Chapitre 3 : La renarde du Nord
Table des matières
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Chapitre 3 : La renarde du Nord
Partie 1
Ryoma et Orson Greed furent guidés vers une pièce, et se trouvaient maintenant devant sa porte, où un homme les accueillit avec un sourire. Mais Ryoma pouvait voir que derrière ce sourire, ses yeux étaient animés d’une volonté farouche.
« Vous êtes donc le Seigneur Ryoma Mikoshiba et Sire Orson Greed… J’ai entendu dire que vous étiez des messagers de Xarooda… »
L’homme regarda Ryoma avec curiosité.
« Vous êtes assez jeunes. Mais le fait qu’on vous ait confié la volonté d’un pays montre que vous devez être tout à fait capable. »
Malgré la soudaineté de leur visite, son expression ne trahissait pas une once de mécontentement.
« Ce long voyage a dû être assez épuisant. Pourquoi n’entrez-vous pas pour prendre du thé et des friandises ? »
Sur ce, l’homme fit signe à Ryoma et Orson d’entrer dans la chambre d’amis et de s’asseoir sur un canapé, comme pour dire que tout cela était prévu.
Ils avaient vraiment prévu notre arrivée… Eh bien, s’ils ne pouvaient pas le faire, il n’y aurait eu aucune raison de traiter avec eux, murmura Ryoma en voyant l’expression de l’homme.
Dès qu’ils s’étaient présentés aux portes du château, on les avait fait entrer sans leur demander de prouver leur identité, puis on les avait conduits dans cette pièce. Ce seul fait indiquait clairement que les gens d’Helnesgoula gardaient un œil sur Ryoma, ou du moins recueillaient des informations sur ses actions.
Même avec leurs capes brodées des armoiries de la maison royale de Xarooda, ils avaient été autorisés à entrer. N’importe qui pouvait probablement préparer des manteaux comme ceux-ci sans trop de difficultés, ils ne pouvaient donc pas compter comme une preuve indiscutable de leur allégeance…
« Je m’excuse de ne pas m’être présenté en premier… Je suis Arnold Grisson. Mon rang est celui d’un général de l’armée d’Helnesgoula, et ma position est celle de commandant suprême du front oriental. »
Arnold Grisson était un homme mince au visage pâle. Il semblait avoir une trentaine d’années, et bien qu’il mesurait environ 180 centimètres, son corps ne pouvait pas être qualifié de musclé. En regardant le dos de sa main, Ryoma avait remarqué qu’il était frêle, ce qui impliquait que l’homme n’était pas en très bonne santé.
Ses cheveux blonds étaient séparés en deux, et malgré son jeune âge, il y avait déjà quelques mèches blanches ici et là. Peut-être le résultat du stress et de l’inquiétude, pensa Ryoma. Il portait une paire de lunettes à monture argentée, et dans l’ensemble son apparence ne donnait pas l’impression qu’Arnold Grisson était un homme de guerre. S’il s’était présenté comme un marchand ou un érudit, Ryoma aurait eu plus de facilité à le croire.
Mais ses yeux seuls racontaient une histoire complètement différente. Des yeux bleus et aigus qui semblaient percer les autres, comme ceux d’un aigle.
Ryoma s’était incliné poliment après avoir pris un siège.
« Nous nous excusons sincèrement pour cette visite soudaine, Seigneur Grisson. Le Royaume de Xarooda est actuellement menacé de ruine, aussi nous vous demandons de nous pardonner de venir sans préavis. Je suis Ryoma Mikoshiba. Assis à mes côtés se trouve le capitaine de la garde monarchique de Xarooda, le Seigneur Orson Greed. »
« Oh… pour quelqu’un de si jeune, vous respectez l’étiquette. J’ai entendu dire que vous étiez à l’origine de statut roturier, mais je vois que vous vous êtes habitué à votre position. », fit remarquer Grisson tout en regardant le visage de Ryoma calmement.
Grisson enleva ensuite ses lunettes et essuya les verres. Sa remarque ne comportait aucune nuance malveillante. Il semblait que son opinion sur Ryoma était en fait positive.
Je me demande néanmoins si c’est vraiment ce qu’il ressent… Ryoma réfléchit avec méfiance.
Ce dernier savait que dans ce monde, croire ce que les gens disaient pour argent comptant était extrêmement dangereux. C’était d’autant plus vrai lorsque la personne en question était un noble. Ainsi, alors que l’attitude de cet homme semblait plutôt amicale, Ryoma savait qu’il pouvait très bien cacher ses véritables intentions. Peut-être regardait-il Ryoma avec dédain, comme le faisaient les nobles de Xarooda.
Ryoma avait constaté à maintes reprises que les personnes influentes de ce monde avaient tendance à être impulsives. Ils se croyaient privilégiés et protégés par le système de classes de ce monde, et ne ressentaient donc aucun besoin de réguler la façon dont ils s’adressaient aux autres.
Les nobles étaient, pour la plupart, des monstres hautains, froids et cruels.
Mais même cette réalité avait ses exceptions. Et les exceptions apparentes pouvaient présenter une apparence amicale comme un moyen de cacher leurs crocs mortels et venimeux. Quelles que soient les véritables intentions d’Arnold Grisson, Ryoma ne pouvait pas se permettre de se détendre en ce moment. Les négociations étaient encore devant lui.
Je vais devoir faire particulièrement attention à lui…
Il s’était préparé au cas où un adversaire inattendu tenterait de le frapper. Bien sûr, il savait qu’il ne fallait pas le laisser paraître. Lui aussi était capable de cacher ses intentions et de simuler un sourire.
Je vais d’abord devoir prendre le contrôle de la conversation et voir quelle est son attitude.
Et pour ce faire, Ryoma entra directement dans le vif du sujet.
« Je m’excuse, mais nous sommes assez pressés par le temps, je vais donc devoir aller droit au but de notre visite ici. »
Rendre ses intentions aussi claires n’était pas conventionnel dans les négociations, mais à l’inverse, c’était précisément pour cette raison que cela pouvait surprendre l’autre partie. Et une personne surprise pourrait accidentellement révéler ses véritables intentions.
Mais cette négociation n’était pas le genre d’endroit où une telle ruse enfantine pouvait fonctionner.
« Très bien. Je n’ai personnellement pas trop le temps de bavarder tranquillement. »
Grisson haussa les épaules, incitant Ryoma à poursuivre.
« Notre affaire ici est très simple. Nous demandons que le Royaume d’Helnesgoula nous aide, car nous sommes actuellement en position d’infériorité dans notre guerre avec O’ltormea. », dit Ryoma.
Grisson leva un sourcil, son expression semblant quelque peu surprise. Le sourire froid sur ses lèvres, cependant, reflétait ses véritables sentiments.
« Hoh. Vous êtes là pour demander notre aide… », chuchota le général Grisson.
« Oui… Je vous en prie. », dit Ryoma en acquiesçant sèchement.
Les deux hommes se regardèrent de l’autre côté de la table pendant un moment, un silence s’installant sur eux. C’était comme s’ils essayaient de discerner les intentions de l’autre. Mais alors, Grisson sépara brusquement ses lèvres.
« Oui, je suppose qu’étant donné la situation actuelle de Xarooda, vous ne viendriez pas ici pour d’autres affaires… »
Grisson s’arrêta là, ses lèvres se recourbant en un rictus.
« Mais vous êtes persistant. C’est comme être harcelé par un mendiant des bas-fonds. »
Sa voix était sereine et posée, mais le dédain contenu dans ses mots était intense. Même si son pays était assez grand pour être appelé la Bête du Nord, parler ainsi à l’envoyé diplomatique d’un autre pays était inacceptable.
