Chapitre 5 : Les oppressés
Table des matières
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Chapitre 5 : Les oppressés
Partie 1
« Ooh, alors elle a essayé de vous tester, seigneur… Cette femme est en effet suffisamment sage pour diriger une entreprise toute seule à un si jeune âge. »
Genou baissa les yeux en entendant le récit de Ryoma sur sa rencontre avec Simone.
« Et pourtant, penser qu’elle puisse vous examiner si minutieusement… Nous ne devrions pas prendre à la légère son réseau de renseignements. Elle ferait un ennemi problématique. »
Genou avait eu une impression positive de ses capacités en voyant qu’elle avait enquêté sur son maître. C’était la preuve qu’il ne servait pas Ryoma par loyauté aveugle. Un adepte plus aveugle aurait pu contester le fait qu’elle avait testé Ryoma, mais aucun des compagnons de Ryoma n’avait réagi de cette façon.
« Je pense que nous n’avons pas à nous inquiéter qu’elle se retourne contre nous pour le moment. Elle a besoin de moi aussi longtemps qu’elle choisira de rester à Epire. Moi, avec mon droit de régner sur la péninsule de Wortenia… Mais qui sait quand la situation pourrait changer. Reste au moins prudent, Genou. », déclara Ryoma.
Ryoma ne pensait pas que Simone se retournerait contre lui de son plein gré, mais tout dépendait de la situation. Par exemple, une possibilité terrible était que son père soit pris en otage. Elle n’aurait pas d’autre choix que de s’opposer à lui.
« Compris, seigneur… Mais son réseau de renseignements est assez impressionnant… Elle a probablement utilisé les marchands. »
« On dirait bien. Même si sa compagnie est en déclin, c’est une compagnie assez ancienne. Ils ont probablement des liens avec d’autres grandes compagnies. Ils échangent probablement encore des informations via des pigeons voyageurs de temps en temps. »
« La force d’une compagnie ancienne, c’est qu’elle… Elles utilisent ces informations pour envoyer des gens enquêter sur des rumeurs. »
« Oui, en même temps, ils envoient leurs caravanes faire du commerce… Je vais les faire travailler en tandem avec toi, Genou. D’après ce que j’ai entendu, ils ont des spécialistes du combat qui accompagnent leurs caravanes pour l’autodéfense. »
« Alors je vous soutiendrai dans l’ombre avec eux, seigneur. »
Le groupe de Simone était mieux adapté à la collecte massive d’informations avec un grand nombre de personnes. Genou était mieux adapté aux cambriolages, à la torture et aux subterfuges. La différence entre eux étant que le groupe de Simone était capable de rassembler des informations à plus grande échelle, mais à un niveau superficiel, alors que Genou était capable de rassembler beaucoup d’informations concernant une cible précise.
Ils étaient tous deux experts en matière de collecte d’informations, mais leur façon de travailler était essentiellement opposée. Tous deux avaient leurs mérites, et s’ils devaient travailler ensemble, ils formeraient un formidable réseau de renseignement.
Genou semblait soulagé de voir que sa valeur n’avait pas diminué aux yeux de Ryoma. Son expression normalement froide et immuable se fondait en un doux sourire.
« Quoi qu’il se soit passé, tout s’est bien terminé. On s’est mis en contact avec une puissante organisation de renseignements sans même l’avoir prévu, et on sait qu’on peut faire confiance à la société Christof pour les fournitures. », demanda Lione.
« Non… La compagnie Christof ne va rien nous vendre dans l’immédiat. » dit Ryoma en secouant la tête.
« Hein ? Bordel ! Cette discussion ne visait-elle pas à nous faire acheter des fournitures chez eux ? Si nous ne pouvons pas obtenir d’eux ce dont nous avons besoin, où allons-nous le trouver ?! », s’exclama Lione, choquée.
Sa surprise était compréhensible. Ils avaient besoin d’un fournisseur qui ne soit pas influencé par le comte Salzberg, et c’était la compagnie Christof. La compagnie avait même accepté de coopérer avec eux. Et pourtant, Ryoma venait de dire que la compagnie ne traiterait pas avec eux. Il n’y avait que dix grandes entreprises à Epire, mais les neuf autres étaient toutes sous la coupe du comte Salzberg.
Ryoma avait pourtant anticipé sa question.
« Eh bien, la société Mystel, bien sûr… Ou, eh bien, c’est ce que j’ai décidé avec Simone… À ce stade, il serait mauvais que la société Christof s’allie avec nous publiquement. Cela ne servirait qu’à provoquer le comte Salzberg. »
Ces mots avaient fait naître une prise de conscience chez toutes les personnes présentes. S’allier à la compagnie Christof, que le comte avait considérée comme son opposition, donnerait au comte Salzberg le sentiment qu’il était en danger. Pourquoi traiteraient-ils avec cette compagnie ? Il supposait que Ryoma avait peut-être l’intention de s’opposer à lui. Ce n’était pas une bonne tournure des événements pour Ryoma et son groupe.
Ainsi, lorsque Ryoma et Simone discutèrent après avoir convenu d’un partenariat, ils décidèrent qu’il serait préférable pour Ryoma de travailler avec la société Mystel comme si rien ne s’était passé. Au moins jusqu’à ce qu’ils aient un certain pouvoir sur le comte.
Pendant ce temps, Ryoma communiquerait à la société Christof des informations provenant du comte Salzberg, tandis que Simone se préparait au moment où le comte tenterait de faire pression sur Ryoma dans un avenir proche. Et si le comte Salzberg regardait Ryoma de haut et pensait qu’il était un simple arriviste, il agirait probablement en faveur de Ryoma tant que celle-ci continuerait à garder la tête basse et à demander de l’aide.
Après tout, le comte Salzberg avait une grande faiblesse au-dessus de sa tête, sa possession de la veine d’halite.
« Je vois… Oui, ce serait plus sûr… »
« En effet. »
Genou et Boltz hochèrent la tête en signe de compréhension.
« Eh bien, c’est bien le genre de plan que tu ferais éclore, mon garçon. Surtout la partie où tu utilises le comte pour tout ce qu’il vaut », remarqua Lione d’un ton taquin.
L’ennemi devait être pris au dépourvu et achevé d’un seul coup. C’était un plan qui mettait l’accent sur l’efficacité et se souciait peu des apparences ou de la dignité venant d’une personne qui ferait sans relâche des choses qui pourraient être considérées comme lâches ou injustes dans ce monde.
Du point de vue de Lione, Ryoma était le type d’ennemi le plus terrifiant qu’on puisse imaginer.
« Mais Maître Ryoma… le comte Salzberg ne saura-t-il pas que nous avons visité la compagnie Christof avant d’aller à la compagnie Mystel ? », demanda Sara avec anxiété.
« Eh bien, d’après ce que dit Simone, il y a toujours des gens qui regardent le bâtiment de la compagnie Christof… Nous ne pouvons pas cacher le fait que je l’ai rencontrée », avait admis Ryoma.
« Alors que ferons-nous ? »
« Je vais être honnête. Dites-leur que j’ai demandé à la compagnie Christof de me vendre des fournitures, et qu’ils ont refusé… C’est pourquoi je suis retourné voir le comte Salzberg en pleurant, tout en lui demandant de me présenter à la compagnie Mystel. »
Et la raison pour laquelle il n’avait pas immédiatement fait la demande au compte était que Ryoma se sentait trop réservé pour le déranger. Il avait choisi la compagnie Christof uniquement parce que l’endroit semblait moins fréquenté, mais il avait été rejeté. En apprenant le rapport de force à Epire, Ryoma paniqua et demanda l’aide du comte. Il n’avait pas l’intention de traiter avec la compagnie Christof en particulier, et n’avait aucune intention de s’opposer à lui…
Ou du moins, ce serait l’histoire de Ryoma.
Les descriptions que Simone et Genou firent de la personnalité du comte correspondaient au malaise que ressentait Ryoma à l’égard de cet homme. L’accueil chaleureux qu’il avait réservé à Ryoma il y avait quelques jours était une comédie. Le comte Salzberg était arrogant de naissance et méprisait les autres personnes. Compte tenu de sa personnalité, se jeter à la merci de Ryoma lui ferait perdre son sentiment de supériorité et baisser sa garde. Il ne penserait pas que Ryoma ne faisait que le tromper…
« Hmmm... Vous avez donc pris en compte la personnalité du comte », fit remarquer Genou.
