Genjitsushugisha no Oukokukaizouki – Tome 18
Table des matières
- Chapitre 0 : Prologue : Le vieil homme, l'arme ultime
- Chapitre 1 : Les petites tromperies sont une affaire de famille : Partie 1
- Chapitre 1 : Les petites tromperies sont une affaire de famille : Partie 2
- Chapitre 1 : Les petites tromperies sont une affaire de famille : Partie 3
- Chapitre 2 : Le Nouvel An dans les deux camps : Partie 1
- Chapitre 2 : Le Nouvel An dans les deux camps : Partie 2
- Chapitre 3 : Les chemins du frère et de la sœur : Partie 1
- Chapitre 3 : Les chemins du frère et de la sœur : Partie 2
- Chapitre 3 : Les chemins du frère et de la sœur : Partie 3
- Chapitre 4 : Vers une guerre mondiale : Partie 1
- Chapitre 4 : Vers une guerre mondiale : Partie 2
- Chapitre 5 : Intense dans le sud, calme dans l’ouest : Partie 1
- Chapitre 5 : Intense dans le sud, calme dans l’ouest : Partie 2
- Chapitre 5 : Intense dans le sud, calme dans l’ouest : Partie 3
- Chapitre 5 : Intense dans le sud, calme dans l’ouest : Partie 4
- Chapitre 6 : Pour qui te bats-tu ? : Partie 1
- Chapitre 6 : Pour qui te bats-tu ? : Partie 2
- Chapitre 6 : Pour qui te bats-tu ? : Partie 3
- Chapitre 7 : Même si nous nous séparons
- Chapitre 8 : Illusions sur le front du royaume : Partie 1
- Chapitre 8 : Illusions sur le front du royaume : Partie 2
- Chapitre 8 : Illusions sur le front du royaume : Partie 3
- Chapitre 9 : Une bataille acharnée ! Le front de la cité du dragon rouge : Partie 1
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Prologue : Le vieil homme, l’arme ultime
Publiée conjointement par l’Alliance maritime et l’Empire du Grand Tigre de Haan, la déclaration de la libération complète du Domaine du Seigneur-Démon avait atteint les gens à travers tout le continent de Landia. Grâce à un compromis entre les deux parties, elle se présentait comme suit :
1) Les forces combinées de l’Empire du Grand Tigre et du Royaume de Friedonia avaient pénétré dans le Domaine du Seigneur Démon et avaient rencontré des entités connues sous le nom de démons dans les profondeurs du territoire. Bien que de brèves escarmouches se soient produites, après une rencontre avec le représentant des démons, Mao — que l’on pensait auparavant être le Seigneur-Démon Divalroi —, la fin des hostilités avait été décidée.
2) En échangeant des informations, nous avions appris que les démons sont une autre race humaine connue sous le nom de « Seadians » qui est venue de l’autre côté de la mer, au nord. Pour eux, nous étions connus sous le nom de « Landiens », c’est-à-dire le peuple qui habite le continent de Landia. La bataille contre les démons était une bataille contre l’humanité.
3) On avait découvert que les Seadiens étaient également attaqués par des monstres et qu’ils s’étaient réfugiés à Landia. Grâce à cela, un point d’intérêt commun avait été trouvé. Les forces combinées avaient travaillé avec Mao pour sceller la porte d’un autre monde d’où les monstres s’étaient d’abord déversés.
4) Avec la fermeture de la porte, les vagues de démons qui venaient une fois par décennie allaient probablement cesser. Les monstres existeront toujours dans chaque région, mais en collaborant avec les Seadiens pour les éliminer, ils ne tarderont pas à être complètement exterminés.
5) Haalga, la ville de l’extrême nord habitée par les Seadiens, sera placée sous un mandat conjoint de l’Empire du Grand Tigre et de l’Alliance maritime et recevra leur protection combinée.
L’Empire du Grand Tigre voulait cacher à son peuple que « Souma et Mao ont fermé la porte d’un autre monde » tout en soulignant ses propres contributions.
À l’inverse, le royaume de Friedonia voulait éviter que Souma soit célébré comme le héros qui avait libéré le domaine du Seigneur-Démon, craignant que cela n’attise la colère du royaume du Grand Tigre et de l’État pontifical orthodoxe lunaire. Si la vérité sur l’affaire devenait publique, il y avait un risque que la nouvelle de l’origine de Souma et des droits accordés à ceux de sa lignée apparaisse au grand jour.
Le désir de l’Empire d’insister sur leurs contributions et celui du Royaume de minimiser les leurs étaient en accord. L’annonce reflétait les intentions des deux pays, mais avait tout de même provoqué une vague d’euphorie sur le continent.
Lorsque les habitants de Landia avaient appris que le domaine du seigneur des démons, qui les avait tourmentés pendant des années, avait disparu et que les démons (les Seadiens) avaient accepté de cesser les hostilités, ils avaient pensé qu’une période de paix était enfin à portée de main.
Ceux qui avaient été chassés du nord avaient dû espérer qu’ils pourraient retourner chez eux. Cependant, ceux qui avaient une vision critique de l’exploit restaient mal à l’aise. La menace imminente du Domaine du Seigneur-Démon ayant été écartée, le continent était divisé en deux camps : l’Empire du Grand Tigre de Haan et ses alliés, et l’Alliance maritime. Sans ennemi commun, les deux factions parviendraient-elles à entretenir des relations amicales ? Un conflit pour la suprématie se préparait-il en arrière-plan ? En tout cas, c’est ce qu’espérait le peuple de l’empire du Grand Tigre.
Le toujours victorieux et invaincu (bien qu’on ne puisse pas vraiment l’appeler ainsi) Fuuga ne serait-il pas capable de réaliser l’exploit sans précédent d’unir le continent ? L’Alliance maritime était une grande faction composée du Royaume de Friedonia, de la République de Turgis, du Royaume de l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes et du Royaume d’Euphoria. Chacune de ces nations devait paraître petite et faible à côté de l’Empire du Grand Tigre.
À la fin de la période des États en guerre en Chine, lorsque les Qin avaient annexé les six autres États, les gens n’auraient-ils pas espéré que les puissants Qin seraient capables de mettre fin au chaos et d’unir les sept États en un seul ?
Dans le chaos de la fin de la période Muromachi, les gens n’avaient-ils pas souhaité que Nobunaga unifie le pays du Soleil-Levant ? Et lorsqu’il était tombé, ne s’étaient-ils pas tournés vers Hideyoshi, puis vers Ieyasu après la mort de Hideyoshi ?
Le peuple, enchanté par le mythe de l’indétrônable Fuuga, n’aurait-il pas espéré qu’il soumette l’Alliance maritime et unisse le continent ? Le peuple avait espéré l’émergence d’un grand homme, et un grand homme s’était levé pour répondre à ces espoirs. Puis le peuple souhaitait encore plus d’exploits venant de ce grand homme, et il se précipitait, amassant leur espoir en lui-même.
Cependant, s’il ne parvenait pas à concrétiser ces espoirs, le peuple l’abandonnerait.
Pour éviter d’être abandonné par le peuple, le grand homme n’avait d’autre choix que de continuer à avancer, quitte à prendre des mesures drastiques. C’était le destin de tous ceux qui devenaient grands.
Ce que le peuple du Grand Empire du Tigre voulait maintenant, c’était un affrontement final entre le grand Fuuga Haan et Souma E. Friedonia de l’Alliance maritime. Ce désir était transparent pour le peuple de l’Alliance maritime, de sorte qu’une atmosphère de conflit inévitable balayait la joie initiale de la libération du domaine du Seigneur-Démon.
◇ ◇ ◇
Après être revenu à Parnam depuis la limite nord du continent, j’avais rapidement rassemblé les meilleurs cerveaux de notre pays.
Dans la pièce se trouvait une équipe fiable composée de Liscia, du Premier ministre Hakuya, qui était venu ici depuis le royaume d’Euphoria pour surveiller les lieux pendant mon absence, de son successeur Ichiha, de Julius le stratège blanc, commandant en chef de la force de défense nationale Excel et de son second Ludwin, ainsi que de Kaede, la conseillère de Ludwin.
Nous avions expliqué à ces individus comment Mao et moi avions fermé la porte d’un autre monde, ce qui impliquait un bref résumé de l’histoire de ce monde et des privilèges accordés à ceux qui portaient mon sang — le sang de l’ancienne humanité. Tous ceux qui avaient entendu l’histoire avaient l’air de vouloir se serrer la tête ou de venir de mordre dans quelque chose de désagréable.
« Dire que le fardeau ne pèserait pas seulement sur Souma, mais aussi sur les enfants… » déclara Liscia avec dépit. J’avais ressenti la même chose.
Les échecs des futurs habitants de la Terre étaient placés sur des enfants qui ne savaient même pas ce qu’était la Terre, après tout.
« Après avoir parlé avec Mao, j’ai pu arrêter ses fonctions les plus dangereuses comme l’ouverture de la porte de l’hémisphère nord et la création de nouveaux donjons. Je ne pense pas que l’on aura à nouveau besoin de mon sang immédiatement, mais… »
« Pourtant, ton sang sera nécessaire pour partir dans l’hémisphère nord », dit Julius en croisant les bras. « Si le royaume de Lastania était encore intact, j’aurais sûrement demandé à adopter l’un de tes enfants et de ceux de Roroa. Je voudrais que la lignée soit intacte si quelque chose devait arriver. »
« Oui, c’est vrai », ajouta Hakuya. « En tant que consort royal de la reine d’Euphoria, le royaume d’Euphoria aimerait aussi adopter l’un de tes enfants et de ceux de Maria. »
Même Hakuya est du même avis, hein ? m’étais-je dit. Je comprends ce sentiment, mais laissez-moi respirer.
« Bon, mettons de côté la question de l’hémisphère nord pour plus tard. Les problèmes du sud sont prioritaires », dis-je, ce qui fit que Kaede ouvrit la bouche avec un sentiment de tension.
« Vous voulez dire que… Fuuga Haan va enfin passer à l’attaque. »
« Eh bien, ceux de l’Alliance maritime sont les seuls pays qui peuvent encore s’opposer à lui maintenant », dit Excel en cachant sa bouche derrière son éventail. « Le pays de Fuuga a obtenu le soutien de la population grâce à une croissance constante. Bien qu’il ait libéré le Domaine du Seigneur-Démon, s’il cessait de progresser, ils commenceraient bientôt à faire face à un mécontentement interne. Cela entraînerait rapidement le déclenchement d’une guerre civile, et le maintien du pays deviendrait difficile. L’empire de Fuuga pourrait durer jusqu’à la fin de sa vie naturelle, mais il éclaterait peu de temps après. »
« Le fait est que son pays n’a pas d’autre choix que de se battre, n’est-ce pas ? » demanda Ludwin en soupirant.
Fuuga avait mis la main sur des administrateurs compétents comme Lumière. S’il voulait y mettre du sien et planifier, il pourrait probablement prolonger la vie de son pays au-delà de sa mort. Mais avec sa personnalité du tout ou rien, il ne pouvait pas prendre cette décision.
« Fuuga veut confier son destin à ses propres talents », avais-je affirmé. « C’est un homme d’ambition, qui demande au monde jusqu’où il peut aller. C’est pourquoi il ne s’arrêtera jamais. Il va sûrement déclarer la guerre à l’Alliance maritime, et sa première cible sera le royaume de Friedonia, qu’il considère comme la plus grande menace. »
Une vague d’expressions tendues avait envahi toutes les personnes présentes dans la pièce. Personne n’avait adopté un point de vue optimiste ou n’avait exprimé une position contraire. Tous avaient compris qu’il s’agissait de la vraie nature de Fuuga.
« Il n’arrête pas son avancée. Même si nous le repoussions à plusieurs reprises, il se relèverait implacablement, puis reviendrait à la charge. L’époque — le peuple — veut de lui. C’est ce que signifie être Fuuga Haan. Le héros né à cette époque est protégé par l’époque dans laquelle nous vivons. C’est pourquoi, si nous voulons l’arrêter, nous devons changer l’époque elle-même. »
Le seul moyen de vaincre Fuuga était de mener le monde vers une ère où les gens ne le rechercheraient pas.
« Je crois que je sais comment faire exactement cela. Je m’en suis rendu compte après que nous ayons atteint Haalga, la ville dirigée par Mao, le chef des Seadiens. Écoutez bien ce que je vais vous dire… »
J’avais ensuite expliqué la méthode que j’avais trouvée à Haalga pour vaincre Fuuga. Tout le monde pencha la tête sur le côté à certains moments, mais avec suffisamment d’explications, ils comprirent.
« Je vois. Est-ce ainsi que cela fonctionne ? » Excel me fit un sourire qui montrait qu’elle n’était pas tout à fait mécontente de la situation. « Tu m’as dit que ce n’était pas une question de tactique ou de stratégie à Haalga, mais… Oui, je suis tout à fait d’accord pour dire que ce n’est ni l’un ni l’autre. Hee hee ! Si tu y parviens, je suis sûre que les habitants de l’empire du Grand Tigre ne pourront pas réagir. »
« C’est sans aucun doute une manœuvre efficace. Si ça marche, je pense que Fuuga et Hashim auront beaucoup de choses à se mettre sous la dent », approuva Julius. Mais il pencha la tête sur le côté et ajouta : « Cependant… ne faudra-t-il pas du temps pour la mettre en pratique ? »
« Oui… on m’a dit que ça prendrait encore une demi-année », avais-je dit.
« Fuuga ne peut pas bouger tant qu’il n’a pas rallié le sentiment populaire, mais il attaquera probablement dès qu’il sera prêt à le faire. Il ne va pas attendre que nous soyons prêts. »
« C’est pourquoi nous devons gagner autant de temps que nous le pouvons. »
Ichiha, qui écoutait depuis tout ce temps, leva la main avec hésitation. Étant le plus jeune entouré de toutes ces personnes expérimentées, il devait se sentir assez nerveux.
« Ichiha ? » Je l’avais appelé par son prénom. Il sembla trouver sa résolution et s’avança.
« Hum… Dans ce cas, je pense que nous ne pouvons avoir recours qu’à une stratégie de retardement. Même si Fuuga attaque, nous devons faire en sorte qu’il soit difficile de mener une bataille décisive. Si nous défendons les frontières, cela aboutira rapidement à une bataille décisive, alors je pense que nous devons nous esquiver à certains moments, nous défendre à d’autres, et nous retirer lentement. »
Ce style de combat nous coûtait beaucoup d’efforts. Cependant, il n’y avait probablement pas d’autre moyen pour nous de gagner du temps contre l’Empire du Grand Tigre. Le fait de pouvoir donner une opinion réaliste comme celle-ci, même si elle n’était pas facile à entendre, montrait qu’il prenait de plus en plus conscience de son rôle de successeur d’Hakuya.
« Oui. C’est pourquoi je voulais réunir tout le monde ici pour élaborer notre stratégie et nos tactiques en gardant cette politique à l’esprit. Les cerveaux de ce pays se trouvent ici même. J’espère que vous pourrez tous trouver de meilleures stratégies que moi. »
Tout le monde hocha la tête pendant que je disais cela. Puis Hakuya leva la main.
« Si c’est de cela qu’il s’agit, alors il y a deux personnes que j’aimerais voir se joindre à nous au quartier général du commandement. »
« Hmm ? Ça ne me dérange pas. Qui appelleras-tu ? »
Hakuya sourit. « Il y a des gens que vous connaissez bien, Sire. »
◇ ◇ ◇
Quelques jours plus tard, dans la nouvelle ville de Venetinova…
« Et c’est pourquoi je veux que tu te rendes à Parnam sans tarder. »
Il y avait une personne que Weist Garreau, le seigneur de cette ville, avait personnellement convoquée dans son bureau. Cette personne était venue sans savoir pourquoi elle avait été appelée, et venait de recevoir un ordre royal du roi Souma de se présenter au château.
L’homme eut l’air abasourdi pendant un instant, mais cria de surprise dès qu’il comprit ce qu’on lui demandait. « Qu’est-ce que c’est ? Pourquoi moi ? »
Weist donna à l’homme l’ordre écrit, puis lui donna une tape rassurante sur l’épaule.
« Sa Majesté et le Premier ministre en robe noire veulent te voir. N’est-ce pas un honneur ? J’espère que tu feras de ton mieux pour eux en tant que représentant de cette ville, Sire Urup. »
« … »
La bouche d’Urup s’ouvrit sans mot dire devant le sourire affable de Weist, qui avait même fait baisser sa garde au prince souverain Gaius d’Amidonia.
☆☆☆
Chapitre 1 : Les petites tromperies sont une affaire de famille
Partie 1
Lors de la construction de la nouvelle ville de Venetinova, en 1546e année du calendrier continental, le vieil homme Urup avait raconté à Souma la légende du dieu de la mer, qui mettait en garde contre les dangers d’un tsunami.
Après sa rencontre avec Souma, les plans de la ville avaient été modifiés. Urup avait déménagé à Venetinova, où il continua son travail de pêcheur tout en travaillant comme conteur à côté, racontant aux gens les légendes et ce qu’il fallait faire en cas de tsunami.
Au fil des ans, le dur labeur de la pêche poussa l’endurance d’Urup à ses limites. Il finit par laisser ce travail à ses enfants et petits-enfants pour se concentrer sur son métier de conteur. Il se rendait dans les crèches — sur le modèle de celle du château de Parnam — et racontait ses contes aux enfants. Après avoir fait cela pendant un certain temps, il eut un jour une idée.
Il doit y avoir des légendes avertissant des catastrophes naturelles dans chaque région. Celles qui ne concernent pas seulement les tsunamis, mais aussi les glissements de terrain dans les montagnes et les vallées, et les inondations près des rivières sur les plaines. Près des forêts, il y a aussi des bêtes dangereuses. Toutes ces légendes… ont-elles vraiment leurs propres conteurs ?
Grâce aux connaissances acquises dans son ancien monde, Souma avait reconnu la valeur de la légende du dieu de la mer d’Urup et lui avait accordé beaucoup d’importance. En revanche, jusqu’à ce qu’il rencontre Souma, Urup ne connaissait pas la valeur de la légende qu’il racontait. Il était possible qu’à la fin de sa vie, la légende soit perdue. Et si personne ne connaissait la légende lorsque le jour de la calamité arriverait, combien de vies seraient perdues ?
Je frémis à l’idée d’y penser. Et je ne supporte pas de voir les légendes que nos ancêtres se sont donné la peine de nous laisser s’évanouir, inaperçues…
À ce moment-là, Urup eut un éclair d’inspiration.
Aussi vieux qu’il soit, il ne serait pas étrange qu’il tombe raide mort d’un jour à l’autre. Dans ce cas, il consacrera le temps qu’il lui restait à rassembler des légendes et à devenir le conteur de toutes ces légendes. Une fois cette décision prise, Urup agit rapidement. Il rédigea immédiatement une lettre à Souma pour lui expliquer ce qu’il pensait. Le temps passé à apprendre à lire et à écrire après avoir pris sa retraite de pêcheur en valait bien la peine.
« À Sa Majesté Royale, bien que je ne puisse résister aux vagues du temps ni ramer plus longtemps en mer, je prends maintenant cette plume dans l’espoir d’accomplir une dernière tâche. Haha ! » Souma rit aux éclats après avoir lu la première ligne de la lettre, sans se soucier de qui l’entend. « Ce vieil Urup va devenir folkloriste, hein ? Il a encore beaucoup d’énergie ! »
Essuyant ses larmes sous le regard étonné de Liscia et des autres, Souma commença à rédiger une lettre d’approbation sur-le-champ où il promit de financer l’entreprise. De plus, il délivra également un certificat attestant que les recherches d’Urup étaient approuvées par le roi et que les gens devaient coopérer avec lui. Il s’arrangea même pour que Juno, Dece et d’autres aventuriers dignes de confiance escortent le vieil homme dans ses déplacements.
Plus tard, cette lettre d’Urup fut offerte au musée de la capitale et devint l’une de ses principales pièces d’exposition. Mais c’est une histoire pour un autre jour…
« Hé, vieil homme Urup, j’ai apporté une lettre pour toi de la part du roi. »
« Oh, ma fille ! Dépêche-toi, et montre-la-moi ! »
Après avoir lu la réponse envoyée avec Juno et les autres aventuriers, Urup alla voir sa famille. Ils étaient raisonnablement inquiets de sa récente tendance à faire des choses dangereuses à son âge, mais il ne laisserait pas cela le ralentir.
« Je m’en vais pour l’instant ! », annonça-t-il, et il se mit en route.
« D’accord, par où commencer, mon vieux ? » demanda Juno.
Urup se frotta la moustache et dit : « Les catastrophes impliquant de l’eau sont effrayantes, alors nous allons d’abord longer la côte, puis je pense que cela sera les rivières. Ensuite, ce sera les montagnes. Une fois que j’aurai recueilli des légendes de partout, nous devrons retourner à Venetinova pour que je puisse les compiler. »
« Cela semble incroyablement chronophage… »
« Bien sûr. J’ai l’intention de passer le reste de ma vie à le faire. »
Sur ce, Urup se mit à marcher avec beaucoup d’entrain.
Normalement, les missions d’escorte se faisaient d’un village à l’autre. Juno et les autres se joignaient à lui lorsque cela correspondait à leurs plans. Dans les cas où cela ne leur convenait pas, Urup était accompagné par d’autres aventuriers de confiance de la guilde qui avaient reçu une demande du royaume.
Certains se méfiaient d’Urup et de son entourage qui se renseignaient sur les légendes locales, mais en voyant le certificat écrit du roi Souma, ils changèrent rapidement d’attitude avant de coopérer. Les gens qui avaient assisté aux rencontres d’Urup répandirent des histoires à leur sujet qui étaient exagérées de façon amusante. Plus tard, il y eut même une pièce de théâtre intitulée « Le voyage du Vieil Urup » dans laquelle il ressemblait un peu à un certain vieux dirigeant retraité de la région de Mito.
D’ailleurs, les membres qui l’accompagnaient dans cette pièce, comme Suke et Kaku dans l’original, faisaient toujours partie du groupe de Juno. (Même si ce ne sont pas toujours eux qui voyagent avec lui… mais on s’éloigne un peu trop du sujet.)
C’est ainsi qu’Urup parcourut tout le pays, enquêtant sur les mythes et les histoires populaires qui étaient restés comme des leçons de chaque région. Il revenait ensuite à Venetinova pour les compiler avant de repartir enquêter sur d’autres légendes. Ses compilations éditées étaient soumises au pays sous forme de rapport, et Souma et Hakuya étaient satisfaits du travail qu’il accomplissait.
Un jour, après que cela ait duré quelques années…
À son retour à Venetinova pour compiler le dernier lot d’histoires, Urup reçut une convocation du seigneur Weist Garreau et reçut l’ordre de Souma de se présenter au château de Parnam. Le lendemain, une gondole-wyverne arriva pour le conduire à la capitale, et en un rien de temps, Urup devint un homme du ciel.
Ai-je fait quelque chose qui l’a offensé ? Y a-t-il quelque chose dans mon rapport qui n’a pas plu au roi ou au Premier ministre ?
La gondole était spacieuse, au service de la famille royale, mais Urup se blottit dans un coin de celle-ci. Alors qu’il se demandait comment il en était arrivé là, la gondole continua son voyage. Avant qu’il ne s’en rende compte, ils avaient atterri dans la cour du château de Parnam.
« Vous devez être Maître Urup. C’est gentil d’être venu », salua poliment la servante en chef, Serina, alors qu’il débarquait avec hésitation de la gondole.
Bien que lié au roi Souma, Urup était toujours un roturier. Il était sidéré d’être accueilli comme une sorte de noble ou de ministre.
Serina fit un geste vers sa droite avec la paume de sa main droite. « S’il vous plaît, venez par ici. »
Urup lui emboîta le pas sans dire un mot. Il était habitué à Souma et à certains autres à ce stade, mais même les couloirs du château lui semblaient si formels qu’il se sentait nerveux. Il marcha jusqu’à ce qu’on l’emmène dans une pièce.
« Veuillez attendre ici un moment », déclara Serina en s’inclinant, puis en prenant congé.
En plus d’être décorée de peintures et d’autres œuvres d’art, la pièce comportait également deux grands canapés rouges confortables. Cela semblait être une sorte de chambre d’attente.
« Puis-je m’asseoir… ? »
Urup, qui était un peu avare, hésita à s’asseoir sur quelque chose d’aussi opulent. Après avoir lutté pendant un certain temps, il entendit une voix de l’autre côté de la porte.
« Veuillez attendre un moment dans cette pièce. Sa Majesté sera bientôt avec vous », déclara-t-elle.
La porte s’entrouvrit et il aperçut la servante dragonewt Carla de l’autre côté.
Puis, soudain, une personne fit irruption dans la pièce. C’était un grand homme barbu qui avait l’air encore plus déplacé dans le château qu’Urup.
Qui est ce type ? Il me semble que c’est un bandit, pensa Urup.
Leurs regards se croisèrent et le grand homme dit : « Hm ? Le roi t’a aussi convoqué, vieil homme ? »
« Je m’appelle Urup, je viens de Venetinova. Qui demande ça ? »
Si le grand homme se montrait violent dans cette pièce, il pourrait casser le vieil homme en deux. Cependant, Urup bomba le torse, ne voulant pas perdre face à lui, au moins dans l’attitude.
Voyant le comportement d’Urup et sentant qu’il avait effrayé le vieil homme, ce dernier se gratta l’arrière de la tête avec un sourire gêné.
« Je m’appelle Gonzales. Je suis le capitaine de l’équipe de sauvetage en montagne. J’ai reçu un appel soudain du roi aujourd’hui… Toi aussi, mon vieux ? »
« Oui… Je l’ai reçu. » Sentant que l’homme ne représentait pas un danger pour lui, Urup relâcha sa garde. « J’ai entendu parler de l’équipe de secours en montagne lorsque j’ai voyagé dans les villages de montagnes. Sa Majesté les a mis en place pour rechercher et secourir les gens qui se perdent. Beaucoup de ses membres sont d’anciens bandits des montagnes qui ont quitté cette vie de crime, mais les gens leur font confiance parce qu’ils connaissent bien les montagnes et sont prêts à aller n’importe où pour aider les gens. »
« Héhé héhé… Tu me fais rougir, là », dit Gonzales, sans avoir l’air de s’en préoccuper le moins du monde. Un sourire rendait n’importe qui un peu plus charmant, mais il avait le charme d’un ours totalement détendu.
« On t’a aussi appelé, n’est-ce pas, mon vieux ? As-tu entendu quelque chose ? »
« Non, je ne connais pas non plus les détails… »
Alors qu’ils discutaient, la porte s’ouvrit et Souma entra dans la pièce avec Hakuya à sa suite.
« Vieux Urup, Gonzales. Désolé de vous avoir convoqués si rapidement », dit Souma d’un ton désinvolte.
« Merci d’avoir pris la peine », ajouta Hakuya en inclinant la tête.
« V-Votre Majesté ! »
« Mon roi… Oh, désolé. »
En réponse à l’apparition soudaine de leur roi, Urup se prosterna précipitamment, tandis que Gonzales mit un genou à terre d’une manière qui ne semblait pas lui être familière.
Avec un sourire en coin devant leurs réactions, Souma déclara : « Non, non. Ne vous sentez pas obligés d’agir de façon formelle. Allez, levez-vous, vous deux. »
Les deux hommes se levèrent, ne sachant pas trop quoi penser de tout cela.
Souma sourit et leur dit : « Merci à tous les deux d’être venus. Il y a quelque chose pour lequel j’ai vraiment besoin de votre aide à tous les deux. »
Urup et Gonzales se regardèrent l’un et l’autre.
☆☆☆
Partie 2
Après cela, Urup et Gonzales furent conduits dans une autre pièce un peu sombre en raison de l’absence de fenêtres.
Au centre de la pièce, occupant la majeure partie de l’espace, se trouvait un grand objet qu’ils ne parvenaient pas à distinguer. En y regardant de plus près, les deux hommes se rendirent compte qu’il s’agissait d’une maquette du royaume de Friedonia. Elle représentait les positions relatives des villages, des villes et des cités, et recréait même les hauteurs des montagnes.
Urup et Gonzales avaient eu un haut-le-cœur en voyant cela. La précision du modèle était étonnante.
Ayant parcouru le pays pour enquêter sur les légendes, Urup pouvait dire à quel point elle était exacte. Gonzales le savait aussi, car il avait parcouru les montagnes dans le cadre de ses opérations de sauvetage. Même les cartes détaillées étaient un secret bien gardé, alors ce modèle élaboré n’était pas le genre de chose que des gens ordinaires comme eux auraient été autorisés à voir dans des circonstances normales.
« Qu’est-ce que c’est que ça… ? »
« C’est exactement ce à quoi ça ressemble. Un modèle réduit de ce pays », répondit Hakuya, qui était déjà dans la pièce.
En regardant autour d’eux, ils virent que la commandante en chef des forces de défense nationale Excel et Julius le stratège blanc étaient également présents.
Il s’agissait de la deuxième salle de guerre du château de Parnam, l’endroit où ils avaient planifié la relève de l’Empire du Gran Chaos il n’y a pas si longtemps.
Reprenant enfin ses esprits, dégoulinant de sueur, Gonzales demanda : « Alors… pourquoi êtes-vous allé nous montrer ça ? N’est-ce pas un secret national ? »
« Heehee ! Oui, c’est le cas. Si vous essayiez de l’emporter hors d’ici, on se débarrasserait de vous en secret. », s’esclaffa Excel, la bouche cachée derrière son éventail. Elle souriait, mais cela ne faisait pas rire les deux invités.
Les hommes invités dégoulinaient de sueur froide. Pourquoi avaient-ils été convoqués ici, et que diable allait-il leur arriver ?
« Excel. Ne les effraie pas, s’il te plaît », répliqua Souma, ce qui amena Excel à tirer la langue de façon ludique.
On aurait dit que c’était sa petite-fille Juna qui faisait le même geste après une petite bêtise.
« Bon sang, » dit Souma, les épaules affaissées. Puis, frappant ses mains l’une contre l’autre, il tenta de se remettre sur les rails. « Maintenant, pour ce qui est de la raison pour laquelle vous êtes tous les deux ici, Hakuya me dit qu’il veut emprunter un peu de votre sagesse. »
« En effet », dit Hakuya en s’avançant. « Vous êtes tous les deux en possession de connaissances spécialisées. Sir Gonzales connaît les montagnes de ce pays comme sa poche. Et tout en recueillant des légendes sur les désastres impliquant l’eau, Sir Urup en a appris suffisamment pour qu’on puisse le qualifier d’expert en matière de contrôle des inondations. J’aimerais que vous nous prêtiez tous les deux vos connaissances pour le bien de ce pays. »
Sur ce, Hakuya leur donna une explication de la situation dans laquelle se trouvait ce pays.
La seule faction qui pouvait s’opposer à l’Empire du Grand Tigre de Haan était l’Alliance maritime, et avec le nord stabilisé, on s’attendait à ce que Fuuga envahisse ce pays dans un avenir pas si lointain. La plupart des habitants de ce pays étaient soulagés que la menace du Domaine du Seigneur-Démon ait disparu, et qu’une période de paix soit enfin arrivée, aussi cette révélation fut-elle un réveil brutal pour tous les deux.
« Est-ce donc la situation ? » dit Gonzales, déconcerté.
« Ça a l’air rude… » dit Urup en ajoutant : « Mais maintenant, je suis encore moins sûr de savoir pourquoi vous nous avez fait venir ici… »
Hakuya sourit un peu en posant sa main sur la maquette.
« Pensez aux forces du royaume du Grand Tigre comme à de l’eau qui se précipite vers nous. Elles se déplacent plus rapidement lorsqu’elles passent d’un terrain élevé à un terrain plus bas, et elles perdent de l’élan en allant dans la direction opposée. Si elles sont divisées, elles perdent de leur vigueur, et si elles se rejoignent, elles en gagnent. L’eau et les armées sont pareilles à cet égard. Parce que les endroits que l’eau peut traverser facilement sont aussi facilement traversables par les hommes. »
Après avoir dit cela, Hakuya regarda Urup et continua.
« Sir Urup. Dans vos rapports, vous avez signalé les zones à risque malgré l’absence de légendes, n’est-ce pas ? C’est parce que, d’après les légendes que vous avez recueillies jusqu’à présent, vous comprenez instinctivement où l’eau s’accumule facilement. Si nous assimilons la force d’invasion à de l’eau, alors ne pourriez-vous pas nous dire où elle se déplacera en vous basant sur ce modèle réduit ? »
« Eh bien… » Urup s’était interrompu, mais en même temps, il simula l’écoulement de l’eau sur la maquette qui se trouvait devant lui.
Comment l’eau se déplacera-t-elle si elle traverse la frontière nord ? pensa-t-il. Elle se divisera au niveau de cette montagne, puis se rejoindra à nouveau dans ce bassin. Si elle emprunte ce chemin étroit, elle arrivera à un cul-de-sac, mais en descendant par cet autre chemin, elle se dirigera sans encombre vers la capitale.
« Non, non… » Urup secoua la tête alors qu’il effectuait sa simulation mentale. « C’est vrai, je peux dire comment ça bougerait sur ce modèle réduit, mais les vraies routes de montagne ne sont pas aussi simples. Il doit y avoir des routes que vous ne pouvez pas représenter avec ça. »
Hakuya acquiesça. « Tout à fait. C’est pourquoi j’ai aussi appelé Sir Gonzales. »
« M-Moi ? » Gonzales s’était lui-même désigné avec son index.
« En effet. » Hakuya acquiesça. « En tant que capitaine de l’équipe de sauvetage en montagne, vous avez beaucoup appris sur les nombreuses montagnes de ce pays. Probablement autant que les gens qui vivent dans la région. »
« Hrm... Eh bien, je suis sûr que j’ai escaladé plus de montagnes que n’importe qui dans le pays. » Gonzales se gratta l’arrière de la tête.
Hakuya acquiesça à nouveau avant de poursuivre. « Sir Gonzales, vous connaissez très bien le genre de chemins cachés dans les montagnes que Sir Urup a signalé comme un problème, ainsi que les sentiers que les bêtes sauvages empruntent. Si nous disposons de vos connaissances pour compenser les lacunes de cette maquette, alors Sir Urup pourra probablement élaborer un chemin précis pour l’invasion. »
« Je vois. D’où le fait que tu aies appelé ces deux-là », dit Julius, impressionné, puis croisant les bras. « Fuuga n’aura pas d’autre choix que d’utiliser une grande armée pour envahir ce pays. Les gens ici ont une meilleure qualité de vie, et avec des émissions quotidiennes pour cultiver la population, il ne sera pas aussi facile pour eux d’utiliser la propagande que contre l’Empire. N’ayant d’autre choix que de lancer une invasion frontale avec une grande armée, les chemins que ses forces pourront emprunter seront limités. »
« Et si nous pouvons réduire les itinéraires qu’ils pourraient emprunter, alors la préparation des contre-mesures devient plus facile, » dit Excel en fermant son éventail. « Comme l’a dit Sir Ichiha tout à l’heure, nous devons utiliser des tactiques de retardement. Les endroits où l’eau s’accumule sont ceux où il est le plus facile de déployer une force militaire, ils seront donc difficiles à défendre, ce qui conduira à leur abandon. Mais les endroits où l’eau doit se diviser sont faciles à défendre, alors nous tenons ces points clés pour que l’Empire du Grand Tigre ne puisse pas y déployer ses forces. »
« C’est exact », confirma Hakuya. « En même temps, si nous utilisons les connaissances que ces deux-là possèdent, nous pourrons empêcher l’ennemi d’utiliser des itinéraires que nous ne connaissons pas pour nous contourner. »
Urup et Gonzales étaient toujours aussi confus, mais toutes les personnes intelligentes dans la salle semblaient satisfaites de cette explication.
Souma, qui avait écouté jusque-là, déclara : « Je comprends ce que pense Hakuya. Urup, Gonzales ! »
« O-Oui, sire ! »
« Qu’est-ce qu’il y a ? »
Inclinant la tête, Souma répondit : « S’il vous plaît, prêtez au pays votre sagesse. »
Voir le roi s’incliner fit encore plus paniquer les deux individus. Il n’y avait pas de refus à ce stade ni d’hésitation d’ailleurs.
« Relevez la tête, sire ! Si ce faible vieillard peut être utile, alors je ferai tout ce que vous me demanderez ! »
« Oui, sire ! Je vous en dois une pour m’avoir aussi aidé à me sortir de l’affaire des bandits des montagnes. Si ce que je sais peut être utile, alors laissez-moi vous aider ! »
« Merci à vous deux. » Leur assistance assurée, Souma releva la tête et sourit.
C’est ainsi qu’Urup et Gonzales avaient rejoint la deuxième salle de guerre du royaume de Friedonia et qu’ils avaient commencé à renforcer les défenses contre la future invasion.
« Monsieur le premier ministre, il y a un chemin sur cette montagne. Il n’est pas assez large pour les chevaux, mais les hommes pourraient le traverser à pied. »
« Hmm. Nous pourrions positionner des troupes par précaution, ou peut-être l’utiliser pour tendre une embuscade à leurs unités arrière », dit Hakuya.
« Ce bassin ici est largement ouvert, mais du côté ouest, il est en pente ascendante vers le sud. L’eau s’accumulerait ici, mais elle aurait du mal à s’écouler vers le sud. Au contraire, elle devrait s’écouler par le côté est. »
« Je vois ce qu’il en est. Dans ce cas, c’est un endroit où l’avancée de l’ennemi sera inégale. Sir Julius ? » demanda Excel.