Ces mots étaient un coup puissant, le genre de coup que l’on ne portait que lorsqu’on était prêt à partir en guerre.
Et c’était pourquoi ces mots étaient probablement un résumé de sa véritable intention. Non… Pas seulement les siennes. C’était probablement la véritable intention des dirigeants d’Helnesgoula.
« Comment osez-vous ! »
Greed cria alors son indignation.
Il était vrai que c’était son camp qui venait demander de l’aide, et Greed savait très bien que, puisqu’il venait en tant que représentant de Xarooda, ses paroles et ses actions avaient des implications sur l’ensemble du royaume. Mais malgré tout, il ne pouvait pas tolérer l’insulte de Grisson.
Mais alors que Grisson s’était levé en colère, Ryoma leva une main pour l’arrêter. Il tourna ensuite son regard vers Grisson, comme si rien ne s’était passé. Si Ryoma avait raison sur les intentions d’Helnesgoula, leur manque de patience et l’utilisation d’un tel langage étaient compréhensibles.
Pour commencer, Xarooda était dans une position où il demandait de l’aide à Helnesgoula. Si une provocation aussi minime était suffisante pour attiser leur colère, ils ne seraient pas en mesure d’agir correctement lorsque le besoin s’en ferait sentir.
Et en plus, il testait probablement notre caractère et nos motivations.
Mettre intentionnellement en colère l’autre partie pour jauger sa réaction était une tactique que Ryoma utilisait souvent. Il savait donc que succomber à la colère et exprimer son indignation ici serait un mauvais choix. Grisson ne ferait que profiter d’eux de cette façon.
« Je suis sûr que cela doit faire cet effet après tout ce temps… », dit Ryoma comme si tout allait bien.
Grisson avait plissé les sourcils. Il semblait avoir senti quelque chose dans la manière douce dont Ryoma avait esquivé son insulte.
« Cela fait plus d’un an que nous occupons Memphis. Vous nous avez envoyé de nombreux messagers, nous demandant de venir en aide à Xarooda. Je pense que ce fait seul devrait vous dire tout ce que vous devez savoir sur notre politique en la matière. »
« Oui, je comprends cela. De votre point de vue, qu’O’ltormea occupe maintenant Xarooda serait pratique. Stabiliser le territoire après la chute du pays leur prendrait du temps, et c’est là que vous prévoyez de frapper… N’est-ce pas ? »
Le général Grisson rit de bon cœur, avec une expression bien plus sombre que tout ce qu’il avait montré jusqu’à présent. C’était le rire d’un carnivore, se léchant les lèvres à la vue d’une proie.
« Je vois que vous avez deviné nos intentions, Seigneur Mikoshiba… Vous êtes aussi perspicace que les rumeurs le disent. Hmm, je comprends mieux pourquoi vous vous êtes élevé si jeune du statut de roturier au rang de noble. Votre compréhension de la situation est impressionnante. »
Grisson coupa alors ses mots, et leva la tasse de thé sur la table jusqu’à ses lèvres avant de poursuivre.
« Vous avez tout à fait raison. Nous n’avons aucun intérêt dans la survie de Xarooda. Vu la situation, le plus que Xarooda puisse nous offrir est une cession de leur territoire, mais ce n’est pas suffisant pour faire pencher la balance… Du moins pas quand la guerre totale avec O’ltormea est de l’autre côté, hmm ? »
Au moment où ces mots avaient atteint ses oreilles, le visage de Greed était devenu livide. C’était la pire chose qu’il puisse entendre. Mais contrairement à Greed, Ryoma avait calmement et soigneusement répété les mots de Grisson dans son esprit.
C’est exactement comme je le pensais… Dans ce cas…
Les mots du Général Grisson étaient vrais. Helnesgoula n’avait aucune raison de sauver Xarooda, du moins pas au point d’affronter volontairement O’ltormea. Plutôt que d’accepter des conditions bancales comme la cession d’un territoire, il serait beaucoup plus facile pour eux de laisser O’ltormea occuper le pays, puis de le réoccuper sous la bannière de la « libération ».
Bien sûr, il faudrait trouver le bon timing pour le faire. Cela ne fonctionnerait bien avant la stabilisation du régime d’occupation d’O’ltormea, lorsque la haine et l’agitation s’enveniment dans le cœur des roturiers de Xarooda.
Tant que les citoyens de Xarooda vivant dans les territoires n’étaient pas tous massacrés ou forcés d’émigrer ailleurs, un nouveau dirigeant serait toujours obligé de faire face à la possibilité d’une révolte. C’était pourquoi Helnesgoula n’avait fait aucun mouvement pendant l’année qui s’était écoulée, depuis qu’ils avaient occupé la ville frontière, Memphis.
Mais Ryoma pouvait dire que Grisson n’avait pas divulgué toute la profondeur de leurs plans.
« Bien sûr que non. », affirma Ryoma suite à la déclaration de Grisson sans changer son expression.
Cela fit changer l’expression de Grisson. Ses yeux étaient remplis de confusion et de suspicion. L’attitude et les mots de Ryoma étaient incohérents et contradictoires. Du moins, c’était la seule façon dont Grisson pouvait les interpréter.
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Partie 2
Grisson pencha alors la tête : « C’est étrange… Il semblerait que vous ayez lu la situation à l’avance… Mais si vous comprenez nos objectifs, vous devez réaliser que nous n’avons pas l’intention d’envoyer des renforts à Xarooda. Dans ce cas, pourquoi êtes-vous venu ici ? »
Grisson n’arrivait pas à comprendre pourquoi un homme qui comprenait si bien les intentions d’Helnesgoula venait les voir en pleine guerre.
« Pour demander votre aide, bien sûr », dit Ryoma.
« Je vois. Je dois donc interpréter cela comme votre façon de dire que vous êtes prêts ? »
Grisson dirigea un regard interrogateur vers Ryoma.
« Si par “prêts”, vous voulez dire que nous sommes prêts à devenir un de vos états vassaux, Seigneur Grisson, j’ai bien peur de vous informer que vous avez tort. », dit simplement Ryoma en haussant les épaules.
Au son de ces mots, le visage de Grisson se déforma pour la première fois. Ses traits étaient pleins de colère, de dédain et de moquerie. Ce n’était en aucun cas une réaction surprenante. Au contraire, étant donné le déroulement de la conversation, le fait que Grisson ne soit pas entré dans une colère noire n’était rien d’autre qu’une heureuse coïncidence.
« Je vois maintenant que vous êtes venus ici pour vous moquer de nous… »
Grisson se leva de son siège, comme pour mettre un terme à la conversation.
« Et bien que ce fut vraiment un échange agréable, je pense que le faire durer plus longtemps serait une perte de temps. Je m’excuse, car vous venez de loin, mais je dois vous demander de partir. »
« Quoi ?! Attendez ! »
Greed, qui s’était contenté de surveiller l’échange jusqu’à présent, ne put s’empêcher d’élever la voix.
Il avait été briefé à l’avance, mais c’était Ryoma qui était chargé de gérer les négociations. Greed savait qu’il n’était pas fait pour ce genre de choses, il s’était donc assis tranquillement et il avait observé les discussions. Mais les négociations étaient sur le point d’échouer. Il n’avait donc pas pu s’empêcher de dire quelque chose.
« Y a-t-il quelque chose d’autre à dire ? Je ne vois pas en quoi vous êtes tous les deux différents de tous les autres messagers que vous nous avez envoyés cette année », dit Grisson avec amertume.
Sa voix était aussi froide qu’une lame de glace, destinée à abattre l’autre partie. Face à cette colère glacée, Greed ne pouvait rien dire de plus. Mais Ryoma, en revanche, n’avait pas changé son expression d’un iota.
