Je suis le Seigneur maléfique d’un empire intergalactique ! – Tome 7

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Prologue

Assise seule dans le parc, une adolescente contemplait le ciel nocturne. Les lumières de la ville masquaient la plupart du temps les étoiles, mais elle en voyait encore quelques-unes ici et là. Ses respirations laissaient sortir de la vapeur blanche et ses joues et ses oreilles devenaient rouges à cause du froid. Pourtant, elle continuait à s’asseoir là, à regarder vers le haut.

Elle avait enfilé un manteau par-dessus son uniforme d’écolière, ainsi qu’une paire de gants, mais ceux-ci étaient troués aux doigts. Il y avait aussi un trou dans la poche droite de son manteau, et comme il se rouvrait toujours, peu importe le nombre de fois qu’elle le réparait, elle avait abandonné et simplement cessé d’y mettre des choses.

Il ne faisait certainement pas aussi froid lorsqu’elle avait commencé à s’asseoir sur ce banc du parc pour observer les étoiles dans le ciel. Ce n’est pas qu’elle aimait particulièrement observer les étoiles. Pour elle, c’était simplement un moyen d’échapper à la réalité.

Sur le banc à côté d’elle se trouvaient son cartable et un sac de courses réutilisable rempli d’articles qu’elle avait achetés à l’épicerie.

« Je devrais rentrer à la maison », murmura-t-elle.

Après avoir terminé l’école et son quart de travail à temps partiel, il ne lui restait plus qu’à rentrer chez elle, mais la jeune fille — Akui Kanami — avait commencé à tuer le temps dans ce parc récemment, par désir d’éviter d’y aller directement la nuit.

Lorsque Kanami se leva, ses longs cheveux noirs se balancèrent derrière elle. Ils n’étaient en aucun cas bien entretenus, mais quelqu’un lui avait dit un jour qu’ils lui allaient bien, alors elle hésitait à les raccourcir. Ses amis enviaient sa silhouette élancée, disant qu’elle ressemblait à un mannequin, mais elle n’était mince que parce qu’elle était tellement occupée à travailler et à étudier qu’elle avait perdu du poids sans même essayer. En fait, elle était presque décharnée. Elle avait hérité de l’allure de sa mère, mais elle était populaire à l’école malgré l’épuisement qu’elle semblait ressentir tous les jours. Ses yeux vifs lui donnaient l’air d’avoir une forte volonté, et elle était toujours apathique en classe, mais les garçons semblaient aimer ça. Bien sûr, Kanami n’avait pas le temps pour profiter de sa jeunesse, et cela ne faisait donc aucune différence pour elle de savoir ce que les garçons pensaient d’elle.

Avec un petit soupir, Kanami rentra chez elle. Arrivée dans un immeuble délabré au loyer bon marché, elle monta un escalier rouillé et se retrouva finalement devant sa porte. Une lumière était allumée à l’intérieur et elle entendait faiblement la télévision. Sa « colocataire » était à la maison, comme toujours.

« Rien ne change jamais », murmura Kanami, souhaitant pouvoir expulser tous ses sentiments négatifs avec ses soupirs.

Sortant sa clé, elle lutta un peu contre la porte pour qu’elle s’ouvre en grinçant. Elle était habituée à cette routine, mais elle ne pouvait s’empêcher d’avoir l’impression que la réalité lui revenait en pleine figure chaque fois qu’elle ouvrait cette porte.

« Je suis rentrée », déclara-t-elle sèchement en enlevant son manteau et en le suspendant.

Comme il n’y avait pas de réponse, elle jeta un coup d’œil dans l’appartement et vit sa mère endormie, la télévision toujours allumée. Kanami fronça les sourcils et regarda la femme. C’était un spectacle désolant que d’utiliser le kotatsu pour faire une sieste. Ses cheveux étaient secs et grisonnants, elle avait des rides et était grassouillette à cause du manque d’exercice. Elle semblait plus âgée que les autres femmes de son âge.

Des emballages vides d’aliments à grignoter étaient éparpillés sur la table devant elle. Après l’avoir débarrassée, Kanami jeta un autre coup d’œil à sa mère. « Tu ne changes vraiment pas. »

Kanami était obligée de travailler à temps partiel, mais sa mère passait tous ses jours à la maison comme ça, au lieu de travailler elle-même. Autrefois, la mère de Kanami était mince et belle, mais elle était aussi plus vive et plus active. Kanami se souvenait qu’elle portait des vêtements à la mode et qu’elles sortaient souvent ensemble les jours de congé. Mais aujourd’hui, il n’y avait plus aucune trace de cette femme.

Autrefois, elles avaient été heureuses toutes les deux. Non, tous les trois.

Kanami se dirigea vers la cuisine, sortit de son sac d’épicerie les plats d’accompagnement à prix réduit qu’elle avait achetés et commença à préparer le dîner.

Entendant du bruit dans la cuisine, sa mère se réveilla. Son visage, qui ressemblait peu à celui de la mère dans les souvenirs de Kanami, s’éclaira.

« Tu es rentrée ! »

« Oui, » dit Kanami en tournant le dos à sa mère. « Le dîner sera bientôt prêt. »

« Ne t’occupe pas de ça ! » hurla sa mère, bien que Kanami soit occupée à préparer le repas. « Tu as été payée aujourd’hui, n’est-ce pas ? Combien as-tu gagné ? »

Les mains de Kanami cessèrent de bouger. Avec un profond soupir, elle sortit son portefeuille. À l’intérieur se trouvait un peu plus de cinquante mille yens. En retirant vingt mille, elle fit claquer l’argent sur la table du kotatsu.

« Voilà ! Es-tu contente ? »

Sa mère se jeta sur les billets, mais lorsqu’elle réalisa qu’ils ne totalisaient que vingt mille, elle leva les yeux vers Kanami, surprise. « Est-ce tout ? Comment sommes-nous censées vivre avec ça ? » protesta-t-elle.

Kanami sentit un poids s’installer lourdement dans sa poitrine. Elle ne pouvait pas supporter de regarder sa mère, alors elle répondit en lui tournant le dos. « Tu ne devrais pas t’attendre à grand-chose de la part d’une étudiante qui travaille à temps partiel. C’est ta faute de toute façon, n’est-ce pas, maman ? Ils nous ont retirés de l’aide sociale parce que tu — ! »

« Ce n’est pas ma faute ! » interrompit sa mère en détournant le regard et en se renfrognant. « Je voulais juste gagner un peu d’argent de poche pour pouvoir t’acheter des choses, Kanami. »

Lorsqu’elle entendit ces excuses, Kanami haussa le ton. « Tu veux dire que tu voulais t’acheter des choses pour toi-même ! D’ailleurs, je t’ai dit de ne pas le faire ! »

Sa mère avait enfoui son visage dans la couverture du kotatsu et se mit à pleurer. « Pourquoi ces choses m’arrivent-elles toujours ? Ce n’était pas comme ça avant. Je veux que les choses redeviennent comme avant… ! »

Elle évite encore la réalité, pensa Kanami alors que sa mère se remémorait le passé en pleurant. Cela arrive toujours lorsque quelqu’un lui reproche quelque chose. Kanami était dégoûtée. Puis, avec un sursaut, elle réalisa qu’elle avait fait la même chose sur le banc du parc. Je suis comme elle. Je ne peux pas accepter la réalité mieux qu’elle. Sa mère n’était pas la seule à vouloir revenir à des temps plus heureux. Kanami voulait la même chose.

Elle ne supportait plus de voir sa mère pleurer, alors elle laissa tomber le sujet. « Je vais préparer le dîner. » Elle mangerait, ferait ses devoirs et irait se coucher.

Alors qu’elle se résignait à la routine, sa mère leva la tête et fit une suggestion. « Kanami, veux-tu un travail qui te rapporterait un peu plus d’argent ? »

Qu’est-ce que ça veut dire ? Kanami se retourna et regarda sa mère, surprise de voir son expression sérieuse. « J’ai aussi une école, tu te souviens ? » Elle voulait au moins obtenir son diplôme.

« Tu n’iras pas à l’université, alors ça n’a pas d’importance que tu obtiennes ton diplôme de fin d’études secondaires, n’est-ce pas ? » persista sa mère. « Tu devrais simplement trouver un travail pour lequel tu n’as pas besoin de diplôme. Tu es jolie, comme je l’étais, alors tu peux gagner beaucoup d’argent maintenant, pendant que tu es encore jeune. »

« Qu’est-ce que tu dis ? » Kanami avait un mauvais pressentiment. Elle voulait faire confiance à sa mère, mais…

« Il y a le travail de nuit, n’est-ce pas ? Tu serais populaire en un rien de temps tant que tu mens sur ton âge, Kanami. »

Kanami était dégoûtée par le sourire non dissimulé de sa mère. « Pas question ! » hurla-t-elle, rejetant d’emblée la suggestion de sa mère. « Pourquoi ne travailles-tu pas ? Comment peux-tu rester assise là à ne rien faire alors que ta fille subvient à tes besoins ? Va gagner ton propre argent ! »

Ses supplications ferventes n’avaient pas déconcerté sa mère. « Ne sois pas ridicule ! Je me suis mariée à la sortie de l’université. Je n’ai aucune expérience professionnelle ! D’ailleurs, chaque fois que j’essaie de travailler à temps partiel, je me fais virer tout de suite. »

Sa mère avait eu quelques emplois, mais elle avait quitté chacun d’eux après n’y avoir consacré que très peu de temps. C’était toujours pour une raison stupide : un jeune employé l’avait grondée, ou elle avait eu des ennuis parce qu’elle avait ignoré une tâche qu’on lui avait confiée. Kanami n’avait jamais voulu croire à ces histoires. Chaque fois qu’elle en entendait une, cela lui rappelait à quel point sa mère était pathétique.

Agissant comme l’héroïne d’une terrible tragédie, sa mère poursuit : « Je serais trop gênée de travailler à temps partiel à mon âge. Les salaires horaires sont aussi si bas. Je ne pourrais pas le supporter. Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? »

Kanami pensait que la plainte de sa mère était ridicule. Qu’est-ce que tu as fait ? Tu as tout gâché ! Toi… et moi…

« Tout est de ta faute ! » hurla Kanami, les poings serrés. « Tu as trahi papa, et nous avons tout perdu à cause de ça ! Et papa… C’est toi qui as provoqué tout ça ! »

Leur famille heureuse s’était effondrée après la trahison de sa mère envers son père. Avant même de s’en rendre compte, elles s’étaient retrouvées à vivre dans cet appartement délabré.

« Tu as aussi dit que tu préférais ton nouveau papa, Kanami ! » rétorqua sa mère.

Kanami n’avait rien pu dire pour se défendre lorsque sa mère lui avait renvoyé les mots que Kanami avait dits à son père. Avant même de se rendre compte de ce qu’elle faisait, elle s’était enfuie de l’appartement.

 

☆☆☆

 

Kanami s’était enfuie vers le parc où elle tuait le temps après le travail tous les soirs. Il n’y avait personne, ce qui rendait l’endroit un peu glauque, mais elle s’en fichait pour l’instant. Tout ce qui comptait, c’était de rester loin de sa mère. Assise sur son banc, Kanami pencha la tête, voulant simplement être seule.

« Je suis fatiguée… Papa… »

Elle se souvint de son enfance heureuse. Elle avait eu une belle mère… et un père gentil. Il travaillait dur, et quand il rentrait à la maison, il jouait toujours avec Kanami. Lorsqu’elle faisait des bêtises, il la grondait gentiment, un sourire troublé sur le visage. Il pouvait parfois être dur, mais il les aimait vraiment. Kanami se souvenait encore de la sensation de la main de son père caressant doucement ses longs cheveux. Les souvenirs qu’elle gardait de lui étaient doux et chaleureux.

Mais Kanami l’avait trahi.

« Papa… Je suis désolée… Je suis vraiment désolée. J’ai été tellement stupide… » Les larmes de Kanami tombèrent sur le sol alors qu’elle pensait à son père, qu’elle ne reverrait jamais. « Si je n’avais pas dit que je préférais Papa… est-ce que Papa ne serait pas mort ? »

Kanami regrettait encore ces paroles.

À l’époque, sa mère avait une liaison et l’homme avec lequel elle trompait le père de Kanami achetait à cette dernière tout ce qu’elle voulait chaque fois qu’ils se rencontraient. Il n’en fallait pas plus pour conquérir Kanami, qui n’était qu’une enfant à l’époque. Elle avait comparé cet homme à son père, qui la grondait parfois, et avait commencé à souhaiter que cet autre homme soit son père à la place. C’est pourquoi elle avait été innocemment heureuse lorsque sa mère lui avait dit : « Cet homme est ton vrai père. » Depuis ce jour, elle appelait cet homme « Papa » et l’adorait.

Si elle pouvait revenir à cette époque maintenant, elle mettrait une raclée à sa cadette.

Après cela, ses parents avaient divorcé et Kanami avait dit à son père qu’elle préférait son papa. Elle ne pouvait pas se pardonner maintenant de n’avoir éprouvé aucun remords en voyant l’expression déchirée de son père à ses paroles.

Peu de temps après, son nouveau papa les avait abandonnées, elle et sa mère. Apparemment, il ne les avait pas aimées après tout. Il lui avait fallu beaucoup de temps, mais Kanami avait fini par comprendre que c’était son père qui l’avait vraiment aimée, même s’il n’était pas son père biologique. Mais à ce moment-là, elle avait tout perdu et son père était déjà mort. Lorsqu’elle réalisa qu’elle ne pourrait plus jamais le revoir, et encore moins s’excuser, elle sombra dans un profond désespoir.

 

 

« Ce doit être une punition pour avoir trahi papa. Si c’est le cas, je suppose que tout ce que je peux faire, c’est l’accepter. »

Elle le méritait pour avoir tourné le dos à son père. Elle ne s’était pas contentée d’accepter sa punition, elle voulait être punie.

« Peut-être qu’arrêter l’école et travailler à la place ne serait pas si mal. Je pourrais aussi vivre seule… Hein ? »

Kanami regardait le ciel nocturne et fut soudain surprise par la lumière qui venait d’en dessous d’elle. Elle se leva du banc, regarda en bas et vit quelque chose qui ressemblait à un cercle magique en dessous d’elle.