« Aussi impressionnant que jamais, mon garçon… »
Boltz soupira dans un mélange d’exaspération et d’admiration.
« Un bon mensonge est celui qui contient un peu de vérité… » dit Ryoma, un sourire froid sur les lèvres.
« Cela apaiserait le comte dans un faux sentiment de sécurité, et le convaincra de nous donner l’aide dont nous avons besoin. Nous pourrons nous en débarrasser le jour où l’on n’aura plus besoin de lui. »
Ils le tromperaient, ce qui leur permettrait de le vaincre plus tard…
« Eh bien, maintenant que nous savons où nous allons trouver des provisions… Mais qu’en est-il des citoyens ? », demanda Genou avec un soupçon d’inquiétude à la voix.
Ils avaient pu se mettre d’accord sur leur future politique en matière d’embauche de mercenaires et de ravitaillement. La seule question qui restait était de savoir où ils allaient faire venir des habitants pour peupler la péninsule.
« Oui, à ce propos… Est-ce que quelqu’un a de bonnes idées ? »
Ryoma avait dû admettre que c’était une question qui lui donnait mal à la tête. Faire migrer les gens était déjà assez difficile. Même si l’on mettait des affiches dans les villages et les colonies avoisinantes, personne ne voudrait migrer vers une terre non développée comme Wortenia. Elle grouillait de monstres puissants, de colonies semi-humaines et de repaires de pirates.
Si la terre était au moins quelque peu développée, ils auraient peut-être pu convaincre certaines personnes de venir, mais c’était impossible lorsque la terre était essentiellement intacte. Même les promesses d’une fiscalité favorable ne seraient pas utilisables ici.
Et il y avait un autre problème majeur. Ces terres étaient gouvernées par des nobles. Normalement, ils ne considéraient leurs citoyens que comme du bétail qui produisait des impôts. Mais que feraient-ils si leurs citoyens devaient migrer vers un autre territoire ? Chaque personne qui quittait sa terre signifiait moins de revenus fiscaux pour ces nobles.
Ils se plaindraient auprès de la reine Lupis ou choisiraient de recourir à la force de leur propre chef. Quelle que soit la voie qu’ils choisiraient, Ryoma serait fini. Peut-être qu’il serait plus puissant à l’avenir, mais actuellement il était plus faible que le plus jeune et le plus insignifiant des nobles du pays.
Tous s’étaient tus devant la question de Ryoma, essayant de trouver une solution. Les voyages de Ryoma lui avaient appris à penser de manière créative en ignorant la logique de cette Terre. Ce serait la clé pour résoudre ce dilemme.
« J’ai une idée… Mais elle coûtera cher. Mais cela augmentera le nombre de nos résidents permanents… Et je ne pense pas que les autres nobles seraient opposés à cette méthode. », dit Laura, alors que tous les regards convergent vers elle.
Ces mots semblaient commodes… Trop commodes pour les oreilles de Ryoma. Le fait que l’argent puisse résoudre ce problème signifiait qu’ils pouvaient le résoudre à leur guise et gagner des citoyens quand ils le voulaient tant que leurs fonds le permettaient.
Une méthode aussi simple existait-elle vraiment ? Ryoma avait dû la regarder avec léger doute.
« Il y a plusieurs marchands d’esclaves qui font des affaires dans les ruelles de cette ville. Peut-être pourrions-nous acquérir des esclaves de travail auprès d’eux ? Cela ne nous coûterait que les frais d’achat des esclaves. Un citoyen normal n’aurait pas accès à la magie, nous devrions donc leur apprendre à le faire. Dans ce cas, il serait peut-être plus sûr de renoncer à faire venir des gens des autres territoires de la noblesse et de se contenter d’acheter des esclaves. »
Chacun avait rapidement pesé le pour et le contre de la suggestion de Laura.
« Ce n’est pas une mauvaise idée… »
Genou avait été le premier à rompre le silence.
« L’achat d’esclaves éviterait les frictions avec les nobles, et nous permettrait d’augmenter notre population autant que nos fonds le permettent. Mon seul problème avec cette suggestion est que les esclaves que nous achetons pourraient se révolter contre le seigneur… »
Boltz, qui était assis à côté de Genou, inclina la tête.
***
Partie 2
« Je pense que les inquiétudes de Genou sont fondées. Et il y a aussi la question de savoir si nous pouvons vraiment nous le permettre. N’avons-nous pas été pressés de trouver des fonds ? »
« Je crois que les esclaves de travail, et surtout ceux qui n’ont pas encore mûri, ne coûteraient pas tant que ça… Et ils offrent souvent des rabais aux clients qui en achètent un grand nombre. Je crois que c’est financièrement faisable. »
« Je vois… Dans ce cas, ça semble être une bonne idée. »
Acheter plusieurs esclaves à la fois leur permettrait de négocier le prix par tête. S’ils promettaient d’acheter périodiquement d’autres esclaves, les marchands d’esclaves ne seraient pas enclins à les refuser. C’était une idée plausible.
« Mais qu’en est-il de leur révolte ? La péninsule de Wortenia est vraiment un enfer. L’argent n’est peut-être pas un problème ici, mais peut-on vraiment faire de ces esclaves des résidents de cette terre ? », demanda Lione.
« Hmm. Je me le demande. »
Boltz s’était mis en tête de répondre à sa question.
Une personne qui n’avait pas vécu comme un esclave ne pouvait pas espérer répondre à cette question. Ils savaient que la vie d’un esclave était cruelle, mais même encore, vivre à Wortenia était une perspective dangereuse. Il était difficile d’imaginer qu’ils choisissent volontairement d’y vivre.
« Promettre de les libérer de leur statut d’esclave en échange ne serait-il pas suffisant ? »
Sara fit sa demande.
« Hein ? »
Lione jeta un regard suspicieux dans sa direction.
« Tu dis qu’on devrait dépenser de l’argent pour ces esclaves et ensuite les libérer ? »
« Oui. Laura et moi étions à l’origine des esclaves de guerre… Mais Maître Ryoma nous a libérées. Nous nous consacrons à lui par loyauté absolue, mais si nous étions encore des esclaves… »
Elles n’auraient pas ce genre de loyauté envers lui. Sara n’avait pas dit ces mots, mais tout le monde avait compris ce qu’elle voulait dire. Aucun esclave n’était vraiment loyal envers son maître. Ils pouvaient servir par peur du fouet, mais la haine tourbillonnerait certainement dans leur cœur. Assez pour les inciter à essayer à tuer leur maître au premier signe de faiblesse.
« Je vois… C’est donc ainsi que vous l’avez rencontré », chuchota Lione en elle-même, apparemment convaincue.
Lione et Boltz s’étaient toujours demandé pourquoi elles étaient si loyales envers Ryoma.
Effectivement… Les esclaves sont considérés comme des objets vivants. Donc si quelqu’un leur donnait le droit d’être à nouveau humains, ils se sentiraient redevables…
Lione comprenait à quel point la vie d’esclave devait être dure et honteuse. Elle était née roturière, et honnêtement, les roturiers n’étaient pas très différents des esclaves. Ils étaient obligés de payer des impôts et de se battre en temps de guerre, et en plus de cela, un roturier pouvait très facilement être vendu comme esclave. Et ce qui l’attendait au-delà, c’était un destin cruel et le piétinement de sa dignité humaine.
« Hmm, donc libérer les esclaves renforcerait leur fidélité envers le seigneur et n’augmentera pas la colère des autres nobles… Une belle idée », conclut Genou.
Ce qui comptait, c’était que les esclaves soient loyaux envers Ryoma. En d’autres termes, on pourrait appeler cela d’une certaine manière du patriotisme. C’était quelque chose qu’un noble arriviste comme Ryoma n’aurait pas obtenu normalement. Mais tant que Ryoma ne faisait rien d’assez stupide pour les faire se révolter, les esclaves libérés ne se retournaient pas contre lui.
Ce serait manipuler leurs émotions… Mais je n’ai pas vraiment le choix.
Et si Ryoma n’achetait pas leur liberté ici, ils resteraient esclaves du destin. Ils continueraient à être utilisés par les autres, au moins tant qu’ils n’auront pas beaucoup de chance. Par rapport à cela, l’idée des sœurs Malfist semblait presque être une sorte de salut. Ryoma allait certainement continuer à les utiliser, mais la différence essentielle était qu’ils seraient traités comme des êtres humains.
