Chapitre 1 : Rencontre inattendu avec un vieil ami
Partie 5
Après avoir savouré un moment la joie de leurs retrouvailles, ils s’étaient assis sur des chaises préparées dans la chambre d’amis. Il y avait tellement de choses qu’ils avaient besoin de demander à l’autre.
« Tu peux rester et écouter, Zheng, mais tu ne dois pas parler. », dit Liu à son assistant.
« Compris », Zheng s’inclina silencieusement et retourna dans l’un des coins.
Le regardant d’un air absent, Liu entama la conversation. De son point de vue, un ami que l’on croyait mort depuis longtemps était soudainement revenu à la vie. Il voulait naturellement savoir ce que Koichiro avait traversé. Surtout si cela concernait le souhait le plus cher de l’Organisation.
« J’avoue que je ne pensais pas que nous nous reverrions comme ça, Koichiro. Quand le rituel a mal tourné et que tu as été pris dans l’engrenage, nous avions tous cru que tu étais mort… »
S’interrompant, Liu dirigea un regard perçant vers Koichiro. Ses yeux étaient remplis d’une volonté de fer qui ne permettait aucun mensonge.
Il était logique qu’il devienne si sérieux, retourner à Rearth était ce qu’ils avaient tous cherché pendant de nombreuses années, et l’une des principales raisons de l’existence de l’Organisation.
« Alors… As-tu réussi à retourner sur Rearth ? Sur… notre Terre ? »
Liu Daijin mit des mots sur la question qui brûlait dans son cœur comme un hurlement.
Koichiro hocha lentement la tête.
« Oui… J’ai réussi à revenir. J’avais vécu ma vie de ce côté jusqu’à il y a quelques mois. »
En entendant ces mots, un sanglot s’échappa des lèvres de Liu Daijin. Il se pencha en avant, pressant Koichiro pour obtenir plus de réponses.
« Et quoi d’autre ? Est-ce que les autres sont revenus aussi ?! »
Lors de leur tentative de mener le rituel de contre-sommation, ils avaient essayé d’envoyer quelques personnes considérées comme des traîtres à l’Organisation à titre expérimental. Lorsque le rituel avait mal tourné, vingt-neuf membres de l’Organisation furent aspirés dans l’interstice dimensionnel. Les dirigeants de l’Organisation n’avaient eu d’autre choix que de les déclarer tous morts.
Mais puisque Koichiro avait survécu, il était possible que les autres soient encore en vie. Étant donné les résultats tragiques du rituel de contre-appel, l’Organisation avait scellé toutes les informations à ce sujet, et toute nouvelle recherche sur le sujet était strictement interdite. Mais en fonction des réponses de Koichiro, ils pourraient très bien les reprendre. Et dans le meilleur des cas, ils seraient en mesure de renvoyer leurs compagnons d’infortune sur Rearth à tout moment.
Mais tout en réalisant l’espoir fugace dont Liu était envahi, Koichiro devait relayer la dure vérité.
« Non, je n’ai pas vu les autres depuis lors… Ils sont probablement… Je suis désolé », Koichiro secoua la tête en silence.
En voyant l’espoir fugace dans les yeux de Liu se briser, Koichiro ne pouvait que s’excuser. Mais il ne pouvait pas mentir à ce sujet. Des vies humaines étaient en jeu.
« N’y a-t-il pas une chance qu’ils aient simplement atterri ailleurs et que tu ne les aies pas rencontrés ? »
Liu regarda Koichiro avec un regard accroché, comme s’il refusait d’abandonner tout espoir.
C’était en effet une possibilité, mais Koichiro y avait naturellement pensé lui aussi.
« Non. Cela me fait mal de le dire, mais je crois que les chances que cela se produise sont assez minces. Lorsque j’ai été pris dans le rituel, je me suis retrouvé dans l’État de l’Indiana aux États-Unis. J’avais été transporté dans une chambre d’une maison délabrée. »
À ces mots, l’expression de Liu était devenue amère.