« Qu’est-ce qui se passe — ? »

Avant qu’elle n’ait pu terminer, elle disparut du parc.

***

Chapitre 1 : L’arbre-monde

Partie 1

Un matin, deux servantes furent chargées de ranger le jardin du manoir. Leurs jolis uniformes à froufrous différaient de ceux portés par les autres servantes du manoir. Ces vêtements uniques indiquaient la différence de statut de ces deux servantes.

L’une des deux se mit soudain à se balancer autour du balai qu’elle tenait dans ses mains. « Aaargh ! Nettoyer un endroit aussi grand à la main n’a aucun sens ! Il y a des robots qui peuvent le faire. Pourquoi devons-nous le faire à la place ? »

Les longs cheveux bleu marine de la jeune fille se balançaient derrière elle tandis qu’elle déversait sa colère sur la végétation environnante. Elle s’appelait Riho Satsuki et se renfrogna, comme si elle était profondément offensée de travailler comme simple servante.

L’autre fille, Fuka Shishigami, regarda Riho d’un air exaspéré. Ses volumineux cheveux roux attachés derrière la tête, elle posa son balai contre son épaule et soupira. « C’est toi qui as mis ce désordre », dit-elle en désignant les débris que Riho avait créés, « alors tu ferais mieux de nettoyer. »

 

 

Le duo était bien trop grossier pour être domestique au manoir, mais les autres serviteurs ne les avaient jamais mis en garde contre leur comportement, même lorsqu’elles faisaient des ravages. Après tout, elles étaient spéciales, puisqu’elles étudiaient la Voie du Flash — l’école d’épée à laquelle appartenait le maître du manoir, Liam Sera Banfield. En fait, les filles partageaient le même professeur que Liam. Elles avaient beau être vêtues de tenues de soubrette mignonnes et avoir des visages et des silhouettes de filles, elles n’en étaient pas moins des épéistes de la Voie du Flash, à l’instar de leur maître. Néanmoins, il y avait une raison pour laquelle elles étaient habillées comme des bonnes et travaillaient dans le manoir.

« N’agis pas comme une sainte nitouche », lança Riho à Fuka. « Cette attitude te va encore moins bien que ces vêtements. »

Le visage de Fuka devint rouge, et elle tendit son balai comme une épée. « Qu’est-ce que c’est que ça ? Tu sais, je ne porte pas ça parce que j’en ai envie ! »

Riho brandit son balai à peu près de la même façon, en ricanant. « Veux-tu y aller ? Je t’y emmène ! »

L’air semblait crépiter entre les deux femmes, les plantes autour d’elles se balançaient même s’il n’y avait pas de vent. Elles se regardèrent pendant un certain temps et, alors qu’elles semblaient sur le point d’utiliser leurs balais l’un contre l’autre, la dernière personne qu’elles voulaient voir apparut.

« Je n’arrive pas à croire que vous fassiez ça. Combien de fois dois-je vous dire quelque chose pour que cela vous rentre dans le crâne ? »

Riho et Fuka sursautèrent et jetèrent un coup d’œil à la nouvelle venue. C’était la servante en chef, Serena.

« Je vous ai dit de nettoyer, n’est-ce pas ? Mais vous êtes là, à faire du désordre à la place. » Serena secoua la tête en signe de désapprobation.

Son attitude irritait Riho et Fuka. En temps normal, ces filles au caractère bien trempé abattraient en un instant quiconque leur manque de respect, mais il s’agissait du manoir de l’élève principal de leur maître épéiste, qui les avait déjà battues à plates coutures sans la moindre sueur. Si elles s’en prenaient à Serena, elles s’attireraient sûrement les foudres de Liam. Après tout, il leur avait expressément ordonné d’apprendre l’étiquette auprès de la servante en chef.

Le visage crispé, Fuka commença à trouver des excuses. « Je faisais le ménage, Serena ! Riho vient de se disputer avec moi ! »

Riho jeta un coup d’œil à Fuka. « Tu me vends ? Serena, tout est de sa faute ! C’est elle qui a pointé son balai sur moi en premier ! »

Alors que les deux commencèrent à se disputer, Serena haussa le ton. « Il ne s’agit pas de savoir laquelle d’entre vous est fautive ! Vous l’êtes toutes les deux ! » Les deux enfants à problèmes avaient poussé la servante en chef à abandonner son ton poli habituel. « Et comment osez-vous vous adresser à moi de façon irrespectueuse en m’appelant par mon nom, alors que c’est Maître Liam lui-même qui m’a confié votre garde ? » Elle ne put s’empêcher d’ajouter à voix basse : « Franchement, quel fardeau j’ai reçu ! »

Lorsque Serena mentionna le nom de Liam, ni Fuka ni Riho ne purent discuter davantage. Elles le respectaient en tant qu’élève principal de leur professeur, mais surtout, elles savaient qu’il avait la force de les traiter comme les enfants qu’elles étaient encore. Leur instinct les empêchait de se rebeller contre lui.

Un autre cours, hein ? pensa Fuka. Mais une agitation se déclencha autour d’elles, coupant court aux remontrances de Serena.

« C’est un peu bruyant aujourd’hui, n’est-ce pas, madame la servante en chef ? » Fuka avait corrigé la façon dont elle s’adressait à Serena, mais n’avait fait aucun effort pour adopter un ton plus poli.

Serena soupira de résignation. « Le brouhaha est tout à fait naturel », expliqua-t-elle. « C’est après tout un jour de très bon augure pour cette maison. »

Riho pencha la tête. « Bon augure ? S’est-il passé quelque chose de bien ? »

« Un arbre-monde a été découvert sur une planète qui est entrée en possession de la maison Banfield », leur répondit Serena, l’air satisfait.

Riho et Fuka se contentèrent d’incliner la tête, ne comprenant pas la signification de l’annonce. Devant leurs regards confus, Serena poussa un nouveau soupir et leur demanda de reprendre le rangement.

 

☆☆☆

 

L’aristocratie de l’Empire intergalactique d’Algrand tournait autour d’un empereur au pouvoir. Dans le passé, je m’étais demandé si une nation aussi vaste pouvait vraiment soutenir un système aussi rétrograde. Mais j’avais tout faux. Lorsqu’une nation atteignait une taille gigantesque, il était pratiquement impossible de la gouverner. Il était plus pratique de la diviser en territoires individuels et d’en confier la gestion à des seigneurs féodaux. Régner directement sur chaque planète, chaque forteresse et chaque colonie aurait été très pénible pour l’empereur.

J’étais sûr que de nombreux facteurs avaient conduit à l’introduction du système féodal, mais ces détails n’étaient pas importants. L’important, c’est que moi, Liam Sera Banfield, j’avais le rang de comte et je régnais sur plusieurs planètes au sein de l’immense empire.

Un peu après midi, je me prélassais avec suffisance sur un canapé dans une salle de réception. « Tout ce qui se trouve sur mon territoire m’appartient, sans exception », disais-je. « Cela vaut même pour la vie des gens qui y vivent. Tu n’es pas d’accord ? »

J’étais actuellement au milieu d’une longue période d’entraînement pour devenir un vrai souverain. Mais j’étais resté trop longtemps loin de mon territoire et j’étais récemment rentré chez moi. J’étais censé servir encore quatre ans en tant que fonctionnaire du gouvernement, mais j’avais décidé de faire une pause dans ma formation et de m’y remettre après quelques années passées à m’occuper de mon propre domaine.

De retour chez moi, j’avais récemment appris qu’un arbre-monde avait été découvert sur l’une de mes planètes. Ainsi, je rencontrais maintenant la belle femme qui était assise en face de moi dans la salle de réception, une table basse entre nous.

« C’est une façon de penser très aristocratique », déclara-t-elle.

Cette femme s’appelait Anushree et était une haute elfe. La reine des elfes, en fait — un « haut elfe » étant essentiellement de la noblesse elfique. Elle avait la peau pâle, les yeux bleus, de longs cheveux blonds ondulés et de longues oreilles pointues. Ses traits nets et symétriques lui donnaient un visage qui semblait proche de l’idéal, même pour un humain comme moi. Elle portait une robe blanche traditionnelle qui ne cachait en rien sa silhouette — ni ses sous-vêtements, que je pouvais voir à travers la fine robe brodée d’or. Bien qu’elle semble en être consciente, elle ne montrait aucune honte. Elle devait avoir une confiance absolue en son apparence.

Elle avait l’air d’une déesse en me souriant de cette façon, mais je savais que des émotions d’un noir d’encre grondaient sous la surface. Dédaignait-elle les humains ? J’avais le même pressentiment au sujet de l’elfe mâle qui montait la garde derrière Anushree, et que je supposais être l’un de ses chevaliers. J’avais autorisé sa présence, car un simple garde n’avait aucune importance face à ma force. Pourtant, il me regardait clairement de là où il se tenait derrière elle, le dégoût dans les yeux.

Anushree ramena la conversation sur le sujet. « Ne nous rendrez-vous pas notre patrie, mon seigneur ? »

« Tu veux le récupérer après qu’un arbre monde apparaisse, hein ? Quelle impudeur ! »

Anushree me rencontrait parce qu’un arbre-monde avait été découvert sur une planète que j’avais acquise auprès d’elle, et elle voulait maintenant que cette planète lui soit rendue.

Les elfes avaient une position extrêmement basse dans cet univers. Certains s’étaient intégrés à la société humaine, mais ceux qui vivaient en groupes d’elfes seuls, comme Anushree, étaient différents.

Dans la fiction, les elfes étaient souvent une race qui vivait longtemps. Dans cet univers, cependant, les êtres humains vivaient couramment jusqu’à cinq cents ans, tandis que les elfes n’atteignaient normalement que trois cents ans environ. Même un haut elfe comme Anushree ne vivait que jusqu’à quatre ou cinq cents ans. Franchement, les elfes étaient considérés comme des êtres à courte durée de vie ici.

Les elfes n’avaient pas non plus le pouvoir politique que possédaient les humains. Compte tenu de tout cela, il était impressionnant qu’ils continuent à mépriser les humains. Ils avaient apparemment l’impression d’être une race élue simplement grâce à leur beauté. Beaucoup d’humains les trouvaient irrésistiblement attirants, on supposait généralement que quelque chose de magique était à l’œuvre en plus de leur beauté physique. En d’autres termes, même dans cet univers, les elfes étaient assez populaires — et mystérieux.

Mais je me moquais bien de tout cela. D’où mon attitude hautaine devant ces deux-là.

Anushree réitéra sa demande éhontée, l’air déconcerté par mon attitude. « La planète que vous possédez maintenant est notre ancienne patrie. N’est-il pas logique que nous y retournions ? »

Bien sûr, cela aurait été logique si les elfes y étaient nés et y vivaient encore. Mais personne n’avait habité la planète avec l’arbre-monde quand je l’avais acquise.

« Ce terrain vague est ta patrie ? J’ai finalement réussi à restaurer l’environnement, alors maintenant tu veux le récupérer, hein ? Ce serait bien trop pratique pour toi. Les elfes sont vraiment effrontés. »

Comme je la provoquais, son chevalier me regarda d’un air renfrogné, mais Anushree se contenta de joindre les mains comme si elle suppliait. « La restauration de notre planète doit être un signe de l’univers pour que nous retournions dans notre patrie. Il y a même un arbre-monde là-bas maintenant. Vous savez qu’il est difficile de prendre soin d’un arbre-monde, n’est-ce pas, mon seigneur ? »

Un arbre-monde est une plante sacrée qui produisait des élixirs. Ses bienfaits ne se limitaient pas aux élixirs. Ils faisaient apparemment toutes sortes d’autres choses, comme envelopper la planète entière d’un mana de haute qualité. Ces arbres étaient donc incroyablement bénéfiques.

Cependant, il n’était pas possible d’en planter davantage. Un seul arbre-monde pouvait exister sur une planète donnée, et les conditions requises pour qu’ils s’enracinent étaient largement inconnues. Les plantes étant extrêmement rares, il y avait peu d’arbres-mondes dans l’Empire Algrand. Malgré l’immensité de l’Empire, il y en avait moins d’une centaine.

Celui qui se trouvait sur mon territoire n’était encore qu’un jeune arbre, mais une fois qu’il aura atteint sa taille maximale, il sera énorme. Pourtant, on disait que les humains ne pouvaient pas s’occuper d’un arbre-monde, les races non humaines comme les elfes étant apparemment mieux adaptées.

« Tu veux juste que je te le remette, n’est-ce pas ? » avais-je rétorqué.

« Si vous nous permettez de prendre soin de l’arbre-monde, nous vous fournirons des élixirs à intervalles réguliers. Ce n’est pas une mauvaise proposition, n’est-ce pas ? »

« Des élixirs, hein ? » Je portais la main à mon menton d’un air pensif.

Les bouches d’Anushree et de son gardien s’étaient mises à sourire avec assurance. Ils essayaient apparemment de cacher leur confiance, mais c’était évident pour moi.

***

Partie 2

Cependant, ils se trompaient s’ils pensaient que je tenais compte de leur proposition. Bien sûr, il serait bénéfique d’acquérir plus d’élixirs dans mon propre domaine, mais je n’en manquais pas pour le moment, grâce à l’appareil de développement planétaire que j’avais obtenu en vainquant la famille Berkeley. Comme son nom l’indique, ce mystérieux appareil permettait de terraformer des planètes et de les rendre viables pour la vie humaine. Si une planète proche pouvait être développée, il suffisait d’appuyer sur quelques boutons pour activer l’artefact. Grâce à cet appareil, l’humanité pouvait continuer à étendre son influence. Son seul défaut était que sa technologie ancienne dépassait nos capacités actuelles, et qu’il ne pouvait donc pas être produit en masse.

Il y avait cependant une autre façon, plus effrayante, d’utiliser l’appareil. En plus de favoriser la vie, il pouvait aussi faire l’inverse. Lorsque l’influence de l’appareil était dirigée vers une planète qui abritait déjà la vie, elle absorbait toute la vitalité de la planète, la transformant en élixirs. Si l’appareil était utilisé de cette façon, la planète en question serait asséchée et détruite.

