Clan de la Corne et mettaient un terme à ces agaçantes attaques à cheval qui les harcelaient depuis des jours, ils ne pouvaient toujours pas y aller en douceur.
La rage que Yngvi avait ressentie jusqu’à ce moment-là était comme une torture sans fin. Après avoir effectué des vœux à lui-même dans les profondeurs de son cœur, Yngvi retourna dans sa tente et ferma les yeux.
Après avoir passé la nuit à surveiller la venue de la prochaine attaque, il n’avait pas dormi. Les soldats ne pouvaient pas faire une démonstration de leur puissance s’il manquait de sommeil. S’attendre à une perfection quant au fonctionnement de son corps était une habitude connue de Yngvi.
Épuisé, le sommeil était très rapidement venu à lui.
Bwoooooo ! Bwooooooo !!
Le son retentissant des cornes de guerre le réveilla une fois de plus.
Au cours de ces trois derniers jours, les attaques n’étaient produites que la nuit, donc ils avaient été négligents.
Mais l’ennemi n’agissait pas comme il aurait pu s’y attendre. Il était irrité de sa propre naïveté.
Yngvi hurla, stimulé par cette irritation. « Où sont-ils cette fois-ci !? »
« Ils viennent de Fólkvangr ! Cette fois-ci, ce ne sont pas les troupes à cheval ! Une première estimation du nombre de soldats ennemis indique qu’ils sont au moins 3000. Nous pensons que cela peut être l’armée principale de l’ennemi ! »
« Ah ! Passons vers une formation resserrée. Agissez le plus rapidement possible ! » Yngvi avait déclaré ses instructions avec une certaine panique dans sa voix.
La formation du « carré et du cercle » avait été très efficace contre les attaques surprises venant de toutes les directions, mais elle était très faible contre une attaque venant d’une seule direction. S’ils se battaient avec un tel arrangement de troupes, ils subiraient d’importantes pertes.
Les soldats du Clan du Sabot étaient hautement qualifiés, et leurs officiers avaient été sélectionnés parmi les meilleurs et placés selon leurs forces. En des circonstances normales, ils auraient fait préparer leurs soldats en un clin d’œil.
Mais, avec l’état mental actuel des troupes du Clan du Sabot qui était aussi tendu, au moment pile où ils avaient prévu de se reposer à l’aube, ils avaient finalement été bousculés. Ils étaient fatigués de ne pas pouvoir dormir suffisamment, et ce fut le dernier coup porté à leur moral déjà très bas.
La réorganisation de la formation de batailles avait pris trop de temps et, dans l’intervalle, l’armée ennemie avait chargé leur camp dans un nuage de poussière.
De cette manière, le rideau se leva sur la bataille entre le Clan du Sabot et les armées conjointes du Clan du Loup et du Clan de la Corne.
Les cris de guerre et les cris résonnaient sans cesse des deux côtés.
Les deux parties s’étaient battues avec une soif de sang qui avait envahi le champ de bataille, comme s’il s’agissait de la manifestation de leurs cœurs blessés. Le champ de bataille débordait de signes annonciateurs de la mort, à tel point que l’on pouvait le ressentir dans leur chair.
Les armées conjointes du Clan du Loup et du Clan de la Corne avaient organisé leurs troupes en formation triangulaire, les troupes du Clan du Loup servant de garde centrale et les troupes du Clan de la Corne qui se plaçait sur les flancs droit et gauche. C’était une formation ressemblant à une écaille de poisson, parfaite pour mettre quelques troupes à l’avant afin de percer.
« D’accord, continuez ! » À l’avant même du triangle, Yuuto menait l’attaque du haut de son char. Avec un grand cri, il avait encouragé ses troupes à l’avant, craignant que leur résolution ne se brise à tout moment.
Probablement grâce aux efforts de Sigrun, les soldats du Clan du Sabot étaient prêts à fuir, et avec cette attaque, beaucoup d’entre eux étaient incapables de faire face. Avec la vigueur de leur assaut, ils avaient traversé les forces ennemies.
Une bataille était principalement gagnée par des nombres. Cela impliquait que se battre face à face en résultait une défaite de plein fouet. Mais la stratégie employée par Yuuto causait une perturbation.
Sun Tzu avait dit que c’était une façon de faire pour qu’une petite force puisse renverser une plus grande. « Si l’ennemi prend ses aises, vous pouvez le harceler, s’il est bien nourri, vous pouvez l’affamer, s’il campe tranquillement, vous pouvez le forcer à se déplacer. »
Ceci se superposait à ce qu’Yuuto avait dit à Linéa à Fólkvangr. « Attendez tranquillement ceux au loin, attendez-les alors qu’ils se fatiguent tout en restant dans le confort, attendez les affamés avec le ventre plein. Voilà la maîtrise de la force. » Cela avait été un point de vue important tenu par Sun Tzu.
Alors qu’ils n’avaient pas pu affamer les troupes, deux sur trois n’étaient pas mauvais. Même s’il y avait encore beaucoup de troupes ennemies, il n’y en avait pas autant qu’il y en avait avant.
Les forces du Clan du Loup avaient facilement diminué le nombre de soldats du Clan du Sabot, leur tirant dessus et les abattants au corps à corps. Alors qu’Yuuto commençait à sentir que c’était devenu un massacre unilatéral, et cette victoire était assurée...
« Grand Frère ! Le général du Clan du Sabot a repris le contrôle de ses troupes ! » lui déclara Félicia.
« Zut ! Déjà ? Je ne devrais pas en attendre moins de l’homme qui a construit une si grande nation en une génération. » Yuuto fit claquer sa langue.
Il avait prévu pour eux d’avancer avec leur élan initial et de dégager les forces ennemies, en mettant à terre les généraux dans le processus, mais il semblerait que les choses n’allaient pas se dérouler comme prévu. L’ennemi s’était ressaisi plus vite qu’il ne l’avait anticipé.
En un clin d’œil, la ferveur du Clan du Loup s’était émoussée. Yuuto, ayant pris le commandement, réalisa que le côté du Clan du Sabot avait la puissance de facilement les repousser.
« D’une certaine manière, il semble que nous ne serons pas en mesure de résoudre cela par des moyens ordinaires, » sentant une bataille difficile se profiler, Yuuto mordit durement sa lèvre.
***
Partie 5
D’un autre côté, en grinçant des dents, Yngvi ressentait la même chose.
Dans le chaos du début de la bataille, ils avaient pu réduire au maximum les pertes de leur côté, et il avait rassemblé ses troupes et lancé une contre-attaque, mais il ne ressentait plus que la victoire lui soit assurée. Il n’aurait jamais imaginé qu’il puisse être constamment assailli par une si petite armée !
Cette situation était probablement due à la fatigue des jours sans sommeil et à la baisse du moral. Mais plus important encore que cela...
« C’est quoi ces lances !? » cria Yngvi.
Tout comme ils l’avaient fait lorsqu’ils combattirent le Clan de la Corne, le Clan du Loup brandissait des lances en formations serrées qui doublaient leur portée d’attaques. Les attaques du Clan du Sabot ne pouvaient pas atteindre l’ennemi, et le Clan du Loup pouvait encore lancer une contre-attaque unilatérale.
Si cela n’avait été qu’une simple bataille où les soldats brandissant des lances ne pouvaient que poignarder leur opposant, il serait facile d’esquiver l’attaque et d’aller les tuer au corps à corps. Mais comme il y avait trop de lances rassemblées, il n’y avait pas d’ouvertures pour passer à l’attaque, et aucun moyen d’échapper aux contre-attaques. Et ce n’est pas tout, ils avaient facilement réussi à percer à travers les boucliers de bronze du Clan du Sabot. Ces boucliers ne pouvaient pas arrêter les attaques de lance. C’était, en vérité, la chose la plus frustrante de toutes.
« Se pourrait-il qu’elle soit fabriquée en fer !? » se demandait Yngvi.
Comme il s’agissait de l’âge du bronze, ces personnes-là ne savaient pas encore comment affiner correctement le fer. Pourtant, cela ne signifiait pas qu’ils ne savaient pas ce qu’était le fer. Ils avaient trouvé du fer dans les météorites, qui étaient elles-mêmes rares, mais qui contenaient souvent de grandes quantités de métal. Sur Yggdrasil, ce métal qui tombait du ciel et qui était infiniment plus robuste que le bronze avait été longtemps prisé comme bijoux ou pour sa valeur marchande.
« Mais ils ne pourraient pas en avoir autant..., » il était en train de réfléchir frénétiquement à la situation. « Ont-ils trouvé un moyen de fabriquer du fer !? »
Même si c’était difficile à le croire, il s’agissait de la seule conclusion qu’il pouvait trouver. Le fer était normalement un matériau rare qui ne pouvait être trouvé qu’en le récupérant dans les météorites. Même un grand clan comme le Clan du Sabot en avait très peu. Il ne pouvait pas imaginer un clan appauvri des montagnes possédant une si grande quantité.