« Cette farce est terminée. Partez », dit Grisson tout en dirigeant un regard aiguisé vers Ryoma.
C’était un ordre absolu. Malgré le fait que ce jeune homme semblait trop mince pour être un guerrier, Grisson était un général responsable du front oriental d’Helnesgoula. N’importe quel homme ordinaire serait obligé d’obéir.
L’expression de Ryoma n’avait cependant pas changé.
C’est maintenant que ça passe où ça casse…
Ryoma prit une profonde inspiration pour se calmer, et utilisa le dernier atout qu’il avait préparé pour cette situation.
« Je vois… Dans ce cas, j’aimerais que vous me laissiez parler à la souveraine d’Helnesgoula, Sa Majesté la Reine Grindiana. Ici et maintenant. »
Au moment où ces mots quittèrent les lèvres de Ryoma, l’air de la pièce s’était figé. Grisson et Ryoma s’étaient regardés de l’autre côté de la table. Dix secondes passèrent, puis vingt… Une horloge mécanique posée sur l’un des luminaires de la pièce comptait seule le passage du temps, son tic-tac semblant bien plus fort qu’il n’aurait dû l’être. L’atmosphère oppressante faisait que le temps ralentissait de façon interminable.
Qu’est-ce qu’il vient de dire… ?! Grisson répétait les mots de Ryoma dans son cœur tandis qu’un frisson parcourait son échine.
La reine d’Helnesgoula, Grindiana Helnecharles, n’était actuellement nulle part près de cette ville de première ligne qu’était Memphis. Elle se trouvait à Dreisen, la capitale du royaume. C’était la seule et unique vérité que le jeune homme qui se tenait devant lui aurait dû savoir.
La plupart des citoyens d’Helnesgoula auraient dû le savoir aussi. Et donc, ce que le garçon, qui le regardait droit dans les yeux, venait de dire n’avait aucun sens. Il pensait rire de bon cœur de ce que Ryoma venait de dire, mais avant qu’il ne le sache, sa gorge était sèche et bouchée. Sa voix ne voulait pas sortir. Grisson souleva la tasse de thé de la table et la porta à ses lèvres, faisant de son mieux pour cacher son agitation.
Ce n’est pas possible. A-t-il vraiment vu les intentions de Sa Majesté ?
Des espions et des marchands lui avaient déjà rapporté des nouvelles de ce jeune homme, affirmant qu’il était extrêmement intelligent et vif. À tel point que malgré ses origines de roturier, son intelligence était suffisante pour renverser le destin d’un pays entier…
Mais peut-être que Grisson avait sous-estimé la validité de ces rapports. Il admettait que Ryoma était brillant, mais l’idée que quelqu’un puisse être à la hauteur de la maîtresse qu’il servait était impensable.
Non, impossible… Le fait qu’il lise ses stratagèmes signifierait qu’il est à la hauteur de sa sagesse. Et ça ne peut pas être…
À cet instant, le garçon qui souriait calmement devant lui ressemblait à un monstre pour Grisson. Un monstre sous forme humaine, un peu comme sa maîtresse, Grindiana.
« Cela ne peut être arrangé… Sa Majesté est à Dreisen… »
Grisson rompit le silence, parvenant enfin à prononcer les mots.
Mais sa voix n’avait pas la même intensité qu’auparavant. Et en voyant l’expression de Grisson changer, Ryoma sut qu’il avait gagné ce pari.
« Elle est donc à Dreisen ?… Je ne pense pas que ce soit possible. », dit Ryoma en souriant.
Son regard perçant fit se contorsionner le visage de Grisson avec colère.
« Quelle base as-tu pour suggérer que… »
Jusqu’à présent, Grisson avait le contrôle de la situation. Mais maintenant, les choses avaient complètement changé. Le garçon assis sur le sofa devant lui avait le contrôle total de la conversation. Grisson n’avait jamais eu l’intention de regarder Ryoma de haut et de supposer qu’il était un petit garçon ignorant, mais cela dépassait ses hypothèses les plus folles.
Grisson dirigea un regard presque suppliant vers le miroir accroché dans la pièce… Sans le vouloir.
« J’ai mes raisons… Mais je préfère les expliquer à la Reine Grindiana. Cela m’éviterait des ennuis. »
« C-C’est… »
Grisson resta une fois de plus sans voix. Il ne pouvait ni confirmer ni infirmer ces soupçons.
« Eh bien, c’est vraiment problématique… », dit Ryoma d’un air plutôt ennuyé.
Il ne pouvait pas se permettre de perdre son temps avec une personne sans aucune autorité. Au lieu de cela, Ryoma tourna son regard vers le miroir sur le mur.
« Je suis sûr que vous êtes consciente de cela, mais nous n’avons pas beaucoup de temps », dit-il.
Grisson pâlit en réalisant le sens de son regard et de ses paroles.
Il a… Comment ?!
Une négociation pourrait très bien être appelée une bataille où chaque partie essaie de jauger les intentions de l’autre. Et par une magie inconnue, cet homme avait en quelque sorte compris le mécanisme derrière la pièce dans laquelle ils se trouvaient. Et cela signifiait qu’il avait vraiment et honnêtement compris les plans d’Helnesgoula.
Et plus que tout, cela signifiait que Ryoma avait gagné la bataille préliminaire qu’était cette réunion. Et il ne s’était pourtant pas pressé ni avait insisté sur la question à ce stade.
« Mais je suppose qu’apparaître si soudainement et demander à voir la reine serait impoli de notre part… Je suppose que nous allons faire comme vous l’avez dit, Général, et rentrer pour aujourd’hui… »
Sur ces mots, Ryoma se leva du canapé et incita Greed, dont les yeux partaient dans toutes les directions dans la confusion, à le suivre.
« Allons-y, Capitaine Greed. Nous devrions nous faire discrets. »
Ryoma s’était ensuite incliné respectueusement devant le miroir, et s’était dirigé vers la porte. Seuls Grisson et une autre personne avaient compris la signification de ce geste.
« H-Hey, attendez ! »
Greed s’était empressé de saluer Grisson et avait suivi Ryoma.
Même sans connaître les détails, son intuition de chevalier chevronné l’incitait à obéir à Ryoma.
« Nous allons donc prendre congé. Nos subordonnés ont pris un logement dans la ville de Memphis. Nous vous communiquerons le nom de l’auberge plus tard. Je m’excuse, Général Grisson, mais j’apprécierais que vous transmettiez mon message à la Reine Grindiana. »
Inclinant respectueusement la tête une fois de plus, Ryoma tourna la poignée de la porte de la chambre. Mais sa main s’était soudainement arrêtée lorsque la voix d’une tierce personne, qui n’était soi-disant pas dans cette pièce, avait retenti.
« Vous pouvez arrêter de tenter de susciter une réaction. Je suis sûre que nous sommes tous deux malades et fatigués de cette farce. »
Ryoma s’était retourné et s’était retrouvé face à une femme qui n’était pas là il y a un instant.
C’est donc de là qu’elle est sortie…
Ryoma remarqua qu’une des bibliothèques était maintenant inclinée. Elle observait probablement Ryoma à travers le miroir. Et ayant jugé que cela valait la peine de négocier avec lui, elle avait quitté la pièce cachée adjacente.
« J’ai entendu toutes sortes de choses sur vous. Un jeune héros du Royaume de Rhoadseria, et une personne venue d’un autre monde appelé par l’Empire d’O’ltormea. C’est vous, n’est-ce pas ? Ryoma Mikoshiba. », dit la femme, un sourire ravi sur les lèvres.
Sa voix était aussi juste que le carillon d’une cloche, mais pleine du désir de voir les autres tomber prostré devant elle. Elle se tenait à côté de Grisson, dégageant un sentiment de présence écrasant. Ryoma se contenta d’incliner la tête, l’expression recueillie et calme.