J’avais utilisé le dispositif de développement planétaire en éliminant des pirates de l’espace. S’il était activé juste après avoir gagné une bataille, il aspirait la vitalité libérée par les pirates morts et la transformait en élixirs. On n’obtenait pas autant d’élixirs qu’en détruisant une planète, mais l’espace n’était jamais à court de pirates. Ainsi, si je voulais des élixirs, il me suffisait de partir à la chasse aux pirates. De plus, le fait d’abattre des pirates renforçait ma réputation. De plus, je pouvais transformer les débris physiques de ces batailles en ressources à l’aide de ma boîte d’alchimie, un autre artefact puissant qui était entré en ma possession.

Utiliser l’âme même de mes ennemis à mes fins était une tactique brutale — voire impitoyable — qui faisait de moi un véritable méchant s’il en est. Les pirates de l’espace étaient pour moi la tirelire par excellence. Au cours de leurs exploits, ils avaient semé le chaos et collecté des trésors que je leur avais pris à mon tour. Ils avaient donné leur vie pour mon profit. Tant qu’il y aurait des pirates, je ne manquerais jamais de ressources.

Cependant, le fait d’avoir un arbre-monde rare sur mon territoire pourrait m’offrir un certain statut en tant que noble. Mais si je pouvais encore me vanter de cet arbre auprès des autres nobles et démontrer ma supériorité, alors peut-être que garder quelques elfes comme animaux de compagnie ne serait pas si mal.

« Je vais y réfléchir », avais-je dit à Anushree. « Si vous êtes prête à travailler pour moi, je pourrais vous permettre de vous installer près de l’arbre-monde. »

À cette proclamation arrogante, les elfes avaient souri, bien qu’il y ait encore des intentions meurtrières dans leurs yeux. Anushree se leva et fit une révérence. « Merci, mon seigneur. »

Elle baissa la tête, mais j’étais certain qu’elle était en train de mijoter.

La rage mal dissimulée des elfes m’amusait tellement que j’avais décidé de faire comme si je ne l’avais pas remarquée. « J’ai dit que j’y réfléchirais. Je n’ai pas encore pris de décision officielle. »

Anushree semblait toutefois considérer que la question était réglée. « Je ne peux pas imaginer que vous ayez de meilleures options que nous pour le soigner. »

« Je n’en serais pas si sûr. »

Jugeant la conversation terminée, ma servante personnelle, Amagi, prit la parole pour me rappeler le prochain point de l’emploi du temps d’aujourd’hui. « Maître, tu as une autre réunion qui arrive bientôt. »

« J’ai compris. Il y a tellement de visiteurs aujourd’hui… »

J’avais eu des dizaines de conversations de ce genre rien que depuis le matin. Le seul problème avec le fait de revenir dans mon manoir pour un temps, c’est que je me retrouvais toujours bombardé de pétitionnaires.

Les elfes prirent congé.

 

☆☆☆

 

Après sa conversation avec Liam, Anushree arborait une expression sévère. « Comment ce sale petit humain ose-t-il me parler de haut ? »

Il était plus jeune qu’elle, et pourtant il n’avait pas baissé son ton impudent pendant toute la durée de leur conversation. Pire encore, son apparence ne l’avait pas le moins du monde influencé. Tous les autres humains qu’elle avait rencontrés s’étaient illuminés à sa vue, même les nobles. Anushree considérait sa beauté comme sa plus grande force, mais elle n’avait servi à rien aujourd’hui.

« Tout cela, c’est pour obtenir l’arbre-monde, Votre Majesté », lui rappela son chevalier. « Nous devons être patients pour l’instant. » Son ton trahissait le mépris qu’il éprouvait pour Liam.

Anushree soupira et son expression tendue se détendit. « Tu as raison. Si nous obtenons un arbre-monde, nous pourrons utiliser ses élixirs pour aider notre tribu à prospérer. Même si nous le saignons à blanc, il nous assurera une certaine stabilité pendant quelques siècles. »

Les elfes pouvaient en effet prendre soin d’un arbre-monde, mais le peuple d’Anushree avait pris des arbres-mondes qui auraient dû durer des dizaines de milliers d’années et les avait saignés à blanc en quelques centaines d’années. Leur prospérité actuelle était le résultat de l’extraction d’un maximum d’élixirs de ces arbres, détruisant des planètes entières au passage.

Son chevalier sourit faiblement. « Nous pouvons atteindre une vaste richesse en vendant les élixirs, et notre long voyage dans l’espace peut enfin prendre fin. »

Il était vrai que la planète où se trouvait l’arbre-monde était leur patrie d’origine, mais c’était une terre en ruine à cause des elfes qui y avaient vécu il y a plusieurs générations. Ils avaient forcé l’arbre-monde à convertir la vitalité de la planète en élixirs, l’asséchant ainsi.

« J’espère que notre prospérité durera au moins jusqu’à la génération de mes petits-enfants », déclara Anushree. « Nous tirerons aussi tout ce que nous pourrons de ce petit mufle de comte. »

Ils prévoyaient à la fois de contrôler l’arbre-monde et d’extorquer des richesses à Liam sous forme d’aide. Il était rare que quelqu’un exploite les arbres-mondes comme le peuple d’Anushree, normalement, les elfes entretenaient les arbres-mondes avec soin. Cependant, l’existence même du groupe d’Anushree montrait qu’il y avait bel et bien des elfes qui empruntaient cette voie. D’un autre côté, il y avait ceux qui trouvaient leur comportement méprisable.

Alors qu’ils se frayaient un chemin dans les couloirs excessivement larges du manoir, les prochains visiteurs de Liam — un homme de petite taille et un homme de grande taille — s’avançaient vers eux. Il n’y avait pas que la corpulence des hommes qui différait. Ils étaient également de races différentes. Le petit homme ne mesurait qu’environ cent vingt centimètres, tandis que le grand mesurait presque deux mètres. Tous deux portaient des costumes, mais ces tenues leur allaient si mal qu’Anushree ne pouvait s’empêcher de se moquer d’eux.

« Comme c’est répugnant », dit-elle. « Et ils ont leur réunion juste après la nôtre… Quelle malchance ! »

Le petit homme était un gobelin, et le grand homme était un orc. Tous deux étaient plutôt peu attirants selon les critères humains. Leurs visages se tordirent de frustration lorsqu’ils passèrent devant les elfes.

Les elfes, les gobelins et les orcs partageaient un ancêtre commun dans cet univers. Les trois races pouvaient prendre soin des arbres-mondes, et toutes trois étaient considérées comme des races minoritaires dans cette réalité. Cependant, les elfes avaient évolué pour devenir beaux, tandis que les gobelins et les orcs étaient devenus laids.

Anushree devina que le gobelin et l’orc rencontraient Liam pour la même raison qu’elle : pour lui demander de leur permettre de s’occuper de l’arbre-monde.

« Je suis sûre que vous voulez l’arbre-monde », leur déclara-t-elle, « mais vous arrivez un peu tard. Le comte va nous choisir. Vos vilains visages devront rester dans l’espace, là où est leur place. »

Bien que les gobelins et les orcs soient tout aussi capables que les elfes de s’occuper d’un arbre-monde, leur apparence incitait souvent les humains à les chasser de leurs terres. Les humains pensaient qu’ils préféraient que de beaux elfes s’occupent des arbres plutôt que de vilains gobelins ou orcs — même si les elfes finissaient par laisser l’arbre-monde se dessécher, comme le peuple d’Anushree. Les humains ne connaissaient pas les terribles pratiques de ces elfes et ne soupçonnaient aucun elfe de détruire volontairement un arbre-monde, à cause des elfes qui prenaient leurs devoirs au sérieux.

En fait, les ancêtres des gobelins et des orcs qui visitaient Liam n’étaient devenus des nomades de l’espace que parce qu’un noble humain, encouragé par les elfes, les avait chassés de leur terre natale. Depuis, ils avaient voyagé dans l’espace à la recherche d’une planète dotée d’un arbre-monde où ils pourraient s’installer. En tant qu’habitants de la forêt, ils avaient du mal à vivre ailleurs que sur une planète dotée d’un arbre-monde.

Le gobelin et l’orc comprirent les objectifs d’Anushree.

« Vous ne devriez pas tuer les arbres-mondes et détruire les planètes, gob », rétorqua le gobelin. « Cette planète est aussi la patrie des gobelins et des orcs, gob. »

La planète que Liam avait obtenue était aussi celle d’où provenaient les ancêtres des gobelins et des orcs. L’un des arbres-monde les plus puissants de tout l’univers y avait autrefois existé… et ce sont les ancêtres d’Anushree qui l’avaient détruit.

L’orc protesta lui aussi avec véhémence. « Combien d’arbres-monde avez-vous détruits, et des planètes entières avec eux ? Combien de vies allez-vous étouffer avant d’être satisfait ? »

Anushree n’avait jamais épargné une pensée pour la vitalité d’une planète, et elle s’était contentée de se moquer du sérieux du duo. « Qu’est-ce que ça peut faire ? S’ils sont devenus de la nourriture pour les elfes, ils ont de la chance. Les arbres-mondes, les planètes — toutes les vies ne sont que de la subsistance pour nous. Peu importe la façon dont vous luttiez, cette planète est la nôtre. Aucun humain ne comprendra jamais la véritable valeur d’un arbre-monde. Ce morveux nous donnera la planète. »

Le gobelin et l’orc savaient aussi que les humains ne comprenaient pas la véritable valeur des arbres-mondes. Ils firent une grimace. Tout ce qu’ils pouvaient faire, c’était espérer que Liam perçoive l’importance de l’arbre.

« Le comte Banfield est appelé un dirigeant sage, gob. Il comprendra si on lui explique les choses, gob. »

Se souvenant de la façon dont Liam s’était comporté lors de leur rencontre, Anushree éclata de rire de pitié. « Lui, un chef sage ? Ce morveux n’est qu’un humain, comme tous les autres. Et puisqu’il est humain, il choisira forcément les beaux elfes que nous sommes plutôt que vous, vilaines créatures. C’est dans l’ordre des choses. »

Anushree s’éloigna, suprêmement satisfaite par les expressions frustrées des hommes. Il y avait cependant une chose qu’elle ne comprenait pas : Liam Sera Banfield avait pour objectif d’être un seigneur maléfique.

 

☆☆☆

 

À peine les elfes m’avaient-ils quitté que je reçus la visite d’un gobelin et d’un orc. Je connaissais l’existence de ces espèces, bien sûr, mais c’était la première fois que je les voyais en personne. J’étais bien plus excité à l’idée de les rencontrer que ces elfes.

« Mon seigneur, je vous prie de nous confier votre arbre-monde. Voyez-vous, les arbres-mondes sont — ! »

L’orc plaida désespérément sa cause. Produire des élixirs n’était apparemment pas la fonction originelle d’un arbre-monde, sa présence étant plus importante pour la planète sur laquelle il apparaissait. Il s’agissait essentiellement d’une chose spirituelle. J’avais déjà entendu parler de ce genre de choses dans ma vie antérieure sur Terre, alors j’avais laissé son explication entrer par une oreille et sortir par l’autre.

Je m’intéressais davantage aux gobelins et aux orcs eux-mêmes. Si je voulais des alliés en tant que seigneur maléfique, il était logique d’engager ces types, n’est-ce pas ? De toute façon, je ne m’étais pas soucié de cette elfe sur ses grands chevaux.

Je me souvenais avoir entendu parler des gobelins et des orcs par Nitta, mon ancien collègue de travail de ma vie antérieure. Il m’avait dit qu’ils étaient diaboliques. Si je m’alliais à ces créatures, ce serait la preuve de ma méchanceté. De plus, si je voulais de belles femmes, je pouvais facilement en obtenir un certain nombre. Ces types-là, en revanche, étaient beaucoup plus difficiles à trouver. Les gobelins et les orcs sont tous deux rares dans cet univers. Si je voulais seulement un arbre-monde pour le montrer aux gens, je préférerais de loin que ces types s’en occupent.

Alors que je hochais la tête pour moi-même, arrivant à ma propre conclusion, le gobelin essayait désespérément de me faire comprendre un fait ou un autre.

« Monseigneur, nous ne ménagerons pas nos efforts pour travailler avec vous, gob. Je vous en supplie, confiez-nous l’arbre-monde, gob. S’il vous plaît, sauvez notre peuple, gob ! »

Il essayait tellement de me convaincre que je m’étais dit qu’ils devaient avoir de gros problèmes. Cela me donnait l’occasion de les rendre redevables envers moi.

« Oh ? Vous ne ménagerez pas vos efforts, hein ? J’aime bien ce qu’on entend par là. »

Le gobelin et l’orc avaient tous deux levé la tête en entendant ça.

« Gob !? »

« Hein !? »

À leur surprise, j’avais deviné qu’ils n’attendaient pas grand-chose de moi. Ils devaient penser que je choisirais les elfes plutôt qu’eux, mais je pouvais attraper quelques elfes n’importe quand. Ensuite, je pourrais les confier à ces types et les laisser faire ce qu’ils avaient fait dans les livres dont Nitta m’avait parlé.

Je m’étais souvenu du genre de choses qui se passaient dans ces livres, qui impliquaient des seigneurs maléfiques et des elfes. Il y avait aussi presque toujours des gobelins et des orcs. Oui, c’est vraiment diabolique. Je vais le faire, Nitta ! J’aimerais juste que tu puisses le voir !

« Je vous laisse la planète avec l’arbre-monde dessus », avais-je proclamé. « Vous travaillerez pour moi à partir de maintenant. »

Le gobelin et l’orc échangèrent des regards incrédules lorsque je fis cette déclaration, pour finalement se fendre d’un sourire.

« Merci beaucoup ! » s’exclama l’orc, ravi. « Quel genre de travail voulez-vous que nous fassions ? »

Ce n’est pas très bon. Je n’ai qu’une vague idée des tropes classiques. Je veux dire que la plupart du temps, j’ai ignoré Nitta quand il s’est extasié sur ces livres. Désolé, Nitta.