« Huhoho ! J’avais entendu ces marmots du Clan du Loup qui débitaient à propos de ces trucs étranges. Il semble que c’était vrai. Fascinant ! Vraiment fascinant ! » Yngvi ne pouvait pas réprimer le rire qui avait jailli telle une explosion.
C’était sûrement à cause de ces armes que le Clan du Loup possédait la puissance lui permettant de s’opposer et de détruire le Clan de la Corne et le Clan de la Griffe.
« Hé hé, j’ai vraiment de la chance. Ceci signifie sûrement que les cieux se sont alliés avec moi, » continua Yngvi.
Avec des matériaux aussi impressionnants, le Clan du Loup pourrait tuer d’autres clans dérisoires. Le cœur de Yngvi avait gonflé avec un respect non compromettant.
Si le Clan du Sabot était équipé d’armes en fer, elles deviendraient encore plus puissantes et la force militaire suprême d’Yggdrasil serait encore plus menaçante.
« Une telle force pourrait changer la face du monde, » dit-il avec respect et admiration.
Avec l’expérience de centaines de batailles derrière lui, les mots de Yngvi étaient précis dans leur clairvoyance.
Si l’on examine l’histoire ancienne de l’Est, ceux qui avaient eu cet avantage avaient été les Hittites qui avaient réussi à raffiner le fer plus tôt que les autres. Ainsi, ils étaient devenus un pays qui avait établi une hégémonie et tenu le monde de l’âge du bronze à leur portée.
« Maintenant, que ferons-nous ? » Yngvi se lécha les lèvres et tourna de nouveau les yeux pour observer le champ de bataille.
Certes, avec les longues lances en fer, le Clan du Loup était une menace. Bien que leur nombre soit inférieur à 2 000, les guerriers les plus prestigieux de l’armée du Clan du Sabot qui avaient réprimé Álfheim ne seraient pas de taille face à ça. Il y avait une réelle possibilité que si le Clan du Sabot les attaquait de front, les hommes du Clan du Loup puissent décimer cette armée de 10 000 hommes.
Cela étant dit, c’était seulement s’ils les attaquaient de front.
« Hmph ! Ils ont perdu ! » cria Yngvi.
C’était sûr, ces longues lances étaient effrayantes en face à face. Il pensait que, une fois rentrés chez eux, ils allaient concevoir une troupe en utilisant des armes similaires. Cependant, avec cette formation de combat rapprochée et une longueur considérable, il ne semblait pas du tout que des virages serrés fonctionneraient bien pour eux. S’ils se battaient contre leurs ennemis selon le bon angle, cela pourrait être gênant pour leurs opposants.
En d’autres termes, s’ils lançaient une attaque depuis le côté, les forces ennemies ne seraient pas en mesure d’effectuer une contre-attaque décente.
En plus de cela, le Clan du Sabot avait ses cinq cents chars bien-aimés. Si l’on tenait compte uniquement des chiffres pour calculer le pouvoir militaire, le Clan du Sabot, qui avait massacré de nombreux ennemis, aurait obtenu une victoire rapide.
« Hehe haha ! Cette parcelle de terre plate que ces fous ont choisie sera leur chute, » déclara-t-il.
Les grandes roues sur les chars limitaient sévèrement leurs mouvements.
La seule faiblesse du char était le terrain sur lequel il pouvait être utilisé, mais cela ne serait pas un problème ici.
Un général aussi expérimenté qu’Yngvi en savait assez pour envoyer un espion faire une enquête préliminaire sur le territoire du Clan de la Corne afin qu’ils puissent planifier l’itinéraire qui montrerait le mieux la puissance de leurs chars.
Se promenant sur son char préféré, Yngvi avait ri sans peur. « Je terminerai cette bataille de mes propres mains ! »
***
Alors que leur souverain patriarche se dirigeait vers le front, les soldats du Clan de la Corne laissèrent échapper un cri de guerre.
« Incroyable ! Nous pouvons gagner cette bataille ! » s’exclama Linéa, alors que les troupes du Clan du Loup franchissaient l’avant-garde avec une avance constante.
Ses propres troupes avaient autrefois beaucoup souffert alors qu’elles étaient à la merci des lanciers. Si quelqu’un connaissait la menace qu’ils représentaient, c’était bien elle.
C’était exactement pourquoi elle savait que son clan n’avait aucun allié plus fiable qu’eux.
« Attaque venant du côté gauche de l’ennemi ! » s’écria-t-elle. « Les voilà ! »
Son corps avait tremblé.
Linéa avait récemment connu une série incessante de défaites. Elle se disait que ce n’était pas le moment de s’inquiéter de savoir si elle était digne de commander ses troupes, et elle fit de son mieux pour surmonter ses doutes.
Avant que la bataille ne commence, Yuuto avait dit à Linéa que l’unité des longues lances était faible face à une attaque latérale. Cela faisait si peu de temps qu’elle était devenue sa subordonnée, alors les choses que son frère aîné avait partagées avec elle avaient laissé une profonde impression sur son cœur. Elle voulait être à la hauteur de ses attentes. En effet, elle avait fait le vœu de le faire.
« Uwah ! »
Mais tous ces sentiments avaient soufflé comme de la poussière dans le vent quand elle avait vu l’ampleur des forces ennemies. Linéa avait beaucoup d’expérience sur le champ de bataille. Même quand elle avait affronté l’unité des lances longues, son cœur avait brûlé de haine, mais n’avait jamais été paralysé par la peur.
Un grand nombre de chevaux, chacun plusieurs fois plus grand qu’un humain, avançait, et leurs mouvements faisaient même trembler la terre. Leur taille écrasante avait provoqué une véritable vague de terreur.
Il semblait que ses propres soldats ressentaient la même chose. Ils étaient tous en train de perdre leur sang-froid en voyant l’unité de chars approcher d’eux dans un nuage de poussière.
« Tenez votre position et résistez ! Si nous pouvons les retenir, la victoire sera nôtre ! » Linéa cria de toutes ses forces, mais ses mots n’atteignirent pas ses soldats.
Les soldats du Clan de la Corne étaient tombés dans un état de panique. Ils avaient perdu avant même que la bataille ne commence.
« Uwaaaaaagh!! »
« Eeeeeek!! »
Au moment où les deux armées s’étaient affrontées, des cris avaient pu être entendus depuis la ligne de front.
L’unité des chars avait très facilement et sans résistance brisée la ligne de front et avait fendu les forces du Clan de la Corne en deux.
Au centre de l’avant-garde, ce qui ressemblait à un géant se tenait là, choquant tous ceux qui le regardaient par sa terrifiante présence. Il balayait autour de lui sans retenue une lance géante tel un démon en colère. Il fauchait les troupes du Clan de la Corne avec ses attaques vicieuses. Comme s’ils agissaient en réponse à ça, les soldats du Clan du Sabot lancèrent des cris de guerre qui semblaient secouer le sol. Ils essayaient sûrement de se remonter le moral.
« Il-Il n’y a aucune chance que nous puissions gagner contre eux ! » Linéa grinçait des dents en raison de son désespoir.
Plus que sa propre mort, Linéa craignait de ne pouvoir protéger tout le monde. Bien qu’elle ait fait tout ce qui était en son pouvoir, la dure vérité avait été mise à nu pour que tout le monde puisse la voir. Elle savait désormais qu’elle était réellement impuissante. Voilà sa vérité. Ses subordonnés bien-aimés étaient transformés en cadavres, les uns après les autres.
« Sauvez-les... s’il vous plaît, sauvez-les tous, Grand Frère ! » plaida-t-elle en l’air.
***
« Ils continuent toujours !? » Yuuto se mordit la lèvre, fixant l’impasse avec un regard sombre clairement visible dans ses yeux.
L’ennemi n’était pas un imbécile. Afin d’éviter d’affronter les longues lances, la ligne de front ennemie s’était positionnée sur la défensive, tout en lançant des volées de flèches depuis leur arrière.
Peu à peu, les soldats du Clan du Loup commençaient à subir des pertes. Il était clair que, même s’ils avaient causé beaucoup plus de pertes à l’ennemi, s’ils continuaient à subir des dommages comme maintenant, ils seraient désavantagés par le nombre de troupes restantes.
« Grand Frère, les troupes du Clan de la Corne sur notre flanc gauche sont attaquées par des chars ! » annonça Félicia.
« Il semble qu’ils aient compris notre point faible ! » se plaignit Yuuto.
Il s’agissait de la première fois que le Clan du Sabot faisait l’expérience des tactiques spécialisées de l’ennemi. Et dans ce court laps de temps, ils avaient vu à travers le point faible des troupes équipées de longues lances et avaient changé leur stratégie en conséquence. La capacité de parvenir à une telle conclusion au milieu de tout ce chaos et de lancer une contre-attaque si tôt après le début du combat était vraiment admirable.