« Je suis honoré de pouvoir voir votre visage, Votre Majesté la Reine, Grindiana Helnecharles. »
Alors que Ryoma regardait la femme et la couronne étincelante posée sur sa tête, la jeune reine d’Helnesgoula, Grindiana Helnecharles, écarta ses lèvres dans un élégant sourire.
« Alors, recommençons cette discussion, d’accord ? »
Grindiana s’était assise sur le canapé, et regarda Ryoma qui était assis en face d’elle.
Hmm… Je vois.
Ryoma regarda à nouveau la reine souriante assise devant lui. Conformément à ce qu’il avait entendu, on ne pouvait pas dire qu’elle était une belle femme. Sa robe blanche était ornée de dentelle et de pierres précieuses, mais en termes de traits et d’apparence personnelle, on ne pouvait pas la comparer à Lupis ou Shardina.
Cela dit, si on lui demandait si elle était laide, la réponse serait non. Si quelqu’un allait jusqu’à la traiter de femme ordinaire, il le ferait probablement par pure rancune. Ses cheveux dorés bien peignés ondulaient gracieusement, et les yeux bleus au sommet de son visage en amande étaient illuminés d’une volonté intense qui semblait attirer l’attention.
Elle est belle sans être pour autant magnifique.
Ses traits étaient certainement justes, du moins selon les normes de Ryoma. Mais si elle n’avait pas la beauté digne de Shardina et Lupis, elle avait un certain charme. Une certaine atmosphère qui induisait la convivialité. Un visage qui faisait que les gens l’appréciaient plus facilement. Elle avait l’air d’avoir une vingtaine d’années et de frôler la trentaine. Mais il avait l’impression qu’elle aurait pu avoir dix ans de plus, mais qu’elle était suffisamment habile pour cacher cet âge.
« Alors, par où devrions-nous commencer ? », répondit Ryoma à sa question sans aucune réserve.
Les yeux de Grindiana s’écarquillèrent un instant avant qu’elle ne laisse échapper un gloussement amusé. Le comportement de Ryoma était bien trop direct, étant donné qu’il s’adressait à la reine d’un pays pour la première fois.
Peut-être que je peux attendre encore plus de lui que je ne le pensais.
Elle ne détestait rien de plus que d’avoir affaire à des imbéciles.
« Voyons voir, alors. Grisson semble plutôt agité, alors peut-être pourriez-vous expliquer comment vous avez su que j’étais ici à Memphis. Vous êtes d’accord avec ça, hein, Grisson ? »
Grindiana tourna alors son regard vers Grisson, qui se tenait à côté d’elle.
Il hocha simplement la tête sans mot dire, après quoi Ryoma commença à parler.
***
Partie 3
« Honnêtement parlant, je ne savais pas que vous étiez ici avant. J’ai simplement considéré les conditions, et j’ai supposé que vous deviez avoir une sorte de méthode vous permettant de rester en contact avec Grisson, qui est stationné ici à Memphis. »
« En d’autres termes, je peux considérer que vous dites comprendre mon objectif ici ? »
« Peut-être pas dans son intégralité, mais… En grande partie, je pense que oui. »
Ryoma acquiesça tranquillement, et étala une carte du continent occidental sur la table. En voyant son attitude, Grindiana tapa dans ses mains, les yeux brillants de joie. Elle se sentait comme un enfant à qui l’on venait de présenter le cadeau de Noël qu’elle désirait le plus.
« Vous me plaisez. J’ai perdu une année précieuse de ma vie à donner à ces bouffons de Xarooda tous les indices dont ils avaient besoin et même plus, mais ils n’ont toujours pas compris… Honnêtement, je commençais à me demander s’ils n’essayaient pas de se faire détruire par O’ltormea. Imaginez que vous mettiez en place un puzzle et qu’il ne soit jamais résolu. Est-ce que quelque chose pourrait être plus douloureusement décevant ? »
Bien qu’elle ait parlé du destin d’un pays entier, le ton de Grindiana était aussi léger que s’il s’agissait d’une conversation entre amis. Le contenu de ce qu’elle disait, cependant, était insupportablement lourd.
« Eh bien, si cela devait arriver, je m’adapterais simplement à cette situation… N’est-ce pas ? », avait-elle ajouté de manière significative.
Les mots étaient prononcés de manière si légère et naturelle que l’on aurait pu facilement mal les entendre. Et en voyant cela, Ryoma confirma que ses soupçons étaient vrais.
Elle s’est donc arrangée pour que, peu importe comment les choses se passent, elle s’en sorte… Pas étonnant qu’on l’appelle une renarde.
Elle était aussi capable de gérer un grand royaume comme Helnesgoula à son jeune âge, c’était un fait indiscutable.
« Alors, écoutons votre réponse », dit Grindiana, les yeux brillants comme un enfant face à un jouet.
De son point de vue, ce que Ryoma était sur le point de faire était la résolution d’un puzzle et rien d’autre.
« Bon, très bien… La première chose que j’ai remarquée est qu’Helnesgoula a levé son armée rapidement et a déclaré la guerre, mais s’est arrêté après avoir occupé Memphis. »
Le doigt épais de Ryoma dessina un cercle autour de la position d’Helnesgoula sur la carte.
« Cela va probablement sans dire, mais si O’ltormea finissait par prendre Xarooda, Helnesgoula serait coincée entre ses plus grands rivaux sur trois fronts — est, ouest et sud. Au nord, vous avez la mer, mais dans l’intérêt de la défense nationale d’Helnesgoula, la chute de Xarooda n’est pas quelque chose que vous pouvez tolérer. Mais malgré tout, vous avez arrêté vos armées à Memphis, ce qui ressemble à un appel à la négociation. »
« Hmm. Oui, votre analyse est correcte là. »
Grindiana fit un signe de tête satisfait.
Il était vrai que voir O’ltormea occuper les territoires de Xarooda n’était pas une situation que Helnesgoula pouvait ignorer. Mais même ainsi, les intérêts d’Helnesgoula dans Xarooda étaient trop minces pour qu’ils puissent offrir une coopération honnête. S’ils offraient leur aide simplement au nom de la sécurité du pays, les sujets du royaume seraient mécontents.
Grindiana avait besoin de quelque chose de plus, quelque chose de tangible, comme récompense pour son aide… Mais cette compensation était le plus grand obstacle.
Xarooda était un pays construit sur un terrain montagneux, et en tant que tel, ses terres étaient impropres à la production alimentaire. Mais d’un autre côté, les pics abrupts du pays contenaient des minéraux de grande qualité, notamment du fer. Le pays pouvait donc s’enorgueillir de posséder des méthodes métallurgiques de haute qualité et des forgerons capables de produire des engins exquis.
En conséquence, s’ils devaient offrir quelque chose à Helnesgoula, les droits de propriété des mines seraient la compensation la plus appropriée. Mais avec cette perte, Xarooda n’aurait pas d’autres industries sur lesquelles s’appuyer, faire cela serait effectivement un coup fatal pour le pays.
De plus, les droits réels sur les mines appartenaient principalement aux nobles qui contrôlaient les territoires où elles se trouvaient. Et bien qu’ils aient pu être loyaux envers le Royaume de Xarooda, les nobles étaient fondamentalement autosuffisants et n’obéissaient pas totalement aux ordres du roi. En fait, la maison royale n’était que nominalement classée comme le chef des nobles.
Ainsi, bien que le pays soit au bord de la destruction, la maison royale de Xarooda n’avait pas le droit de déposséder les nobles de leurs biens. Et si elle essayait de le faire par la force, les nobles se révolteraient, déchirant le pays avant même qu’O’ltormea ne l’envahisse.