« Je ferai appel à vous quand j’aurai besoin de vous pour quelque chose », lui avais-je dit. « Pour l’instant, occupez-vous de cet arbre-monde. Faites en sorte qu’il soit beau et en bonne santé, d’accord ? »

« O-Oui, gob ! »

Je voulais simplement me vanter de mon arbre du monde, après tout. S’il devenait énorme et impressionnant, j’en serais plus qu’heureux. En attendant, je ferais appel aux gobelins et aux orcs si je pensais à quelque chose où j’aurais besoin d’eux.

***

Chapitre 2 : Le plan du Guide

Partie 1

C’étaient les gobelins et les orcs, et non les elfes, qui avaient obtenu la permission de la maison Banfield d’immigrer sur la planète où l’arbre-monde était apparu. Lorsque la reine Anushree reçut cette nouvelle à bord du vaisseau nomade où elle était retournée, elle trembla de fureur et fronça les sourcils en agrippant les accoudoirs de son fauteuil.

« Pourquoi ne nous a-t-il pas choisis ? Pourquoi a-t-il choisi ces créatures hideuses ? »

Le vaisseau nomade que commandait Anushree n’était pas grand, tant s’en faut, mais il transportait des dizaines de milliers de ses congénères, et ses compagnons elfes avaient été tout aussi béatement convaincus qu’ils avaient enfin trouvé une planète où s’installer. Pourtant, leur reine avait échoué dans ses négociations. Le vaisseau était en plein chaos maintenant que ses occupants savaient que des gobelins et des orcs avaient été choisis à la place, et les vassaux aux côtés d’Anushree étaient tout aussi paniqués.

« Ces humbles humains ! » hurla Anushree au plafond, incapable de contenir sa rage. « Alors nous allons tuer leur arbre-monde ! S’il ne peut pas être le nôtre, il est inutile qu’il existe ! Nous utiliserons le starbane s’il le faut ! »

L’un des vassaux rassemblés autour d’elle prit la parole précipitamment. « Starbane !? Nous ne pouvons pas faire ça, votre majesté ! »

Le starbane était une substance dangereuse synthétisée à partir d’énergies négatives, comme la rancune et la haine, qui s’accumulaient après la destruction d’une planète. Si elle se répandait sur une planète, celle-ci serait maudite. Toute personne empoisonnée par le starbane mourait d’une mort douloureuse dans un profond désespoir, celles dont l’esprit était faible mouraient instantanément, les corps contaminés par le malheur répandant le malheur dans les environs. Le starbane était tout simplement une mauvaise nouvelle, et pourtant Anushree en possédait.

« Si nous ne l’utilisons pas maintenant, quand le ferons-nous ? Je ne peux pas pardonner à ce sale gamin humain de s’amuser ainsi avec moi ! »

Les vassaux d’Anushree ne pouvaient plus rien lui dire. Ses yeux étaient devenus exorbités, un sourire effrayant se dessinait sur son visage.

Alors que la tension monte dans la pièce, un homme avec haut-de-forme tomba du plafond, invisible aux yeux des elfes. Lorsqu’il atterrit sur le sol, on pouvait voir qu’il avait des bras et des jambes minuscules. La silhouette incomplète écarta les bras, puis…

« Ah ! quelle arrogance et quelle colère répugnante ! » déclara le nouveau venu en chantonnant. « Et comme cela concerne Liam, je peux encore mieux l’absorber. »

L’être à l’intérieur du chapeau haut de forme — appelé le Guide — absorbait la haine et la rage que les elfes ressentaient à l’égard de Liam. Il absorba même le starbane en possession des elfes, reconstituant une grande partie de l’énergie négative dont il avait besoin pour la première fois depuis longtemps. Et ce n’est pas tout.

« I-Incroyable ! » laissa-t-il jaillir, sans être entendu par les elfes. « La colère et la haine que ces elfes ont accumulés pendant des années de destruction de planètes et de vies me donnent encore plus de pouvoir ! »

Depuis que le peuple d’Anushree avait éteint d’innombrables vies sur les planètes qu’il avait détruites, ce vaisseau débordait absolument de malice, mais les elfes qui vivaient à bord ne le soupçonnaient même pas. L’enfer aurait pu se déchaîner si le Guide n’avait pas absorbé les émotions qui les habitaient.

Après s’être régalé de toute cette énergie, le Guide vit son apparence changée. La puissance emplissait son corps, qui jaillissait entièrement de son chapeau. Le Guide tendit les mains, ravi de retrouver son corps.

« Je suis de retour, bébé ! » Inspectant son corps ranimé, le Guide réfléchit à ce qu’il allait faire. « Hmm. J’ai repris vie, mais je ne peux pas vaincre Liam comme ça. Si je m’approche de lui maintenant, il retournera la situation en un instant. Si seulement je pouvais tirer quelques ficelles en coulisses pendant qu’il n’est pas là. Hunh… Oh, je sais ! »

Le Guide eut alors l’idée d’utiliser à son profit ce qu’on appelle la « magie d’invocation ». Avec cela, il pouvait envoyer Liam sur une planète lointaine que l’Empire n’avait pas encore découverte. Mais pour l’instant, le Guide ne possédait pas ce genre de pouvoir. Alors que pouvait-il faire ?

« Si seulement je pouvais le projeter dans un autre univers… Mais c’est hors de ma portée pour l’instant. Je devrais me concentrer sur l’utilisation de la magie d’invocation pour l’envoyer sur une planète de cet univers et gagner du temps. Pendant l’absence de Liam, je vais mettre en colère des gens comme ces elfes, qui lui en veulent, et détruire son domaine. Je pourrais aussi voler sa boîte d’alchimie et d’autres gadgets. Comme ça, il aura du fil à retordre à son retour. »

Le plan du Guide consistait à réduire le pouvoir de la maison Banfield en l’absence de Liam, en volant les appareils qui lui fournissaient ses ressources. Pour cela, il lui suffisait de bannir Liam sur une planète lointaine.

Il serait normalement facile d’attraper quelqu’un avec la magie d’invocation, mais les choses devenaient plus difficiles lorsque ce quelqu’un était Liam. Puisqu’il s’agissait d’un univers avec de la magie, un comte comme Liam aurait probablement plusieurs couches de protection en place pour empêcher l’enlèvement par le biais de l’invocation. Le Guide allait avoir du pain sur la planche.

« Beaucoup de planètes convoquent des héros d’autres univers pour repousser la menace d’un Seigneur-Démon », songea-t-il. « J’ai juste besoin de pousser Liam sur l’une de ces planètes. En plus, ce serait super que le Seigneur-Démon le tue, mais je suis sûr que c’est trop espérer. »

Si un Seigneur-Démon avait pu tuer Liam, le Guide n’aurait pas autant de problèmes avec lui. Et si Liam disparaissait à cause de la magie d’invocation, la Maison Banfield se mettrait naturellement à sa recherche. Mais si le Guide l’envoyait sur une planète assez éloignée, il épuiserait tous les nouveaux pouvoirs qu’il avait mis tant de temps à accumuler. Il devrait donc envoyer Liam dans un endroit proche. Proche pour un empire intergalactique, du moins. Ce devrait être une planète que l’Empire n’avait pas encore découverte, où les habitants se débrouillaient tant bien que mal et ne pouvaient pas aider Liam. Liam finirait par être retrouvé, mais cela prendrait du temps.

Une fois cette décision prise, le guide fit appel à ses sens pour trouver un endroit approprié. Il trouva rapidement une planète qui était en fait menacée par un Seigneur-Démon. Les habitants de cette planète avaient l’intention d’invoquer un héros d’un autre univers pour les protéger. Le processus n’en était qu’à ses débuts.

« Ça y est ! Si Liam part, je peux faire ce que je veux dans son domaine ! D’accord. Je vais le renvoyer en le faisant prendre dans leur invocation ! »

Lorsque le guide quitta la pièce, Anushree s’affaissa sur sa chaise, son attitude passant de féroce à épuisée.

« Votre Majesté ? » Des vassaux inquiets se rassemblèrent autour d’elle.

La volonté de se venger avait disparu du visage d’Anushree. Ses sourcils n’étaient plus froncés, son expression était plus paisible. Non — son visage était devenu impassible, la lumière avait disparu de ses yeux. « Nous n’utiliserons pas de poison », murmura-t-elle, comme si elle regrettait ce qu’elle avait dit il y a quelques instants.

« D’accord ! » déclara l’un de ses vassaux. « Si on doit détruire un arbre-monde, il faut au moins en tirer quelques élixirs avant. »

En entendant les paroles du vassal soulagé, Anushree serra ses genoux au sommet de sa chaise. « C’est aussi trop d’efforts. »

Ses vassaux se turent un instant, puis comprirent enfin ce qu’elle venait de dire. « Trop d’efforts !? » répéta l’un d’eux. « V-Votre Majesté, qu’est-ce qui vous arrive ? »

« Nous devrions chercher un autre endroit où nous installer. L’itinérance, c’est bien, mais j’aimerais me reposer et bientôt fonder une famille », leur répondit Anushree.

Ses vassaux échangèrent des regards, semblant conclure qu’un tel plan n’était peut-être pas mauvais. Anushree était belle, mais elle vieillissait. Il serait préférable que leur reine, une haute elfe, se concentre sur la poursuite de sa lignée. La plupart des vassaux compatissaient à son désir de s’installer, et un jeune elfe laissa échapper quelque chose qu’il n’aurait pas dû.

« C’est peut-être mieux ainsi. Vous n’êtes plus aussi jeune qu’avant, Votre Maj — ! »

« Hmph ! » La reine se leva, lança un regard glacial au jeune elfe et lui enfonça son poing dans le ventre.

« Augh ! »

Anushree fit ensuite une annonce. « J’ai décidé ! Nous allons chercher une planète où nous pourrons tous nous installer. Il n’est pas nécessaire qu’il y ait un arbre-monde. Nous voulons juste vivre sur un sol solide quelque part. Un jour, dans le futur, nous trouverons un autre arbre-monde et nous l’entretiendrons correctement. »

Pour se ranimer, le Guide avait aspiré trop d’énergie négative des elfes. Une fois qu’il fut parti, les choses se déroulèrent dans une direction étrange.

***

Partie 2

Sur la planète capitale de l’Empire vivait un homme nommé Calvin Noah Albareto. Calvin est le prince héritier. Il était en compétition pour le trône avec le troisième prince, Cléo Noah Albareto, que Liam avait élevé à son poste actuel dans le cadre du concours de succession.

Cléo avait auparavant un désavantage écrasant, les prétentions de Calvin au trône étaient pratiquement gravées dans le marbre. Mais les manœuvres de Liam avaient laissé Calvin dans une situation précaire. La plupart des nobles de sa faction étaient partis, seuls les plus proches de lui étaient restés. Son influence au sein de l’Empire s’était affaiblie, et l’on prédisait maintenant que Cléo deviendrait le prochain empereur.

Calvin était sur le point de perdre son statut de prince héritier à cause d’une seule personne : Liam.

Pourtant, Calvin avait un plan. Assis devant les nobles qui lui restaient dans une salle de réunion du palais, il arborait un large sourire.

« Les factions sont tout simplement plus difficiles à contrôler lorsqu’elles s’agrandissent », déclara-t-il.

Calvin l’avait bien appris, puisqu’il avait autrefois commandé la plus grande faction de tous les candidats au trône. Il se rendait compte aujourd’hui que sa faction contenait de nombreux nobles stupides qui ne faisaient que l’empêcher d’avancer. Ces gens inconstants rejoignaient la faction de Cléo, ce que Calvin approuvait d’ailleurs. Oui, une faction plus grande signifie plus de problèmes.

Les nobles réunis dans la salle de réunion avaient compris ce que Calvin voulait dire.

« Je ne peux pas imaginer que Liam puisse garder le contrôle de sa faction dans l’état actuel des choses », commenta l’un d’entre eux.

« Même nous avons eu du mal à le faire, après tout », déclara un autre.

« Plein d’opportunistes idiots se mettront en travers de son chemin. »

Calvin s’était dit que, même si ces nobles en surnombre ne faisaient rien, ils retiendraient Liam. Les nobles qui faisaient encore partie de la faction de Calvin l’avaient également vu venir. Liam ne pourrait bientôt plus gérer la faction de Cléo.

« Une fois que les mains de Liam seront liées, nous passerons à l’action », déclara Calvin. « D’ici là, nous allons développer nos forces. »

Les hommes de sa faction étaient d’accord. Pour l’instant, ils allaient devoir faire profil bas et observer les choses.

 

☆☆☆

 

Le manoir de la maison Banfield est immense. Ses halls étaient larges, ses plafonds hauts et ses pièces spacieuses. Pour se rendre à un endroit éloigné à l’intérieur du bâtiment massif, il fallait prendre un véhicule qui traversait ses couloirs. L’échelle de la structure était telle que même les bus et les trains circulaient à l’intérieur du manoir, transportant les gens d’un endroit à l’autre.

Un groupe de chevaliers était monté à bord de l’un de ces trains. Leur chef était une belle femme aux longs cheveux blonds nommée Christiana Leta Rosebreia — même si, de nos jours, elle se faisait appeler Christiana Sera Rosebreia. Tia, comme on l’appelait, avait un comportement posé et était suffisamment forte pour avoir servi de chevalier en chef de la maison Banfield jusqu’à récemment.

« Cela fait longtemps que je n’ai pas pris l’un des trains du manoir », fit-elle remarquer.

« D’autres moyens de transport sont normalement à notre disposition », répondit l’adjudant aux cheveux bleus de Tia. « Je ne pense pas qu’il y ait une raison pour laquelle vous deviez prendre le train, Lady Tia. »

« C’est bon. Notre destination est de toute façon près de la gare. »

Tia et ses six subordonnés étaient en train de jeter un coup d’œil autour d’eux pour trouver des places libres dans le train lorsqu’ils repérèrent un autre groupe qui était déjà assis. L’air à l’intérieur du wagon changea immédiatement, l’atmosphère détendue remplacée par une tension épaisse. Tia et ses chevaliers fixèrent durement cet autre groupe, plus grossier.