Yuuto ne pouvait pas s’empêcher de considérer le général ennemi comme étant quelqu’un d’exceptionnel. Il s’agissait vraiment d’un adversaire gênant contre qui il était difficile de se battre.
« Mais dans ce jeu de tactique... On dirait que je suis le vainqueur... Eh bien... cependant dans mon cas, j’ai triché, » déclara Yuuto, les coins de sa bouche se contractèrent en un sourire.
Une autre partie du passage qu’il avait lu dans les écrits de Sun Tzu lui était venue à l’esprit. « En leur offrant des avantages, on peut amener l’ennemi à s’approcher de lui-même. »
En d’autres termes, vous pourriez faire en sorte que l’ennemi vous approche d’eux-mêmes, exactement selon vos plans, aussi longtemps que vous les trompez en leur faisant croire qu’ils ont quelque chose à y gagner.
Après avoir affronté la menace provoquée par les troupes à longues lances, l’ennemi devrait certainement comprendre leur point faible, et ensuite d’aller les attaquer comme ils le faisaient maintenant. Ils l’avaient fait avec l’unité la plus forte dans cette période, les chars.
Donc, ce serait le moment et l’endroit idéal pour mettre en place un piège.
En temps de guerre, abaisser le moral de l’ennemi était essentiel. Il faudrait briser ce à quoi l’ennemi avait mis sa confiance jusqu’à ce que plus rien ne reste. Les attaques psychologiques étaient d’une grande importance.
Si un ennemi perdait son dernier rayon d’espoir, même une armée d’une dizaine de milliers d’hommes serait simplement une foule géante sans réelle force. Et si cela arrivait, cette foule ne serait plus un ennemi capable d’affronter le Clan du Loup.
C’est à toi de jouer, Run, Pensa Yuuto. Détruis-les !
***
Partie 6
Hmm, alors ils ont finalement sorti les chars, Mordant dans une miche de pain, Sigrun surveillait le champ de bataille depuis une forêt un peu plus loin.
L’unité Múspell, dirigée par Sigrun, était restée cachée dans la forêt à quelques pas de Fólkvangr afin de se reposer pour le prochain jour... ou nuit... de bataille.
Tout comme le Clan du Sabot qui avait été régulièrement poussé à l’épuisement par des attaques surprises, l’unité Múspell avait dû attaquer une armée ayant une force écrasante, et cela attaque après attaque, jour et nuit. Cela les avait donc également affectés.
Si leur cachette avait été découverte et qu’ils se retrouvaient entourés, les choses seraient finies pour eux. Il leur fallait être attentifs à tout moment, et pas seulement pendant la bataille.
De plus, cette stratégie reposait fortement sur la vitesse, et ils devaient donc être prêts à agir en un instant. Les rations qu’ils avaient emportées avec eux avaient été rapidement épuisées, alors ils avaient survécu grâce aux aliments achetés localement. Yuuto du Clan du Loup avait prévenu que le pillage était inacceptable, donc des pépites d’argent devaient être utilisées afin de pouvoir faire des échanges pour de la nourriture.
Comme le Clan de la Corne bénéficiait des terres fertiles le long du bassin de la rivière Körmt, ils s’attendaient à pouvoir trouver de la nourriture le long des berges de la rivière, mais comme ils ne connaissaient pas les terres, trouver des villages s’avérait difficile. Comme ils avaient à peine pris quelque chose qui ressemblait à une véritable pause, l’unité Múspell était encore plus épuisée que les troupes du Clan du Sabot.
« Ohh, on dirait qu’ils ont compris, » s’exclama Sigrun, avec un peu d’admiration.
Si un ennemi devait être acclamé pour sa force ou sa ruse, alors elle leur afficherait le respect approprié. C’était la façon dont un vrai soldat comme Sigrun voyait les choses.
L’unité des chars se déplaçait autour du théâtre principal du champ de bataille plutôt qu’à travers lui. La raison en était claire. C’était pour qu’ils puissent surpasser les fantassins et pouvoir effectuer une attaque latérale contre l’unité aux lances longues.
Même à la suite de l’attaque-surprise de Sigrun, les soldats avaient pu rapidement se calmer. Pour cette raison, leur premier plan pour tirer parti du chaos et brûler les approvisionnements ennemis avait été impossible à se concrétiser.
Peut-être était-ce le résultat de son expérience, mais le général qui dirigeait le Clan du Sabot était étonnamment doué pour faire face à ces situations inattendues. Les soldats avaient sûrement une grande confiance en lui. Il ne suffisait pas de donner des ordres aux soldats dans un tel état de confusion pour les ramener à la raison. Si elles n’étaient pas ordonnées par quelqu’un avec la dignité et le charisme appropriés, cela ne fonctionnerait pas.
Tout ce que Sigrun pouvait faire à la fin était de faire claquer sa langue avec étonnement. « Penser que je serais capable de mener si facilement un grand général comme ça par le bout du nez. »
Un rire légèrement méprisant s’échappa de ses lèvres.
Naturellement, il n’y avait pas le temps nécessaire pour qu’Yuuto puisse préparer un plan détaillant chaque minute pour cette bataille particulière. Elle avait d’avance entendu les détails d’Yuuto : la faiblesse de l’unité aux lances longues, le fait que l’ennemi enverrait probablement une unité détachée pour lancer une attaque latérale afin de profiter de cette faiblesse, et la manière de faire face à un tel résultat.
« D’accord ! C’est finalement mon tour ! » s’exclama-t-elle.
À peu près au même moment où l’unité des chars affrontait les troupes du Clan de la Corne, de la fumée s’éleva de l’unité principale du Clan du Loup. C’était le signal indiquant que l’unité Múspell devait charger.
Sigrun se retourna et exhorta les soldats qui s’étaient battus pendant trois jours et trois nuits à charger. « Maintenant, tout le monde, préparez-vous pour la dernière charge ! »
Tous leurs visages étaient couverts de l’ombre de l’épuisement, mais en un clin d’œil, un puissant esprit combatif était soudainement apparu dans leurs yeux. Un effort gaspillé pouvait faire doubler la fatigue, mais voir de bons résultats pouvait vous donner une vigueur qui balayait la fatigue. Les efforts de l’unité Múspell avaient porté ses fruits et leur moral n’avait jamais été aussi élevé.
Le cœur de Sigrun s’était enflammé en voyant à quel point ils étaient tous fiables. « La victoire dépend de ce que nous faisons, ici et maintenant ! Montrons aux troupes du Clan du Sabot la terreur de notre assaut, et les véritables bénéfices du Valhalla ! »
« Ouaiiiiiiiissssss, Mèèèèèèrrreeeee !! »
Sigrun leva la lance qu’elle tenait dans les airs, et les soldats laissèrent échapper des cris de guerre qui firent trembler l’air.
Au sein de Sigrun, le Dévoreur de la Lune, Hati, avait répondu à son cri de guerre, et maintenant, Sigrun affichait un sourire féroce, tout comme un loup affamé.
Certes, elle était une guerrière dont le seul talent à offrir à son maître était ses capacités martiales. En temps de paix, elle ne pouvait pas vraiment l’aider, et elle le déplorait amèrement. Mais c’était précisément à cause de ça que maintenant plus que jamais que c’était l’occasion parfaite pour le servir.
« À toute l’unité Múspell, à l’attaque ! » ordonna-t-elle. Et alors qu’elle faisait ça, elle donna un coup de pied à son cheval favori pour le faire avancer.
Ses subordonnés l’avaient immédiatement suivie. La meute chaotique des féroces troupes du Clan du Loup avait jailli de la forêt et ils gagnèrent rapidement l’arrière de l’unité des chars.
***
Partie 7
« Arg ! Encore eux ! » Yngvi cracha de dégoût.
Juste au moment où le Clan du Sabot avait lancé son attaque-surprise, ils avaient eux-mêmes été confrontés à une autre attaque-surprise. Ils avaient fini par être pris dans quelque chose appelés un mouvement de tenaille. L’ampleur de cette disgrâce continuait de traverser son corps.
Ils avaient été complètement pris par surprise par l’ennemi. La haine qu’il ressentait emplissait tout son corps.
« Lieutenant ! Bloquez l’avancée des troupes du Clan de la Corne ! Je vais m’occuper de ces mecs là-bas ! » Laissant quelques soldats supervisés par son lieutenant, Yngvi lâcha son ordre avant de faire tourner son char pour faire face aux soldats à cheval.
Les forces du Clan de la Corne, qui avaient mené la charge initiale, avaient depuis longtemps perdu leur esprit combatif. Ils n’étaient plus une menace.