« Vous avez sans doute raison », répondit Julius. « Je pensais que nous devrions peut-être abandonner ce point si nous ne pouvions pas le défendre, mais il vaudrait peut-être mieux mettre en place une défense acharnée ici et freiner leur avancée. »
« Heehee ! Oui, c’est vrai. Je pense que nous pourrions faire quelques dégâts si une unité chargeait depuis l’est. »
Le chef de l’équipe de secours en montagne et un conteur se joignaient à des réunions stratégiques avec le Premier ministre, le stratège blanc et la commandante en chef, et leurs opinions avaient le même poids. Leurs débats se poursuivaient jour et nuit, et les tactiques de retardement qu’ils proposaient s’affinaient de plus en plus. Cette situation était probablement la « tortue avec de nombreux serpents en guise de queue qui attaquent sans tenir compte des intentions de la tortue » que Fuuga avait redoutée.
Et ce genre de phénomène se produisait également dans d’autres endroits.
☆☆☆
Partie 3
Depuis sa création, le centre d’apprentissage de la capitale connu sous le nom d’École professionnelle Ginger n’avait cessé de gagner en popularité. Avec la construction de bâtiments supplémentaires pour répondre à sa taille toujours plus grande, le nom avait depuis changé pour devenir le Collège Ginger.
Aujourd’hui, de nombreuses jeunes femmes vêtues de robes blanches étaient réunies dans l’un des amphithéâtres.
Une femme se tenant à l’avant de la foule demande : « Tout le monde est prêt ? ».
« « « Oui, Sainte Marie. » » »
La réponse fit lâcher à Marie un petit rire troublé. « Je vous ai dit que je n’étais plus une sainte, et vous êtes tous d’anciennes candidates à la sainteté maintenant, n’est-ce pas ? »
Il s’agissait des membres de la chorale des filles de Lunaria, composée d’anciennes candidates à la sainteté qui avaient fui l’État pontifical orthodoxe lunarien.
Les filles de la chorale couvrirent Marie de regards admiratifs comme si elle était leur grande sœur.
« Non, Lady Marie, c’est vous qui nous avez sauvés de l’État papal orthodoxe ! »
« Vous êtes notre sauveuse ! »
« Quoi qu’on en dise, vous seriez toujours une sainte pour nous ! »
En entendant ces mots associés à leurs regards adorateurs, Marie ne savait pas comment réagir.
« Ha ha ha ! Pourquoi ne pas les laisser te vénérer si elles le souhaitent ? Je ne vois pas où est le mal », déclara une voix sur un ton très décontracté.
Marie lança un regard noir à l’orateur. « Vous dites cela comme si c’était si simple, Votre Sainteté l’archevêque Souji… »
« Hé, hé, ne me lance pas des regards noirs », dit Souji en écartant les bras. « C’est sans aucun doute le résultat de tes propres actions. J’ai entendu dire qu’avec les partisans de Fuuga qui tiennent actuellement le haut du pavé dans l’État papal orthodoxe, il y a une pluie de sang, car ils mènent des purges constantes au nom de la chasse aux hérétiques. Si ces filles étaient restées dans le pays, elles auraient été victimes de ces chasseurs. Ces partisans veulent cimenter l’autorité de la Sainte de Fuuga, alors l’existence d’autres candidates n’est rien d’autre qu’une nuisance pour eux. »
« La sainte de Fuuga… Je suppose que vous parlez de Anne, non ? »
L’expression de Marie s’était assombrie. Elle avait tendu la main à Anne lorsqu’elles allaient s’échapper de l’État papal orthodoxe, mais elle avait essuyé un refus. Anne était l’une de celles qu’elle n’avait pas réussi à sauver. Ou plutôt, si la jeune fille avait choisi cela pour elle-même, peut-être avait-elle tort de penser qu’elle n’avait pas réussi à la sauver.
Anne… À quoi penses-tu en ce moment ? Que ressens-tu en voyant le sang qui coule à tes pieds ? Cela ne te brise-t-il pas le cœur ? Moi qui voulais vivre une vie où l’on avait besoin des gens, je suis maintenant utilisée comme un accessoire pour soutenir l’autorité d’un autre…
Alors que Marie pensait cela, Souji serra soudainement ses mains autour de tempes de Marie et secoua la tête.
« Attendez, qu’est-ce que vous faites ? Arrêtez, s’il vous plaît », proteste Marie, mais Souji se contenta de glousser.
« Eh bien, tu sais… tu avais juste un air si aigre sur ton visage. Je me suis dit que j’allais le remuer un peu. »
« Ne me secouez pas comme ça. Bon sang, regardez quel désordre vous avez fait de mes cheveux. »
Se libérant de l’emprise de Souji, elle gonfla ses joues en arrangeant ses cheveux ébouriffés.
Voyant son expression, Souji rit et dit : « Oui, c’est plutôt ça ! Le fait d’afficher ouvertement tes émotions te va bien mieux qu’une expression couvée. »
« Qui vous a demandé… ? »
« Si tu as l’air morose, cela met tout un tas de gens mal à l’aise », dit-il en désignant derrière elle d’un geste du menton.
Marie se retourna et vit les anciennes candidates à la sainteté la regarder avec inquiétude. Pourquoi ? pensa-t-elle.
« Tu vois ? Cela signifie que tu es une sainte importante pour ces filles maintenant », affirma Souji. « Que tu le reconnaisses ou non, elles te respectent et t’adorent. Si quelqu’un que tu aimes et que tu respectes avait l’air de souffrir, tu t’inquiéterais aussi, n’est-ce pas ? »
« Ce n’est pas possible. Je ne suis pas si importante que ça… » Marie essaya de faire preuve d’humilité, mais les plus de vingt-quatre paires d’yeux braqués dans sa direction lui dirent le contraire.
Il était difficile de faire preuve d’une humilité excessive devant eux tous. S’ils avaient des attentes à son égard, c’était de la compassion humaine naturelle que de ne pas vouloir les décevoir.
« Je suppose qu’à un moment donné… J’ai pris de l’importance. »
« Un prêtre dégénéré comme moi a réussi à devenir archevêque, après tout. Les gens changent lorsque le monde ou l’environnement dans lequel ils se trouvent change. L’essentiel est de réfléchir par toi-même — de se tenir sur ses propres pieds —, quel que soit l’endroit où l’on se trouve. Que tu ailles dans le sens du courant ou que tu luttes contre lui, il y a un sens à décider de ton propre chemin. »
« Votre Sainteté… »
Réfléchis par toi-même.
Si Anne avait choisi d’être une sainte, tout comme Marie avait choisi de se libérer des chaînes que lui imposait le fait d’être une sainte, alors il n’y avait peut-être pas lieu de s’en inquiéter. Peut-être Marie devrait-elle reconnaître le choix d’Anne comme l’une des rares à connaître la souffrance qu’il implique. Peu importe comment les gens du présent ou de l’avenir verraient le chemin qu’elle prenait.
L’expression de Marie s’adoucit alors. « Je dois vous féliciter, Votre Sainteté. Vous avez le don de ramener les agneaux égarés sur le chemin. »
En entendant ce compliment, Souji frotta sa tête lisse et rit. « Ha ha ha ! J’ai toujours été plus un homme à mouton qu’un homme à agneau, mais d’une manière ou d’une autre, je continue à aider les petits agneaux perdus. C’est vraiment dommage. »
« Oh, mais un certain ours paresseux est toujours aidé par des agneaux. Sans Mlle Merula et moi, le bureau de l’archevêque serait rapidement si encombré qu’il n’y aurait nulle part où se tenir, et votre prestige serait depuis longtemps tombé à terre, Votre Sainteté. »
« Je vois que tu as appris à te tenir à carreau, jeune fille… »
Ayant été spécifiquement chargée par le roi Souma de veiller sur Souji, Marie gérait une grande partie de sa vie quotidienne. Souji étant le visage de l’orthodoxie lunaire du royaume, la perte de son autorité aurait un effet négatif sur tous les croyants orthodoxes lunaires du pays. En supervisant strictement ses activités, elle avait formé un front commun avec Merula la haute elfe, qui vivait sans loyer dans sa maison en échange du nettoyage de l’endroit.
Merula avait été déclarée sorcière par l’État papal orthodoxe, et Marie s’était trouvée dans une position qui l’obligeait à condamner Merula, mais maintenant elles s’étaient unies dans le but de réformer Souji. Grâce à elles deux (et à un changement de mentalité de sa part), il menait une vie plus saine.
En parlant de ça, Souma avait déclaré : « Tu sais, l’orthodoxie du royaume n’interdit pas à ses hommes d’Église de se marier, alors prends-les toutes les deux comme épouses », ce qui fait que Souji avait froncé les sourcils.
Les anciennes candidates au titre de sainte avaient souri en regardant cet échange entre l’archevêque et la sainte, dans lequel on ne savait pas très bien qui avait le dessus.
Soudain, une voix grave et avec des manières de gentleman résonna dans le hall. « Ahh, ahem. Avez-vous fini tous les deux ? »
La source en était un homme au visage de morse portant un smoking, debout à côté du directeur du collège — Ginger — et de sa femme, Sandria.
Il s’agissait de Morse, membre de la race des morses (composée d’hommes bêtes morses), l’une des cinq races des plaines enneigées de la République, et également le représentant de la Société des chants ouvriers. Après le succès de la bataille de chants de l’Est et de l’Ouest, Morse avait suivi la voie de la musique et était maintenant le chef de la chorale des filles de Lunaria.
Avec un sourire en coin, Morse dit : « Il est grand temps de commencer l’expérience. Sir Ginger, est-ce que tout est prêt pour que nous commencions ? »
« Oui. Le joyau que nous avons emprunté à Sa Majesté montre cet amphithéâtre en ce moment », dit Ginger en faisant un geste vers la gemme installée près de l’entrée. « Le flux est visible non seulement dans ce pays, mais aussi dans toutes les nations de l’Alliance maritime. L’expérience vise à déterminer si les participants de chaque ville pouvaient guérir les blessés en écoutant les chants de la chorale des filles de Lunaria. »
L’art secret de l’orthodoxie lunaire, le Soin de Masse, impliquait que les mages de lumière de l’église revitalisent un grand nombre de personnes malades en une seule fois par le biais d’une chanson.
La récente bataille de chants avait démontré que les images mentales étaient importantes pour l’efficacité de la magie, et que les chansons donnaient effectivement au lanceur de sorts la bonne visualisation. Dans ces conditions, cette expérience visait à vérifier si l’écoute d’hymnes diffusés avait un effet bénéfique sur la magie de guérison. Genia, Merula et les autres génies du royaume pensaient qu’il y avait de bonnes chances que ce soit le cas. Selon eux, l’effet serait probablement moindre que si l’on écoutait les chanteurs en personne, mais l’imagerie de la chanson ne serait pas atténuée par la diffusion.
Si cette hypothèse s’avérait exacte, chaque pays de l’Alliance maritime pourrait utiliser ses canaux de diffusion pour aider à soigner les blessés à l’échelle mondiale chaque fois qu’il y aurait un combat. Même si l’autre camp remarquait ces émissions, l’Alliance maritime pourrait se signaler les uns aux autres pour changer leurs fréquences afin d’empêcher l’utilisation par l’ennemi, ce qui devrait donc constituer un avantage majeur.
Une fois que Ginger eut expliqué les intentions derrière cette expérience, Sandria s’avança et déclara : « Donc, en gros, votre badinage a été visible par le monde entier. Puis-je vous suggérer de garder ce flirt confiné dans votre propre maison ? »
« Euh, non, nous n’avons pas flirté », protesta Souji, mais Marie tourna son visage vers le bas, rougissant d’embarras. Les anciennes candidates à la sainteté couinèrent de joie devant leurs réactions.
Puis un bruit d’applaudissements résonna dans la pièce.
« D’accord, d’accord, ça suffit. C’est plutôt grossier de mettre le nez dans la vie amoureuse des autres », dit Morse de sa voix grave et sonore.
« D’accord ! », répondirent avec enthousiasme les anciennes candidates au titre de saint.
Souji semblait vouloir dire quelque chose, mais n’y parvenait pas, car il comprenait que ce serait remuer un nid de frelons. Marie, quant à elle, se couvrait le visage et souhaitait qu’il y ait un trou dans lequel elle pourrait se glisser.
Avec un sourire en coin face à leur situation difficile, Morse leva son bâton. « Maintenant, tout le monde. Pouvons-nous commencer ? »
« « « Oui. » » »
C’est ainsi que commença l’expérience de la diffusion du Soin de Masse.
Le résultat fut un succès, comme prévu. Souma et les autres furent ravis lorsqu’ils entendirent le rapport, et ils ordonnèrent à Ginger et à son équipe de continuer à expérimenter.
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Chapitre 2 : Le Nouvel An dans les deux camps
Partie 1
— Fin de la 1553e année, calendrier continental —
Les habitants de chaque pays organisaient de grandes fêtes pour célébrer la fin de l’année, qui resterait dans les mémoires comme celle de la libération du Domaine du Seigneur-Démon. Libérés de l’inquiétude qui les hantait depuis des décennies, ils rêvaient sans doute d’un avenir plus radieux. Dans notre pays, Juna dirigeait les préparatifs de la bataille de chansons annuelle (celle-ci n’était pas destinée à la recherche, mais ressemblait plutôt à la bataille de chansons rouge et blanche du nouvel an).
Cependant, contrairement à l’humeur festive de la population, les dirigeants politiques et militaires des pays de l’Alliance maritime ne pouvaient pas se permettre d’être dans un tel état d’esprit. Avec le durcissement de l’opinion publique dans l’Empire du Grand Tigre, le Royaume de Friedonia était certain qu’une invasion de l’Alliance maritime était imminente. Ils avaient fait part de ces inquiétudes à leurs trois alliés — la République de Turgis, le Royaume de l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes, le Royaume d’Euphoria — ainsi qu’au Royaume des Chevaliers dragons de Nothung, qui se trouvait en dehors de l’alliance mais avait récemment interagi avec eux dans le cadre de leurs activités de livraison.
Il fallait que les autres participent à l’élaboration du plan, alors j’avais pris le temps d’expliquer ce que j’avais entendu dans les profondeurs du domaine du Seigneur-Démon, notamment comment ce monde avait vu le jour et ce qu’était l’hémisphère nord.
Aujourd’hui, j’avais une réunion avec Kuu, Shabon et Jeanne — les chefs d’État des quatre nations de l’Alliance maritime — à distance grâce aux joyaux de diffusion. Une fois que tout le monde fut prêt, j’avais pris la parole en premier.
« Très bien, commençons cette réunion. »
« Ookyakya. »
« Oui. »
« D’accord. »
Une fois que je vis les trois autres acquiescer, je hochais la tête et je me tournai vers Kuu.
« Tout d’abord… Kuu. »
« Hm ? Qu’est-ce qu’il y a, mon frère ? »
« J’ai appris que tu vas bientôt être père de quatre enfants. Félicitations. »
« Ookyakya. Tu me mets dans l’embarras. » Kuu se gratta l’arrière de la tête, tandis que Shabon et Jeanne se joignirent à lui pour le féliciter à leur tour.
Il était encore sous le coup de l’émotion en devenant soudainement père de quatre enfants. En fait, Kuu n’avait appris la grossesse de Taru et de Leporina que l’autre jour. De plus, Leporina était apparemment enceinte de triplés, son ventre ayant déjà atteint une taille considérable. La race des lapins blancs étant connue pour sa fécondité, il aurait pu le voir venir.
Essayant de remettre les choses sur les rails, Kuu sourit et secoua la tête.
« Eh bien, c’est comme ça. Avec quatre enfants, au moins certains d’entre eux s’entendront avec les tiens, mon frère. Faisons en sorte qu’ils soient fiancés à Kazuha, Enju ou Kaito. »
« Tu t’avances alors qu’ils ne sont même pas encore nés… »
Il y aurait un écart d’âge de six ans avec Kazuha… C’était bien dans la fourchette acceptable pour ce monde, mais je voulais éviter un mariage avec lequel les parties concernées n’étaient pas d’accord.
« Eh bien… » commença Kuu en secouant la tête. « Maintenant que tu nous as dit à quel point ton sang de vieille humanité est important, frangin, la République veut un morceau de cette lignée pour elle-même. L’Archipel du Dragon à Neuf Têtes a les fiançailles entre Cian et Sharan, tandis que le Royaume d’Euphoria a juste besoin que tu aies un enfant avec leur ancienne impératrice. En tant que chef de la République, je ne peux pas accepter que nous n’obtenions rien. »
Je comprends ce qu’il veut dire… J’aurais ressenti la même chose à la place de Kuu.
« Très bien. Une fois que tes enfants seront nés et auront un peu grandi, faisons-les tous se rencontrer. S’il y a des paires qui s’entendent bien, alors je pense que c’est bien d’organiser un mariage pour eux. »
« Ouais ! Je t’en tiendrai rigueur, mon frère », dit Kuu avec un large sourire.
Jeanne acquiesça. « C’est vrai, nous aimerions aussi le sang de la vieille humanité. Lorsque tu auras des enfants avec ma sœur, nous aimerions en adopter un. »
« Tu t’avances aussi, madame Jeanne… »
« Oh ! Jeanne va très bien, mon frère. »
Maintenant que j’y pense, c’est ma belle-sœur. Après Tomoe, elle est donc ma deuxième belle-sœur.
« Quoi qu’il en soit… Je dois m’excuser, Jeanne, d’avoir appelé Hakuya si souvent alors que vous venez de vous marier. »
« Je comprends. » Jeanne sourit ironiquement et secoua la tête. « Tu n’as pas vraiment le choix vu la situation actuelle. »
« Ça fait du bien de t’entendre dire ça… »
« Honnêtement, ce n’est pas mon mari qui me préoccupe… Sir Hakuya étant hors du pays, je m’inquiète davantage des bêtises que Trill pourrait commettre. Elle travaille d’arrache-pied pour mettre au point quelque chose qui lui permettra de se défouler après avoir été séparée de Madame Genia. »
La princesse foreuse est toujours la même, hein ? m’étais-je dit.
Jeanne pousse un soupir d’épuisement. « Tout à l’heure, elle disait : “De devoir défendre le château, ça manque d’allure ! Ne serais-tu pas d’accord pour dire que ce serait bien d’avoir un château capable d’écraser complètement nos ennemis ?” et puis elle a commencé à remodeler les murs du château. »
« D-D’accord… »
« Cela dit, Sir Hakuya passe en revue ses inventions et récupère celles qui pourraient être utiles, alors elle a apporté des contributions majeures à la technologie de notre pays… »
« Ookyakya ! Mlle Trill est toujours aussi divertissante, à ce que je vois ! J’aimerais beaucoup qu’elle vienne dans notre pays et qu’elle nous aide à remodeler la ville que nous avons volée à Zem ! »
« Elle est toute à toi », dit Jeanne avec un geste comme si elle lui passait quelque chose.
Bien que Trill et Kuu se soient rencontrés pendant la construction du tunnel, on sentait qu’ils pouvaient former une combinaison dangereuse.
« Sir Souma… »
« Hm ? »
À ce moment-là, Shabon, qui écoutait tranquillement depuis tout ce temps avec une expression sereine, se redressa et inclina la tête vers moi.
« Je dois m’excuser pour la façon dont la flotte de mon pays s’est déshonorée pendant la campagne contre le domaine du Seigneur-Démon. »
« Oh… Ça, hein ? »
Lorsque nous avions envoyé une flotte au domaine du Seigneur-Démon à la demande de Fuuga, Shabon avait envoyé une flotte de l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes pour nous escorter. Cependant, lorsque nous avions rencontré l’arme humanoïde Jangar, l’un des navires de l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes n’avait pas tenu compte des ordres de ne rien entreprendre et avait attaqué Jangar, ce qui avait déclenché les hostilités. Nous avions perdu un porte-îles dans cette bataille, et les pertes n’avaient pas été négligeables.
J’avais déjà reçu une excuse de sa part depuis mon retour au Royaume, mais c’était la première fois qu’elle le disait à titre officiel.
« Ceux qui ont désobéi aux ordres seront punis en vertu des lois de notre pays, mais je dois m’excuser pour les échecs de ceux qui sont sous mon commandement. »
« Relevez la tête, Shabon. Nous n’avions pas prévu cette situation. C’est de ma faute si j’ai laissé Fuuga me pousser à expédier la flotte. J’ai entendu dire que la plupart des morts se trouvaient dans la flotte de l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes, alors si vous dites que vous vous en êtes déjà occupé, je n’ai plus rien à dire à ce sujet. »
« Nous vous remercions de l’attention que vous portez à cette question. »
« Le plus important pour l’instant, c’est que j’ai une faveur à vous demander à tous les trois. »
« Tu parles de Fuuga Haan, n’est-ce pas ? » demanda Kuu.
« Oui. » J’avais acquiescé. « Il est plus ou moins garanti que nous devrons livrer une bataille décisive contre l’Empire du Grand Tigre l’année prochaine. »
« C’est ce que m’a dit le seigneur Hakuya. Il dit qu’il est presque certain qu’ils envahiront le royaume de Friedonia », dit Jeanne, ce qui fit pencher la tête de Kuu sur le côté.
« Ookya ? Est-ce qu’on peut dire ça de façon aussi catégorique ? Mon pays est limitrophe de l’ancien État mercenaire de Zem, mais il est loin de la patrie de l’ennemi, et le royaume de l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes se trouve de l’autre côté de la mer. Il est logique que nous ne soyons pas les cibles ici, mais le royaume d’Euphoria ne doit-il pas s’inquiéter lui aussi ? »
« Cela prendrait trop de temps. Tant que nous avons le plan dont je vous ai parlé, le temps joue en notre faveur. Si Fuuga lance une véritable offensive vers le royaume d’Euphoria, nous la perturberons avec tout ce que nous avons. Pendant que Fuuga s’occupera de cela, il manquera probablement de temps… Ce ne serait pas agréable pour Jeanne, car son pays serait envahi, mais dans l’ensemble, on ne peut pas demander une meilleure issue que celle-là. »
Après avoir dit tout cela, je laissais échapper un soupir avant de continuer.
« Mais cet homme s’est élevé aussi haut parce qu’il a flairé le danger. C’est inhumain, du niveau d’une bête sauvage. Il doit se rendre compte que nous préparons quelque chose. J’ai entendu dire que les agents secrets qui rendent compte directement à Hashim sont devenus plus actifs ces derniers temps. »
« Voulez-vous dire qu’il va découvrir ce plan et envahir le royaume de Friedonia pour l’écraser ? » demanda Shabon.
« Oui, » répondis-je en hochant la tête. « Mais c’est moins qu’il le détectera et plus probablement qu’il pensera simplement qu’il se passe quelque chose. Une guerre rapide et décisive, c’est ce que nous souhaitons le moins en ce moment. Et comme c’est le cas, c’est la politique que Fuuga poursuivra sans hésiter. Si nous espérons qu’il prendra les choses dans une autre direction et que nous nous relâchons dans nos préparatifs en conséquence, il pourrait bien tout engloutir. »
« Ookeekee... Un sacré coup de malchance pour être né à la même époque que lui, hein ? » dit Kuu avec un sourire crispé.
Tu l’as dit.
Dans une certaine adaptation du manga Romance des Trois Royaumes, il y a une scène dans laquelle, après avoir été déjoué par Kongming, Zhou Yu dit : « Pourquoi le Ciel a-t-il donné naissance à Zhou Yu, puis donné naissance à Kongming à la même époque ? » avant de mourir dans un accès de colère. Si j’avais été obligé d’affronter Fuuga tout seul, j’aurais peut-être ressenti la même chose.
« Mais nous ne sommes pas seuls face à Fuuga. »
Nous avions des liens construits et cultivés avec d’autres personnes. Certains de nos camarades étaient des amis de la première heure, tandis que d’autres, comme Castor, Julius et Marie, avaient déjà été des ennemis. À un moment donné, tous ces gens avaient formé une alliance informelle, et avant même que l’un d’entre nous s’en rende compte, nous coopérions pour atteindre le même objectif. C’est ce qui fait la force de l’Alliance maritime.
Je pousse mon poing vers eux trois pour montrer mon enthousiasme.
« Nous travaillerons ensemble pour surmonter cette difficulté et fermer le rideau sur l’ère de Fuuga, et retirons-le de sous les feux de la rampe. Montrons-lui ce que nous avons construit et à quel point c’est résilient. »
« Ouais ! J’ai envie de me battre ! »
« « Oui ! » »
Kuu, Shabon, Jeanne et moi avions tous levé le poing en poussant un hourra.
À peu près au même moment, Fuuga fêtait aussi la nouvelle année au château de Haan…
Après son retour du domaine du Seigneur-Démon, il a passé du temps à consolider les choses sur le plan intérieur. Le domaine du Seigneur-Démon était désormais entièrement libéré et sous le contrôle de l’empire du Grand Tigre, à l’exception de la ville située à l’extrémité nord du continent où vivaient les Seadiens.
Quiconque observait la situation correctement pensait probablement qu’il avait été acquis un tas de terres en friche. Cependant, pour beaucoup des siens, ainsi que pour les réfugiés qui pouvaient enfin retourner dans leur pays, cela ressemblait à un brillant accomplissement. Même si le long et pénible travail de reconstruction attendait ces fêtards, ils s’attelleraient à la tâche avec allégresse. Et ceux qui auraient voulu se plaindre s’étaient abstenus de le faire. La puissance du charisme de Fuuga était écrasante.
Des troupes furent envoyées sur ses nouvelles terres et se mirent au travail pour débarrasser le continent de Landia des monstres restants. Il était impossible de les éliminer complètement, car il existait encore des donjons, mais leur nombre n’augmenterait pas depuis que Souma et Mao avaient fermé la porte.
Le domaine de l’humanité allait certainement s’étendre davantage. Mais la simple chasse aux monstres ne présentait que peu d’intérêt pour les astuces de planification de Hashim, le stratège de Fuuga, et la tâche avait donc été confiée à Shuukin et à d’autres serviteurs compétents.
Fuuga, quant à lui, profitait de l’occasion pour passer du temps avec sa femme Mutsumi. À la réflexion, il s’agissait peut-être de la période la plus paisible de la vie de Fuuga jusqu’à présent. La période qu’il avait vécue avant ça avait été autrement remplie de violence.
Cependant, la paix n’était pas satisfaisante pour le grand homme.
Le soir, dans sa chambre, Fuuga s’était assis sur une chaise, nu de la taille jusqu’en haut, et il polissait son sabre. Son arme préférée était le Zanganto, une lame qui brise les rochers et qui ressemble à la lame en forme de croissant du dragon vert. Il était rare qu’il dégaine cette épée qui pendait à sa hanche, mais au cours des longues heures qu’il passait à se battre, elle parvenait tout de même à s’ébrécher ici et là.
« Tu ne peux pas dormir… ? »
Fuuga se tourna vers la voix soudaine. Mutsumi était assise dans son lit, une couverture enroulée autour d’elle et rien en dessous.
Avec un sourire en coin, il se tourna vers elle et lui déclara : « Désolé. T’ai-je réveillée ? »
« Non… J’étais en train de m’assoupir quand j’ai réalisé que mon mari n’était pas à côté de moi. »
« Oui. Je me sens bien réveillé pour une raison ou une autre. »
Fuuga brandit son épée à la lumière de la lune qui brillait à travers la fenêtre. La lame polie reflétait son visage et la cicatrice que lui avait offerte Gauche, le frère de Mutsumi.
Il soupira. « Quand c’est trop calme, je n’arrive pas à me poser. J’ai l’impression que je devrais faire quelque chose. »
« Madame Lumiere te dirait probablement de l’aider avec les affaires internes, » dit Mutsumi.
Lumiere travaillait probablement plus dur que quiconque pour que les territoires étendus contribuent à la puissance nationale de l’Empire du Grand Tigre le plus rapidement possible. Fuuga comprenait cela, mais même s’il n’était pas vraiment mal adapté aux affaires domestiques, il ne trouvait pas ce travail satisfaisant. Contrairement à Souma ou à Maria, il ne faisait jamais d’heures supplémentaires et ne dormait jamais dans son bureau des affaires gouvernementales. Ce travail incombait à Lumière et Kasen, qui avaient été chargés de l’assister.
« Je leur suis reconnaissant. Courir sur le champ de bataille me convient mieux. »
« Même maintenant que tu es un empereur, tu es toujours un guerrier dans l’âme, chéri », murmura Mutsumi en gloussant.
Elle enroula la couverture autour de son corps nu et se leva du lit. Elle s’approcha de Fuuga par derrière et l’entoura de ses bras.
« Je sais qu’il fait chaud dans ces régions, mais les nuits sont encore fraîches », dit-elle en invitant Fuuga à la rejoindre à l’intérieur de la couverture. Il ne résista pas vraiment.
« Oui. Désolé pour ça. »
« Non, non. Je ne peux pas laisser mon chéri attraper un rhume alors qu’il veut continuer à foncer. »
Fuuga prit un air légèrement troublé lorsqu’elle déclara cela. « Même si le seul endroit où il me reste à aller… est vers le sud ? »
« Je suppose que oui… »
Au sud de l’Empire du Grand Tigre se trouvaient les pays de l’Alliance maritime. La petite sœur de Fuuga, Yuriga, y résidait, tout comme les frères et sœurs de Mutsumi — Ichiha, Nike et Sami. Mutsumi l’avait compris, bien sûr. Mais quand même… elle se blottissait contre la joue barbue de Fuuga.
« Si tu dis que tu vas continuer, je t’accompagnerai, jusqu’à ce que j’ai pu voir à quelle fin ton récit épique aboutit. »
« Ah oui ? »
Il toucha la joue de Mutsumi, qui était à côté de son visage. Ils passèrent ensuite un certain temps à se serrer l’un contre l’autre.
☆☆☆
Partie 2
— 1er mois, 1554e année, calendrier continental —
C’est ainsi que la nouvelle année arriva. Le peuple de l’Empire du Grand Tigre l’accueillit avec une incroyable allégresse. Se prélassant dans la gloire que leur empereur Fuuga Haan, le plus grand homme de cette génération, ait réussi à libérer le Domaine du Seigneur-Démon l’année précédente, ils attendaient avec impatience de voir quelles merveilles cette nouvelle année leur apporterait.
« Quelqu’un peut-il arrêter la marche de notre empereur ? Est-ce qu’un ennemi peut arrêter notre empereur ? » Ces paroles de chansons résonnaient dans l’air tandis que les gens buvaient et faisaient la fête.
Il y avait également eu une fête luxueuse au château de Haan. Fuuga, qui s’était plaint d’avoir du mal à manger et à boire lorsqu’il était sur le trône, était assis sur un large tapis fantaisie avec Mutsumi et ses vassaux. Il était à la tête du groupe, et les célèbres généraux de l’Empire du Grand Tigre étaient assis en ligne de part et d’autre de lui. La scène digne ressemblait à quelque chose sorti d’un mandala, mais tout le monde n’était pas présent.
« Oh, je ne vois pas le jeune Kasen », dit Gaten, l’homme le plus élégant de l’Empire du Grand Tigre et le Drapeau du Tigre. Comme Gaten taquinait toujours le plus jeune général, Kasen, l’Arbalète du Tigre, il fut le premier à constater son absence.
Le bras droit de Fuuga, Shuukin, l’Épée du Tigre, sourit ironiquement et l’informa : « Kasen travaille avec Madame Lumiere. Il a dit : “Si Madame Lumiere travaille pendant le Nouvel An, alors en tant qu’assistant, je ne peux pas me reposer quand elle travaille”. »
Les bureaucrates n’avaient pas eu le temps de se reposer le jour de l’an. Ils se battaient du mieux qu’ils pouvaient pour conserver leurs terres agrandies, comme l’avaient fait les bureaucrates de Parnam un an après la convocation de Souma. Hashim n’assistait pas non plus à la fête, car il était occupé à ourdir son prochain stratagème.
« C’est un travail difficile, n’est-ce pas ? » Gaten haussa les épaules. « Les stratégies de Sire Hashim et les politiques de Madame Lumiere sont ce qui soutient tout maintenant. Je leur tire ma révérence. Surtout à Madame Lumiere, qui nous pose des bases solides malgré son statut de nouvelle venue, et à Kasen, qui aide la génie dans son travail. »
« Oui. Ils vont être indispensables à l’empire du Grand Tigre à partir de maintenant », affirma Shuukin. « Les guerriers capables peuvent être remplacés. Ils sont probablement plus importants que nous. »
« Hmm. Si on en arrive là, il faudra que je les défende au prix de ma vie. » En s’imaginant mourir pour Kasen, Gaten gloussa. « Je suppose que ce n’est pas une mauvaise façon d’en finir. »
Cela allait à l’encontre de son sens du dandysme de risquer sa vie pour un autre homme, mais voir l’air choqué sur le visage de Kasen alors que la vie se vidait hors de lui n’était pas une proposition terrible.
« Hé ! Seigneur Shuukin ! Ce plat est aussi délicieux ! » intervint une jeune fille en sortant la tête de l’ombre de Shuukin. C’était Elulu, la fille de Garula Garlan, du royaume spirituel de Garlan.
En regardant le sourire impeccable sur son visage alors qu’elle entassait un tas de nourriture dans son assiette, Shuukin était à la fois charmé et déçu de voir à quel point elle était incroyablement décontractée. Elulu ne semblait pas intimidée, même lorsqu’elle était assise parmi les hommes crasseux qui constituaient les serviteurs de Fuuga.
« Vous avez des mets délicats qui viennent de partout, n’est-ce pas ? C’est bien approprié pour l’empire du grand tigre. Une nourriture aussi diversifiée que vos terres sont vastes. Et tout cela est délicieux. »
« Elulu… pourrais-tu peut-être te calmer un peu ? » dit Shuukin en soupirant. « Je ne t’ai laissé venir que parce que tu ne voulais pas en démordre, alors essaie de te tenir un peu, s’il te plaît. »
« Okaaay. »
Il était difficile de dire si elle avait compris le message ou non d’après sa réponse.
Grâce à l’attachement d’Elulu à Shuukin ainsi qu’à ses liens avec le gouvernement indépendant de l’île du Père du Royaume des Esprits, elle s’était vu confier le contrôle du nord-ouest de l’Empire du Grand Tigre. Ce n’est pas seulement que l’île du Père était effectivement sous son contrôle, elle commerçait aussi avec l’île Mère, qui s’engageait sur la voie de la libéralisation.
La façon dont elle gouvernait pouvait sembler faible à Fuuga ou à Hashim, mais en tant que nation insulaire, si les deux îles du Royaume des Esprits rejoignaient l’Alliance maritime, cela placerait l’ensemble du littoral de l’Empire du Grand Tigre sous leur contrôle. Il en serait de même si l’Empire du Grand Tigre tentait de les supprimer par la force. Sans la capacité de contrôler les mers, si l’Alliance maritime leur coupait l’accès à la mer, le groupe de débarquement de Haan serait facile à affamer.
Si cela devait arriver, il serait préférable d’utiliser l’amitié d’Elulu avec Shuukin pour les garder proches. De cette façon, les îles seraient préservées en tant que pays indépendant sur lequel Souma ne pourrait pas facilement mettre la main. En fait, la proximité entre Shuukin et Elulu était la meilleure chose que les deux nations puissent espérer.
En raison de leur relation, Shuukin avait dit à Elulu qu’il irait au château de Haan pour le Nouvel An, mais elle avait obstinément insisté pour y aller aussi.
« Je veux voir plus de choses dans le monde. Notre pays est devenu isolationniste à cause des différences et de la concurrence entre les différentes races, mais les temps ont changé. »
Souma, du Royaume de Friedonia, croyait en la méritocratie et embauchait les gens sans tenir compte de leur race ou de leur nationalité, si bien que les autres nations de l’Alliance maritime avaient été influencées pour faire de même. Les anciennes hostilités entre les différentes races s’étaient apaisées en conséquence. Ce sentiment était partagé dans l’Empire du Grand Tigre, dont la cohésion était assurée par le charisme écrasant de Fuuga. Il pouvait y avoir des conflits entre les nations ou les idéologies, mais les conflits interraciaux avaient pour ainsi dire disparu.
« Lors de l’incident de la maladie de l’insecte magique, mon pays d’origine a enfin compris qu’il ne pouvait pas continuer à se renfermer sur lui-même. Je veux voir plus de choses dans le monde. Je crois que ce sera mieux pour le peuple haut elfe. »
Elulu avait parlé sérieusement de son pays, impressionnant Shuukin et Gaten par sa prévenance. Malgré toutes les preuves du contraire, elle était encore une princesse.
« En plus, il y a toute cette nourriture savoureuse dans le vaste monde. Je manquerais quelque chose si je ne savais pas », dit-elle en jetant un fruit dans sa bouche, avec sa tige et tout le reste.
« Tu viens de tout gâcher, Elulu. »
Shuukin se serra la tête en voyant à quel point Elulu avait peu changé, tandis que Gaten riait de voir la célèbre épée du tigre courir à sa merci.
Alors que d’autres personnes fêtaient la nouvelle année, Lumiere, qui était devenue la plus haute bureaucrate de l’Empire du Grand Tigre, faisait face à une charge de travail meurtrière aux côtés de ses bureaucrates.
Ils s’étaient arrangés pour que des gens soient positionnés sur les nouvelles terres qui avaient été le domaine du Seigneur-Démon. Leur objectif était de relier les terres par des routes pour l’expédition des fournitures. Ces routes seraient également utilisées pour voyager entre elles afin d’éliminer les monstres et d’assurer la sécurité des terres.
Elle mettait à profit tout ce qu’elle avait appris en servant sous les ordres de Maria dans l’Empire du Gran Chaos. Maria avait été partiellement influencée par la façon dont Souma gouvernait, et on peut donc dire que Lumière était capable de gouverner d’une façon qui était un hybride du Royaume de Friedonia et de l’Empire du Grand Chaos.