« Quelle chance pourrie de tomber sur ces ruffians », s’insurgea Tia, un peu trop fort.

La femme au milieu du deuxième groupe, Marie Sera Marian, était assise avec les jambes croisées. Elle leva les yeux aux paroles de Tia, la fixant comme si elle essayait de l’assassiner rien qu’avec ses yeux. Marie était une femme formidable aux yeux violets et aux longs cheveux violets, elle s’était fait un nom en tant que deuxième chevalier le plus fort de la maison Banfield il y a encore peu de temps. Tia et elle ne pouvaient pas se supporter.

« Voir ton visage me rend malade », dit Marie. « Je n’aurais pas dû prendre le train aujourd’hui. »

L’air crépitait pratiquement de la tension qui régnait entre les deux. On aurait dit qu’elles allaient sauter en avant pour s’entretuer d’une seconde à l’autre. Constatant cela, la plupart des passagers autour d’eux se réfugièrent dans d’autres voitures, bien que certains soient restés enfermés là où ils étaient assis.

Une passagère se leva. Elle portait un uniforme de femme de chambre qui dévoilait ses épaules, et les marques sur celles-ci l’identifiaient comme non humaine — une androïde. C’était l’un des robots domestiques produits en série qu’employait la maison Banfield.

Lorsque le robot domestique se leva, les fixant du regard, la soif de sang de Tia et de Marie se dissipa. Si elles se battaient, le robot risquait d’être pris dans l’engrenage.

Marie se gratta la tête. « Je suppose que tu vas vivre aujourd’hui, viande hachée. »

Tia la regarda, les yeux écarquillés. « C’est toi qui as de la chance, fossile. » Elle se retourna avec un coup d’éclat de sa cape et entraîna ses subordonnés vers une autre voiture.

 

☆☆☆

 

L’un des passagers malchanceux qui n’avaient pas pu quitter son siège était un chevalier de haut niveau qui n’appartenait à aucun des deux groupes. Il était sur le point de prendre la parole et d’arrêter le combat des femmes, mais la servante-robot à côté de lui l’avait devancé.

« Je suis désolé », déclara maladroitement le chevalier, Claus Sera Mont, lorsque le robot domestique se rassied. « C’était mon travail. »

Les androïdes ne jouissaient pas d’une grande notoriété dans l’Empire d’Algrand. En fait, ces robots dotés d’une intelligence artificielle étaient méprisés. Cependant, il existait une règle tacite dans le domaine de la maison Banfield selon laquelle les servantes robots devaient être traitées comme s’ils étaient des humains. Certains contournaient cette règle, mais face à l’autorité absolue de Liam, le mieux qu’ils pouvaient faire était d’éviter les interactions avec les robots domestiques.

Claus s’efforçait toujours d’obéir aux ordres de son seigneur, tant qu’il ne les trouvait pas inadmissibles, c’est pourquoi il s’était excusé auprès de la servante robot.

Le robot à l’apparence humaine le fixa de ses yeux rouges. « Si vous aviez essayé de les arrêter, vous auriez probablement été impliqué dans leur combat, Seigneur Claus. Il suffisait de faire connaître ma présence. »

« Ha ha ha ! Crois-tu que j’aurais été impliqué ? » demanda Claus avec incrédulité.

« Il est tout à fait possible que l’un d’entre eux envisage de vous écarter de la course au titre de chevalier en chef — un poste qu’elles convoitent toutes les deux », répondit la servante-robot sans émotion. « Il serait prudent que vous dormiez avec un œil ouvert. »

« Hein ? » Claus resta sans voix.

La femme de chambre robot hocha la tête. « C’était une blague. N’est-ce pas ce que vous aviez compris ? Les blagues humaines sont difficiles pour nous. » Elle passa une main sur sa joue, apparemment déçue que Claus n’ait pas ri.

Claus avait été choqué pour plusieurs raisons. L’une d’entre elles était qu’un robot domestique avait même raconté une blague, mais c’était surtout parce que — bien que le robot ait dit qu’elle n’était pas sérieuse — une partie de lui s’était dit : « Je ne voudrais pas me retrouver mêler avec ces deux-là ». Son estomac se tordit d’anxiété. Peut-être que je dormirai avec un œil ouvert.

 

☆☆☆

 

Après avoir terminé mon travail de la journée, je m’étais dirigé vers mon salon pour me détendre. Il était, bien sûr, somptueusement meublé. Chaque objet qui s’y trouvait était extravagant, et il était équipé pour toutes sortes d’activités de loisirs. Je l’avais créé pour pouvoir y passer toute la journée sans m’ennuyer, mais je n’avais pratiquement jamais l’occasion de l’utiliser. J’étais submergé de travail tous les jours, et lorsque j’avais l’occasion de me reposer, je me contentais généralement de faire une pause dans mon bureau. Une fois le travail terminé, je devais aussi m’entraîner à la Voie du Flash. Et lorsque j’avais tout terminé pour la journée, il était déjà l’heure de dormir. En bref, je me souvenais à peine d’utiliser cette pièce.

Est-ce que je l’utilisais seulement maintenant par avarice, parce que je pensais que c’était du gâchis de ne pas l’utiliser — une attitude qui me collait obstinément à la peau depuis ma vie passée difficile ? Lorsque cette pensée m’était venue à l’esprit, je m’étais senti un peu stupide d’être venu dans le salon.

En même temps, cela ne me convenait pas de ne pas l’utiliser. J’avais réglé le problème de l’arbre-monde, je méritais donc de me prélasser aujourd’hui. J’avais même enfilé des vêtements plus décontractés pour l’occasion — un processus instantané, grâce à la technologie disponible dans cette nation intergalactique.

Je m’étais allongé sur le canapé en fixant le moniteur encastré dans un mur, regardant les émissions et les diffusions en direct créées dans mon domaine. Je ne me souciais pas de ce que je regardais, en fait, tout ce qui m’importait, c’était l’oreiller sous ma tête.

« En me détendant ainsi, j’ai l’impression de pouvoir oublier tout ce qui me préoccupe. »

Alors que j’appréciais la sensation, la voix d’Amagi s’éleva au-dessus de moi. « Tu es vraiment étrange, Maître. Tu te reposerais bien mieux en utilisant un oreiller normal, plutôt que mes genoux. »

En reposant ma tête sur les cuisses d’Amagi, mes paupières étaient devenues lourdes. Pourtant, j’avais envie de parler avec ma femme de chambre personnelle, puisque j’aimais tellement cela. « Aucun oreiller n’est aussi bon que tes genoux, Amagi. »

« Mes genoux ne sont pas calibrés pour te donner suffisamment de repos. Les données parlent d’elles-mêmes. »

Cela ressemblait beaucoup à Amagi, un androïde doté d’une intelligence artificielle, de dire une telle chose. Quoi qu’il en soit, j’appréciais ses genoux mieux que n’importe quel substitut. Cela m’avait permis de me sentir à l’aise. « Les données ne sont pas tout. »

 

 

« Fais-tu référence à un effet psychologique ? »

« Peut-être. »

J’avais fermé les yeux pendant qu’Amagi me caressait doucement les cheveux, laissant la sensation me bercer dans un sommeil confortable… mais cela ne dura pas longtemps. Je m’étais réveillé en sursaut.

Les gros seins d’Amagi remplissaient la majeure partie de mon champ de vision. « Ton rythme cardiaque est élevé, Maître. As-tu fait un mauvais rêve ? »

Je m’étais redressé et j’avais couvert mon visage avec mes mains. « Oui… pire. »

Je ne m’attendais pas à rêver de mon ancienne vie, mais cela m’arrivait de temps en temps. J’avais rêvé que mon ex-femme me trahissait, que ma fille me mettait de côté… Des souvenirs douloureux.

« Tu devrais te retirer pour la journée, Maître. » Amagi posa sa main sur mon dos en me suggérant de retourner dans ma chambre.

« Oui… je suppose que je devrais le faire. » Je me sentais pathétique de me laisser envahir par ma vie passée.

Alors que j’étais assis là, irrité contre moi-même, Amagi regarda soudainement vers la porte. « Maître, Lady Rosetta et Monsieur Brian demandent la permission d’entrer. »

« Qu’est-ce que ces deux-là font ici à cette heure-ci ? »

« Je ne sais pas. En tout cas, cela ne semble pas urgent. »

Ce n’était peut-être pas urgent, mais je savais que Brian ferait une crise si je l’ignorais. Je soupire. « Laisse-les entrer. »

« Oui, monsieur. »

La porte s’ouvrit automatiquement. Ma fiancée Rosetta Sereh Claudia, avec ses boucles blondes caractéristiques, entra la première dans la pièce. Elle se précipita joyeusement vers moi, ses gros seins rebondissant légèrement pendant qu’elle courait.

« Désolée de te déranger alors que tu te reposes, chéri ! »

***

Partie 3

Derrière elle se tenait mon majordome Brian, qui nous regardait tous les deux avec un sourire heureux.

J’avais regardé de l’un à l’autre. « Alors, qu’est-ce qu’il y a ? » demandai-je sans ambages.

Rosetta recula sous mon regard. « Je suis désolée. C’est juste que… humm… »

Brian ne put supporter de regarder et prit la parole. « Maître Liam, vous ne pouvez pas traiter Lady Rosetta de cette façon. »

Il serait tout simplement plus ennuyeux si je lui disais ce que je pense de son attitude, alors j’avais soupiré et j’avais demandé une fois de plus, « Qu’est-ce qu’il y a ? »

« Un arbre-monde qui se manifeste dans votre domaine est un événement vraiment de bon augure », dit Brian, prenant la parole au nom de Rosetta, qui n’avait toujours pas rassemblé son courage. « C’est l’occasion d’approfondir votre relation avec Lady Rosetta. »

Maintenant, j’avais mal à la tête. « Arrête de faire tout un plat d’une plante porte-bonheur. »

Brian avait dû penser que je prenais l’arbre-monde à la légère. « Une plante porte-bonheur !? », protesta-t-il, les yeux écarquillés. « Maître Liam, l’arbre-monde n’est rien de moins qu’un miracle provoqué par les nombreux actes méritoires que vous avez accomplis ! »

Quoi qu’il fasse, j’avais l’impression qu’il était agaçant, alors j’avais abandonné et j’avais simplement hoché la tête. « J’ai compris. Tu as raison. Les arbres-mondes sont incroyables. »

« Vous ne m’écoutez pas, n’est-ce pas ? Eh bien, ce n’est pas grave. Ce qu’il faut garder à l’esprit pour l’instant, c’est l’avenir de la maison Banfield. »

Je m’étais renfrogné. Je me doutais bien que je savais ce qu’il allait dire. « Ne me pousse pas à avoir un enfant. Je suis encore en formation », lui avais-je rappelé.

Brian grimaça. « J’ai pensé que vous diriez quelque chose comme ça. C’est pourquoi je suis ici pour vous suggérer de permettre à Lady Rosetta de participer à la gestion du domaine. »

Laisse Rosetta m’aider à gérer le domaine ? Je l’avais regardée avec surprise.

Elle se redressa pour expliquer nerveusement. « Je-je suis diplômée de l’université et j’ai maintenant terminé ma formation, alors je crois que je peux t’aider. Je veux te soutenir à tes côtés, chéri. C’est… ce que je ressens. » Elle perdit un peu d’élan à la fin, sa voix s’apaisant alors qu’elle observait mon silence.

« Je peux attester des capacités de Lady Rosetta », ajouta Brian. « Tout ce dont elle a besoin pour l’instant, c’est de votre approbation, Maître Liam. »

Rosetta avait dû aller demander conseil à Brian au lieu de me le demander à moi. Quelle intrigante !

Elle me jeta un regard plein d’espoir, mais j’avais déjà pris ma décision. Je ne faisais pas confiance aux humains. J’avais repensé au rêve que je venais de faire, dans lequel mon ex-femme et ma fille m’abandonnaient. Je perdais tout.

« Non. »

« Hein ? »

Rosetta prit un air surpris, et un silence stupéfait s’installant dans le salon. Après quelques instants, Brian prit enfin la parole.

« Maître Liam, les capacités de Lady Rosetta ne laissent rien à désirer. Il ne devrait y avoir aucun problème à la laisser simplement vous assister. »

« C’est ma décision, et je dis non. Je n’impliquerai pas Rosetta dans la gestion du domaine. »

Rosetta baissa la tête, frustrée. La voyant si déprimée, Amagi prit la parole pour appuyer sa cause.

« Maître, Lady Rosetta t’aidera à gérer le domaine dans le futur, lorsqu’elle sera ton épouse. Je crois qu’il serait prudent qu’elle s’acclimate au travail dès maintenant. »

Même Amagi essayait de me convaincre, mais je n’allais pas changer d’avis. Les humains se trahissaient facilement les uns les autres, même s’ils étaient de la même famille.

« Je n’ai besoin de l’aide de personne. Si c’est tout ce que vous vouliez, alors nous en avons terminé. »

« Je m’excuse d’avoir dépassé mes limites », dit Rosetta en étouffant un sanglot avant de s’enfuir de la pièce.

Après l’avoir regardée partir, Brian se retourna vers moi, la colère sur son visage. « Vous êtes allé trop loin, Maître Liam. »

Même Amagi me jeta un regard accusateur. Je m’étais détourné d’elle.

Je comprenais ce qu’ils disaient, et je pensais aussi que j’étais allé trop loin, mais je ne voulais tout simplement pas confier mes biens à une autre personne. Je n’aurais jamais dû le faire avec mon ex-femme dans ma vie précédente. J’avais cru en elle, mais en fin de compte, elle m’avait soutiré tout mon argent et m’avait plongé dans un endettement terrible.

« Je ne ferai jamais confiance à une autre personne. Même la famille te trahit facilement. »

Les yeux d’Amagi s’étaient écarquillés à ces mots, et Brian avait également sursauté. Bien sûr, tous deux n’avaient pas compris le contexte de ma déclaration.

