Chapitre 1 : Ceux qui vivent dans l’ombre
Table des matières
- Chapitre 1 : Ceux qui vivent dans l’ombre – Partie 1
- Chapitre 1 : Ceux qui vivent dans l’ombre – Partie 2
- Chapitre 1 : Ceux qui vivent dans l’ombre – Partie 3
- Chapitre 1 : Ceux qui vivent dans l’ombre – Partie 4
- Chapitre 1 : Ceux qui vivent dans l’ombre – Partie 5
- Chapitre 1 : Ceux qui vivent dans l’ombre – Partie 6
- Chapitre 1 : Ceux qui vivent dans l’ombre – Partie 7
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Chapitre 1 : Ceux qui vivent dans l’ombre
Partie 1
Le royaume de Xarooda, un royaume dont le territoire était divisé par des montagnes abruptes, était l’un des trois pays des régions orientales du continent occidental. Dans sa capitale, Peripheria, Ryoma Mikoshiba se trouvait dans la pièce qui lui avait été attribuée dans le château du royaume. Cinq garçons et filles s’étaient agenouillés devant lui. Leur âge avoisinait les 15 ans.
« Je vous ai donné des ordres difficiles à exécuter, mais vous les avez bien suivis. Bon travail, Kevin. Vous avez tous été spectaculaires », leur dit Ryoma, en prenant soin de paraître aussi dignes que possible.
Peut-être n’avait-il pas l’habitude de parler comme ça, mais Kevin ne pouvait s’empêcher de sourire en voyant son maître respecté parler avec une voix aussi aiguë et tendue.
Mlle Lione lui a probablement dit de parler comme ça… Il est un peu irrespectueux de penser à mon maître comme ça, mais c’est plutôt drôle…
Kevin considérait ce côté inattendu de son maître avec quelque chose de proche de l’affection. En regardant autour de lui, Kevin vit que les assistants de Ryoma regardaient tous délibérément ailleurs. Ils essayaient de le cacher, mais leurs épaules tremblaient de rires réprimés — ils étaient tout aussi amusés que Kevin.
Le Ryoma que Kevin connaissait était un homme au cœur beaucoup plus ouvert, avec un tempérament sauvage. Il n’était pas aussi violent ou vulgaire que les nombreux mercenaires et aventuriers avec lesquels il travaillait, mais il n’était pas non plus une personne rigide liée par les formalités et la dignité de la noblesse. Il était, pour faire simple, plutôt naturel et décontracté.
Et pourtant, c’était bien un noble de Rhoadseria. Un homme de classe privilégiée.
Remercier ses vassaux est probablement plus difficile que je ne le pensais… Mais…
Ses gestes étaient certes maladroits, mais il montrait clairement qu’il s’inquiétait du bien-être de Kevin et de ses camarades. Peu de commandants dans ce monde s’inquiéteraient autant pour la sécurité d’un soldat. Et Kevin appréciait le fait d’avoir le privilège de servir sous les ordres d’un tel commandant.
Bon sang… Tout le monde se moque de moi, hein…
Légèrement irrité par les réactions amusées autour de lui, Ryoma s’en tenait à sa façade de dirigeant. Ryoma avait l’intention d’accroître encore son territoire. Être avec des gens comme Lione et les jumelles était une chose, mais il était obligé de côtoyer des gens qui insistaient pour s’en tenir aux formalités.
Ryoma lui-même préférait rester amical quand c’était possible, mais il reconnaissait qu’il ne pouvait pas toujours avoir cette attitude dès le départ. Dans certaines situations, il fallait que l’autre personne se sente mal à l’aise ou sous pression. Ryoma avait grandi dans un pays sans système de classes, se donner des airs en présence des autres ne lui venait donc pas naturellement, et ce n’était pas nécessairement une bonne chose.
C’est gênant… Mais je vais devoir de toute façon m’y habituer…
Il était temps pour lui de commencer à montrer un tel visage dans la ville de Sirius, sur la péninsule de Wortenia. Lione et les jumelles le réprimandaient, lui disant de traiter les soldats de manière plus digne, plus formelle, surtout lorsqu’il s’agissait de récompenser ou de punir.
C’était une suggestion compréhensible. Lione était comme Ryoma dans le sens où elle n’était pas douée pour garder une attitude formelle, mais tout dépendait de la situation. Par exemple, si quelqu’un gagnait un tournoi, il y avait une grande différence entre le fait de se voir remettre un certificat quelconque et celui de le recevoir lors d’une cérémonie officielle et digne.
Le résultat final était le même, mais la nuance était clairement différente. Et ce qui importait n’était pas le point de vue de Ryoma, qui louait ses hommes, mais la façon dont les personnes qu’il louait et celles qui les entouraient le voyaient. Il n’était pas nécessaire pour lui de s’en tenir à une approche qui déplairait à ceux qui étaient loués. Ryoma n’avait pas l’intention d’insulter les personnes qu’il devait encourager, et si tout ce qu’il fallait faire était de tolérer cette façade pendant un moment, qu’il en soit ainsi.
Et ainsi, quelques mois avaient passé. Il se sentait toujours un peu mal à l’aise, mais il commençait à s’habituer à agir comme un noble. Ryoma n’avait jamais aimé les gens qui se plaçaient au-dessus des autres, mais ce monde fonctionnait selon un système de classes. Se montrer trop gentil avec les roturiers pouvait donc lui valoir le mépris et le dédain des autres chevaliers et nobles.
Mais la dignité n’était pas quelque chose que l’on pouvait cacher derrière un mince vernis. On pouvait dire n’importe quoi, mais la véritable attitude d’une personne avait tendance à transparaître.
Et en effet, la façade de Ryoma était encore peu raffinée et maladroite. C’était tout à fait naturel, puisqu’il n’était qu’un lycéen lorsqu’il avait été appelé dans ce monde. Et bien qu’il soit plus sage que son âge ne le suggérait, adopter le comportement propre à la noblesse n’était pas une tâche simple pour lui. À vrai dire, toute cette affaire lui semblait absurde.
Et pourtant, Lione et les jumelles n’arrêtent pas de m’en vouloir pour ça, alors…
Ryoma ne put s’empêcher d’esquisser un sourire en coin en remarquant que tout le monde s’était rendu compte de sa voix aiguë. Seul le cœur de chacun comptait ici. Ryoma considérait toujours la cérémonie comme un prétexte superficiel, mais il savait qu’il devait savoir où mettre la limite.
Une attitude pompeuse et hautaine ne lui permettrait pas d’obtenir la confiance de ses hommes, mais la soumission à ses subordonnés rendrait son armée indisciplinée. Et parfois, ses sentiments ne pouvaient pas transparaître s’il n’insistait pas sur la cérémonie.
Et Ryoma ne pouvait pas nier qu’il voulait que Lione et les jumelles cessent de le réprimander sur ce sujet.
« Vos paroles sont gaspillées pour nous, Seigneur », dit Kevin en baissant la tête. Les quatre autres derrière lui firent de même.
« Seigneur » était la façon dont Kevin et les autres enfants l’appelaient respectueusement. L’appeler « Baron » semblait trop basé sur la noblesse, et Ryoma n’aimait pas ça. Ils avaient envisagé d’utiliser « Gouverneur » et « Jeune Monsieur », mais quelque chose clochait dans ces appellations. Et ils ne pouvaient pas l’appeler « Garçon » ou « Petit » comme le faisaient Lione et les mercenaires. Ils avaient donc fini par suivre l’exemple de Genou en l’appelant « Seigneur ».
En effet, Ryoma vivait dans un domaine aménagé au centre de Sirius, et l’appeler le Seigneur de cette maison n’était pas une erreur. Bien sûr, le « Seigneur » dont parlait Genou était différent en raison de ses origines de ninja, mais les gens de ce monde ne le savaient pas.
« Nous avons exécuté vos ordres avec succès, sans avoir à utiliser notre dernier recours », dit Kevin.
Sa main se refermait sur une petite bouteille accrochée à sa ceinture.
Ryoma lui fit un signe de tête sans mot dire. C’était un atout qu’ils avaient préparé pour le bien de cette bataille, mais ils avaient réussi à atteindre leur objectif sans avoir à l’utiliser. Lione, qui se tenait derrière Ryoma, afficha un sourire satisfait.
« Tu étais trop nerveux à ce sujet. Je t’ai dit que tout irait bien, non ? Et voilà. »
Lione ponctua ses paroles en se frappant une fois la poitrine avec un coup de poing.
Kevin et son groupe étaient des soldats qu’elle avait personnellement entraînés à partir de rien. Pour elle et les autres mercenaires du Lion Cramoisi, ils étaient comme leurs propres enfants et protégés. Voir leur puissance sous une forme claire et visible la rendait naturellement heureuse.
Ryoma ne put s’empêcher d’esquisser un sourire sardonique en la regardant. Après tout, c’était elle qui avait montré le plus de désapprobation aux ordres qu’il avait donnés au groupe de Kevin plus tôt ce jour-là. Bien sûr, il n’était pas assez stupide pour le lui dire en face.
« Oui, utiliser ça te ferait gagner le match immédiatement, mais ça compliquerait nos relations avec Xarooda. Ça veut juste dire que tu n’as pas seulement bien fait, tu as vraiment bien fait. »
Parallèlement à leur entraînement en tant que groupe et à la maîtrise de la magie, Kevin et son groupe avaient reçu ce dernier recours. L’utiliser leur permettrait de gagner facilement. Les bouteilles contenaient un agent paralysant que le clan Igasaki avait développé à partir des monstres infestant la péninsule de Wortenia.
Il était insipide et inodore, mais ses effets étaient instantanés et ignoraient la plupart des formes de résistance au poison. De plus, il était difficile de trouver sur le marché un antidote capable de neutraliser ses effets. La meilleure façon d’y faire face était de consommer un antidote à l’avance ou de demander à un mage de guérir la victime et de supprimer ses effets.
Le plus gros défaut de l’agent paralysant était que les réactifs nécessaires à son raffinage étaient rares, et qu’il était donc difficile d’en rassembler de grandes quantités. Mais sinon, il était polyvalent — on pouvait le vaporiser dans le vent et le faire inhaler à la victime, ou l’étaler sur une arme. C’est un agent paralysant, mais non mortel, ce qui en fait un bon moyen de gagner le match.
Mais c’était aussi une arme à double tranchant. L’utiliser sur un champ de bataille était une chose, mais y avoir recours dans un match aurait été considéré comme de la lâcheté. Et même si le match était censé imiter un vrai combat, cacher le fait qu’ils étaient capables de thaumaturgie pour prendre l’avantage était tout autre chose. Et même s’ils avaient la possibilité d’utiliser un produit non mortel, personne ne les écouterait si l’on avait su qu’ils avaient utilisé du poison.
J’ai pensé qu’ils gagneraient sans l’utiliser, c’est pourquoi j’ai choisi ces cinq-là. Et les résultats parlent d’eux-mêmes.
Les cinq agenouillés devant Ryoma faisaient partie des soldats les plus talentueux et les plus loyaux parmi les esclaves qu’il avait achetés et élevés. Leur corps s’était construit en survivant à Wortenia et en combattant les monstres qui y vivaient, et leurs compétences avaient été développées par un entraînement quotidien et ardu. En outre, le fait de grandir à partir des dures circonstances de leur vie avait donné à Kevin et à ses alliés un sens inégalé de l’unité et une obsession de rester en vie.