« Très bien. Si je ne les achète pas, quelqu’un d’autre le fera… et les sauver jouera en ma faveur. C’est un bon choix. Demain à la première heure, faisons le tour des compagnies qui traitent avec les esclaves. Sara, Laura, vous deux, venez avec moi. Genou, je veux que tu continues à enquêter sur le comte Salzberg ! Lione, tu continues à travailler sur les mercenaires, et Boltz, je veux que tu continues à rassembler des informations sur la péninsule. »
Tout le monde acquiesça aux paroles de Ryoma. Ryoma détestait le système esclavagiste du plus profond de son cœur. Il réduisait les gens en objets, et aux yeux de Ryoma, rien n’était plus important que la volonté et la liberté d’une personne. C’était en partie pour cette raison qu’il détestait tant la reine Lupis. Elle avait abusé de son autorité et de son statut social et avait par conséquent ignoré la volonté de Ryoma.
Ayant été opprimé une fois, Ryoma se vengerait en utilisant le pouvoir d’esclaves tout aussi opprimés. Le son de cette idée résonnait doucement dans son esprit.
Un système de classes ? On s’en fout. Je vais réduire votre arrogance en miettes !
La volonté qui remplissait cette pièce allait déborder, et s’abattre sur l’ensemble du continent occidental comme un raz-de-marée.
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« Les ruelles, hein ? »
Le soleil venait de passer son zénith et commençait à plonger dans le ciel occidental lorsque Ryoma mit les pieds dans le district nord d’Epire. Des ruelles sales, remplis d’odeur de saleté et de pourriture s’étendaient devant lui. Il n’avait que légèrement dépassé la rue principale lorsqu’il s’était retrouvé sur des routes sombres couvertes d’établissements ombragés.
« Il devrait y avoir une place plus loin, où se trouvent toutes les compagnies esclavagistes. »
Ryoma fit un léger signe de tête à la voix de Laura et pénétra dans le sombre ventre de la citadelle d’Epire.
« Bien vu, monsieur le noble ! »
Un homme barbu qui se présentait comme le commerçant s’inclina joyeusement devant lui.
« Est-ce votre première visite ici ? Nous sommes honorés de vous recevoir. La compagnie Abdul est le plus grand fournisseur d’esclaves à Epire. Nous vendons des esclaves de travail et des esclaves sexuels, et nous avons également une sélection d’esclaves de guerre. Notre stock est vaste, et nous vous garantissons que vous trouverez un esclave à votre goût parmi nos marchandises. »
Tout autour d’eux se trouvaient des esclaves, qui regardaient nulle part avec des expressions vides et étaient attachés au mur avec des chaînes. La peau du commerçant était grasse et son expression était pleine de cupidité et de luxure. C’était comme si une force de la nature avait pris la définition du mot « Avarice » et l’avait façonnée en un visage humain.
Son corps était épais à la fois horizontalement et verticalement. Il était à peine plus court que Ryoma, mais trois fois plus large. Il était vêtu d’une robe à manches longues couverte de bijoux. Mais malgré cette tenue, le fouet en cuir qui pendait à sa ceinture était terriblement vif. Il l’utilisait probablement pour fouetter les esclaves désobéissants. Le cuir de son manche brillait, comme pour attester de la fréquence de son utilisation.
« J’aimerais… acheter un esclave », dit Ryoma à travers ses dents, en faisant de son mieux pour réprimer ses émotions.
Si Sara et Laura n’avaient pas saisi l’ourlet de sa cape, Ryoma aurait sans doute été dépassé par la colère qui grondait dans son cœur et aurait réduit le visage du marchand en bouillie sanglante. Le commerçant ignorait béatement les sentiments de Ryoma à ce sujet.
« Oooh ! Nous apprécions grandement votre patronage, Monsieur le Noble. »
Le commerçant souriait en se frottant les mains de manière assez flagrante.
« Cherchez-vous des esclaves de travail ? Ou peut-être un esclave avec qui passer vos nuits solitaires, hmm ? Nous n’avons pas autant d’esclaves de guerre, mais nous vous fournirons volontiers au mieux de nos capacités. »
Vu sa taille et sa vivacité d’esprit, le marchand avait le don des mots. Son regard sur les clients potentiels était impressionnant en soi. Au moins, il discernait que Ryoma était un noble, rien qu’en regardant sa tenue. Il portait la chemise et la cape en soie qu’il avait achetées pour sa visite à la propriété du comte Salzberg, mais ne portait rien d’autre qui puisse l’identifier comme un noble.
« J’ai besoin d’esclaves de travail, et de beaucoup d’entre eux. C’est important. Et j’ai quelques exigences. J’ai besoin de garçons et de filles, tous au début ou au milieu de l’adolescence. Autant de garçons qu’il y a de filles. En gros… Trois cents… Si votre compagnie n’en a pas autant, j’aimerais que vous fassiez appel à d’autres compagnies pour fournir ce nombre. », lui dit Ryoma.
Le marchand d’esclaves regarda Ryoma d’un air interrogateur. Sa demande avait probablement été une surprise.
« Si je peux me permettre, Monsieur le Noble, ils me semblent un peu trop jeunes selon moi. Si vous cherchez des esclaves de travail, vous voudriez probablement des plus âgés… Des hommes d’une vingtaine d’années environ ? Et si vous cherchez à en faire vos jouets, laissez-moi vous dire que le corps d’un esclave de travail n’est pas très beau à voir. Qu’il s’agisse de jeunes filles ou de jeunes garçons, les plus séduisants sont vendus comme esclaves sexuels. Vous n’en trouverez pas de beaux parmi les esclaves du travail. »
Il jeta un regard approfondi sur Ryoma.
« Et trois cents… Notre établissement est le plus grand d’Épire, mais ce nombre est un peu… Mes excuses, Monsieur le Noble, mais comment comptez-vous les utiliser ? Si vous pouviez m’expliquer vos besoins, je pourrais vous conseiller en conséquence. »
Les esclaves de travail étaient surtout utilisés pour les travaux agricoles. Ils ne se distinguaient guère des taureaux de ranch ou des chevaux de trait. Pour cette raison, la valeur d’un esclave de travail était mesurée en fonction de sa masse musculaire. Cela rendait bien sûr les hommes plus précieux que les femmes, et les adultes d’une vingtaine d’années plus précieux que les enfants. L’achat de filles était peut-être compréhensible si l’on manquait de garçons, mais personne ne demandait spécifiquement des femmes esclaves de travail.
Du moins, c’était ce que lui avait appris ce commerçant de longue date. Et personne n’achetait d’esclaves adolescents encore en pleine croissance, sauf les excentriques qui avaient un goût pour la pédophilie.
Leur masse musculaire était sous-développée par rapport à celle d’un adulte, et les coûts alimentaires d’un adolescent étaient plus élevés. C’était comme acheter sciemment une voiture avec une mauvaise consommation de carburant.
Mais Ryoma avait simplement répondu d’une voix froide à l’appréhension du marchand.
« Qu’est-ce que ça peut vous faire ? »
Au moment où ces mots quittèrent les lèvres de Ryoma, les sœurs Malefist frissonnèrent un instant, tout comme le commerçant. Ryoma n’avait pas élevé la voix ou quoi que ce soit de ce genre, et son ton était parfaitement calme. Mais la froideur de la soif de sang cachée derrière ces mots avait traversé l’air comme une lame. Elle était si vive que même le commerçant, qui n’avait aucune expérience des arts martiaux, pouvait la sentir.
Il va me tuer…
L’image de sa gorge égorgée s’était révélée dans l’esprit du marchand d’esclaves. Cet homme avait tué d’innombrables esclaves au cours de sa carrière. Ils avaient soit trop vieilli, soit désobéi, soit perdu un membre et défiguré leur corps. La plupart de ses victimes étaient des enfants esclaves qui étaient également inutiles comme travailleurs.
Au début, il faisait monter les enfants qu’il rassemblait à l’avant du magasin, maintenus en place par des chaînes et des colliers. Les enfants séduisants étaient les premiers à être vendus, tout comme les enfants qui semblaient plus âgés qu’ils ne l’étaient en réalité. Après tout, ceux-ci avaient leur utilité. Mais il y avait toujours des enfants qui étaient laissés derrière, sans être achetés. Et lorsque personne ne les achetait après un certain temps, les marchands d’esclaves les tuaient.