« Peut-être que de tels sentiments sont naturels, compte tenu de votre situation, Maître Liam, » dit Brian. « Mais ce n’est pas comme ce qui s’est passé avec vos parents. »

Même Amagi n’avait pas compris pourquoi j’étais contrarié. « Maître, fais davantage confiance à Lady Rosetta. Même un peu, c’est bien. Tu peux travailler à établir la confiance lentement, une étape à la fois. »

Ils pensaient tous les deux que j’étais contrarié par mes parents dans cette vie, mais c’était les souvenirs de ma famille dans mon ancienne vie qui me tourmentaient. Bien sûr, je n’avais pas de vraie famille à l’époque. Pour Brian et Amagi, je devais avoir l’air d’un enfant pathétique contrarié d’avoir été abandonné par ses parents, mais j’avais en fait apprécié la liberté que l’abandon m’offrait.

J’avais penché la tête. « Je crois que vous vous trompez tous les deux. Vous pensez que je suis triste parce que mes parents m’ont abandonné, n’est-ce pas ? »

Brian avait l’air surpris. Je suppose qu’il serait étrange qu’un enfant ne se préoccupe pas de l’abandon de ses parents.

« Ce n’est pas ça !? Alors pourquoi n’acceptez-vous pas l’aide de Lady Rosetta ? »

« Je n’ai tout simplement pas envie », avais-je répondu, sans me soucier d’expliquer ma situation. Cela s’était avéré être une erreur.

Amagi plissa les yeux. Pour un robot, elle avait l’air plutôt en colère. « Tu n’as pas envie de le faire ? Pour une raison aussi futile, tu as piétiné les sentiments de Lady Rosetta après qu’elle ait trouvé le courage de faire une telle proposition ? »

J’avais reculé alors qu’Amagi s’avançait vers moi. « C’est juste une façon de parler ! Je veux dire que j’étais de mauvaise humeur après mon cauchemar, alors… »

Cela avait mis Brian en colère. « Ce n’est pas votre genre de rejeter la proposition de Lady Rosetta pour ce genre de raison, Maître Liam ! »

« Je prends toujours des décisions en fonction de mon humeur ! Après tout, je suis — ! »

« Un seigneur maléfique, monsieur ? » Brian m’avait interrompu avant que je ne termine. « Vous aimez bien le prétendre, mais vous n’avez jamais rien fait de mal, n’est-ce pas ? Au contraire, vous êtes un seigneur sage qui ne ménage pas ses efforts pour améliorer la vie de ses sujets. »

Amagi hocha la tête en signe d’accord.

« Vous moquez-vous de moi ? Si je le voulais vraiment, je pourrais… Vous savez, euh… C’est vrai, augmenter les impôts ! Et rassembler un harem ! » J’avais débité les premières choses qui me venaient à l’esprit quand je pensais aux seigneurs maléfiques.

« Tu n’as pas encore fait un pas vers Lady Rosetta, et tu n’as pas engendré d’héritier », marmonna Amagi.

« C’est exact ! » acquiesça Brian. « Maître Liam, quand avez-vous l’intention d’engendrer un héritier ? Je ne peux pas vous dire à quel point je suis inquiet ! »

Mon visage avait rougi lorsque je regardai Brian sortir un mouchoir blanc et se tamponner les yeux. Pourquoi devrais-je discuter des affaires de ma chambre à coucher avec Brian ? Il avait dû sentir une faiblesse, parce qu’il passa à l’attaque.

« Combien de temps, comptez-vous repousser la question, maître Liam ? »

« Arrête ! Ne te mêle pas de mes affaires personnelles, vieil homme ! »Je n’avais aucune défense logique, alors j’avais essayé de me sortir de la conversation par de la pure fanfaronnade. Cela n’avait pas marché.

« Ce n’est pas une affaire personnelle ! Il s’agit d’une grave préoccupation qui affecte l’ensemble de votre domaine ! »

L’avenir de la maison Banfield inquiétait Brian, mais personnellement, je n’en avais rien à faire de la génération suivante. Je ne voulais pas d’héritier, je détestais les enfants. Encore aujourd’hui, il m’arrivait de me souvenir du jour où mon enfant m’avait rejeté. À chaque fois, cela ne faisait que réaffirmer ma conviction qu’il était inutile d’avoir des enfants.

« Je ne veux pas que tu te mêles des affaires de ma chambre à coucher », avais-je répété. « Je ferai ce que je veux, quand je le veux. » Ce que je voulais pour l’instant, c’était que cette conversation se termine, mais Brian n’allait pas laisser tomber aujourd’hui. Il devait avoir d’autres reproches à me faire sur la façon dont je traitais Rosetta.

« L’insémination artificielle serait très bien », insista Brian. « Vous pourriez même utiliser une capsule pour créer un héritier. Qu’en dites-vous ? »

Les capsules d’accouchement utilisaient du matériel génétique pour faire grandir les bébés à l’intérieur d’un appareil, ce qui élimine complètement le fardeau pour le corps de la mère. Avec une capsule, on peut même avoir un enfant sans partenaire. En fait, c’est ainsi que j’avais été conçu dans cette incarnation, ce qui me semblait un peu fou quand j’y pense. Dans cet univers, vous pouviez créer des enfants sans amour ni même effort physique. Il était normal pour les nobles de procréer à l’aide d’une capsule afin de produire un héritier, mais cette façon de faire très aristocratique me rendait plutôt malade.

« Je n’aime pas les capsules d’accouchement. »

Après avoir dit cela, Brian avait eu l’air désolé. Il pensait probablement que le fait que je sois moi-même né d’une capsule me dérangeait. Je m’en moquais éperdument, mais j’avais choisi de ne pas corriger son incompréhension.

« Je m’excuse de faire cette suggestion, » dit-il tranquillement en se redressant, « mais c’est vraiment un grave problème pour la maison Banfield. Vos vassaux vous sont personnellement loyaux, Maître Liam, mais dans le cas où vous mourriez avant d’avoir créé un héritier — à Dieu ne plaise — je n’ose imaginer ce qui pourrait arriver à la Maison Banfield. »

La plupart de mes vassaux s’étaient ralliés à la maison Banfield au cours de mon règne. Moins d’un dixième d’entre eux avaient servi la famille avant que je ne prenne le pouvoir. Que feraient les vassaux qui s’étaient engagés uniquement pour me servir à ma mort ? Je m’en moque éperdument.

« Ne t’inquiète pas de ce qui se passera quand je mourrai. Cela n’a rien à voir avec moi. »

« Et voilà que vous recommencez ! Je vous suggère d’engendrer un héritier précisément à cause de votre attitude ! Si vous ne désignez pas de successeur, il sera trop tard quand il arrivera quelque chose ! »

« Qu’est-ce que tu veux dire ? Que je vais mourir ? »

« Si vous continuez à ne faire que des activités qui mettent votre vie en danger, alors oui, vous pourriez très bien le faire ! »

Amagi s’était jointe à la mêlée. « Les inquiétudes de Monsieur Brian sont raisonnables, Maître. Tu devrais nommer un successeur et créer un plan en cas d’urgence. »

Ma position me paraissait beaucoup plus faible maintenant qu’Amagi se disputait aussi avec moi. J’avais essayé de m’expliquer plus gentiment que je ne l’avais fait avec Brian.

« Écoute, Amagi, je n’ai même pas encore cent ans. Il est trop tôt pour que je me préoccupe d’un successeur, n’est-ce pas ? »

***

Partie 4

Dans mon ancienne réalité, cent ans aurait été une durée de vie assez longue. Mais dans celle-ci, j’étais encore traité comme un enfant qui n’avait même pas vingt ans. J’étais officiellement un adulte, mais on ne m’avait pas encore reconnu comme un membre à part entière de la société. Selon les critères de mon ancienne vie, c’était comme si je paniquais parce qu’un jeune de dix-neuf ans n’avait pas d’héritier.

« On ne peut pas savoir quand un noble peut perdre la vie », déclara Brian, comme pour corriger une idée fausse. « C’est pourquoi il est important de se préparer à cette éventualité. »

Avec Amagi et Brian qui se liguaient contre moi, je n’avais pas d’autre choix que de céder. « Très bien. J’ai déjà compris. Je nommerai un successeur. »

Brian n’était toujours pas satisfait. « Il n’y a personne que vous puissiez nommer, sans héritier ! Vos vassaux ne serviront pas quelqu’un qui n’est pas votre descendant direct, maître Liam ! »

Les vassaux comme Tia et Marie étaient loyaux envers moi personnellement, et non envers la maison Banfield en tant qu’entité. Si je disparaissais et qu’un membre de ma famille prenait mon poste, elles ne serviraient probablement pas mon remplaçant. Le seul successeur qu’elles approuveraient serait ma progéniture biologique.

Mais je n’allais pas mourir si facilement. Le Guide m’aidait — mon propre ange gardien (ou quelque chose de semblable). Avec son aide, je m’étais sorti de bien des situations dangereuses, et je continuerais à le faire. En fait, je n’avais jamais été vraiment en danger, et je ne pouvais même pas imaginer que quelque chose puisse menacer ma vie. Les choses s’étaient passées si parfaitement pour moi que je n’avais même pas pensé à m’inquiéter.

« Ne remets pas en cause mes méthodes », avais-je dit. « Ça me rappelle quand même… Qu’est-il arrivé à ces idiots qui organisaient des manifestations à ce sujet ? Je dois encore les punir. »

C’est ce qui s’est passé il y a peu de temps… Ou bien étaient-elles encore en cours ? Il y avait des manifestations partout dans mon domaine. Elles avaient commencé par un mouvement en faveur de la démocratie, mais le plus gros problème était les manifestations exigeant que j’engendre un bébé, ce qui avait fait de moi la risée de tous. J’avais senti que je devais faire quelque chose pour compenser cette humiliation.

Amagi hocha la tête quand j’avais parlé de punir les manifestants. « Même à un moment pareil, ses manières sont si mignonnes. Maître, la question des protestations ne serait-elle pas réglée si tu produisais simplement un héritier ? »

« Les manifestants doivent être punis pour m’avoir défié ! Que mes propres sujets me ridiculisent est un crime grave, ne le croyez-vous pas !? »

Brian pencha son visage tout près du mien. « Maître Liam ! »

« Qu’est-ce qu’il y a ? »

« À ce stade, je vais être franche. Combien de temps avez-vous l’intention d’attendre avant de passer à l’acte avec Lady Rosetta ? »

Rosetta. Autrefois, elle avait été une femme forte avec un esprit d’acier, et à l’époque, elle était exactement le genre de noble dame que j’aimais. Pourtant, dès qu’elle était devenue ma fiancée, son caractère glacial avait fondu et elle s’était dégradée — à mes yeux — pour devenir celle qui m’appelle toujours « Chéri ». Elle n’était plus la personne que j’avais poursuivie — la fille au caractère bien trempé qui me détestait du fond du cœur. Comme elle ne représentait plus un défi, elle n’était plus amusante.

« C’est mon affaire ! »

« Lady Rosetta a été très patiente avec vous, mais vous avez assez prolongé les choses ! Maître Liam, je vous supplie d’engendrer un héritier avant de retourner vous entraîner sur la planète capitale ! »

« À t’entendre, on dirait que je suis un vrai loser ! » avais-je crié en repoussant Brian.

Il agit comme si j’avais peur de Rosetta !

« C’est moi qui décide qui je drague, et quand je le fais ! » avais-je poursuivi. « Rosetta n’est qu’une fille parmi toutes les femmes qui existent ! »

Je prévoyais toujours de créer un harem à l’avenir. J’estimais qu’un seigneur maléfique en avait besoin. J’aurais de belles femmes qui m’attendraient de pied ferme, me versant des boissons pendant que je comploterais mes mauvaises actions !

Alors que je contemplais mes grands desseins, Brian se redressa. « Maître Liam, comme je l’ai déjà dit un nombre incalculable de fois, le compte est toujours à zéro. »

« Hein ? »

« Cela fait plus d’un demi-siècle que vous avez dit pour la première fois que vous rassemblerez un harem, et pourtant vous n’avez couché avec aucune femme ! Votre harem compte actuellement zéro membre, maître Liam. Je doute fort que vous ayez réellement l’intention de créer ce harem tant vanté ! »

« Zéro membre dans mon harem !? J’ai Amagi, n’est-ce pas !? R-Rosetta aussi. »

J’avais jeté un coup d’œil furtif à Amagi, qui avait secoué la tête.

« Comme je t’en ai informé à maintes reprises, » dit-elle, « Je ne compte pas. Lady Rosetta n’est qu’une seule femme et ne peut être considérée comme un harem. De plus, n’as-tu pas déclaré par le passé que tu n’avais même pas l’intention de compter Lady Rosetta parmi les membres de ton harem ? »

Rosetta n’était qu’une partenaire parmi d’autres. Cela faisait presque cent ans que je m’étais réincarné, et je n’avais toujours pas de harem.

« Je-je passerai par les femmes comme si elles étaient jetables ! Tu verras ! » avais-je persisté. « Je coucherai avec une femme différente chaque soir et je la jetterai le lendemain ! Je vais rassembler toutes les belles femmes de mon domaine tout de suite ! »

J’avais pris la décision d’en trouver immédiatement, ne serait-ce que pour sortir de cette conversation.

Brian me regarda d’un air ahuri. « Vous allez coucher avec une femme différente chaque soir !? »

« Bien sûr ! J’ai tout l’argent du monde, après tout ! »

Cela fait trois cent soixante-cinq femmes par an. Quel vilain je serais de coucher avec elles, puis de les jeter tout de suite après ! Pendant que je savourais mon plan infâme, Brian et Amagi s’étaient fait un signe de tête.

« Une par nuit, ce n’est pas beaucoup, mais cela devrait au moins résoudre le problème », déclara Brian.

« Hm. En ce moment, plus de cent mille candidates pourraient devenir ses concubines. J’aimerais qu’il fasse un peu plus d’efforts, mais nous allons continuer à les réduire. »

Attends un peu. Qu’est-ce que c’est que ce chiffre farfelu ? Cent mille ?

