Chapitre 3 : La renarde du Nord
Partie 4
« Vous plaisantez sûrement, Votre Majesté. Travailler à votre service signifie que toute joie à laquelle j’aurais pu prétendre m’a quitté depuis longtemps », dit Grisson avec humour, tout en la regardant avec une élégante révérence.
« Hm ! Peut-être que mes oreilles me jouent des tours, mais ne viens-tu pas de dire quelque chose de bizarre ? », dit Grindiana en penchant la tête.
« Ai-je dit quelque chose ? Je ne sais pas ce que vous avez en tête, Votre Majesté, mais je vous jure que je n’ai dit que la vérité. »
Cette déclaration n’était certainement pas quelque chose qu’un serviteur aurait dit à sa maîtresse. Grindiana contorsionna simplement ses lèvres en un sourire sardonique et choisit de ne pas presser Grisson davantage.
Le grand royaume d’Helnesgoula était servi par quatre généraux. Des quatre, Grisson était celui qui l’avait servi le plus longtemps, depuis qu’elle avait usurpé le trône à son père, le roi précédent. Il était son aide le plus proche. Ils ne le montraient jamais en public, mais il y avait un vrai lien entre eux deux qui allaient au-delà de la simple relation entre une souveraine et son serviteur. Un lien étroit qui était aussi fort que celui entre les personnes liées par le sang.
« Eh bien, peu importe… De toute façon, l’armée est prête à se déplacer à tout moment, non ? »
« Bien sûr, Votre Majesté. Un seul ordre de chevaliers sera laissé derrière pour protéger Memphis, mais le reste de notre armée a reçu l’ordre d’être prêt à bouger à tout moment. »
Les préparatifs de la guerre étaient déjà faits. Les dix ordres de chevaliers menés par Arnold Grisson étaient prêts comme un arc tendu, et attendaient que les flammes de la guerre soient allumées. Il ne restait plus qu’à décider où les envoyer.
« La question est de savoir comment aborder l’attaque, mais… », dit Grisson, mais il s’était tu.
« Je pense que mettre le pied sur le territoire de Xarooda est une mauvaise idée. Qu’en dis-tu, Arnold ? », dit Grindiana tout en levant les yeux au ciel alors qu’elle était étalée sur le canapé.
« Je préfère ne pas non plus me battre sur le sol Xarooda. Si vous nous ordonnez de gagner, nous gagnerons sans faute, mais il y a fort à parier que nos pertes n’en seront que plus importantes. »
« Je m’en doutais. »
Ni l’un ni l’autre ne se souciait particulièrement de ravager les terres de Xarooda. Cela n’avait même pas d’importance s’ils devaient être leurs alliés dans l’opposition à O’ltormea. Plus simplement, la seule chose qui les intéressait était leurs sujets, et les habitants d’un autre pays ne les concernaient pas.
Mais ils voulaient éviter de se battre sur le sol de Xarooda. Bien sûr, si l’on voulait interpréter cela comme un choix humanitaire, ils étaient libres de le faire, mais ils ne feraient pas un tel choix pour quelque chose d’aussi vague que cela. C’était un calcul rationnel et sans pitié, rien de plus.
La majeure partie du territoire de Xarooda était constituée de terrains montagneux, et les zones dégagées permettant le déploiement d’une grande armée étaient extrêmement rares. En plus de cela, il y avait des forêts épaisses qui limitaient la visibilité et des chemins de montagne étroits et sinueux. Combattre sur un tel terrain était une tâche ardue, même pour le général le plus expérimenté.
Au pire, leur supériorité numérique ne ferait que ralentir leur marche. Dans les cas où les deux armées étaient vastes, le champ de bataille optimal serait une grande plaine avec une bonne visibilité, où les deux camps pourraient se déplacer sans entrave.
« Nos espions nous ont fourni quelques informations, mais cela ne remplace pas une connaissance réelle du terrain… Eh bien, je suppose que nous entendrons ce que Mikoshiba a à dire lors du conseil de guerre demain. Il a probablement un plan. »
« J’imagine qu’il en a un… vu cette lettre, cet homme n’est pas à prendre à la légère… »
Grisson remarqua que Grindiana avait légèrement froncé les sourcils.