Le seigneur Fuuga envisage un conflit avec l’Alliance maritime. Si je ne consolide pas le pays au moins un peu avant qu’il ne bouge… alors ma présence ici n’aura plus de raison d’être.
Lumiere avait abandonné Maria pour rejoindre Fuuga parce qu’elle rejetait la position de Maria selon laquelle il faudrait beaucoup de temps pour changer le monde pacifiquement. Elle pensait au contraire que s’il existait un moyen de résoudre un problème, il fallait le faire immédiatement, même s’il s’agissait d’une solution violente. C’est ainsi que la menace que le domaine du Seigneur-Démon faisait peser sur l’humanité avait été résolue. Cependant, Lumiere comprenait aussi que parce que Fuuga avait résolu le problème si rapidement, il ne pouvait pas s’arrêter là. La vitesse à laquelle le pays avait été construit l’avait rendu fragile. Ils avaient toujours besoin d’un ennemi pour les unir, sinon, ils risquaient de s’effondrer en un rien de temps.
Je suis sûr que Lady Maria aurait détesté ça… Si nous avions les moyens de nous arrêter une fois le problème résolu, nous n’aurions pas commencé, même si nous avions le pouvoir de régler le problème en lui-même.
Ce n’est pas comme si Lumiere n’avait pas compris les idéaux de Maria auparavant, Lumiere avait juste été frustrée par sa passivité. Maintenant, dans sa position actuelle, Lumiere pensait pouvoir s’aligner un peu plus sur la façon de penser de Maria. Cependant, étant donné son penchant pour la précipitation, cela n’aurait peut-être pas changé le résultat.
Il est trop tard pour cela… J’ai choisi ce chemin pour moi, alors je dois le suivre.
Changeant de vitesse, Lumiere baissa les yeux sur le document qui se trouvait devant elle. Soudain, la porte du ministère des Finances s’ouvrit et Kasen, l’Arbalète du Tigre, entra en poussant un chariot. Celui-ci n’était chargé de presque rien d’autre que de piles de papier.
« Madame Lumiere. J’ai rassemblé les papiers de tous les services concernés. » Kasen soupira en essuyant la sueur de son front.
Bien qu’elle ait regardé ce nouveau tas de travail avec un visage angoissé, Lumiere retrouva rapidement son calme et sourit. « Merci de t’être donné la peine, Kasen. »
« Non, ce n’était pas grand-chose », répondit Kasen en transportant les piles de papier jusqu’au bureau de Lumiere.
Elle laissa échapper un rire amer en acceptant la paperasse. « Ça m’aide beaucoup de t’avoir dans les parages, mais les généraux ne sont-ils pas réunis pour célébrer la fête du Nouvel An en ce moment même ? Pourquoi ne te joindrais-tu pas à eux ? »
« Non, c’est impossible. » Kasen secoua la tête. « Ça ne me conviendrait pas de te laisser tous faire le travail pendant que je profite d’un banquet. Laisse-moi t’aider aussi. »
« Oh… je vois. »
« Oui. Et, hé, regarde… »
Kasen quitta la pièce un instant et revint avec un chariot de service qui se trouvait devant la porte. Les niveaux supérieur et inférieur du chariot étaient chargés de plats somptueux. Les yeux de Lumiere s’écarquillèrent lorsque Kasen lui adressa le sourire malicieux d’un gamin qui venait de faire une farce.
« Pendant que je récupérais la paperasse, j’ai fait une descente dans les cuisines. Grignotons cela et redoublons d’efforts. »
« Hee hee. Allons-y. »Elle sourit doucement.
Alors qu’elle se sentait déconcertée par le comportement de Kasen, les sillons de Lumière disparurent sur son front.
Pourtant, ailleurs, également à la même époque…
Ayant délaissé la fête de fin d’année pour conspirer dans sa propre chambre, Hashim recevait un rapport de l’équipe de renseignement qui servait sous ses ordres.
Sans même regarder l’homme, Hashim demanda : « Comment ça se passe ? »
L’agent de renseignements inclina la tête et commença son rapport. « La formation de l’opinion nationale progresse rapidement. Les voix de ceux qui souhaitent voir Fuuga conquérir tout le continent grandissent de jour en jour. »
« Splendide. »
« Cependant… les résultats de nos opérations à l’intérieur du royaume de Friedonia ont été moins favorables. Les agents de renseignement au service du roi Souma sont tous plutôt compétents et profondément loyaux envers la famille royale. Il n’y a pas de faille dans laquelle nous pourrions nous faufiler. Nous soupçonnons que les infiltrer comme nous l’avons fait pour l’Empire du Gran Chaos s’avérera impossible. »
« Hmm… C’est inattendu. »
Hashim se remémora du visage de Souma. Il était banal, sans la majesté de celui de Fuuga ou le charme de celui de Maria, aussi fut-il surpris d’apprendre que Souma avait des agents aussi compétents. Hashim connaissait l’existence des services de renseignements friedoniens, bien sûr, mais il n’avait jamais pensé qu’ils pouvaient complètement faire échouer l’une de ses opérations. L’existence d’agents secrets suggérait un côté plus sombre de Souma. Quiconque entretiendrait un service de renseignements aussi puissant aurait une certaine part d’obscurité autour de lui.
« Je suppose qu’on ne peut pas juger un livre à sa couverture…, » murmura-t-il.
« Hein… ? »
« Non, c’est très bien. Évitez de pousser trop loin le royaume de Friedonia, concentrez-vous plutôt sur la réforme de l’opinion publique à l’intérieur de notre pays. »
« Oui, monsieur ! »
Une fois qu’il eut donné ses ordres à son subordonné, Hashim révisa sa compréhension de Souma.
☆☆☆
Chapitre 3 : Les chemins du frère et de la sœur
Partie 1
— Fin du 1er mois, 1554e année — Nuit — Château de Parnam —
Cela s’était produit à peu près au moment où l’ambiance de fête du Nouvel An avait commencé à s’apaiser. Alors que je faisais des heures supplémentaires au bureau des affaires gouvernementales comme tous les autres jours, j’avais senti une ombre se glisser derrière moi.
Aisha, qui était assise sur le canapé, la bouche pendante à moitié ouverte d’une manière un peu décevante, sauta soudainement sur ses pieds et posa la main sur la garde de son épée.
Dois-je la féliciter d’avoir été capable de me surveiller correctement alors qu’elle dormait au travail ? Ou me plaindre qu’elle n’aurait jamais dû s’endormir ? J’avais réfléchi.
Elle jeta un coup d’œil derrière moi et interpella l’intrus en disant : « Qui va là ? »
« C’est moi, mon seigneur », fit entendre la voix de Kagetora, chef des Chats Noirs, derrière moi.
Étant donné que c’était quelqu’un qui avait pu se faufiler à travers le réseau de défense du château de Parnam et s’approcher aussi près avant qu’Aisha ne le remarque, il n’y avait probablement personne d’autre que lui. C’est pourquoi j’étais resté calme même quand Aisha s’était levée d’un bond.
« As-tu quelque chose à signaler, hein ? Aisha. Pourrais-tu te tenir près de la porte et empêcher les gens de s’approcher ? »
« Oui, sire ! Compris. »
Les subordonnés de Kagetora, les Chats Noirs, allaient aussi monter la garde, alors j’étais juste très prudent. Une fois que nous avions été prêts, je l’avais regardé.
« Continue ? »
« Oui, monsieur. Les agents de l’Empire du Grand Tigre, qui fouinaient activement à l’intérieur de notre nation l’année dernière, ont réduit l’ampleur de leurs opérations depuis le début de cette année. Nous pensons qu’ils ont renoncé à manœuvrer à l’intérieur de notre pays. »
« Eh bien, nous avons bien écrasé toutes les graines d’agitation qu’ils auraient pu fomenter, après tout. »
Évidemment, il n’y avait aucun moyen de gouverner sans provoquer le mécontentement du peuple. Cependant, même si les gens étaient mécontents, nous pourrions maintenir le mécontentement à un niveau tel qu’ils ne voudraient pas prendre les armes pour remédier à la situation. Hashim voulait probablement susciter une rébellion du peuple contre l’État, mais les rebelles risqueraient leur propre vie.
À moins qu’ils n’aient souffert d’un régime sévère et qu’ils ne se soient retrouvés dans une situation si désespérée que c’était pour eux une question de vie ou de mort, ils ne se soulèveraient pas si facilement. Même s’il y avait des rebelles potentiels parmi le peuple, leurs amis et connaissances qui ne voulaient pas être tenus pour responsables de leurs actes pouvaient s’attendre à ce qu’ils les dénoncent avant qu’il n’en résulte quoi que ce soit.
Dans le dix-neuvième chapitre du Prince de Machiavel, « Qu’il faut éviter d’être méprisé et haï », il dit que « ceux qui conspirent contre un prince s’attendent toujours à plaire au peuple par sa destitution, mais quand le conspirateur ne peut que se réjouir de l’offenser, il n’aura pas le courage de prendre un tel parti », et aussi que « celui qui conspire ne peut pas agir seul, ni prendre un compagnon si ce n’est parmi ceux qu’il croit être des mécontents ».
En fin de compte, c’est en gouvernant de façon à ce que le peuple ait du mal à s’énerver qu’un roi sera sauvé. J’avais ma nouvelle femme, Maria, qui volait partout pour faire son travail philanthropique, absorbant les problèmes des impuissants et nous les rapportant pour que nous y remédions. Ce genre de petites choses s’était accumulé portant un coup douloureux aux manigances d’Hashim.
J’avais croisé les bras et j’avais regardé le plafond.
« Si je devais penser à quelqu’un d’autre qu’il pourrait agiter dans ce royaume, ce serait ceux qui pourraient vouloir le trône pour eux-mêmes ou ceux qui sont contre la tendance actuelle à la méritocratie. Mais la maison royale d’Elfrieden a été en grande partie anéantie à l’époque d’Elisha, et en ce qui concerne la maison princière d’Amidonia, Roroa et Julius sont tous deux des alliés dignes de confiance. »
« Il n’y a pas d’individus au sang royal qui pourraient se rebeller contre vous. »
« Oui. Quant aux nobles corrompus sur lesquels on pourrait compter pour se rebeller dans un moment pareil, je les ai tous purgés un an après avoir reçu le trône… Si je considère cela comme une préparation pour maintenant, je suppose que ça valait la peine d’avoir leur sang sur les mains. »
J’avais regardé mes propres mains. Je n’arrivais pas à croire que j’avais vraiment pris la bonne décision à l’époque, mais maintenant j’avais l’impression que c’était une bonne décision. Quand je pensais à la façon dont ces types auraient pu encore conspirer à ce stade… j’en avais des frissons. Eh bien, c’est quelque chose que je ne peux dire qu’avec le recul.
Après une longue pause, Kagetora acquiesça et dit : « Je suppose que oui. »
Nous avions partagé ensemble un moment de calme et de tristesse.
Puis, comme pour dissiper cette émotion, j’avais secoué la tête.
« Eh bien, s’il y a moins de pression sur nous, c’est mieux ainsi. Nous devons juste nous préparer à la guerre à venir, pour être prêts à tout. Et peut-être… que nous aurons besoin d’un coup de main de la part des “morts”, tu sais ? » Je plaisantais tout en jetant un regard significatif en direction de Kagetora.
Kagetora, cependant, ne remua pas le moins du monde. « Il n’y a pas lieu de s’inquiéter, mon seigneur. La force des jeunes de ce pays grandit de jour en jour. Il ne sera pas nécessaire de s’accrocher à des absurdités telles que le retour des morts à la vie. »
« Ah oui ? »
En entendant la voix lourde de Kagetora dire qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter, je n’avais pas pu m’empêcher de penser que tout allait vraiment bien…
« Votre Majesté ! Quelqu’un arrive ! », Aisha parla soudainement depuis l’endroit où elle se tenait devant la porte.
Avant que je puisse faire signe à Kagetora avec mes yeux, il avait déjà disparu. Il a vraiment peaufiné son numéro de ninja.
Au bout d’un certain temps, on frappa avec hésitation à la porte du bureau.
« Entrez », avais-je appelé, et Yuriga entra. Elle nous regarda, Aisha et moi, comme si elle était sur le point de dire quelque chose, mais qu’elle hésitait à le faire.
« Qu’est-ce qu’il y a, Yuriga ? »
Elle sembla retrouver sa détermination et leva les yeux.
« S-Souma ! Je veux que tu me laisses rentrer chez moi ! »
◇ ◇ ◇
L’histoire se déroule environ deux mois en arrière, vers la fin de l’année précédente…
Dans le vestiaire du stade polyvalent de Parnam qui avait été construit récemment, Yuriga pencha sa tête alors qu’elle portait encore son uniforme de mage footballeur. Il y a peu de temps encore, son équipe, les Dragons Noirs de Parnam, affrontait les Doldons de la Cité Lagune pour décrocher la première place de cette saison de football mage. C’était un match important qui déterminait le grand vainqueur.
Argh. Nous avons perdu… Et nous avons aussi failli gagner…
Les deux équipes s’étaient disputé les points, et la question n’avait même pas été réglée après les prolongations, si bien que le match houleux s’était achevé par une séance de tirs au but qui s’était malheureusement terminée par le fait que les dragons noirs de Parnam aient laissé la victoire leur échapper.
Soudain, quelqu’un jeta une serviette sur la tête de Yuriga.
« Bon travail, reine. »
Brossant la serviette de côté, Yuriga lança un regard froid à son interlocuteur. « Pourrais-tu ne pas m’appeler ainsi, capitaine ? »
« Oh là là ! Tu n’aimes pas ça ? »
La capitaine de son équipe, qui avait également été l’aînée de Yuriga pendant son séjour à l’Académie royale, était une dragonnewt. Elle s’était assise à côté de Yuriga, apparemment indifférente.
« Ouf, on est passé très près, hein ? On a failli l’avoir. »
« N’es-tu pas frustrée, capitaine ? »
« Bien sûr que oui. Je m’étais enfermée dans une cabine de toilettes jusqu’à il y a peu. »
La capitaine était connue pour faire ce genre de blagues, alors pendant un instant, Yuriga pensa que c’était tout, mais en y regardant de plus près, le visage souriant de sa capitaine avait de légères traces de larmes au coin des yeux. Elles étaient toutes les deux aussi frustrées l’une que l’autre, mais en tant que chef d’équipe, elle faisait de son mieux pour ne pas le laisser paraître.
Yuriga serra les poings. « Notre équipe est assez bonne. Nous aurions pu gagner… alors je ne peux pas m’empêcher de penser aux choses que j’aurais dû faire différemment. »
« Oui, je sais. Et nous nous sommes fait mener en bateau par la stratégie peu orthodoxe des Doldons dans ce jeu. J’ai entendu des rumeurs selon lesquelles la duchesse Excel donnait des conseils lors de leur réunion stratégique pour s’amuser. »
« Argh ! Cette vieille — Hmmph ! »
Le capitaine s’empressa de couvrir la bouche de Yuriga pour arrêter l’insulte qui avait failli en sortir.
« Wôw ! Tu ne peux pas dire ça ! »
Il y avait des choses imprudentes à dire sur Excel, et la rumeur disait que si vous en prononciez une, elle apparaissait soudainement derrière vous. D’ailleurs, cette rumeur provenait d’une base de l’ancienne marine, car il lui avait été facile de l’entendre là-bas, mais il semblait que les histoires avaient pris de l’ampleur.
La capitaine retira sa main de la bouche de Yuriga et lui adressa un sourire. « Eh bien, nous devrons faire plus d’efforts la prochaine fois. Soulevons ensemble la coupe des vainqueurs l’année prochaine ! »
« L’année prochaine… Bien sûr. »
L’expression de Yuriga s’était assombrie aux mots « l’année prochaine ». C’est à ce moment-là que son frère, Fuuga Haan, attaquera ce pays. C’est ce que son mari, Souma, et les élites de ce pays pensaient et se préparaient.
Y aura-t-il encore des matchs de football mage l’année prochaine ? Que penseraient les gens de sa présence dans l’équipe, elle, la petite sœur de Fuuga Haan ? C’était déprimant d’y penser. Mais en même temps, elle voulait protéger sa vie dans ce pays. Pour cette raison, Yuriga savait qu’il y avait des choses qu’elle seule pouvait faire. Elle comprenait la politique actuelle de Souma. En gardant cela à l’esprit, Yuriga pensa à un geste décisif qu’elle pourrait faire.
Afin d’accéder à un avenir radieux… Je retournerai chez mon frère ! Temporairement !
Yuriga décida de se résoudre à un retour temporaire chez elle, dans l’empire du Grand Tigre.
◇ ◇ ◇
« Je veux que tu me laisses rentrer chez moi ! »
Aisha et moi avions tous deux douté de nos oreilles en entendant sa demande soudaine.
Même lorsqu’elle se disputait avec Liscia ou l’un des autres et que les choses devenaient délicates, quelqu’un intervenait toujours pour arbitrer la situation. Nous pouvions généralement compter sur Juna pour arranger les choses, et les rares fois où Juna se mettait en colère, tout le monde se rendait compte que la famille était en crise et s’efforçait de la mettre de bonne humeur. La famille maintenait l’harmonie de cette façon, et nous n’avions jamais entendu parler de ce genre de choses auparavant. Même si c’était en partie parce que le château de Parnam était la maison de Liscia.
Je me disais, hébété, que cette phrase faisait des dégâts quand on l’entendait de la bouche d’un proche… Aisha reprit ses esprits la première et se rapprocha de Yuriga, puis la saisit par les épaules.
« Tu ne devrais pas prendre de décision hâtive, Yuriga ! Un divorce royal n’est pas une mince affaire ! S’il y a quelque chose qui ne va pas avec Sa Majesté, je l’obligerai à y remédier, alors s’il te plaît, reconsidère ta décision ! »
Nous supposons que j’ai fait quelque chose !? Oh… non, peut-être que j’ai fait quelque chose ? Pendant que je contemple mes actions passées, Aisha secoua Yuriga par les épaules.
« S’il te plaît, reconsidère ta décision, Yuriga ! »
Yuriga cligna rapidement des yeux tandis que sa tête tremblait d’avant en arrière. « Hein ? Le divorce ? De quoi parles-tu, Aisha ? »
À en juger par son regard vide, il semblerait qu’il y ait eu un malentendu. Nous avions respiré profondément pour nous calmer, et Yuriga s’était bruyamment raclé la gorge.
« Je suis désolée… Dans ma précipitation, je ne me suis pas assez bien expliquée. Quand je dis que je veux rentrer chez moi, ce n’est pas parce que je veux divorcer. Je veux dire que je veux retourner temporairement dans l’Empire du Grand Tigre pour rencontrer mon frère. J’espérais obtenir ta permission pour cela aujourd’hui. »
« Un retour temporaire à la maison… ? À un moment pareil ? »
J’avais senti mes sourcils se froncer. Tous les membres de ma famille et les dirigeants de ce pays savaient que Fuuga nous attaquerait au cours de l’année. La décision de Yuriga avait dû être prise en tenant compte de ce fait. Sa résolution était ferme, elle n’était pas ébranlée du tout, en voyant le regard dur sur mon visage.
« C’est parce que c’est un moment comme celui-ci que j’ai décidé qu’il y a des choses que je suis la seule à pouvoir faire. »
« D’accord… Écoutons ce que tu as à dire. »
« Hein ? Es-tu d’accord ? » demanda Aisha.
J’avais acquiescé. « Tu as une idée en tête, n’est-ce pas ? Écoutons d’abord ce que c’est. »
« Merci. » Yuriga incline légèrement la tête. Puis, levant à nouveau le visage, elle me regarda dans les yeux. « J’y ai beaucoup réfléchi de mon côté. Si le combat contre mon frère est inévitable, peut-être pourrons-nous l’écourter ? Si la guerre s’éternise, les deux camps ne feront que subir davantage de pertes et s’épuiseront. Lorsque je me suis demandé si je pouvais faire quelque chose pour éviter un conflit prolongé, une idée m’a traversé l’esprit. »
« Et c’est… ? » demandai-je.
« Mettre une limite de temps aux ambitions de mon frère. » Yuriga acquiesça. « S’il y a une limite de temps, comme dans un match de foot mage, nous pourrons diminuer les dégâts dans ce pays. »
« Hmm, j’ai compris, mais pas tout à fait… Tu parles d’une trêve hivernale ou de quelque chose de ce genre ? »
« Non, je ne pense pas à quelque chose où il attaquera à nouveau une fois qu’il fera chaud l’année prochaine. S’il va attaquer cette année, je veux mettre mon frère dans une situation où s’il ne gagne pas, il n’aura jamais d’autre chance. »
C’est logique. Et tu pourrais dire que c’est une limite temporelle à ses ambitions…
« Si tu parlais de lui porter un coup paralysant dont il ne pourra pas se remettre dès la première bataille, alors je comprends. C’est ce que nous cherchons à faire, après tout. Mais à en juger par ta façon de parler, ce n’est pas ton but, n’est-ce pas ? »
« D’accord. Pour argumenter, même si mon frère n’attaque pas cette année, mon idée le mettra dans une situation où, à partir de l’année prochaine, il ne pourra plus rêver de conquérir le continent. Je veux mettre fin à ses ambitions dès cette année, que la guerre arrive ou non. »
« Est-ce possible ? »
« Je ne peux pas l’affirmer avec certitude, bien sûr. Mais je pense que ce sera suffisamment efficace pour que ça vaille la peine d’essayer. Et c’est quelque chose que seule moi, en tant que sa petite sœur, je peux faire. »
C’est ainsi que Yuriga me révéla son plan…
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Partie 2
Au début, j’étais très sceptique quant à l’efficacité de cette méthode. Mais en l’écoutant, j’avais vite pensé que c’était peut-être une bonne idée. Ce qui m’avait le plus impressionné, c’est que ce plan était basé sur une leçon que Yuriga avait apprise dans la ville seadienne de Haalga. Même si ses efforts se révélaient vains, ils ne manqueraient pas d’enfoncer un autre coin étroit dans les ambitions de Fuuga, qui, malgré cela, ne renoncerait pas.
« Hrmm... Je pense que ce serait efficace », dis-je en croisant les bras. « Mais… Je veux aussi avoir l’avis d’Hakuya.
« Oh ! J’ai déjà consulté Monsieur Hakuya. Il a posé un certain nombre de conditions, mais il a reconnu que cela valait la peine d’essayer. Il a dit que c’était à toi de prendre la décision définitive. »
Elle l’a déjà fait valider ça, hein ? Elle n’avait pas étudié aux côtés de Tomoe et d’Ichiha pour rien. J’aurais dû m’attendre à ce qu’elle fasse preuve d’une telle vivacité d’esprit.
« D’accord. Quelles étaient les conditions ? »
« Afin de m’assurer qu’il m’est permis de revenir dans cette contrée et que la clé de cette entreprise résidait dans la possibilité de rencontrer mon frère et de converser avec lui, il ne m’est donc pas possible de m’accrocher à l’idée que cette entrevue ait lieu au château de Haan. »
— Oui, c’est de cela qu’il faudrait s’inquiéter.
Si Yuriga, venue dans notre pays pour se marier, se rendait nonchalamment au château de Haan, elle aurait l’excuse parfaite pour nous accuser. Les différends entre les membres de la famille royale servaient à justifier les conflits depuis au moins la guerre de Troie. Ils pourraient faire courir le bruit que Yuriga s’est enfuie parce que j’ai été dur avec elle, ou quelque chose du genre. Même si Yuriga elle-même disait le contraire, la vérité pourrait être écrasée et elle ne serait pas autorisée à revenir ici.
« Qu’en penses-tu, Yuriga ? »
« J’ai pleinement conscience que mon retour pourrait avoir des retombées fâcheuses pour nous. C’est pourquoi, même si je retourne dans mon pays d’origine, j’aimerais organiser une rencontre avec mon frère quelque part près de la frontière. »
« Hmm ? Tu vas amener Fuuga jusqu’à notre frontière ? » Je doutais qu’il prenne la peine de venir dans un pays qu’il prévoyait d’attaquer. « Je ne le vois pas accepter ça… »
« Tu as raison. C’est pourquoi j’ai prévu de nous retrouver près d’une autre frontière. »
Yuriga pointa du doigt la carte du monde posée sur la table, et plus précisément le point le plus au nord du continent de Landia.
« Oh ! Près de Haalga, donc ? »
« Oui, pour l’instant, elle est effectivement sous la supervision conjointe de l’Alliance maritime et de l’Empire du Grand Tigre. Je pense appeler mon frère pour qu’il me rejoigne dans cette région désertique. Être près d’Haalga est pratique pour mon plan, après tout. »
« Tu as peut-être raison, mais c’est assez loin. Comment expliques-tu les conditions de ton retour dans ce pays ? »
« Le Seigneur-Démon… non, Madame Mao peut utiliser la magie pour transporter les gens, comme la Mère Dragon, n’est-ce pas ? Si elle veut bien m’aider, ma sécurité est garantie. »
Le plan tenait même compte des capacités surpuissantes de Mao.
Yuriga avait un air légèrement inquiet.
« Mais… cela suppose que Madame Mao soit prête à m’aider. Elle est neutre, alors si elle refuse de nous aider, je n’aurai d’autre choix que d’abandonner le plan. »
En effet… Si la sécurité de Yuriga n’est pas assurée, je ne peux pas lui donner l’autorisation, ai-je pensé, puis je répondis : « Eh bien, on peut toujours demander. »
« Hein ? » Yuriga me fixa d’un regard vide, et je me tournai vers Aisha.
« Aisha, peux-tu ouvrir le kamidana pour moi ? »
« Oui, sire. J’ai compris. »
Aisha s’étira pour atteindre le kamidana de style japonais que j’avais installé en hauteur dans le bureau des affaires gouvernementales, puis elle ouvrit les portes du petit sanctuaire qui s’y trouve. Je l’avais fabriqué moi-même avec mes talents de menuisier amateur. À l’intérieur se trouvait le magatama rouge que Mao m’avait offert ce jour-là.
Pendant ce temps, j’avais activé un récepteur. Yuriga regardait sans savoir ce qui se passait.
Je me plaçai devant le kamidana, je tapai dans mes mains tout en faisant face au magatama.
« Mao. Si tu m’entends, pourrais-tu te montrer ? »
« Vous m’avez appelée, Seigneur Souma ? »
Entendant une réponse immédiate, je me tournai vers le récepteur simple où l’image de la DIVAloid Mao était projetée.
Ce magatama, Mao me l’avait donné à la place d’une tablette mortuaire, car j’avais été séparé de mon monde d’origine sans pouvoir emporter le moindre souvenir de ma famille. Elle m’avait dit qu’il contenait mes données biologiques, mais il avait d’autres fonctions que le simple stockage de données : il permettait également de contacter Mao.
Mao est une intelligence artificielle. Si je l’activais, elle pouvait répondre instantanément. Elle n’avait pas besoin de temps de repos ni de sommeil, et pouvait donc participer aux réunions radiodiffusées avec les dirigeants d’autres pays sans avoir à modifier son emploi du temps. Elle n’avait pas non plus de corps physique, mais tant que j’avais le magatama et un support sur lequel elle pouvait se projeter, nous pouvions communiquer à tout moment.
Cette fonction avait été ajoutée à la demande de Mao, au cas où il y aurait un autre bogue de son côté qui nécessiterait mon autorisation (ou celle de ma lignée) pour le corriger. Mao étant une IA sans forme corporelle, on peut dire qu’en l’appelant dans cette pièce, elle était en fait « ici ».
Je me tournai vers Mao, qui affichait un air de confusion sur son visage à mon appel soudain.
« Mao. Je veux que tu décides si quelque chose est possible ou non. »
« Hmm ? Qu’est-ce que ce serait ? »
J’avais expliqué à Mao le plan de Yuriga. « Alors, tu penses pouvoir nous aider ? »
« Bien sûr, je peux. »
Une fois la situation expliquée, Mao accepta sans hésiter. C’était si facile que Yuriga et moi nous étions regardés, stupéfaits.
« Es-tu sûre ? Tu n’interviens pas dans les conflits de ce monde, n’est-ce pas ? Mais dans ce cas, je ne suis pas certain que cela compte comme une intervention. »
« C’est exact. Tiamat et moi ne sommes pas habilités à prendre part aux guerres entre les nouvelles races humaines… Pas même si elles mettent votre vie en danger, Seigneur Souma. Si c’est le choix de la nouvelle humanité, alors nous sommes programmés pour ne pas pouvoir intervenir. Je ne peux pas non plus envoyer des renforts pour aider dans une guerre entre les nouvelles races de l’humanité, ni transporter des fournitures ou des personnes impliquées dans une telle guerre. »
Mao s’excusa, puis releva rapidement la tête.
« Cependant, ce que vous m’avez demandé n’entre pas en conflit avec cela. La guerre n’aura pas encore éclaté à ce moment-là; tout ce que je ferai, c’est garantir la sécurité de Yuriga et fournir un lieu pour la rencontre. Son plan n’affecterait pas directement la guerre, n’est-ce pas ? »
« Oui, c’est exact », répondit Yuriga en hochant fermement la tête. « Ce que je veux faire n’aura probablement aucune influence sur la guerre qui pourrait éclater entre l’Alliance maritime et le Royaume du Grand Tigre. Avant que mon frère ne fasse quoi que ce soit, je veux rentrer brièvement chez moi pour discuter avec lui. En clair, c’est tout ce qu’il y a à faire. Et vous ne feriez que fournir un endroit où nous pourrions parler, mon frère et moi, sans que personne n’interfère. »
« Et vous ne mentez pas ? » insista Mao.
« Je le jure sur mon nom de Haan », affirma Yuriga.
Mao acquiesça et répondit : « Alors, il n’y a pas de problème. Voulez-vous que je vous transporte immédiatement à Haalga ? »
— Oh, elle peut déjà le faire ? Tout comme pour Madame Tiamat, les êtres qui peuvent utiliser la magie de transport existent à un niveau totalement différent.
Yuriga secoua la tête à cette proposition : « Non, je dois encore me préparer. Je viendrai vous voir quand ce sera terminé. »
« Oh, je vois… Eh bien, une fois que la guerre aura commencé — ou si elle est sur le point de le faire — il se peut que je ne puisse plus vous aider, alors comprenez-moi bien. »
« Je sais. Je serai prête avant cette date. »
« J’ai compris. Je vais donc y aller. »
Sur ce, l’image de Mao disparut et le récepteur s’arrêta.
Comme le magatama n’avait pas réagi, j’ai demandé à Aisha de fermer les portes du kamidana. Après avoir réglé tout cela, je me tournai vers Yuriga.
« Bon, en supposant que nous ayons l’aide de Mao, qu’en est-il des autres préparatifs que tu as mentionnés ? »
« Oh ! Il y a quelque chose que je veux que tu prépares pour moi quand je rencontrerai mon frère. »
« Qu’est-ce que c’est ? »
Yuriga me demanda de lui prêter quelque chose. J’avais écarquillé les yeux en voyant ce qu’elle voulait.
« Tu veux ça ? — L’amener avec toi ne va-t-il pas te demander un effort considérable ? »
« Il n’est pas nécessaire que ce soit la totalité, bien sûr. Si je peux en emprunter un peu et le montrer à mon frère, je pense que ça l’aidera à me croire. »
Une partie seulement fera l’affaire ? Dans ce cas, oui, c’est possible. Je soupirai.
« Mais ce n’est pas dans notre pays maintenant. Il faudra que j’obtienne la permission de Shabon. »
« Eh bien… utilise le pouvoir de l’Alliance maritime. »
« À t’entendre, ça a l’air si facile… — D’accord. »
Je m’étais gratté la tête en hochant la tête. Si je lui expliquais la situation, Shabon approuverait sans doute.
J’avais alors regardé à nouveau Yuriga. Il y avait une lueur d’espoir dans ses yeux, comme si elle s’accrochait à moi. Mais en même temps, je sentais aussi une détermination à aller jusqu’au bout de ses convictions.
« Je pense que ton plan est intéressant, Yuriga. Je suis sûr qu’il va perturber Fuuga et potentiellement mettre une limite temporelle à ses ambitions… mais tu ne peux pas t’attendre à beaucoup plus que ça. Comme, disons, que Fuuga mette de côté son objectif d’unir le continent. »
Yuriga réagit avec un silence stupéfait.
Oui… je me suis dit que c’était ça.
Il n’y avait pas de mensonge dans ce que Yuriga nous avait dit. Mais j’avais l’impression que ses légers espoirs étaient à l’origine de son plan. L’idée que peut-être, peut-être, elle pourrait arrêter l’invasion imminente. Même si cette chance était si faible qu’elle était presque impossible, elle ne pouvait pas s’empêcher de la poursuivre.
« Il n’y a probablement même pas une chance sur un million que Fuuga change sa façon de vivre. »
« … »
« Mais tu veux quand même le faire, n’est-ce pas ? »
« … Oui. » Yuriga acquiesça fermement. « Je doute aussi que mon frère change soudainement sa façon de vivre à ce stade. Mais… Je veux lui montrer qu’il y a une autre façon de faire. Qu’il y a un avenir où les choses ne se règlent pas par la bagarre. Même si c’est quelque chose qu’il ne choisira jamais, je veux qu’il le voie. Et s’il y a ne serait-ce qu’une chance sur un million — non, une chance sur un milliard — qu’il choisisse une autre voie, je veux la lui montrer. Voilà ce que je ressens ! »
Elle luttait contre les larmes. Ses paroles étaient puissantes. Je pouvais sentir la détermination de Yuriga s’infiltrer en eux.
« Je pense que ces espoirs te trahiront. »
« Mais même ainsi ! »
« Je vois… »
Si elle était aussi déterminée, je n’avais plus rien à dire.
Je pris une grande inspiration, puis, sur le ton le plus doux que j’avais pu trouver, je lui annonçai : « Essaie et vois ce qui se passe. Fais ce que tu crois être le mieux. »
« Oh ! Merci ! » Les paroles de Yuriga étaient teintées d’allégresse.
Je l’avais regardée avec une expression sérieuse et je lui déclarai : « Mais s’il te plaît, promets-moi juste une chose. »
« Qu’est-ce que c’est… ? »
« Même si les choses ne se déroulent pas comme tu le souhaites, tu dois revenir ici. Tu fais partie de la famille maintenant, et c’est ta maison. Au moins, promets-moi cela. »
« C’est vrai ! Tu ne peux pas ne pas rentrer à la maison ! » Aisha m’avait soutenu.
Bien sûr, j’avais prévu de demander à Mao de la transporter chez elle, qu’elle le veuille ou non, une fois qu’elle aurait terminé. Cela ne servait à rien d’arracher une promesse verbale, mais je voulais lui communiquer nos sentiments comme il se doit.
Après m’avoir jeté un regard noir pendant une seconde, Yuriga répondit : « Oui ! » Souriant avec des larmes au coin des yeux, elle ajouta : « Et si ça ne marche pas, laisse-moi pleurer contre ta poitrine. »
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Partie 3
Un mois environ s’était écoulé.
Yuriga et Fuuga se tenaient face à face devant les portes de Haalga, une ville seadienne située à l’extrémité nord du continent. Fuuga n’avait que Mutsumi avec lui, mais ses troupes se tenaient à une courte distance. Yuriga, quant à elle, avait Kagetora dans son dos.
Pour montrer que cette réunion se déroulait avec l’accord de Yuriga, Souma avait demandé au reste des Chats Noirs de rester dans l’ombre. La seule présence de Kagetora laissait entendre qu’elle avait d’autres gardes invisibles pour tenir l’autre camp en échec.
« Je ne m’attendais pas à ce que tu m’appelles ici. »
« Cela fait un moment que nous ne t’avons pas vue, Yuriga. »
Fuuga et Mutsumi s’inclinèrent devant elle.
« Oui, cela fait longtemps, frère et grande sœur Mutsumi. Merci d’avoir fait tout ce chemin. »
« Oh, tu peux laisser tomber les formalités », dit Fuuga sans ambages. « De toute façon, tu as quelque chose à me dire, n’est-ce pas ? »
« Oui, j’ai besoin que tu entendes ceci, mon frère. »
Yuriga regarda son frère droit dans les yeux. Son regard pouvait intimider presque tout le monde, mais pas sa petite sœur. Même si Fuuga se préparait à engloutir le monde, Yuriga pouvait se tenir devant lui seule. En la revoyant, il sentit sa détermination.
« Hein ? Tout de suite ? Tu es pleinement consciente des risques encourus en te présentant devant nous en tant qu’épouse de Souma. »
Fuuga la mettait à l’épreuve, mais elle ne fléchit pas.
« Oui », répondit-elle. « Parce que je pense que ce sera le seul moment où je pourrai te parler. »
« La façon dont tu dis ça, on dirait que tu n’as pas l’intention de rentrer à la maison. »
« Je suis déjà mariée à Souma. Si j’ai une maison, c’est désormais le château de Parnam. »
« Des paroles de dur à cuire. Tu sais que Hashim veut te mettre en garde à vue… »
« Le grand frère Hashim le ferait certainement aussi. Est-ce que ça va aller ? » demanda Mutsumi, inquiète.
« Tout ira bien », répondit Yuriga en hochant la tête. « J’ai pris des dispositions pour m’évader, au cas où. »
« Hé hé ! » Fuuga laissa échapper un petit rire. « Tu es vraiment devenue forte. Notre petite Yuriga a tellement grandi. »
Ils avaient tous l’air détendus et, si l’on avait enlevé le grand homme au masque de tigre noir inquiétant, on aurait dit trois frères et sœurs en train de discuter à bâtons rompus.