***
Partie 3
Les nourrir étant après tout une perte d’argent…
Et pourtant, les marchands d’esclaves faisaient de bons bénéfices. Ils garnissaient leurs portefeuilles d’or… qui était fait sur le dos d’innombrables cadavres. Et le commerçant ne pensait pas qu’il y avait quelque chose de mal à cela.
Après tout, il ne tuait pas des gens, il tuait des esclaves. Des objets sous forme humaine. Et quand les gens voient d’autres êtres humains comme des objets, ils se débarrassent de la capacité à ressentir des émotions. La miséricorde n’existait pas. Pourquoi éprouver de tels sentiments pour un objet?
Et Ryoma regardait actuellement l’esclavagiste de la même façon que l’esclavagiste regardait ses esclaves.
«Bien sûr que non! Mes excuses!»
Le commerçant tomba à genoux et commença à supplier pour sa vie.
«Pardonnez-moi, monsieur le noble! Je vous en prie… Pardonnez-moi, s’il vous plaît! Je vous en supplie…»
Il n’avait même pas réalisé que les esclaves le regardaient. Ce n’était néanmoins pas le moment de prendre des airs. Il réalisa que sa seule façon de rester en vie était de demander grâce. Le fait qu’il était face à un noble n’avait pas d’importance. Il ferait la même chose s’il se trouvait face à un roturier, non, même face à un esclave. Ryoma l’avait dominé, avec une différence de niveau claire et palpable.
«Maître Ryoma…»
Laura tira plus fort sur le manteau de Ryoma, regardant le commerçant étendu prostré.
En vérité, les jumelles voulaient tuer cet homme tout autant que Ryoma. La vue de cette boutique était tout simplement épouvantable. Les peaux des esclaves étaient sales et couvertes de cicatrices de fouet. Ils ne s’étaient probablement pas baignés depuis des mois. Leurs cheveux étaient ébouriffés et ils étaient habillés de ce qu’on ne pouvait appeler que des sous-vêtements.
Non, ceux qui portaient des sous-vêtements étaient les plus chanceux. Certaines d’entre elles étaient exposées nues à la vitrine. Il n’y avait aucune volonté dans leurs yeux vides alors qu’ils regardaient fixement en l’air. C’était comme regarder le désespoir sous une forme humaine.
Nous avons eu de la chance toutes les deux… Ils nous avaient laissés rester ensemble et nous avaient au moins nourris…
Sara et Laura avaient été esclaves elles aussi. Mais elles descendaient d’une maison de chevaliers de haut rang et avaient reçu une éducation correcte. Et peut-être plus important encore, elles étaient toutes deux de belles femmes. Et donc, même si elles étaient esclaves, elles n’avaient pas été soumises au terrible traitement qu’avaient subi les enfants enchaînés et nus dans cette ruelle.
Azoth, l’esclavagiste qui les avait achetés, les traitait comme des marchandises précieuses. Il les maudissait vulgairement à de nombreuses reprises, mais il ne les fouettait jamais. À cet égard, Azoth était peut-être un peu mieux que le marchand d’esclaves qui rampait devant leurs yeux.
«Maître Ryoma, en ce moment, vous devriez…»
Laura tira sur la cape de Ryoma une fois de plus.
«Je sais, très bien… Je ne me fâcherai pas ici…» chuchota Ryoma, retenant sa rage.
Calme-toi… Tu ne peux pas… Tu ne peux pas faire ça, pas maintenant… Le tuer n’aidera personne, n’est-ce pas… C’est vrai… Cela n’aide personne…
Ryoma sentit sa colère monter en lui en marchant dans les ruelles, mais il ne pouvait pas se permettre de la laisser éclater ici. C’était le territoire du comte Salzberg, et tous les esclavagistes ici étaient des marchands approuvés par lui.
Il était facile de condamner l’esclavage comme un mal, mais qui avait le droit de décider de ce qui était bien ou mal? Dans le monde de Ryoma, l’idée des droits de l’homme s’était développée sur une longue période, pour finalement fusionner avec la doctrine du christianisme et former une idéologie de liberté et de philanthropie.
Mais ces idées ne s’étaient réellement répandues que dans la seconde moitié du XXe siècle. Jusqu’alors, la race blanche se croyait choisie par Dieu et traitait les personnes de couleur comme des sous-hommes. On pourrait dire la même chose de cette Terre.
Ce monde manquait à la fois de l’idée des droits de l’homme et des systèmes de valeurs religieuses qui existaient dans le monde de Ryoma. On pouvait qualifier l’esclavage de maléfique autant qu’on le voulait, personne n’y accorderait la moindre attention. En déclenchant une émeute à ce sujet, Ryoma se verrait tout simplement interdit de faire des affaires.
Ryoma ne pouvait rien y faire pour le moment. C’était cette réflexion qui lui permettait de passer devant des enfants en pleurs frappés par un fouet sans rien faire. Mais le fait que cet esclavagiste lui parlait comme s’il savait tout cela n’avait fait qu’ajouter trop d’huile au feu qui brûlait dans le cœur de Ryoma.
«C’est assez… Lève la tête…», dit Ryoma mettant en bouteille ces sentiments rageurs.
«O-Oui! Mes excuses!»
Le commerçant réagit aussitôt.
Il n’avait même pas pris la peine de vérifier l’expression de Ryoma. Il savait très bien que la prochaine fois qu’il fera surgir la colère de Ryoma, ce serait le moment où sa vie vacillerait.
«Je le répète… J’ai besoin de trois cents esclaves, hommes et femmes, du début à la moitié de l’adolescence. Pouvez-vous me les fournir, ou pas?»
Ryoma avait répété sa question.
«Bien sûr, Monsieur le Noble! Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour satisfaire vos besoins. Je le jure sur ma vie! Nous ferons comme vous le souhaitez!»
Cette fois, le commerçant n’avait rien dit d’inutile et avait répondu rapidement à la question de Ryoma.
«Bien… Ensuite, à propos de l’argent. Combien coûteraient trois cents au total?»
«Oui…! Eh bien, étant donné leur âge et le fait que les garçons et les filles coûtent différemment…» bégaya le commerçant.
«Comment… Beaucoup.»
Ryoma souligna la question, en faisant ressortir l’agacement dans sa voix.
«Est-ce qu’un total de cent cinquante pièces d’or vous semble convenable?!»
Cinquante pièces d’argent par tête en moyenne. Le total s’élevait à environ cent cinquante mille yens japonais. Apparemment, la vie d’une personne coûtait autant qu’un vélo ou un scooter. Peut-être avait-il arrondi le prix vers le bas par peur de l’aura meurtrière de Ryoma. Mais ce dernier ne savait pas combien valaient la vie d’un enfant dans ce monde. Pourtant, cette somme était parfaitement abordable pour Ryoma.
«Très bien… Quand pouvez-vous les rassembler?»
«O-Oui! Nous n’en avons pas beaucoup dans cet établissement, mais avec une semaine, nous pouvons en rassembler autant!»
«Bien. Où allez-vous les faire livrer?»
«Mes excuses! Mais rassembler trois cents personnes dans les rues d’Epire peut être problématique… Peut-être en périphérie de la ville?»
Il avait raison. Livrer plus de trois cents esclaves dans les ruelles étroites n’était pas possible. Ils auraient besoin d’un espace dégagé pour cela.
Il faudra de toute façon aller en périphérie si on voulait faire de la formation en magie… Au nord, il y a Wortenia, et à l’ouest, la frontière avec Xarooda. Si on doit camper dehors, il faut que ce soit à l’est de la ville.
Ryoma avait rapidement calculé la situation et s’était tourné vers le commerçant.
«Nous les accueillerons dans la périphérie est… Nous vous paierons la moitié de la somme maintenant, et l’autre moitié à la livraison. D’accord?»
Ryoma reçut de Sara un sac rempli de pièces et commença à mettre les pièces d’or une par une dans un sac vide, en les comptant en même temps.
«Ça fait soixante-quinze pièces d’or. Confirmez-le.»
«Tout de suite! S’il vous plaît, attendez.»
Le commerçant avait reçu le sac de Ryoma et s’était précipité dans le magasin.
Il était ensuite ressorti en courant, après n’avoir manifestement pas inspecté le contenu du sac. C’était un comportement indigne d’un commerçant, mais personne n’était présent pour le critiquer.
«Très bien… Dans une semaine, devant la porte Est… Compris?»