« Donc la théorie d’Adelina Berezhnaya selon laquelle toute personne renvoyée se retrouverait à l’endroit d’où elle a été convoquée était vraie… »
« Oui. Il semblerait que oui. »
En entendant le nom d’un de ses camarades, qui avait été pris dans l’interstice dimensionnel à ses côtés, les yeux de Koichiro se remplirent de larmes. Le rituel de contre-sommation fut mis au point à partir d’une théorie créée par ce membre de l’Organisation, une Russe de génie.
L’idée derrière tout cela était simple. Lorsque quelqu’un était invoqué dans ce monde, cela signifiait que les barrières des deux mondes étaient levées. On pouvait comparer cela à un hôtel où les chambres étaient toutes gardées par un système de verrouillage automatique. Rearth était la chambre A, tandis que ce monde était la chambre B, et le couloir était l’interstice dimensionnel. Les portes étant les barrières de chaque monde
Dans cet exemple, le rituel d’invocation signifie que quelqu’un dans la pièce B appelle quelqu’un de la pièce A dans sa pièce. Le chant utilisé pour le rituel est comme une ligne téléphonique interne entre les pièces. La personne appelée de la chambre A ouvre la porte de l’intérieur et sort facilement, et la porte de la chambre B est également ouverte de l’intérieur.
Le problème commençait lorsque l’on se rendait compte que la personne A n’avait pas la clé de sa chambre et qu’elle se retrouvait enfermée à l’extérieur. C’était une situation courante qui, dans la plupart des cas, pouvait être résolue en demandant à la réception de déverrouiller la porte de la chambre.
Mais il existait une autre méthode, convoquer quelqu’un d’autre de la chambre A (Rearth) à la chambre B (ce monde). Au moment où cela se produisait, les deux portes s’ouvraient, mais le problème était de trouver le bon timing. Néanmoins, si tout se passait bien, il était possible d’infiltrer la porte verrouillée en suivant quelqu’un d’autre.
Bien que cette explication simplifiée puisse faire paraître l’exploit relativement trivial, plusieurs problèmes se posaient. Ils pouvaient se résumer à deux obstacles majeurs.
Le premier étant le timing mentionné plus haut. Ce rituel impliquait un déplacement entre les dimensions, et on ne savait toujours pas combien de temps les barrières restaient levées. Cela pourrait être des jours, des mois, ou de simples secondes, peut-être même une fraction de seconde. Et contrairement à une porte d’hôtel, qui produisait un bruit lorsqu’elle se fermait, les barrières n’indiquaient pas qu’elles avaient été levées ou fermées.
Et comme aucune recherche n’avait été effectuée sur le sujet, il serait donc impossible d’affirmer avec certitude que c’était le cas, mais au vu des quelques exemples existants, il était fort probable que les gens ne pouvaient pas survivre dans l’interstice dimensionnel.
En tant que tel, essayer de traverser les dimensions était comme essayer de patauger dans l’espace pour tenter de passer entre deux vaisseaux spatiaux. Et même si l’on n’avait pas le choix, il ne s’agissait pas seulement d’un pari risqué, mais d’un acte quasi suicidaire.
Et quand bien même on réussissait à franchir l’obstacle du temps, un autre problème subsistait : il fallait invoquer quelqu’un d’autre pour prendre sa place dans ce monde infernal. Pour pouvoir rentrer chez soi, il faudrait condamner quelqu’un d’autre à prendre sa place, un peu comme dans un jeu de pouilleux.
Ce dernier problème était le plus grand sujet de débat au sein de l’Organisation à l’époque. Il s’agissait d’un groupe de personnes qui avaient été appelées de force dans ce monde pour servir de pions jetables, et elles avaient toutes subi de grandes épreuves depuis leur convocation.
Certains avaient été contraints à l’esclavage et avaient été dépouillés de leur dignité et de leur liberté. Certains avaient vu leurs proches violés sous leurs yeux. Et ils devaient laisser quelqu’un derrière eux dans ce monde pour prendre leur place. Ils voulaient tous rentrer chez eux, bien sûr, mais ils ne voulaient pas le faire au détriment des autres. Ils voulaient rentrer chez eux d’une manière dont ils pourraient tous être satisfaits.