Ils étaient encore jeunes et avaient une marge de progression, mais ils avaient déjà atteint un niveau qui les mettait au niveau des autres soldats et chevaliers. Bien sûr, les vétérans chevronnés comme Lione et Boltz étaient encore bien au-dessus d’eux, mais c’était quelque chose que le temps allait résoudre.
À condition bien sûr qu’ils restent en vie aussi longtemps…
« Oui, Mlle Laura nous a appris à l’utiliser… Elle nous a dit de ne l’utiliser que si nous sentons que nous sommes sur le point de perdre. Cependant, si nous sentions un danger pour nos vies, elle nous autorisait à l’utiliser librement. », dit Kevin.
Les quatre autres hochèrent la tête. Les lueurs de l’intelligence et la ferme résolution de sacrifier leur vie au nom de leur mission brillaient dans leurs yeux. C’était la preuve qu’ils comprenaient parfaitement leur rôle, et c’était quelque chose qu’un noble ne pourrait jamais atteindre en commandant des roturiers avec une attitude hautaine.
La confiance, hein… ?
Pour gagner la confiance des soldats, Ryoma dînait dans la même salle à manger que les soldats aussi souvent que le temps le permettait, mangeant le même genre de nourriture qu’eux. C’est quelque chose qu’un noble de ce monde ne ferait jamais. Mais pour gagner la confiance de quelqu’un, il faut comprendre cette personne, et faire en sorte que cette personne vous comprenne.
À cet égard, Ryoma avait reçu beaucoup de loyauté et de respect de la part de Kevin et des enfants. S’il leur avait ordonné de mourir, ils auraient volontiers renoncé à leur vie. Et il avait réussi à le faire en les traitant équitablement après qu’ils se soient fait voler leur dignité humaine et leurs droits en devenant esclaves.
***
Partie 2
Mais même ainsi, Ryoma avait quelque chose à leur dire maintenant, peu importe comment.
« Oui, la mission est importante… Et je suis heureux de voir que vous êtes prêts à risquer votre vie pour me servir. Mais la seule chose que vous ne devez pas faire, quoiqu’il arrive, c’est mourir. Survivre à tout prix… Comme ça, on pourra à nouveau partager un repas. »
Pour un soldat comme Kevin, cet ordre était une contradiction. Ils ne pouvaient pas espérer réussir une mission qui leur demandait d’être prêts à mourir et recevoir l’ordre de survivre à tout prix en même temps. S’il ne voulait pas qu’ils meurent à ce point, Ryoma ne leur aurait pas ordonné de participer à des missions aussi dangereuses.
Mais la réalité de ce monde ne s’y prêtait pas. Tant que Ryoma poursuivrait ses aspirations, le sang de ses ennemis et de ses alliés souillerait ses mains. Mais malgré cela, Ryoma ne pouvait s’empêcher de dire ces mots à Kevin.
Quoi qu’il arrive, je ne veux pas vous voir mourir…
« Mon Seigneur… »
Les épaules des enfants tremblèrent légèrement.
Ils avaient réalisé qu’il les chérissait. Et pour des enfants comme Kevin, qui avaient été vendus pour réduire le nombre de bouches à nourrir dans leur foyer, c’était le genre d’affection que même leurs parents ne leur accordaient jamais.
« Nous graverons votre ordre dans nos cœurs, mon Seigneur. »
Les cinq s’étaient inclinés en même temps.
Pour cet homme, je ferai n’importe quoi…
Kevin s’était juré de répondre aux attentes de Ryoma.
« Très bien… Mais quand même, vous avez bien travaillé. Je ne peux que vous récompenser comme ça pour l’instant, mais j’espère que vous apprécierez », dit Ryoma en tendant un sac en cuir à Kevin.
Ryoma regarda les cinq accepter le sac et quitter la pièce, après quoi ses pensées vagabondèrent vers Julianus I et son expression.
Choisir le groupe de Kevin pour ce travail était la bonne décision. J’aurais préféré un match nul sans combat, mais… Ils l’ont compris. Et ce vieil homme aussi…
Ils ne pouvaient pas se permettre de perdre cette bataille, mais le fait de gagner ne leur aurait pas non plus donné le meilleur résultat possible. Ils auraient pu gagner si leur objectif était juste d’apporter plus de gloire au nom de Ryoma. Mais le meilleur scénario possible était que le match s’arrête avant d’être décidé, et que la puissance de Ryoma soit montrée aux spectateurs en même temps.
Ryoma voulait trouver le bon moment pour suggérer cela, mais Julianus I avait pris cette décision avant lui. Ce fut une heureuse coïncidence pour lui. Après tout, les chevaliers insistaient sur l’honneur et la réputation plus que tout. Il ne pouvait donc pas se permettre de voir que ses soldats et lui-même soient considérés comme des mauviettes, mais ruiner l’honneur des chevaliers rendrait ses futures relations avec Xarooda incertaines.
À cet égard, le résultat de ce match était parfait. Julianus Ier était connu comme « le roi médiocre », et Ryoma n’attendait donc pas grand-chose de cet homme. Mais son impression du roi avait changé peu à peu en suivant leur audience. Il pouvait dire avec justesse où allaient les vagues de la bataille, et choisissait la méthode qui blessait le moins la dignité de son pays.
« Jusqu’à présent, tout se passe donc comme prévu, non ? » demanda Sara à Ryoma, qui s’était enfoncé dans son siège.
« Oui, d’une manière ou d’une autre… Avec ça, ils ne devraient pas ignorer nos propositions au conseil de guerre demain », dit Ryoma en soupirant et en prenant une gorgée de son verre de vin rouge.
Peu importe la qualité de leur plan, ils devaient avoir le pouvoir nécessaire afin de le faire appliquer. À cet égard, cette Terre était similaire au monde de Ryoma.
« D’un autre côté, le fait que le roi soit plus affûté que nous ne le pensions est un coup de chance », dit Lione.
« J’ai ressenti la même chose. Maître Ryoma, Julianus I à arrêté le combat à ce moment parce que… ? » demanda Laura tout en hochant la tête.
« Il a réalisé que perdre là-bas le mettrait dans une mauvaise posture. Ça se voit qu’il n’a pas ordonné au juge d’arrêter le match, il est allé directement voir Grahalt. Il a probablement pensé que je n’insisterais également pas pour gagner le match. »
Le groupe de Kevin était manifestement en train de gagner. Faire en sorte que le roi utilise son autorité pour arrêter le match à mi-parcours était une décision risquée, même dans ce monde où l’autorité du roi avait autant de poids qu’elle en avait. Si Ryoma n’avait pas accepté le match nul, l’autorité de Julianus Ier en aurait été grandement affectée. Et cela aurait été un coup dur pour le royaume de Xarooda dans son ensemble, surtout avec la guerre en cours avec O’ltormea.
Le fait qu’il ait choisi d’arrêter le match là signifiait qu’il avait vu les véritables intentions de Ryoma.
« Et il en a aussi profité pour enfumer un parasite qui rongeait son pays. Cet homme est plus rusé que je ne le pensais », ajouta Lione, ce qui fit claquer la langue de Ryoma.
« Oui, c’est un vrai renard rusé, celui-là. Il n’a pas seulement vu mes intentions, il les a utilisées en sa faveur. », dit Ryoma en acquiesçant.
Il n’était cependant pas aussi mécontent que ses mots aient pu le laisser entendre. Bien au contraire, Ryoma trouvait que Julianus I était un allié fiable. Après tout, rien n’était plus dangereux qu’un allié incompétent.
Sara versa du vin dans le verre vide de Ryoma.
« Le comte Schwartzheim et le noble qui faisait office de juge… Je crois qu’il s’appelait… »
Ryoma s’était laissé aller.
« Baron Slater », dit Sara.
« Oui, oui, c’était son nom. », dit Ryoma en hochant la tête.
Il n’avait pas prêté beaucoup d’attention au vieux noble, mais quand Julianus I avait arrêté le match, le baron Slater s’était enflammé et avait argumenté contre le roi. Ryoma s’était alors demandé s’il n’avait pas d’arrière-pensées.
« Mon instinct me dit que le comte Schwartzheim a juste été poussé par quelqu’un à faire ça… Mais quoi qu’il en soit, nous devrions examiner les personnes qui les entourent. D’accord, Sakuya ? »
Sakuya acquiesça résolument : « Compris, Seigneur. Je m’acquitterai de mes fonctions assez bien pour faire honneur à mon grand-père. »
Le grand-père de Sakuya, Genou, avait été assigné comme superviseur des défenses de Sirius. En tant que tels, lui et Boltz avaient été laissés derrière pour garder la ville. Les autres membres du Conseil des Anciens étaient tous occupés par leurs propres travaux, c’était donc Sakuya, la chef des jeunes membres du clan Igasaki qui devait rejoindre le Conseil des Anciens dans le futur, qui avait été chargé de l’expédition.
« Tu n’as pas besoin de t’énerver pour ça. Travaille juste comme tu le fais toujours. »
« Merci, Seigneur… »
Sakuya inclina la tête, mais son expression semblait tout aussi nerveuse.
Ryoma échangea un regard avec Lione, et les deux la regardèrent avec un sourire en coin.
Je suppose que lui dire de ne pas être nerveuse était trop lui en demander… Mais bon, ses compétences sont bonnes, elle a juste besoin de confiance…
Genou approuvait les compétences de Sakuya, et tout le monde autour d’elle l’évaluait favorablement. Son seul défaut était son manque d’expérience, et le seul moyen d’en acquérir était de travailler. Et notamment, elle avait besoin d’expérience pour diriger d’autres ninjas en tant que supérieur. Cela faisait partie de la manière dont le clan Igasaki s’assurait de la maturité de la prochaine génération.
Et en effet, malgré la sévérité de Genou à l’égard de Sakuya en tant que ninja, voir sa petite-fille mûrir et s’épanouir en tant que ninja à part entière le rendait nerveux. Le fait qu’il avait sélectionné trente des ninjas les plus doués du clan et qu’il les avait fait se glisser dans l’unité de transport donnait un aperçu du sérieux qu’il accordait à cette affaire. Ils étaient tous capables d’assassiner un général commandant si nécessaire, ou d’être envoyés pour commettre des activités subversives au sein de la base ennemie.
« La bonne nouvelle, c’est que la situation est bien meilleure que ce que nous pensions au départ. Ton plan peut encore porter ses fruits, mon garçon. »
Lione tourna son regard vers Ryoma.
« Oui, je n’étais pas sûr non plus que ce plan aboutisse à quelque chose, mais nous avons eu notre chance. Et le fait que cela n’ait pas été gâché après avoir obtenu la permission de Lupis à l’avance est une bonne chose », dit Ryoma avec un sourire.
« Donc le reste dépend du conseil de guerre de demain… », dit Sara.
Ryoma avait alors simplement pris une autre gorgée de vin en réponse.
Il regarda ensuite dans le verre, le faisant tourner dans sa main tout en appréciant la façon mystifiante dont la lumière de la lampe se reflétait sur la surface rouge du liquide.
*****
Et alors que Lione et les autres discutaient de leur future politique dans la chambre de Ryoma, un groupe d’hommes était assis devant une table ronde dans un domaine situé ailleurs dans la ville de Peripheria. Leurs expressions étaient toutes perplexes.
« C’est une tournure d’événements assez inattendue… », dit l’un des hommes, ce à quoi tous les autres acquiescent.