«Oui! Merci de votre patronage!»
Le commerçant s’était incliné à un angle de presque 90 degrés.
«La semaine prochaine, les marchandises que vous avez demandées seront livrées à la porte Est!»
Ignorant son attitude, Ryoma s’éloigna du magasin aussi vite qu’il le put, limitant ainsi l’envie de vomir. Il ne voulait pas passer une seconde de plus dans cet endroit. Il avait gravé dans son cœur que la cupidité humaine pouvait se traduire par une odeur toxique et suffocante.
Ryoma et les jumelles s’étaient précipités dans les ruelles jusqu’à ce qu’ils retrouvent enfin la lumière du soleil de la rue principale. Exposés à la douce lumière du soleil d’ouest, les trois prirent une profonde respiration.
«Maître Ryoma… Est-ce que ça va?» demanda Laura en regardant le dos de Ryoma avec inquiétude.
«Oui… Je vais bien… Et vous deux?»
Les sœurs hochèrent la tête sans un mot à la question de Ryoma. Leurs expressions étaient raides et tendues, mais elles retrouvaient leur calme.
«Alors, c’est le sombre ventre de cette ville, hein… Merde!»
Il savait qu’un système d’esclavage existait déjà, mais la réalité était bien plus cruelle et immonde que Ryoma ne l’avait jamais imaginé.
Je vais changer ça… Je vais assurément changer ce système! Ryoma se le jura dans son cœur.
Il savait qu’il disait cela uniquement par autosatisfaction. Ryoma s’en rendit compte. C’était la réalité de ce monde, et tout ce que Ryoma pouvait sauver était une petite poignée des nombreuses vies utilisées par le système d’esclavage…
*****
Une semaine s’était écoulée depuis l’accord de Ryoma avec la compagnie Abdul. Ryoma et son groupe avaient quitté l’hôtel où ils avaient établi leur siège pendant leur séjour à Épire. Ils avaient ensuite installé leur camp sur un terrain à trois kilomètres de la porte principale d’Epire.
Ils devaient suivre un entraînement de base avant d’entrer dans la péninsule de Wortenia, mais les seuls endroits en Epire qui le permettaient étaient les installations d’entraînement que le comte Salzberg avait construites pour son armée. Ryoma ne pouvait pas se permettre de demander au comte de lui prêter ces lieux, ils avaient donc décidé de camper en dehors de la ville.
«Pour l’instant, les préparatifs sont terminés. Il ne reste plus qu’à savoir combien de personnes seront encore présentes…»
Le soleil brillait sur eux alors que Ryoma observait les murs d’Epire.
«En réalité, je ne pense pas que les trois cents personnes soient toutes utiles… Nous aurions de la chance si la moitié d’entre eux sont utiles.» Genou répondit au propos de Ryoma.
«Oui, je suppose…», dit Ryoma en haussant les épaules.
Il savait qu’il n’avait pas vraiment le choix, mais son expression restait sombre. Ils étaient sur le point de faire une sélection. Une sélection pour choisir les plus forts, les plus brillants, les plus volontaires. Seuls les enfants choisis se verraient promettre un avenir et la liberté, même si tous méritaient d’être libres…
Mais la liberté était un privilège accordé uniquement aux plus forts sur cette Terre. Tous ces enfants avaient à leur manière eu de la chance. Ils n’allaient pas tous gagner la liberté, mais ils allaient tous avoir au moins cette chance.
«Ne laissez pas cela peser sur votre conscience, seigneur… Si vous ne les achetiez pas, la plupart de ces enfants seraient tués», dit Genou, mais tout ce qu’il avait obtenu était la grimace de Ryoma.
Il le savait déjà assez bien. Mais si son esprit comprenait parfaitement les justifications, son cœur ne pouvait pas s’accommoder de ces choses aussi facilement.
J’achète des enfants avec l’intention de les utiliser, alors que les marchands d’esclaves les vendent… Nous sommes pareils, non…
Cette émotion bouillonnait dans le cœur de Ryoma. Mais il ne pouvait pas se permettre de laisser cela l’arrêter ici. Après tout, les rouages du destin étaient déjà en marche…
«Garçons! Les marchands viennent d’entrer dans notre camp!»
La voix de Boltz l’appelait par-derrière.
«Très bien! J’arrive tout de suite… Allons-y, Genou», dit Ryoma tout en se déplaçant dans le camp.
***
Partie 4
Son visage était débarrassé des doutes qu’il nourrissait il y a quelques instants. Il savait à quel point la réalité pouvait être dure et impitoyable, et qu’il n’y avait rien à faire pour la changer…
« Nous vous remercions beaucoup d’avoir fait appel à la société Abdul. Comme demandé, nous avons livré la marchandise. Inspectez-la », déclara le commerçant, en baissant la tête aussi poliment que la dernière fois qu’ils s’étaient parlé.
« Ça a dû être difficile d’en rassembler autant. »
C’était ainsi que Ryoma avait choisi de montrer sa bonne nature.
Il avait toujours su être reconnaissant envers ceux qui lui avaient fait du bien, peu importe qui ils étaient.
« Pas du tout. Après tout, c’est du travail pour nous… »
Le commerçant agita la main avec mépris, niant les paroles de Ryoma.
« Et ceux de cet âge ne se vendent pas bien, quel que soit l’établissement que vous consultez. En fait, ils nous étaient reconnaissants de les leur avoir enlevés… Après tout, cela fera moins de bouches à nourrir. »
Ryoma le regarda d’un air froid. Il ne leur avait jeté qu’un regard superficiel, mais Ryoma avait l’impression qu’il y avait plus de filles que de garçons derrière le marchand d’esclaves.
« Très bien. Le ratio entre les sexes est égal, comme je l’ai demandé ? », dit Ryoma d’un ton fort.
« Oui… En fait, je vous en ai apporté trois cent trente-cinq personnes, mais les filles sont plus nombreuses que les garçons : sept contre trois. »
« N’est-ce pas plus que ce que j’ai demandé ? »
« Oui… »
Le commerçant bégayait de façon évasive, comme s’il hésitait à répondre à la question de Ryoma.
« Eh bien, vous voyez, les garçons sont souvent vendus en premier comme esclaves de travail… Et donc, j’en ai amené plus de trois cents, à cause de, hmm… »
« Pour compenser le manque de garçons ? », demanda Ryoma.
Le commerçant lui montra un silencieux sourire de commerçant.
« Très bien… Autre chose ? »
« Non, monsieur le noble, le reste est selon votre demande. Nous avons vérifié qu’ils soient tous en bonne santé. Aucun d’entre eux n’est porteur de maladies. »
Ryoma jeta un coup d’œil à Boltz et Genou, qui répondirent à son regard par de petits hochements de tête. La plupart des esclaves étaient marqués par les coups de fouet, mais toutes leurs blessures allaient se cicatriser grâce aux traitements. Ryoma ne faisait pas beaucoup confiance aux esclavagistes et leur demanda de se pencher sur la question.
« Compris. Je vous crois… Nous les prendrons donc tous. Il me restait à payer soixante-quinze pièces d’or, c’est ça ? »
« Oui, mon bon monsieur, c’est exact. »
Ryoma fit un signe de tête et remit un sac de pièces qu’il avait préparé.
« Merci pour votre patronage. »
Le commerçant n’avait même pas pris la peine de vérifier le contenu du sac avant de le mettre dans son sac et de baisser la tête.
Apparemment, il tenait à s’enfuir de là avant de dire quoi que ce soit qui puisse ennuyer Ryoma. Il avait ensuite présenté deux documents à Ryoma.
« Il y a une dernière chose, cependant. Si vous pouviez signer cette facture juste ici… Oui, avec ça, tous les esclaves ici vous appartiennent maintenant. Une copie vous revient, et l’autre reste avec moi. »
Confirmant que Ryoma avait paraphé son nom sur le document, le commerçant hocha la tête et mit le document restant dans le sac.
« Ceci conclut mon affaire. Nous espérons que vous traiterez à nouveau avec nous à l’avenir. »
Satisfait d’avoir vendu des esclaves inutiles à quelqu’un, le commerçant avait de nouveau baissé la tête et quitta le camp avec ses employés.