« Ici et maintenant, je vais libéré toute la rage que j’ai accumulée sur vous, imbéciles ! »
Ces ennemis avaient refusé de se battre de front, chaque fois choisissant simplement de fuir. S’ils venaient pour la tuerie, alors c’était tout simplement l’occasion favorable qu’il avait souhaitée depuis trois jours.
Les troupes avec les longues lances étaient encore une menace, mais avec la mobilité des chars, les choses allaient sûrement bien se dérouler. À l’heure actuelle, l’instinct né de ses années d’expérience militaire lui avait indiqué que la véritable menace qu’il devait vaincre n’était autre que cette unité de soldats à cheval.
Et pourtant, ce qui s’était déroulé ici aurait toujours été incroyable pour Yngvi s’il ne l’avait pas vu de ses propres yeux.
Les troupes à cheval passèrent devant lui, allant deux fois plus vite que les chars, avant d’arriver sur leur côté. Augmentées par la vitesse à laquelle ils se déplaçaient, leurs lances heurtèrent les roues des chars les unes après les autres.
Les chars étaient constitués d’un chariot de bois sur qui se tenaient tout au plus deux hommes massifs et qui étaient soutenus par deux roues. Il pouvait supporter une telle charge frontale. Mais en heurtant directement les roues des chariots depuis les côtés, les cavaliers avaient neutralisé leurs mouvements, puis avaient perturbé l’équilibre des chars qui avaient fini par se voir renverser les uns après les autres sur leurs flancs.
« Argg ! » cria Yngvi.
« Ahh ! »
« Ohhh ! »
Les soldats éjectés de nombreux chars avaient été transpercés par des lances ou écrasés par des chevaux venant en sens inverse. Inutile de dire que le char était l’arme la plus puissante sur Yggdrasil. Le simple fait de regarder les gains énormes apportés au cours de la bataille quand ils avaient attaqué les troupes du Clan de la Corne montrait que c’était une évidence.
Mais c’était limité à cette seule époque. Dans un autre millier d’années, le char régnerait jusqu’à ce qu’il soit chassé du théâtre mondial des champs de bataille par l’apparition de cavaliers. Sur le plan de la main-d’œuvre et des capacités, les forces militaires du Clan du Sabot avaient eu le dessus, car elles avaient les chars et pouvaient se déplacer plus rapidement. D’un autre côté, depuis sa création, l’unité Múspell s’était entraînée spécifiquement afin de combattre les chars. C’était ce développement qui avait fait que la différence dans les capacités offensives était plutôt unilatérale.
L’unité de chars du Clan du Sabot, qui s’était vantée d’être imbattable sur tout Álfheim, avait toujours mené une bataille unilatérale alors qu’aucun ennemi ne pouvait lancer une contre-attaque efficace contre eux. Bien que beaucoup pouvaient s’y opposer, les chars avaient toujours eu la mobilité et la vitesse de leur côté.
Voici donc la raison pour laquelle cette situation inattendue les avait tellement paralysés.
L’un des cavaliers du Clan du Loup interpella Yngvi, qui avait pris position au centre de ses chars. « Si vous portez une telle tenue, alors vous devez être l’un de leurs généraux ! Eh bien ! Votre tête m’appartient et je viens la réclamer ! » Il avait préparé sa lance pour le combat avant de charger Yngvi.
« Mon Dieu ! Quelle surprise..., » murmura Yngvi.
Quand quelqu’un d’aussi expérimenté qu’Yngvi voyait une personne prête à se battre avec son arme, il pouvait avoir une idée de ce que cet individu était capable de faire. On avait l’impression que cette personne était un combattant talentueux, mais à la fin, rien de plus et rien de moins. Il ne pouvait toujours pas comprendre comment il pouvait rester sur son cheval tout en balançant sa lance autour de lui.
« Prends ça ! » La lance du cavalier visait les roues du char d’Yngvi. Il frappa à ce moment-là.
Mais Yngvi avait déjà été témoin de cette attaque avant ça.
Clang !
La lance d’Yngvi repoussa la lance du cavalier loin des roues de son char.
S’il savait d’où venait l’attaque, un tel exploit était facile pour lui.
« Gamin capricieux ! » s’exclama-t-il. « Reconnais ton supérieur ! Les morveux comme toi ne seront jamais un adversaire valable pour un Einherjar tel que moi ! Je porte Gullinbursti, le Sanglier d’Or Qui Tire Le Char ! »
Yngvi avait alors mis tout ce qu’il avait dans les deux bras, balançant avec puissance sa lance. Avec la masse de cette attaque, il propulsa la lance du cavalier dans le ciel. Cette force physique anormale était le pouvoir accordé par Gullinbursti. Puis Yngvi avait enchaîné avec une nouvelle attaque afin de trancher la gorge du cavalier.
« Argh ! »
Une voix faible émanait de lui alors que le sang jaillissait de son cou, et l’homme tomba mollement sur le sol. Le cheval, ayant perdu son maître, avait commencé à regarder autour de lui en pleine panique.
« Christophe ! Salaud ! » À ce moment-là, une jeune fille avait pointé son regard vers Yngvi, enragée qu’il ait tué le subalterne avec lequel elle s’était entraînée depuis si longtemps.
Il s’agissait d’une beauté, avec des cheveux argentés qui attiraient l’œil et qui s’étendaient derrière elle. Elle n’était clairement pas faite pour le champ de bataille. Mais ses yeux étaient différents de ceux des femmes dans les pièces du fond de son palais. Ce n’étaient pas les yeux d’une femme. Il s’agissait des yeux d’un animal féroce qui, si l’on s’approchait d’elle en étant mal préparé, vous tuerait à coup sûr.
Pendant les attaques nocturnes, Yngvi n’avait pas été capable de distinguer les visages de loin, seulement les yeux, mais la façon dont ces yeux et ces cheveux argentés luisaient au clair de lune lui avait laissé une telle impression. Il avait été témoin des flèches qu’elle avait décochées, terrassant plusieurs de ses subordonnés. Cette fois-ci, il pouvait clairement voir sa férocité sur un champ de bataille. Elle était clairement plus forte que tous les autres soldats.
« Petite fille ! » s’exclama-t-il. « Donc tu es la responsable de cette unité ! »
« Très certainement ! Je suis l’Einherjar de Hati, le Dévoreur de la Lune ! Je suis le Mánagarmr, Sigrun ! Je vois que vous êtes vous aussi un guerrier d’élite. Alors, donnez-moi votre nom ! » déclara Sigrun.
« Un chien de montagne comme toi aurait dû entendre mon nom il y a longtemps, » répliqua Yngvi. « Je suis le souverain patriarche du Clan du Sabot et le souverain suprême de tout Álfheim, Yngvi ! »
« Ohhh, alors, avec votre mort, nous aurons gagné cette bataille ! » répondit Sigrun.
« Oublie ça ! Sans toi pour les commander, tes troupes à cheval tomberont rapidement dans le chaos ! Je vais arracher cette tête de tes épaules ! » cria-t-il d’une voix retentissante.
« Intéressant. Prenez-là, si vous pensez pouvoir le faire ! » elle avait crié tout aussi férocement.
Sigrun avait chargé. En se croisant, Sigrun avait pointé sa lance sur le haut de l’épaule de Yngvi et avait frappé. Contrairement au cavalier de plus tôt, elle était beaucoup plus rapide. Sa vitesse était si rapide que c’était clairement une attaque qu’on aurait pu appeler divine.
Cependant, il s’agissait de Yngvi, le héros du Clan du Sabot qui avait battu de ses propres mains plus d’une centaine de combattants ennemis. Il pouvait facilement voir le mouvement de la lance. Un son aigu avait retenti lorsque les deux lances s’étaient affrontées.
Celui qui avait été poussé par la force fut cette fois-ci Yngvi. Il avait frappé avec son dos les parois de son char.
Cela avait été décidé non par une différence de force physique brute, mais par une différence de vitesse. Il y avait une différence majeure dans la vitesse d’un cheval qui portait seulement une femme de petite taille contre la vitesse de deux chevaux destinés à tirer un char avec deux grands hommes à l’intérieur. Cette vitesse avait affecté l’élan et l’impact de leurs attaques.
Ayant dépassé le char d’Yngvi, Sigrun avait tiré sur les rênes de son cheval. Peut-être en état de choc, les pattes avant de son cheval s’étaient levées.
« Qu’est-ce que c’est !? » Yngvi ne pouvait que voir ce qui se déroulait devant lui comme de la magie noire. Avec son cheval dans cette posture, et alors même qu’elle tenait son arme sans la laisser tomber, comment pouvait-elle ne pas tomber ?
Ce qui l’avait surpris encore plus, c’était que cette fois-ci, elle avait tiré la bride vers la droite et, en un instant, s’était retournée pour poursuivre le char de Yngvi.