« Et ? » dit Fuuga en posant une main sur sa hanche. « Qu’est-ce que tu veux que j’entende ? »
« Quelque chose que je pense que tu voudrais entendre…, » Yuriga leva la main droite. Les portes d’Haalga s’ouvrirent alors, laissant entendre un grondement tandis que le sol sablonneux commençait à trembler.
Finalement, quelque chose d’énorme fut amené à travers les portes et transporté derrière Yuriga. Alors que Fuuga et Mutsumi écarquillaient les yeux, Yuriga les fixa, le regard inébranlable.
« Je voulais te montrer ceci. Tu devrais déjà le connaître, car c’était mentionné dans mes rapports », dit-elle en désignant l’objet derrière elle. « Ce que je veux te dire, c’est à propos du monde où cette chose est née. »
◇ ◇ ◇
Quelques jours après son départ pour le nord, Yuriga rentra au royaume de Friedonia saine et sauve. Bien que des mesures adéquates aient été prises pour assurer sa sécurité, c’était presque décevant de la voir revenir si facilement de son court voyage. Cependant, je ne pouvais pas être certain que son état d’esprit était aussi détendu.
J’avais entendu dire qu’elle arriverait bientôt au château de Parnam, alors j’étais resté au bureau des affaires gouvernementales pour travailler en attendant. Dans son état actuel, j’avais pensé qu’il serait préférable de ne pas l’accueillir avec trop d’inquiétude ni de la laisser seule. J’en avais discuté avec Liscia et Tomoe, et nous avions convenu qu’il valait mieux l’accueillir comme d’habitude.
Même si je faisais régulièrement des heures supplémentaires au bureau… J’avais entendu frapper à la porte.
« Entre, » dis-je.
« Désolée de te déranger », répondit Yuriga en entrant, les yeux baissés.
Une fois à l’intérieur, Aisha referma tranquillement la porte derrière elle, ne laissant que Yuriga et moi.
« Bienvenue à la maison, Yuriga. »
Elle inclina la tête, les yeux toujours baissés, et dit : « Je suis revenue. »
Le ton de sa voix était normal. Mais je ne pouvais pas voir son expression. Inquiet, je m’étais levé de ma chaise et elle marcha lentement vers moi.
« Je pense que j’ai réussi à enfoncer un coin dans le cœur de mon frère. »
— Uh-huh.
« Il ne peut plus s’enfuir, même s’il n’en a jamais eu l’intention, je suis sûre. Mais maintenant, il devra tout miser sur une bataille du tout ou rien, sans seconde chance. »
« Je vois. »
« Mais… »
Je m’approchai d’elle et Yuriga leva le visage. De grosses larmes commencèrent à rouler sur ses joues.
Alors qu’elle pleurait ouvertement, se mordant les lèvres, Yuriga déclara : « Je n’ai pas pu… Je voulais faire en sorte que mon frère choisisse une autre voie que celle du combat. Je voulais l’arrêter, si je le pouvais. Mais ça n’aurait jamais marché. »
J’avais doucement passé mes bras autour de ses épaules et l’avais serrée contre moi. Elle sanglota bruyamment dans ma poitrine.
« Et si ça ne marche pas, laisse-moi pleurer sur ta poitrine. » Me souvenant de ces paroles, j’avais tenu ma promesse ce jour-là, mais cela ne m’avait fait que de la peine. Elle devait être frustrée. Yuriga voulait que Fuuga s’arrête, même si elle savait que c’était absolument impossible. Elle avait quand même voulu s’accrocher à un espoir vain. Et quand, comme on pouvait s’y attendre, cela n’avait pas marché, elle ne pouvait pas faire comme si de rien n’était.
Je lui avais frotté le dos comme on le fait pour apaiser un bébé, mais…
« Ne me traite pas comme une enfant ! » hurla Yuriga en me poussant contre la poitrine. « Je suis ta femme ! Si tu veux me réconforter, fais-le comme un mari doit le faire ! »
J’avais grimacé en recevant son regard noir. Elle avait le visage d’une femme indépendante. Lorsque je l’avais rencontrée pour la première fois, elle avait l’air d’une collégienne, mais elle avait depuis longtemps dépassé ce stade.
« Compris. »
J’avais fait le tour de Yuriga et je l’avais serrée fort dans mes bras pendant qu’elle continuait à sangloter. Elle ne voulait sans doute pas que je voie son visage dans cet état.
Nous étions restés ainsi un moment, dans une pièce où personne ne risquait de nous interrompre.
◇ ◇ ◇
L’histoire se déroule juste après la rencontre entre Fuuga et Yuriga.
Après leur entretien, Fuuga et Mutsumi étaient retournés à leur camp militaire, où ils avaient été accueillis par leur conseiller, Hashim. Bien qu’il ait été difficile d’imaginer que Yuriga puisse nuire à Fuuga, il était évident qu’elle soutenait le royaume de Friedonia. Le conseiller se méfiait donc des manœuvres de Souma.
« Seigneur Fuuga. Qu’est-ce que Dame Yuriga avait à dire ? Est-ce qu’elle manigance quelque chose ? »
« Hmm ? Je n’ai pas l’impression qu’il y ait eu un complot ou quoi que ce soit d’autre », répondit Fuuga en sautant du dos de Durga. Il aida Mutsumi à descendre de son cheval, puis poursuivit : « Quant à ce qu’elle a dit, c’était juste à propos du monde des Seadiens. »
« Le monde des Seadiens ? »
À quoi ressemblait la vie dans le nord, là où les Seadiens auraient résidé avant d’être transférés dans ce monde ? Pourquoi Yuriga s’était-elle donné tant de mal pour en parler à Fuuga ? L’esprit d’Hashim s’emballa en explorant un certain nombre de possibilités, mais aucune réponse claire n’émergea, à son grand dam.
Fuuga haussa les épaules et dit : « Ça ne sert probablement à rien d’y penser. Je doute qu’il y ait une arrière-pensée derrière les propos de Yuriga. »
« En êtes-vous certain ? »
« Oui. Eh bien… elle m’a tout de même servi une forte dose de poison. »
« Quoi ? — Du poison ? »
Les yeux d’Hashim s’écarquillèrent devant ce mot troublant qui s’était soudain invité dans la conversation, mais Fuuga l’écarta en riant.
« Pas du vrai poison, évidemment. Ce que Yuriga a apporté, c’est… Appelons ça une toxine du cœur. C’est une information qui agit comme un poison à retardement et qui affectera lentement ma passion. C’est un poison qui n’agit que sur moi et que seule elle, en tant que petite sœur, peut fabriquer. Bon sang. On dirait qu’elle s’est finalement vraiment prise d’affection pour Souma. »
Hashim fronça les sourcils tandis que Fuuga se remit à rire.
« Des informations toxiques ? Allez-vous bien ? »
« Non, ça a eu plus d’effet que je ne le pensais. » Fuuga se gratta la tête, comme pour demander : « Alors, qu’est-ce que je fais maintenant ? » Même le calme et le sang-froid d’Hashim étaient perturbés de le voir agir de la sorte.
« Je n’ai aucune idée de ce qui a pu se passer, car je ne faisais que regarder à distance, mais est-ce que cela a un rapport avec cette chose que Yuriga a sortie ? » demanda Hashim.
« Non, ce n’est pas important. Elle l’a probablement traîné jusqu’ici pour nous expliquer les choses. »
« Qu’est-ce qui se passe ici… ? » Frustré de voir Fuuga tourner autour du pot, Hashim regarda Mutsumi.
Avec une expression un peu triste, elle répondit : « Je soupçonne que Yuriga avait espéré empêcher le Seigneur Fuuga et Sir Souma de se battre… Même si elle voit aussi une collision inévitable entre l’Empire du Grand Tigre et le Royaume de Friedonia, elle espérait sans doute montrer un autre avenir au seigneur Fuuga. Et même s’il n’a pas pu donner suite à ses souhaits, cela a tout de même profondément marqué le cœur du Seigneur Fuuga. »
« Oui, ça résume bien la situation », dit Fuuga en hochant la tête. « J’ai aussi eu un aperçu des pensées de Souma lors de ma conversation avec Yuriga. Il ne prévoit pas de se battre contre nous, mais contre quelque chose d’encore plus grand, et il prévoit de gagner. »
« Hmm ? Qu’est-ce que ça veut dire ? »
« Désolé, je ne pense pas pouvoir le formuler clairement pour l’instant, alors je t’expliquerai plus tard. Quoi qu’il en soit, si nous ne faisons rien, je ne pourrai pas défier Souma. En plus, il y a le poison de Yuriga. Il semblerait que je n’aie qu’une seule chance d’affronter Souma et ses hommes. Si je ne parviens pas à gagner de façon décisive, alors je ne pourrai plus jamais les battre. »
« La guerre à venir décidera donc de tout, dis-tu ? » L’expression d’Hashim était devenue sinistre.
Fuuga acquiesça : « Exactement… Bien que le poison de Yuriga me visait spécifiquement, si quelqu’un prenait ma place, il pourrait sans doute s’y reprendre à deux fois. »
« Vous plaisantez certainement. Cette grande nation serait ingérable sans votre grandeur. »
« Oui. C’est pourquoi la prochaine bataille sera le pari d’une génération. » Fuuga sourit, un regard féroce dans les yeux.
Plus l’ennemi était grand et coriace, plus il se sentait vivant en le combattant. C’était sa nature, et c’est ce qui avait fait de lui l’homme qu’il était devenu. Tant qu’il garderait cette expression sur le visage, le charisme de Fuuga convaincrait ses partisans que personne ne pourrait l’arrêter.
Fuuga frappa ses poings l’un contre l’autre pour se donner de l’élan : « Bon, on perd du temps. Même si nous ne sommes pas tout à fait prêts à partir, ce serait une mauvaise nouvelle que de les laisser se préparer complètement pour nous. Qui créera l’avenir de ce monde ? Moi ou Souma ? Allons dans son château de Parnam et découvrons la réponse ! »
« Oui ! »
« Par votre volonté. »
Mutsumi et Hashim saluèrent Fuuga.
Ils partirent précipitamment pour le château de Parnam et Fuuga jeta un coup d’œil vers Haalga, où il avait rencontré sa sœur.
« Je suis désolé, Yuriga. » Je vais suivre ma propre voie. Et il semblerait que tu aies aussi choisi ta voie. Courons sur notre chemin respectif pour ne pas regretter nos choix.
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Chapitre 4 : Vers une guerre mondiale
Partie 1
La menace commune qui pesait sur l’humanité dans le domaine du Seigneur-Démon était désormais écartée et l’annonce de la fin des vagues de démons s’était répandue sur le continent. Les gens anticipaient alors l’aube d’une nouvelle ère.
Les habitants du royaume de Friedonia et de ses alliés de l’Alliance maritime attendaient avec impatience de voir quelles merveilles naîtraient dans un monde sans menace démoniaque. La diversité s’était accrue, ce qui pouvait conduire à la découverte de nombreux talents et à des avancées dans de nombreux domaines des arts et des sciences. À quel point deviendraient-ils tous prospères ?
Pendant ce temps, les habitants de l’Empire du Grand Tigre voyaient les choses différemment. Leur vie avait été marquée par des batailles pour étendre leur territoire et reconquérir les terres perdues. Comme ils étaient une assemblée de déshérités, leur arrivée avait été saluée par des acclamations et des applaudissements. Ils insistaient sur le fait qu’ils étaient de petites nations faibles, obligées de penser davantage à apaiser les autres pays qu’à s’enrichir. Et que c’était Fuuga qui les avait libérés de la pauvreté, de l’esclavage et du statut de réfugié.
Pour ceux qui avaient été libérés de leurs souffrances, l’idée que Fuuga cesse d’être absolu était effrayante. Si leur sauveur perdait le pouvoir, ils craignaient que leur vie ne redevienne ce qu’elle était auparavant. À la différence des nations de l’Alliance maritime, qui avaient les yeux tournés vers l’avenir, ces gens étaient terrifiés à l’idée de retourner dans le passé.
La peur était une motivation plus puissante que l’espoir.
C’est pourquoi, pour les habitants de l’Empire du Grand Tigre, le leader de l’ère à venir devait être Fuuga, et non Souma. Ils ne pouvaient pas dormir tranquilles tant qu’ils ne savaient pas lequel des deux était le mieux placé pour porter la prochaine ère. Fuuga et Hashim avaient rapidement uni l’opinion publique derrière cette idée et créé une atmosphère propice à la guerre contre le royaume de Friedonia.
L’histoire montrait qu’avec le soutien du peuple, il était facile de fabriquer un casus belli. Ils pouvaient inventer une attaque de la nation ennemie qui n’avait jamais eu lieu, prétendre qu’elle abritait des opposants politiques ou même l’accuser de leur avoir volé leur femme, comme dans la guerre de Troie. Quelle que soit la raison, il y avait toujours moyen de la transformer en justification.
Ils pourraient condamner l’Alliance maritime pour avoir tenté de tirer son épingle du jeu en négociant avec Mao, la dirigeante des Seadians, sans les consulter, ou pour avoir apporté de l’aide à des opposants politiques comme Sami et Nike Chima, ou à des opposants à l’orthodoxie lunaire comme Souji, Marie et les anciennes prétendantes au titre de sainte.
S’ils voulaient poursuivre Souma pour avoir maltraité Yuriga après leur mariage, ils pourraient probablement le faire aussi.
(Une fois que les marchands ambulants et les aventuriers ont fait savoir que l’opinion publique dans l’Empire du Grand Tigre penchait en faveur de la guerre, les membres de l’Alliance maritime ont dû mettre de côté leur joie antérieure pour se préparer à un conflit inévitable.)
Il n’avait pas fallu longtemps pour que tout le continent de Landia se prépare à la guerre.
Un jour, Fuuga réunit ses principaux subordonnés au château de Haan. Ils se rassemblèrent dans la grande salle, devant le trône, comme pour fêter la nouvelle année. Mais au lieu de nourriture, une carte du continent était disposée au centre.
Les commandants pouvaient deviner qu’ils étaient probablement réunis pour tenir un conseil de guerre en prévision d’un conflit potentiel avec l’Alliance maritime. Et, comme prévu, Hashim, le chef de la réunion, désigna le royaume de Friedonia du doigt.
« La bataille contre le royaume de Friedonia doit être rapide et décisive », déclara Hashim au groupe distingué qui se trouvait devant lui. « Notre empire du Grand Tigre peut mobiliser deux fois plus de troupes que le royaume, mais nous serons désavantagés si nous affrontons la totalité de l’Alliance maritime en même temps. Même l’aide de nos alliés, l’État pontifical orthodoxe et les hauts-elfes de l’île du Père, ne suffirait pas. Si un pays ne peut compter que sur ses nombreux alliés, la stratégie consiste à les vaincre individuellement. Cependant, les liens qui unissent l’Alliance sont forts. Nous devons nous préparer à ce qu’avancer vers l’une d’entre elles nous oblige à les affronter toutes. »
« Ah, oui ! Nous allons faire la guerre à la moitié du monde ! » Nata, le maniaque de la bataille, avait l’air extatique, mais personne ne lui répondit.
En regardant la carte, Shuukin, l’Épée du Tigre, dit avec hésitation : « Le royaume de Friedonia est un pays si impressionnant que nous avons jugé utile de marier Lady Yuriga à leur roi pour nous assurer de leur amitié. Il est clair qu’ils seront un ennemi difficile. Je sais que l’opinion publique dans notre pays est devenue belliqueuse, mais nous n’avons vraiment pas besoin de provoquer un conflit, n’est-ce pas ? »
Shuukin savait que Hashim avait fomenté le sentiment belliqueux, mais il avait volontairement ignoré ce fait.
« Le seigneur Fuuga a un jour décrit le roi Souma comme une énorme tortue », poursuit Shuukin. « Si nous n’agissons pas en premier, il est peu probable qu’il prenne l’initiative. Si tout le monde est d’accord pour dire qu’ils ne nous envahiront pas, alors nous avons tout le loisir d’amasser nos forces. »
« C’est comme le dit Sire Shuukin », avait convenu Lumiere, la chef de la bureaucratie. « Cette nation est vaste et puissante, mais elle est encore jeune. Le peuple est passionné et plein de vigueur, mais nous n’avons pas encore atteint notre plein potentiel. Si je pouvais seulement avoir quelques années de plus, je créerais pour vous un pays capable d’écraser le royaume de Friedonia et l’Alliance maritime. Ne pourriez-vous pas attendre jusque-là ? »
« Non, ce ne sera pas possible… » Fuuga, assis sur le trône, rejeta leurs opinions :
« On dirait que Souma et sa bande préparent quelque chose. S’ils réussissent quoi que ce soit, nous n’aurons aucune chance. Lumiere dit qu’elle a besoin de quelques années, mais nous n’avons pas ce temps-là… »
« Hein !? Qu’est-ce qu’ils complotent ? » demanda Shuukin.
Fuuga secoua la tête : « J’ai une idée, mais je ne peux pas te la dire tout de suite. »
« Pourquoi cela ? »
« Si je le dis ici, certains d’entre vous vont paniquer. Sachez simplement ceci : Yuriga a parié sur ma défaite. Cela suffit pour que nous comprenions que leur plan est fatal. Nous devons l’empêcher coûte que coûte. »
« Oui, d’où la nécessité d’agir rapidement et avec détermination », dit Hashim en reprenant la conversation et en montrant la carte. « Lorsque nous envahirons le royaume de Friedonia, les nations de l’Alliance maritime coordonneront leur réponse. Comme lors de l’invasion de l’Empire du Gran Chaos, une contre-invasion attaquera probablement notre territoire. Pour éviter cela, nous devrions plutôt envoyer des forces pour engager chaque pays et les garder sous contrôle. Notre cible principale sera le royaume de Friedonia, et nous y concentrerons notre potentiel de guerre, mais nous devrons probablement y aller en nous préparant à arracher quelques villes à chaque pays. »
Hashim pointa alors du doigt la République de Turgis.
« Tout d’abord, il y a la République de Turgis. Ils ont été assez actifs pendant la bataille contre l’Empire du Gran Chaos, s’emparant de trois villes appartenant à l’État mercenaire de Zem. Ils ont ensuite renoncé à l’une d’entre elles, mais deux sont toujours en leur possession. On peut dire que c’est la nation la plus agressive de l’Alliance maritime. »
Fuuga avait souri à cette explication de la part de Hashim.
« Leur chef actuel s’appelle Kuu Taisei, c’est ça ? Je l’ai vu pendant la vague de démons et lors des discussions sur la maladie de l’insecte magique. Il dégageait une énergie sauvage, comme moi dans ma jeunesse. Ce type a du talent et de l’ambition. S’il n’était pas né dans un trou perdu comme la République, mais plutôt quelque part plus près du centre du continent, il aurait pu rivaliser avec Souma et moi. Il est comme un gros poisson tapi sous la glace d’un lac gelé. »
« Oui, il ne faut pas sous-estimer cet homme », répondit Hashim, puis il regarda Moumei, le marteau du tigre.
« Messire Moumei. Vous commanderez les soldats de l’ancien Zem, qui s’est soumis à nous, lors d’une attaque contre la République afin de reprendre les deux villes perdues tout en les gardant sous contrôle. Même ceux qui nous en veulent d’avoir annexé Zem auront une forte volonté de se battre après ce que la République leur a fait. »
« Compris », répondit brièvement Moumei, les bras croisés.
Bien qu’il ait l’air d’un barbare avec son marteau géant, Moumei était intelligent et avait été nommé vice-roi de Zem.
Il dévisagea Hashim sans montrer le moindre signe d’agitation.
« Les soldats de Zem m’ont raconté que les envahisseurs de la République avaient le moral au beau fixe. C’était probablement dû à la personnalité de Kuu Taisei, et j’ai toutes les raisons de penser qu’il se révèlera un adversaire redoutable. Si nous parvenons néanmoins à reprendre deux villes, quelle serait notre prochaine action ? »
« Les terres de la République ne valent guère la peine qu’on dépense des ressources pour les revendiquer. Une fois les deux villes prises, durcissez vos défenses et faites croire que vous êtes prêts à envahir la République à tout moment. Je suis sûr que vous comprenez cela, sire Moumei, mais en prenant les deux villes, vous ne devez pas précipiter l’attaque au point de subir des pertes qui compromettraient votre capacité à tenir la République en échec. »
« Dûment noté », répondit Moumei en croisant les bras et en acquiesçant une nouvelle fois.
Ensuite, Hashim pointa du doigt le royaume d’Euphoria sur la carte, puis il regarda Shuukin, le plus proche ami et confident de Fuuga.
« Sire Shuukin prendra une force composée de ceux qui nous ont rejoints depuis l’ancien empire et de soldats volontaires haut-elfes de l’île du Père pour garder le royaume d’Euphoria sous contrôle. »
« Quoi ? Vous me tenez encore à l’écart des batailles importantes ! » Les yeux de Shuukin étaient pleins de colère.
Lors de l’incident de la maladie de l’insecte magique, Shuukin avait contracté une dette de gratitude envers le royaume de Friedonia et l’Empire du Gran Chaos, c’est pourquoi il avait été chargé de défendre les lignes de ravitaillement arrière lors de la précédente bataille contre eux. Cependant, la guerre qui s’annonçait mettait en jeu le destin de Fuuga et de la nation. Même Shuukin ne pouvait accepter d’être exclu d’un événement aussi important.
Cependant, Hashim ne sourcilla pas et lui répondit : « Je vous le demande parce que vous êtes le seul à pouvoir accomplir cette tâche. Même si j’ai dit que c’était pour les tenir en échec et que le royaume de Friedonia se concentre sur le front du royaume d’Euphoria, nous aurons besoin que vous fassiez croire que votre attaque est notre principal objectif. Même s’ils savent que notre objectif final est Parnam, si nous attaquons le royaume d’Euphoria récemment formé, ils n’auront pas d’autre choix que de prendre des mesures. De plus, vous êtes proche de la princesse Elulu, représentante de l’île du Père; vous pourrez donc mettre à profit les volontaires qu’elle enverra en renfort. Y a-t-il quelqu’un qui pourrait faire cela mieux que vous ? »
« Vous marquez un point…, » le raisonnement d’Hashim était valable.
Shuukin, le sage et courageux, devait l’admettre, du moins dans sa tête. Mais son cœur en pensait autrement. En tant que premier commandant de l’Empire du Grand Tigre, il avait envie de participer à la bataille décisive aux côtés de Fuuga.
À ce moment-là, Fuuga, qui les avait écoutés, intervint : « J’ai un jour décrit l’ancienne impératrice, Maria, comme un oiseau de feu. Elle attirait les gens à elle par son rayonnement, mais la lumière qu’elle émettait provenait de sa propre combustion, et elle finissait par s’éteindre… du moins, c’est ce que je pensais. »
« Que voulez-vous dire, Seigneur Fuuga ? » demanda Shuukin.
« Un nouvel oiseau nommé Jeanne est né de ses cendres. Ce n’est encore qu’un oisillon pour l’instant, mais avec le temps, elle brillera du même éclat. Il semble que la Maison de l’Euphoria passe par des cycles de mort et de renaissance. Jeanne n’est pas quelqu’un que nous pouvons nous permettre de sous-estimer. Surtout pas avec le Premier ministre à la robe noire pour consort royal. »
Après avoir dit cela, Fuuga regarda Shuukin en face.
« Ce sont des adversaires contre lesquels nous pourrions avoir du mal à lutter, même avec moi aux commandes. Sur qui d’autre pourrais-je compter pour les affronter ? Fais-le pour moi, mon ami. »
« Fuuga, mon seigneur. Je comprends », dit Shuukin, qui ne pouvait pas refuser. Ni en tant que son plus proche allié, ni en tant qu’ami avec qui il a grandi dans les steppes.
Une fois cette discussion terminée, Hashim désigna l’État pontifical orthodoxe lunaire et regarda Anne, la sainte du Tigre.
« Madame Anne et les fidèles orthodoxes lunariens vont attaquer la région d’Amidonia depuis l’État pontifical orthodoxe. Veillez à ce qu’ils ne montrent aucune crainte, même si le “prince de sang-froid” fait une nouvelle apparition. »
« Il en sera comme le roi saint Fuuga le veut. »
Anne acquiesce sans difficulté. Lors de la précédente guerre contre l’Empire du Gran Chaos, l’État pontifical orthodoxe avait été pris de panique par l’apparition de Julius Lastania, le stratège de Souma, à la frontière, ce qui avait fait trébucher Fuuga. Cela s’était produit parce que les souvenirs de l’oppression qu’ils avaient subie sous le règne de Julius Amidonia étaient encore présents.
☆☆☆
Partie 2
On demandait à Anne de tenir fermement les rênes pour éviter que cet échec ne se reproduise. Si une sainte comme elle s’engageait sur le champ de bataille, leur peur de Julius se transformerait en haine et ils pourraient s’en prendre au royaume (comme l’Ikko Ikki durant la période Sengoku).
À ce moment-là, le jeune génie Kasen, surnommé l’Arbalète du Tigre, leva la main pour prendre la parole : « Et qu’en est-il du royaume de l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes ? Nous n’avons pas de marine digne de ce nom, alors je ne vois pas comment les tenir en échec. »
« Oui, vous avez tout à fait raison », approuva Hashim. « Malheureusement, je dois conclure que nous devons laisser ce pays tranquille. Nous défendrons nos villes côtières, et s’ils débarquent, nous nous retirerons à l’intérieur des terres et demanderons aux garnisons locales de les affronter. »
« On va juste les laisser faire ce qu’ils veulent ? »
« En effet. La guerre contre le royaume de Friedonia est une lutte intérieure. Nous utiliserons la méthode de l’ancien Empire pour le transport des fournitures : le transport terrestre par rhinosaurus, que Madame Lumiere a organisé pour nous. L’armée de l’air assurera également l’acheminement par voie aérienne afin que nous puissions maintenir en vie les grandes armées que nous déploierons. Il en va de même pour le royaume de Friedonia, bien sûr. Ainsi, dans cette guerre, le contrôle de la mer n’est pas important. »
Le royaume de Friedonia avait à peu près la forme d’un triangle rectangle, et la côte n’en constituait qu’un côté. Le contrôle des mers serait utile en cas d’attaque contre l’Empire du Grand Tigre. Cependant, si l’Empire du Grand Tigre ne se soucie guère des coups portés à ses terres, il sera difficile de profiter du contrôle des mers tout en fonçant tête baissée à travers la frontière. Face à un ennemi qui emploie une stratégie de non-défense, le royaume de Friedonia s’exposerait à des risques s’il choisissait de diviser ses forces.
« Seigneur Fuuga, que pensez-vous de la reine Shabon ? » demanda Mutsumi.
« Hmm », répondit Fuuga en se caressant le menton, avant d’ajouter : « Je suppose qu’elle est comme une méduse. »
« Une méduse ? Ces choses qui flottent dans la mer ? »
« Oui. Elle semble cotonneuse et insubstantielle au début, mais ces créatures peuvent avoir un venin dangereux en elles. Elle est difficile à saisir et serait pénible à affronter. »
« Je suis d’accord. Se préoccuper d’un tel adversaire ne ferait que nous faire tomber dans ses pièges », acquiesça Hashim.
« Alors, il vaut mieux la laisser tranquille. » Kasen acquiesça, apparemment convaincu lui aussi.
« Oui. Et tout ce qu’il nous reste, c’est de battre Friedonia de toutes nos forces. » Hashim frappa le royaume de Friedonia sur la carte avec sa baguette. « Tout se décidera dans cette guerre. Qui décidera de l’avenir de ce monde ? Le seigneur Fuuga ou Souma ? Si nous parvenons simplement à prendre le royaume de Friedonia, l’Alliance maritime se fracturera. À l’inverse, si nous sommes vaincus ici, nous perdrons à la fois notre chance de dominer un jour le continent et le soutien de ceux qui souhaitent que nous le fassions. C’est en effet la bataille décisive où nous prendrons tout ou resterons sans rien. »
Tout le monde avala ses paroles d’un seul trait.
Malmkhitan, autrefois l’une des nombreuses petites ou moyennes nations en compétition au sein de l’Union des nations de l’Est, avait libéré le domaine du Seigneur-Démon et s’était suffisamment agrandi pour que le monde entier semble à sa portée. C’était déjà un grand accomplissement, un exploit glorieux et légendaire.
En entendant que cette guerre serait tout ou rien, les commandants se crispèrent. Mais il y avait aussi une étrange excitation. Le peuple exigeait la conclusion de l’épopée de Fuuga. Et ils avaient l’impression de jouer un petit rôle dans l’énergie qui le propulsait vers l’avant.
Fuuga laissa échapper un petit rire : « En y pensant maintenant, c’est sûr que nous avons parcouru un long chemin. J’ai couru en me disant que je n’aurais aucun regret si je tombais en chemin, et c’est ce qui m’a amené ici. Il ne me reste plus qu’à aller jusqu’au bout. Si l’époque exige une réponse de ma part, alors je leur en montrerai une. »
Fuuga se leva, saisit le Zanganto porté par l’un de ses gardes royaux, et leva la lame vers le ciel.
« Peu importe ce que Souma et sa bande sont en train de comploter ! Nous continuerons à courir comme nous l’avons toujours fait ! La trace que nous laisserons sera gravée dans l’histoire de cette époque ! Maintenant, réalisons enfin notre grande ambition ! »
« Yeahhhhh !!! »
Les commandants s’étaient tous levés et avaient applaudi. C’est ainsi que s’était ouverte la première guerre mondiale de ce monde, connue plus tard sous le nom de guerre Nord-Sud.
◇ ◇ ◇
L’Empire du Grand Tigre de Haan laissait entrevoir une opération militaire de grande envergure. Ils n’essayaient même pas de dissimuler leur intention de faire la guerre. Le peuple de l’Empire du Grand Tigre souhaitait une bataille décisive pour la suprématie de l’Alliance maritime. Qu’on le veuille ou non, si un voisin réclame la guerre, on est naturellement enclin à faire de même. Que ce soit par influence ou pour éviter l’ostracisme, cette mentalité s’était répandue dans tout le pays et était devenue le consensus. C’était tout simplement la nature humaine.
Fuuga commença à préparer ses troupes le long de sa frontière avec les royaumes de Friedonia et d’Euphoria, l’État pontifical orthodoxe lunaire et l’ancien domaine de Zem. Il semblerait qu’il planifiait des invasions simultanées depuis le continent de l’Empire du Grand Tigre vers Parnam, depuis le territoire de l’ancien Empire du Gran Chaos vers le Royaume d’Euphoria, depuis l’État papal orthodoxe vers notre région d’Amidonia et depuis l’ancien domaine de Zem vers la République de Turgis.
Les stratèges militaires de notre camp, moi y compris, pensaient que Fuuga chercherait à mettre rapidement fin à la guerre en envoyant ses troupes principales sur Parnam. Cependant, si nous étions désavantagés sur l’un des autres fronts, Hashim clamerait haut et fort mon inefficacité et la fragilité de l’alliance maritime, ce qui pourrait ébranler nos alliés. Nous devions donc nous défendre dans toutes les directions.
Kuu, le chef de la République, m’avait dit qu’il s’occupait de son pays et que je devais me concentrer sur le mien, mais je devais encore déployer des troupes dans le royaume d’Euphoria, récemment divisé, ainsi que dans la région d’Amidonia. La reine Shabon, du royaume de l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes, avait promis d’envoyer des renforts, mais pour les batailles à l’intérieur des terres, tout ce que ce royaume pouvait faire, c’était lancer des raids sur les villes portuaires. Si le camp de Fuuga les ignorait purement et simplement, cela ne les ébranlerait même pas.
Bien sûr, j’avais moi-même toute une série de coups à jouer. Fuuga et moi savions qu’il était risqué de diviser nos forces, mais nous devions tout de même consolider ces différentes régions pour ne pas être à la merci de l’ennemi. Pour paraphraser un certain anime de science-fiction, « c’était dur pour nous, mais c’était aussi dur pour l’ennemi ».
Cependant, contrairement à la guerre contre la Principauté d’Amidonia, nous n’avions pas eu à cacher nos préparatifs cette fois-ci, ce qui avait rendu les choses un peu plus faciles. Le programme d’information de Chris Tachyon fournissait quotidiennement des rapports détaillés sur les mouvements de l’Empire du Grand Tigre. Grâce à ce programme, la paranoïa de la population avait été réduite au minimum et les habitants des villages et des villes susceptibles d’être touchés par les combats avaient été convaincus d’évacuer.
J’étais reconnaissant de ne pas avoir eu à demander à Juno et à son groupe d’évacuer les habitants à la dernière minute en utilisant les monstres fictifs des Pierrots de flamme pour raser les villages. Mais je n’aurais pas pu le faire, car Juno et son groupe étaient déjà à l’étranger pour une autre mission.
Quoi qu’il en soit, toutes les factions se préparaient à la guerre à venir.
Nous en étions là aujourd’hui. J’étais en train de passer un appel radio avec Fuuga. Nous savions déjà ce que l’autre voulait dire, alors nous étions allés droit au but.
« Tu ne peux vraiment pas t’arrêter, Fuuga ? »
« Oui », répondit-il en me regardant dans les yeux.
Je grinçai des dents de frustration en voyant à quel point il restait inébranlable.
« Yuriga t’a montré un autre avenir ! Tu ne peux toujours pas l’accepter ? »
« Je ne peux pas. Cela a touché mon cœur. »
« Puis… Je ne peux pas l’abandonner à mi-chemin. »
« Mais les gens et l’époque veulent une réponse, voir la fin de mon récit épique et la conclusion de cette ère », déclara-t-il calmement. « Je ne peux pas l’abandonner à mi-chemin. »
Même après que sa sœur ait tenté de le persuader de ne pas le faire, il persistait.
« Tu n’es pas du genre à te soucier de l’opinion des autres, et tu le sais », avais-je affirmé.
« Hah hah hah ! C’est assez vrai. C’est pourquoi je veux moi-même avoir la réponse. »
Fuuga tourna son regard acéré vers moi.
« Et c’est pourquoi je déclare la guerre à l’Alliance maritime. »
Il prononça sa déclaration de guerre avec une telle désinvolture. Nous savions tous qu’elle allait arriver, alors nous n’avions pas été surpris.
« Tu réalises que même toi, tu ne peux pas nous battre », l’avais-je prévenu.
« Des propos durs. Et d’une manière inhabituellement guerrière pour toi. »
« Je viens de comprendre que laisser d’autres personnes prendre mes décisions à ma place n’entraîne que des pertes plus importantes. Si cette guerre est inévitable, alors je dois être proactif et prendre des initiatives pour limiter les pertes. »
Fuuga laissa échapper un rire amusé : « Alors, tu as trouvé ta résolution, hein ? On dirait que je suis enfin allé marcher sur la queue de la tortue lente. »
« Hmm ? Tortue lente ? »
« Je me parle à moi-même, n’y prête pas attention… Si c’est le cas, il n’y a rien de plus à dire. » À l’autre bout de l’émission, Fuuga tendit son poing vers moi. « Décidons qui façonnera l’avenir ! Moi ou toi ! »
« Je ne perdrai pas ! Pas la moindre chance ! »
Fuuga et moi nous étions regardés l’un l’autre. Il finit par renifler, puis les coins de ses lèvres se retroussèrent.
« Au revoir, Souma. À bientôt sur le champ de bataille. »
L’émission fut coupée et Fuuga disparut. Jusqu’à la fin, la façon dont il avait déclaré la guerre était fidèle à sa nature. Il n’avait pas le sentiment de culpabilité qu’un homme sur le point de faire la guerre devrait éprouver. Il portait en lui une obscurité, mais aussi une lumière éclatante. C’est probablement ce qui faisait de lui un grand homme.
« Souma. »
« Souma… »
Alors que je restais là, sans rien faire, Liscia et Yuriga, qui nous observaient depuis un endroit où nous ne pouvions pas les voir sur le joyau, s’étaient approchées de moi.
« Pouvons-nous considérer cela comme une déclaration de guerre ? » demanda Liscia d’un ton hésitant.
« Eh bien, je dirais que oui. »
C’est parti. Il n’y avait pas une minute à perdre.
Je regardai Yuriga : « Es-tu sûre que tu ne voulais pas lui parler ? »
« J’ai déjà compris que rien de ce que je dirai ne pourra arrêter mon frère. Même si je t’ai demandé de me laisser ici pour que je puisse le voir, pour regarder comment il se lance dans ce qui sera certainement sa dernière guerre », dit Yuriga, réprimant ses sentiments compliqués pour rester résolue.
Elle s’y était préparée à sa manière. Tel frère, telle sœur. Au fond, ils se ressemblaient.
« Ouf… “Je laissais échapper un soupir.” Liscia. Yuriga. »
« Quoi ? »
« Qu’est-ce qu’il y a ? »
« Vous savez, même à ce stade, une partie de moi continue de penser que Fuuga est cool. Il incarne une sorte d’idéal masculin dans sa façon de rester fidèle à lui-même. »
Liscia et Yuriga se regardèrent, puis elles sourirent toutes deux.
« Même en tant que femme, je comprends. Il a cet esprit indomptable. »
« Je sais mieux que quiconque à quel point mon frère est cool. »
À ce moment-là, Liscia me serra fort dans ses bras : « Mais c’est avec toi que je me sens le plus en sécurité, Souma. Comme je l’ai dit au duc Carmine ce jour-là, je marcherai à tes côtés. »
« Même si cela me fait mal de l’admettre, je ressens la même chose que Lady Liscia. » Yuriga s’était enroulée autour de mon autre bras. « Je pense que ce pays sera celui qui nous portera dans l’ère à venir. C’est pour cette raison que je suis ici, maintenant. Tu n’es pas aussi cool que mon frère, mais je suis quand même fière de t’appeler mon mari chéri. »
Même Yuriga prononçait des mots aussi audacieux. Mais les bras minces qu’elle avait enroulés autour des miens tremblaient légèrement. Elle était probablement à bout de nerfs tout en essayant de me soutenir. Pour répondre à la considération qu’elle me témoignait, je fis semblant de ne rien remarquer et je plaisantais.