« Très bien… Lione ! Commencez à distribuer leurs vêtements. Et Laura, la nourriture est-elle prête ? »
Il faisait chaud à cette époque de l’année, mais les esclaves tomberaient certainement malades s’ils devaient rester nus dehors. Ayant vu comment les esclaves étaient traités à la vitrine, Ryoma fit préparer des vêtements et des sous-vêtements pour eux, ainsi que des repas chauds. Ryoma pensait qu’ils pourraient au moins les habiller à la livraison, mais apparemment ce n’était pas la coutume dans ce monde.
Leur premier objectif était donc d’habiller les esclaves. Les membres des Loups Rouges avaient commencé à distribuer des vêtements aux esclaves, qui restaient immobiles comme des poupées sans volonté, colliers attachés autour du cou.
« Nous leur avons donné les vêtements, mon garçon, mais… » dit Lione avec une expression troublée.
Les enfants se tenaient là, leurs vêtements à la main. Normalement, toute personne forcée de se tenir nue mettrait les vêtements qu’on lui donnait. Peut-être qu’ils demandaient s’ils avaient le droit de les mettre. Mais ces enfants se tenaient simplement là, silencieux, le regard perplexe. Ils n’avaient pas essayé de mettre les vêtements.
« Pourquoi ne s’habillent-ils pas… ? Ne me dites pas qu’ils ne savent pas comment s’habiller. »
Ces enfants n’étaient pas des enfants de trois ans. Ils étaient peut-être des esclaves, mais ils savaient sûrement comment s’habiller.
« Maître Ryoma… Permets-moi. »
Laura s’était avancée devant les enfants et avait commencé à parler d’une voix calme et gentille. Au fur et à mesure, les expressions des enfants avaient commencé à changer. Au début, ils avaient été surpris, et peu à peu, leur regard s’était rempli de suspicion. Mais alors que Laura continuait à leur parler, ils avaient commencé à mettre les vêtements qu’on leur avait donnés, avec toutefois un soupçon de peur.
Les enfants auxquels elle s’adressait directement avaient commencé à s’habiller en premier, mais les esclaves environnants avaient progressivement suivi le mouvement.
« Que leur as-tu dit… ? » demanda Ryoma, visiblement surpris.
Les yeux des enfants esclaves étaient encore plissés de tristesse et de désespoir, mais les paroles de Laura les avaient apparemment incités à s’intéresser à Ryoma et à son groupe. Ce n’était rien de plus qu’un léger changement d’atmosphère. Ils étaient comme des poupées sans expression avant que Laura ne leur parle, mais après, leurs expressions semblaient un peu plus humaines.
« C’est très simple. Je leur ai juste dit que les vêtements qu’on leur avait donnés leur appartenaient maintenant. »
« Quoi ? Mais n’est-ce pas évident ? »
Ryoma avait été naturellement surpris. Dans son esprit, il avait déjà donné ces vêtements aux enfants. Mais Laura secoua la tête en signe de déni.
« Les esclaves ne pensent pas comme ça. Ils ne considèrent les choses comme les leurs qu’au moment où leur maître le dit… C’est comme ça que Sara et moi avons vécu le plus longtemps… »
En vérité, si Ryoma avait pensé de cette manière, cela lui aurait été probablement évident. Les esclaves étaient traités comme des objets, et devaient donc constamment faire attention à la façon dont les gens les regardaient et réprimaient leurs volontés. Avant d’être achetés, leurs vies étaient à la merci des esclavagistes, et après cela, ils étaient soumis à leurs propriétaires.
Cela ne voulait pas dire qu’ils n’avaient pas de volonté propre. Ils restreignaient simplement leur individualité et leur volonté, afin de ne pas paraître inutiles. Les esclaves inutiles étaient après tout tués et éliminés.
« Oh, je vois… »
Ryoma prit conscience de la situation grâce aux paroles de Laura.
Les enfants ne pouvaient rien faire sans la permission explicite de Ryoma. Ou plutôt, ils avaient l’impression qu’ils ne pouvaient pas. Ryoma avait donc réalisé qu’il devait d’abord leur dire le contraire. Leur dire qu’ils étaient humains. Des êtres humains avec leur propre volonté.
Il devait le dire haut et fort, et leur rappeler leur propre humanité.
Ce jour-là, le destin de Melissa changea radicalement pour la deuxième fois de sa vie.
Son destin avait changé pour la première fois il y a trois ans. Elle était née dans un petit village de pêcheurs du royaume de Xarooda. Sa famille était pauvre, mais les jours qu’elle passait avec ses parents et ses frères et sœurs étaient remplis de bonheur et de paix. Mais cette vie allait connaître une fin abrupte, grâce aux pirates qui l’attendaient sur la péninsule de Wortenia…
Les rumeurs d’activité pirate dans la péninsule de Wortenia abondaient depuis un certain temps. Dès son enfance, elle avait entendu parler de la façon dont les pirates attaquaient les navires de commerce qui naviguaient le long de la côte. Pourtant, les navires de commerce étaient chargés de marchandises coûteuses, et son village était une pauvre communauté de pêcheurs qui n’avait rien qui justifiait le pillage.
Et en effet, jusqu’à ce jour, leur village n’avait jamais été attaqué. Qui attaquerait un village dont le seul produit serait du poisson séché ? Mais cette question s’était effondrée trop facilement face à une réalité froide et dure. Toute idée de l’improbabilité d’une attaque s’était évanouie lorsqu’elle vit le massacre se dérouler.
Ses parents avaient été transpercés par les lances des pirates. Ses frères et sœurs et ses amis avaient tous été dispersés pendant l’attaque, et ce qu’ils étaient devenus était encore pour elle un mystère. La seule chose que Melissa, alors âgée de onze ans, pouvait faire était de courir. Les pirates avaient mis le feu à son village, et Melissa avait fui les flammes et la fumée, en courant pour sauver sa vie.
Elle ne pouvait pas se souvenir de la suite. Elle se souvenait clairement d’avoir fui le village, mais sa mémoire s’était arrêtée là. Quand elle était revenue à elle, elle se trouvait dans une ville qu’elle ne connaissait pas. Apparemment, un homme l’avait trouvée et l’avait abritée. Mais maintenant, elle avait un collier autour du cou. Elle se tenait sur la devanture d’un magasin, essentiellement nue.
Elle n’avait aucune idée de ce qui lui était arrivé, mais très vite, elle s’était rendu compte que c’était réel et que cela ne pouvait pas être renversé. Une vie où chaque mot qu’elle prononçait était accueilli par un coup de fouet. Elle pleurait et se faisait fouetter. Les cris lui avaient valu une autre portion de fouet. Et lorsqu’elle implorait la pitié, elle n’était récompensée que par un nouveau coup de fouet.
Alors qu’une cicatrice après l’autre apparaissait sur son corps, Melissa apprit à se conduire. Elle apprit à jouer le rôle d’une poupée, à faire taire ses propres émotions, tout cela pour survivre. Et comme elle le faisait, elle regardait les esclaves qui ne trouvaient pas d’acheteurs se faire éliminer. Une vision qui ne faisait que resserrer les chaînes autour de son cœur.
C’était une fille, et non une personne dotée de talent physique ou d’endurance. Ses traits de visage étaient peut-être considérés comme mignons, mais elle n’était pas exceptionnellement belle. Si elle était un peu plus âgée, elle aurait pu être vendue comme esclave sexuelle, mais elle n’avait encore que quatorze ans. Et des années d’esclavage avaient rendu son corps mince et émacié, comme pour s’assurer cruellement qu’elle n’attiserait pas la convoitise d’un homme. Si Ryoma Mikoshiba ne l’avait pas achetée ce jour-là, elle aurait sans doute été éliminée et tuée comme une marchandise indésirable et défectueuse.
Et pourtant, les caprices du destin lui avaient donné une chance de continuer à vivre.
Quels sont ces vêtements… ? Que veulent-ils que je fasse avec ça ?
Les marchands d’esclaves avaient transporté Melissa et les autres esclaves ici, où elle avait reçu un paquet de vêtements et de sous-vêtements d’un homme barbu. Les autres esclaves portaient des ballots de vêtements similaires et avaient l’air aussi confus que Melissa.
Que sont ces choses ? Peut-on les porter… ?
Les seules choses qu’elle portait étaient les mêmes sous-vêtements qu’elle portait depuis des mois maintenant et une tunique en lambeaux déchirée par le fouet. Et c’était tout. Elle voulait bien sûr mettre de nouveaux vêtements. Mais ce souhait était hors de sa portée.