Il était captivé par sa capacité à manier le cheval. S’ils n’avaient pas été dans le genre de situation qu’ils étaient, il l’aurait facilement invitée à devenir sa subordonnée.
Mais dans tous les cas, c’était le champ de bataille et ce n’était pas le moment pour avoir de telles pensées frivoles.
Saisissant le bord de son char, il se releva, attrapa sa lance et la prépara à la hâte.
Le char sur lequel il était monté était encore au milieu d’un virage. Il avait trouvé que la mobilité des chars était si fiable jusque-là, mais maintenant, voyant l’harmonie entre le cheval et le cavalier devant lui, il ne pouvait s’empêcher de se sentir lent en comparaison.
« Préparez-vous ! » cria-t-elle.
« Ce n’est rien ! » rugit-il en retour.
Après avoir été une nouvelle fois attaqué par la lance, Yngvi se soutint en posant une jambe sur la paroi du char, abaissant son centre de gravité, puis il répliqua à cette attaque.
Les yeux de Sigrun semblaient indiquer qu’elle était choquée. Elle ne s’attendait probablement pas à ce qu’il empêche un coup si critique.
« Hmm ! Cette force, cette coloration... cela doit signifier que votre arme est faite de fer ? » demanda Sigrun.
« Pfff ! Tu n’es pas la seule à avoir une arme en fer ! » répliqua Yngvi.
Pour être sûr, le fer était un métal qui était rare, et avait donc cinq fois la valeur de l’or. Mais en tant que quelqu’un qui était devenu le souverain d’un clan majeur comme le Clan du Sabot, il était naturel que Yngvi soit entré en possession de certaines armes pour son propre usage. Cette lance avait été avec lui pendant dix ans, protégeant sa vie et servant de partenaire de confiance au cœur de la bataille.
Après cela, les deux guerriers arrêtèrent leurs chevaux et continuèrent l’échange de coups à la vitesse de l’éclair.
En raison de la férocité de leur combat, les soldats proches des deux troupes n’oseraient pas approcher pour aider. N’importe qui qui ne pourrait pas entrer habilement dans la lutte serait probablement balayé sous l’assaut de coups, et il était probable qu’il mourrait d’une mort futile parmi la fureur des attaques.
C’était devenu une telle lutte pendant très longtemps, leur bataille se terminant sans cesse par ce qui semblait être un match nul, leur faisant perdre l’équilibre.
Leur vitesse était presque égale. Mais il y avait une différence regrettable dans leur force physique.
En général, avoir une hauteur supérieure dans la bataille était avantageux. Naturellement, attaquer de plus haut donnait plus de force aux attaques. En prenant en compte tout cela, c’était Sigrun qui était désavantagée.
Au fil du temps, le désavantage unilatéral de Sigrun était devenu de plus en plus apparent. Quand elle s’était déplacée pour attaquer, elle avait dû balancer sa lance vers le haut dans un arc de cercle. Yngvi avait esquivé la plupart de ses charges jusqu’à ce moment-là, la laissant poignarder l’air avant de riposter. Elle avait du mal à compenser et à garder sa posture en arrêtant les attaques ennemies. Elle avait été repoussée en arrière, perdant l’équilibre.
Yngvi n’avait aucune intention de laisser cette opportunité lui échapper. Il avait donc donné pour pouvoir effectuer ce coup final, utilisant cette occasion pour effectuer une attaque de balayage sans compromis.
« Haah!! »
« Arg! Quoi !? »
Sigrun utilisa sa vitesse divine pour réagir et tourna sa lance verticalement, bloquant son attaque. Cependant, elle était trop légère et donc, son corps avait été projeté dans les airs.
À ce moment-là, Sigrun avait lâché sa lance et avait essayé de rouler alors qu’elle avait frappé le sol afin de diffuser l’impact produit pour avoir été jeté en bas de son cheval. Ce n’était pas quelque chose qu’elle avait dû réfléchir pour le réaliser. Jeune comme elle était, elle suivait simplement l’intuition qu’elle avait développée à partir de tant d’expérience sur les champs de bataille.
« Tch ! »
Utilisant l’élan obtenu, Sigrun avait rapidement récupéré une posture debout. Elle avait pratiqué des chutes plusieurs fois, mais cela ne voulait pas dire qu’elle n’avait pas subit l’impact. Son visage était tordu par la douleur. Si elle avait atterri sur son dos, il n’y avait aucun doute que les blessures auraient été si graves qu’elle n’aurait pas pu bouger pendant un certain temps. Pourtant, il était évident qu’elle s’était retrouvée dans une situation des plus désavantageuses.
« Je suppose que cela signifie que je gagne, » les coins de la bouche de Yngvi se tendirent vers le haut alors qu’il tournait une fois de plus la pointe de sa lance vers Sigrun.
Une partie de ses capacités était de pouvoir calculer les attaques et les défenses sur la base d’une estimation rapide de ses forces par rapport aux faiblesses de l’ennemi. C’était quelque chose qu’il avait perfectionné au cours des vingt années qu’il avait passées sur les champs de bataille.
« Tu as vraiment beaucoup de talent, petite fille... non, héros du Loup Sigrun, » continua Yngvi. « Si tu étais née cinq ans plus tôt, le résultat de notre conflit aurait probablement été contraire. »
Pour Yngvi, c’était le compliment le plus élevé possible. Après tout, aussi arrogant qu’il fût, il laissait entendre que Sigrun avait la capacité d’être encore plus grande que lui.
Ceux qui avaient de la force devraient mener, et ceux qui n’en avaient pas devraient suivre. C’était la survie du plus fort et la loi primaire de ce monde, Yggdrasil. Le système de clan lui-même fonctionnait sur le même principe. Yngvi était un parfait exemple de tout ceci.
Dans son royaume, il avait traité les faibles comme des esclaves sans valeur. Ils devaient travailler jusqu’à la mort sans que cela le dérange le moins du monde, et il ne les considérait même pas comme des humains. Mais, dans le cas contraire, s’il était confronté à une personne forte, et cela même si elle était son ennemie, il lui montrerait du respect.
Sigrun regarda Yngvi tout en restant silencieuse. Ses yeux affirmaient que, même si la situation était désastreuse, elle n’avait pas perdu son esprit combatif.
Yngvi s’était également ressaisi. Bien que les deux opposants soient forts, Yngvi avait l’avantage de l’expérience. Et la différence entre être à pied ou dans un char était importante.
Et plus que toute autre chose, la portée d’attaque était vitale dans une bataille. Et sans sa lance, tout ce qu’elle avait sur elle était une épée à sa ceinture. Ainsi, le fait d’essayer d’atteindre Yngvi, qui était dans son char, serait difficile. Il y avait seulement une chance sur dix mille qu’il pourrait perdre. Mais il savait en raison des années d’expérience qu’il avait, que peu importe comment il pouvait respecter un adversaire, il ne pouvait faire preuve d’aucune négligence. Un sanglier blessé deviendrait seulement encore plus vicieux.
« C’est la première fois depuis longtemps que j’ai eu une bataille si passionnante, » cria-t-il. « Puissions-nous nous revoir au Valhalla ! »
Yngvi chargeait vers Sigrun avec son char.
Même s’il sentait qu’il ne pouvait pas se résoudre à écraser une telle guerrière, il savait aussi que c’était l’étiquette d’un soldat d’en sortir une autre de sa misère. Yngvi enfonça sa lance de toutes ses forces dans le cœur de Sigrun.
« Quoi !? » Dans la seconde suivante, il lui arriva quelque chose qui s’était déjà produit plusieurs fois dans cette campagne... un spectacle qui se déroulait devant lui qui lui faisait douter de ce qu’il voyait...
La lance d’Yngvi était une arme invincible qui lui avait valu la victoire dans de nombreuses batailles, détruisant de nombreuses armes et lui assurant sa gloire. Les soldats du Clan du Sabot croyaient sincèrement que les cieux eux-mêmes avaient accordé à Yngvi cette lance.
La pointe de cette arme rare raffinée en fer météorique tomba, coupée comme si elle n’était que du beurre.
La fille devant lui tenait une arme étrange qui brillait de la même couleur argentée que ses cheveux. C’était une arme que Yngvi n’avait jamais vue dans sa longue carrière militaire. C’était une épée, mais c’était une épée à un seul tranchant. La lame elle-même avait une courbure douce et présentait un motif étrange et magnifique sur toute sa longueur, comme des vagues de lignes blanches. Non seulement cela : peu importe le nombre de fois que la lame avait pu être utilisée, il n’y avait même pas un soupçon de fêlure dedans.
« Haaa ! » Avec un cri aigu, Sigrun avait décollé du sol et avait sauté dans les airs. Elle tenait avec force cette arme mystérieuse et belle au-dessus de sa tête, puis l’avait déplacée vers le bas.