« Oui, je pense qu’aucun d’entre nous ne pensait que cela arriverait. »
« On dirait que l’avidité est insouciante. Penser que ses subordonnés perdraient contre de simples enfants… »
Huit hommes étaient assis autour de la table. Leurs vêtements — et en fait, les expressions hautaines et confiantes sur leurs visages — indiquaient clairement qu’ils étaient tous des nobles de haut rang. Ils avaient le visage de ceux qui avaient confiance dans la valeur absolue de leur lignée et dans le fait que les autres n’existaient que pour les servir.
« Que comptez-vous faire, monsieur… ? Nous avons organisé ce match de manière à enfoncer un pieu entre Rhoadseria et Xarooda. Il ne sera pas satisfait de voir tout ceci se terminer d’une manière aussi insatisfaisante. »
« Tout à fait vrai. Avec ça, quel était l’intérêt d’intimider cet imbécile têtu, hein ? »
Les autres hommes gloussèrent à ce commentaire. C’était un rire malicieux, du genre de celui avec lequel on se moquait d’un bouffon pitoyable. Et en effet, pour eux, les actions patriotiques du comte Schwartzheim n’étaient rien de plus qu’une comédie mal jouée.
« Comte Schwartzheim… Ridicule. J’ai dû retenir mon rire quand il fit son numéro dans la salle d’audience. »
« Il est tombé dans notre piège trop facilement. Qui avait vraiment l’intention de combattre ? Il semble que cet homme soit incapable de discerner l’ami de l’ennemi. »
« C’est exact. J’ai entendu dire que le premier chef de la maison Schwartzheim avait accompli de grands exploits militaires lors de la fondation du pays, mais il semblerait que leur chef actuel est un imbécile qui n’a aucun esprit pour la diplomatie ou le jeu. »
« Cet imbécile têtu ne sait pas où est sa place. Quand j’imagine la tête qu’il fera en réalisant que ses actions n’ont fait que nuire à son royaume bien-aimé, je ne peux m’empêcher de rire. »
En repensant à la façon dont le comte Schwartzheim avait admonesté le roi au péril de sa vie et par loyauté envers son pays, les hommes éclatèrent de nouveau de rire. Ils trouvèrent le comte Schwartzheim et son bavardage constant sur la fierté de la noblesse et la loyauté envers Xarooda tout à fait irritant.
Cela dit, toutes les personnes présentes étaient en bonne relation avec le comte Schwartzheim, du moins en apparence. Ou plutôt, elles entretenaient avec lui cette façade de camaraderie en public.
Et, après qu’ils eurent fini de rire, l’homme qui était assis au fond de la salle chuchota.
« Tout le problème réside dans ce chiot. Il est dangereux… Je peux comprendre pourquoi le Seigneur Saitou et la Princesse Shardina se méfient de lui. »
À ces mots, tous les autres échangèrent des regards d’incrédulité.
***
Partie 3
« C’est ce que vous dites ? Ce garçon ne m’avait pas l’air si dangereux… »
« Je suis d’accord. Bien qu’il soit admirable qu’il ait pu rassembler des soldats tout en gouvernant une région reculée comme Wortenia, la guerre se décide par le nombre. Il ne peut pas aller sur le champ de bataille avec seulement cinq cents soldats, et former une unité mixte avec un noble inconnu n’apporterait également pas grand-chose. »
Les autres acquiescèrent. Son jugement était raisonnable. Il fallait un ordre de chevaliers, 2 500 chevaliers, pour vraiment changer le cours d’une bataille. Mobiliser une unité de moins de cinq cents hommes à elle seule était pour le moins risqué. Dans une vraie bataille, il devrait former une unité mixte avec les forces d’un autre noble.
Mais si tel était le cas, l’unité de Ryoma Mikoshiba ne serait qu’une partie d’une armée. Et aussi compétent que Ryoma puisse être, s’il ne pouvait pas opérer efficacement avec l’autre noble avec lequel il serait associé, les capacités de combat de ses forces diminueraient considérablement.
« Oui, je comprends cela. Mais quand même, je ne peux pas m’empêcher de ressentir ce sentiment… »
Un silence s’abattit sur la pièce, et les regards de tous les participants à la table ronde se rassemblèrent sur celui qu’ils appelaient « Monsieur ». Il possédait trop de pouvoir, tant au niveau de son autorité que des prouesses martiales qu’il possédait, pour qu’aucun d’entre eux ne se moque de ses paroles et ne les qualifie de délires.
« Ryoma Mikoshiba va-t-il vraiment interférer avec l’invasion de l’Empire, comme cet homme ? »
« La possibilité qu’il le fasse est bien réelle. Il est vrai que ses forces sont trop faibles pour changer le cours de la bataille, mais il est assez ingénieux pour entraîner des troupes d’une telle force… Si nous n’agissons pas prudemment, notre pacte avec la princesse Shardina pourrait être révoqué. »
Tous les hommes présents dans cette pièce avaient une chose en commun. Ils étaient tous hautains et avides de pouvoir, affamés par la chance de gagner plus de gloire et d’autorité. Et ils étaient tous des gouverneurs issus de grandes familles nobles de Xarooda, qui possédaient de vastes terres.
Mais leur plus grand point commun était qu’ils étaient tous des traîtres au royaume, qui vendraient leur pays si cela pouvait leur apporter gloire et pouvoir.
« On s’est occupé du général Belares lors de la première bataille, mais les choses ne se sont pas passées comme prévu depuis. »
« Oui, nous avons fait tout ce que nous pouvions pour rendre difficile le rassemblement des troupes, mais rien de ce que nous avons fait depuis n’a fonctionné. Et puisque cet homme a dû aller compliquer les choses, nous devons repenser notre plan de fond en comble. »
La bataille des plaines de Notis avait été l’escarmouche d’ouverture de l’invasion de l’est par l’Empire d’O’ltormea. Les agents d’O’ltormea avaient réussi à bloquer le flux de renseignements, empêchant Xarooda de prendre des mesures défensives suffisantes. Normalement, cette seule bataille aurait dû sceller le destin de Xarooda.
Et même s’il était impossible de rassembler tous les soldats du pays, repousser une invasion O'ltormean avec les seules forces appartenant directement au royaume aurait été bien trop téméraire.
Cela dit, en temps normal, ils auraient été en mesure d’enrôler des soldats des environs de la capitale et des nobles près des zones frontalières, ainsi que de faire appel à des soldats volontaires. Mais en réalité, les seules forces que Xarooda avait déployées dans la bataille des plaines de Notis étaient vingt mille chevaliers. Arios Belares avait été loué comme un maître général, mais même avec lui à la barre, charger dans la bataille était imprudent.
Et la cause de cette décision résidait dans les machinations qu’effectuaient les hommes réunis autour de cette table ronde.
Et pourtant, bien qu’O’ltormea ait gagné la bataille des plaines de Notis et soit en position de prendre d’assaut les territoires de Xarooda par la force, un homme se dressait sur le chemin des plans de Shardina.
« Joshua Belares. Les rumeurs disaient que le troisième fils du Général Belares était un rustre grossier, alors pourquoi, pourquoi… ?! Comment a-t-il pu être une telle épine dans le pied de la princesse Shardina pendant une année entière ? »
Les hommes avaient tous poussé des soupirs d’exaspération. Il n’y avait aucun nom qu’ils voulaient moins entendre maintenant que celui de Joshua Belares. Ils avaient réussi le grand exploit d’éliminer le général Belares de l’équation, mais dès qu’il était parti, ce jeune homme était apparu pour effacer complètement leur réussite.
« Les gens l’ont présenté dernièrement comme une sorte de héros de guerre. Certains des nobles qui ont maintenu une approche attentiste ont même décidé de lui envoyer des renforts. »
« Apparemment, il a utilisé le terrain montagneux pour employer des tactiques non conventionnelles. J’ai appris que les unités de ravitaillement de la princesse Shardina ont subi de lourdes pertes… »
« Faire pression sur lui maintenant serait une mauvaise idée. Même si je répugne à refuser les demandes de la princesse Shardina, nous ne pouvons pas être trop clairs sur nos intentions. »
« Ce qui veut donc dire que le moment est mal choisi pour le faire assassiner. »
Les hommes échangèrent des regards et baissèrent leurs têtes en silence. Ils n’étaient pas contre le recours à l’assassinat, et ils ne ressentaient aucune culpabilité à l’idée de tuer un jeune homme qui se battait pour défendre leur pays. Ils ne voulaient simplement pas prendre de risque. Mais après un long silence, celui qu’ils appelaient « Monsieur » entrouvrit finalement les lèvres.
« Hmm, peu importe. De toute façon, nous n’avons pas de mouvement à faire pour l’instant. Nous pourrons décider après avoir vu comment se déroule le conseil de guerre de demain. »
Les autres s’exclamèrent d’un commun accord.
« Maintenant, prions tous pour notre prospérité », dit-il.
Les hommes prirent tous les verres à vin posés sur la table ronde.
« Tous au nom de la prospérité de notre clan. »
« “‘Au nom de la prospérité.’” »
Ils burent tous le liquide, puis fracassèrent les verres contre le sol simultanément.
« Personne… Personne ne se mettra en travers de notre chemin », chuchota celui qu’on appelait « Monsieur ». Ce dernier piétina les éclats de verre qui jonchaient le sol.
C’était comme s’il essayait d’écraser un insecte sous ses pieds…
*****
Le lendemain du match sur le terrain de manœuvre, plus de 30 personnes s’étaient réunies dans une grande salle de réunion du château.
« Telle est la situation dans notre pays. J’espère qu’aujourd’hui nous pourrons discuter de notre position et trouver un moyen de sortir de cette impasse », déclara Grahalt.
Une carte de Xarooda était étalée sur la grande table, avec des pièces de jeu posées dessus pour signifier les unités déployées et les forteresses.
« Nous avons besoin de votre aide pour protéger notre pays », dit Julianus Ier, qui était assis près de Grahalt.
Ils avaient utilisé une grande salle de réunion du château pour le premier conseil de guerre des nations orientales unifiées. Des généraux et des capitaines chevaliers sélectionnés de Myest, Rhoadseria et Xarooda étaient tous réunis dans une même pièce, ainsi que des nobles de haut rang en charge des relations diplomatiques et des affaires économiques. Ils s’y rencontrèrent tous pour la première fois.
Parmi les personnes réunies se trouvait le roi de Xarooda, Julianus Ier. Ce seul fait montrait à quel point la position de Xarooda était sombre. Tout conseil de guerre auquel assistait le roi était voué à être critique.
« Non, je pense que nous devrions maintenir les lignes de front et demander à nos voisins de resserrer l’étau autour d’O’ltormea ! Heureusement, le troisième fils du général Belares maintient les lignes de front. Nous devrions faire bon usage du temps qu’il nous offre. », s’exclama un noble enthousiaste.
Un chevalier assis à côté du noble lui coupa la parole.
« Que dites-vous ? ! Nous allons faire le jeu d’O’ltormea en faisant ça. Ils veulent que nous restions assis sans rien faire pendant qu’ils occupent nos territoires un par un ! Heureusement, nous avons les renforts de Myest et Rhoadseria. Et malgré la perte du général Belares, nous avons encore les nobles des régions centrales du pays et leurs troupes. Nous devons consolider nos forces restantes et chasser O’ltormea de nos frontières d’un seul coup ! »
Avec ces deux opinions opposées comme catalyseur, les personnes environnantes partirent dans un débat animé.