Après tout, elle n’était qu’un objet. Logiquement, on pourrait supposer que les vêtements qu’elle tenait lui étaient destinés. Mais en même temps, le cœur de Melissa était alourdi par la conviction que ce n’était pas possible.
Non… Je suis un objet… Les objets ne sont pas autorisés à avoir des vêtements…
Des choses comme ça s’étaient déjà produites auparavant. La viande à moitié mangée était jetée devant un esclave, comme pour lui dire : « Allez, mange-la… » Mais ce n’était qu’un mauvais tour de la part des esclavagistes. Si l’esclave prenait la viande et essayait de la manger, une rafale de coups de fouet l’attendait.
Elle avait déjà vu cela se produire d’innombrables fois. Le repas quotidien d’un esclave était un morceau de pain dur et une soupe froide et salée. On ne leur donnait pas de viande, quoi qu’il arrive. Elle s’était habituée à ces habitudes alimentaires. Même si un morceau de viande était jeté à terre devant elle, elle ne le ramassait pas.
Les esclavagistes le savaient, c’était pourquoi ils suspendaient la viande devant leurs esclaves comme appât. Pour faire comprendre qu’ils étaient des esclaves dans leur chair même. Tous les enfants de cet endroit avaient vu cela se produire à maintes reprises. Ainsi, aucun d’entre eux n’avait bougé.
Mais la situation avait pris une tournure inattendue. Une femme blonde s’était approchée d’eux et leur avait dit des mots qu’ils n’auraient jamais imaginé entendre.
« N’avez-vous pas froid ? Ces vêtements sont à vous maintenant. Mon maître, Ryoma Mikoshiba, vous donne ces vêtements. N’hésitez pas à les mettre… C’est ce que mon maître souhaite. »
Melissa doutait de ce qu’elle venait d’entendre.
Ils nous donnent… ils donnent des vêtements aux esclaves ? Vraiment ? De beaux vêtements comme ceux-ci… ?
Bien sûr, ils n’étaient pas en soie. C’était le genre de vêtements qu’on pouvait acheter en gros chez un tailleur en ville. Mais ces vêtements en lin n’étaient pas autorisés à être portés par un esclave. C’était des sous-vêtements, et des vêtements neufs, qu’un roturier de la ville pouvait porter. Ce n’était pas des vêtements d’occasion. Ils étaient bien meilleurs que tout ce qu’un esclave pouvait recevoir.
***
Partie 5
Melissa regarda autour d’elle. Tous les autres enfants semblaient douter des paroles de la femme, mais son ton était calme et apaisant. Elle n’avait pas l’air de mentir.
« Tout va bien… Allez, habillez-vous ! Nous allons préparer votre repas dans un instant ! »
Encouragé par ses paroles, un des garçons s’était habillé et avait regardé la femme. Confirmant qu’elle lui avait fait un signe de tête, les autres esclaves s’étaient mis à s’habiller. Quand tous les esclaves s’étaient habillés, un homme se plaça devant eux.
Il avait un air imposant pour lui, comme s’il était leur roi ou quelque chose comme ça…
Ce jour-là, leur destin, la vie d’esclave qu’ils avaient menée jusque-là, allait changer du tout au tout.
Qui est cet homme… ? Il ressemble à… Un soleil noir…
De la servitude, à une vie de liberté plus dure.
Maintenant habillés, Melissa et les enfants avaient l’air un peu mieux. Bien sûr, ils ne s’étaient pas baignés depuis des années et leurs cheveux étaient mal coiffés, envahis par la végétation et emmêlés par endroits. Ils n’étaient pas différents des vagabonds assis dans une ruelle. Leurs vêtements propres ne servaient qu’à souligner à quel point ils étaient sales.
C’est… embarrassant…
Une émotion qu’elle avait depuis longtemps oubliée s’était allumée dans le cœur de Melissa. Elle gardait le regard fixé sur le jeune homme vêtu de noir qui se tenait devant les esclaves.
« Eh bien… Je suppose qu’on devrait les laisser manger d’abord. Baigner autant de personnes va être une grosse corvée… Mais non… On ne peut pas les laisser comme ça. »
La complainte de Ryoma était justifiée. Plus de trois cents esclaves se tenaient devant lui avec des yeux creux. Les habiller et les nourrir était une chose, mais les baigner était un défi bien plus intimidant. Il y avait des bains publics dans la ville qui pouvaient accueillir un grand nombre de personnes, mais ils ne pouvaient pas en accueillir autant.
Tout d’abord, étant donné la saleté des enfants, n’importe quel établissement de bains les refuserait, quel que soit le montant qu’ils promettaient de payer. Il était facile d’imaginer comment un civil normal refuserait d’entrer dans le même bain qu’eux.
Mais cela dit, ils ne pouvaient pas simplement louer un établissement de bains complet. Ryoma pouvait essayer d’utiliser son statut de noble pour le faire par la force, mais Epire était le territoire du comte Salzberg. Il n’était pas sage d’essayer de s’introduire sur le territoire d’un autre noble.
« Laissons-les manger d’abord. C’est après tout fraîchement cuisiné et encore chaud… à propos de leurs bains… Je pense que notre seule idée serait de faire bouillir de l’eau et de les faire se baigner dedans… Nous ne pouvons pas en transporter autant en ville, » suggéra Laura.
Ryoma fit un signe de tête et se tourna vers Lione.
« Très bien… Lione ! Tu peux commencer. »
Il y avait beaucoup à faire pour eux.
« Oui, mon garçon ! Allez, vous tous ! En ligne ! »
À l’instigation de Lione, les enfants s’étaient répartis en cinq rangées et s’étaient mis en rang. Ils n’avaient pas été très rapides ni très disciplinés, mais ils avaient fait ce qu’on leur avait dit de faire. Ils avaient bougé en affichant clairement sur leur visage des expressions confuses et douteuses. La douleur du fouet était encore fraîche dans leur mémoire. Bien sûr, Ryoma et ses compagnons ne posaient pas la main sur eux même s’ils étaient désobéissants, mais les esclaves ne pouvaient même pas envisager cette possibilité.
Ils firent ce que Laura leur avait dit et s’habillèrent, mais leurs yeux manquaient encore visiblement de la volonté d’une personne libre.
« Maintenant, faites attention ! C’est très chaud. Faites attention quand vous le mangez. »
Melissa ne pouvait pas croire ce qu’elle venait d’entendre. Le grand bol profond qu’elle avait sous les yeux était rempli de soupe fumante et lui était remis. Il était rempli de carottes, d’oignons, de pommes de terre et de viande. Ces carrés de viande étaient probablement du bœuf.
Cette soupe était plus riche que ce que la plupart des gens mangeaient habituellement. La plupart des gens mangeaient de simples soupes à l’oignon ou au maïs. Ils n’avaient une telle variété de légumes ou de viande dans leur nourriture que lors d’occasions spéciales. Pour Melissa, qui avait grandi dans un village pauvre de pêcheurs, cette soupe ressemblait à un repas de luxe.
Pourquoi… Pourquoi nous donnent-ils quelque chose comme ça… ?
Melissa ne pouvait pas croire que le bol qu’elle tenait était chaud. Ayant été une esclave non achetée pendant des années, ses repas quotidiens étaient tout simplement terribles. Elle ne prenait que deux repas par jour, et c’était chaque fois une soupe fine qui n’avait presque pas de goût, grâce au peu d’efforts qu’ils avaient fait pour la préparer, versé dans un bol plat. Et comme elle était faite pour nourrir de nombreux esclaves, elle n’était pas servie chaude. C’était comme si on buvait de l’eau froide.
Et la seule chose qu’on leur donnait à manger avec cette soupe, c’était du pain sec, en bloc, vieux de plusieurs jours. Ils ne pouvaient pas le manger normalement sans le tremper dans la soupe pour l’assouplir. Même lorsque Melissa était une pauvre roturière, elle mangeait bien mieux que cela. Elle mangeait de la viande plusieurs fois par an. Cela montrait clairement à quel point sa vie d’esclave était terrible.
Et c’était pourquoi elle ne pouvait pas croire la réalité qui se déroulait sous ses yeux. Les souvenirs presque oubliés de sa vie avant son esclavage commençaient à faire surface dans son esprit.
C’est chaud… C’est… C’est comme la soupe que maman faisait…
Aussi pauvre qu’elle fût, la mère de Melissa s’assurait toujours qu’il y ait de la soupe chaude sur la table. C’était un repas de roturier pauvre, bien sûr, et il n’était pas très garni. Il n’y avait que quelques légumes, et ils n’avaient généralement pas de viande ou de poisson plus d’une ou deux fois par an.