« Argggg!! » Yngvi avait immédiatement atteint son épée sanglée à ses côtés afin d’arrêter le coup. Bien qu’il avait toujours préféré combattre avec sa lance jusqu’à maintenant, cette épée était aussi une lame rare faite de fer météorique raffiné.
Même cela ne suffisait pas pour arrêter la lame de son ennemi, et avec une grande force, cela s’était faufilé à travers son épée et avait tranché dans le haut de son épaule.
Avec une entaille, le son horrible de la chair étant coupé avait atteint ses oreilles.
« Je vais vous retourner vos mots déclarés plus tôt, héros du Clan du Sabot, » dit-elle. « Si je n’avais pas eu Père, le résultat de notre duel aurait été le contraire. »
Tenant toujours son épée en hauteur, Sigrun avait atterri sur un genou au moment où elle avait touché le sol. Le flash dans son esprit était le moment où, en dépit d’avoir clairement l’avantage en étant sur son cheval rapide, elle avait été battue et envoyée au sol. C’était vexant, mais à ce moment-là, elle avait perdu la bataille en tant que combattant. Ce qui avait finalement inversé le cours de leur duel était simplement la différence de qualité de leurs armes.
« Ahhhhh ! Notre souverain est tombé ! » cria un soldat.
« Ce n’est pas possible ! Notre souverain !? Impossible qu’il ait été vaincu par cette petite fille ! »
« Retraite ! Sans notre souverain, nous ne pouvons pas gagner ! »
« Ehhhaaaaaahh!! »
Les soldats du Clan du Sabot avaient émis des cris de deuil. Ils avaient été jetés dans le chaos complet à la mort de leur souverain, qui avait été loué comme étant le plus fort.
Les autres chars du Clan du Sabot se retournèrent en pleine panique et ils fuirent.
Yngvi avait vraiment été le grand homme responsable du maintien en place du Clan du Sabot. Les paroles du souverain avaient été loi : « Suivez le souverain, et la victoire sera vôtre. » On pourrait dire que ce qui avait attiré les membres du Clan du Sabot était une dévotion presque religieuse.
En d’autres termes : il avait été la source de leur structure ferme pendant la bataille, mais maintenant qu’il était parti, leur structure était devenue plutôt fragile.
« Ngh... Outch ! » Sigrun chancela quand elle essaya de se lever, plissant le visage en raison de la douleur aiguë provenant de son pied gauche. Quand elle était tombée du cheval, son pied avait été pris dans la sangle, et elle l’avait tordu.
Sigrun avait tout de suite vu qu’Yngvi était tombé de son char à la suite de cette attaque. Jetant un coup d’œil autour d’elle, elle le trouva rapidement.
Traînant sa jambe, elle s’approcha de lui et regarda dans son visage.
*Toux* « C-C’est quoi cette arme ? » D’une manière ou d’une autre, Yngvi n’avait pas encore rendu son dernier souffle. La rune de Gullinbursti, le Sanglier d’Or Qui Tire Le Char, devait lui avoir donné une étrange force physique.
Cependant, sa poitrine était teinte en rouge par la présence de beaucoup de sang, et l’ombre de la mort éclipsait son visage. Tout le monde pouvait clairement dire qu’il ne vivrait plus longtemps.
Avant d’aller au combat, le plan aurait pu être de le prendre vivant, mais à la fin, Sigrun n’avait pas eu ce luxe, et ainsi elle avait dû faire le choix de le condamner à l’exécution publique.
Sigrun parla, poussant l’arme qu’elle tenait devant Yngvi. « Apparemment, ça s’appelle un nihonto [1]. Bien que Père ait peur que ce ne soit pas quelque chose au même niveau de ce que son vrai père était capable de faire. »
Dans la zone entre deux chaînes de montagnes qui formaient le territoire du Clan du Loup, ils avaient pu trouver dans le sol du sable de fer de haute qualité. Ils avaient ensuite affiné le sable de fer dans un four de style Tatara, une méthode de raffinement spécifique au Japon, puis ils avaient utilisé l’acier résultant, le tempérant et l’affinant encore et encore en une lame si fine qu’elle pourrait couper le fer entre de bonnes mains.
Avant même qu’il ait été assez vieux pour savoir ce qui se passait, Yuuto avait regardé son père au travail. Toute l’opération avait été gravée à l’intérieur de ses rétines. Il avait étudié le four de style Tatara encore et encore. Ces expériences lui avaient été énormément profitables dans ce contexte.
C’était quelque chose que lui et Ingrid, le maître de la forge, avaient passé une demi-année à travailler, donnant tout pour le créer.
« Donc tu es... en train de me dire qu’il y a des armes encore meilleures... que ça ? » demanda Yngvi en haletant. « Ce monde est si... *toux*... si vaste. J’aurais aimé en avoir moi-même... *toux*... mais il ne semble pas que cela se produira maintenant. Mais... si je dois mourir par les mains d’une guerrière comme toi... alors... je... suis... satisfait... ! »
« Je ressens également beaucoup de fierté d’avoir pu croiser ma lame avec quelqu’un comme vous. Nous nous reverrons au Valhalla, » répondit Sigrun.
« Hmph ! » Yngvi avait donné un sourire satisfait et avait définitivement fermé ses yeux.
Ce furent les dernières paroles de l’homme puissant qui avait commandé les habitants d’Alheim.
Sigrun enfonça sa lame dans le sol puis baissa doucement la tête. Elle exprimait ses condoléances pour la mort d’un guerrier.
Après une période de prière silencieuse, Sigrun avait de nouveau soulevé la lame et l’avait poussée vers les cieux.
Le souverain du Clan du Sabot, Yngvi, avait été tué par Sigrun du Clan du Loup !
Notes
- 1 La dénomination nihonto (日本刀, « sabre japonais ») décrit l’ensemble des armes blanches fabriquées selon une technique japonaise particulière. Cette appellation comprend le très célèbre katana (ou shinken s’il est de facture moderne), mais aussi le tachi, le wakizashi, le tantō, les épées montées sur manches long tels que le naginata, le nagamaki ainsi que les pointes de lances comme le yari.
***
Épilogue
La nouvelle de la mort du souverain patriarche du Clan du Sabot, Yngvi, s’était répandue comme une traînée de poudre sur tout le champ de bataille.
Au début, les membres du Clan du Sabot se trouvant là ne le croyaient pas ou ne le voyaient que comme des mensonges, mais dans le silence qui s’ensuivit en provenance de leur quartier général, leurs doutes commencèrent à grandir.
Yngvi n’était certainement pas le genre d’homme qui laisserait ses soldats paralysés par le chagrin. Cependant, il était le type qui pouvait, en voyant le chaos dans ses troupes, et en donnant des ordres rapides, les rassurer.
S’il avait été vivant et qu’il avait entendu les fausses nouvelles comme quoi il était censé être mort, il aurait sûrement fait une démonstration ostentatoire pour démontrer qu’il était en bonne santé.
Mais cela ne s’était pas produit.
Ce n’était qu’une question de temps avant que les soldats réalisent que les supposés mensonges étaient vraiment des faits. Et à ce moment-là, ils avaient été assaillis par une incertitude si grande que c’était comme si le sol tremblait sous leurs pieds. Ils s’étaient battus sans avoir aucun doute quant au fait qu’ils gagneraient parce qu’ils avaient Yngvi. Comment un souverain aussi puissant et héroïque avait-il pu être abattu par le souverain d’un clan ennemi ?
Presque tous les soldats du Clan du Sabot, à l’exception des officiers, étaient des fermiers ou des esclaves. Ils avaient été forcés de se battre. Plusieurs de ces soldats avaient finalement commencé à lâcher leurs armes et à s’enfuir.
Après que ces quelques individus aient fait ça, alors qu’un ou deux autres les poursuivraient, cela se transforma rapidement en une désertion massive. En ce moment, c’était comme si l’ordre dans leur rang n’avait jamais existé, et l’armée du Clan du Sabot s’était dissoute en quelques minutes.
Pendant ce temps, les forces alliées du Clan du Loup et du Clan de la Corne n’avaient fait qu’accroître leur enthousiasme face à la nouvelle de la mort du général ennemi.
S’il y avait eu un digne commandant en second qui aurait pu prendre en charge l’armée à la place de Yngvi, peut-être auraient-ils résisté. Mais il semblerait que Yngvi avait été bien trop grand pour ça. Il y avait beaucoup de généraux et d’officiers compétents dans l’armée du Clan du Sabot qui avaient été précieux pour Yngvi, mais personne ne pouvait le remplacer maintenant qu’il était parti.
Les forces combinées du Clan du Loup et du Clan de la Corne poussèrent des cris de victoire à la vue des forces du Clan du Sabot en pleine débandade.
***
Le jour suivant, dans la Capitale du Clan de la Corne, Fólkvangr, ils avaient organisé une magnifique fête afin de célébrer leur victoire.