Brian sourit. « Une par nuit, ça veut dire qu’il aura eu mille femmes en trois ans. Ça ne me semble toujours pas suffisant, mais je le prends ! »

Amagi acquiesça, comme si elle était d’accord avec le commentaire insensé de Brian. « Je vais immédiatement sélectionner ces mille premiers individus. »

« Juste un millier, hein ? » demanda Brian. « Réduites à ce point, elles devront être la crème de la crème. Je suis sûr que Maître Liam sera satisfait. Ah, je peux enfin dormir sur mes deux oreilles. Même si trois femmes par nuit me rendraient bien plus heureux. »

« Lorsque le processus de sélection commencera, j’imagine que nous serons inondés de candidates. Je tiendrai pour acquis que le nombre de candidates s’élèvera à des centaines de millions. »

Merde. J’étais un comte avec plusieurs planètes dans mon domaine, un souverain avec des milliards de sujets. Si je voulais rassembler un harem, cest avec ce genre de chiffres que je travaillerais. Pas étonnant que ces deux-là aient agi comme si je traînais les pieds.

Brian essuya la sueur qui perlait sur son front. « Je me sens idiot d’avoir craint que vous me disiez de remplir une planète entière de belles femmes, ou quelque chose de ce genre. »

« Mes archives indiquent qu’un noble avait autrefois un milliard de concubines. Il utilisait une planète entière comme palais intérieur. » Même Amagi s’était laissée emporter.

Brian avait ri. « J’aimerais que Maître Liam ait ce degré d’intérêt pour les femmes. »

« Je suis tout à fait d’accord. »

En les observant tous les deux, je m’étais rendu compte que j’avais pris la mauvaise décision. Ou plutôt, je n’avais pas reconnu la portée d’une nation intergalactique. J’avais eu des sueurs froides, regrettant d’avoir pris cet univers trop à la légère.

« Peu importe… Je retire ce que j’ai dit », avais-je réussi à bredouiller.

« Hein ? » Brian se figea.

J’avais insisté auprès de lui sur l’importance de l’esthétique de mon harem. J’avais des idées sur ce harem qui était le mien, et je n’avais pas l’intention de les compromettre. « Je ne veux que des femmes que j’ai choisies personnellement pour faire partie de mon harem ! C’est vrai… J’ai décidé cela il y a longtemps ! Alors, je retire ce que j’ai dit ! »

« Mais vous n’avez toujours pas choisi une seule femme ! », protesta Brian, son bonheur éphémère s’évaporant.

« Tais-toi ! Je choisis mon propre harem, et c’est définitif ! »

« Dans ce cas, nous revenons directement à zéro, maître Liam. »

Au moment où je réfléchissais à la façon de me sortir de cette situation, un cercle magique apparut sous mes pieds. D’après les informations que ma capsule d’éducation avait installées en moi il y a des années, j’avais tout de suite compris qu’il s’agissait de magie d’invocation.

« Qu’est-ce que la magie d’invocation fait ici ? »

Je pensais avoir mis en place des contre-mesures contre ce genre de magie, mais le cercle lumineux m’aspirait lentement.

« Maître Liam ! » Brian commença à se diriger vers moi, mais il n’allait pas arriver à temps.

Amagi tendit la main vers moi. « Maître ! Prends ma main ! »

J’avais tendu mon bras pour le faire, mais il ne l’avait pas atteint.

C’est ainsi que j’avais été complètement aspiré dans le cercle magique. La dernière chose que j’avais vue, c’est l’expression choquée de Brian et le visage sans émotion d’Amagi, quelque peu teinté de désespoir.

Je me sentais mal pour Amagi, mais ce n’était pas du désespoir que je ressentais. La pensée qui me traversait l’esprit à ce moment-là ressemblait plutôt à…

Oui ! Une douce évasion !

***

Chapitre 3 : Invocation de héros

Partie 1

Sur une planète très éloignée de celle de Liam, un pays se retrouvait au bord de la destruction. Le royaume d’Erle était autrefois une superpuissance qui contrôlait tout un continent. Aujourd’hui, il n’était plus que l’ombre de lui-même.

La souveraine de ce royaume, la reine Enola Frau Fraulo, était montée sur le trône à l’âge de dix-sept ans. Son beau visage encore juvénile était encadré par des cheveux bleus longs jusqu’aux épaules. Elle les avait coupés lors de son accession au trône pour faire preuve de maturité. Il n’y a pas si longtemps, elle était une princesse élevée avec soin par ses parents et le personnel du palais. Lorsque ses parents étaient tombés malades et que son frère aîné avait perdu la vie à la guerre, c’est à elle qu’il était revenu de gouverner. Enola aurait dû être éloignée du trône, mais le royaume d’Erle était dans une telle situation qu’elle était la mieux placée pour gouverner.

La raison de tous les malheurs de son pays était la naissance d’un Seigneur-Démon. À la tête d’une armée de monstres, ce Seigneur-Démon avait balayé la planète, conquérant des pays à droite et à gauche. Au début, le royaume d’Erle — une grande puissance — avait lancé une vaillante contre-attaque, mais il n’avait essuyé qu’une série de défaites. Leur destruction totale se profilait maintenant à l’horizon.

Enola était assise sur son trône, serrant le bâton qui servait de symbole à la famille royale. « Combien d’épreuves au juste Dieu a-t-il l’intention de nous faire subir ? »

Sa question marmonnée résonna dans la salle d’audience à moitié vide. Personne ne lui répondit. Les personnes rassemblées se contentèrent de baisser la tête, refusant de croiser son regard.

Les seules personnes présentes dans la salle d’audience étaient les personnes âgées et les très jeunes. Tous ceux qui étaient en âge de se battre avaient été envoyés au combat, si bien que les enfants, même ceux qui avaient moins de quinze ans, avaient été nommés chevaliers à la hâte. C’était un autre signe de la mort imminente du royaume.

Tout le monde savait que le royaume d’Erle était dans ses derniers retranchements, mais ils ne pouvaient pas se résoudre à l’exprimer.

Je dois faire quelque chose… Il faut que je fasse quelque chose !

Enola serra son bâton à deux mains, effrayée, alors qu’un messager faisait irruption dans la salle d’audience. Aucun des protocoles appropriés n’était plus respecté, et le messager fit son annonce sans aucune salutation respectueuse.

« J’ai un rapport ! L’armée du Seigneur-Démon avance sur la capitale ! »

À cette nouvelle, un tumulte parcourut la salle d’audience, tous les regards se tournant vers la reine. Tendue sous la pression et la peur qui menacent de l’écraser, Enola tenta de garder son sang-froid. Je ne peux pas paniquer. Père et mère m’ont dit de toujours garder mon calme.

Mais ce n’est pas en faisant bonne figure qu’on arrêtera les ennemis à leur porte. Le royaume d’Erle n’avait pratiquement plus de force de frappe, il n’y avait plus de généraux avisés ni de chevaliers puissants sur lesquels s’appuyer. Leur armée se composait désormais de généraux à la retraite, de chevaliers rappelés sous les drapeaux et de soldats nouvellement nommés qui étaient bien trop jeunes. La situation était plus que désespérée.

« Votre Majesté, nous ne pouvons plus rien faire », conseilla un ministre âgé à Enola. « Je ne peux que vous demander de prendre la décision qui s’impose. »

Il inclina la tête, exhortant Enola à passer à l’action.

Elle hocha profondément la tête à son tour, convenant qu’ils n’avaient pas d’autres options. « Je comprends ce qui doit être fait. Nous allons procéder à une invocation de héros. »

À la proclamation d’Enola, un bourdonnement parcourut la salle d’audience. Un faible espoir commença à fleurir au milieu du désespoir qui avait envahi la salle.

L’invocation de héros était une technique interdite qui avait néanmoins été transmise dans le royaume d’Erle. Pour vaincre le Seigneur-Démon extraordinairement puissant, ils devaient utiliser cette magie interdite pour invoquer un héros d’un autre monde.

La magie d’invocation produirait une entité capable de vaincre un Seigneur-Démon. Cependant, elle n’amènerait quelqu’un qu’au royaume d’Erle. Une fois qu’un héros apparaîtrait, le royaume en serait responsable, devenant le foyer d’un individu suffisamment fort pour vaincre un Seigneur-Démon. C’était une épée à double tranchant. Si le héros finissait par trahir le pays, il serait tout aussi capable que le Seigneur-Démon de le détruire.

Confier la sécurité de son royaume à un héros représentait un autre défi pour un souverain. Ils abandonneraient essentiellement le combat, plaçant leur pays entre les mains d’un étranger qui n’était même pas de leur monde. La confiance dans les capacités de la famille royale serait en chute libre.

C’est pour toutes ces raisons que cette technique était interdite, mais Enola n’avait pas d’autre choix. Elle se leva pour ordonner à ses vassaux de passer à l’action. « Il n’y a pas de temps à perdre. Nous allons convoquer le héros immédiatement ! »

« Oui, madame ! » répondirent ses vassaux à l’unisson. Ils se dirigèrent immédiatement vers la chambre où ils effectueraient le rituel d’invocation.

Oh Dieu, s’il te plaît, fais venir à nous un gentil héros qui sauvera notre royaume.

 

☆☆☆

 

La chambre située sous le château était éclairée par des torches, les flammes n’apportant qu’une faible lumière vacillante. Les mages qui allaient procéder à l’invocation étaient arrivés plus tôt et s’affairaient à préparer leur sort. Ils se composaient d’un vieil homme vêtu d’une robe en lambeaux et de trois jeunes apprentis pour le seconder.

Le vieil homme, qui s’appelait Citasan, avait rabattu son capuchon pour révéler son visage ridé.

« Bienvenue dans la chambre de convocation ! Nous attendions votre arrivée, votre majesté… Heh heh heh. »

Enola haussa un sourcil devant le rire grossier de Citasan. Elle n’aimait pas beaucoup ce vieil homme. Ses cheveux étaient négligés, il lui manquait plusieurs dents et sa voix rauque était repoussante, mais ce n’était pas pour cela qu’elle ne l’aimait pas. C’était plutôt son caractère qu’elle trouvait désagréable. Cependant, sa magie était la seule option qui lui restait.

« Le moment est venu pour nous de nous en remettre à ta magie, Citasan. S’il te plaît, invoque un grand héros qui triomphera du Seigneur-Démon. »

Citasan s’agenouilla, prit la main d’Enola dans la sienne et l’embrassa. En appuyant ses lèvres sur le dos de sa main, il passa sa langue dessus de façon obscène.

« Laissez-moi faire, votre majesté. Je convoquerai le plus grand héros possible avec la magie transmise dans ma famille depuis des générations ! Mais avant cela… »

Lorsque Citasan releva la tête, l’avidité se lisait sur son visage. Avec un sourire crispé, Enola promit au mage la plus grande récompense possible.

« Je jure de récompenser tes services si le Seigneur-Démon est détruit, Citasan. »

« Je vous en tiendrai rigueur, Votre Majesté ! » s’exclama Citasan avec un rire vulgaire.

« Bien sûr. » Quel homme dégoûtant !

La haine d’Enola pour Citasan venait aussi du fait que, bien que sa magie d’invocation soit totalement inutile en temps de paix, il continuait à se vanter d’être le mage de la famille royale. Lorsque la bataille contre l’armée du Seigneur-Démon s’était intensifiée, il n’avait jamais pris part à la mêlée, estimant que sa magie d’invocation était trop précieuse pour être mise en péril.

Enola comprenait son raisonnement, mais son comportement la répugnait toujours. Il utilisait ses connaissances interdites pour faire ce qu’il voulait. Personne ne voulait de Citasan en temps de paix, mais ce n’était pas le cas en ce moment. La crise actuelle du pays offrait à Citasan et à ses apprentis l’occasion d’agir avec plus d’arrogance que jamais, car ils savaient que le royaume comptait totalement sur eux.

« Sa Majesté a promis de récompenser nos efforts ! » aboie Citasan à l’adresse de ses apprentis. « Commençons l’invocation ! »

Les apprentis s’étaient empressés de prendre position autour d’un autel sur lequel ils avaient tracé un cercle d’invocation. À l’extérieur du cercle se trouvaient les mots du rituel, écrits en caractères anciens. Une faible lumière émana presque immédiatement de l’anneau, et Enola serra son bâton à deux mains avec anxiété.

La lumière du cercle se renforça jusqu’à ce qu’Enola doive fermer les yeux contre son éclat. Peu de temps après, cette lumière s’estompa pour révéler une fille qui se tenait au centre du cercle.

 

☆☆☆

 

Kanami s’était soudain retrouvée dans un endroit qu’elle ne reconnaissait pas.

Devant elle se tenait une jeune femme vêtue d’une robe richement décorée, une couronne sur la tête et un bâton dans les mains. De jeunes gens étaient rassemblés autour d’elle, vêtus de façon incongrue d’armures de chevaliers.

Kanami était désespérément confuse, incapable de digérer sa situation. « Hein ? Qu-Quoi ? »

J’étais juste dans le parc, n’est-ce pas ? Qu’est-ce que je fais ici ? Qu’est-ce qui se passe ?

Alors qu’elle restait figée sous le choc, la jeune femme s’approcha et s’inclina avec révérence devant elle. Kanami fut déconcertée par ce geste, mais la femme n’y prêta pas attention.

« Je suis ravie de faire votre connaissance, ma dame héroïne. Je suis Enola Frau Fraulo — reine du royaume d’Erle. »

« Hein ? Reine ? Attendez, avez-vous dit héroïne ? » Kanami n’arrivait pas à assimiler ces informations.

Enola leva les yeux vers elle en pleurant, et le cœur de Kanami battit la chamade, bien qu’elles soient toutes les deux des femmes. L’apparence de la jeune reine était telle que Kanami s’était dit qu’elle n’avait jamais vu une personne aussi belle de près. 

« Héros d’un autre monde, pardonnez-nous la grande injustice que nous vous avons faite. Dans notre situation critique actuelle, nous n’avions pas d’autre choix que de vous invoquer. »

« Invoquer ? » De quoi Enola parlait-elle ?

En jetant un coup d’œil autour d’elle, Kanami s’aperçut qu’elle était assise au sommet d’un autel qui semblait destiné à une sorte de rituel occulte. L’autre chose qui attira son attention, c’est un vieil homme en robe qui ressemblait exactement à un sorcier tout droit sorti d’une histoire fantastique. De jeunes hommes en robe, qu’elle supposa être les apprentis du vieil homme, élevèrent la voix en signe de joie.