Et pourtant, pour Melissa, la soupe de sa mère était le plus grand délice qu’elle connaissait. Elle était toujours chaude, et sa chaleur semblait s’imprégner dans son cœur…
« Ah, c’est chaud ! »
Alors que Melissa regardait dans son bol, l’un des garçons s’exclama fort. Il fit alors tomber son bol, renversant son contenu sur le sol. À en juger par sa bouche et ses mains, il n’avait apparemment pas pu s’en empêcher et avait essayé d’avaler la soupe sans la permission de leur maître.
Les expressions des enfants qui les entouraient étaient teintées de choc et de peur. À leurs yeux, manger quelque chose sans la permission explicite de leur propriétaire était en fait une condamnation à mort. Et plus encore lorsque la soupe qu’il avait renversée était aussi luxueuse qu’elle l’était…
Le garçon s’était immédiatement accroupi, et les enfants qui l’entouraient s’étaient enfuis aussi vite qu’ils purent. C’était leur secret pour survivre. Ils savaient qu’en se tenant près d’un enfant sur le point d’être fouetté, ils risquaient de se retrouver mêlés aux coups. Il serait facile de mépriser cet acte d’autodéfense, mais c’était tout simplement la nature humaine qui le faisait.
Ainsi, lorsqu’une dame aux cheveux argentés se précipita aux côtés de l’enfant, tout le monde pria dans son cœur, croyant qu’il allait être sévèrement puni. Ne sachant pas que leurs attentes allaient être complètement renversées…
« Est-ce que ça va ? Tu ne t’es pas brûlé, n’est-ce pas ? », lui demanda-t-elle d’une voix douce et gentille.
Le garçon, qui s’attendait à ce qu’on lui crie dessus, leva un regard effrayé vers la femme.
« Tu es sûr que tu vas bien ? Tu n’as pas renversé de soupe sur tes jambes, n’est-ce pas ? », demanda Sara, en regardant le bol qui était renversé sur le sol.
Il y avait de la vapeur qui s’élevait du bord du bol. Elle s’était renversée de façon spectaculaire, tout son contenu se répandant directement sur le sol en dessous et répandant l’odeur de la soupe partout.
« Oui… On dirait que tu t’es seulement brûlé la bouche… Tu n’as pas besoin de te presser quand tu manges. Fais attention, d’accord ? »
Les mots de Sara firent que le garçon la regardait avec surprise. Il réalisa qu’elle était honnêtement inquiète pour son bien-être. Les enfants qui les regardaient de loin s’en rendaient également compte.
« De toute façon, mange prudemment la prochaine fois… Huh, attends… Hein ? ! Attends ! Non, arrête ! »
Sa soupe s’était déjà infiltrée dans la terre, et n’était pas comestible. Sara avait l’intention de lui donner un nouveau bol de soupe, mais le garçon n’avait pas compris. Il s’agenouilla sans hésiter et commença à ramasser les légumes et les morceaux de viande qui gisaient sur le sol, maintenant sales, et essaya de se les enfoncer dans la bouche.
Si Sara ne l’avait pas arrêté, il les aurait sûrement mangés, aussi sales qu’ils fussent.
« Je ne voulais pas dire que… Euh… »
Sara était troublée par cette tournure inhabituelle des événements, mais elle avait ensuite pointé du doigt Lione.
« Là-bas ! La dame aux cheveux roux, là-bas. Elle te donnera plus de soupe, alors mange ça. »
Le garçon jeta un regard inquiet et douteux dans la direction de Lione. La lumière sombre qui remplissait ses yeux lui disait tout ce qu’il y avait à savoir sur leur passé. Alors Sara parla fort, pour que tous les enfants l’entendent.
« Tout va bien ! Est-ce que tu comprends ? Si tu fais tomber de la nourriture par terre, tu n’es pas obligé de la manger. Il y en a assez pour tout le monde. Alors, fais attention et prends ton temps quand tu manges. »
Sous l’impulsion de Sara, les enfants avaient porté les bols à leurs lèvres avec crainte. Au moins, ils avaient réalisé qu’ils avaient le droit de manger.
« Ouf… J’espère que ça va aller… »
Elle réalisa parfaitement les sentiments de Ryoma. Il ne leur avait pas donné de repas chauds et de vêtements neufs par bonté de cœur. Il l’avait fait pour qu’ils aient une volonté propre. Pour faire ressortir leur désir. Un désir de nourriture, de vêtements, d’un foyer. Pour comprendre comment ils étaient traités par rapport aux autres, et l’écart qui en résultait.
Le désir inspirait l’ambition chez les gens, les poussant à s’améliorer. Le désir était la plus grande motivation que l’être humain pouvait avoir. En connaissant le désir, les gens pouvaient aspirer à plus que ce qu’ils avaient.
Mais bien sûr, les esclaves n’en avaient pas. Tout ce qu’ils avaient, c’était la résignation face à une réalité qu’ils ne croyaient pas pouvoir changer. Et tant qu’ils étaient résignés à ne jamais rien gagner, les difficultés ne signifiaient rien. Après tout, ils n’avaient rien pour commencer.
Mais cela pouvait changer en leur rappelant une seule chose : qu’ils étaient humains. Des êtres vivants avec la volonté d’aller de l’avant. Bien sûr, ils ne s’en souviendraient pas tout de suite. Leur désespoir n’était pas si simple qu’il puisse être résolu immédiatement.
C’était ce qui les distinguait des sœurs Malfist. Elles étaient peut-être des esclaves de guerre, mais elles avaient toujours la fierté de leur famille sur laquelle se reposer. Quelque chose pour soutenir leur cœur.
C’était pourquoi Ryoma avait donné aux enfants six mois pour être éduqués. C’était la limite de temps qui leur était accordée. S’ils retrouvaient leur volonté humaine pendant cette période, tout allait bien. Mais s’ils ne le faisaient pas…
Que ferait-il avec eux… ?
En vérité, personne ne connaissait encore la réponse à cette question. Pas même Ryoma lui-même.
Sarah rejeta rapidement cette pensée et regarda autour d’elle. Les enfants engloutissaient leur soupe et leur pain, et si l’on devait ignorer leur silence, cela ressemblait presque à un spectacle animé. Certains d’entre eux formaient déjà une ligne devant la marmite, demandant du rab. Ils se souvenaient au moins de la joie de manger un bon repas.
Au moins, cela semble être un succès pour l’instant…
Laura, qui se tenait à côté des enfants, semblait penser la même chose. Elle avait senti le regard de sa jeune sœur et avait hoché la tête sans rien dire.
Ils leur avaient fait goûter à la carotte. Maintenant, il fallait leur rappeler le bâton.
Ce qui attendait les enfants, c’était une période d’entraînement difficile qu’ils allaient devoir endurer aux mains des mercenaires Lione, Boltz et ceux du Lion Rouge. Au début, ils suivaient un entraînement de base pour augmenter leur endurance, mais peu à peu, on leur enseignait des techniques de combat. Ils seront principalement entraînés avec des lances et des épées, ainsi qu’au combat sans armes et au maniement des chevaux.
Pendant un mois entier, ils seront entraînés jusqu’à l’os. Ensuite, on leur apprendra à utiliser la magie au fur et à mesure de leur entraînement. Et après ce mois, on les enverra vivre de véritables batailles.
Ryoma n’avait pas besoin de guerriers qui ne pouvaient pas se battre. Seuls les enfants qui seraient capables de tuer des personnes ou des monstres et de survivre à ces combats seraient libérés. Ceux qui ne pourraient pas le faire seraient traités de la même manière que n’importe quel esclave échappé : la mort.
Ryoma Mikoshiba ne voulait que les forts. Sur cette terre rude, toute idée d’égalité ou de sauvetage des faibles n’était nuisible qu’à ceux qui les abritaient. Il ne pouvait pas se permettre de sauver ceux qui ne pouvaient pas faire d’efforts ou qui manquaient de volonté de vivre. Il pouvait aider les autres à devenir plus forts, mais le fait que cela se produise vraiment dépendait uniquement de l’individu.
Ces enfants mourraient-ils en tant que faibles ou continueraient-ils à vivre pour être forts ? Personne ne pouvait le dire avec certitude. Du moins, pas encore…