Chapitre 4 : Abandonner le Fort de Tilia
Partie 2
« On dirait que nous allons pouvoir partir sans retard, » avais-je fait observer.
J’avais surveillé tout le départ d’en haut, mais au moins, il n’y avait aucun signe d’un quelconque monstre. Il semblerait que l’enthousiasme de chacun resterait élevé au lieu d’être interrompu juste après le départ.
« OK, allons-y aussi. »
Nous avions pris le rôle de l’arrière-garde. Moins d’yeux seraient braqués sur nous dans cette position si le pire devait arriver et que mes serviteurs devaient agir. De plus, les véhicules dans lesquels se trouvaient les non-combattants étaient rassemblés à l’extrémité de la ligne. Leur position reposait sur nos forces, prouvant ainsi que la commandante nous faisait confiance. Tel était le plan qu’elle avait pris soin d’assembler pour garantir un maximum de survivants.
Nous avions traversé un bâtiment du haut du mur et nous nous étions dirigés vers la porte d’entrée. Toutes les manamobiles étaient à peu près parties à ce moment-là. Une seule d’entre elles ne bougeait pas. J’avais sauté sur ce dernier véhicule à la place du conducteur. J’avais attrapé Lily dans mon bras alors qu’elle sautait après moi, puis je m’étais retourné et j’avais ouvert la toile qui était en place pour que personne ne puisse voir à l’intérieur. Le reste de mon groupe et Kei avaient une discussion amicale à l’intérieur.
« Nous allons bientôt partir, » leur avais-je dit tandis que Lily et moi prenions place côte à côte à la place du conducteur.
Les manamobiles étaient fondamentalement les mêmes que les calèches, sauf qu’elles utilisaient le mana comme source d’énergie au lieu des chevaux. Les sièges avant étaient suffisamment larges pour que trois hommes de taille moyenne puissent s’asseoir confortablement ensemble et étaient équipés d’un repose-pieds incliné pour aider à stabiliser le corps. Un garde-boue incurvé était installé à l’avant qui remontait jusqu’à la poitrine du conducteur, et il était garni d’une pierre runique grise de la taille d’un poing, juste à portée de main. Une sculpture représentant une tête de cheval était fixée au sommet du garde-boue, orientée vers l’extérieur comme la figure de proue d’un bateau.
J’avais touché la pierre runique apposée près de son cou. Faire fonctionner la manamobile était assez simple. Tout ce que j’avais à faire était de toucher la pierre runique et d’y canaliser mon mana. Cela fonctionnait comme un interrupteur d’allumage. Il utilisait le mana qu’il stockait dans l’environnement comme source d’énergie, il n’était donc pas nécessaire de lui fournir constamment le mien. J’avais demandé ce qui décidait du mouvement en avant ou en arrière, mais la pierre runique principale ne pouvait que faire avancer la voiture en ligne droite.
Une force magique tirait sur le cadre, mais cela n’avait pas affecté directement ce qui était chargé à bord. Le départ était un peu glissant. Les roues grinçaient et commençaient à bouger, s’entrechoquant contre le sol tandis que la manamobile s’agitait. Je ne peux pas dire que c’était confortable, mais vu l’état de la route, c’était plutôt inévitable. Il semblerait que ce serait difficile pour quelqu’un qui avait le mal des transports.
« Takahiro, comment va ma sœur ? »
Juste au moment où nous nous étions mis en mouvement, suivant la manamobile devant nous, Kei avait surgi de l’arrière entre moi et Lily. Quiconque l’aurait vue agir comme un gentil chiot en sourirait. Elle avait des cheveux courts, du même blond magnifique que ceux de Shiran, qui étaient attachés en tresses courtes aujourd’hui. C’était probablement l’œuvre de Katou. Elle avait l’habitude de changer la coiffure de Rose tout le temps.