Julianus Ier était connu comme le roi médiocre, et on voyait bien pourquoi. Au mieux, il jouait le rôle d’arbitre ou de superviseur du pays, mais en réalité, il n’en était certainement pas le souverain.
« Et c’est parce que nous le savions que nous avons posé comme condition la cession des territoires de Xarooda. »
Grindiana tourna son regard vers Ryoma avec un sourire malicieux. Ses yeux étaient remplis de la lueur sombre et mystérieuse d’une intrigante.
« Oui. Cela a dû probablement briser le cœur de ces petits fous qui ont choisi de le faire, et je suis sûre qu’ils pensent que c’est la plus grande, la plus douloureuse concession qu’ils puissent faire… Mais le fait qu’ils aient pensé pouvoir me faire travailler pour si peu montre qu’ils me sous-estiment. »
« Vous ne pensez pas que ça en vaille la peine… ? »
Grindiana poussa alors un soupir exaspéré : « Bien sûr que non. Surtout si l’on considère qu’ils me refileraient la gestion de tous ces nobles rebelles. Et toutes les terres qu’ils ont proposées à la cession étaient des zones où le rendement annuel a diminué au cours des dernières années. Tout le monde peut voir que ces mines vont fermer d’ici quelques années. Mais ces idiots ont probablement pensé que je ne le remarquerais pas… Vous voyez ce que je veux dire ? »
Xarooda avait offert la plupart de ses territoires du nord pour l’annexion, environ un cinquième du territoire total du royaume, ce qui faisait une assez grande étendue de terre. Mais le vrai profit à tirer des terres de Xarooda n’était pas les terres agricoles, mais les mines. Et si ces mines s’épuisaient lentement, il n’y aurait aucun intérêt à ce que Helnesgoula envoie des renforts.
« Dans ce cas, vous feriez mieux d’attendre qu’O’ltormea prenne le contrôle des terres, et d’attaquer une fois que le régime sera instable à cause du changement de gouvernement. De cette façon, vous aurez une excuse facile pour vous débarrasser des nobles, et Helnesgoula sera salué comme un héros qui a libéré le pays de la tyrannie d’O’ltormea. », dit Ryoma.
Greed retint sa respiration malgré lui. Cela lui avait déjà été expliqué, mais cette histoire était trop cruelle pour ses oreilles de serviteur de Xarooda. C’était comme si on lui avait dit que la survie de son pays était une question insignifiante. Mais même avec ses intentions directement énoncées, Grindiana ne semblait pas s’excuser le moins du monde.
« C’est le choix le plus évident, non ? Je suis, après tout, la reine d’Helnesgoula. Il me faut une bonne raison pour ordonner à mes soldats de marcher vers leur mort. »
Grindiana haussa les épaules d’une manière plaisante, et sa vue remplit Greed d’une sorte d’horreur inexplicable, totalement différente de tout ce qu’il avait ressenti sur le champ de bataille. Ses lèvres étaient retroussées en un sourire, mais ses yeux projetaient le regard sévère d’une souveraine chargée de la vie de ses sujets.
« Je ne peux cependant pas dire que ce soit le plan le plus optimal que vous auriez pu faire », dit Ryoma.
« Oh ? Comment ça ? »
Grindiana pencha la tête d’un air perplexe.
Sa véritable intention était cependant évidente dans son ton.
« Cela signifierait entrer en guerre totale avec O’ltormea. Et bien que vous les dépassiez légèrement en termes de puissance nationale, vos chances de victoire sont à peu près égales. La guerre pourrait aller dans les deux sens. De plus, même si vous y avez envoyé des espions pour recueillir des informations, vous ne connaissez pas la géographie d’O’ltormea. Combattre sur leur sol avec votre seule armée est quelque chose que vous voudriez éviter. »
Le regard dans les yeux calmes de Ryoma s’était, à un moment donné, aiguisé comme une lame.
« Et ? »
« Cela étant, Votre Majesté, vous avez occupé Memphis et gardé votre armée stationnée ici. Et vous êtes venue ici vous-même, laissant votre capitale à Dreisen vacante. Et ici, vous avez attendu le tout dernier moment pour voir si quelqu’un se présente, qui comprenne vos objectifs et puisse coopérer avec vous. »
À ces mots, Grindiana éleva la voix dans un rire amusé et satisfait. Son expression devint alors sévère et elle dirigea son regard vers Ryoma. Son expression montrait très clairement pourquoi on l’appelait la renarde du Nord.
« Bien sûr que je l’ai fait. Je n’ai pas l’intention de m’allier à un imbécile… Très bien, si vous comprenez tout cela, passons directement au sujet principal. Quelles sont les conditions que vous avez pour moi ? »
C’était comme si les deux combattants venaient de s’affronter. C’était la seule façon de décrire l’atmosphère de la pièce. Et peut-être qu’ils avaient vraiment manié leurs mots comme des lames. Des lames dans un duel sur le destin d’un royaume…
« Oui, je suis sûr que mon offre sera à votre goût », dit Ryoma tout en sortant une lettre de sa poche et en la glissant vers Grindiana.
*****
Grisson poussa un lourd soupir en retirant ses lunettes troubles et en les essuyant avec un mouchoir.
« Pour l’essentiel, cela s’est passé comme vous l’aviez prévu, Votre Majesté… Je suppose… »
Son cœur était rempli de peur en réalisant que les suppositions de sa maîtresse étaient exactes, et d’une crainte encore plus grande à l’idée que quelqu’un qui était capable d’égaler sa sagacité apparaisse réellement.
« Oh, Arnold. Ne sais-tu pas que lorsque tu soupires, la joie de vivre s’échappe aussi ? »
Après que Ryoma et Greed aient quitté la pièce, Grindiana s’était étalée sur le canapé d’une manière négligée, et regarda d’une manière taquine l’homme qui était comme un frère pour elle. Cela froissait sa robe coûteuse, fabriquée par le meilleur artisan, mais Grindiana ne semblait pas s’en soucier. Elle affichait un manque de manières et de dignité que l’on attribuait habituellement à un enfant, ce qui fit pousser un second soupir à Grisson.
Si seulement elle pouvait se débarrasser de ces penchants enfantins…
La maîtresse qu’il admirait était très au fait de la tactique et de la stratégie et avait même un talent exceptionnel sur le champ de bataille. Les compétences de Grindiana étaient tout à fait parfaites. Mais si elle pouvait simplement ne pas agir de manière si immature par moments…
Pourtant, Grisson n’avait pas pensé à la réprimander. Il savait qu’elle ne montrait un tel comportement négligé qu’en privé, et en présence de ceux en qui elle avait confiance.
Je suppose qu’aucune personne vraiment parfaite n’existe réellement…
En tant qu’aide, l’attitude de Grindiana était une source d’anxiété pour Grisson, mais il ne pouvait pas nier qu’une partie de lui trouvait cette partie d’elle précieuse. C’était comme une preuve qu’elle aussi était humaine…
***
Partie 4
« Vous plaisantez sûrement, Votre Majesté. Travailler à votre service signifie que toute joie à laquelle j’aurais pu prétendre m’a quitté depuis longtemps », dit Grisson avec humour, tout en la regardant avec une élégante révérence.
« Hm ! Peut-être que mes oreilles me jouent des tours, mais ne viens-tu pas de dire quelque chose de bizarre ? », dit Grindiana en penchant la tête.
« Ai-je dit quelque chose ? Je ne sais pas ce que vous avez en tête, Votre Majesté, mais je vous jure que je n’ai dit que la vérité. »
Cette déclaration n’était certainement pas quelque chose qu’un serviteur aurait dit à sa maîtresse. Grindiana contorsionna simplement ses lèvres en un sourire sardonique et choisit de ne pas presser Grisson davantage.