« Hé, c’est bien gentil, mais je ne peux pas bouger avec vous deux qui me serrez dans vos bras… »
« Je parie que ça t’amuse à avoir une beauté à chaque bras », déclara Liscia.
« Bien sûr que je m’amuse. »
« C’est un avantage du poste », dit Yuriga. « Tu as de si jolies femmes, alors travaille bien pour nous, Souma. »
« Je le ferai. »
Oh, je travaillerai dur. Pour le bien d’un avenir où nous pourrons tous vivre ensemble.
Et c’est ainsi que, quelques jours plus tard, les premiers coups de feu d’une guerre mondiale furent tirés.
☆☆☆
Chapitre 5 : Intense dans le sud, calme dans l’ouest
Partie 1
Le premier groupe à avancer fut celui positionné le long de la frontière avec le royaume d’Euphoria. Dirigé par Shuukin, il était composé de membres de l’Empire du Grand Tigre ainsi que des volontaires hauts-elfes. Le noyau de cette attaque était toutefois constitué de commandants et de nobles ayant fait défection de l’Empire du Gran Chaos pour rejoindre l’Empire du Grand Tigre.
Fuuga n’ayant pas été trouvé sur ce front, on en avait déduit qu’il s’agissait d’une diversion. Mais comme il s’agissait du premier mouvement de guerre, le royaume de Friedonia avait cherché à défendre le royaume d’Euphoria. Ne pas le faire risquerait de laisser une mauvaise impression au peuple d’Euphoria. Perdre la face en tant que chef de l’Alliance maritime pourrait affecter la capacité des deux nations à coordonner leurs actions. En réponse, Souma avait immédiatement annoncé que deux transporteurs de type insulaire étaient en route pour le royaume d’Euphoria.
Dans la salle de guerre du château de Haan, Hashim écoutait les rapports confirmant le départ des transporteurs du port.
« Alors, qu’en penses-tu ? » demanda Fuuga.
« Je crois que ces transporteurs sont vides », répondit Hashim, le visage calme. « Le fait de pouvoir utiliser une force aérienne en mer est un avantage dans les batailles maritimes, mais cela n’a aucun effet lorsque les batailles se déroulent à l’intérieur des terres. C’est un moyen pour eux de donner l’impression de soutenir le royaume d’Euphoria. En fin de compte, cela n’aura aucune influence sur cette guerre. Leur cavalerie-wyvernes a probablement été laissée au royaume de Friedonia pour renforcer leurs défenses. »
« Alors, ils ont évité notre diversion, hein ? Bien sûr, ça n’allait jamais être aussi facile. »
« Naturellement. Nous le savions dès le départ. C’est la raison pour laquelle nous n’avons envoyé qu’une force symbolique pour tenir en échec le royaume d’Euphoria. » Hashim pointa du doigt le sud du continent. « La véritable collision aura lieu avec la République, j’en suis sûr. »
◇ ◇ ◇
Les combats entre l’Alliance maritime et l’Empire du Grand Tigre avaient commencé sur le front sud, dans la République. Kuu avait rebaptisé les deux villes qu’il avait arrachées à Zem : Tarus et Leporus. (Leporus se trouvait au niveau du tunnel qui reliait la région à Sapeur, la capitale de la République, tandis que Tarus était positionné pour les soutenir.)
Avec Tarus en première ligne, seuls cinquante mille soldats de l’ancien Zem attaquaient la ville. L’État mercenaire de Zem comptait à l’origine cent mille soldats, mais leur nombre avait diminué lors de l’annexion par l’Empire du Grand Tigre. Même avec le renfort de l’armée principale de l’Empire du Grand Tigre, ils n’étaient pas plus nombreux. Cependant, comme leur objectif stratégique n’était que de prendre deux villes, cette quantité semblait suffisante.
Pendant ce temps, la République avait vingt mille hommes en garnison à Tarus et dix mille autres à Leporus. La République disposait d’environ soixante-dix mille soldats, mais seule une partie pouvait être déployée ici. Contrairement à l’Empire du Grand Tigre qui n’avait pas à surveiller ses arrières, la République courait le risque que l’ennemi la contourne et se dirige directement vers sa patrie; c’est pourquoi le reste de l’armée était gardé en réserve. Tout avait été mis en place pour que des renforts puissent être envoyés si nécessaire, mais Kuu était prêt à tenir les villes avec seulement ces trente mille hommes.
« Ah, oui. Nous n’avons que des ennemis à perte de vue. Je n’ai rien vu de tel depuis la vague de démons. »
Kuu regardait le camp ennemi depuis les hauts murs de Tarus, un sourire intrépide aux lèvres. Sa deuxième femme, Leporina, et son ami, Nike, avaient tous deux soupiré en voyant le comportement de leur seigneur, et aucun des deux n’avait semblé très enthousiaste.
« Oh, maître Kuu. Comment peux-tu avoir l’air si insouciant ? Tu te rends compte que nous devons tous les combattre, n’est-ce pas ? »
« On dirait que le grand frère Hashim est lui aussi prêt à affronter le monde. Argh, quelle galère ! »
Leporina était vêtue de la tenue d’archer qu’elle portait lorsqu’elle était garde du corps de Kuu, tandis que Nike avait sa lance préférée posée contre son épaule. Malgré leurs grognements, ils avaient depuis longtemps résolu de se battre.
Kuu avait souri en voyant les regards aigres sur leurs visages.
« Ookyakya ! Ne vous inquiétez pas trop. Nous avons demandé à Taru de relooker cette ville juste pour l’occasion — nous avons même fait appel à une invitée du royaume d’Euphoria pour nous aider. Penses-vous vraiment qu’une bande de gredins qui ne sont même pas dirigés par Fuuga Haan sera capable de prendre cet endroit ? »
« Certainement pas ! » déclara une voix énergique.
Les trois se tournèrent vers la nouvelle venue. Il s’agissait de Trill, la jeune sœur de Maria et Jeanne, la troisième fille de la maison d’Euphoria. Elle avait été appelée du royaume d’Euphoria pour apporter une assistance technique.
« Taru et moi avons tout mis en œuvre pour que l’idée absurde de Kuu devienne réalité. Cette ville est un symbole de la République en pleine mutation. Aucun pays aux valeurs rigides et ossifiées ne pourra nous la prendre », dit Trill, l’air confiant.
Elle aurait dû rentrer chez elle avant le début de la guerre, mais elle voulait s’assurer que les systèmes qu’elle avait conçus fonctionnaient comme prévu. De plus, sa propre nation risquait également d’être exposée aux feux de la guerre, et Jeanne l’avait autorisée à faire ce qu’elle voulait.
La coiffure distinctive de Trill, en forme de cône de côté, trembla tandis qu’elle gloussait : « Hee hee, je vais utiliser mes mécanismes pour que tous ces types de l’Empire du Grand Tigre crient pitié. »
Malgré son assurance, un messager vint lui parler.
« Lady Trill ! Alors que nous testions les mécanismes, il y a eu un dysfonctionnement ! L’équipe technologique vous demande de venir de toute urgence ! »
« Que le ciel ait pitié de moi ! » hurla Trill. « Excusez-moi, je dois y aller ! »
Elle s’élança rapidement derrière le messager. Ce n’était pas une bonne image pour une princesse.
« Est-ce qu’elle va s’en sortir comme ça ? » se demande Kuu à voix haute. Leporina haussa les épaules d’un air exaspéré.
« C’est parce que tes demandes étaient toutes si déraisonnables, maître Kuu. Il serait cruel de rejeter la faute sur Lady Trill. »
« Non, ce n’est pas comme si je lui en tenais rigueur… Nike. Désolé, mais peux-tu protéger Mlle Trill pour moi ? »
« Oui, oui. — Bien sûr, » répondit Nike avec désinvolture, puis il suivit Trill, portant sa lance sur l’épaule.
Kuu et Leporina, laissés sur le mur, regardaient l’armée ennemie.
Tout en faisant craquer ses articulations, Kuu déclara : « Très bien, il est temps de faire payer à l’ennemi d’avoir sous-estimé la République. »
« Oui, je dirais que c’est le cas », acquiesça Leporina. « J’aimerais me concentrer sur l’éducation de nos enfants, mais c’est la faute de ces gens si j’ai dû retourner sur le champ de bataille à la place. Ça me met hors de moi ! Travaillons dur pour nos enfants, maître Kuu ! »
Cela ne faisait pas si longtemps que Taru avait donné naissance à son premier enfant et que Leporina avait donné naissance à ses trois premiers. Kuu avait également l’intention de laisser Leporina derrière lui à la capitale, mais elle avait choisi de se battre à ses côtés plutôt que d’attendre à la maison. Taru lui avait même dit : « Je m’occuperai des enfants. Alors, tu t’occupes de maître Kuu, Leporina. »
Les familles de Taru et de Leporina allaient également participer à la surveillance des enfants.
En entendant les paroles de Leporina, Kuu avait préparé son bâton et affiché un sourire intrépide.
« C’est sûr ! — Très bien, les enfants, papa et maman vont vous montrer à quel point nous sommes forts ! »
« Oui ! »
◇ ◇ ◇
Dans le camp de l’Empire du Grand Tigre, Moumei, surnommé le Marteau du Tigre, encourageait ses soldats. Moumei était un homme peu loquace, mais sa voix grave résonnait au fond de l’estomac de ses hommes.
« Pendant que nous combattions le Grand Empire du Chaos, la République est arrivée comme des voleurs et nous a arraché ces deux villes. Ô héros de Zem ! L’heure est venue pour vous de sauver ces villes des mains de ces voleurs ! »
« Yeahhhh !!! » Les soldats applaudirent. La plupart d’entre eux venaient de l’ancien Zem, leur moral était donc au beau fixe face à la République.
Une voix parmi eux se faisait toutefois entendre plus fort que toutes les autres.
« Aww, yeahhhhh ! Il est enfin temps de se battre ! » cria Nata Chima, la hache de guerre du Tigre. « Yeesh, j’étais énervé quand ils m’ont envoyé loin de la bataille décisive contre Friedonia, mais ici, je peux me déchaîner à ma guise ! Les gars de l’Empire n’étaient qu’une bande de bras cassés qui ne valaient pas leurs fanfaronnades. Je parie que je peux trouver des gars qui me divertiront ici ! » Nata laissa échapper un rire endiablé.
Fuuga et Hashim cherchaient à rendre la guerre contre Friedonia rapide et décisive, ce qui nécessitait de la mobilité et le respect des ordres. Les forces du Grand Tigre avaient toujours été mobiles, mais elles perdaient du temps si elles s’arrêtaient pour combattre des ennemis puissants qu’elles n’avaient pas à affronter ou si elles se laissaient distraire par le pillage. S’ils ne pouvaient pas rester concentrés et contourner les villes plus fortes, ils ne pourraient pas maintenir leur grande mobilité.
Ils n’avaient pas le temps d’emmener tous les soldats qu’ils rencontraient ni de rassembler les provisions d’une ville tombée avant de passer à la suivante. Compte tenu de leur mission, Nata, qui ne voulait affronter que des hommes forts, risquait de se mettre en travers de leur chemin. Si Nata chargeait les défenses ennemies là où elles semblaient les plus solides, puis insistait pour entraîner toute l’armée avec lui afin de les percer, cela ne servirait à rien. C’est la raison pour laquelle on l’avait envoyé sur le front de la République, où il pouvait se déchaîner à sa guise.
Les yeux de Nata étincelaient de soif de combat : « Si j’écrase assez vite ces rigolos de la République, je pourrai rejoindre le gros des troupes ! Une fois l’ennemi brisé, Moumei pourra lui-même défendre la place, alors mon frère Hashim ne pourra pas vraiment se plaindre ! »
Le raisonnement à courte vue de ce maniaque de la bataille s’affichait au grand jour. Moumei, lui, gardait la tête froide et observait les forces de la République avec toute la prudence nécessaire.
J’ai entendu dire que notre ennemi, Kuu Taisei, considérait Souma comme un grand frère. S’il a retenu les leçons de Friedonia, il ne sera pas facile à battre. Je vais devoir attendre de voir quel sera son premier mouvement.
L’ancien Zem n’avait jamais été un pays riche et ne disposait pas non plus de troupes coûteuses, comme une armée de l’air ou des unités utilisant des armes à poudre. La République non plus n’avait pas ces choses-là, et sa seule parade contre la cavalerie wyverne de l’Empire du Grand Tigre était de rester dans ses forteresses et d’utiliser des lance-carreaux à répétition antiaérienne contre elle. En bref, l’armée de l’air ne pouvait pas être un facteur décisif dans cette guerre.
C’est pourquoi les armes obsolètes peuvent s’avérer utiles.
Moumei leva son marteau, puis le balança en direction de Tarus : « Toutes les forces ! Foncez vers cette ville ! Avancez avec les armes de siège ! Infanterie, défendez les rhinosaurus en tirant au fur et à mesure que vous avancez ! »
C’est ainsi que l’assaut sur Tarus commença.
Les rhinosaurus déplacèrent les trébuchets et les tours de siège de leur campement. Ils avaient été sortis par Moumei des entrepôts de la cité de Zem où ils étaient restés en sommeil. Inutiles sur un champ de bataille dominé par la puissance aérienne, ils avaient encore une utilité lors d’une bataille dépourvue de force aérienne.
Moumei observait attentivement l’avancée de ces armes anachroniques.
Le seigneur Fuuga aborde cette bataille comme s’il s’agissait de la dernière sur le chemin de l’hégémonie. Il semblait chercher une dernière gloire, à l’image de ces armes de siège. Malgré son apparence robuste, Moumei était sensible et pensait à son lointain seigneur. Même si c’est le cas, nous vous suivrons jusqu’au bout ! Puissiez-vous accomplir le but que vous poursuivez depuis si longtemps, mon seigneur !
☆☆☆
Partie 2
« Ookyakya ! L’ennemi a sorti quelque chose d’intéressant ! » déclara Kuu en riant de bon cœur et en sortant la tête des remparts.
La bataille de siège avait commencé et l’Empire du Grand Tigre leur lançait des flèches et de la magie depuis le bas.
« Maître Kuu ! — C’est dangereux de sortir la tête ! »
Leporina avait cru qu’il allait lui faire avoir une crise cardiaque.
« — Ah ! Maintenant ! »
Leporina trouva un moment pour se lever et décocher une flèche sur les ennemis qui grouillaient sur les murs. Sa flèche vola droit, transperçant la gorge d’un homme qui commandait les soldats à cheval. Le commandant tomba de son cheval et resta immobile.
Kuu siffla d’admiration : « Ouf, tu es toujours aussi bonne. »
« Bien sûr que oui. Je n’ai pas pu utiliser mon arc pendant ma grossesse, mais je m’entraîne depuis que j’ai accouché pour reprendre la pratique. Oh ! Mais… » s’exclama-t-elle.
Leporina était restée vigilante et guettait l’ennemi, mais elle était maintenant d’un rouge éclatant.
« Hm ? Se passe-t-il quelque chose ? »
« Eh bien… après avoir accouché, ma silhouette a changé. Je ne trouve pas que la taille de mon plastron soit tout à fait correcte… »
« D-D’accord… Ça a l’air problématique… ! »
C’était trop d’informations, et Leporina avait l’air mignonne quand elle était embarrassée, alors que Kuu était devenu rouge lui aussi.
« Wôw ! Attention ! »
Soudain, Kuu sauta pour protéger Leporina avec son corps, alors que des tuiles de pierre tombaient du mur. Les yeux écarquillés, Leporina vit la magie de feu d’un ennemi passer à côté d’eux.
Une fois qu’ils furent tous deux sûrs d’être en sécurité, Kuu poussa un soupir de soulagement.
« Ce n’était pas une conversation que nous devrions avoir sur le champ de bataille, hein ? »
« Non, ce n’était pas… »
« Et si nous n’arrêtons pas cette chose, nous allons avoir des problèmes. »
Alors qu’ils parlaient, une tour de siège gardée par des soldats s’approcha.
« Très bien, Leporina ! Envoie le signal à Trill ! »
« D’accord ! »
Leporina tira une flèche de son carquois dans le dos, en choisissant une dont la pointe était différente des autres. Après l’avoir placée sur son arc, elle la tira à un angle encore plus élevé en direction de l’ennemi. La flèche siffla en tombant.
« Le voilà… » Trill se crispa en entendant la flèche de signalisation de Leporina.
« Quelle direction ? » demanda Taru.
« Les messagers qui viennent d’arriver ! Ils sont du côté nord ! »
« C’est là que se trouvent Kuu et Leporina… Nous allons activer les armes du côté nord », ordonna Trill. « Contactez ceux que nous avons en attente. N’activez pas le matériel d’un seul coup, mais au fur et à mesure que la situation l’exige, en fonction des indications des observateurs. »
« Oui, madame ! »
Tandis qu’elle regardait le messager s’enfuir, Trill pria pour la sécurité de Kuu et de Leporina, puis se dépêcha d’ajuster le mécanisme devant elle.
La tour de siège se mit à avancer. Les archers postés au sommet de la tour tiraient sur le haut des murs de Tarus afin d’empêcher les soldats et les rhinosaurus de les attaquer. Kuu, Leporina et les autres se protégeaient avec des boucliers ou se cachaient derrière les remparts. Les soldats qui se trouvaient à la base de la tour continuèrent à résister avec acharnement aux forces de la République, luttant de toutes leurs forces pour atteindre le mur.
« Écoutez ! Il n’est pas nécessaire de les empêcher d’approcher ! Attirez-les le plus près possible ! » ordonna Kuu.
Cette stratégie allait à l’encontre des attentes des soldats de la tour de siège. Il ne leur ordonnait pas de les éloigner à tout prix, mais de les rapprocher. Il n’y avait donc eu que des attaques sporadiques contre la tour de siège, qui avait rapidement progressé vers les murs. Finalement, ils s’étaient tellement rapprochés que les défenseurs des murs et les archers de la tour pouvaient clairement se voir.
« D’accord ! — Une fois que nous aurons établi le contact, faite tomber le haut de la tour de siège sur les murs et établissez une tête de pont pour que nos alliés puissent — ! »
Alors que le commandant donnait ses ordres, Kuu bondit soudainement de derrière les murs pour se tenir sur les remparts. Ses yeux rencontrèrent ceux du commandant de la tour de siège. Le sourire intrépide de Kuu donna des frissons à l’homme qui oublia de terminer son ordre.
« Merci d’avoir fait tout ce chemin », dit Kuu aux soldats de la tour de siège. « J’aimerais bien vous féliciter, mais vous n’irez pas plus loin. »
Il leva son gourdin…
Boum !!! Crack !
Un épais pilier carré jaillit du mur et se fracassa en plein centre de la tour de siège qui s’approchait. Les murs de Tarus étaient faits de blocs carrés et l’un des plus gros avait soudain été propulsé vers l’extérieur.
« Ahhhh ! »
« Je tombe ! Je tombe ! »
Ses supports brisés, la tour de siège s’effondra, faisant pleuvoir des débris sur les soldats en contrebas. On pouvait également voir les autres tours de siège en approche se faire écraser par les piliers de pierre du mur.
Kuu sourit en observant la scène. « As-tu vu ça ? Nos murs ne sont pas seulement défensifs ! »
Lorsqu’il avait rénové Tarus et Leporus, Kuu avait demandé à Taru, Trill et aux autres membres de l’équipe technologique de mettre en œuvre un grand nombre de ses idées. L’une d’entre elles consistait à installer ces pieux géants qui sortaient des murs. La technologie de base de l’enfonceur de pieux avait déjà été établie, car il s’agissait de l’un des équipements utilisés lors du combat contre Ooyamizuchi.
« Pourquoi fallait-il qu’ils soient vraiment utiles… ? » dit Leporina avec un soupir exaspéré.
L’idée de murs qui se défendent était amusante, mais les pilonneurs étaient complètement inutiles, à moins qu’un ennemi massif ne s’approche, comme des tours de siège ou peut-être un monstre géant. De plus, maintenant qu’ils avaient été vus, l’ennemi viendrait préparé la prochaine fois. Comme ces armes ne fonctionnaient que sur ceux qui ne les avaient pas vues, même Taru, qui les avait construites, remettait leur utilité en question. Peut-être que le fait qu’il ait obtenu des résultats avec une arme aussi étrange faisait partie de ce qui rendait Kuu si extraordinaire.
« Mais Maître Kuu ? Je ne m’attendrais pas à ce qu’ils fonctionnent la prochaine fois, tu sais ? »
Kuu balaya les commentaires de Leporina d’un rire de singe : « Eh bien, considère-le comme une scène de magie. Une fois qu’il sait comment fonctionne le tour, le public s’ennuie. C’est pourquoi tu dois changer de numéro régulièrement. Fais-leur croire que le marteau-pilon va arriver, et puis… Non, rien ! Cela ne serait-il pas drôle ? »
« Contre quoi te bats-tu au juste, maître Kuu ? » Leporina lui adressa un haussement d’épaules exaspéré.
C’était rassurant de le voir capable de badiner avec autant de décontraction alors qu’il affrontait une superpuissance comme l’Empire du Grand Tigre. Bien qu’il soit plus petit qu’elle, il semblait si fiable, et Leporina n’aurait souhaité personne d’autre comme mari ou dirigeant de son pays.
Kuu étira ses bras, puis frappa ses mains l’une contre l’autre.
« Très bien, montrons à ces gens de l’Empire du Grand Tigre un peu plus de plaisir ! »
◇ ◇ ◇
Pendant ce temps, les trébuchets de l’Empire du Grand Tigre attaquaient un autre front. Si elles n’avaient pas la portée des canons, ces armes avaient l’avantage de pouvoir lancer n’importe quoi : des boulets, des rochers, des barils explosifs ou de la mitraille. Le plus important, cependant, c’est qu’elles sont peu coûteuses, c’est pourquoi l’État mercenaire de Zem en avait rassemblé un grand nombre.
Trill et son équipe technologique travaillaient sur les derniers ajustements de la partie du mur qui faisait face à une attaque féroce.
« Lady Trill ! Les attaques de l’ennemi sont intenses et les dégâts causés aux murs augmentent ! » hurla un membre de l’équipe d’ingénierie.
« Je le sais déjà ! » cria Trill. « Encore un peu… Et ça va… ici ! »
Une fois son travail terminé, Trill appuya sur le bouton et la batterie de minerai maudite utilisée dans le Little Susumu Mark V commença à envoyer de l’énergie vers les murs. Après s’être assurée qu’elle fonctionnait, un sentiment de soulagement l’envahit.
Elle murmura : « Kuu a certainement des idées surprenantes. Par exemple, “tu sais que les murs sont attaqués par des armes de siège, n’est-ce pas ? Eh bien, pourquoi ne pas les faire bouger pour les éviter ?” »
Dans un grondement, le mur devant elle se mit à bouger, prenant au dépourvu ceux qui se trouvaient de l’autre côté.
« Quoi !? Pourquoi le mur bouge-t-il ? » hurla un soldat.
« Le mur ! Le mur vient droit sur nous ! » hurla un autre.
Cette scène cauchemardesque plongea les soldats attaquants du Royaume du Grand Tigre dans le plus grand désarroi. De plus, des boules de plomb de la taille d’un poing pleuvaient du mur, transperçant les armures et précipitant les soldats dans le chaos.
Pour résister aux attaques ennemies et permettre aux hommes de les traverser, les murs de Tarus avaient été construits en épaisseur. L’idée était qu’une section d’environ la moitié de leur épaisseur puisse se détacher pour attaquer comme une tour de siège autoalimentée, en utilisant le principe de la foreuse. Cette tour de siège de type muraille était également équipée de canons à chien-lion (petits canons) provenant de l’archipel du Dragon à Neuf Têtes et installés pour tirer sur les ennemis.
La République, tout comme l’ancien Zem, n’était pas un pays riche. Grâce au commerce d’équipements médicaux et de produits marins avec les autres pays de l’Alliance maritime, son économie était toutefois devenue beaucoup plus importante que celle de l’ancien Zem. Elle pouvait désormais se permettre d’utiliser ce type d’armement à poudre.
La tour de siège avança au centre des troupes de l’Empire du Grand Tigre qui fuyaient, se plaçant juste devant les trébuchets. Les trébuchets et les canons étaient des armes puissantes, mais il fallait beaucoup de temps pour changer de cible. Viser quelque chose en mouvement était pratiquement impossible.
Alors que les soldats qui gardaient les trébuchets s’enfuyaient, on leur lança des marmites d’huile et des charbons ardents, brûlant tous les trébuchets jusqu’à ce qu’ils tombent en morceaux.
« Dieu merci ! Il semble que tout se soit bien passé. »
Trill et son équipe regardèrent la tour de siège murale faire son travail à travers une brèche dans le mur. Le détachement de la tour de siège avait laissé derrière lui une entaille carrée, mais pas un trou traversant le mur.
« Mais nous ne pouvons pas simplement rester à regarder. Nous devons immédiatement repartir ! »
☆☆☆
Partie 3
Cet endroit, qui se trouvait à l’intérieur du mur il y a encore peu de temps, était désormais exposé à l’extérieur, la tour de siège s’étant détachée. Les forces de l’Empire du Grand Tigre étaient pour l’instant en désordre, mais si elles attaquaient, elle et son équipe de non-combattants seraient sans défense.
Trill exhorta son groupe à évacuer rapidement par une petite porte installée à cet effet.
Whoosh… Sifflement ! Un bruit comme si quelque chose coupait l’air retentit, puis l’un des techniciens en fuite fut proprement coupé en deux.
Trill regarda avec stupeur la soudaine éclaboussure de sang, tandis qu’un berserker portant une hache apparaissait de l’autre côté du corps affaissé.
« Était-ce vous, les gens ? C’est vous qui essayez de faire tous ces petits tours ! » C’était Nata, le maniaque de la bataille de l’Empire du Grand Tigre, avec des yeux comme ceux d’une bête affamée, suintant le désir de tuer et empestant le carnage.
C’était la première fois que Trill se trouvait sur un champ de bataille et ses genoux flanchèrent. C’est de la folie ! « C’est complètement fou, Grande Sœur Genia ! » Elle se mit à pleurer, essayant de reculer alors qu’elle était assise par terre, se recroquevillant si fort que son corps ne voulait rien entendre.
Nata continua d’avancer à grands pas vers elle.
« Vous, les types de l’Alliance maritime, vous essayez tous d’être si rusés ! Laissez-moi juste profiter d’une bonne vieille bataille, voulez-vous ! » rugit-il en levant sa hache pour frapper.
« Je vais mourir », se dit Trill en criant : « Sauve-moi, grande sœur ! »
Les visages de Maria, Jeanne et Genia, qu’elle considérait comme des sœurs, défilèrent dans son esprit. Trill ferma les yeux, imaginant à quoi devait ressembler le moment qui précède la mort. Mais ensuite…
« Appelle au moins quelqu’un qui pourra venir te sauver ! » lança une voix au-dessus d’elle.
Les yeux de Trill s’ouvrirent brusquement et Nata recula au moment où il s’apprêtait à abattre la hache sur elle. Un jeune homme se tenait là, une lance à la main qu’il avait plantée dans le sol à l’endroit où se trouvait Nata. S’il avait réagi plus lentement, elle aurait été transpercée au niveau du cerveau.
Les yeux de Nata s’illuminèrent de rage lorsqu’il reconnut celui qui venait d’entrer : « Pourquoi, toi ! — Nike ! »
Ayant reconnu son sauveteur, Trill lui lança un regard suppliant.
« C’est toi, Nike ! »
Ignorant son frère, Nata regarda Trill et hocha la tête.
« Ne fais rien de trop téméraire. J’ai déjà fort à faire pour servir un maître excentrique comme le seigneur Kuu. Si tu m’attires encore plus d’ennuis, j’aurai des maux d’estomac. »
« Je suis vraiment désolée ! »
Alors qu’ils discutaient, Nata s’énerva d’avoir été ignorée.
« Hé, Nike ! Crois-tu que tu peux t’opposer à ton grand frère ? — Hein ! »
Nike retira sa lance du sol et la pointa vers Nata.
« S’il te plaît, ne t’inquiète pas. La grande sœur Sami, Ichiha et moi-même te détestons tous. C’est pourquoi je n’hésite pas à te frapper ici. » Il baissa la voix jusqu’à chuchoter et ajouta : « La grande sœur Mutsumi et la grande sœur Yomi ne t’aiment pas trop, d’ailleurs. »
« Foutaises ! »
Furieux, Nata frappa sa hache sur Nike avec une puissance suffisante pour fendre un rocher. Nike esquiva le coup comme un matador esquivant un taureau, puis s’élança sur le flanc de son frère. Nata repoussa le coup rapide avec son poing. Puis il balança sa hache à l’horizontale dans l’intention de couper le torse de Nike en deux. Ce dernier sauta pour s’écarter et abattit sa lance sur l’épaule de Nata. Crac !
« Guh… ! »
L’épaule de l’armure de Nata se fractura et il laissa échapper un grognement de douleur. Mais au moment où Nike atterrit, Nata l’envoya valser avec un puissant coup de pied dans l’estomac. Clack !
« Argh ! »
Il lui suffit de donner un coup de pied pour envoyer Nike s’envoler. Pendant sa chute, il ajusta sa position et manœuvra pour atterrir à côté de Trill.
« Vas-tu bien, Nike ? » lui demanda-t-elle, l’air préoccupé.
« Tch ! Ouf… Pour quelqu’un qui ne se vante que de sa force, je crois que c’est ce que j’attendais de mon grand frère », plaisanta-t-il en se frottant l’estomac.
Ce coup de pied aurait pu le mettre hors de combat instantanément s’il l’avait touché au mauvais endroit; son attitude décontractée actuelle était donc en partie du bluff. Il avait tout de même réussi à échanger des coups sur un pied d’égalité avec Nata.
« Crois-tu que tu peux me battre !? » cracha Nata.
« Je ne pense pas que je perdrai. Après tout… »
Smack ! Cette fois, Nike donna un coup de pied à Nata. Cependant, comme Nata était bâti comme un roc, il ne bougea pas. Au lieu de cela, c’est Nike qui fut projeté en arrière. Mais c’était précisément l’effet recherché par Nike, qui n’avait pas tant essayé de donner un coup de pied à Nata que de s’en servir comme d’un tremplin.
Il atterrit à nouveau à côté de Trill.
« Bon, tout est prêt…, » dit-il.
« Hein ? Prêt à quoi ? » Trill clignait des yeux, confus.
« J’ai un cerveau, contrairement à mon frère ici présent ! » Nike adressa un sourire à Nata.
« Hein ? Qu’est-ce que tu racontes ? »
« Grand Frère. Avec la tour de siège sortie, tu réalises qu’il s’agit d’une échancrure carrée, n’est-ce pas ? Tu ne devrais pas attaquer un endroit comme celui-ci ! »
Pendant ce temps, Nike prit le Trill dans ses bras, puis décolla du sol grâce à la magie du vent enveloppant ses jambes. Ce saut les porta à peu près à mi-chemin du mur, où Nike avait planté sa lance et s’y était suspendu. Nata resta un instant incrédule, puis entendit le vent se déplacer autour de lui. En levant les yeux, il vit d’innombrables flèches pleuvoir.
D’en haut, Nike cria : « Ce genre d’échancrure carrée est une cible facile pour les tirs concentrés des armes à distance ! Si tu es un homme de la maison Chima, avec notre réputation en matière de stratégie et de politique, tu devrais le savoir ! »
« Maudit sois-tu, Nike ! »
Nata était furieux des railleries de son frère, mais même lui n’avait pas pu résister à cette grêle de flèches. Bien qu’il en ait reçu plusieurs, il brandit sa hache pour parer les coups mortels, puis se retira de la zone.
Après avoir vu son frère partir, Nike poussa un soupir de soulagement.
« Merci. Tu m’as sauvé », dit Trill, suspendue dans les airs avec lui. « Mais j’apprécierais que tu m’escortes d’une manière un peu plus élégante. Sache que je souffre du vertige. »
« Quelle princesse exigeante ! »
« Plains-toi tant que tu le veux, mais je trouve tous ces balancements très déstabilisants — ulp ! »
Trill se couvrit la bouche pour lutter contre une vague de nausées, ce qui fit paniquer Nike.
« Agh ! Je vais faire quelque chose tout de suite, alors retiens-toi encore un peu ! » Il utilisa rapidement sa magie du vent pour parcourir le reste du chemin jusqu’au mur.
Compte tenu des pertes subies lors de cette bataille de siège, Moumei avait conclu qu’il serait difficile de reprendre les deux villes à la République avec cette seule armée, et changea de stratégie pour opter pour l’encerclement. Au moins, il maintiendrait la République à l’écart de la bataille de Souma et Fuuga.
Kuu avait préparé une défense, mais il estimait que le risque d’une attaque était trop grand, si bien que les deux camps avaient fini par se bloquer l’un et l’autre. À partir de là, ce front entra dans une impasse.
◇ ◇ ◇
Alors qu’un combat acharné faisait rage sur le front de la République, un autre champ de bataille restait désespérément calme. Il s’agissait du front du royaume d’Euphoria.
L’armée de l’Empire du Grand Tigre était dirigée par Shuukin Tan, surnommé l’Épée du Tigre, et par son second, la bureaucrate en chef Lumiere. Leur allié, le Royaume des Esprits, avait également envoyé la princesse Elulu, amoureuse de Shuukin, ainsi qu’un certain nombre de soldats haut-elfes volontaires.
Du côté du royaume d’Euphoria se trouvaient des soldats dirigés par la reine Jeanne elle-même, avec le soutien du Premier ministre Hakuya et du général Gunther. Cette armée comprenait également Sami Chima, la bibliothécaire de la grande bibliothèque du château de Valois, qui les avait rejoints en déclarant : « Je ne laisserai plus jamais l’Empire du Grand Tigre me prendre mon lieu de réconfort… ou les gens auxquels je tiens. » Piltory, l’ambassadeur résident du royaume de Friedonia dans le royaume d’Euphoria, était également de leur côté en tant que commandant invité.
Les deux armées étaient dispersées, avec des montagnes et des forêts de part et d’autre; le centre était un champ ouvert utilisé pour l’agriculture, avec une petite maison. Les deux camps se faisaient face de part et d’autre du champ, comptant chacun environ cinquante mille soldats, mais aucun signe de combat n’était visible. Tandis que les deux camps étaient prêts à réagir instantanément au moindre mouvement de leur adversaire, aucun d’entre eux ne bougeait.
De plus, les commandants susmentionnés étaient réunis dans une ferme de style occidental située entre les deux armées. Quant à ce qu’ils faisaient là, alors que cent mille hommes contemplaient le champ de bataille à venir…
« Lord Shuukin. — Voulez-vous une autre tasse de thé ? »
« Oh, merci, madame Anzu. »
« Vous prendrez du thé ou du café, Lady Jeanne ? »
« Merci, madame Shiho. Je pense que je vais prendre un café. »
☆☆☆
Partie 4
Près d’un petit ruisseau, devant un hangar auquel est attachée une roue à eau, Jeanne, Hakuya, Shuukin, Lumiere et Elulu étaient assis à une grande table et savouraient une tasse de thé. Les épouses de Piltory, les sœurs Anzu et Shiho, étaient à leur service.
Les deux camps avaient amené leurs gardes du corps (Gunther, Sami et Piltory en faisaient partie), mais ceux-ci restaient simplement là. L’atmosphère était détendue et ils n’avaient pas jugé nécessaire de faire plus que des tests de poison superficiels.
Comme tous ceux qui avaient été déployés sur ce front étaient des penseurs analytiques, ils comprenaient parfaitement la situation. La victoire ou la défaite ici n’aurait pas d’effet sur l’ensemble de la guerre.
Le rôle de Shuukin était d’empêcher le royaume d’Euphoria d’attaquer l’Empire du Grand Tigre depuis l’ouest du continent. Le scénario le plus préoccupant pour lui serait une invasion du royaume d’Euphoria qui provoquerait la panique au sein de la force principale dirigée par Fuuga pour attaquer le royaume de Friedonia.
Pendant ce temps, Jeanne s’inquiétait de savoir si les forces de Shuukin parviendraient à les repousser et à se vanter ensuite de l’inefficacité de l’Alliance maritime, ce qui pourrait compromettre sa capacité à se coordonner avec ses alliés. Cela aurait désavantagé Souma, qui se battait à l’est. C’est pourquoi elle devait empêcher Shuukin et ses hommes d’envahir les lieux.
En résumé, les deux camps avaient trois points communs : la défense était leur priorité absolue, ils ne pouvaient pas se permettre de perdre la bataille et l’issue serait décidée par l’affrontement direct entre Souma et Fuuga.
Même si Shuukin parvenait à envahir le pays, il n’aurait pas la tâche facile face à la reine Jeanne et au Premier ministre à la robe noire Hakuya. S’il baissait sa garde, il s’attendait à ce qu’ils le fassent trébucher. Il pensait également que, grâce à leur armée récemment réorganisée, Jeanne et Hakuya seraient à bout de forces rien qu’en se défendant et qu’ils ne pourraient pas mener une contre-offensive.
Comme les deux parties avaient compris qu’une bataille provoquerait une effusion de sang inutile, elles avaient discuté et convenu de maintenir le calme ici jusqu’à ce que la bataille à l’est soit terminée.
« Jeanne. Ces conditions seront-elles acceptables ? »
« Oui, ça ne me dérange pas, Lumi », répondit Jeanne en acceptant les papiers.