« Calmez-vous. À mon avis, nos trois pays seuls ne sont pas en mesure d’avoir une chance. Nous devrions attendre que le Royaume d’Helnesgoula rejoigne également la mêlée. »
« C’est ce qui se passe depuis le début de la guerre, mais cela fait un an et ils n’ont fait aucun progrès. »
« Pourtant, même avec l’aide de Myest et Rhoadseria, notre nombre de soldats est limité. Tenir la ligne plus longtemps serait difficile. Nous devons attirer Helnesgoula dans la guerre. Ne devrions-nous pas faire tout ce qui est en notre pouvoir pour la gagner ? »
« Es-tu un imbécile ? ! Helnesgoula ne nous aidera pas ! Tu sais très bien comment ils appellent leur reine ! »
« En effet ! Elle retardait paresseusement nos messagers avec des réunions tout en déplaçant sournoisement ses armées vers notre frontière ! Elle cherche sans doute à nous voler des territoires ! »
« Précisément. Ils ont occupé une ville frontalière et n’ont plus fait aucun mouvement depuis, mais ce n’est pas pour autant qu’ils nous prêteront main forte ! »
Les nobles les plus âgés soulignèrent que le plus grand défi d’O’ltormea était leur ligne d’approvisionnement et avaient insisté pour que Xarooda entre dans un état de guerre prolongé. Pendant ce temps, les plus jeunes chevaliers affirmaient que passer à l’offensive serait essentiel pour maintenir le moral des soldats roturiers enrôlés.
Chaque opinion avait ses mérites. Les anciens notèrent qu’O’ltormea attaquait une zone centrale du continent qui était entourée de pays rivaux, ce qui faisait de la guerre prolongée une possibilité favorable. Les plus jeunes chevaliers, quant à eux, préconisaient une attaque immédiate et décisive, ce qui était compréhensible étant donné la puissance nationale limitée de Xarooda.
Chacun utilisa ses connaissances et sa sagesse pour faire des suggestions proactives et argumenter. Mais alors qu’ils le faisaient, Ryoma, Lione et les sœurs Malfist étaient assis dans un coin de la pièce comme pour éviter d’attirer l’attention, observant les débats d’un regard froid.
« Hmph, et vous appelez ça une discussion animée… ? À ce rythme, ils vont perdre avant d’avoir pris une quelconque décision. Quel est l’intérêt de crier à l’évidence si tard dans la guerre ? », chuchota Ryoma.
Lione esquissa un sourire en coin. Ryoma était assez prévenant pour ne pas le dire à voix haute, mais même ainsi, ce n’était pas quelque chose qu’il devait dire dans un conseil de guerre. Pourtant, il y avait une raison évidente pour laquelle Lione ne l’avait pas réprimandé.
Le garçon est dur… Mais ce n’est pas comme si je pouvais défendre ces gens. Le fait est qu’ils ne sont vraiment pas assez intelligents…
Le contenu de cette dispute avait déjà été deviné et prédit par Sakuya, qui était absente du conseil de guerre. Et donc pour Ryoma, tout cet échange n’était qu’une farce. Pour commencer, la puissance nationale de Xarooda représentait moins d’un tiers de celle d’O’ltormea. Ce n’était qu’en s’unissant avec les deux autres pays de l’Est qu’il pouvait espérer égaler l’Empire.
Mais la puissance nationale de Rhoadseria était affaiblie par sa guerre civile, et Xarooda lui-même avait perdu une grande partie de sa puissance militaire lors de sa défaite dans les plaines de Notis. Il était vrai que l’armée d’O’ltormea était entourée de rivaux de tous côtés, mais on pouvait en dire autant de Xarooda. Ils avaient Helnesgoula à leur frontière nord-ouest, et les royaumes du sud à leur frontière sud, et chacun d’entre eux regardait Xarooda avec avidité pour avoir une chance de voler des terres.
***
Partie 4
Les royaumes du sud étaient particulièrement connus pour leurs guerriers sauvages qui se concentraient sur les raids et les pillages, et s’ils étaient autorisés à envahir Xarooda, les régions du sud du pays seraient transformées en enfer.
Les hommes seraient tués, les femmes et les enfants seraient réduits en esclavage. Les maisons et les champs seraient brûlés, et toute la nourriture et les objets de valeur que les pilleurs pourraient trouver seraient volés. C’était ainsi qu’ils avaient pu résister à des pays plusieurs fois plus forts et plus grands qu’eux. Et c’était parce que Xarooda le savait qu’ils ne pouvaient pas déplacer leurs garnisons du sud pour participer à l’effort de guerre.
Pourtant, à ce rythme, ils vont à tous les coups perdre…
Le sens du jugement de Ryoma n’avait pas faibli. Il avait la force mentale de voir les vérités désagréables qui s’offraient à lui, et Lione savait que c’était grâce à cela qu’il avait survécu jusqu’ici.
« Cette guerre est terminée une fois que la ligne de front est repoussée jusqu’à la région de la capitale… À ce rythme, leur territoire sera divisé entre le nord et le sud, et chacun sera éliminé de son côté. C’est ainsi que ce pays finira… »
Le territoire de Xarooda pourrait être décrit comme étant presque un rectangle s’étendant au nord et au sud. La capitale, Peripheria, se trouvait en plein milieu du pays. Les lignes de front se trouvaient actuellement à trois jours au sud de la capitale, dans une cuvette entourée de montagnes. Là, les quinze mille hommes sous le commandement de Joshua Belares maintenaient la ligne avec une volonté de tout pour tout.
Mais en réalité, cela ne faisait que retarder légèrement l’invasion d’O’ltormea sur le sol de Xarooda. Les forces de Joshua avaient besoin de renforts, et ce le plus rapidement possible.
« Eh bien, renverser cette situation avec des moyens conventionnels est probablement impossible. Il faudrait parier pour sortir de cette impasse. Mais je ne voudrais pas faire ce genre de mauvais pari… »
Lione secoua la tête, un sourire amer sur les lèvres.
La situation actuelle du Royaume de Xarooda était déjà bien connue de Ryoma et de son groupe. Ryoma repensa à la carte qu’ils avaient utilisée lors de leur discussion de la nuit précédente…
Après avoir gagné la bataille des plaines de Notis, l’armée de l’Empire d’O’ltormea avait chargé vers l’est, traversant les régions montagneuses de la frontière jusqu’à une zone de plaine, où ils avaient arrêté leur progression. Ils avaient construit une forteresse, utilisant leur vaste pouvoir national en tant que premier royaume du continent occidental pour envoyer une grande quantité de soldats et de fournitures sur les terres de Xarooda. Ils devaient utiliser cette forteresse comme zone d’étape pour leur charge vers l’est.
Mais la direction de leur marche indiquait clairement qu’O’ltormea n’avait pas l’intention de charger de force la capitale, Peripheria. Ils étaient passés au sud de Peripheria. Leur intention était clairement de diviser Xarooda entre le nord et le sud. Et une fois qu’ils y seront parvenus, la guerre sera terminée.
Si les nobles qui détenaient des territoires le long du sud de Xarooda étaient coupés de la capitale, ils seraient frappés par la peur et finiraient par être incapables de se battre de manière organisée. Et cela rendrait la défaite de chaque côté du pays encore plus aisée.
Certains se rendraient même à O’ltormea. Après tout, les royaumes du sud se préparaient également à agir. Les gouverneurs régionaux ne pourraient pas tenir longtemps contre eux avec leurs milices privées.
« Je ne pense pas que quelqu’un d’autre que toi puisse trouver une stratégie pour sortir de cette impasse, Maître Ryoma… », dit Sara, ce à quoi Lione répondit en souriant et en haussant les épaules.
« Oui, ce serait difficile autrement. Il n’y a pas beaucoup d’options que nous pouvons prendre maintenant. Mais si nous faisons le même coup qu’hier, nous pourrions être en mesure de renverser la situation. », dit-elle.
Les mots de Lione étaient lourds d’insinuation, ce qui poussa Sara à froncer les sourcils.
« Mais la question est de savoir si nous pouvons vraiment réussir à le faire… ? »
Toute stratégie pouvait sembler avoir toute les chances de réussir avant d’être mise en pratique, mais la question de savoir si elle allait fonctionner et atteindre le résultat souhaité était une tout autre chose. Sous cet angle, le stratagème de Ryoma ressemblait à un tour de passe-passe stupide et délirant. Du moins, à ce stade…
Bien sûr, en étant celui qui l’avait proposé, ce dernier le savait très bien.
« Eh bien, la proposition ne semble pas bonne. Il ne sera pas facile de convaincre qui que ce soit… Tous les pays essaient de se protéger », dit Lione.
« Le problème est les mouvements de Myest… Et s’ils vont coopérer avec nous. », dit Laura en hochant légèrement la tête.
« Myest n’est pas le problème. J’ai demandé à Sakuya de rassembler des informations sur eux. Bon sang, je n’en ai même pas encore parlé au roi Julianus… Pourtant, elle va être une personne clé dans tout ça. »
Le regard de Ryoma se posa sur une femme qui se tenait derrière Grahalt et Helena. Elle avait de longs cheveux noirs, lisses, presque laqués, qui descendaient jusqu’à sa taille. Sa peau était blanche comme la neige, et elle semblait avoir une vingtaine d’années. Son comportement était si gracieux que si quelqu’un prétendait qu’elle était une sorte de princesse, Ryoma ne serait pas surpris. En termes de beauté, elle était comparable à la princesse Lupis.
Mais qu’ils soient sur la défensive ou qu’ils passent à l’offensive, les dix mille chevaliers que cette femme dirigeait seraient la clé de la victoire.
« Ecclesia Marinelle »
« … C’est l’un des grands généraux de Myest, connu sous le nom de “La Tempête”… Mais je suppose que vous ne pourriez pas le savoir juste en voyant son visage. », dit Lione, son visage se contorsionnant désagréablement.
D’après ce que Ryoma pouvait voir, Ecclésia avait l’air d’une femme noble, aussi éloignée que possible de la sauvagerie de la bataille.
« Oh, c’est vrai, tu l’as déjà affrontée une fois, n’est-ce pas, Lione ? », demanda Ryoma.
Boltz lui en avait parlé avant leur départ pour Xarooda. Les yeux de Lione s’écarquillèrent de surprise. Apparemment, elle ne s’attendait pas à ce que Ryoma soit au courant.
« Boltz te l’a donc dit… ? Lui et sa grande gueule… Oui, c’est le cas. C’était il y a quelques années. Un des royaumes du sud s’était battu avec Myest pour un territoire. C’est là que je l’ai combattue… Mais ce n’était pas comme si notre nom était important à l’époque, nous n’étions simplement qu’un pion sur ce champ de bataille. Je doute qu’elle me reconnaisse. »
Lione repensa à cette défaite amère et honteuse.
« Nous déchirions leurs lignes de front et il semblait que nous allions gagner, mais… C’était mauvais. »
C’était sa première défaite depuis qu’elle avait commencé à diriger seule un groupe de mercenaires. Lione continua à parler, crachant les mots avec frustration.
« Nous avons eu de la chance, car j’ai renoncé à les poursuivre. Grâce à cela, nous nous en sommes sortis sans qu’aucun de mes hommes ne subisse de pertes. Mais les autres personnes, les soldats à l’arrière ont tous été encerclés et anéantis… Et c’est là que la bataille devint perdue d’avance pour nous. Si je n’avais pas suivi mon intuition à ce moment-là, j’aurais été tuée par le plan de cette femme avec le reste de mes hommes… Merde, malgré son apparence inoffensive, cette femme est effrayante. »
Ryoma avait légèrement souri. Malgré sa frustration, Lione reconnaissait la force d’Ecclesia. Et Ryoma tenait en haute estime les capacités de Lione en tant que commandant. Elle était capable d’un jugement calme et savait comment garder ses soldats inspirés. Elle était légèrement impétueuse, mais elle était consciente de ce défaut et faisait des efforts pour le réprimer.