Le grand royaume d’Helnesgoula était servi par quatre généraux. Des quatre, Grisson était celui qui l’avait servi le plus longtemps, depuis qu’elle avait usurpé le trône à son père, le roi précédent. Il était son aide le plus proche. Ils ne le montraient jamais en public, mais il y avait un vrai lien entre eux deux qui allaient au-delà de la simple relation entre une souveraine et son serviteur. Un lien étroit qui était aussi fort que celui entre les personnes liées par le sang.
« Eh bien, peu importe… De toute façon, l’armée est prête à se déplacer à tout moment, non ? »
« Bien sûr, Votre Majesté. Un seul ordre de chevaliers sera laissé derrière pour protéger Memphis, mais le reste de notre armée a reçu l’ordre d’être prêt à bouger à tout moment. »
Les préparatifs de la guerre étaient déjà faits. Les dix ordres de chevaliers menés par Arnold Grisson étaient prêts comme un arc tendu, et attendaient que les flammes de la guerre soient allumées. Il ne restait plus qu’à décider où les envoyer.
« La question est de savoir comment aborder l’attaque, mais… », dit Grisson, mais il s’était tu.
« Je pense que mettre le pied sur le territoire de Xarooda est une mauvaise idée. Qu’en dis-tu, Arnold ? », dit Grindiana tout en levant les yeux au ciel alors qu’elle était étalée sur le canapé.
« Je préfère ne pas non plus me battre sur le sol Xarooda. Si vous nous ordonnez de gagner, nous gagnerons sans faute, mais il y a fort à parier que nos pertes n’en seront que plus importantes. »
« Je m’en doutais. »
Ni l’un ni l’autre ne se souciait particulièrement de ravager les terres de Xarooda. Cela n’avait même pas d’importance s’ils devaient être leurs alliés dans l’opposition à O’ltormea. Plus simplement, la seule chose qui les intéressait était leurs sujets, et les habitants d’un autre pays ne les concernaient pas.
Mais ils voulaient éviter de se battre sur le sol de Xarooda. Bien sûr, si l’on voulait interpréter cela comme un choix humanitaire, ils étaient libres de le faire, mais ils ne feraient pas un tel choix pour quelque chose d’aussi vague que cela. C’était un calcul rationnel et sans pitié, rien de plus.
La majeure partie du territoire de Xarooda était constituée de terrains montagneux, et les zones dégagées permettant le déploiement d’une grande armée étaient extrêmement rares. En plus de cela, il y avait des forêts épaisses qui limitaient la visibilité et des chemins de montagne étroits et sinueux. Combattre sur un tel terrain était une tâche ardue, même pour le général le plus expérimenté.
Au pire, leur supériorité numérique ne ferait que ralentir leur marche. Dans les cas où les deux armées étaient vastes, le champ de bataille optimal serait une grande plaine avec une bonne visibilité, où les deux camps pourraient se déplacer sans entrave.
« Nos espions nous ont fourni quelques informations, mais cela ne remplace pas une connaissance réelle du terrain… Eh bien, je suppose que nous entendrons ce que Mikoshiba a à dire lors du conseil de guerre demain. Il a probablement un plan. »
« J’imagine qu’il en a un… vu cette lettre, cet homme n’est pas à prendre à la légère… »
Grisson remarqua que Grindiana avait légèrement froncé les sourcils.
« La question est de savoir s’il est une menace pour nous ou pas… Qu’avez-vous pensé en le rencontrant, Votre Majesté ? »
« Tu veux dire qu’il est venu trop bien préparé ? », demanda-t-elle, et en voyant le sourire amusé sur ses lèvres.
L’instant d’après, Grisson secoua la tête en signe d’exaspération.
« Oui, j’admets que je ne m’attendais pas à ce qu’il vienne si bien préparé… »
À vrai dire, Grisson craignait l’homme qui avait posé sa grande carcasse sur ce sofa il y a peu de temps. Grisson était un guerrier expérimenté et avait survécu à de nombreuses batailles, mais son sentiment sincère était qu’il ne voulait jamais affronter Ryoma au combat. Il était sûr de pouvoir gagner la bataille s’ils devaient mener des armées l’un contre l’autre, mais il n’était pas à la hauteur de Ryoma en matière de diplomatie ou de stratégie.
Après tout, il égalait la maîtresse de Grisson, Grindiana, dans ces domaines, et avait le culot de ne pas flancher même face au dirigeant d’un pays. C’était un allié fiable, mais s’il devait se retourner contre eux, ce serait un adversaire difficile à battre.
Mais Grindiana le savait aussi bien que lui, et il n’y avait aucune trace d’anxiété dans son expression. Au contraire, elle avait l’air d’avoir enfin trouvé un adversaire digne de ce nom pour la défier.
« Je ne peux pas dire que je n’y prête pas attention, mais il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Tant que nos quatre pays resteront alliés, Ryoma Mikoshiba ne se retournera jamais contre Helnesgoula. Je peux l’affirmer en toute confiance, car il comprend l’importance de l’économie et les profits à en tirer. »
Elle s’était moquée des doutes de Grisson en regardant la carte et la lettre étalées sur la table. Grindiana avait ensuite pris une boule de gomme et l’avait mise dans sa bouche. Le Royaume de Rhoadseria, Myest et, le plus important actuellement, Xarooda. Une lettre écrite par l’un des trois pays de l’est du continent occidental n’était pas quelque chose que l’on devrait simplement jeter au hasard sur la table.
Ma parole… Quand je pense que c’est ainsi que se conduit ma maîtresse, la redoutée Renarde du Nord…
Ravalant les mots d’admonestation qui lui montaient à la gorge, Grisson poussa la boîte pleine de bonbons sur le côté de la table et étala la lettre.
« Son plan était pourtant bien pensé. Lier un traité de commerce à l’alliance… Les quatre pays vont en profiter. », dit Grisson en soupirant d’étonnement.
La suggestion de Ryoma pourrait très bien être appelée une œuvre d’art.
« Du point de vue de Xarooda, ils n’ont qu’à nous reconnaître en tant que leaders de l’alliance et ils recevront les renforts dont ils ont besoin. Pour ce prix-là, ils pourront conserver leurs précieux territoires. Ils sauteraient naturellement sur cette proposition sans la moindre hésitation. », dit Grindiana.
Grisson considéra ses paroles avec un profond hochement de tête.
« Ayant été affaiblie par la guerre civile, Rhoadseria est la moins intéressée à entrer dans cette guerre. Le fait que notre intervention mettra plus rapidement fin aux hostilités est une raison suffisante pour qu’ils se réjouissent… Et comme ils ont l’intention de récupérer leur puissance nationale, cette alliance est une aubaine pour eux. Notre soutien facilitera leur rétablissement. »
« Oui, et notre économie, ainsi que celle de Myest, sera florissante grâce à l’augmentation des échanges commerciaux. Un plan parfait dont tout le monde sortira gagnant… En apparence, du moins. »
Un plan dont tout le monde sortira gagnant. Un plan dont tout le monde pourrait profiter. Mais Grindiana avait bien vu les véritables intentions de Ryoma.
« Car si les quatre royaumes en profitent tous, celui qui en tirera le plus grand profit est Ryoma Mikoshiba, gouverneur de la péninsule de Wortenia… Heh. »
Les yeux de Grindiana brillaient d’un éclat envoûtant en regardant la position de la péninsule de Wortenia sur la carte. Lorsqu’il s’agissait de traverser le nord du continent, le plus grand défi était le no man’s land inexploré connu sous le nom de Péninsule de Wortenia. C’était une terre dangereuse qui servait de lieu de reproduction à des monstres féroces et de cachette à des pirates sauvages.