« La question est de savoir s’il est une menace pour nous ou pas… Qu’avez-vous pensé en le rencontrant, Votre Majesté ? »
« Tu veux dire qu’il est venu trop bien préparé ? », demanda-t-elle, et en voyant le sourire amusé sur ses lèvres.
L’instant d’après, Grisson secoua la tête en signe d’exaspération.
« Oui, j’admets que je ne m’attendais pas à ce qu’il vienne si bien préparé… »
À vrai dire, Grisson craignait l’homme qui avait posé sa grande carcasse sur ce sofa il y a peu de temps. Grisson était un guerrier expérimenté et avait survécu à de nombreuses batailles, mais son sentiment sincère était qu’il ne voulait jamais affronter Ryoma au combat. Il était sûr de pouvoir gagner la bataille s’ils devaient mener des armées l’un contre l’autre, mais il n’était pas à la hauteur de Ryoma en matière de diplomatie ou de stratégie.
Après tout, il égalait la maîtresse de Grisson, Grindiana, dans ces domaines, et avait le culot de ne pas flancher même face au dirigeant d’un pays. C’était un allié fiable, mais s’il devait se retourner contre eux, ce serait un adversaire difficile à battre.
Mais Grindiana le savait aussi bien que lui, et il n’y avait aucune trace d’anxiété dans son expression. Au contraire, elle avait l’air d’avoir enfin trouvé un adversaire digne de ce nom pour la défier.
« Je ne peux pas dire que je n’y prête pas attention, mais il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Tant que nos quatre pays resteront alliés, Ryoma Mikoshiba ne se retournera jamais contre Helnesgoula. Je peux l’affirmer en toute confiance, car il comprend l’importance de l’économie et les profits à en tirer. »
Elle s’était moquée des doutes de Grisson en regardant la carte et la lettre étalées sur la table. Grindiana avait ensuite pris une boule de gomme et l’avait mise dans sa bouche. Le Royaume de Rhoadseria, Myest et, le plus important actuellement, Xarooda. Une lettre écrite par l’un des trois pays de l’est du continent occidental n’était pas quelque chose que l’on devrait simplement jeter au hasard sur la table.
Ma parole… Quand je pense que c’est ainsi que se conduit ma maîtresse, la redoutée Renarde du Nord…
Ravalant les mots d’admonestation qui lui montaient à la gorge, Grisson poussa la boîte pleine de bonbons sur le côté de la table et étala la lettre.
« Son plan était pourtant bien pensé. Lier un traité de commerce à l’alliance… Les quatre pays vont en profiter. », dit Grisson en soupirant d’étonnement.
La suggestion de Ryoma pourrait très bien être appelée une œuvre d’art.
« Du point de vue de Xarooda, ils n’ont qu’à nous reconnaître en tant que leaders de l’alliance et ils recevront les renforts dont ils ont besoin. Pour ce prix-là, ils pourront conserver leurs précieux territoires. Ils sauteraient naturellement sur cette proposition sans la moindre hésitation. », dit Grindiana.
Grisson considéra ses paroles avec un profond hochement de tête.
« Ayant été affaiblie par la guerre civile, Rhoadseria est la moins intéressée à entrer dans cette guerre. Le fait que notre intervention mettra plus rapidement fin aux hostilités est une raison suffisante pour qu’ils se réjouissent… Et comme ils ont l’intention de récupérer leur puissance nationale, cette alliance est une aubaine pour eux. Notre soutien facilitera leur rétablissement. »
« Oui, et notre économie, ainsi que celle de Myest, sera florissante grâce à l’augmentation des échanges commerciaux. Un plan parfait dont tout le monde sortira gagnant… En apparence, du moins. »
Un plan dont tout le monde sortira gagnant. Un plan dont tout le monde pourrait profiter. Mais Grindiana avait bien vu les véritables intentions de Ryoma.