En termes de prouesses personnelles au combat, il y avait probablement beaucoup de guerriers qui étaient plus puissants qu’elle. Mais lorsqu’il s’agissait de commander des soldats, Ryoma ne connaissait qu’une poignée de personnes capables de faire mieux qu’elle. Si elle n’était pas liée par son statut de roturière, elle pourrait sûrement servir à un poste clé dans un pays.
Si Lione la craignait à ce point, Ecclesia Marinelle n’était pas un commandant avec lequel il fallait badiner.
Avoir des personnes plus compétentes autour de soi n’est pas une mauvaise chose. Helena et moi n’étions pas assez pour renverser cette position inférieure dans laquelle nous sommes… Je devrais probablement parler à l’homme qui retient l’ennemi en première ligne, Joshua Belares… Le seul problème est Myest. Que vont-ils faire dans cette guerre ?
Ryoma n’en savait toujours pas beaucoup sur les commandants qui dirigeaient les renforts de Myest. Quel était leur objectif ? Combien de pertes pouvaient-ils se permettre de subir ? Sans connaître ces informations, révéler le plan qu’il avait concocté était trop dangereux.
« Je suppose que nous devrons faire confiance à leurs capacités… », se murmura Ryoma à lui-même en observant la dispute insensée depuis le coin de la pièce.
Combien étaient-ils prêts à sacrifier pour défendre leur pays ? Julianus I n’était pas le seul à qui il aurait fallu poser cette question…
*****
Tard cette nuit-là, alors que la plupart des résidents du château étaient déjà profondément endormis, un grand cri résonna dans l’une des pièces.
« Vous pensez vraiment que vous pouvez faire ça ? ! Quelle honte avez-vous l’intention d’apporter à Xarooda… à nous, chevaliers ? ! N’importe quel compatriote préférerait mourir plutôt que de supporter une honte aussi ignominieuse ! »
Contenu dans ce cri furieux, il y avait le rugissement d’un lion dont la fierté avait été blessée. Le visage de Grahalt était rouge de colère, et il hurlait vers Ryoma avec des yeux injectés de sang. Ils firent escorter toutes les personnes étrangères à l’affaire hors de la pièce, mais Grahalt était si bruyant que Julianus I dû tourner son regard vers la porte.
La voix forte de Grahalt était un atout lorsqu’il s’agissait d’encourager ses hommes sur le champ de bataille, mais lorsqu’il s’agissait de discussions confidentielles comme celle-ci, elle devenait plutôt un problème. Helena était assise à côté de Ryoma, tandis qu’Ecclesia était assise à la gauche de Grahalt. Tous deux avaient des sourires amers sur leurs lèvres.
« La question n’est pas de savoir si nous pouvons nous permettre de continuer. Nous n’avons pas d’autre choix… Ou laisseriez-vous O’ltormea détruire votre pays ? », dit Ryoma, sans sourciller, tout en prenant de front la colère de Grahalt.
Cet échange ressemblait beaucoup à un duel de mots et d’éloquence. En effet, s’ils devaient refuser cette offre, Ryoma n’avait aucun plan de secours. Ryoma ne pouvait pas se permettre de reculer ici, tant pour la pérennité de Xarooda que pour sa survie et celle de ses camarades.
« Comment pouvez-vous dire ça ? ! Cette guerre n’a pas encore été décidée ! Pour commencer, votre proposition est au mieux une rêverie insensée ! S’il ne s’agissait que de notre pays, cela aurait été une chose, mais impliquer la Rhoadseria et Myest est de la folie ! Si vous pensez honnêtement que l’un ou l’autre des autres pays accepterait cette idée, vous êtes un imbécile sans espoir et un fou ! »
« Oui, je suppose que c’est vrai… Mais pouvez-vous trouver un autre moyen de gagner, Seigneur Grahalt ? »
Ryoma haussa les épaules devant les hurlements de Grahalt.
« J’ai quelques idées, si repousser votre défaite de quelques années vous convient. Mais si vous voulez que ce pays gagne vraiment… Il n’y a pas d’autre moyen. »
« Nous avons eu le conseil de guerre pour en discuter ! Et vous avez le culot de me demander cela alors que vous avez passé tout le conseil assis tranquillement dans un coin ? ! Votre Majesté ! »
Grahalt tourna son regard vers Julianus Ier et se leva.
***
Partie 5
« Je suis venu ici par déférence pour Dame Helena, mais je ne peux plus supporter cela. C’est une perte de temps ! Je vais me retirer dans ma chambre. »
« Attends, Grahalt. Nous nous sommes réunis ici en secret, tard dans la nuit, pour cela. Il n’y a pas besoin de tirer des conclusions hâtives. », dit Julianus Ier, en plissant les yeux sur l’homme qui caressait sa barbe blanche.
Ryoma avait demandé que cette réunion soit faite en toute confidentialité, de grands efforts et préparations avaient donc été dépensés pour assurer le secret de cette réunion. Il n’était pas nécessaire de mettre fin aux discussions alors que les choses étaient encore indécises.
« Mais, Votre Majesté… Cet homme dit n’importe quoi. Et d’ailleurs, si nous faisons ce qu’il dit, Xarooda finira par devenir un vassal de Helnesgoula », dit Grahalt.
Mais les prochains mots qui sortirent des lèvres de Julianus Ier dépassèrent l’imagination de Grahalt.
« Et c’est très bien ainsi, Grahalt. »
Un silence pesant s’était installé dans la pièce. Même Helena avait les yeux écarquillés par la surprise.
« V-Votre Majesté ? »
« Pourquoi êtes-vous si surpris ? Si nous restons en retrait et regardons les choses se dérouler, nous deviendrons les vassaux d’O’ltormea ou alors nous sacrifierons notre peuple et mourrons d’une défaite honorable. Dans les deux cas, le résultat sera le même. Dans ce cas, ne vaut-il pas mieux devenir vassaux d’un parti qui nous offrira de meilleures conditions ? »
Se battre jusqu’au bout apporterait le chaos dans les territoires de Xarooda, ravageant les moyens de subsistance de leurs sujets. Mais la même chose serait vraie s’ils devenaient vassaux d’O’ltormea. En fin de compte, la plupart des guerres étaient une forme d’activité économique. Il était impossible de dire combien de temps O’ltormea était prêt à faire durer la guerre avec Xarooda, mais s’ils avaient l’intention d’envahir et de détruire un pays entier, les préparatifs leur coûtaient probablement beaucoup d’argent. Et plus leurs pertes étaient importantes, plus ils extorqueraient de l’argent à Xarooda après la guerre s’ils faisaient une offre de vassalité.
Le tribut qu’ils exigeraient augmenterait chaque année, et les taxes tarifaires deviendraient de plus en plus injustes au fil du temps, rongeant Xarooda jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien à consommer. En fin de compte, choisir de combattre O’ltormea en l’état actuel des choses revenait à choisir entre une mort rapide et une mort lente et agonisante. Quel que soit leur choix, ils mourront sûrement.
Mais ce n’était pas parce qu’O’ltormea était un pays particulièrement cruel ou mauvais. Eux aussi devaient récupérer quelque part les dépenses de guerre qu’ils avaient gaspillées, de peur d’être confrontés à une mort imminente.
« Devenir les vassaux d’Helnesgoula n’est pas quelque chose qui me dérange en soi. Cependant, Mikoshiba, cela n’aura aucun sens si cela revient à nous faire exploiter par O’ltormea. Ai-je tort ? Après tout, au vu des mouvements effectués par Helnesgoula, j’ai du mal à croire qu’ils agiraient comme nous le souhaitons. », dit Julianus I tout en regardant fixement Ryoma.
Ryoma hocha la tête sans mot dire. C’était une question compréhensible à poser.
« C’est pourquoi j’ai réuni ici des représentants de Myest, Rhoadseria et Xarooda. Bien que je doive faire une correction. Mon idée n’était pas la vassalité à Helnesgoula, mais de créer une alliance de quatre pays avec Helnesgoula au sommet… Bien que je suppose que votre choix de considérer cela comme de la vassalité pourrait ne pas être loin de la vérité. »
À l’explication de Ryoma, Grahalt lui coupa une fois de plus la parole. Cet homme n’aimait vraiment pas le plan de Ryoma.
« Et c’est la partie que je trouve la plus détestable ! Pourquoi devons-nous impliquer un autre pays dans nos affaires ? Nous avons envoyé régulièrement des messagers à Helnesgoula depuis la bataille de Notis, mais ils ont tourné autour du pot et n’ont rien fait pendant près d’un an ! Je ne peux pas imaginer qu’ils coopèrent avec votre plan. »
Bien que ses mots provenaient principalement d’une aversion pour l’idée de Ryoma, il n’avait en aucun cas tort. Mais cela ne voulait pas dire qu’il avait entièrement raison.
Mon Dieu, pourquoi ne me laisse-t-il pas finir… ? C’est comme parler à Mikhail. Est-ce qu’être têtu comme une mule fait bien partie de la description du poste d’un chevalier ? Ryoma poussa alors un soupir intérieur.
Les doutes de Grahalt n’étaient pas sans fondement, mais Ryoma avait construit son plan en tenant compte de ce problème. Il n’avait pas l’intention de se vanter, mais il n’y avait absolument aucune chance que lui ou ses camarades ne pensent pas à un défaut que Grahalt pourrait pointer à l’avance. Il serait compréhensible que Grahalt laisse simplement Ryoma finir, mais chaque fois qu’il essayait d’expliquer quoi que ce soit, le chevalier ne cessait de lui couper la parole. Cela mettait Ryoma à bout de nerfs.
Il pouvait comprendre son impatience après que toutes leurs tentatives pour défendre Xarooda se soient avérées vaines, mais la patience de Ryoma atteignait ses limites.
C’est parce que vous êtes si mauvais dans votre travail que j’ai dû être envoyé ici en premier lieu. Vous n’avez perdu à Notis que parce que vous avez été assez stupides pour foncer tête baissée dans le plan de l’ennemi, bande de trous du cul ! Si vous détestez mon plan à ce point, alors essayez de vous faire pousser un cerveau suffisant pour effacer vos propres conneries !
Mais bien sûr, en tant que général de la Rhoadseria, il ne pouvait pas se permettre de faire une sortie aussi puérile. Aussi amer qu’il soit, il devait gérer cela comme un adulte. Et puis, Ryoma avait ses propres raisons de maintenir l’existence de Xarooda, qui étaient distinctes des intérêts de Rhoadseria.
Si l’est devait perdre le bouclier qu’était Xarooda, O’ltormea se précipiterait sur l’est, conquérant ses pays un par un. Myest pourrait probablement tenir le coup pendant un certain temps, car elle avait une économie puissante qui lui permettrait de maintenir une force de chevaliers, mais la puissance nationale de Rhoadseria était encore diminuée par la guerre civile de l’année dernière. Ou plutôt… Vu que les politiques de Lupis ne fonctionnaient pas, elle était peut-être encore plus faible que l’année dernière.
Si O’ltormea devait envoyer une armée d’invasion dans ces conditions, Rhoadseria ne serait pas en mesure de les repousser. Ryoma utilisa toutes ses connaissances pour chercher un moyen d’éviter ce scénario sans espoir. Il avait besoin que Xarooda reste où elle était, au moins jusqu’à ce qu’il soit prêt à se séparer de Rhoadseria.