Comme si l’on avait placé une bénédiction sur le Clan du Loup et le Clan de la Corne, le ciel s’était éclairci, ne laissant pas de nuages et l’on pouvait s’attendre à un jour parfait pour un festival.
Partout dans la ville retentissaient les sons des flûtes et les claquements des tambours, alors que les personnes étaient ravies d’avoir été sauvées et de pouvoir continuer leur vie.
Sur la place centrale de la ville, les soldats des deux clans buvaient ensemble. La seule façon de persuader deux ennemis acharnés de devenir amis était de trouver un ennemi commun. Bien qu’ils se querellaient depuis des années en tant qu’ennemis acharnés, cette victoire avait, tout au moins, commencé à balayer leurs vieilles hostilités.
Yuuto poussa un lourd soupir devant le rire vulgaire et audacieux des soldats se trouvant au loin. « Je suppose qu’après tout c’était vraiment une victoire facile. »
Vu le charisme qu’il avait eu, la mort d’Yngvi plongerait le Clan du Sabot dans le chaos. Même si son second lui succédait, ce nouveau souverain aurait les mains pleines pendant un certain temps, essayant de régler les questions d’autorité et de pouvoir au sein de son propre clan.
En d’autres termes, bien qu’ils aient côtoyé le Clan de la Corne, le Clan du Sabot avait été détruit, ne laissant aucune trace de leur grandeur passée. Ils n’étaient plus un pays qui envahirait les autres selon leurs caprices. Dans tous les cas, il était acceptable de dire que la menace lorsqu’il avait lancé une attaque sans précédent contre le Clan de la Corne avait été détruite.
Cependant, une montagne de problèmes était encore présente.
La mort du souverain suprême Yngvi avait probablement eu l’effet d’éveiller les ambitions des clans voisins, qui avaient probablement regardé ça comme une occasion d’attaquer tel des vautours. Si on regardait seulement le Clan de la Corne, il avait obtenu la paix à ce moment-là, mais en regardant Álfheim dans son ensemble, cette récente bataille conduirait à un sentiment général de malaise.
Si cela entraînait une perturbation dans le Clan de la Corne, alors, tout comme cette fois-ci, le Clan du Loup serait sûr de s’impliquer.
Pourtant, on ne pouvait pas prédire avec certitude l’avenir. Yuuto avançait toujours à tâtons dans le noir afin de trouver un moyen de rentrer chez lui au 21e siècle.
Yuuto avait l’intention que le Calice qu’il avait partagé avec le Clan de la Corne et le Clan de la Griffe soit un lien durable, il aurait donc besoin de prendre des dispositions pour que les relations amicales perdurent après son départ. Le simple fait de penser à ça lui donnait des maux de tête.
Mais son problème actuel était...
« Hmm, l’eau est si bonne, » murmura Sigrun. « C’est comme le butin offert par notre victoire. »
« Bien plus que cela. Ceci vous ramène à la vie, » ajouta Félicia. « Ahh... ma fatigue est comme emportée par elle... ♪. »
« Quand tu dis ça, cela donne l’impression que tu es une vieille dame, Félicia, » déclara Sigrun.
« V-Vieille !? S-Si je suis une vieille femme, alors tu l’es aussi, Run ! Tu n’as que sept jours de moins que moi ! » répliqua Félicia.
« Tu es toujours focalisée sur ça !? Tu vas vraiment avoir besoin de surmonter ça, » répliqua Sigrun.
« Comme si tu pouvais comprendre les sept jours de labeurs supplémentaires que j’ai vécus à cause de ça ! » s’exclama Félicia.
Félicia et Sigrun avaient déclenché une dispute, et Yuuto s’était interposé entre elles.
Bien qu’il ait tant de choses en tête, Yuuto voulait juste qu’elles le laissent un peu tranquille.
Ils se trouvaient tous dans la source chaude géante se situant au cœur de la capitale du Clan de la Corne. Il s’agissait d’un lieu saint, normalement seulement accessible pour ceux qui travaillaient à de saintes tâches. Ces personnes l’utilisaient afin de se nettoyer avant les cérémonies. Par conséquent, même si cela aurait pu être naturel, les deux femmes étaient nues comme au jour de leur naissance. Et, même s’il y avait un homme en leur présence, aucune des deux filles n’avait tenté de se couvrir.
La vérité était qu’une partie de la raison pour laquelle il avait occupé son esprit avec de telles pensées gênantes était d’éviter de trop penser à cette situation. Mais même ainsi, le fait que ses yeux se tournaient parfois vers leurs corps était quelque chose qu’il ne pouvait pas empêcher de faire en tant que gars.
Il avait tenté de faire appel à son propre sens de la raison, et même s’il avait pu se retenir, il avait eu du mal à garder le contrôle. Le doux bruit de l’eau s’éclaboussant avait finalement attiré son regard.
« Hihi ! Si tu es vraiment curieux, alors viens voir par ici, » Félicia riait. « Après tout, mon esprit et mon corps t’appartiennent totalement, Grand Frère. »
« Arg ! Ne dis pas de telles choses embarrassantes ! Je ne regarde rien. Je ne suis pas intéressé ! » Yuuto avait menti, se mettant en colère en réponse à ce regard diabolique.
C’était comme s’il avait complètement perdu tous ses sens face au regard normalement tiède de Félicia. À ce moment-là, Yuuto s’était demandé comment les choses avaient fini comme ça, puis il avait répondu à sa propre question.
Yuuto se baignait généralement seul dans la capitale du Clan du Loup. Au début, ses partisanes avaient essayé de l’aider quand il prenait son bain, mais il avait fermement refusé, insistant sur ça. « Laissez-moi au moins profiter de mon bain en paix ! » Mais maintenant, ils étaient dans le bastion du Clan de la Corne, où ils s’étaient battus pour leur vie l’autre jour. C’était Félicia qui avait insisté sur le fait qu’il ne pouvait pas être laissé seul dans cet état de nudité, le plus vulnérable d’entre tous.
Cela étant dit, Yuuto serait bien retourné à la capitale du Clan du Loup, mais un festin afin de célébrer leur victoire était en cours ici au palais. Naturellement, en tant que patriarche souverain du Clan du Loup, Yuuto n’avait d’autre choix que de participer, car il était le principal parti qui avait conduit tout le monde à la victoire au cours de cette bataille.
Et Yuuto était sale à la suite des nombreux jours qu’ils avaient passés à voyager jusqu’ici. Comme il s’agissait d’une fête organisée pour le clan voisin, s’il ne veillait pas à ce que son apparence soit correcte, cela se refléterait négativement sur le Clan du Loup.
Alors que maintenant il avait pu enfin prendre un peu de repos, le fait d’avoir ces deux belles filles qui s’étaient placées de chaque côté de lui fit qu’il avait couvert un peu son corps, rougissant. Il n’y avait pas un soupçon de dignité qu’on attendrait d’un héros qui avait détruit un grand clan tel que le Clan du Sabot.
« Arg ! Pourquoi est-ce que vous deux devez me protéger ainsi ? » gémit-il. « Si on y pense, des gardes masculins auraient été bons dans ce cas là. »
« Mais je suis toujours ta garde, Grand Frère, n’est-ce pas ? » demanda Félicia.
« Il s’agit d’un ancien territoire ennemi, » déclara Sigrun. « Je serais nerveuse si Félicia était la seule avec toi. Je pense que je suis la plus adaptée à cette tâche, en tant que le plus Fort Loup d’Argent, Mánagarmr. »
« C’est vrai, oui. Et puisque Run est également une femme, le fait qu’elle me voit nue ne me dérange pas du tout, » déclara Félicia.
« Avez-vous oublié que je suis du sexe opposé !? » s’exclama Yuuto.
« « Toi, tu es un cas particulier, » » tous deux affirmèrent en même temps alors qu’Yuuto s’enfonçait dans l’eau chaude.
Si Mitsuki l’apprenait, elle couperait probablement tout lien avec moi, pensa Yuuto, car un frisson l’atteignait même dans la chaleur du bain.
En parlant de Mitsuki, il réalisait seulement maintenant qu’il était parti au combat sans lui dire où il allait. Elle était probablement inquiète qu’elle n’ait toujours pas eu de ses nouvelles. Cette pensée l’avait en quelque sorte rendu agité.
« J-Je vais juste me nettoyer, » dit-il. « J’ai encore besoin de préparer certaines choses. »
D’une manière ou d’une autre, incapable de rester plus longtemps, Yuuto se leva en étant un peu paniqué et se dirigea vers la zone de lavage. Il était un peu gêné qu’elles le voient nu, mais elles l’avaient vu quand il était rentré dans le bain. Sa priorité était de sortir de là. Un homme de vertu ne devrait pas se permettre d’être dans une telle situation.