Il s’agissait d’un contrat portant les signatures de Jeanne et de Shuukin.
En résumé, il stipulait que si le royaume de Friedonia était vaincu par l’Empire du Grand Tigre, le royaume d’Euphoria se rendrait immédiatement. En cas de victoire du Royaume de Friedonia sur l’Empire du Grand Tigre, Shuukin et ses hommes se retireraient. D’ici là, aucun des deux camps ne déplacerait ses troupes ni ne se livrerait au pillage.
Jeanne parcourut les documents, puis les tendit à Hakuya, assis à côté d’elle.
Pendant que Hakuya lisait, Jeanne s’adressa à Shuukin : « J’ai entendu dire que beaucoup de guerriers de l’Empire du Grand Tigre étaient assoiffés de sang. Je suis reconnaissante que ce soient toi et Lumi, qui êtes capables de réfléchir de façon rationnelle, qui soyez venus ici. »
« Nous avons beaucoup de gens qui vivent dans l’instant présent, après tout. Si ce front avait été laissé à quelqu’un qui n’avait pas compris l’importance de maintenir nos lignes de bataille, associée à la faible priorité de la victoire ici, je soupçonne que vous auriez eu des accroches avec eux », dit Shuukin avec un sourire en coin.
« Quoi qu’il en soit, êtes-vous certain que les conditions sont acceptables ? Si nous perdons, nous nous retirons, mais si vous perdez, vous vous rendez. Cela ne me semble pas être un accord équitable. »
« Il n’y a pas grand-chose qui puisse y remédier », répondit Hakuya. « C’est le maximum que vous puissiez nous promettre, sire Shuukin. D’autres compensations en cas de victoire de l’Alliance maritime seront négociées après la guerre. Cependant, si le roi Souma est vaincu, le royaume d’Euphoria n’a pas la puissance nécessaire pour s’opposer seul à l’Empire du Grand Tigre. Nous n’aurons d’autre choix que de nous rendre. »
« Vous dites cela si facilement… C’est comme si vous ne pensiez pas que vous pouviez perdre. »
« Ni la reine Jeanne, ni le roi Souma, ni moi ne menons des batailles que nous ne pouvons pas gagner », dit Hakuya, l’expression calme. Shuukin lui jeta un regard plus acéré.
« Hé, hé, Seigneur Shuukin ! Ces choux à la crème sont super délicieux ! » proclama Elulu en les engloutissant à côté de lui. Cela fit rapidement se dissiper toute la tension qui régnait dans l’air.
Shuukin se tint les tempes et laissa échapper un soupir :
« Elulu… Je t’en supplie, s’il te plaît, prends ça un peu plus au sérieux. »
« Tu dis cela, Seigneur Shuukin, mais avec une nourriture aussi bonne devant moi, je dois la savourer. J’ai entendu dire que la garniture à la crème utilise du thé aux haricots (café) du royaume des esprits. »
« L’Alliance maritime fait du commerce avec l’île mère, après tout », dit Jeanne en regardant Elulu avec un sourire.
Jeanne se retourna ensuite pour regarder à nouveau Lumiere. Lumiere la regarda à son tour et leurs regards se croisèrent. Leurs deux visages étaient tendus.
Elles avaient été les meilleures amies du monde, mais Lumiere avait trahi Maria et Jeanne pour rejoindre l’Empire du Grand Tigre. Il y avait probablement des gens dans le royaume d’Euphoria qui la détestaient, ainsi que tous les autres commandants et nobles ayant changé de camp, mais Jeanne ne pouvait pas se résoudre à haïr une ancienne amie à ce point. Surtout qu’elle savait que c’était ce que Maria avait voulu.
Lumiere, elle, était restée fidèle à ses convictions. Quel que soit le nom qu’on lui donne, elle ne regrette pas de s’être séparée d’elles. Cependant, ayant connu une petite partie de la responsabilité que Maria avait autrefois assumée, elle éprouvait un nouveau respect pour son ancienne souveraine. Aucune des deux ne détestait l’autre autant qu’elles auraient probablement dû le faire dans leur situation actuelle.
Aussi gênante que soit la situation, Jeanne ouvrit la bouche en hésitant : « Lumi... — Hum… as-tu bien mangé ? »
« Quoi ? Tu commences par ça ? Je m’attendrais à cela de la part d’un père qui ne sait pas quoi dire à sa fille adolescente, mais pas de toi. »
« On dirait que tu as perdu du poids. »
« J’ai plus de travail sur les épaules que lorsque j’étais dans l’Empire… Et maintenant, je comprends à quel point Lady Maria était incroyable. Savoir qu’elle a tout porté sur ses épaules est tout simplement incroyable… C’est tellement épuisant. »
« Oui, j’ai moi-même eu la même prise de conscience. »
Elles soupirèrent toutes les deux.
Lumiere regarda Jeanne en face : « Je ne regrette pas le chemin que j’ai choisi. Le fait est que le domaine du Seigneur-Démon a été libéré. »
« Mais… J’ai entendu dire que vous aviez subi d’importantes pertes en forçant le passage. Si nous avions bien compris les démons, les Seadiens, — n’aurions-nous pas pu éviter complètement de verser du sang ? »
« Je comprends que c’est ce que Lady Maria cherchait à faire. Mais tu ne peux soutenir cela qu’avec le recul. Quand il y a un avenir que l’on peut atteindre sans effusion de sang, mais dont on ignore quand il adviendra, et un avenir que l’on peut viser dès maintenant, même si cela signifie que le sang devra couler, il est difficile de savoir lequel choisir. »
« C’est vrai… Je comprends cela. En fin de compte, nous avons des façons différentes de voir les choses. C’est juste que… Je crains que tu ne te surmènes. »
« Oh, je me surmène. Si je n’en fais pas au moins autant, je ne serai pas capable de vous affronter, les sœurs. »
Lumiere sourit légèrement.
« Je sais que c’est tard, mais je te félicite pour ton mariage, Jeanne. »
« Merci… C’est plutôt gênant quand tu le dis de manière aussi formelle. »
« J’ai toujours su que tu épouserais un homme plus âgé. Tu as toujours eu cette aura de maturité. »
« Oui, tu as toujours été attirée par les jeunes hommes, n’est-ce pas, Lumi ? As-tu trouvé quelqu’un de bien ? »
« Argh… — Bien, ce n’est pas comme si je n’avais personne en tête. »
« Oh oh. J’aimerais bien connaître les détails. »
« Ahem. »
« Hein ?! »
Alors que leur conversation dérive peu à peu vers des discussions de filles, Hakuya et Shuukin se raclèrent bruyamment la gorge. Un silence gênant s’ensuivit.
Elulu les observait avec amusement en attrapant un autre chou à la crème. Shuukin tenta de relancer la conversation en s’adressant à Hakuya.
« Vous savez, j’ai été assez surpris de trouver le Premier ministre à la robe noir, Sire Hakuya, par ici. J’étais persuadé que vous seriez aux côtés du roi Souma. »
« J’ai déjà donné mes ordres, et les questions individuelles sont mieux traitées par la duchesse Walter ou par Julius, le stratège blanc. D’ailleurs, mon successeur, sir Ichiha, est présent, alors je m’attends à ce qu’ils n’aient aucun problème malgré mon absence. »
« Vous me rappelez le nombre de personnes que compte le royaume de Friedonia… Et le jeune frère de Dame Mutsumi, Sire Ichiha, est votre successeur ? »
« Oui, c’est un jeune homme apte à porter la prochaine génération. »
« La prochaine génération, hein… J’envie votre capacité à le dire ainsi. »
Il y avait une légère tristesse dans l’expression de Shuukin alors qu’il parlait.
« Pour nous, mon seigneur et ami Fuuga Haan est tout simplement trop brillant à en être aveuglant. C’est lui qui a rapidement fait de notre nation mineure un grand empire. Tout le monde comprend que personne ne pourra jamais prendre la place du seigneur Fuuga. »
« Tu as vu comment c’était avec Lady Maria… Tu comprends, n’est-ce pas, Jeanne ? » demande Lumiere.
« Je suppose que oui… » Jeanne acquiesça : « Ma sœur a certainement brillé de mille feux à l’époque où elle était impératrice. Si tu me demandais d’égaler sa gloire, j’aurais du mal. J’ai beaucoup de réflexions difficiles à faire, même maintenant que le pays a été réduit en taille. »
« Oui, c’est pourquoi je voulais que nous en fassions le plus possible pendant que Lady Maria brillait encore. Mais ce n’est pas ce que Lady Maria voulait… »
« Je pense que maintenant… Je peux comprendre ce que tu as dû ressentir, Lumi. »
Lorsqu’un dirigeant brille de tous ses feux, la peur de perdre son éclat peut conduire à un rétrécissement de la perspective. Les gens essaient de faire quelque chose tant que cette lumière dure, sans penser à ce qui viendra après. Le charisme de leaders comme Maria et Fuuga avait poussé les gens qui les entourent à en arriver là. Personne ne peut dire que c’est mauvais, mais…
« Si je pouvais dire une seule chose… » commença Hakuya, et tout le monde lui prêta attention. « Je suis heureux que notre roi Souma soit si simple. Il est irremplaçable, mais au moins les gens peuvent penser de manière optimiste. Eh bien, il y a beaucoup d’autres personnes plus talentueuses et qui se démarquent plus que lui, alors quelqu’un pourra sûrement prendre sa place. »
Lorsque Hakuya avait parlé de la fadeur de son souverain en haussant les épaules, tout le monde avait souri avec ironie.
Ils avaient tous pensé : « Peut-être qu’un dirigeant comme ça, c’est bien aussi. »
Tout était calme sur le front occidental…
☆☆☆
Chapitre 6 : Pour qui te bats-tu ?
Partie 1
Alors qu’un affrontement sans effusion de sang se poursuivait sur le front du royaume d’Euphoria, une intense effusion de sang avait lieu sur le front de Lunaria-Amidonia.
Anne, la sainte du Tigre, menait ses troupes à l’assaut de la région d’Amidonia, dans le royaume de Friedonia. Ce front n’était qu’une diversion parmi d’autres, mais l’armée de l’État papal orthodoxe était composée de fervents adeptes prêts à verser le sang pour la religion.
« Victoire pour sainte Anne ! Gloire au saint roi Fuuga ! »
« Ne vous accrochez pas à vos vies ! Lady Lunaria veille sur nos actions ! »
« Le sang païen et hérétique nous guidera aux côtés de Lady Lunaria ! »
« Ne craignez pas le martyre ! Marchons vers le paradis ! »
Sous ces cris fanatiques, les forces de l’État papal orthodoxe avaient chargé la force de défense nationale du royaume de Friedonia. Les forces de Friedonia ne souhaitaient pas laisser entrer ce genre de foule dans leur pays; elles s’étaient donc déployées pour bloquer la route de l’invasion et les avaient rencontrées sur le champ de bataille.
L’État papal orthodoxe était moins puissant et moins riche que la région d’Amidonia, et leur équipement était plutôt médiocre par rapport à celui de la force de défense nationale du royaume. De plus, les blessures de leur récent bouleversement politique n’étaient pas encore cicatrisées. L’État papal orthodoxe, qui aurait normalement pu aligner cinquante mille soldats et autant de volontaires, n’avait pu mobiliser que cinquante mille hommes au total. Et parmi eux, 70 % étaient des volontaires.
Leurs forces fonçaient vers la puissante ligne de défense amidonnienne. C’était comme frapper un mur d’acier à mains nues, et les forces de l’État papal orthodoxe avaient beaucoup saigné lors de cette tentative. Cela ne les avait pas arrêtés pour autant. Ils avaient continué à avancer, malgré les flèches qui pleuvaient et les lances qui leur transperçaient la poitrine. Même s’ils voyaient un de leurs camarades abattus par une lame ennemie sous leurs yeux, ils enjambaient le cadavre pour attaquer. Ces hommes pieux considéraient la mort au combat comme un chemin menant au paradis.
« Tuez-les ! La voie de la droiture consiste à tuer le plus grand nombre possible de ces infidèles. »
« Un tel chemin ne pourrait jamais être vertueux ! »
Deux épées volèrent et transpercèrent le commandant qui menait les fanatiques à cheval. Une femme chevalier aux oreilles de lion et à la queue bondit au-dessus de lui et atterrit agilement de l’autre côté. C’était Mio C. Carmine, la fille de l’ancien général de l’armée, Georg Carmine. Elle était aujourd’hui à la tête de la maison restaurée des Carmins.
Le chef de la force de front amidonnienne n’était autre que le père d’Halbert, Glaive Magna. Les commandants qui servaient sous ses ordres étaient soit des vétérans de l’ancienne armée ayant des liens avec la maison Carmine, soit des habitants de la région d’Amidonia. En somme, ceux qui vivaient le plus près de cette terre la défendaient. C’est pourquoi le moral des défenseurs était élevé, car ils avaient l’impression de protéger leurs propres domaines et villes natales.
« Victoire pour la sainte ! »
« Punition pour les infidèles ! »
« Tch ! »
Tssss ! Mio abattit ses deux assaillants d’un seul coup.
Malgré leur équipement de mauvaise qualité, les soldats de l’État papal orthodoxe avaient chargé Mio, manifestement puissants, et avaient été facilement tués. Alors qu’ils tombaient, on pouvait presque lire une expression de satisfaction sur leurs visages.
Mio montra les dents et les regarda fixement.
« Vos morts sont vaines ! La seule fois où il est vertueux de se soucier si peu de sa vie, c’est quand on se bat pour défendre quelque chose qu’on ne peut pas abandonner ! Quand vous venez à nous et que vous mourez, c’est pour rien ! Ne comprenez-vous pas ça ? »
Sa voix retentit dans l’oreille d’un sourd de l’État papal orthodoxe, qui se battait pour la foi seule. Aucun mot ne pouvait atteindre ceux qui n’écoutaient pas. Mio fit mentalement claquer sa langue. Il semblait qu’ils ne reculeraient pas devant la réputation infâme de Sir Julius cette fois-ci…
Lors de la précédente guerre entre l’Empire du Gran Chaos et le Royaume du Grand Tigre, le Royaume de Friedonia était intervenu en faisant croire que Julius, le redouté « Prince Sanglant », était sur le point d’envahir le pays, ce qui avait ébranlé les forces de l’État papal orthodoxe. Or, comme ils prévoyaient que l’ennemi prendrait des mesures pour les contrer, le Premier ministre à la robe noire et le stratège blanc, Julius, se mirent d’accord pour ne pas se battre sur le front amidonien. En effet, comme les combattants étaient cette fois les fanatiques de l’État papal orthodoxe, ils attaqueraient avec témérité si leur ennemi détesté apparaissait.
Si cela se produisait, la force de défense nationale du royaume subirait des pertes considérables. Cependant, même sans la présence de Julius, l’attaque imprudente de l’ennemi obligeait encore les forces friedoniennes à se mettre sur la défensive. Ils savaient que cette offensive ne pourrait pas durer longtemps, mais contrairement à ces zélotes qui ne craignaient pas la mort, les soldats de la Force de défense nationale avaient des familles et des foyers qu’ils souhaitaient retrouver. En raison de leur supériorité sur leurs adversaires, ils étaient paralysés par l’inaction, par désir de préserver leur propre vie.
Les forces de l’État papal orthodoxe continuaient de progresser et il y avait même des endroits où la défense commençait à céder. Mio envoya une force de soutien à ces endroits, mais elle sentait la pression monter. Elle voulait que cette bataille unilatérale se termine pour pouvoir retourner auprès de son bien-aimé, Colbert, et lui faire plaisir.
« Nous mourrons et irons au paradis… »
« Tais-toi ! »
Lassée de ce combat à sens unique, Mio s’élança pour tuer son adversaire, mais…
Quoi ? Un enfant ?
C’était un jeune garçon qui ne devait pas avoir plus de quinze ans.
Les forces armées de l’État papal orthodoxe devaient être désespérément à la recherche de volontaires. Bien qu’ils ne représentent qu’une faible proportion de l’ensemble, les enfants soldats étaient mélangés aux autres zélotes.
Alors que Mio retira instinctivement ses lames, deux soldats adultes rejoignirent le garçon et l’attaquèrent par-derrière. Mio esquiva la lance du garçon, mais les épées des hommes se jetèrent sur elle alors qu’elle était encore déséquilibrée.
« Pour Lunaria ! »
« Meurs, infidèle ! »
Oh non ! Mio paniqua, mais soudain, un grand homme apparut et abattit les deux soldats.
« Ne baisse pas ta garde ! » beugle-t-il en assénant un violent coup de pied dans le plexus solaire du garçon.
Le garçon se plia de douleur lorsque l’homme lui prit ses armes, puis le saisit par la peau du cou et le jeta à terre. Des hommes vêtus de noir attendaient. Ils bâillonnèrent et ligotèrent le garçon, puis le hissèrent au loin.
Le grand individu, revêtu d’une armure noire, essuya le sang du katana du Dragon à Neuf Têtes que le roi Souma lui avait offert. Alors qu’il rangeait son arme, il fixait la femelle aux oreilles de lion.
Les yeux de Mio se mirent à pleurer lorsqu’elle reconnut de qui il s’agissait.
« Pèr — Argh ! »
Il lui donna un coup sec sur la tête.
« Tu as encore beaucoup à apprendre », déclara-t-il.
Cet individu qui se tenait au-dessus de Mio, la protégeant alors qu’elle se tenait la tête en gémissant, n’était autre que Kagetora, le commandant des Chats Noirs.
« S’il y a un moment où tu peux faire preuve de pitié sur le champ de bataille, c’est quand tu as complètement submergé ton adversaire. Il est impossible d’avoir une telle marge de manœuvre autrement. Parce que leur foi est aveugle, ces ennemis se battent avec conviction. »
« Argh… — Oui, monsieur ! » Mio se redressa et répondit, une main toujours posée sur sa tête douloureuse. Elle avait l’air d’une apprentie qui trouvait une nouvelle motivation après une réprimande cinglante de son maître.
Voyant que Mio s’était ressaisie, Kagetora se retourna en faisant valser sa cape qui protégeait son identité.
« Nous aiderons là où les défenses sont sur le point de s’effondrer. Mes subordonnés sondent actuellement l’intérieur du camp ennemi. Préparez-vous à passer à l’offensive dès que nous connaîtrons l’emplacement de l’armée régulière de l’Empire du Grand Tigre. »
Puis il partit.
Mio essuya les larmes de ses yeux et regarda droit devant elle en répondant : « Oui, monsieur ! »
C’est alors qu’une unité dirigée par Margarita Wonder, une ancienne générale de l’ancienne principauté d’Amidonia, leur vint en aide. Bien qu’elle soit devenue chanteuse, elle avait repris du service actif pour répondre à la menace qui pesait sur sa patrie.
« Madame Mio ! — Vous allez bien ? » cria l’ancienne générale en descendant de sa monture.
Mio acquiesça : « Oui, je vais très bien, madame Margarita ! »
Sa réponse énergique fut accueillie par un regard de soulagement.
« Dieu merci ! Vous m’avez vraiment fait transpirer en vous dirigeant vers un endroit où la défense semblait sur le point de céder avec si peu de soldats. Sir Glaive doit être inquiet, lui aussi. »
« Désolée… Vous pourrez me gronder plus tard. Mais pour l’instant… »
« Oui, vous avez raison. Nous devons d’abord envoyer ces types loin d’ici. »
Mio et Margarita se tenaient côte à côte. Autrefois, le duché de Carmin servait de bouclier au royaume d’Elfrieden contre la principauté d’Amidonia. Les soldats amidoniens et les anciens subordonnés de la maison Carmine avaient donc souvent été des ennemis. Mio et Margarita, deux femmes qui appartenaient autrefois à des forces opposées, étaient désormais des compagnes d’armes. Cette expérience leur permettait de se remonter le moral, même face à cette guerre épuisante.
« Allons-y, madame Mio ! Pour défendre nos patries ! »
« Oui ! Nous la défendrons jusqu’au bout ! »
Les deux femmes se mirent en position de combat ensemble.
On dit que les zélotes sont plus agressifs envers les hérétiques qu’envers les païens. Cela s’explique par le fait que les païens n’ont pas encore été exposés à la voie que les croyants estiment juste et qu’il y a une chance qu’ils soient sauvés par la conversion. Mais l’hérétique suit une croyance erronée tout en professant le nom de la même divinité; il n’y a donc aucune chance qu’il soit sauvé.
Pour un exemple tiré de l’histoire de la Terre, on peut regarder les conflits entre catholiques et protestants. Pendant la guerre de Trente Ans, qui est passée d’une guerre de religion à un conflit international, les catholiques ont perpétré des massacres dans les villes protestantes et les protestants enragés ont assassiné leurs captifs catholiques alors qu’ils les suppliaient de survivre. Et ce, bien que les deux camps soient chrétiens.
Cela s’explique en partie par le fait que les personnes au pouvoir se prévalaient de l’autorité religieuse. Il était gênant que les croyances qui justifiaient leur pouvoir soient trop semblables à celles d’un autre dirigeant. Cela créait de la confusion et risquait d’attirer leurs propres adhérents vers une foi similaire, comme une sorte de haine intestine. C’est pourquoi les dirigeants de l’État pontifical lunaire orthodoxe détestaient l’archevêque Souji et Marie, à l’origine de la secte hérétique connue sous le nom de Royaume orthodoxe lunaire.
Plus de soixante-dix pour cent des forces de l’État pontifical orthodoxe lunaire étaient des volontaires rassemblés pour mener une « guerre sainte ». On pourrait les qualifier de « soldats de la foi » — des zélotes. Bien qu’ils aient été rassemblés à la hâte, ils s’étaient jetés sur les forces régulières du royaume de Friedonia avec autant d’audace, car des hommes saints enflammaient leur ferveur.
« Combattez ! Faites tomber le marteau de Dieu sur ces hérétiques ! »
« Exterminez les Friedoniens qui diffusent de faux enseignements ! »
« Lunaria vous observe ! Combattez courageusement en tant que soldats de Dieu ! »
Les religieux militants encourageaient les zélotes en criant.
☆☆☆
Partie 2
Leur rhétorique violente et belliqueuse était le reflet de l’incertitude qui les rongeait. Ces dernières années, l’État pontifical orthodoxe lunarien avait en effet connu des purges constantes. Tout commença avec la montée en puissance de Fuuga Haan.
Le groupe qui le soutenait s’était opposé à ceux qui le considéraient comme une menace. Tous ceux qui s’y étaient opposés, à l’exception de ceux qui avaient fui le pays, comme Marie et les saintes candidates, avaient été éradiqués en tant qu’hérétiques. Ainsi, après la guerre entre le Royaume du Grand Tigre et l’Empire du Gran Chaos, ceux qui voulaient simplement profiter de l’autorité de Fuuga et ceux qui le vénéraient étaient entrés en conflit. Les adorateurs menés par la sainte Anne l’avaient emporté, brûlant sur le bûcher ceux qui n’avaient voulu que se servir de lui.
En bref, le clergé de l’État papal orthodoxe avait été averti du sort réservé aux perdants de toute lutte politique. L’existence même d’un autre royaume de l’orthodoxie lunaire leur paraissait extrêmement menaçante. Si Souma battait Fuuga et que le royaume orthodoxe prenait de l’importance, ils pourraient être les prochains à être brûlés comme hérétiques. Leur peur et leur malaise les avaient poussés à agir et les zélotes s’étaient mis en mouvement sur leur ordre.
Lombard pouvait observer la façon dont ils se battaient depuis le camp principal des forces de l’Empire du Grand Tigre. L’unité de renforts qu’il dirigeait avec sa femme, Yomi, pour l’Empire du Grand Tigre, était restée dans le camp principal pour protéger Anne, qui était en réalité le commandant de cette armée. Ils étaient là uniquement pour surveiller les forces de l’État papal orthodoxe et n’avaient amené que quelques centaines d’hommes. Leur mission était de protéger Anne, le pilier central, et non de se battre en première ligne.
« Malgré tout le sang versé… Le moral des forces de l’État papal orthodoxe n’a pas baissé le moins du monde », murmura Yomi.
Lombard, qui se tenait à côté d’elle, acquiesça : « C’est terrifiant de les voir affronter des soldats expérimentés avec leur seule foi. Je ne voudrais pas me battre contre eux ni les mener au combat. »
« Même s’ils sont nos alliés ? »
« De tels hommes sont toujours turbulents. Il est impossible de les contrôler. S’ils perpétraient des massacres sur le territoire que nous conquérrions, il n’y aurait aucun moyen de le gouverner avec stabilité. Je suis sûr que le but de Sire Hashim n’est pas de prendre des territoires, mais de les laisser à l’état sauvage et d’attirer l’ennemi ici. »
« Alors, ce ne sont que des pions jetables ? »
Les plans d’Hashim ne prévoyaient pas que l’État papal orthodoxe s’enfonce si profondément dans la région d’Amidonia. Les zélotes n’avaient pas peur de la mort, mais ils ne pouvaient pas effectuer de manœuvres militaires avancées. Même s’ils s’enfonçaient plus profondément dans la région, leurs lignes de ravitaillement ne pourraient pas les suivre. Hashim espérait probablement qu’ils mourraient glorieusement tout en réduisant les forces de l’ennemi et en attirant son attention.
Preuve en est, lorsque Lombard et Yomi avaient été envoyés en observation, la seule chose contre laquelle on les avait mis en garde était de ne pas trop se forcer au point de provoquer un effondrement total.
Yomi regarda en direction du camp principal de l’État papal orthodoxe.
« Est-ce que Madame Anne… comprend cela ? »
« Je pense que oui. Elle le sait, mais elle attise quand même les fanatiques. »
« Cela me fait de la peine de regarder le visage de Madame Anne maintenant. Elle est exactement comme Sami l’était ce jour-là », dit-elle, son expression s’assombrissant.
Elle porta une main à sa poitrine en se remémorant sa sœur jumelle, avec qui elle était séparée. Voir Anne agir comme une poupée sans âme dans son rôle de sainte rappelait à Yomi l’époque où Sami avait été abattue par la perte de son père adoptif qu’elle aimait tant.
Lombard fit preuve d’une douce compassion envers Yomi, tandis que les souvenirs affluaient dans son esprit.
Pendant ce temps, dans le camp principal de l’État papal orthodoxe, Anne observait la bataille, l’expression vide.
Les croyants se battaient avec une foi pour leur Dieu et pour elle, leur sainte, alors qu’ils étaient blessés et tombaient. Anne n’avait pas sourcillé devant ça. Pour se protéger, elle n’avait d’autre choix que de devenir une marionnette sans âme. Anne ne voulait pas commander les soldats toute seule. C’était une tâche qui incombait aux clercs militants. Elle se contentait d’être leur sainte et de leur ordonner de se battre. Elle croyait que c’était la tâche que le ciel lui avait confiée.
Un changement se produisit sur le champ de bataille, sous ses yeux. Les croyants s’étaient précipités avec insouciance jusqu’à maintenant, mais leurs mouvements devinrent soudain étranges.
Il se passait quelque chose. Anne le sentait.
Une voix chantante de faible intensité dérivait en ce moment comme portée par le vent.
« Est-ce une chanson ? »
Au début, la voix était suffisamment calme pour se perdre dans le vacarme du champ de bataille, mais elle s’amplifia progressivement jusqu’à ce qu’elle puisse en distinguer les paroles. C’était un hymne orthodoxe lunaire.
Les voix étaient portées jusqu’ici depuis le camp du royaume de Friedonia.
Cette chanson avait-elle pour effet d’émousser les mouvements de ses zélotes sur le champ de bataille ? Elle vit une grande boule d’eau se former à l’opposé des forces de Friedonia. C’était celle utilisée pour afficher les images provenant d’un joyau de diffusion. Alors qu’Anne s’en rendait compte, l’image de Marie, qui avait fait défection pour se réfugier dans le royaume de Friedonia, apparut.
« Bonjour à toutes et à tous. Est-ce que vous m’entendez ? » dit Marie en regardant devant elle. « Je m’adresse à tous les croyants de Lunaria qui se battent sur le champ de bataille. Et à toi, Anne… Sainte orthodoxe lunarienne. »
Anne sursauta lorsque son prénom fut mentionné. Malgré la distance, elle avait l’impression que Marie était là, à ses côtés.
« Ma voix te parvient-elle ? »
Dans une pièce d’une forteresse située un peu au sud du champ de bataille, Marie se tenait devant un écran, les yeux fixés devant elle.
« Je suis sûre que vous, les fidèles, nous considérez comme des hérétiques pour avoir accepté la protection du royaume de Friedonia, parce que les clercs en qui vous croyez vous l’ont dit. Mais pouvez-vous encore y croire en entendant cette chanson ? »
Marie se tut et l’on entendit un hymne de l’orthodoxie lunaire.
C’était la chorale des filles de Lunaria, composée de candidates à la sainteté qui avaient fui le pays avec Marie. Depuis que l’on avait découvert que les chansons pouvaient servir à créer une image magique, augmentant ainsi son pouvoir, le royaume de Friedonia étudiait le lien entre les chansons et la magie.
L’orthodoxie lunarienne utilisait un art secret appelé Soins de Zone, et ils avaient découvert que les blessés qui chantaient en même temps que la chanson voyaient les effets curatifs de la magie de récupération augmentés. En conséquence, le royaume de Friedonia avait mis en place un programme de diffusion au cours duquel la chorale des filles de Lunaria chantait en permanence, en faisant tourner les membres pour qu’elles puissent se reposer si nécessaire. Cette chanson était diffusée dans tous les centres médicaux des champs de bataille, et Marie la jouait maintenant pour soigner les blessés.
Marie reprit la parole : « Comme vous le savez, ce chant est un hymne de l’orthodoxie lunaire. Il n’y a pas de différence entre l’orthodoxie de l’État papal et celle du royaume. Qu’y a-t-il donc de si différent chez nous que vous nous appelez hérétiques ? La Lunaria en laquelle nous croyons est une seule et même chose. Le fondement de l’orthodoxie lunaire est de sauver les faibles et de s’entraider. Nos croyances n’ont pas changé. La seule différence concerne le fait de savoir si nos protecteurs sont le royaume de Friedonia ou l’empire du Grand Tigre. »
À ce moment-là, le regard de Marie se durcit.
« Ceux d’entre vous qui regardent cette émission comprennent-ils les différences qui existent entre nous ? Ou bien, ce que vous savez est-il simplement vrai parce que vos évêques et vos prêtres vous l’ont dit ? »
Bien qu’il ait été mentionné précédemment que les zélés étaient plus agressifs envers les hérétiques qu’envers les païens, cela ne s’appliquait qu’à la classe dirigeante, qui incitait ceux qui sont en dessous d’elle. Les croyants de base n’avaient pas bien réfléchi à la question. On leur disait de tuer les hérétiques, alors ils le faisaient, croyant que c’était la vérité. Les supérieurs leur avaient dit qu’ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient aux hérétiques, et que tout acte contre eux, aussi inhumain soit-il, était justifié.
Mais lorsqu’on leur demande d’expliquer les raisons de la persécution, ils sont soudain moins sûrs d’eux. S’ils leur était demandé d’expliquer la différence entre le nestorianisme, l’arianisme et l’athanasianisme, ou entre le theravada et le mahayana, ils ne sauraient pas répondre s’ils n’avaient pas étudié ces sujets. Les seules personnes obsédées par de telles différences étaient les responsables qui craignaient de perdre leur autorité.
En présentant le cantique de cette manière, Marie s’attaquait directement à la psychologie des soldats de la foi. Ils ne voulaient pas entendre raison, mais le chant leur était familier. Une fois qu’ils étaient prêts à l’entendre, il y avait une chance que la voix de Marie parvienne jusqu’à eux.
« Que ceux qui font partie des forces de l’État pontifical orthodoxe lunaire entendent notre hymne. »
Ce plan venait du Premier ministre à la robe noire, qui savait manier les méandres du cœur. Maintenant qu’ils soupçonnaient leurs adversaires d’être également des croyants de la même Lunaria, même ceux qui avaient pu auparavant sacrifier leur vie de façon insouciante commençaient à avoir des doutes qui émoussaient leur ardeur. Le poids du péché de meurtre, qu’ils avaient oublié dans leur ferveur, leur semblait à nouveau très réel. La plupart des zélotes n’étaient que des gens ordinaires poussés à servir. Le stress mental qu’ils subissaient devait être incroyable.
En pratique, la chanson ralentissait considérablement les manœuvres des zélotes. Marie ne pouvait pas le voir, elle était loin du champ de bataille, mais elle parlait avec conviction.
« Dans ce pays, j’ai appris que la foi est pour les vivants, pas pour les morts. Elle est là pour soutenir les gens dans les moments difficiles, et elle ne doit en aucun cas être utilisée pour pousser les gens à la folie. N’est-ce pas, sainte Anne ? »
Marie s’adressait à Anne comme si elle était à ses côtés.
« À qui s’adresse votre foi ? »
Anne n’avait pas de mots.
Elle avait grandi en tant qu’orpheline. Elle avait toujours été seule, sans appartenance, et n’avait jamais eu besoin de personne. Cependant, lorsqu’elle avait été choisie comme sainte, les autres avaient enfin eu besoin d’elle et tout cela était devenu son identité. Sa désignation en tant que Sainte était un message du ciel lui disant qu’elle avait le droit d’exister dans ce monde. C’est pourquoi Anne avait joué le rôle de sainte que les autres attendaient d’elle. Même si les gens l’appelaient « poupée », elle croyait que c’était là sa raison d’être. Tant qu’elle serait une sainte, les gens auraient besoin d’elle. Si on lui demandait pour qui elle était, elle aurait pu répondre pour les gens… ou elle aurait dû pouvoir le faire.
Cependant, elle avait vu trop de sang pour cela. Ceux qui avaient été brûlés comme hérétiques, ceux qui étaient considérés comme des zélotes et qui étaient tombés au combat, croyant se battre pour Lunaria, croyant qu’elle était une sainte. Le visage de l’homme qui avait été amené devant elle sur une civière un jour, et qui s’était accroché à elle avec sa main tachée de sang. D’innombrables morts étaient gravées dans sa mémoire.
Non, je fais ça pour Lady Lunaria. Pour le Saint Roi… Anne pensait à des êtres plus hauts qu’elle. Elle essayait de justifier l’annulation de sa propre volonté en se convainquant que tout cela était conforme à leurs plus grands desseins. Cependant, elle n’avait jamais rencontré Lady Lunaria ni entendu ses révélations directement. Le Saint Roi Fuuga ne l’avait pas mal traitée, mais il semblait parfois la regarder avec pitié. Elle avait l’impression que ses yeux étaient les mêmes que ceux de Marie lorsqu’elle lui avait dit : « Viens avec moi. »
« Pour qui est votre foi ? » C’est maintenant qu’Anne réalisait qu’elle n’avait pas de réponse à la question de Marie.
C’est alors qu’un homme de grande taille apparut à côté de Marie. Il était barbu, le crâne rasé, et ne portait pas son habituel habit de moine décontracté, mais un splendide vêtement digne d’un archevêque.
Il se plaça à côté d’elle et prit la parole : « Ahh… Ahem. Adhérents de l’orthodoxie lunaire, m’entendez-vous ? Je suis Souji, le chef de l’orthodoxie lunarienne dans le royaume de Friedonia. Je sais que vous êtes occupés à vous battre, mais prêtez-moi une oreille un instant. »
Il s’agissait de l’archevêque Souji Lester de l’orthodoxie du royaume. La raison pour laquelle il l’appelait « orthodoxie lunaire du royaume de Friedonia » et non « orthodoxie lunaire du royaume » était probablement due au fait que Marie avait dit qu’il n’y avait presque aucune différence entre les deux.
« À l’époque où j’étais dans l’État papal orthodoxe, mon professeur et ses disciples disaient ceci : “Lady Lunaria est miséricordieuse. Elle tend la main du salut à tous, quel que soit le degré de péché. L’orthodoxie lunaire consiste à enseigner comment accepter cette main, et tous les fidèles seront emmenés auprès de Dame Lunaria après leur mort.” Avez-vous tous reçu un enseignement similaire ? »
Nous l’avons fait, pensa Anne. C’était exactement ce qu’elle avait appris, et c’est pour cette raison qu’elle pouvait croire en son existence de Sainte pour le bien de Lady Lunaria.
Souji se fit craquer la nuque, puis continua.
« N’est-ce pas un peu étrange ? Si Lady Lunaria est prête à pardonner à tous, quel que soit le degré de péché, et si tous les fidèles seront sauvés après la mort, quelle importance a notre façon de vivre ? Nous serons sauvés de toute façon, n’est-ce pas ? Cela signifie que tant que vous croyez, vous n’avez rien à faire pour votre foi. »
— Hein ? Ces mots avaient creusé le cœur d’Anne. Il s’agissait d’un argument absurde. Ce n’est qu’une interprétation personnelle de Souji.
☆☆☆
Partie 3
Cependant, après y avoir réfléchi, elle ne rejeta pas catégoriquement ce sentiment. En réalité, tout enseignement repose sur l’interprétation qu’en fait une personne. Les gens ne pouvaient pas rencontrer Dieu eux-mêmes; aucune foi ne pouvait donc être établie sans qu’ils interprètent la volonté de Dieu.
« Une fois que cette pensée m’est venue à l’esprit, j’ai eu l’impression de comprendre pourquoi les enseignements nous disent d’aider les faibles et de nous entraider. Si tous ceux qui croient en Lady Lunaria sont sauvés, il n’est pas nécessaire de s’entraider, n’est-ce pas ? Mais il y a tellement de gens qui souffrent de nos jours que nous devons nous aider les uns les autres. Puisque la miséricordieuse Lady Lunaria nous sauvera après notre mort, tant que nous sommes dans ce monde, nous devons nous soutenir les uns les autres jusqu’à notre mort. »
Il fit une pause pour laisser ses paroles s’imprégner de la réalité.