Et malgré cela, ce crétin continue de se mettre en travers de mon chemin…
Ryoma ne pouvait pas se permettre de crier et de sortir en trombe de la pièce, cela aurait agité Julianus I. Ainsi, malgré le fait qu’il ne pouvait pas le montrer publiquement, le cœur de Ryoma était rempli des flammes sombres de la colère, qui rongeaient son raisonnement, petit à petit…
Peut-être que je devrais juste le liquider et en finir avec ça… Cette pensée lui avait traversé l’esprit.
S’il envoyait les principaux ninjas du clan Igasaki, ils pourraient très bien assassiner un capitaine de chevalerie. Ryoma et Grahalt se regardaient fixement, les yeux rivés dans un regard féroce. Chacun d’entre eux savait qu’en détournant le regard maintenant, il abandonnerait l’initiative à l’autre. Un froid s’installa dans la pièce.
« Ne tirez-vous pas des conclusions hâtives, Seigneur Grahalt ? »
La voix brillante et trop inopportunément joyeuse d’une femme trancha la tension.
« Le seigneur Mikoshiba n’a pas encore terminé son explication. Et comme l’a dit le roi Julianus, nous avons pris la peine d’organiser cette réunion secrète. Nous pourrons décider si ce plan est bon ou non après avoir écouté tout ce qu’il a à dire, d’accord ? »
En entendant ces mots, Ryoma sentit les flammes de la colère s’éteindre.
Merde, mes pensées deviennent trop impulsives… Cette situation me met aussi au pied du mur…
Éliminer les nuisances par la force n’était pas un choix erroné en soi, mais cela ne s’appliquait pas à toutes les situations. S’il avait planifié l’assassinat méticuleusement, cela aurait pu être une idée viable, mais il ne pouvait pas se permettre d’agir de manière imprudente et de se créer de nouveaux ennemis dans le processus.
Et vu la gravité de leur situation, il ne pouvait pas se permettre de perdre des alliés, aussi stupides qu’ils aient pu être. Abattre cet homme ne pouvait être qu’un dernier recours.
« Dame Marinelle… Pensez-vous vraiment qu’il y ait un intérêt à écouter le plan de cet homme ? »
L’expression de Grahalt se contorsionna au son de ces mots surprenants sortant des lèvres de la femme qu’il n’aurait jamais jamais pu les prononcer selon lui.
Si un général d’une expédition envoyée par un pays voisin était prêt à écouter, même Grahalt ne pouvait pas se permettre d’insister. Ecclesia avait quand-même bien plus de réalisations et de mérites à son actif.
« Mais bien sûr. C’est une idée fascinante… », dit Ecclesia tout en tournant son regard vers Ryoma.
« Seigneur Mikoshiba, c’est ça… ? J’ai entendu parler de vous. Vous vous êtes fait un nom lorsque vous avez aidé la reine Lupis à réprimer sa guerre civile. N’est-ce pas, Dame Helena ? »
« Oui, c’est le meilleur tacticien et stratège que je connaisse… »
Helena hocha profondément la tête.
« J’en ai déjà parlé à Grahalt, mais il semble que mes paroles soient tombées dans l’oreille d’un sourd. »
Helena secoua la tête avec regret. Elle réalisait que c’était un moment critique pour eux, et si on lui demandait s’il y avait un autre moyen de sortir de cette situation en dehors de l’idée de Ryoma, sa réponse honnête était qu’elle ne voyait aucune méthode viable.
« M-Mais son idée, elle est tellement absurde que ça ne vaut même pas la peine de… »
« Ça suffit, Grahalt. Tu vas te taire et écouter le seigneur Mikoshiba jusqu’au bout. », lui dit Julianus Ier.
Le doute envahit l’expression de Grahalt. Il avait compris que personne ici n’était de son côté.
« Je m’excuse pour cette interruption. Grahalt comprend maintenant sa position ici. Je vous en prie, continuez. », poursuivit Julianus Ier.
« Bien sûr, Votre Majesté. »
Ryoma hocha profondément la tête et commença à expliquer sa tactique.
Son explication incluait sa prédiction de ce que la reine du royaume d’Helnesgoula, Grindiana Helnecharles, prévoyait.
*****
La réunion terminée, Helena et Ecclesia étaient restées dans la pièce. Les deux s’assirent sur deux canapés opposés placés près de la fenêtre.
« Je m’excuse de vous avoir demandé de rester, Dame Helena », dit Ecclesia en remplissant le verre de vin devant elle.
Il s’agissait d’une bouteille de vin rouge coûteuse, importée du continent central. Un arôme distinct et exotique emplissait l’air, indiquant clairement qu’il était fait à partir des meilleurs raisins du continent central. Même à Myest, qui avait un accès facile aux routes commerciales de la mer, il était difficile de trouver une telle bouteille.
« Oh, ne vous inquiétez pas. Je suis simplement heureuse d’avoir la chance de parler à la célèbre et héroïque Dame Ecclesia. Et j’ai même la chance d’avoir ce merveilleux vin. », dit Helena tout en portant le verre de vin à son nez.
Après avoir pris une longue inspiration pour savourer l’arôme, Helena prit une gorgée.
« On ne l’appelle pas le sang de Shadora pour rien. Une saveur si épaisse… »
Helena hocha la tête de satisfaction, savourant le sublime équilibre d’aigreur et de douceur qui se répandait dans sa bouche.
Mais cela dit, Helena reposa le verre de vin sur la table peu après avoir pris cette gorgée. Cela ne voulait pas dire que le vin n’était pas à son goût, mais simplement qu’elle n’était pas là pour faire la fête. Ecclesia avait bien compris l’intention d’Helena et entrouvrit les lèvres.
« Dame Helena. Celui-là est… très vif. »
« Oui. Pour autant que je sache, c’est aussi un guerrier de premier ordre… »
« Et un maître tacticien. »
Helena acquiesça. Les capacités de Ryoma en tant que guerrier étaient évidentes au vu de son physique, mais sa véritable valeur résidait dans son intellect. Il était capable de stratagèmes vraiment ingénieux, et avait même une façon de lire dans le cœur des autres.
« Mais sa proposition n’était pas… quelque chose que je peux honnêtement qualifier de sage », murmura Ecclesia, sa voix teintée de confusion et de peur.
C’était quelque chose qu’Helena avait ressenti une fois auparavant. Mais depuis qu’Ecclesia était plus proche d’être en opposition avec lui, sa peur était encore plus forte. Helena savait, cependant, que se soumettre à cette peur ne ferait que les laisser sur le chemin de la ruine.
***
Partie 6
Elle ira cependant bien… Et dans le meilleur des cas, elle peut le voir comme un rival digne de ce nom.
Le cœur d’une personne pouvait être une chose compliquée. Certaines personnes se soumettaient à leur peur, tandis que d’autres étaient capables de la contrôler correctement. Et certaines personnes étaient capables d’utiliser la peur comme un aliment, de grandir en la surmontant. Avec cette pensée à l’esprit, Helena répondit aux mots d’Ecclesia.
« Non, ce n’est pas le cas. Même pendant le conseil de guerre, les gens avaient mentionné l’idée à maintes reprises… »
« Mais au cours de l’année dernière, personne n’a réussi à faire fonctionner ce stratagème. Pensez-vous que le Seigneur Mikoshiba en soit capable ? », lui demanda Ecclesia d’un ton implorant.
« Je ne sais pas. J’ai senti, l’espace d’un instant, lors de la réunion, qu’il pourrait y arriver… Mais je ne suis pas sûre qu’il soit capable de faire bouger la Mégère du Nord. », dit Helena en secouant la tête.
Il n’y avait aucune fausseté dans ses paroles. C’était une possibilité parfaitement plausible. Mais si on lui demandait si elle en était absolument, positivement sûre, elle devrait secouer la tête en signe de dénégation. À vrai dire, elle pensait qu’il y avait au mieux une chance sur deux. Mais l’hypothèse évoquée plus tôt par Ryoma était certainement convaincante.
« Que comptez-vous faire ensuite, Dame Ecclésia ? Allez-vous rapporter cela à Myest… ? »
Helena le demanda à Ecclesia.
Si le plan de Ryoma devait fonctionner, cela aurait des conséquences majeures sur l’équilibre des pouvoirs sur le continent occidental. Bien qu’elle ait reçu le commandement des armées de Myest, l’autorité d’Ecclésia en tant que général n’était pas suffisante pour décider d’accepter la proposition de Ryoma. Même si c’était pour gagner la guerre, cela aurait des effets durables sur les aspects diplomatiques et économiques du pays, non, sur toute la façon d’être du pays.
« Bien sûr. J’ai déjà envoyé un messager. Je ne peux pas prendre cette décision de mon propre chef… mais je pense que nous devrions adopter sa proposition. Je pense qu’après avoir lu mon opinion écrite, mon Seigneur sera d’accord. », dit Ecclesia tout en dirigeant un regard ferme vers Helena.
Ses yeux étaient brillants d’honnêteté. C’était la preuve qu’elle admettait que le plan de Ryoma était viable.
« Je vois… Mais cela ne va-t-il pas prendre un certain temps avant que nous obtenions leur réponse ? »
Qu’elles soient d’accord ou non avec le plan de Ryoma, ni Ecclesia ni Helena n’avaient l’autorité pour prendre cette décision. Mais il y avait une différence majeure entre les deux généraux. La puissance nationale de Rhoadseria était grandement épuisée, et il ne leur restait que peu de choix. Il était peu probable qu’ils refusent l’idée de Ryoma.
Mais il n’en allait pas de même pour Myest. Ils avaient la force militaire et les finances pour faire durer la guerre pendant plusieurs années, si nécessaire. Si le roi de Myest rejetait la proposition de Ryoma, il pourrait choisir d’entrer en guerre lui-même.
Et, quel que soit son choix, il faudrait du temps pour prendre une décision à ce sujet. Mais malgré les préoccupations d’Helena, la réponse d’Ecclésia était décisive et claire.
« J’attendrai la décision du roi jusqu’au dernier moment, mais si sa parole ne me parvient pas en temps voulu, je n’aurai d’autre choix que de faire avancer les choses par ma propre décision. »
C’était des mots qui, selon la façon dont on les interprétait, pouvaient être considérés comme une déclaration de révolte. On ne pouvait pas dire cela sans une grande détermination.
« Vous agiriez au-delà des ordres du roi ? Au nom du royaume ? »
Ecclesia répondit à la question d’Helena par un sourire malicieux.
« Si on considère les conséquences de la guerre, Xarooda, Rhoadseria, et Myest doivent agir comme un seul homme ici. C’est une vérité indéniable. Son stratagème ne fonctionnera qu’un certain temps. Je suis sûre que vous le savez, Dame Helena, mais si nous laissons passer ce moment, nos chances de gagner diminueront considérablement. »
Helena hocha silencieusement la tête. Même le plus brillant des stratagèmes pouvait changer avec le passage du temps. Chaque minute ou heure qui passait pouvait faire basculer les choses dans une direction différente. Ce qui aurait pu être la tactique la plus efficace un jour pourrait être rendu obsolète et sans espoir le lendemain.
Ayant conduit des soldats à la guerre pendant de nombreuses années, elles le savaient toutes deux parfaitement. Respecter la parole du roi était le devoir d’un général au service du pays. Mais si la poursuite de ce devoir les amenait à laisser passer la chance de la victoire et à mener leur pays à la ruine, cela irait à l’encontre du but pour lequel elles se battaient.