« Nous avons réussi ! Nous avons réussi ! »

« Maître Citasan, le grand mage, a réussi à convoquer le héros ! »

« Wah ha ha ! Notre avenir est assuré maintenant ! »

Kanami trouvait que le vieil homme avait l’air hagard, mais ses manières étaient pompeuses. « Mon nom entrera dans l’histoire pour cela ! Vous feriez tous mieux de parler à vos descendants de mon grand accomplissement fait ici et aujourd’hui ! »

À ce moment-là, Kanami remarqua quelque chose d’étrange. Alors que Citasan et les autres mages se réjouissaient, Enola et les chevaliers avaient l’air tendu et nerveux. Les mages ne semblaient pas à leur place, les autres paraissaient presque dégoûtés par eux.

« Silence, Citasan », déclara Enola au mage qui se réjouissait. « Vous dérangez le héros. »

Au lieu de s’arrêter, Citasan s’était opposé à son avertissement. « Est-ce là une façon de me parler, Votre Majesté ? Sans notre magie d’invocation, vous n’auriez pas pu faire venir le héros ! Sans nous, ce pays serait — ! »

Maintenant, ils se disputaient devant Kanami, et malgré les brèves explications qu’elle avait reçues, Kanami n’arrivait toujours pas à suivre la situation.

Quelqu’un peut-il me dire ce qui se passe ? Attends…

À ce moment-là, elle ressentit une étrange sensation et regarda le centre du cercle magique. Un crépitement se fit entendre tandis que des étincelles semblables à des décharges électriques jaillissaient. Le phénomène s’intensifia, le son devenant de plus en plus fort.

« Qu’est-ce qui se passe — ? »

Kanami s’éloigna du cercle au moment où un homme apparut à l’intérieur. Il avait l’air d’avoir à peu près son âge, avec des cheveux noirs et des yeux violets. Est-ce ainsi qu’elle avait été convoquée ?

***

Partie 2

Dès que l’homme s’était matérialisé à l’intérieur du cercle, il jeta un coup d’œil à son environnement calmement, sa réaction étant complètement opposée à celle de Kanami. Il y avait quelque chose de différent chez lui, mais Kanami n’était pas sûre de savoir quoi. Enola et les autres personnes présentes dans la pièce avaient l’air aussi confuses que Kanami face à cet événement inattendu.

« Qu’est-ce que cela signifie, Citasan ? » s’exclama Enola. « Je pensais que tu n’invoquerais qu’un seul héros ! »

Le mage s’était contenté de bafouiller en réponse à la question d’Enola. Apparemment, ce développement n’avait pas été prévu, même par lui. « Il n’y a aucune trace d’un tel événement ! » répondit-il. « Je n’ai aucune idée de ce qui s’est passé ! »

Le mage semblait beaucoup moins arrogant que tout à l’heure. D’un autre côté, maintenant que tout le monde était aussi désorienté qu’elle, Kanami se sentait plus calme.

Avec un nouvel aplomb, elle regarda le jeune homme. Bien qu’il soit habillé de façon décontractée, elle remarqua que sa chemise blanche, son pantalon noir et ses chaussures en cuir semblaient très chers. À ses yeux, chaque article semblait être d’une qualité exceptionnelle. L’homme convoqué portait également un bracelet en or à l’un de ses poignets. Kanami ne pouvait qu’imaginer à quel point il devait être riche.

Tout le contraire de moi. Mais… D’une certaine façon, quelque chose chez lui la rendait aussi nostalgique.

Le jeune homme ignora complètement son regard et la consternation autour de lui, préférant regarder d’un œil dubitatif le cercle magique qui se trouvait sous lui. Il s’agenouilla. « Qu’est-ce que c’est que ce cercle magique minable ? » se plaignit-il d’un air hautain. « J’ai été convoqué par ça ? C’est vraiment pathétique. »

Le visage de Citasan devint cramoisi lorsque le jeune homme critiqua la magie d’invocation transmise par la famille du mage.

« C-Comment c’est scandaleux ! » bafouille-t-il. « Mes ancêtres ont créé cette technique pour invoquer des héros il y a trois cents ans ! C’est une magie incroyable que l’on ne trouve nulle part ailleurs dans cet univers ! »

 

 

Kanami n’avait aucun cadre de référence pour juger de la qualité d’un cercle magique, mais l’homme convoqué se moqua des paroles de Citasan. « Avez-vous utilisé le même vieux cercle magique pendant trois cents ans ? Ne vous est-il jamais venu à l’esprit d’innover un peu ? »

Même dans cette situation bizarre, le jeune homme audacieux était confiant. Contrairement à Kanami, qui était encore complètement déconcertée, il était apparemment familier avec la magie d’invocation.

« Eh bien, je suppose que tu gagnes des points pour ne pas avoir utilisé la magie d’asservissement immédiatement après l’invocation, » ajouta-t-il. « Au moins, je t’écouterai. »

Ses yeux étaient dirigés vers Enola. Même sans le peu d’explications que Kanami avait reçues, il avait compris qui, dans cette pièce, était le responsable. Cependant, son attitude irrespectueuse avait fait réagir les personnes regroupées autour de la reine.

« Comment osez-vous parler ainsi à Sa Majesté ! » s’écria un jeune chevalier en saisissant la garde de son épée.

Les yeux de l’homme convoqué s’étaient rétrécis, mais Enola leva rapidement la main vers le chevalier.

« Arrêtez ça ! Je vous présente mes excuses pour son comportement, monsieur. Nous ne nous attendions pas à recevoir deux héros, alors nous avons tous un peu perdu notre sang-froid. S’il vous plaît, pardonnez-nous. »

Le jeune homme soupira et détourna le regard. « Alors tu ne voulais pas me convoquer. Quelle blague ! » Il avait déplacé son regard vers Citasan, montrant clairement à tout le monde qui il considérait comme une « blague ».

Citasan ouvrit la bouche, frustré, mais Enola lui coupa la parole pour lui expliquer leur situation. « Il y a une raison pour laquelle nous vous avons convoqués tous les deux. Nous vous en supplions… S’il vous plaît, sauvez ce royaume. »

Elle s’agenouilla devant les nouveaux arrivants en les suppliant. Kanami était émue par le geste, mais le jeune homme ne l’était apparemment pas. En fait, il se tenait l’estomac et commençait à rire.

« Sauver ce royaume ? Ah ha ha ! Es-tu sérieuse ? » Toutes les personnes présentes dans la pièce attendirent, abasourdies, qu’il finisse de rire et se présente enfin. « Tu demanderais à Liam Sera Banfield de te sauver ? Tu cherches de l’aide auprès de moi, entre tous !? »

Kanami s’était sentie bizarre lorsque le jeune homme — Liam — s’était présenté. Elle s’était rendu compte qu’elle tremblait. Pourquoi est-ce que je tremble ?

Même elle ne le savait pas. Cependant, tous les autres semblaient aussi frappés par la présentation de Liam. Elle avait d’abord pensé que c’était à cause de l’attitude étrange de Liam lorsqu’il parlait, mais apparemment, les autres étaient en fait choqués qu’il ait un deuxième prénom.

« E-Euh, seriez-vous par hasard un noble d’un autre monde ? » lui demanda timidement Enola.

Liam réfléchit à la question avant de répondre. « Tu ne comprendrais probablement pas si je te l’expliquais, mais oui, quelque chose comme ça. Quoi qu’il en soit… Très bien, j’ai du temps à tuer. Je vais tous vous sauver. Maintenant, faites-moi visiter les lieux, non ? »

L’étrange sensation que Kanami avait ressentie s’était dissipée lorsque Liam accepta de l’aider avec l’attitude la plus désinvolte que l’on puisse imaginer. Des chevaliers armés les entouraient, mais Liam s’était contenté de bailler comme s’il n’en avait rien à faire.

En regardant Liam s’éloigner, Kanami s’était sentie de plus en plus en colère d’avoir été laissée pour compte, la seule personne à n’avoir aucune idée de ce qui se passait. « Qu’est-ce qu’il fait ? Il agit comme s’il venait de recevoir tout ça ! »

 

☆☆☆

 

Pendant ce temps, le manoir de Liam était en plein chaos. Les gens couraient affairés un peu partout, le salon d’où Liam avait disparu était particulièrement agité. Toute une escouade de mages attachés à la maison Banfield enquêtait sur les lieux, le visage blême. Dans l’Empire Algrand, les gens se fiaient davantage à la technologie qu’à la magie, mais ces individus étaient des spécialistes en la matière. Maîtrisant des sorts extrêmement sophistiqués, ils mettaient leurs capacités au service de leur maître. Liam avait accueilli les mages à bras ouverts, car ils faisaient partie des plus puissants lanceurs de sorts de l’Empire.

Une femme chevalier supervisait l’enquête des mages et semblait prête à piquer une crise à tout moment.

« Qu’est-ce que vous faisiez ? », hurla Marie, les armes serrées dans les deux mains.

Les mages s’étaient recroquevillés. « N-Nous sommes vraiment désolés ! » balbutia l’un d’eux. « M-mais ce manoir a plusieurs couches protectrices de magie anti-invocation en place. Si quelqu’un les a franchies, il a dû être — eep ! »

Marie pointa une lame sur le cou du mage, le fixant avec des yeux injectés de sang. « Pourtant, les images des caméras de sécurité montrent clairement que le seigneur Liam a été convoqué à la sortie de cette pièce. En d’autres termes, tout cela est de ta faute. Ai-je tort ? »

« N -non, madame ! »

« Je regrette vraiment de ne pas pouvoir vous couper maintenant tous la tête. Mais je ne peux pas, en toute conscience, vous punir tant que le seigneur Liam est absent. N’oubliez pas la clémence dont je fais preuve à votre égard. Vous trouverez des indices sur l’endroit où il se trouve. Suis-je bien clair ? »

En réalité, Marie ne considérait pas les mages de la maison Banfield comme des gens complètement inutiles. Pourtant, elle ne voulait pas croire que leur sécurité magique ait été contournée aussi facilement. C’était censé être impossible. La tête de la personne responsable serait sur le billot, tout comme les têtes de toutes les autres personnes impliquées dans les mesures de sécurité. Cependant, si Marie infligeait une punition maintenant, elle risquait de les empêcher d’enquêter sur l’endroit où se trouvait Liam. Ils devraient embaucher de nouveaux mages pour le faire, et ils ne pouvaient pas prendre le risque que quelqu’un en dehors de la maison découvre que Liam avait disparu.

« Le seigneur Liam s’est donné tant de mal pour constituer la faction du prince Cléo », murmura Marie. « Que va-t-il leur arriver maintenant qu’il est parti ? »

Alors que Marie s’énervait de plus en plus en pensant aux dégâts que la disparition de Liam allait causer, elle fut abordée par une Rosetta pâle. La jeune femme était entrée dans la pièce en titubant, comme si elle risquait de s’évanouir à tout moment.

« Lady Rosetta !? »

Marie courut vers Rosetta et l’entoura de ses bras pour la soutenir. Rosetta avait mal vécu la nouvelle de la disparition de Liam et le cœur de Marie souffrait de la voir dans cet état.

« Tenez bon, Lady Rosetta ! Que quelqu’un la ramène dans sa chambre ! Vous ne devriez pas être dehors comme ça, Lady Rosetta. Vous venez juste de vous effondrer ! »

Rosetta s’était en effet déjà évanouie une fois, lorsqu’elle avait appris pour la première fois que Liam avait été convoqué par magie.

Marie avait commencé à appeler un médecin, mais Rosetta lui avait saisi le bras. « Je suis désolée, Marie… J’ai insisté pour venir ici. Penses-tu que tu pourras trouver mon chéri ? Tu le feras, n’est-ce pas ? »

Elles n’avaient toujours pas découvert de trace de la magie d’invocation, mais Marie avait menti pour calmer Rosetta. « Bien sûr. Maintenant, s’il vous plaît, allez vous reposer dans votre chambre. »

Liam avait disparu il y a une journée entière, et ils n’avaient toujours pas trouvé d’indices permettant de le localiser. En examinant la vidéo de sécurité, tout ce que les mages avaient pu dire, c’est : « Nous ne comprenons pas comment un cercle magique aussi primitif a pu passer à travers notre sécurité ! » La furieuse Tia avait été chargée de l’analyse de la vidéo, elle avait forcé les enquêteurs à la revoir à plusieurs reprises jusqu’à ce qu’ils trouvent quelque chose.

Une fois Rosetta partie, Marie piétina le sol en signe de frustration. Un grand homme portant un masque sortit de son ombre.

« Quelle violente convocation ! » déclara-t-il d’un ton calme qui ne fit qu’irriter davantage une Marie furieuse.

Les mages avaient été surpris par l’apparition de l’agent, qui s’appelait Kukuri. Leur surprise était en partie due à son arrivée soudaine, mais ils n’avaient pas non plus réalisé qu’il les observait depuis le début.

« Arrêtez de travailler et je vous tue », avertit Marie avant de se retourner vers Kukuri. « Je me suis fait une fausse idée de toi, Kukuri. Ne connais-tu pas la honte, en reprenant ton souffle après que le seigneur Liam nous ait été enlevé ? Ne t’est-il même pas venu à l’esprit d’expier cet échec par ta vie ? »

« C’est une idée brillante venant de toi. » Un air dangereux flottait entre eux deux. Kukuri recula le premier. « Eh bien, j’admets notre échec dans cet événement. Il semblerait qu’un de mes subordonnés ait disparu en même temps que Maître Liam. »

« Tu as donc placé un agent inutile auprès de Lord Liam. Tu es vraiment un vrai gâchis, n’est-ce pas ? »

Kukuri ne fit que rire face à la provocation de Marie. « Hee hee hee... L’agent était l’un de mes meilleurs. Encore jeune, mais très compétent. C’est pourquoi… » Sortant un morceau de papier entre son index et son majeur, il l’envoya à Marie d’une pichenette. Son subordonné avait apparemment laissé une note en disparaissant.

Attrapant le billet, Marie en examina le contenu. « Un code ? »

***

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