« Car si les quatre royaumes en profitent tous, celui qui en tirera le plus grand profit est Ryoma Mikoshiba, gouverneur de la péninsule de Wortenia… Heh. »
Les yeux de Grindiana brillaient d’un éclat envoûtant en regardant la position de la péninsule de Wortenia sur la carte. Lorsqu’il s’agissait de traverser le nord du continent, le plus grand défi était le no man’s land inexploré connu sous le nom de Péninsule de Wortenia. C’était une terre dangereuse qui servait de lieu de reproduction à des monstres féroces et de cachette à des pirates sauvages.
Mais cette terre pourrait très bien être transformée en un coffre au trésor, grâce à la formation de l’alliance des quatre royaumes.
Vraiment bien conçu…
Alors que Grindiana était allongée sur le canapé, le visage de l’homme qui avait imaginé ce plan était apparu dans son esprit. Dans la lettre qu’elle avait reçue, il y avait des stipulations concernant non seulement la défense nationale, mais aussi les échanges et le commerce. La suggestion de créer un taux tarifaire uniforme à travers les quatre royaumes conduirait à une augmentation des importations et des exportations, et sa méthode pour une procédure simplifiée de passage des frontières permettrait aux personnes et aux marchandises de circuler plus rapidement. Cela ne pouvait qu’apporter un profit encore plus grand à Helnesgoula et Myest, qui commerçaient fréquemment avec d’autres continents.
Mais cela signifiait-il que Rhoadseria et Xarooda, qui n’avaient pas d’échanges commerciaux aussi importants, ne recevraient aucune faveur de cette réforme ? Peut-être pas directement, mais un marché stimulé entraînait une augmentation des recettes fiscales. Les quatre royaumes mettraient tous davantage l’accent sur le commerce et les échanges.
Ainsi, Helnesgoula n’aurait plus besoin de conquérir et de détruire les trois royaumes de l’est. Plutôt que d’aller à la guerre et de les extorquer, ils avaient maintenant un moyen plus sûr et plus efficace d’obtenir de l’argent.
Et quand cela arrivera… Qui en profitera le plus, je me le demande… ?
Dans un futur pas si lointain, le trafic commercial augmentera à une échelle jamais vue auparavant. Et lorsque cela se produira, la demande augmentera à un point tel que les voyages terrestres ne suffiront plus à répondre à la demande du marché. Les marchands se tourneraient vers les routes maritimes. Oui, la route maritime au nord du continent occidental…
« Transporter des fournitures en grand nombre est beaucoup plus rapide en mer que sur une route terrestre. Maintenant que la péninsule de Wortenia a été purgée des pirates, la route maritime du nord serait inévitablement reconsidérée. Dans peu de temps, la ville sur la péninsule prospérera en tant que point de relais pour les marchands. »
Le port sur Wortenia ne fonctionnerait pas seulement comme un point de réapprovisionnement pour les navires, mais aussi comme un marché pour les marchands qui vendraient leurs marchandises en Rhoadseria. Et éventuellement, il pourrait également établir des échanges avec d’autres continents. Tant qu’ils n’appliquaient pas une politique insensée, leur prospérité était garantie.
« Le caractère de cet homme est assez clair. Il est prudent, mais audacieux. Et il est assez prudent pour ne jamais montrer l’étendue de ses capacités aux autres, afin de ne pas attirer inutilement l’attention. Heheh… Il est effrayant. Il s’est assuré le plus grand profit de tous, mais a réussi à le tourner d’une manière qui fait que personne ne sera mécontent de lui… Heh. Bien que je suppose que, étant donné la puissance militaire qu’il a, il doit éviter de se faire remarquer. »
Plus une personne recevait une somme d’argent importante, plus elle était poussée à en profiter. On pourrait prétendre qu’un tel trait était enraciné dans l’instinct humain. Mais en agissant ainsi, on s’attirait la jalousie des autres. Bien sûr, si on pouvait se débarrasser de cette jalousie et conserver cette richesse, ce n’était pas un problème, mais Ryoma n’avait pas le pouvoir de le faire. Et il le savait très bien.
« Vos complots ont quelque peu dévié, Votre Majesté. Normalement, vous auriez dû les isoler et les accueillir… Mais je ne m’attendais pas à ce qu’ils viennent avec une proposition », dit Grisson avant de soupirer.
merci pour le chapitre