« Si mon seigneur refuse la proposition, je remettrai ma tête. Bien que je doive admettre que voir tout se dérouler exactement comme le Seigneur Mikoshiba l’avait prédit me semble aussi un peu désagréable… »
Ayant gagné par elle-même le titre de « La Tempête », Ecclesia pouvait compter sur les doigts d’une main le nombre de fois où elle s’était vu retirer l’initiative lors d’un conseil de guerre. Même dans les cas où elle n’avait pas l’initiative, elle avait toujours dit ce qu’elle pensait en tant que général. Cependant, pas cette fois. Elle n’avait pas été aussi facilement manipulée depuis la fin de son adolescence, lorsqu’elle était devenue chef de la maison Marinelle et qu’elle avait participé à sa première bataille.
Mais alors qu’elle pensait que Ryoma Mikoshiba était un impudent, Ecclesia était folle de joie. Elle sentait vivement la présence d’un rival digne de ses prouesses.
« Mon Dieu, regardez l’heure… »
Helena fronça les sourcils en entendant sonner l’horloge installée sur le mur.
« Je m’excuse de vous avoir fait veiller si tard. »
Il était déjà minuit passé. Elles avaient tellement de choses à discuter que le temps avait passé avant qu’elles ne s’en rendent compte. Helena croyait que les chevaliers devaient maintenir un style de vie strict, et il n’était donc pas fréquent qu’elle se couche aussi tard en dehors du champ de bataille.
« Ce n’est pas vrai. C’est une chance inestimable que de parler à la déesse blanche de la guerre de Rhoadseria. J’ai plutôt apprécié. », répondit Ecclesia avec un sourire calme.
« Et bien. Entendre la Tempête elle-même dire cela représente plus de flatterie que je n’ai le droit d’accepter. »
Les deux femmes rirent, puis prirent les verres posés sur leurs tables et les burent d’un trait.
« J’étais assez anxieuse quant à ce qui allait se passer quand on m’a ordonné de rejoindre les renforts et de partir en guerre, mais grâce au Seigneur Mikoshiba, les choses s’annoncent intéressantes… », murmura Ecclesia.
*****
Une forteresse clé avait été mise en place par l’armée d’O’ltormea dans le territoire de Xarooda, destinée à faciliter leur invasion du royaume. Le nom de cet endroit était Fort Noltia. Il se trouvait sur le côté est des montagnes, le long de la frontière entre Xaroodia et O’ltormea.
Le fort avait été construit à l’entrée du bassin d’Ushas, formant l’une des positions clés de l’invasion de Xarooda par O’ltormea, aux côtés du fort qu’ils avaient établi dans les plaines de Notis. Il comportait plusieurs couches de douves vides et un mur fait de pierres solides. Des sentinelles surveillaient les points importants de la base. Tout cela rendait l’importance du fort évidente.
Shardina était assise dans l’une des pièces du fort. Elle était allongée contre un canapé pendant que Celia faisait son rapport.
« Les fournitures et les soldats rassemblés au Fort Notis devraient atteindre les effectifs prévus d’ici deux semaines. En tenant compte du temps de voyage, ils devraient arriver ici dans un mois, en supposant qu’il n’y ait pas d’interruption de la part des militaires de Xarooda… C’est le rapport concernant nos provisions. »
Celia coupa court à ses propos, levant les yeux de la feuille blanche bordée de chiffres.
Le Fort Notis était un dépôt pour les fournitures qu’ils avaient rassemblées dans l’Empire. De là, le convoi empruntait un chemin sinueux contournant la montagne pour entrer sur les terres de Xarooda.
« Bien… Il semble que nous allons enfin pouvoir régler cette affaire. »
Shardina poussa un soupir, secouant la tête de manière fatiguée.
La guerre ne se déroule jamais comme on l’espère, pas vrai… ?
L’invasion de l’est était une entreprise de longue haleine, qui devait demander beaucoup d’efforts et des années. La première bataille de cette campagne, la bataille des plaines de Notis, s’était déroulée sans heurts, mais la guerre avait ensuite pris un tour inattendu.
Shardina avait supposé que, quelle que soit la durée du déclenchement initial de la guerre, elle conclurait cette étape dans les six mois au plus tard. Mais l’année qui s’était écoulée depuis avait été très maudite pour elle.
La défaite du général Belares lui coûta autant de chevaliers qu’elle en avait tués, et Helnesgoula avait envahi la frontière nord de Xarooda, la forçant à retenir l’avance de sa force principale afin de vérifier leurs actions.
Ce fut le début de ses ennuis.
Pour contrer cette tournure des événements, Shardina divisa son armée en deux. Séparant sa force principale, elle envoya une moitié de son armée pour tenir Helnesgoula en échec, ce qui en soi était un choix judicieux et évident pour un commandant.
Même en y repensant, Shardina ne pensait pas qu’elle avait eu tort de le faire. Mais le fait était que ce choix fut l’un des facteurs qui avaient conduit à la lenteur de l’invasion de Xarooda.
Si elle s’était lancée dans une poursuite rapide avec toutes ses forces après sa victoire sur les plaines de Notis et avait anéanti les restes de l’armée vaincue, elle aurait sûrement conquis Peripheria et commencé à planifier l’invasion de Rhoadseria…
Et pour ajouter à tout cela, la division de son armée fit que l’organisation de ses forces prit plus de temps qu’elle n’aurait dû, et cela n’avait fait qu’empirer sa position. Un homme avait utilisé ce petit laps de temps pour rassembler les restes des chevaliers de Xarooda et se terrer dans la région montagneuse.
« Nous pouvons enfin écraser cet homme irascible… ! »
Shardina murmura la principale raison pour laquelle la guerre avait traîné si longtemps, en se rongeant furieusement l’ongle de son pouce correctement entretenu.
Se ronger l’ongle du pouce était l’une de ces mauvaises habitudes, qui se manifestait dès qu’elle était terriblement ennuyée. Voyant cela, Celia poussa un léger soupir, assez doux pour ne pas être remarqué par sa chef en colère. À vrai dire, le comportement de Shardina n’était pas digne d’un membre de la maison royale. La noblesse de certains pays s’en moquerait carrément. Pourtant, Celia ne pouvait pas critiquer Shardina pour cela, puisqu’elle partageait cette même habitude.
Néanmoins, si un soldat voyait la princesse impériale se ronger les ongles sous l’effet de la colère, cela jetterait l’opprobre sur la réputation d’O’ltormea.
Je devrais demander à une servante de faire les ongles de Son Altesse après ça…
Se faisant cette remarque mentale, Celia prononça le nom de l’homme qui était la source des maux de tête de Shardina depuis un an.
« Vous voulez dire Joshua Belares, Votre Altesse ? »
« À cause de cet homme maudit, tous mes plans sont tombés à l’eau… »
Shardina cracha ces mots, puis poussa un lourd soupir exaspéré.
Après la mort honorable de son père, le général Belares, dans les plaines de Notis, Joshua regroupa les forces restantes et battit en retraite. Et bien que les deux camps aient perdu un nombre égal de troupes, le fait que le camp de Xarooda ait perdu son commandant suprême signifiait que la victoire revenait à Shardina. Aussi impressionnants que soient les chevaliers d’un pays militaire comme Xarooda, la coordination et le commandement comptent davantage dans une guerre.
Du point de vue de Shardina, prendre la vie de l’homme connu comme la divinité tutélaire de Xarooda si tôt dans la guerre était une victoire en soi. Et en effet, Xarooda n’avait personne d’autre pour égaler la gloire du Général Belares.
***
Partie 7
Le capitaine de la garde royale, Grahalt Henshel, et le capitaine de la garde du monarque, Orson Greed, étaient connus dans les pays environnants, mais seulement pour leurs talents de guerriers. Ils étaient peut-être capables de commander leurs ordres de chevaliers de manière experte, mais il leur manquait la capacité de superviser le champ de bataille dans son ensemble. Leurs capacités en matière de tactique et de stratégie étaient largement inférieures à celles de Shardina.
Pourtant, l’invasion qui aurait dû être une proie facile pour Shardina s’était heurtée à une contre-attaque des forces xaroodiennes dirigées par Joshua Belares. Malgré de lourds sacrifices, son attaque s’était soldée par un échec.
Ses préparatifs contre une attaque d’Helnsegoula signifiaient qu’elle avait moins de forces pour lancer une invasion, mais malgré cela, elle dirigeait les armées d’O’ltormea, comme la souveraine suprême au cœur du continent occidental. Même divisée, elle avait préparé plus de troupes qu’il n’en fallait pour écraser une armée vaincue, dont la chaîne de commandement avait été détruite par la mort du général Belares, et s’enfoncer dans les terres de Xarooda.
Mais ses plans avaient été anéantis par Joshua. Et ce n’était pas dû au fait que Shardina ait pris des décisions stupides. Joshua fit un usage judicieux des caractéristiques du terrain montagneux, de la mauvaise visibilité de la vallée et des routes sinueuses, pour exterminer rapidement les unités de poursuite envoyées après lui.
Il s’était ensuite tourné vers les tactiques défensives, faisant preuve d’une habileté et d’une capacité de commandement dignes du nom légendaire de son père. Ses actions motivèrent les nobles de Xaroodian, qui se creusaient la tête pour savoir comment protéger leur pays et leurs territoires, et virent en lui un héros national…
Ce fut ainsi que le troisième fils du Général Belares, celui qui était considéré comme un petit garçon grossier et dégoûtant, prit la scène d’assaut. Il avait déjà rassemblé des renforts des nobles environnants et des soldats volontaires parmi les roturiers, créant une armée de 15 000 soldats, ce qui dépassait les attentes de Shardina.
« À votre demande, nous avons spécifiquement fait appel à des chevaliers rompus au combat dans les régions montagneuses et aux guerres non conventionnelles de tout l’empire. Joshua Belares va découvrir que nous battre n’est pas aussi facile qu’il le pense », dit Celia.
« Bien… Je devrais envoyer une lettre de remerciement après ça. », dit Shardina en hochant la tête.
Le nombre donnait l’avantage à la guerre. C’était généralement vrai, mais ce n’était pas toujours applicable sur tous les champs de bataille. Le territoire de Xarooda était divisé par des pics abrupts et des forêts épaisses, ce qui rendait difficile la mobilisation d’une armée pour un commandant peu habitué à un tel terrain.
De plus, si l’armure métallique intégrale que portaient les chevaliers offrait une excellente défense sur un terrain plat, sur le terrain pentu des montagnes, elle ne faisait que les alourdir et gaspiller leur endurance. Les chevaliers de Xarooda étaient habitués au terrain, mais on ne pouvait pas en dire autant de ceux d’O’ltormea.
Néanmoins, O’ltormea avait recueilli des informations auprès des habitants pendant une longue période et à un coût considérable, réussissant à dresser une carte détaillée de la région. Grâce à cela et à l’utilisation de chevaliers rompus à l’usage de la guerre non conventionnelle, rassemblés à travers les vastes terres de l’empire, la victoire aurait dû être à portée de main. Si deux armées étaient égales en termes de qualité de leurs troupes et d’avantage géographique, le nombre devenait le facteur décisif.