Mais cette terre pourrait très bien être transformée en un coffre au trésor, grâce à la formation de l’alliance des quatre royaumes.
Vraiment bien conçu…
Alors que Grindiana était allongée sur le canapé, le visage de l’homme qui avait imaginé ce plan était apparu dans son esprit. Dans la lettre qu’elle avait reçue, il y avait des stipulations concernant non seulement la défense nationale, mais aussi les échanges et le commerce. La suggestion de créer un taux tarifaire uniforme à travers les quatre royaumes conduirait à une augmentation des importations et des exportations, et sa méthode pour une procédure simplifiée de passage des frontières permettrait aux personnes et aux marchandises de circuler plus rapidement. Cela ne pouvait qu’apporter un profit encore plus grand à Helnesgoula et Myest, qui commerçaient fréquemment avec d’autres continents.
Mais cela signifiait-il que Rhoadseria et Xarooda, qui n’avaient pas d’échanges commerciaux aussi importants, ne recevraient aucune faveur de cette réforme ? Peut-être pas directement, mais un marché stimulé entraînait une augmentation des recettes fiscales. Les quatre royaumes mettraient tous davantage l’accent sur le commerce et les échanges.
Ainsi, Helnesgoula n’aurait plus besoin de conquérir et de détruire les trois royaumes de l’est. Plutôt que d’aller à la guerre et de les extorquer, ils avaient maintenant un moyen plus sûr et plus efficace d’obtenir de l’argent.
Et quand cela arrivera… Qui en profitera le plus, je me le demande… ?
Dans un futur pas si lointain, le trafic commercial augmentera à une échelle jamais vue auparavant. Et lorsque cela se produira, la demande augmentera à un point tel que les voyages terrestres ne suffiront plus à répondre à la demande du marché. Les marchands se tourneraient vers les routes maritimes. Oui, la route maritime au nord du continent occidental…
« Transporter des fournitures en grand nombre est beaucoup plus rapide en mer que sur une route terrestre. Maintenant que la péninsule de Wortenia a été purgée des pirates, la route maritime du nord serait inévitablement reconsidérée. Dans peu de temps, la ville sur la péninsule prospérera en tant que point de relais pour les marchands. »
Le port sur Wortenia ne fonctionnerait pas seulement comme un point de réapprovisionnement pour les navires, mais aussi comme un marché pour les marchands qui vendraient leurs marchandises en Rhoadseria. Et éventuellement, il pourrait également établir des échanges avec d’autres continents. Tant qu’ils n’appliquaient pas une politique insensée, leur prospérité était garantie.
« Le caractère de cet homme est assez clair. Il est prudent, mais audacieux. Et il est assez prudent pour ne jamais montrer l’étendue de ses capacités aux autres, afin de ne pas attirer inutilement l’attention. Heheh… Il est effrayant. Il s’est assuré le plus grand profit de tous, mais a réussi à le tourner d’une manière qui fait que personne ne sera mécontent de lui… Heh. Bien que je suppose que, étant donné la puissance militaire qu’il a, il doit éviter de se faire remarquer. »
Plus une personne recevait une somme d’argent importante, plus elle était poussée à en profiter. On pourrait prétendre qu’un tel trait était enraciné dans l’instinct humain. Mais en agissant ainsi, on s’attirait la jalousie des autres. Bien sûr, si on pouvait se débarrasser de cette jalousie et conserver cette richesse, ce n’était pas un problème, mais Ryoma n’avait pas le pouvoir de le faire. Et il le savait très bien.
« Vos complots ont quelque peu dévié, Votre Majesté. Normalement, vous auriez dû les isoler et les accueillir… Mais je ne m’attendais pas à ce qu’ils viennent avec une proposition », dit Grisson avant de soupirer.
***
Partie 5
Leur plan initial était de faire de Xarooda leur vassal, et d’attendre une opportunité pour faire de même avec Rhoadseria et Myest. À cet égard, on pouvait dire que leurs plans avaient été devancés, à une exception près.
« Je suppose que oui. Je n’imaginais pas que ce serait une personne aussi capable. Je l’ai peut-être un peu sous-estimé. »
Grindiana se redressa et porta la tasse de thé posée sur la table à ses lèvres. Depuis longtemps, elle s’intéressait à la valeur géographique de la péninsule de Wortenia. Après tout, tant que l’on pouvait faire quelque chose pour ces terres, l’établissement d’une route maritime entre Helnesgoula et Myest serait possible.
Grindiana connaissait l’importance du commerce. À ses yeux, le fait que Rhoadseria avait laissé les vastes terres de Wortenia sans gestion pendant tant d’années la faisait douter de la santé mentale de ce pays et de son gouvernement. Si ces terres étaient à elle, elle ne pouvait qu’imaginer les richesses qu’elle en tirerait.
Mais tout cela n’était qu’un rêve. Grindiana savait que mobiliser une armée et qu’entrer en guerre avec Rhoadseria au nom de l’occupation de ce no man’s land n’en valait en aucun cas la peine.
Maintenant, cependant, une chance de réaliser ce rêve était tombée à ses pieds. Lupis Rhoadserians avait accordé cette terre à un homme, que ce soit par caprice ou par véritable gratitude.
« Qu’il en soit ainsi. Nous avons passé pas mal de temps à rassembler des informations, mais je ne suis pas particulièrement mécontente du résultat. »
Depuis que Ryoma avait reçu Wortenia, Grindiana avait gardé un œil attentif sur la péninsule et ses actions. C’était ainsi qu’elle avait appris que Ryoma venait d’un autre monde.
« Mais êtes-vous vraiment sûr… ? Selon la façon dont les négociations se déroulent, je crois qu’il est possible pour vous de dominer la péninsule de Wortenia », dit Grisson.
Grindiana sourit à ces mots.
« Je n’ai pas l’intention de m’obstiner à régner directement sur Wortenia. Du moins, pas tant que cet homme continuera à la gouverner correctement et à me rapporter des bénéfices… »
En effet, tant que Ryoma gérait correctement la péninsule, elle pouvait faire des profits. Le sourire sur ses lèvres était vraiment rempli de la dignité mystique que l’on attend de la Renarde du Nord.
Pour Grindiana, rien ne comptait plus que le fait que l’alliance des quatre royaumes augmenterait la portée du commerce. Car ce faisant, Helnesgoula deviendrait plus puissante qu’elle ne l’était actuellement.
L’expansion de son territoire était bien sûr importante, mais elle savait que régner sur une terre trop vaste ne serait qu’un fardeau. Après tout, une terre trop grande ne pouvait devenir qu’un foyer de rébellion…
Pendant que Grisson et Grindiana planifiaient leur prochain plan d’action, Ryoma était retourné dans sa chambre à l’auberge de la ville.
« Ouf, elle était tout aussi effrayante que les rumeurs le disent… »
Ryoma soupira en prenant une gorgée du verre posé sur la table en face de lui.
« Pas étonnant qu’on l’appelle la Renarde du Nord. Lupis ne lui arrive pas à la cheville. C’est femme est tout simplement monstrueuse. »
L’ombre qui s’accrochait à son expression montrait clairement à quel point Grindiana Helnecharles lui inspirait de la crainte. Laura avait refroidi la bière dans son verre grâce à la magie, et la boisson froide servait à refroidir doucement la chaleur qui brûlait dans sa poitrine.
« Mais les discussions elles-mêmes se sont bien déroulées ? », demanda Laura avec un doux sourire, tout en faisant basculer la bouteille dans le verre après que Ryoma l’ait fait claquer contre la table.