« Oh ! S’il te plaît ! » Sigrun retint Yuuto, cherchant l’épée qu’elle avait appuyée à proximité contre un mur.
Son ton dur l’obligea à se retourner, craignant que certains malandrins ne soient prêts à l’attaque, alors il se raidit.
Il ne pouvait pas vraiment le dire à travers la vapeur, mais elle était beaucoup plus petite que Félicia, avec une forme légèrement plus arrondie. Il tourna brusquement son regard dans la direction que regardait Sigrun : l’entrée du bain. Après avoir tendu l’oreille, il pouvait entendre une sorte de bruit.
Peut-être que quelqu’un allait venir.
Les meilleurs membres de l’unité Múspell supervisée par Sigrun se trouvaient de l’autre côté du mur. Yuuto pencha la tête, certain que, si c’était une personne suspecte, elle ne pourrait pas entrer de front. Mais à ce moment-là, il vit une ombre qui se tenait là.
« Que font ces imbéciles ? Je leur avais dit de ne laisser passer personne, » Sigrun cracha ces paroles d’un ton agité puis elle marcha pour se placer à plusieurs pas devant Yuuto.
Ce faisant, ses fesses toniques se frayaient un chemin dans la ligne de vue d’Yuuto, et il ne pouvait pas détourner le regard alors qu’elle était devant l’entrée, alors un sentiment de dégoût de lui-même à un moment aussi crucial surgit au sein d’Yuuto.
« Grand Frère, » une voix familière se fit entendre.
« Linéa...? » Yuuto ne pouvait pas la voir à travers la vapeur, mais il avait reconnu sa voix.
Elle n’était pas une personne suspecte, mais plutôt le maître de ce château, et sa subordonnée. Elle était entrée, et bien sûr les gardes du corps de l’unité Múspell auraient été incapables de la renvoyer.
Franchissant la vapeur, Linéa était apparue. Alors qu’ils avaient été cachés par le tissu, ses flancs et ses cuisses étaient visibles, ce qui donnait aux yeux d’Yuuto un endroit sans danger pour regarder.
« De quoi avez-vous besoin, Grande Soeur ? » demanda Félicia d’une voix froide.
Techniquement, Félicia avait été la première à devenir la petite sœur d’Yuuto, donc Félicia était celle qui devait s’appeler « Grande Sœur », mais comme Linéa était la souveraine du Clan de la Corne, sa position sociale était plus élevée, et donc Félicia avait dû choisir d’utiliser cette façon de s’adresser à elle pour le refléter.
« J’ai quelque chose d’important à discuter avec vous, en tant que souveraine du Clan de la Corne, » déclara Linéa.
« Est-ce vraiment si important que nous devons en discuter ici ? » demanda Yuuto. « Je peux écouter ce que vous avez à dire plus tard... »
« Ils disent que si vous voulez être vraiment honnête avec quelqu’un, vous devez tout lui exposer. Et donc, j’ai pensé que si je devais le faire, alors ici était le seul endroit où nous pouvons en discuter... »
« Hmm. Et pourtant, malgré cela, vous couvrez votre face avant, » Sigrun renifla, semblant s’ennuyer.
Simple comme elle l’était, cela semblait encore un peu moche pour elle de le dire. C’était en fait quelque chose qu’Yuuto s’attendait d’elle. Et pourtant, à l’intérieur de lui, il laissa échapper un petit cri.
Si elle avait nargué Linéa comme ça, alors sûrement...
« ... Comme vous le souhaitez, jeune subordonnée, » la serviette protégeant le front de Linéa était alors tombée.
Ces silhouettes ! Pensa Yuuto alors qu’il voulait bercer sa tête dans ses mains en raison de sa frustration. Il était entouré de tous côtés par de la chair féminine. Il avait essayé de toutes ses forces de ne pas baisser les yeux, mais il avait également semblé que le fait de regarder de côté serait considéré comme grossier.
Franchement quel genre de torture est-ce ? Se demandait Yuuto en larmes.
Alors qu’il restait là, incapable de regarder Linéa, Félicia se mit à parler à sa place. « Alors, de quoi vouliez-vous lui parler ? »
Pendant un court laps de temps, Linéa sembla perdue, avant que son regard acéré se fixe avec force sur Yuuto avant qu’elle ne parle. « Grand Frère ! S’il vous plaît, épousez-moi ! »
***
Épilogue 2
Glaðsheimr, la capitale du Saint Empire d’Ásgarðr, était située au centre du continent, où toutes les richesses des territoires environnants s’étaient réunies, bénies par la terre fertile accordée par le fleuve Ífingr.
Avec cette abondance en toile de fond, ainsi que des peintures murales, des sculptures et des décorations destinées à la classe supérieure, il s’agissait d’une capitale où d’autres aspects de la culture comme la danse, le chant et la poésie prospéraient même parmi les gens ordinaires.
D’autre part, une telle richesse conduisait à une perte d’ambition, à une perte du désir de créer de nouvelles choses parmi la population, faisant de leur société une société de corruption, de stagnation et de putréfaction.
Le Saint Empire Ásgarðr avait maintenu la suprématie sur tout Yggdrasil à la surface, et pourtant il était là, tombant en ruine.
La décision prise au sommet de la prospérité signifiait que tout ce qui restait était un déclin inévitable. Il s’agissait d’une capitale qui n’était plus dans sa prime jeunesse, et où des regards indiquant qu’ils se sentaient piégés par cette détérioration étaient apparus sur les visages de ses citoyens.
Au centre de la capitale, sur les rives de la rivière, se dressait le plus haut bâtiment construit dans ce monde, le palais où vivait l’Empereur Divin qui dirigeait tous les territoires d’Yggdrasil, le palais de Valaskjálf.
Il avait été construit par des dizaines de milliers d’esclaves appartenant au premier empereur, Wotan, sur une période de vingt ans. Il s’agissait d’un palais puissant qui se vantait de posséder une telle taille qui pourrait facilement permettre de placer une petite cité dans ses murs.
« Quoi !? Yngvi du Clan du Sabot a été abattu ? »
Dans la partie la plus profonde du palais, au-delà d’un voile de soie, le treizième Empereur Divin interrogeait durement le chambellan qui était tombé prosterné. Même si la voix résonnait avec une dignité solennelle, il y avait une certaine douceur, telle une clochette. L’Empereur Divin actuel était encore une fille relativement jeune, ce qui était un fait bien connu à travers Yggdrasil. Pourtant, il y en avait peu qui avaient réellement vu le visage de l’Empereur Divin.
Le nombre de personnes à travers l’empire qui avait été autorisé à une audience avec l’Empereur Divin était vraiment très faible. Cette nature secrète semblait éveiller l’imagination du peuple, et sa beauté était si grande que quiconque la regardait perdait la vue.
« Oui. Alexis, qui est actuellement envoyé dans la région, a signalé que c’est un fait avéré, » dit le chambellan en levant la tête.
Le travail du goði ne consistait pas seulement à diriger la Cérémonie du Calice. Il avait également pour mission d’enquêter sur l’état des choses dans tout le pays et d’envoyer des informations à Glaðsheimr.
L’Empire avait peut-être décliné au point que son pouvoir national n’était égal qu’à un clan de taille moyenne, mais son réseau de collecte de renseignements était encore inégalé.
« J’avais espéré que cela n’en viendrait pas à cela, mais il semble qu’il ne peut pas y avoir de doute, » déclara l’Empereur Divin. « Il semble que le patriarche souverain du Clan du Loup soit vraiment la présence sombre que nous avons craint. »
« V-Votre Majesté. Vous ne devez pas dire de telles choses si imprudemment... »
« Hmph ! Même si c’est enfin là, je suppose qu’il est naturel que certains aient encore des objections. De toute façon, vous devez comprendre, n’est-ce pas ? Cette affaire ne restera pas limitée à Álfheim, » la fille ayant le rang d’empereur avait parlé d’une manière plus douce. « Si c’est vraiment ce que la völva a dit, alors peut-être que le grand soulèvement s’effectuera dans tout le royaume d’Yggdrasil. »
« C-Cela peut-il vraiment être ainsi !? » Le chambellan tremblait devant la gravité de la situation.
L’empereur avait répondu tranquillement et fermement, et pourtant, en quelque sorte, dans la résignation. « Le Temps du Ragnarok est sur nous... »
À suivre...
***
Illustrations
***
Super Novel , j’adore votre travail continué comme ça ??
Merci pour le chapitre.
J’ai lu aujourd’hui qu’il y aura une adaptation en animé de cette LN 🙂
Oui, annoncé depuis un moment, mais pas encore daté, du moins la dernière fois que j’ai checker.
Pour ce qui est de la trad du LN, dès que le Tome 2 sortira, il passera dans mes priorité pour pouvoir le sortir le plus tôt possible. Après, je verrais à quel rythme.