Si nous pouvons pousser les nobles de Xarooda à abandonner leur pays, nous aurons remporté la victoire stratégique… Je dois juste m’assurer que je ne fais pas d’erreurs inutiles. Je n’ai pas besoin que ma proie échappe à mes griffes une seconde fois…
Négligence, vanité, arrogance… Shardina ne savait que trop bien qu’il suffisait d’une seule erreur de jugement pour que l’on tombe du piédestal des vainqueurs dans le bourbier des vaincus. Une victoire stratégique augmentait les chances de gagner jusqu’à 99 %. C’était la victoire au niveau tactique qui faisait grimper ses chances à 100 %.
« Aussi, Sa Majesté vous a envoyé une lettre… »
Celia sortit une lettre de sa poche alors que Shardina était toujours perdue dans ses pensées.
« Oh, Père… Il doit me presser de finir la conquête de Xarooda plus rapidement. »
Au cours de l’année écoulée, il lui avait envoyé des lettres hebdomadaires par oiseau porteur ou par coursier à cheval. Elle pouvait deviner le contenu de la lettre assez facilement. À vrai dire, la répétition des lettres était devenue gênante.
Mais bien qu’ils soient parents et enfants, il y avait une grande différence de statut entre l’Empereur Lionel et la Princesse Impériale Shardina. Elle ne pouvait absolument pas se permettre de ranger la lettre dans son tiroir sans la décacheter. Soupirant une fois, Shardina se leva du canapé.
Je peux comprendre l’impatience de Père, et pourtant…
Aussi vaste que soit O’ltormea, il y avait toujours une limite à sa puissance nationale et au nombre de troupes qu’elle pouvait mobiliser. Indépendamment de cette campagne, il y avait toujours des combats constants aux frontières avec Helnesgoula et Qwiltantia. Il ne s’agissait que d’escarmouches mineures, mais elles pouvaient se transformer en guerre totale à tout moment. Le désir de l’empereur de voir cette campagne se terminer le plus rapidement possible était compréhensible.
« Laisse-moi voir », dit Shardina.
Celia lui tendit la lettre sans un mot. Shardina brisa le sceau et parcourut la lettre de l’Empereur, mais ce faisant, son expression s’assombrit. Un claquement de langue s’échappa de ses lèvres bien formées. C’était loin de la conduite normale de Shardina, où elle s’efforçait de maintenir la dignité et la grâce attendues de la Première Princesse de l’Empire.
Quoi qu’il y ait dans cette lettre, ça ne peut pas être bon…
Voyant le changement d’attitude de la Princesse, Celia sentit l’effroi s’installer dans son cœur.
« Tu devrais lire ça aussi… », dit Shardina en lui tendant la lettre.
« Puis-je ? », demanda Celia en la prenant.
Je vois… Alors c’est pour ça… Celia lit rapidement la lettre, son expression s’assombrissant tout comme celle de Shardina.
« La renarde du Nord a finalement fait son choix… », dit Celia.
L’armée d’Helnesgoula est en mouvement.
En voyant ces mots gravés sur la lettre, Celia n’avait pu s’empêcher de soupirer d’irritation.
« Leur deuxième formation n’est encore qu’en garnison près de leur frontière avec Xarooda, mais… », dit Shardina.
Ils se doutaient que les choses pourraient se passer ainsi depuis le début de la guerre. Mais un an s’était écoulé depuis la bataille de Notis, et Helnesgoula n’avait rien fait. Et maintenant, juste au moment où O’ltormea était sur le point de lancer une offensive à grande échelle sur Xarooda, ils avaient agi. Appeler ça un mauvais timing serait un euphémisme.
« Et juste au moment où nous sommes sur le point de diviser Xarooda… Pourquoi rien ne va jamais dans notre sens ? »
C’était comme si le dieu du destin était opposé à la prospérité d’O’ltormea. Mais de manière réaliste, Helnesgoula avait probablement envoyé d’innombrables espions à Xarooda pour surveiller de près les mouvements de Shardina.
« Est-ce que nos plans ont fuité d’une manière ou d’une autre… ? »
« Selon toute vraisemblance… »
Du point de vue de la Renarde du Nord, l’expansion d’O’ltormea représentait un risque croissant pour la sécurité de son pays. Si O’ltormea devait annexer les territoires de Xarooda, Helnesgoula serait entouré de ses plus puissants rivaux. Elle aurait Qwiltantia à l’ouest et O’ltormea au sud et à l’est.
« Tu crois vraiment qu’ils vont se joindre à la guerre ? », demanda Shardina.
« Qui peut le dire ? Personnellement, je pense qu’il y a des chances que ce soit un autre bluff. Il y a un an, Helnesgoula a déclaré la guerre à nous et à Xarooda, mais ils n’ont occupé qu’une ville frontalière au nord. Ils n’ont fait aucun mouvement pour aller vers le sud depuis. S’ils voulaient interférer de manière proactive, ils l’auraient fait à l’époque. »
« Donc tu penses qu’Helnesgoula n’a aucun désir d’avancer vers le sud ? », demanda Shardina.
Celia acquiesça. Après la bataille des plaines de Notis, Helnesgoula avait franchi la frontière de Xarooda et occupa une de ses villes frontalières. Mais si les militaires d’Helnesgoula y avaient tenu garnison pendant un an, ils n’avaient plus fait aucun mouvement depuis. Ils étaient simplement restés à la frontière, acceptant de temps en temps des messagers de Xarooda.
« Il y a un an, tu as arrêté la marche de notre armée en apprenant l’interférence d’Helnesgoula dans la guerre. Je me demande donc si ce n’est pas un autre bluff destiné à nous empêcher de lancer un assaut… »
« Même si c’est le cas, nous devrons quand même réfléchir à une contre-mesure », conclut Shardina avec amertume.
Le plus ennuyeux dans cette affaire était que même s’il s’agissait d’un bluff de la part d’Helnesgoula, Shardina devrait quand même se préparer à l’éventualité qu’ils fassent quelque chose. Sinon, elle serait impuissante dans le cas où l’armée d’Helnesgoula marcherait vers le sud sur eux. Même s’ils n’avaient pas l’intention de le faire maintenant, cela ne voulait pas dire qu’ils ne le feront jamais.
Lorsque Helnesgoula avait franchi pour la première fois la frontière de Xarooda, Shardina leur avait envoyé un messager. Elle savait qu’il serait ignoré, mais elle s’était dit que ça ne pouvait pas faire de mal d’essayer. Elle avait proposé de diviser le territoire de Xarooda en deux, mais le messager avait été renvoyé sans avoir eu l’occasion de transmettre son message.
La situation étant ce qu’elle était, Shardina ne pouvait pas se permettre d’envoyer toute son armée et de s’exposer à l’attaque d’un autre rival.
On attendra l’arrivée de nos renforts, on attirera Joshua Belares dans une bataille de plaine, et on gagnera là… Puis, une fois que le moral de Xarooda sera en baisse, nous arriverons et diviserons le pays au nord et au sud en une seule fois… Une bataille rapide et décisive… C’est notre seul choix.
Shardina repensa au plan qu’elle avait conçu au préalable. La puissance du nord ne viendrait même pas à la table des négociations. Si elle devait continuer à se méfier de leurs mouvements et hésiter à agir, la guerre pourrait durer des années et elle ne serait pas en mesure d’occuper Xarooda.
Shardina étala une feuille de papier de qualité sur la table et commença à écrire dessus avec une plume d’oie.
« Je vais rappeler Sudou de Rhoadseria. Une fois que les unités envoyées autour auront terminé leurs batailles, elles commenceront à se préparer pour la bataille décisive. Et j’enverrai ceci à Père… Tu le confirmes aussi. »
Se conformant aux paroles de son suzerain, Celia ouvrit la lettre. En voyant son contenu, elle écarquilla les yeux. Akitake Sudou était actuellement à Rhoadseria, agissant en tant qu’agent d’O’ltormea. Sur le papier, sa position était celle d’un proche assistant de Radine Rhoadserians. Mais, comme l’année dernière lors de la bataille de Notis, il pouvait faire office d’officier d’état-major temporaire pour l’effort de guerre.
Pour commencer, Sudou était un Rearth, mais le grand-père de Celia, Gaius Valkland, avait reconnu ses capacités. Au sein de l’organisation des renseignements d’O’ltormea, il était distingué pour ses compétences et ses services.
Et maintenant que Gaius était mort, il ne serait pas étrange qu’il prenne la tête de l’organisation en tant que successeur. Le fait qu’il soit toujours sur le terrain montre qu’il était capable de régler les problèmes rapidement et de manière décisive, et que Sudou préférait être au cœur de l’action. Et donc, en échange d’être autorisé à le faire, Shardina l’avait convoqué pour l’aider de temps en temps.
J’imagine qu’il va créer une sorte de prétexte astucieux et venir rapidement aux côtés de Son Altesse. Il aime la guerre… Mais tout de même.
Le problème était l’autre nom sur la lettre.
« Je comprends qu’on appelle Sire Sudou, mais pourquoi Sire Rolfe, Votre Altesse ? »
Le capitaine de la garde royale, dont les louanges étaient chantées dans tout l’Empire comme le Bouclier de l’Empereur. En tant que l’un des subordonnés les plus fiables de l’Empereur, il était le principal responsable de sa sécurité. Rolfe ne montait au front que lorsque l’Empereur lui-même entrait dans la mêlée.
« Aucun commandant ne peut égaler le Seigneur Rolfe quand il s’agit de batailles défensives. Je n’ai pas d’autre choix… Nous ne pouvons pas laisser ce fort tomber pendant que nous attaquons les lignes de front. »
« Tu penses que l’armée de Xarooda pourrait bouger pour nous couper par l’arrière ? », demanda Celia.
Shardina hocha la tête en silence. Si l’ennemi devait profiter de l’ouverture pendant que les forces de Shardina avançaient pour conquérir le fort de la ligne de front, elles seraient coupées du reste de leur armée. Compte tenu des forces restantes de Xarooda et de la qualité de leurs commandants, Shardina ne pensait pas qu’il était probable qu’ils fassent un tel pari, mais Shardina visait à être parfaitement préparée à toute éventualité.
« Donc tu veux que la garde royale défende ce fort ? », demanda Celia.
Appeler Rolfe, le capitaine de la garde royale, signifiait inévitablement appeler les chevaliers sous ses ordres. Shardina secoua cependant la tête.
« Non, je n’ai pas l’intention de mettre les gardes royaux en mouvement. Je vais lui demander de défendre cette base avec ses aides personnels. Malheureusement, c’est le seul moyen que je puisse concevoir pour que Père soit d’accord avec… Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre cette guerre. »
Celia hocha la tête en silence, sentant la ferme résolution dans les mots de Shardina. Elle s’était ensuite inclinée, tourna les talons et quitta la pièce.
« C’est vrai… Je ne peux pas me permettre de perdre… Pour l’amour de Père, et au nom de mes idéaux… »
Désormais seule dans sa chambre, Shardina se murmura ces mots une fois de plus, comme pour réaffirmer sa détermination. Elle regarda par la fenêtre le ciel de l’Est.
Pour établir une paix durable sur ce continent occidental déchiré par la guerre, il fallait devenir un souverain absolu. Choisir de faire la guerre au nom de la paix pouvait sembler contradictoire, mais c’était le véritable idéal de l’Empereur Lion, Lionel Eisenheit, et de sa fille Shardina.
Alors que les motivations de beaucoup se croisaient et s’entrecroisaient, la bataille qui décidera du sort du Royaume de Xarooda se rapprochait de minute en minute. Et pendant ce temps, le son des pas de l’énorme bête du nord résonnait dans toutes les oreilles, alors qu’elle se dirigeait vers le sud…