« Shiran fait un travail splendide en dirigeant le groupe. De quoi parliez-vous tout à l’heure ? »
« À propos de ma ville natale. Gerbera a dit qu’elle voulait en entendre parler. »
« En effet. Après tout, je n’ai pas encore entendu de telles histoires. »
La fille en blanc avait ensuite surgi, m’attrapant les deux épaules par-derrière et plaçant sa tête à côté de la mienne. Elle m’avait regardé de côté. Je m’y étais habitué maintenant, mais sa beauté captivante était encore plus proche de moi que l’innocente petite Kei. On aurait dit qu’une petite secousse du véhicule aurait fait tomber nos joues l’une contre l’autre. Ses cheveux blancs et soyeux, qui ressemblaient à des fils d’araignée, frôlaient mon cou et me chatouillaient.
« Fais attention, Gerbera, » avais-je dit, en jetant un coup d’œil à ses joyeux yeux rouges. « Le bas de ton corps ressort. Ce sera mauvais si quelqu’un te repère par accident. Allez, regarde, Ayame est même en train de t’imiter. »
La petite renarde avait sauté et s’était posée sur mes genoux quand Gerbera avait jeté un coup d’œil. Ayame s’était installée confortablement. Son nez était agité, peut-être à cause de l’odeur qui changeait constamment dans l’air lorsque le véhicule se déplaçait.
« Je le sais. Avec seulement le haut de mon corps qui dépasse comme ça, je ne suis pas différente d’une humaine. Ayame ne peut pas non plus être vue quand elle est assise sur tes genoux. »
Apparemment, elle y avait au moins réfléchi. Ça me convenait tant qu’elle comprenait, mais Gerbera était une fille négligente. C’était mieux d’enfoncer le clou jusqu’au bout.
« Désolé, mais quand nous atteindrons le village, reste cachée. Tu es déjà très attirante comme ça. Attirer l’attention inutilement serait dangereux quand on garde des secrets. »
« Gerbera est super jolie, après tout. N’est-ce pas, Takahiro ? » ajouta Kei.
« Oui. »
« H-Hmm ? Vraiment ? » dit Gerbera en portant sa main à sa joue.
J’avais arraché mon regard de sa réaction mignonne et m’étais retourné vers Kei.
« Bref, tu parlais de ta ville natale ? Qu’as-tu à en dire ? »
« Euh, voyons voir… »
◆ ◆ ◆
La plus grande nation de ce continent était officiellement appelée l’Empire d’Eryx. C’était une nation féodale dirigée par un empereur, et des nobles gouvernaient ses territoires. L’Empire avait également vassalisé un groupe de petites nations désignées comme l’Alliance. Ce nom était une relique de l’époque où elles avaient uni leurs forces pour s’opposer à l’Empire. Cela s’était passé il y a des siècles, à peu près à la même époque que la Tragédie du Roi Mort-Vivant Carl.
Malgré ses vastes territoires, seule une petite partie de l’Empire bordait les Terres forestières. En revanche, les pays de l’Alliance donnaient tous sur la dangereuse forêt. Tel était le contexte historique de cette planète.
Chaque pays de l’Alliance avait évidemment son propre nom. Par exemple, la troisième compagnie des Chevaliers de l’Alliance était envoyée depuis un pays appelé Aker. Les pays de l’Alliance situés à la limite sud de l’Empire, face à la région nord des Terres forestières, étaient appelés les Cinq Royaumes du Nord. Ces pays étaient situés à l’ouest du Fort de Tilia. Les pays de l’Alliance situés à l’est étaient appelés les Trois Royaumes de l’Est. Incidemment, on disait que la forêt s’étendait jusqu’aux extrémités ouest et sud du continent, mais personne ne l’avait jamais confirmé.
Le pays où la commandante nous avait invités était Aker, l’un des cinq royaumes du Nord. Il n’était composé que d’une poignée de localités assez grandes pour être appelées villes. Le reste de la petite nation était constitué de villages.
Environ un tiers du territoire d’Aker était couvert de montagnes abruptes, et certaines parties de son territoire occupaient également des régions où les Terres forestières avaient été défrichées. La nation était pauvre, mais elle débordait d’esprit militariste comme forme de caractère national. Les enfants des villages de reconquête, comme celui d’où venait Kei, apprenaient à se battre à l’épée dès leur plus jeune âge. Ils n’auraient probablement pas été en mesure de survivre autrement.
Vu que leur petit territoire bordait les Terres forestières, la menace des monstres était sérieuse. C’est pourquoi l’organisation mère de la troisième compagnie, l’Ordre de la défense nationale, était dirigée par la royauté. Les chevaliers couraient d’est en ouest à l’intérieur de leurs frontières, combattant activement les monstres.