C’était ce que croyaient Koichiro Mikoshiba, Liu Zhong Jian et les autres membres dirigeants de l’Organisation. Mais ceux qui avaient été blasés par la nature de ce monde ne voyaient là que de l’idéalisme. De nombreuses personnes au sein de l’Organisation n’hésiteraient pas à prendre tous les moyens possibles, aussi affreux soient-ils, pour rentrer chez elles.
Et cela créa un schisme au sein de l’Organisation. Elle se divisa entre la faction du retour au pays, qui insistait pour rentrer chez elle quoi qu’il arrive, et la faction de l’opposition, qui refusait de s’abaisser à ce point, quelle que soit la gravité de la situation.
Si seulement nous avions pu en parler davantage à l’époque…
Ces regrets avaient hanté Liu depuis, ainsi que de nombreux membres de l’Organisation qui avaient su ce qui s’était passé à l’époque. Mais aucune discussion ne pouvait finalement changer le résultat. Ce n’était comme s’ils n’avaient pas discuté du tout de la question à l’époque. Après tout, les factions du Retour et de l’Opposition étaient toutes deux inflexibles sur leurs idéaux. Cette insistance et cette détermination étaient quelque chose que les deux factions avaient en commun.
Elles étaient arrivées à leur conclusion après avoir tout mis sur la table, leur avenir, leurs philosophies, leur humanité même. Et donc, quoi qu’on dise, ils ne pouvaient pas revenir sur la conclusion à laquelle ils étaient parvenus.
En conséquence, la faction du retour attaqua Adelina Berezhnaya, qui faisait des recherches sur le rituel de contre-sommation sur ordre de l’Organisation. Ils l’avaient forcée à effectuer le rituel, tandis que Koichiro et Liu avaient mené une force d’attaque sur le domaine où le rituel avait lieu.
Ce qui s’ensuivit fut une bataille entre des camarades qui avaient autrefois partagé joies et peines. Mais qui était en tort ici ? Il était difficile d’identifier une personne en particulier qui avait causé cela. Peut-être la faction du retour avait-elle raison de s’en prendre à la faction de l’opposition, qui poursuivait ses recherches sur le rituel de contre-appel sans avoir l’intention de l’utiliser.
« Tu le regrettes, Koichiro… ? », demanda Liu.
« Oui. Je ne suis toujours pas satisfait de tout cela », acquiesça Koichiro.
Sur le moment, les deux hommes avaient décidé d’arrêter le rituel coûte que coûte. Le résultat, cependant, ne s’était pas déroulé comme prévu. La tentative d’arrêter de force le rituel de contre-sommation fit dérailler le sort, aspirant Koichiro et ses vingt-neuf subordonnés dans l’interstice dimensionnel. Et, par coïncidence ou peut-être par caprice du destin, Koichiro fut ramené dans son monde.
Au moment où il réalisa qu’il était rentré chez lui, le cœur de Koichiro devint lourd de regrets et de culpabilité. Et même maintenant, un demi-siècle plus tard, ces sentiments n’avaient pas disparu. Il est vrai qu’il n’avait jamais eu l’intention de le faire, mais Koichiro avait quand même retrouvé le chemin de la maison, même si cela avait coûté la vie à de nombreuses personnes. On ne pouvait pas le nier.
« Je vois… Je ressens la même chose », dit Liu en poussant un profond soupir.
Suite à cet incident, l’Organisation perdit beaucoup de ses agents, et huit de ses dirigeants, dont Koichiro. Ce fut un coup dur. Il avait fallu plus d’une décennie pour que l’Organisation se remette vraiment des répercussions de cet événement.
Et pendant cette période, ceux qui avaient pu empêcher désespérément l’Organisation de s’effondrer sous son propre poids étaient les douze commandants dirigés par Liu, ceux qui allaient être connus sous le nom d’Anciens.
De la même manière que Koichiro avait retrouvé son chemin par le biais de coïncidences et de miracles, ceux qui étaient restés dans ce monde avaient également dû faire de nombreux sacrifices.
« Nous avons tous deux traversé beaucoup de choses, n’est-ce pas… Koichiro ? »
« On dirait bien, Zhong Jian. »
Et ainsi, les deux hommes s’étaient regardés pendant un long moment. Comme si chacun d’eux réfléchissait à ce que l’autre avait vécu au fil des ans.
merci pour le chapitre