« En ce moment, vos prêtres vous disent peut-être que le chemin vers Lady Lunaria passe par la mort au combat, mais une Lady Lunaria vraiment miséricordieuse ne ferait pas de discrimination entre ceux qui se sont battus ou non. Bien sûr, vous pouvez vous battre. Et même si vous tuez des gens ou si vous êtes vous-même tué, Lady Lunaria vous sauvera, mais vous n’êtes pas obligé de le faire. Vous pouvez courir vers vos familles, et elle vous sauvera quand même. »
C’était une façon astucieuse d’utiliser les mots. S’il avait dit : « Lady Lunaria ne vous sauvera pas, même si vous vous battez ici », les zélotes l’auraient considéré comme une absurdité de l’ennemi. En revanche, en déclarant qu’ils seraient sauvés, qu’ils se battent ou non, il incitait les zélotes à se demander si ses paroles étaient vraies. Ils l’auraient carrément ignoré s’ils avaient eu l’impression qu’il les rejetait. Mais en entendant qu’il acceptait leurs actions, ils avaient pris en compte son point de vue. Tout cela grâce aux talents d’orateur de Souji.
« Lady Lunaria sauvera ceux qui croient en elle. Croyez en Lunaria, aidez les faibles et aidez-vous les uns les autres. Après cela, vous serez libre de faire ce que vous voulez. »
Ces paroles brisèrent la détermination des zélotes.
Ils étaient libres de se battre et de rentrer chez eux pour retrouver leur famille. Quoi qu’il en soit, Dame Lunaria les sauverait. Il était difficile de continuer à se battre une fois qu’ils avaient entendu cela. Certains auraient pu vouloir mourir ici et trouver le salut, mais ce n’était pas la volonté de tout le groupe. Une fois que les premiers commencèrent à s’enfuir pour retourner auprès des leurs, les autres les suivirent.
Les lignes de combat de l’État papal orthodoxe s’effondrèrent rapidement, de plus en plus de gens s’enfuyant, réalisant leur défaite. Les forces du royaume de Friedonia ne poursuivirent pas les zélotes en fuite, se concentrant uniquement sur les soldats qui se rendaient à eux, mais beaucoup choisirent de s’enfuir.
Anne assista en silence à l’effondrement total de ses troupes.
« Lady Anne ! Cette bataille est sans espoir ! »
« C’est dangereux ici ! Nous devons battre en retraite immédiatement ! »
Alors que les commandants prodiguaient leurs conseils, les gardes protégeant le camp principal furent envoyés valser par une soudaine charge de cavalerie.
« Saisissez Sainte Anne ! Une fois que nous l’aurons fait, la victoire sera nôtre ! »
Une unité dirigée par Mio Carmine traversa le champ de bataille chaotique et pénétra dans le camp principal de l’État papal orthodoxe. Mio était à cheval, abattant les hommes avec ses deux longues épées, et se rapprochait d’Anne qui ne pouvait que rester debout.
Alors qu’elle s’approchait, un chevalier surgit soudainement par le côté et frappa Mio avec une lance.
« Je ne vous laisserai pas faire ! » cria-t-il.
« Argh ! » Mio bloqua l’attaque, mais sa charge fut stoppée.
Lombard, le chevalier en armure, ordonna : « Nous prenons le relais ! Forces de l’État papal orthodoxe, battez en retraite en toute hâte ! »
« Croyez-vous que je vais vous laisser faire ? »
Les deux longues épées de Mio s’abattirent sur Lombard. Elle avait les compétences nécessaires pour affronter Aisha, la plus grande guerrière du royaume, et Lombard avait donc rapidement dû se mettre sur la défensive. Il avait toutefois utilisé sa lance et son bouclier pour parer les attaques de la jeune femme.
Alors qu’ils se battaient, Lombard cria : « Tant que nous aurons Sainte Anne, l’État papal orthodoxe restera une menace que le royaume de Friedonia ne pourra pas ignorer. Vous devez vous retirer maintenant, afin de ne pas laisser cette unité s’en prendre au seigneur Fuuga ! »
En l’entendant, les commandants à côté d’Anne commencèrent à l’entraîner au loin. L’unité de Mio tenta de les poursuivre, mais les hommes de Lombard la repoussèrent désespérément.
« Ngh ! Dégagez de mon chemin ! »
« Je refuse ! »
Bien que les capacités générales de Lombard soient élevées, il n’avait rien d’extraordinaire qui le distinguait des autres guerriers. Cependant, sa personnalité tempérée et sa sincérité faisaient de lui l’une des personnes les plus fiables de l’Empire du Grand Tigre. Malgré les assauts incessants de Mio, il s’efforça d’accomplir son devoir.
Soudain, la lance de Lombard se brisa. Il allait saisir l’épée à sa hanche, mais les épées longues de Mio se rapprochèrent.
« Seigneur Lombard ! » Un morceau de glace fila sur le sol dans leur direction, obligeant Mio à reculer et à mettre un peu de distance entre eux. Yomi, l’épouse de Lombard, était arrivée à temps avec son unité de mages.
Yomi tenta de leur ordonner d’attaquer Mio, mais Margarita arriva à cheval avec une unité des forces terrestres du royaume de Friedonia et dressa un mur de défense devant elle. Une lutte de va-et-vient s’engagea alors entre les différentes unités. Mais alors que les forces de l’État papal orthodoxe s’enfuyaient et que les forces de Friedonia se rassemblaient, seuls Lombard et ses hommes restèrent sur place et tinrent bon.
Voyant que la retraite était terminée, Lombard jeta son épée et cria : « Écoutez-moi, mes hommes et les hommes de Friedonia ! Avec la fuite de l’État papal orthodoxe, notre tâche est accomplie ! Il est inutile de continuer à se battre ! Déposez vos armes ! Et vous, hommes de Friedonia ! Nous nous rendons, alors que les hostilités s’arrêtent ici ! »
Lorsqu’ils entendirent Lombard, les combats cessèrent progressivement et ses hommes laissèrent tomber leurs épées pour signifier que c’était fini. On entendit un moment le tintement des armes tombant au sol, puis le champ de bataille se calma. Lombard s’agenouilla alors devant Mio, la tête baissée.
« Nous rendons nos armes. Peuple de Friedonia, je tiens à ce que vous sachiez que je suis responsable de cette bataille perdue et je vous demande de garantir la sécurité de mes troupes ! »
« Lord Lombard… » Yomi se mit à côté de lui, baissant également la tête.
En les voyant, Mio et Margarita échangèrent un regard, puis elles hochèrent la tête ensemble.
En tant que leur représentante, Mio prit la parole : « Pour l’instant, nous allons désarmer les survivants et les faire prisonniers. Sa Majesté décidera de votre sort, mais je peux garantir votre sécurité jusqu’à ce moment-là. »
« Merci. »
« D’accord… »
Lombard et Yomi baissèrent la tête.
Les soldats survivants qui pouvaient encore marcher furent ligotés et emmenés, tandis que les blessés furent évacués. Lombard et Yomi furent les derniers à être attachés. Alors qu’ils étaient chargés sur un chariot de prisonniers, Mio les appela.
« Hum… Je sais que je ne devrais probablement pas dire ça maintenant, mais madame Yomi, vous êtes la sœur aînée de Sire Ichiha, n’est-ce pas ? J’ai reçu l’ordre de Sire Glaive de veiller à ce que vous soyez traitée avec la plus grande courtoisie. »
Ils baissèrent tous deux légèrement la tête à ces mots.
« Je vous suis redevable… »
« Merci. »
Et c’est ainsi que la calèche les emmena. Mio regardait passer la calèche quand elle remarqua soudain que Kagetora se tenait à côté d’elle.
Sans se retourner pour le regarder, elle dit : « Normalement… Je ne devrais pas dire ce genre de choses à un général vaincu. Vas-tu me réprimander pour cela ? »
On aurait presque dit qu’elle voulait qu’il la réprimande. Cependant, Kagetora ne fit ni l’un ni l’autre.
« Tu es déjà à la tête de la maison des Carmins. Tu dois toi-même décider si tes décisions étaient correctes. »
Il n’avait ni confirmé ni rejeté ses méthodes. Mais l’attention que Kagetora avait manifestée dans sa voix avait fait naître un sourire de mauvais augure sur le visage de Mio.
« Ha ha… Tu es toujours aussi stricte. »
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Pendant ce temps, au même moment…
Après avoir terminé l’émission, Marie observa tranquillement les membres de la famille Juniro (la famille d’Ivan Juniro, qui jouait Overman Silvan) emporter le joyau et d’autres équipements. Ils avaient déjà reçu la nouvelle de leur victoire par l’intermédiaire du messager. Leur travail ici était terminé. Les forces de l’État papal orthodoxe s’étaient effondrées et certains de leurs commandants avaient été faits prisonniers. Dans ces conditions, une nouvelle attaque de l’autre côté de la frontière était peu probable.
« Petite Miss Marie. »
La voix de Souji ramena Marie à la raison.
« Ah ! Votre Sainteté. »
Il se grattait maladroitement la tête, semblant ne pas savoir quoi dire.
« Hum… Euh… Ça va ? Tu as l’air plutôt troublée. »
« Oh… Est-ce que je montre ça ? »
« Oui. Si tu as besoin de parler à quelqu’un, je suis tout ouïe, tu sais ? Ça fait partie des affaires de l’Église, après tout. »
« Maintenant que vous le dites, je suppose que c’est le cas », répondit Marie en riant. « Je pensais à Anne. »
« La Sainte de l’Empire du Grand Tigre ? »
« Oui. Elle est… une possibilité de ce que j’aurais pu devenir. »
Marie baissa les yeux, peinée à l’idée d’y penser.
« Elle n’a pas de volonté propre. Qu’elle soit bonne ou mauvaise. Elle cherche une place à laquelle appartenir et continuera à faire taire ses propres pensées pour être une sainte, juste pour que quelqu’un lui dise que c’est normal qu’elle soit là. C’est le destin d’une orpheline choisie pour devenir candidate à la sainteté par l’État papal orthodoxe. »
Souji ne savait pas trop quoi répondre.
Marie avait été exactement la même. Après avoir été choisie comme sainte pour le roi Souma, elle avait eu la chance de quitter l’État papal orthodoxe pour découvrir la culture de ce pays, ce qui lui avait permis de prendre conscience de la perversité de la situation. Mais Anne n’avait jamais eu cette chance. Marie ne pouvait s’empêcher de penser qu’Anne lui ressemblait, qu’elle était devenue une sainte sans connaître d’autres modes de vie.
« Peu importe le nombre de croyants qu’elle envoie mourir sur le champ de bataille… Peu importe le nombre de ses opposants politiques brûlés sous ses yeux… Au fond, elle est toujours pure et innocente, faisant ce que les gens lui demandent. »
Des larmes coulèrent des yeux de Marie. Des larmes pour Anne.
« Quoi... Ce que je disais tout à l’heure… Ça va la pousser dans ses retranchements. Je viens de dire à une fille qui a réprimé sa propre volonté pour le bien des autres qu’elle doit réfléchir à ses actions. Cela l’oblige à affronter ce qu’elle a toujours évité pour protéger son cœur. Si elle se retourne maintenant, consciente de tout le sang versé sur son chemin, cela pourrait bien la briser. »
Souji continua d’écouter Marie qui parle, ses paroles étant entrecoupées de sanglots.
« Dans le monde entier… Je suis celle qui devrait la comprendre mieux que quiconque… Et pourtant, c’est moi qui essaie de détruire sa place… Je sais que je le fais pour le bien de tous, mais ça ne veut pas dire que ce n’est pas frustrant. »
Si Anne et l’État papal orthodoxe avaient été laissés en l’état, nul doute que le sang de ce pays aurait encore plus coulé. Même si cela lui faisait mal émotionnellement, Marie ne pouvait pas se permettre de le regretter. Si les habitants de ce pays l’entendaient parler ainsi, ils lui demanderaient avec colère si elle pensait qu’ils devraient plutôt souffrir. Remplie de ces pensées et de ces émotions, elle sentit quelque chose se resserrer dans sa poitrine.
« Viens, ma petite dame. »
« Votre Sainteté… ? »
Dans un geste rare pour un homme aussi peu délicat que Souji, il l’enlaça doucement. Il ne lui avait pas dit qu’elle avait raison ou tort; il s’était contenté de l’envelopper.
« Oh… Votre Sainteté… Wahhh ! »
Comme un barrage qui se rompt, les larmes qu’elle avait retenues s’étaient précipitées. Souji lui tapota doucement la tête pendant qu’elle pleurait.
« Le cœur n’est pas facile à guérir. Mais le temps et les personnes compatissantes peuvent peu à peu le combler. C’est ce que j’ai souvent constaté dans le cadre de mon travail. Lorsque les gens veulent se confier à Dieu, c’est généralement pour parler de leurs souffrances. Beaucoup de gens viennent alors me parler de leurs blessures émotionnelles. »
Ces mots lui étaient parvenus d’en haut.
« Si quelqu’un s’effondre à cause de ces blessures et que c’est quelqu’un à qui tu tiens, continue à lui tendre la main du salut. Tu sais, le roi a dit qu’il allait former des psychologues, je crois qu’il les a appelés comme ça. Une sorte de médecin du cœur. Et il veut que l’Église du Royaume l’aide à le faire, n’est-ce pas ? Eh bien, peut-être que ce pays peut guérir ces blessures du cœur. Alors, petite miss, tu dois être prête à l’aider le moment venu. »
Marie leva la tête : « Est-ce que je peux l’aider ? »
Elle semblait incertaine, mais Souji lui fit un signe de tête ferme.
« La foi et l’Église sont là pour sauver les perdus. C’est beaucoup plus ecclésiastique que de supprimer les hérétiques ou d’exciter les gens pour qu’ils versent le sang pour toi, n’est-ce pas ? » dit-il d’un ton délibérément plaisantin.
Marie essuya ses larmes et acquiesça : « Oui, Votre Sainteté ! »
Ainsi, la bataille sur le front Lunaria-Amidonia s’acheva prématurément par une victoire du royaume de Friedonia. Cependant, alors que Lombard et Yomi avaient été faits prisonniers, la Sainte Anne était toujours là et les forces du front amidonien devaient donc rester sur ses gardes face à l’État papal orthodoxe.
La guerre se décidera lors de l’affrontement entre Souma et Fuuga.
☆☆☆
Chapitre 7 : Même si nous nous séparons
Avant l’invasion du royaume de Friedonia par Fuuga Haan, Souma avait fait évacuer les habitants des villes et villages situés le long de la route d’invasion de l’empire du Grand Tigre vers le sud de Parnam. Il avait cette fois-ci plus de marge de manœuvre pour se préparer que lors de la guerre d’Amidonia; il n’avait donc pas besoin de prendre des mesures drastiques, comme inventer les Pierrots de flamme pour brûler les villages et chasser les gens pour leur propre bien. Il avait pu achever l’évacuation simplement en faisant passer le mot de ce qui se préparait.
Cela avait été possible grâce à l’accord des grands esprits du royaume, qui avaient convenu que les combats n’iraient pas plus loin que Parnam, qu’il y ait victoire ou défaite. Certains souhaitaient rester sur place et se battre sur les terres de leurs ancêtres, mais la priorité était d’évacuer les non-combattants, comme les enfants, les femmes qui ne servaient pas dans l’armée et les personnes âgées.
La même chose avait été faite à Parnam. Souma avait demandé à Poncho de remplacer Weist en tant que seigneur de Venetinova, désormais la deuxième ville du royaume. Le gourmet avait ainsi pu être évacué en même temps que Ginger, Genia et les autres non-combattants, ainsi que leurs familles. Poncho avait été le magistrat de Souma à Venetinova. Mais lorsque le titre avait été attribué, il avait été décidé que confier une ville aussi importante à un nouveau venu comme Poncho susciterait de vives réactions. Au lieu de cela, le titre avait été attribué à Weist, qui avait longtemps servi sous les ordres d’Excel. Cependant, grâce à ses efforts lors de la crise alimentaire et de la logistique de guerre, Poncho avait désormais une carrière remarquable derrière lui et il était acceptable de le nommer seigneur de Venetinova.
La ville abritait également de nombreux anciens réfugiés qui admiraient sa seconde épouse, Komain, et il ne devrait donc pas avoir de mal à la gouverner. Quant à Weist, il avait été récompensé pour ses services par l’expansion de son ancien domaine, Altomura.
Pendant ce temps, Souma s’arrangeait pour qu’une certaine personne quitte la capitale.
◇ ◇ ◇
« Roroa. — Je veux que tu te rendes à Venetinova avec les enfants demain. »
Ce soir-là, j’étais seul dans ma chambre avec Roroa, en pyjama, quand j’avais abordé le sujet. Elle m’avait regardé comme un enfant qui vient de recevoir une gifle sans raison valable : un mélange de choc, de frustration et de tristesse.
Malgré tout, elle serra les dents en essayant de feindre le calme.
« Es-tu sûr... Je ne peux pas rester ici… ? »
« Oui… » avais-je dit : « Il y a des choses que je veux que tu fasses à Venetinova. Si quelque chose devait nous arriver, tu es la seule sur qui je peux compter pour t’occuper des choses par la suite. »
« Prendre soin des choses si quelque chose t’arrivait ? Tu te rends compte à quel point tu es horrible de me demander ça ? Je devrais vivre en m’occupant des enfants toute seule, tu sais ? Avec la honte d’être la royauté d’un pays qui n’existe plus… »
« Désolé… »
« Ne t’excuse pas ! » hurla Roroa en abattant son poing sur ma poitrine.
Le bruit fut sourd, mais le coup de poing d’une femme frêle comme elle ne faisait pas si mal. Roroa se mordit la lèvre de frustration en s’en rendant compte.
« Il n’y a rien de plus frustrant que de ne pas avoir la force de se battre. Même Grande Sœur Juna, la Lorelei, peut aller au combat… mais quand il s’agit de moi, il n’y a rien que je puisse faire dans des moments comme celui-ci. »
« Ne dis pas cela. C’est grâce à toi que nos caisses sont si pleines. Cela nous permet d’affronter la guerre dans les meilleures conditions possibles. Et je pense que, Fuuga ou pas, nous avons plus de chance de gagner que de perdre. »
« C’est cette dernière partie qui m’inquiète », répondit Roroa en faisant un pas en arrière et en me regardant droit dans les yeux. « Qu’est-ce que tu vas faire de Yuriga et de la grande sœur Maria ? Aucune d’entre elles ne sait se battre, n’est-ce pas ? »
« Je dois tenir compte des souhaits de Yuriga et je veux qu’elle soit présente pour négocier avec Fuuga, si nécessaire. Quant à Maria, elle est déjà loin de la capitale, occupée à ses propres affaires. Et puis, elles ne m’ont épousé que récemment, il n’y a donc pas encore d’enfants. Si je dois confier tous nos enfants à quelqu’un, il faut qu’elle soit l’une de leurs mères, c’est-à-dire toi, Roroa. Je veux que tu t’occupes de Léon et des autres enfants. »
« Ce n’est pas juste de le dire comme ça… » Roroa baissa tristement les yeux pendant un moment, puis les releva :
« J’ai senti que ça allait arriver depuis que nous avions compris que Fuuga allait attaquer. J’ai fait tout ce que je pouvais à ce stade, et il ne me reste plus grand-chose à faire. »
« Roroa… »
« Alors, compte sur moi ! »
Roroa prit une pose de mannequin, posant sa main droite sur sa nuque et sa main gauche sur sa hanche, et esquissa un petit rire coquet. C’était la même pose qu’elle avait prise le jour de notre première rencontre.
« Si quelque chose t’arrive, chéri, alors cette beauté amidonnienne utilisera toutes ses compétences et ses ruses féminines pour lécher les bottes des gros bonnets de la cour de Fuuga afin de protéger nos enfants. »
Elle l’avait dit en plaisantant, mais… Je ne doutais pas qu’elle agirait exactement ainsi. C’était la fille qui avait eu l’audace de m’épouser, moi, l’assassin de son père, afin de protéger les habitants d’Amidonia. Si c’était pour défendre nos enfants, elle pourrait réprimer sa colère et sa haine pour épouser l’homme responsable de la mort de son mari. Peu importait ce qu’elle en pensait elle-même…
Voyant que je ne pouvais rien répondre, Roroa comprit ce que je ressentais et se jeta dans mes bras.
« Quoi ? Tu détestes cette idée à ce point, hein ? Bien sûr, Fuuga n’est pas aussi borné que mon père, mais il ne me laisserait pas gagner de l’argent et le dépenser. Tu sais que tu es le seul pour moi, chéri. Maintenant, si tu fais quelque chose pour la laisser tomber entre les mains d’un autre homme, je t’en tiendrai rigueur jusqu’à la fin de ma vie, et même au-delà. »
« Oui… je sais. » Je lui fis un signe de tête ferme.
Roroa enroula ses bras autour de mon cou. Son visage se rapprocha et nos lèvres se pressèrent l’une contre l’autre. Après un long baiser, elle me sourit.
« Je compte vraiment sur toi, mon chéri. Tu as intérêt à venir me chercher. »
« Oui, compte là-dessus. »
« Heehee ! — Bon, je n’ai pas besoin de partir avant demain, n’est-ce pas ? »
Roroa se serra contre moi et me murmura à l’oreille :
« Et si tu essayais de me mettre enceinte une fois de plus ? Par mesure de précaution. On ne sait pas si on va concevoir ce soir, mais… Si c’est le cas, je prendrai mes bénéfices là où je peux les avoir. »
Elle me murmura des mots séduisants, arborant un sourire timide.
◇ ◇ ◇
Dans une autre partie du château, Tomoe, Ichiha et Yuriga faisaient eux aussi leurs adieux.
Yuriga resterait dans la capitale, tandis que Tomoe et Ichiha, en tant que personnalités non combattantes importantes, partiront demain pour Venetinova avec Roroa.
« Tu… restes, n’est-ce pas, Yuriga ? » demanda Tomoe, un air peiné sur le visage.
Yuriga haussa les épaules : « Oui, c’est vrai. J’ai besoin de voir l’épreuve de force entre mon frère et Souma jusqu’au bout. En tant que sœur… et en tant qu’épouse. »
« Hum… Je ne devrais probablement pas te demander si tu vas bien, n’est-ce pas ? »
« D’accord. Je me suis déjà fait une raison. » Yuriga posa les mains sur ses hanches et sourit. « Tu pars pour Venetinova, c’est ça ? Eh bien, vous veillez l’un sur l’autre comme de futurs mari et femme, vous entendez ? »
« C’est difficile de se sentir ainsi… »
« Eh bien, vous ferez mieux de commencer. Mon mari et ses compagnons de confiance sont prêts à partir, alors nous nous retrouverons et nous pourrons sourire ensemble en un rien de temps. Même si ce pays perd, je vous protégerai tous les deux, je vous le jure. Vous êtes tous les deux importants pour ce monde, et je veillerai à ce que mon frère comprenne que tout mal qui vous arrive est une perte pour tous. »
« Tu as l’air de pouvoir y arriver, mais je préférerais que tu ne te retrouves pas dans une situation où tu devrais le faire pour nous », dit Ichiha en soupirant.
En tant que remplaçant d’Hakuya, Ichiha était chargé de la stratégie politique; il n’avait donc pas grand-chose à faire une fois la guerre déclenchée. Julius et Kaede s’occupaient de la stratégie militaire et il pouvait donner ses directives politiques depuis l’arrière. Il avait donc été décidé qu’il évacuerait avec Tomoe.
Yuriga donna un léger coup de poing dans la poitrine d’Ichiha.
« Ne t’inquiète pas pour moi. Surveille donc ta fiancée. La connaissant, elle va sûrement dire : “Je vais rester aussi !” et se cacher quelque part à Parnam. »
« Eh bien… Tu n’as pas tort », répondit Ichiha avec un sourire en coin, sachant à quel point Tomoe avait une personnalité étonnamment active.
« Allez… » Tomoe gonfla les joues, l’air indigné :
« Je ne veux pas entendre ça de ta bouche, Yuriga, après que tu nous as fait embarquer clandestinement sur le bateau pour l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes. »
Il y a eu une pause gênante, puis Yuriga déclara : « … Je ne me souviens de rien de ce qui s’est passé il y a si longtemps. »
« Cela ne fait que quelques années. »
« Tais-toi, petite gamine ! » Yuriga pinça les joues de Tomoe. Elles faisaient cela depuis leurs années d’école. Ce geste déclenchait un sentiment de solitude qui leur faisait monter les larmes aux yeux, alors qu’elles souriaient.
« Pensez-vous qu’on pourra à nouveau faire des choses stupides comme ça et en rire ensemble ? » demanda Tomoe en souriant.
« Oh, nous pourrons rire », répondit Yuriga avec un léger sourire. « C’est sûr. Lucy et Velza seront là aussi pour rire avec nous. »
« Ça m’a l’air bien. J’aimerais bien me détendre et grignoter à nouveau avec tout le monde », dit Ichiha, et ils acquiescèrent tous les deux.
◇ ◇ ◇
Le lendemain, Liscia, Yuriga et moi avions fait nos adieux, puis nous avions regardé la gondole-wyverne qui transportait Roroa, Tomoe et Ichiha décoller de la cour intérieure.
« Nous allons les revoir, n’est-ce pas ? » demanda Liscia, un peu inquiète. Je m’étais contenté d’en rire.
« Oh, s’il te plaît. Ne parle pas comme ça, tu déclenches des flags d’événements. Nous devons simplement continuer à travailler tranquillement pour nous préparer à répondre à l’attaque de Fuuga et à défendre la maison dans laquelle ils vont retourner. »
« Oui, tu as raison… Ça va, Yuriga ? » demanda Liscia avec une pointe d’inquiétude. Mais Yuriga secoua la tête.
« Je suis prête à affronter ce qui va arriver. Nous devons arrêter cela… »
Arrêter ça, d’accord ? J’avais tapé dans mes mains en entendant la détermination dans sa voix.
« D’accord, réservons-lui l’accueil qu’il mérite, celui d’un grand homme. Si nous voulons mettre fin à son règne, nous devons nous préparer à changer les choses. »
Il n’y avait plus de retour en arrière possible. Nous allions avancer, les yeux tournés vers l’avenir.
☆☆☆
Chapitre 8 : Illusions sur le front du royaume
Partie 1
L’invasion commença finalement lorsque l’armée principale de l’Empire du Grand Tigre franchit la frontière du royaume de Friedonia.
Fuuga et Hashim s’attendaient à ce que l’autre camp ait un plan, et s’ils leur laissaient le temps de le mettre en œuvre, ils seraient perdus. C’est pourquoi la situation exigeait une guerre éclair, avec une victoire rapide et concluante. Ils devaient arriver à Parnam le plus vite possible et tuer ou capturer Souma pour qu’il se rende.
Pour y parvenir, ils devaient épargner les villages et les villes qui se rendaient, mais détruire complètement tous ceux qui résistaient. Souma et son groupe le savaient, c’est pourquoi ils avaient évacué les villes et les villages, et abandonné ceux qu’ils ne pouvaient pas protéger rapidement, concentrant leurs forces sur ceux qu’ils pensaient pouvoir défendre.
Au milieu de la force principale, marchant en avant avec le gros de leur potentiel de guerre, Fuuga, Hashim et Mutsumi écoutaient le rapport de leurs éclaireurs.
« Voici notre rapport. Il n’y a aucun signe de présence humaine dans les villes et les villages le long de notre route. Aucun soldat n’y était à l’affût et il n’y avait aucune trace de pièges. Nous pensons qu’ils ont déjà été abandonnés. »
« C’est de Souma qu’il s’agit. Il sait que nous arrivons, alors bien sûr, il a demandé à ses hommes de prendre la fuite », dit Fuuga en croisant les bras.
Fuuga s’attendait à ce que les choses se passent de deux façons : soit ils rencontreraient une résistance féroce dès qu’ils franchiraient la frontière, soit ils seraient autorisés à entrer en profondeur sans rencontrer de résistance significative. Il semblerait que ce soit la deuxième solution. Cette façon de se battre n’était pas très amusante pour Fuuga et elle était difficile à gérer. C’est précisément pour cette raison que le royaume avait choisi de l’utiliser.
« Cependant, certaines fournitures, comme de la nourriture et de l’eau, ont été laissées dans les villages », poursuit l’éclaireur. « Nous les avons examinées et n’avons trouvé aucun signe d’empoisonnement. »
« Hmm ? Tu veux dire qu’il a évacué les gens, mais qu’il a laissé des provisions derrière lui ? » Mutsumi haussa les sourcils.
Il n’y a normalement aucune raison de laisser de la nourriture dans une ville ou un village qui va être abandonné. Cela ne ferait que faciliter la logistique de l’Empire du Grand Tigre. Évidemment, ils devaient se méfier de la possibilité que la nourriture ait été trafiquée, mais il semble que le royaume n’ait même pas pris cette précaution.
« À ton avis, quel est son objectif en faisant cela, mon frère ? » demanda Mutsumi à Hashim, le conseiller militaire.
Hashim porta sa main à sa bouche pendant qu’il réfléchit, puis parla une fois qu’il eut mis de l’ordre dans ses pensées.
« C’est probablement pour faciliter nos approvisionnements. »
« Pour apporter un soutien à leurs ennemis ? Pourquoi ? »
« Souma et les siens ne veulent pas que nous restions bloqués ou que nous allions ailleurs. Notre plan utilise une spécialité des Malmkhitan : le combat monté, qui tire parti d’une grande mobilité. Nous nous précipitons le plus rapidement possible à l’assaut de l’ennemi, nous conquérrons les villes qui nous résistent et nous les pillons pour nous approvisionner. C’est ainsi que nous entendions maintenir notre élan. Cependant, si le ravitaillement est déjà assuré, nous n’aurons pas à piller. »
« Je vois, » grogna Fuuga. « Il nous conduit vers le chemin le plus court pour rejoindre Parnam. »
Si leur armée se trouvait à court de provisions, ils feraient tout ce qu’il faut pour en acquérir davantage. Cela entraînerait probablement un relâchement de la discipline militaire et les soldats pourraient être envoyés piller des endroits qui ne se trouvent pas sur le chemin le plus direct. Cela ne ferait qu’accroître les dommages causés au royaume, ce qui n’était pas leur intention. C’est la raison pour laquelle ils avaient tout fait pour laisser des provisions le long du chemin de Fuuga.
Selon Hashim, ils tentaient de contrôler les forces de l’Empire du Grand Tigre afin de les empêcher de dévier de l’itinéraire prévu.
« Est-ce pour réduire les dommages causés aux personnes innocentes ? » demanda Mutsumi.
Hashim secoua la tête : « Même si c’était l’espoir de Souma, nos ennemis comprennent aussi Hakuya, le Premier ministre à la robe noire, Julius, le stratège blanc, et la vénérable Excel. Il aurait pu le faire pour le bien du peuple, mais ils ne le laisseraient pas faire si ce n’était pas avantageux. »
« Donc, ce que tu dis, c’est que Souma et sa bande nous tiennent dans le creux de leur main… C’est ça ? » demanda Fuuga, qui reçut un hochement de tête en guise de réponse.
« En effet. J’ai en effet essayé d’envoyer plusieurs petites unités trouver des détours que nous pourrions emprunter, mais elles ont échoué à chaque fois. Cet itinéraire est le seul qui nous permette d’avancer rapidement et en douceur. »
« Ils ont échoué ? Ont-ils été pris en embuscade par l’ennemi ? »
« Non, » dit Hashim d’un air sévère. « Quelque chose d’encore plus étrange se prépare. »
« Qu’est-ce que tu crois que c’est ? »
Après avoir entendu les rapports de ses éclaireurs, Gaten, le Drapeau du Tigre, avait pris quelques-uns de ses meilleurs hommes et était parti au galop sur son temsbock pour vérifier ces informations. Il fut déconcerté par ce qu’il trouva — des bois lugubres s’étendant à perte de vue.
Selon les informations qu’il avait reçues avant le départ, il s’agissait d’un champ désolé dans lequel une grande armée pourrait avancer. Il aurait normalement séparé une partie de ses forces en un détachement pour attaquer des villes situées à l’écart de la route empruntée par la force principale, afin de distraire les militaires friedoniens.
Bien sûr, les forces du Royaume comprendraient cela. Hashim avait donc dit à Gaten qu’il se pouvait que le Royaume ait placé des forces ici pour les rencontrer, ce qui signifiait que la première bataille de la guerre avait peut-être lieu ici. Mais, contre toute attente, le Royaume ne l’avait pas intercepté ici. Il n’y avait qu’une mer d’arbres à perte de vue.
« Nous avons envoyé des éclaireurs hier. Y avait-il une forêt comme celle-ci dans les rapports ? » demanda Gaten à l’un de ses hommes, qui secoua la tête.
« Non, monsieur ! L’éclaireur n’a rien dit à ce sujet. Je lui ai parlé tout à l’heure pour confirmer, et il m’a dit : “Je suis absolument certain que c’était un champ stérile quand je suis arrivé hier.” »
« En gros, cette forêt a poussé du jour au lendemain, hein ? » dit Gaten en se caressant le menton. C’est difficile à croire, et pourtant, face au roi Souma de Friedonia, je ne serais pas surpris de découvrir qu’il en a les moyens.
Jusqu’à présent, le royaume de Friedonia avait construit des vaisseaux semblables à des îles, des bombes qui neutralisaient la magie et d’autres inventions qui défiaient le bon sens. J’avais entendu des rumeurs selon lesquelles ils avaient même combattu un monstre marin avec un dragon mécanique. Il ne serait donc pas si étrange qu’un tel pays soit capable de faire surgir une forêt du jour au lendemain.
Ce ne serait pas étrange ? Il est assez étrange qu’ils arrivent à nous convaincre que des choses qui devraient être considérées comme étranges sont apparemment normales. Nous avons déjà été fortement empoisonnés par leur influence.
Gaten était un homme facile à vivre, amateur de mode, mais il savait se montrer calme et posé lorsqu’il dirigeait ses troupes.
Maintenant qu’il y avait une forêt, il ne pouvait pas envoyer de détachement. Même si la forêt n’était qu’une illusion, diviser leurs forces contre un ennemi capable de créer une telle chose conduirait à une défaite totale.
« Nous devrions renoncer à envoyer un détachement. Je vais en faire la suggestion à Sire Hashim. »
Sur ce, Gaten prit ses hommes et retourna dans son propre camp.
Un groupe était tranquillement caché dans les branches pour observer les forces de l’Empire du Grand Tigre et voir ce qu’elles allaient faire. Ils avaient tous la peau bronzée et les oreilles pointues, caractéristiques de la race elfique. Ce sont les elfes sombres de la forêt protégée par Dieu. La plupart étaient vêtus d’armures légères et portaient des arcs, mais l’un d’entre eux portait une splendide robe. Une jeune elfe sombre s’agenouilla devant lui.
« Seigneur Wodan. L’ennemi semble avoir renoncé à passer par ici. »
« Bien joué, Velza. »
L’homme était le père d’Aisha et le chef de la forêt protégée par Wodan Udgard. La jeune fille agenouillée devant lui était Velza, la secrétaire d’Halbert.
Le frère de Wodan, Robthor, et le père de Velza, Sur, se tenaient à proximité pour le protéger en cas de besoin.
Le chef sourit doucement : « Il semble que nous ayons réussi à détourner l’attention de l’ennemi. Cela sera utile à Aisha et à mon gendre. »
La mission des elfes sombres était de boucher les détours et les routes secondaires le long de la trajectoire de l’armée d’invasion avec des bois, afin de l’empêcher de se disperser. Cette tâche nécessitait une grande mobilité à l’intérieur des forêts, c’est pourquoi elle avait été confiée aux elfes sombres, agiles et déjà installés dans les forêts.
« Oui ! Je vais en informer Parnam ! » dit Velza en hochant la tête.
« Sois prudente, Velza », prévient Sur. « Et dis à Sire Hal que je lui souhaite bonne chance dans ses batailles. »
« Oui, père ! » Velza hocha de nouveau la tête, puis s’éloigna en sautant.
Une fois qu’il eut fini de la regarder s’éloigner, Robthor tapota l’écorce d’un arbre en soupirant.
« Des flèches capables de faire germer une forêt du jour au lendemain… Le roi Souma a vraiment créé quelque chose d’incroyable. »
« Non, on m’a dit qu’elles avaient été mises au point avant la convocation du roi Souma. Il s’agissait apparemment d’une expérience ratée de la jeune femme de la maison Maxwell. »
Lorsqu’il entendit cela, les yeux de Robthor s’écarquillèrent et il demanda : « Vraiment ? »
On lui expliqua que les flèches étaient l’échec même qui avait conduit Genia, la surscientifique, à être chassée de la branche Recherche et développement. Son idée non conventionnelle était la suivante : « La guerre détruit la terre, alors inventons des flèches qui feront pousser les arbres là où elles tomberont », mais les choses avaient dégénéré et un centre de recherche avait été englouti par la forêt à cause de cela.
Plus tard, Genia retourna sur le front de la recherche et affina son invention grâce aux efforts de Souma. Le résultat fut une réduction de la croissance, de sorte que les arbres meurent après un court laps de temps. Les flèches ne pouvaient pas être utilisées à grande échelle en raison de leur coût de fabrication et de leurs effets sur l’environnement, mais l’invention remplissait admirablement son rôle. Cette forêt spontanée disparaîtrait en quelques jours.