Ce genre de situation était censé être normal dans les cinq royaumes du Nord. L’image que j’avais des rois ressemblait davantage à la royauté dans les jeux, où un vieil homme était assis confortablement dans une vaste pièce avec un tapis rouge dans un grand vieux château. Les membres de la royauté des pays de l’Alliance, en revanche, étaient en fait plus proches des commandants militaires de la période Sengoku du Japon. C’est pourquoi une princesse comme la commandante allait sur les champs de bataille avec des chevaliers.
Les survivants du Fort de Tilia, menés par la commandante, suivaient la route vers le nord qui traversait les Terres forestières. Cette route menait au comté de Lorenz, dans le sud de l’Empire. La ville la plus proche du Fort de Tilia était la ville commerciale Serrata située au centre de ce territoire. Nous commencions par aller vers le nord jusqu’à ce que nous atteignions cette ville.
La commandante avait l’intention de rapporter les événements du Fort de Tilia à chaque région à partir de là. Serrata disposait d’un moyen de communication longue distance qui était relié au Fort de Tilia et au Fort d’Ebenus. Cependant, l’appareil du Fort de Tilia avait été perdu lors de l’attaque des monstres, ils devaient donc utiliser le plus proche disponible. Un cheval rapide avait déjà été envoyé à Serrata le lendemain de l’attaque, mais il n’y avait aucune garantie que l’information passerait sans encombre à travers les Terres forestières. De plus, le rapport aurait plus de poids s’il était transmis par une personne de haut rang.
Après cela, elle allait laisser les soldats impériaux aux soins du noble impérial, le comte Lorenz. Puis elle devait ramener les chevaliers de l’Alliance dans son pays et faire un rapport à son père en personne. Notre plan était de l’accompagner. Aker était situé au sud-ouest de Serrata, ce qui signifiait que nous prenions une route quelque peu détournée pour y arriver, mais nous n’avions pas vraiment le choix.
De toute façon, l’important maintenant était de traverser les Terres forestières en toute sécurité. Nous devions rester concentrés.
◆ ◆ ◆
« Yaaah ! »
Un seul cri, une seule frappe.
Une lance noire avait traversé l’air comme une balle, se plantant dans l’une des six têtes d’un énorme serpent, une petite hydre. Le monstre avait tenté d’attaquer les soldats qui protégeaient la file de voitures. Une adolescente — ou plutôt un monstre qui en imite une, ma servante Lily — avait retiré la pointe ensanglantée de la lance. Elle avait facilement esquivé une autre tête qui essayait de planter ses crocs empoisonnés en elle, puis elle avait écrasé dans le sol la tête qui s’élançait.
« Taaah ! »
Elle utilisa son pied pour pivoter et tourner sur elle-même. Sa jupe blanche s’agita tandis que sa longue jambe décrivait un bel arc de cercle dans l’air, délivrant un coup de pied circulaire dans le cou de l’une des têtes de la petite hydre. L’impact fut bien plus dévastateur que son apparence délicate ne le laissait supposer. La tête du serpent s’envola dans l’obscurité de la forêt avec un craquement humide et disparut.
« Quel unilatéralisme… ! Ce n’est qu’un monstre des confins, mais quand même, » m’étais-je murmuré.
« N’est-elle pas géniale ? »
Je m’étais assis sur le siège du conducteur de la manamobile arrêtée. Gerbera tenait le tissu derrière moi, se penchant en avant avec amusement en me secouant les épaules.
Les mouvements de Lily étaient d’un niveau supérieur à ce qu’ils étaient auparavant. Non seulement elle avait gagné beaucoup de mana en mangeant la montagne de cadavres de monstres du Fort de Tilia, mais une partie de ses organes sensoriels étaient maintenant améliorés par le mimétisme, et il en était de même de son odorat après avoir mangé le premier croc de feu. En conséquence, non seulement elle avait une vue d’ensemble de la situation autour d’elle, mais elle connaissait même tous les détails de son propre corps, ce qui lui donnait un bien meilleur contrôle qu’auparavant.
merci pour le chapitre