Ryoma ne savait pas quand exactement elles avaient trouvé le temps de le faire, mais apparemment les sœurs Malfist étaient sorties en ville pour acheter de nouveaux vêtements. Elles avaient déjà quitté les vêtements sales et pleins de suie qu’elles portaient sur le chemin de Memphis et étaient habillées comme les filles du coin. C’était des vêtements ordinaires faits de chanvre, mais ils étaient faciles à porter et avaient encore quelque chose de fleuri.
Ryoma remarqua également l’arôme des roses qui s’élevait de Laura. Elles avaient probablement acheté du parfum en même temps qu’elles cherchaient des vêtements. Elles considéraient probablement leur toilette personnelle comme une sorte de devoir d’esclave envers leur maître, ou quelque chose de ce genre.
« Oui, le capitaine Greed était ravi et a dit que ça s’était bien passé », s’exclama Sara avec une joie innocente.
« Je… suppose », dit Ryoma en esquissant un sourire crispé avant de prendre une autre gorgée. Il était vrai que, du point de vue des jumelles, les négociations avaient été un grand succès. Une alliance avait quand même été formée avec Helnesgoula à sa tête.
« Ou quelque chose te dérange ? Penses-tu que l’accord pourrait finir par être annulé ? », demanda Laura, remarquant l’ombre qui s’était installée sur le visage de son maître.
Il était vrai que l’accord passé par Ryoma avec Grindiana n’était que verbal pour le moment. Mais tout de même, il s’agissait d’un accord verbal entre un leader d’un pays et un autre. La rupture de cet accord entraînerait son lot de conséquences. Même s’il s’agissait simplement de stopper l’invasion d’O’ltormea, aucun pays ne pourrait facilement tourner le dos à une telle promesse.
Rhoadseria et Xarooda n’avaient pas la puissance militaire nécessaire pour survivre à cette situation, et n’avaient donc jamais eu l’option de vraiment refuser l’accord. Myest avait suffisamment de forces pour entrer en guerre, mais même s’ils refusaient l’alliance, cela ne changerait pas grand-chose. Dans ce cas, les trois autres pays formeraient simplement une alliance sans eux.
Il était vrai que sans l’influence de Myest en tant que partenaire commercial, les profits de l’alliance seraient moindres, mais cela n’influencerait pas beaucoup les choses à long terme. Si Myest finissait par refuser, certains ajustements devraient être faits dans l’accord, mais il était autrement sûr de dire que le traité ne pouvait pas être révoqué à ce stade.
« Eh bien, je pense juste que j’ai peut-être un peu exagéré… »
Ryoma secoua lentement la tête à la question de Laura.
Ce qui avait serré le cœur de Ryoma si fortement, c’était le regard de Grindiana au moment où il lui avait fait ses adieux. C’était le regard d’un prédateur observant sa proie. Il ne pensait pas avoir fait de mauvais choix, mais il y avait peut-être quelque chose qu’il aurait pu faire différemment.
« Peut-être que je n’aurais pas dû laisser une si forte impression… »
Peut-être qu’au lieu de venir personnellement, il aurait plutôt dû envoyer un noble de Xarooda et manipuler leurs actions depuis l’ombre. Pourtant, il y avait un motif valable qui l’avait poussé à ne pas le faire.
Il y a une chance que cela l’ait rendue suspicieuse, alors je me suis dit que j’allais le faire moi-même…
Si Ryoma avait essayé de rester en retrait, Grindiana aurait probablement considéré le changement soudain de politique de Xarooda avec suspicion. Aussi inconfortable que cela puisse l’être, si un messager était simplement venu avec une lettre de Julianus Ier, il y avait de fortes chances pour qu’elle soit jetée sans être lue. Refuser une lettre était une chose très répréhensible d’un point de vue diplomatique, elle aurait donc été probablement acceptée, mais les choses ne se seraient toujours pas déroulées aussi facilement.
« Mais si nous prenons trop de temps, la forteresse du bassin d’Ushas pourrait ne pas tenir. Alors, le fait que vous ayez terminé ça aussi rapidement n’est-il pas la preuve que ce que vous avez fait était idéal ? », demanda Laura.
Ryoma dut acquiescer. L’affrontement final avec O’ltormea était imminent, et il n’y avait pas de temps à perdre.
« Je suppose que oui… »
Le fait que Ryoma doive se sentir si prudent à proximité de Grindiana était un résultat négatif qu’il n’avait pas prévu, mais il ne pouvait rien faire d’autre que d’essayer de compenser ce trou dans ses plans.
Pour l’instant, je devrais mettre de côté mes contre-mesures contre Helnesgoula et me concentrer sur la guerre qui m’attend.
L’alliance avec Helnesgoula prenait forme, mais la question restait posée : comment cette guerre allait-elle se terminer ? La composition de cette image se précisait déjà. Deux problèmes subsistaient cependant. Premièrement, il devait discuter de la suite des événements avec Grindiana et recevoir son approbation. Deuxièmement, ils devaient s’assurer que le groupe de Lione pourrait se retirer du bassin d’Ushas en toute sécurité.
« Nous devons envoyer un oiseau immédiatement et les informer de notre situation. Ils n’ont envoyé aucun message, on peut donc supposer que tout se passe comme prévu pour le moment. », dit Sara.
Ryoma leva les yeux au ciel à ces mots. Les téléphones et les e-mails n’existaient pas dans ce monde. Cela signifiait que chaque fois qu’une information était transmise, il y avait toujours un certain délai, directement proportionnel à la distance que l’information devait parcourir.
Heureusement, les normes technologiques de ce monde étaient plus ou moins uniformes. La vitesse à laquelle l’information voyageait était à peu près la même dans tous les pays. Bien sûr, Ryoma était habitué à l’échange instantané d’informations que permettait la technologie moderne, et ce décalage lui semblait être un énorme inconvénient. Et pour être honnête, il était toujours à la recherche d’une meilleure méthode. Et bien qu’il ait trouvé une solution possible…
La façon dont tout se déroulera dépendra de la façon dont cette guerre se termine.
Il y avait encore beaucoup de choses que Ryoma voulait et devait faire, mais pour l’instant il ne pouvait se concentrer que sur une seule chose. Aussi mécontent que Ryoma, un lycéen normal, puisse être de cette situation, elle était toujours le résultat de ses propres choix. Et on pouvait aussi appeler cela le destin.
« Oui, c’est ça… »
Sa tactique d’embuscade du convoi de ravitaillement d’O’ltormea pour ralentir leur vitesse d’invasion était bonne, mais il savait qu’il ne pouvait pas espérer couper complètement leur ligne d’approvisionnement. Il avait seulement demandé à Lione de leur infliger quelques dégâts et de se retirer ensuite à la forteresse du bassin d’Ushas. Là, les forces alliées des armées de Xarooda, de Rhoadseria et de Myest devaient tenir la ligne contre l’invasion O'ltormean.
Si tout se passait comme prévu, le groupe de Lione aurait dû se retirer de la région montagneuse en ce moment même.
Mais le temps, le temps, le temps… Les pourparlers avec Helnesgoula ont été réglés plus vite que prévu, mais nous ne tenons toujours qu’à un fil… Bon sang, nous devons y arriver…
Leurs chances étaient déjà minces, car ils avaient dû renverser la situation face à l’ennemi alors qu’ils étaient en position d’infériorité. Ils n’avaient pas d’autre choix que de faire un pari à un moment donné. La rencontre avec Grindiana s’étant bien déroulée, Ryoma était maintenant confronté à son prochain défi.
« Mais se plaindre maintenant ne nous mènera nulle part. Tout ce que nous pouvons faire, c’est croire que Lione et Joshua puissent tenir jusqu’à ce que nous puissions renverser la forteresse des plaines de Notis. »
L’esprit de Ryoma se tourna vers eux deux, sur ce champ de bataille loin au sud.