Robthor laissa échapper un soupir d’admiration : « Dire qu’il y avait de telles merveilles dans le monde extérieur avant même l’arrivée du roi… »
« Hé hé. Alors même que nous nous enfermions dans la forêt, le monde continuait de changer, peu à peu. Il l’aurait fait, que mon gendre soit venu ou non », dit Wodan à Robthor avec un sourire malicieux. « Nous avons eu raison d’ouvrir les yeux plus tôt que tard. C’est grâce à mon gendre et à Aisha qui a quitté la forêt de son propre chef pour aller à sa rencontre. Nous, les elfes sombres, devons tout faire pour ces deux bienfaiteurs. »
« Oui, tu as raison. »
« Oui ! »
Robthor et Sur acquiescèrent tous deux. Wodan leur sourit avec satisfaction.
« Je dois faire de mon mieux pour pouvoir un jour tenir l’enfant de mon gendre et d’Aisha dans mes bras. »
« De même, je ne peux pas mourir avant d’avoir vu Velza mariée à Sire Hal. »
« Et moi, jusqu’à ce que la fille que ma femme m’a laissée grandisse et atteigne la maturité. »
Ces trois-là étaient les meilleurs guerriers de la forêt protégée par Dieu, mais ils étaient aussi des pères attentionnés.
Les autres elfes sombres les observaient avec des sourires ironiques pendant qu’ils continuaient.
☆☆☆
Partie 2
Pendant ce temps, Kasen, l’Arbalète du Tigre, parti en éclaireur comme Gaten, se laissa également tromper.
La route de montagne était quelque peu précaire, mais il avait envoyé une unité d’éclaireurs. Il savait que la cavalerie pouvait encore la traverser, car elle bondissait sur ses temsbocks, et ils avaient découvert une forteresse ennemie. Elle se trouvait à découvert, dans une région où les arbres étaient rares, le long d’une route de montagne. Il était normal que les châteaux et les forteresses soient construits le long des grandes voies de communication, mais il ne s’attendait pas à en trouver une ici, et encore moins une qui était en pleines activités.
De plus, il leur serait difficile de se réapprovisionner en empruntant ces routes accidentées et d’assurer l’approvisionnement en eau ne serait pas chose aisée non plus. Cela signifiait que le royaume de Friedonia avait installé une forteresse dans un endroit manifestement difficile à défendre, afin d’empêcher quiconque de passer.
Kasen trouva cela étrange lorsqu’il entendit le rapport et décida donc de se rendre sur place pour voir par lui-même. Lorsqu’il arriva sur place, il trouva effectivement une forteresse. Des murs de blocs de pierre surplombaient une partie isolée de la montagne, peu boisée. Les blocs étaient usés par les intempéries, comme les ruines d’une civilisation déchue, mais au sommet des murs flottaient des drapeaux friedoniens qui semblaient avoir été récemment hissés.
« Le royaume s’est vraiment déployé ici ? » se dit-il.
Ça ne servait à rien de défendre cet endroit si l’ennemi ne passait pas, et même s’ils le défendaient, un petit fort comme celui-ci ne tiendrait pas longtemps une fois qu’il serait encerclé par un millier d’hommes. Tout cela semblait être un gaspillage d’hommes et de matériel.
Ou ont-ils simplement hissé leur drapeau à cet endroit pour nous embrouiller ? Je devrais peut-être m’approcher un peu plus pour regarder.
Au moment où Kasen se prépara à faire avancer son unité,
Boum ! Ka-boom !
Une explosion retentit dans la forteresse, puis une colonne de feu et de fumée s’éleva entre celle-ci et le groupe de Kasen. L’explosion soudaine de lumière et de bruit les figea un instant, puis ils comprirent qu’ils étaient bombardés.
Ka-boom ! Ka-boom !
Avant que Kasen et ses hommes ne puissent réagir, les obus tombèrent les uns après les autres. Les piliers de feu et de fumée étaient encore loin, mais ils se rapprochaient de plus en plus à mesure que l’ennemi ajustait sa cible.
Des armes à poudre à feu dans une forteresse insignifiante comme celle-ci ? Le royaume est-il devenu fou ?
Jusqu’à présent, le royaume du Grand Tigre n’avait rencontré aucune résistance significative. Les villes situées le long de leur route n’étaient que des coquilles vides ou se rendaient rapidement. Il s’agissait d’endroits qui semblaient faciles à défendre et stratégiquement précieux, mais le royaume avait renoncé à les défendre pour renforcer ce fort au milieu de nulle part ? Cela défie toute logique.
« Yahhhhh !!! »
Un cri de guerre retentit parmi les soldats de la forteresse. Il semblait y avoir un nombre assez important de personnes.
Il se passe quelque chose de suspect ici… Mais il serait imprudent d’aller trop loin.
Estimant qu’il serait insensé de perdre des hommes pour un endroit aussi peu important, Kasen ordonna immédiatement un retrait afin de consulter Hashim. En entendant le rapport, ce dernier soupçonna une ruse quelconque, car il trouvait l’inutilité stratégique de la défense d’une telle forteresse suspecte. Il estima toutefois qu’essayer de comprendre la ruse de l’ennemi leur ferait perdre du temps qu’ils n’avaient pas. Il renonça à emprunter cette route de montagne difficile et se contenta de poster des soldats à l’entrée pour la garder.
Alors que Kasen et son détachement de l’armée de l’Empire du Grand Tigre se retiraient, seuls deux hommes se tenaient sur les remparts de la forteresse pour les regarder partir. L’un d’eux ressemblait à un héros : il portait un masque d’argent orné d’un cercle et d’une amulette, ainsi qu’une écharpe rouge autour du cou. L’autre ressemblait à un empereur maléfique, avec une armure épaisse, une cape noire et un casque osseux.
Le premier était le protagoniste d’une série tokusatsus très populaire, connue dans tout le royaume de Friedonia (et même dans certains autres pays), Overman Silvan. Le second était son rival, le grand empereur ogre maléfique Akki Taitei. Ils avaient mené des batailles intenses et parfois comiques dans l’émission, mais ils regardaient maintenant les forces de l’Empire du Grand Tigre battre en retraite d’un air sobre.
« Il semblerait que l’ennemi se soit retiré, Akki Taitei », dit Silvan, et le Grand Empereur Ogre Maléfique laissa échapper un rire de vieillard.
« Heh heh heh… Ha ha ha ! Ah ah ah ah ah ! Les imbéciles ! » s’exclama Akki Taitei. « Ils sont tombés dans notre piège ! Ils ont dansé une joyeuse gigue, le tout sur notre air. »
« Je n’ai pas combattu à tes côtés comme ça depuis que Miss Dran s’est déchaînée. »
« Hmm. C’est difficile pour moi de travailler à tes côtés, mon ennemi détesté, mais la conquête de cette nation est l’affaire d’Akki Taitei et du Groupe noir. Je ne laisserai pas une bande d’amateurs faire ce qu’ils veulent. »
« Cela m’exaspère tout autant… Mais pour le bien des enfants, il faut repousser les envahisseurs. Je donnerai la main à n’importe qui, même au diable, pour cette cause ! »
« Ah, ah, ah, ah ! Bien dit, Silvan ! Je réglerai mes comptes avec toi lorsque cette bataille sera terminée ! »
Pendant qu’ils discutent tous les deux…
Siena Juniro, une femme d’une vingtaine d’années, passa la tête pour demander : « Hum, mon frère, mon père, pourquoi agissez-vous ainsi ? »
Il s’agissait de la sœur cadette d’Ivan Juniro, l’acteur en costume de Silvan avant sa transformation, et de la fille de Moltov Juniro, l’acteur en costume d’Akki Taitei. En l’entendant les appeler, Ivan et Moltov, qui s’étaient déjà glissés dans leur personnage, ôtèrent maladroitement leurs masques.
« Eh bien, quand on est en costume, on ne peut pas s’empêcher d’entrer dans le personnage… N’est-ce pas, papa ? »
« Oui, je me mets toujours dans tous mes états pour une raison ou une autre. »
Siena leur jeta un regard froid pour toute excuse.
« Et d’abord, pourquoi êtes-vous déguisés ? Sa Majesté nous a seulement ordonné d’utiliser la magie d’illusion de notre famille pour confondre l’ennemi, n’est-ce pas ? »
En effet. Les explosions que Kasen et ses hommes venaient de voir ainsi que les cris de guerre des soldats étaient le fruit de la magie d’Ivan, Moltov et Siena. Le fonctionnement de cette magie commençait à être élucidé : elle consistait à projeter des images et des souvenirs dans l’air. La famille Juniro utilisait cette magie pour les effets spéciaux des émissions de télévision.
Aujourd’hui, ils avaient reçu l’ordre d’utiliser ces compétences pour bloquer l’une des routes secondaires que l’Empire du Grand Tigre aurait pu emprunter. Ils avaient nettoyé la mousse de cette forteresse désaffectée depuis longtemps, hissé des drapeaux pour donner l’impression qu’elle était en activité, puis utilisé leur magie d’illusion pour faire croire qu’il y avait un grand nombre de défenseurs.
Ce terrain était difficile à défendre, mais il poserait tout de même un problème si l’ennemi parvenait à le traverser. Hakuya et Julius avaient pris la décision de la bloquer à l’aide de la magie des Juniros. Si l’Empire du Grand Tigre pensait qu’il y avait des défenseurs ici, il ne tenterait probablement pas de passer, et même s’il le faisait, les trois personnes présentes pourraient facilement se cacher. Si l’ennemi décidait de passer, en supposant que la forteresse soit vide, ils pourraient utiliser leur magie d’illusion pour lui faire croire qu’un ennemi était apparu derrière lui. Ces trois personnes suffiraient à ralentir et à confondre l’ennemi.
« Mais l’opération ne prévoyait pas que tu joues Silvan. »
Ivan et Moltov se regardèrent maladroitement.
« Tu sais, les costumes nous aident à nous préparer. N’est-ce pas ? »
« Oui, Sa Majesté a dit : “Une image mentale est importante pour renforcer la magie.” En entrant dans le personnage, nous sommes capables de produire des illusions plus puissantes. »
« Dites-moi ce que vous ressentez vraiment… »
« Nous nous sommes laissés emporter ! »
Les yeux froids de Siena ont forcé son frère et son père à se confesser.
« Eh bien… Je comprends ce que tu ressens. » Elle laisse échapper un soupir. « Nous avons tous des incertitudes à propos de la guerre. C’est normal de vouloir s’accrocher aux héros dans des moments comme celui-ci. »
« C’est vrai. Nous n’avons pas été envahis de la sorte depuis la guerre avec la Principauté d’Amidonia », dit Moltov avec une expression sobre. « Je pense qu’il y a déjà assez de justice, de mal et de combats dans nos programmes de diffusion. Mais avec la guerre en cours, nous ne pouvons pas utiliser les gemmes pour les fabriquer. La guerre dans le monde réel est ennuyeuse, déprimante et terrible, alors je veux qu’elle se termine au plus vite. »
« Papa ! »
« Père… »
Sur ce, Moltov enfila à nouveau le casque de l’Akki Taitei.
« Le grand empereur ogre maléfique est assez maléfique pour ce monde ! Ah, ah, ah, ah ! »
Ivan et Siena sourient tandis qu’Akki Taitei laissa échapper un rire tonitruant.
◇ ◇ ◇
Alors que les forces détachées de l’Empire du Grand Tigre finirent par battre en retraite, leur force principale poursuivit son avancée vers Parnam. Cependant, les villes situées le long de la route de l’invasion étaient soit abandonnées, soit immédiatement tombées aux mains de l’ennemi, si bien qu’ils ne rencontrèrent aucune résistance significative et purent sécuriser leurs lignes de ravitaillement. Cette marche apparemment sans histoire vers la capitale friedonienne n’était pas passée inaperçue aux yeux de Fuuga et de Hashim.
« Je me demande ce que Souma a en tête », dit Fuuga à Hashim, chevauchant Durga aux côtés de ses troupes qui avancent. Hashim était à cheval à côté de lui et Mutsumi à l’opposé.
« Souma complote quelque chose, et quoi qu’il en soit, le temps joue en leur faveur. Pourtant, bien qu’ils interfèrent avec nos détachements, la force principale n’a subi aucun retard. Nous nous dirigeons vers Parnam sans rien perdre de notre potentiel de combat. Si nous plongions sans tenir compte du plan de notre adversaire, nous pourrions sans doute atteindre Parnam en moins d’une journée. »
Leur rythme de déplacement était régulier, mais l’Empire du Grand Tigre ne pouvait pas rivaliser avec leur mobilité. Le royaume de Friedonia comptait de nombreux comploteurs, tels que Hakuya, Julius et Excel, et tout relâchement de la vigilance risquait de faire basculer rapidement la situation. Si l’on considère la variété des moyens par lesquels leurs forces détachées avaient été contrecarrées, dès le moment où ils baisseraient leur garde, leurs lignes de ravitaillement pourraient être coupées, les laissant isolés au milieu du territoire ennemi, avec une grande armée à soutenir. C’est pourquoi l’Empire du Grand Tigre était contraint d’avancer à un rythme qu’il pouvait maintenir sans se compromettre. Des raids répétés le long de leur route auraient ralenti leur progression, mais Souma ne l’avait pas fait.
« Ne veulent-ils pas gagner du temps ? » se demanda Fuuga à voix haute.
« Je suis sûr que c’est le cas », répondit Hashim, « mais peut-être qu’ils sont sélectifs quant à l’endroit où ils le font ? »
Mutsumi pencha la tête et demanda : « Qu’est-ce que tu veux dire par être sélectif ? »
« Ils pourraient nous ralentir en défendant les villes situées sur notre route jusqu’à ce qu’elles tombent, ou en lançant des attaques sporadiques à petite échelle, mais cela augmenterait les pertes du royaume. S’il peut concentrer ses forces sur un champ de bataille bien préparé et nous y rejoindre tout en gagnant du temps, c’est ce que Souma choisira de faire. »
« Il cherche donc à minimiser les dommages causés à son peuple ? »
« Oui, cela en fait partie. Mais c’est aussi une décision logique quand on considère ce qui viendra après la guerre. S’il est persuadé qu’il l’emportera, alors peu importe le nombre de villes que nous prendrons, il pourra les récupérer. C’est une décision prise pour préserver la vie des gens, car une fois qu’une vie est perdue, elle ne pourra en aucun cas être récupérée. »
« Mais ensuite… » Mutsumi s’interrompit.
« Cela signifie que l’ennemi est sûr de pouvoir nous battre. C’est effrayant », termina Fuuga à sa place.
☆☆☆
Partie 3
Pour quelque chose qu’il avait dit être effrayant, il avait l’air d’y prendre plaisir. Il avait l’air d’un enfant qui se demande ce qu’il va recevoir à Noël. Il avait hâte de découvrir ce que cet ennemi lui réservait.
« Ahem. » Hashim se racla bruyamment la gorge. « Cependant, je ne m’attendrais pas à ce que la prochaine ville que nous attaquerons se déroule de cette façon. Contrairement à tous les autres endroits où nous sommes allés jusqu’à présent, tu ne peux pas dire que perdre cette ville ne ferait aucun mal au royaume. »
« La cité du dragon rouge, c’est ça ? »
« En effet. Elle sert de bouclier qui défend Parnam depuis le nord et c’est là que réside l’ancien général de l’armée de l’air, Castor Vargas. C’est aussi là qu’ils ont formé la cavalerie-wyverne; perdre l’endroit où tout ce savoir-faire est concentré serait donc un coup douloureux pour le royaume. C’est une forteresse construite à flanc de montagne, ce qui la rend difficile à prendre d’assaut. Peut-être nous a-t-on permis d’aller jusqu’ici pour nous bloquer ici ? »
Fuuga croisa les bras et grogna :
« Mais Souma a déjà lui-même pris cette forteresse, n’est-ce pas ? Pendant la rébellion de Georg et Castor, si je me souviens bien. »
« Oui. Cependant, d’après les informations que j’ai recueillies, il n’y avait que quelques centaines de défenseurs à l’époque, et aucune bataille de défense digne de ce nom n’a jamais eu lieu. L’armée de Souma a utilisé un cuirassé à terre pour bombarder la ville et a lancé une attaque furtive par les passages secrets du château. Je crois qu’il est plus correct de dire qu’il a pris la ville par subterfuge, et non par un assaut direct. »
« Je te comprends. Donc nous ne pouvons probablement pas faire la même chose. »
« Cette fois, ils auront suffisamment de défenseurs, et je suis sûr qu’ils ont scellé tous les passages secrets. »
« Ce qui veut dire qu’on va enfin avoir droit à un vrai combat. »
Fuuga épaula Zanganto avec enthousiasme. Hashim lui jeta un regard froid.
« Je vous demande de ne pas charger l’avant-garde. Nous n’avons aucun moyen de savoir quand l’ennemi pourrait utiliser cette arme qui scelle la magie. »
« Tu ne voudrais pas qu’ils l’utilisent lorsque tu voles sur le dos de Durga et qu’ils te laissent tomber dans la mort, n’est-ce pas ? » lui déclara Mutsumi.
« Je ne veux pas partir comme ça », répondit Fuuga, l’air renfrogné. Hashim acquiesça.
« Cette armée massive dépend de votre existence, Votre Majesté. Si vous étiez gravement blessé, tout s’écroulerait instantanément. Bien que nous ne soyons pas certains des stratagèmes que l’ennemi a en réserve, le seul moment où nous pouvons vous déployer au combat est… »
« … C’est quand on est tellement acculé qu’il n’y a pas d’autre issue, hein ? J’ai compris. » Fuuga laissa échapper un rire rauque. On aurait presque dit qu’il espérait que Souma les mette dans une situation où il serait entraîné sur le champ de bataille.
Hashim et Mutsumi haussèrent les épaules, exaspérés.
On dit que l’Empire du Grand Tigre de Haan est capable d’aligner environ quatre cent mille hommes. Il s’agissait de la quantité totale, comprenant les forces de l’ancienne Union des nations de l’Est, la moitié de l’ancien Empire du Gran Chaos et leurs deux États vassaux, les mercenaires zemishs qui s’étaient rangés à leur cause, les conscrits de ce pays, ainsi que les soldats réfugiés et les chercheurs de fortune qui s’étaient portés volontaires pour servir sous les ordres de Fuuga (l’État pontifical orthodoxe étant un pays indépendant, leur nombre n’était pas inclus).
En dehors des forces qui surveillent le royaume d’Euphoria à l’ouest, de celles qui repoussent les attaques de la République au sud, ainsi que des quelques centaines de personnes qui sont allées soutenir et surveiller l’État papal orthodoxe avec Lombard, et de celles qui restent pour garder la patrie (environ deux cent mille personnes, soit la moitié de leur total), seuls deux cent mille individus avaient été déployées dans la guerre contre le royaume de Friedonia.
Les Friedoniens qui se défendaient avaient entre cent cinquante et cent soixante mille hommes. Cependant, ils avaient dû envoyer quarante mille hommes dans la région d’Amidonia pour répondre à l’État papal orthodoxe et leur flotte de guerre, très réputée, ne pouvait pas être utilisée dans une bataille aussi éloignée. On prédisait donc qu’ils ne pourraient aligner que cent mille hommes contre Fuuga.
Les soldats du Royaume du Grand Tigre, toujours victorieux, étaient optimistes et pensaient pouvoir gagner avec un avantage de deux contre un, mais les hauts responsables étaient conscients qu’ils n’avaient que deux fois plus d’hommes que leur adversaire. Même s’il y avait un écart dans le nombre de troupes disponibles, le royaume de Friedonia avait une puissance nationale et un développement technologique bien plus importants. C’était un adversaire rusé qui avait utilisé une arme étrange rendant la magie inutilisable lors de la guerre contre l’ancien Empire du Gran Chaos, et pourtant, le Royaume du Grand Tigre avait dû envoyer son deuxième meilleur commandant, Shuukin, ainsi que le féroce Moumei, pour se préparer à affronter le Royaume d’Euphoria et la République.
On pensait que la puissance de leur adversaire rendrait inévitable une bataille acharnée.
Pendant ce temps, dans le royaume de Friedonia, les gens étaient intimidés, mais pas paniqués, par le nombre de soldats des armées de l’Empire du Grand Tigre. C’est grâce au programme d’information du royaume qui rendait compte en permanence des mouvements de l’armée du Grand Tigre. Les informations étaient si précises que le téléspectateur avait l’impression de les regarder depuis les airs, et elles servaient à guider les évacuations. Ces émissions pouvaient même être regardées dans les villes déjà prises par l’Empire du Grand Tigre, à condition de disposer d’un simple récepteur. Il semblait que le royaume ne diffusait que des informations dont il se moquait que leurs adversaires les voient, mais Hashim était tout de même surpris par la précision de ces informations. Il envoya Krahe et les cavaliers-griffons, pensant que c’était peut-être parce que des éclaireurs de la cavalerie-wyverne les observaient, mais ils ne découvrirent rien.
Comment le Royaume avait-il pu suivre les mouvements de l’Empire du Grand Tigre d’aussi près ? La réponse se trouvait à une altitude supérieure à celle à laquelle volent les wyvernes ou les griffons.
« Hum… Il semblerait que l’Empire du Grand Tigre se rapproche bientôt de la Cité du Dragon Rouge. Il n’y a aucun signe de perte de troupes, alors nos tentatives d’interférer avec leurs forces détachées doivent bien se passer », murmura Serina en se penchant hors de la gondole pour regarder vers le bas à l’aide d’un télescope.
Après avoir observé un moment, elle se retira dans la nacelle.
Se tournant vers son compagnon de voyage, Komain, elle dit : « Il n’y a pas de changement dans leur trajectoire. Les unités d’avant-garde devraient bientôt arriver à la Cité du Dragon Rouge. Fais passer le message au château de Parnam et à la Cité du Dragon Rouge. »
« J’ai compris… C’est parti. » Komain nota rapidement ce que Serina lui avait dit, puis libéra des kuis messagers pour porter les messages à leurs destinataires.
Ces kuis messagers avaient été entraînés au déploiement en haute altitude et planaient vers le sol en formant un angle. Cet angle était si élevé que les wyvernes ne pouvaient pas voler; elles retombaient donc à une altitude plus appropriée avant d’ouvrir leurs ailes et de poursuivre leur route.
Une fois leur tâche accomplie, Serina et Komain fermèrent les fenêtres qui laissaient passer une brise fraîche en raison de l’altitude élevée. Pourquoi les femmes de Poncho font-elles cela ?
« Vous appréciez votre vol, mesdames ? — Terminé, » dit une voix provenant du tube de communication. (Bien que, dans ce cas, il s’agissait plutôt d’un téléphone à ficelle).
« Oui, » répondit Serina. « Nous profitons d’un élégant voyage dans les airs, Lady Sill. — Terminé. »
« Ha ha ha, je suis contente de l’entendre ! »
La voix appartenait à la reine Sill, souveraine du royaume des chevaliers dragons de Nothung. C’est son partenaire, Pai le dragon blanc, qui transportait cette nacelle.
« Vous savez, » dit Sill, « notre pays est complètement encerclé par l’Empire du Grand Tigre en ce moment. Cela complique l’arrivée des marchands et pèse sur nos approvisionnements. C’est une bonne chose que nous ayons ouvert des routes commerciales avec le royaume. — Terminé. »
« Hee hee. Eh bien, Venetinova est le centre du réseau commercial du royaume, et notre mari et nos enfants sont de grands mangeurs, après tout, alors nous avons beaucoup de nourriture sous la main. Je suis sûre que nous trouverons quelque chose qui vous plaît. — Terminé. »
« Oui, nous avons pu recevoir de nombreux articles de qualité. Et vous avez eu la gentillesse de nous accorder une forte réduction si nous amenions quelques “visiteurs” lors de la livraison des marchandises dans notre propre pays. — Terminé. »
C’est ainsi que s’était terminée cette conversation à bâtons rompus.
« En effet. On m’a dit que la race aux trois yeux était plutôt adepte des visites touristiques, alors je suis sûre qu’ils sont plutôt satisfaits de l’arrangement. »
Komain, qui écoutait à côté de Serina, avait l’air gênée, comme si elle ne savait pas comment réagir.
« Hum… De quoi s’agit-il ? » demanda-t-elle. « Vous aviez toutes les deux l’air si complices. »
« Hee hee. C’est important pour les gens et les nations de sauver les apparences », répondit Serina avec le même sourire qu’elle arborait lorsqu’elle taquinait Carla.
En résumé, les observateurs des forces de Fuuga étaient Serina, Komain et des membres de la race aux trois yeux, dont le docteur Hilde. Ils étaient montés à bord d’une gondole qui transportait des fournitures de Venetinova au royaume des chevaliers dragons de Nothung. Ils avaient rapporté à Souma et aux autres ce qu’ils voyaient faire l’empire du Grand Tigre en bas, fournissant ainsi des informations précises pour le programme d’information.
Le royaume des chevaliers dragons de Nothung devait rester à l’écart des guerres entre les autres nations. Cependant, aucune règle ne leur interdisait d’emmener des passagers lorsqu’ils expédiaient des fournitures dans leur propre pays. Serina et Komain étaient tous deux des non-combattants et les fournitures n’avaient rien de militaire. Quant aux membres de la race des trois yeux, il s’agissait simplement de personnes ayant une très bonne vision.
Peu importait ce qu’ils avaient vu pendant le voyage ou à qui ils l’avaient rapporté, cela ne concernait pas les chevaliers dragons. Ils ne s’impliqueraient pas dans des guerres entre d’autres pays, mais ils ne pouvaient pas être tenus pour responsables de ce que leurs passagers pouvaient faire.
« Je ne sais pas si l’argument tient la route, mais nous sommes en guerre, après tout », dit Komain d’un air pensif.
Serina cessa de sourire et hocha la tête : « Nous faisons cela pour pouvoir retourner à une table de dîner heureuse avec notre mari, et nos enfants Marin et Maron. Aidons Sa Majesté à se débarrasser rapidement de ce conflit inutile. »
« D’accord… Je veux retrouver mon mari et nos enfants rapidement. »
Les deux femmes hochèrent la tête en signe d’accord.
◇ ◇ ◇
Le messager envoyé par Komain atterrit dans la cité du Dragon rouge. Il avait été reçu par l’ancien intendant de la maison Vargas, Tolman, qui était maintenant le chef de la force nationale de défense aérienne. Il se retourna pour regarder la personne qui se trouvait derrière lui.
« Il semblerait que les forces de Fuuga soient bientôt là. »
« Oh, je vois… »
Celui qui lui répondit, la voix stridente de tension, était le nouveau chef de la maison Vargas, Carl Vargas.
☆☆☆
Chapitre 9 : Une bataille acharnée ! Le front de la cité du dragon rouge
Partie 1
« Ça commence enfin », lança Carl en prenant une grande inspiration.
Le garçon avait l’air d’avoir à peine une douzaine d’années, mais il faisait tout ce qu’il pouvait pour rester debout face à la peur et à la pression de la guerre.
Comme on peut le constater avec Aisha et Naden, l’âge émotionnel des races à longue durée de vie est en quelque sorte lié à leur apparence physique. Fils de deux dragonewts, qui avait une espérance de vie encore plus longue que les races elfiques, Carl s’était développé physiquement et mentalement plus lentement, et il avait toujours l’air d’un enfant.
Quoi qu’il en soit, maintenant qu’il était devenu le chef de la maison Vargas à la place de son père et de sa sœur aînée, il ne pouvait pas se comporter comme un petit garçon effrayé et paniqué. Tolman le savait, alors il continua comme s’il ne remarquait pas à quel point il était tendu.
« Oui, les ordres de Sa Majesté sont de défendre la Cité du Dragon Rouge jusqu’à la mort. Grâce aux conseils de Dame Tomoe, nous avons pu aménager un environnement propice à l’élevage de wyvernes, ce qui a considérablement augmenté le potentiel de combat de la Force nationale de défense aérienne. Ce serait une grande perte pour le royaume si cet endroit était pris ou détruit. Nous ne pouvons pas non plus laisser l’ennemi passer sans réagir. Nous devons soit gagner du temps jusqu’à ce que les préparatifs de Sa Majesté soient terminés, soit attirer une partie de la force ennemie. »
« Je le sais… C’est la raison pour laquelle Sa Majesté a envoyé la moitié de l’armée de l’air et trente mille soldats ici. »
Sa sœur aînée, Carla, était une commandante au sang chaud, à l’image de leur père, Castor, mais Carl tenait de sa mère, Accela, sérieuse et calme. Il n’avait peut-être pas l’aura de commandement de son père et de sa sœur, mais sa personnalité sérieuse et directe était appréciée de Souma, des autres élites du pays et des habitants de son domaine.
Il avait soutenu la maison de Vargas dans les moments difficiles, où une main habile était nécessaire à la barre. Cependant, un conflit ouvert avait changé la donne.
C’était la première guerre que Carl, qui n’aimait pas la violence, allait devoir affronter en tant que chef de famille. Ce n’était pas non plus une simple escarmouche. Il se trouvait sur la ligne de front d’une grande guerre qui avait embrigadé le monde entier. Il était donc normal que son insécurité ait l’impression de l’écraser.
Juste au moment où il baissait la tête, comme si son cœur allait se briser…
« Tu es un commandant maintenant. Garde la tête haute, Carl ! » cria une voix.
« Ah — » Carl se redressa face à cette réprimande.
Deux personnes s’avançaient vers lui, avec des ailes, des cornes et des queues de dragon, emblématiques des dragonewts, et les mêmes cheveux roux que les siens.
« Père ! — Sœur ! » s’écria Carl avec joie.
Il s’agissait de Castor et Carla, qui étaient censés avoir été chassés de la maison Vargas.
La maison Vargas avait gagné en sympathie à mesure que les véritables raisons de la rébellion de Georg Carmine apparaissaient au grand jour. Les exploits de Castor dans la chasse au kaiju dans l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes et la défense de Souma par Carla lors de la bataille contre les Seadiens avaient finalement rendu leur retour possible. Cependant, afin d’assumer la responsabilité de leurs actes passés, et parce qu’ils avaient tous deux trouvé des emplois intéressants — Castor était devenu capitaine du transporteur Hiryū et Carla, la protectrice des princes et des princesses —, aucun d’entre eux n’avait tenté de revenir avant aujourd’hui.
Mais le royaume et la cité du Dragon Rouge étant en crise, Souma leur avait ordonné de retourner dans cette dernière.
« Désolé, Carla », dit Castor en souriant. « On t’a fait attendre, hein ? »
« Sniff… — Oui ! Je t’attendais, ma sœur ! » répondit Carl avec énergie, en se frottant les yeux avec sa manche.
Pour Carl, qui se débattait dans l’incertitude, leur retour était plus rassurant que l’arrivée de dix mille soldats.
Castor alla parler à Tolman : « Je t’ai causé beaucoup d’ennuis, Tolman. Merci d’avoir veillé sur Carl. »
« N’y pensez pas, Maître… — Non, je suppose que je dois vous appeler “capitaine” maintenant ? »
« Oui. Carl est l’actuel chef de notre maison. »
« Eh bien, capitaine. Même si cela n’a pas semblé long pour quelqu’un qui a une aussi longue longévité que vous, nous avons travaillé ensemble pendant longtemps. Moi qui suis habitué à me laisser entraîner par vos caprices, m’occuper de votre fils sérieux ne m’a posé aucun problème. »
« Des mots durs dès le départ, hein ? J’aurais dû m’y attendre de la part de mon ancien intendant », dit Castor avec un sourire en coin.
« Père, » appela Carl en s’approchant. « Puisque tu es revenu, puis-je te laisser le commandement de nos forces ? »
Carl semblait plein d’espoir, mais Castor secoua la tête.
« Non. Carla et moi sommes tous deux venus ici en tant que combattants. En tant que chef de la maison, tu dois faire de ton mieux avec le soutien de Tolman. Je te soutiendrai aussi, bien sûr. »
« Oh, non… » Carl ne savait pas quoi dire après avoir été rabroué. Carla posa ses mains sur ses épaules.
« Ne fais pas cette tête. Personne ne te demande d’être un commandant parfait. Ton père et moi avons tous les deux échoué. Nous avons failli détruire cette maison avec notre entêtement. »
« Sœur… »
« Regarde la bataille avec tes propres yeux. Si tu penses que tu n’es pas à la hauteur, apprends des autres. Si tu ne peux pas te battre toi-même, encourage les troupes et sois avec elles dans ton cœur. Si tu fais de ton mieux, quelqu’un le verra et te soutiendra. »
« Oui, je suis sûr que tu seras un meilleur seigneur que je ne l’étais », dit Castor, ce à quoi Carla acquiesça.
« Plus tu marcheras longtemps, plus il y aura de mains pour te soutenir », déclara-t-elle en citant une berceuse de ce monde.
C’est la même que celle que Juna avait chantée à Souma pendant sa première année, alors qu’il était sur le point de succomber à l’épuisement et à la pression.
Carl leva la tête : « Oui ! Je ferai de mon mieux ! »
Son visage encore enfantin était plein de détermination. Castor, Carla et Tolman hochèrent la tête avec satisfaction.
« Oh, mon Dieu. Vous avez l’air de vous amuser », déclara une voix.
Une nouvelle personne s’approcha d’eux à grands pas. Cette femme avait également les traits d’un dragon, avec une corne unique sur le front, des ailes dans le dos et une queue, mais ses cheveux et ses écailles étaient bleus. Elle portait un uniforme de marine semblable à celui de Juna, avec une rapière à la hanche.
Devant eux se tenait Accela, l’enfant d’Excel et de son compagnon (aujourd’hui décédé), l’épouse de Castor et la mère de Carla et Carl.
« Attends, Accela ?! Qu’est-ce que tu fais habillée comme ça ? » demanda Castor, les yeux écarquillés par la surprise.
Elle avait un visage avenant qui ressemblait à celui d’Excel, mais elle était connue pour être une beauté tranquille, et non pas complice comme sa mère. Et pourtant, la voilà en tenue de combat. Carl, Carla et Tolman restèrent sans voix.
« Attends… Tu ne comptes pas te battre, n’est-ce pas ? » demanda Castor.
« Oh, mon Dieu… » Accela sourit : « As-tu oublié de qui je suis la fille ? »
« Celle de la duchesse Walter, évidemment. »
« Oui, et j’ai dirigé les Marines sous son commandement avant de t’épouser. »
Castor se souvint enfin. Un demi-siècle s’était écoulé depuis leur mariage, et il avait oublié jusqu’à présent qu’Accela avait été commandante des Marines, tout comme Juna. Après son mariage, elle avait dit à Castor : « Je veux passer un peu de temps loin du champ de bataille pour être une mère pour nos enfants », et menait depuis une vie de grande dame.
Mais à l’origine, elle était soldate. La personnalité sanguinaire de Carla (en grande partie apprivoisée grâce à l’entraînement de Serina) n’était peut-être pas entièrement de la faute de Castor.
Accela tourna sur elle-même et s’exhiba devant eux : « Ça fait un moment que je n’ai pas mis ça. Je suis soulagée qu’il m’aille encore. »
« Bien sûr que si. Ton poids n’a pas changé depuis cinquante ans… »
« Qu’en pensez-vous, Carla, Carl ? Est-ce que ça me va ? »
Lorsqu’elle demanda aux enfants ce qu’ils en pensaient…
« Ne pose pas de questions auxquelles nous ne voulons pas répondre ! C’est gênant ! »
« M-M-Maman… » Carla et Carl étaient aussi maladroits l’un que l’autre en écoutant l’histoire de la première rencontre de leurs parents. Tolman, lui, détournait les yeux et essayait de ne pas se laisser entraîner. Malgré tout, Castor réussit à se ressaisir et se tourna vers Accela, l’air sévère.
« Je te le demande une fois de plus. — As-tu l’intention de te battre ? »
« Oui, Castor. Je ne te laisserai plus jamais me tenir à l’écart de tout ça », dit-elle en souriant. Mais ses yeux racontaient une autre histoire : « À l’époque, je suis allée aux côtés de ma mère, espérant au moins protéger Carl, mais ce que je voulais vraiment, c’était me battre à tes côtés. Je ne veux plus jamais me retrouver dans une situation où je dois regarder mon mari et ma fille se battre pour leur vie. Cette fois, je protégerai la maison et ma famille. »
« Accela… » Ses paroles étaient pleines de conviction. Carl en était presque ému, mais ensuite… Accela sourit et tapa dans ses mains.
« J’ai demandé à ma mère d’envoyer tout un tas de canons et de boulets pour une telle occasion. J’ai également fait d’autres préparatifs, alors profitons-en tous. »
Accela avait dit cela sur le même ton que quelqu’un qui dirait : « Mes parents nous ont envoyé des pommes, alors mangeons-les tous ensemble. » Tout le monde avait compris que cette femme était incontestablement la fille d’Excel.
« Euh, notre seigneur a dit que nous n’avions pas besoin de forcer les choses, » conseilla Castor, « nous pouvons simplement jouer la montre… »
« Maintenant que toute la famille est réunie, nous devrions fêter cela avec éclat ! »
« Ne dis pas de telles choses avec autant de désinvolture ! Est-ce que ça te plaît ? Tu t’amuses, n’est-ce pas ? »
Accela se montrait enjouée — aussi enjouée que peuvent l’être des explosifs — tandis que Castor se laissait entraîner par ses caprices.
Pendant ce temps, Carla et Carl regardaient leurs parents continuer ainsi. Carl dit alors : « Ma sœur… Leur sang coule dans mes veines, n’est-ce pas ? »
« Oui… Tout comme dans les miennes. »
« Mm-hmm… Je commence à sentir que je peux me donner à fond. »
« C’est exactement comme ça qu’un homme de la maison Vargas devrait être… c’est ce que je devrais dire, je suppose ? »
Ils avaient tous deux l’air incroyablement gênés.
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