Chapitre 2 : Cap au Nord
Table des matières
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Chapitre 2 : Cap au Nord
Partie 1
« Où est-il maintenant, je me le demande ? »
Un vent calme soufflait dans le ciel bleu et clair de la capitale, Pireas. Il était difficile d’imaginer que ce royaume était en état de guerre civile il y avait peu de temps encore. La vue qui s’étendait devant les yeux d’Helena était inondée de vigueur et de tranquillité. Surplombant ce paysage par la fenêtre de son bureau, Helena murmura ces mots.
« Voulez-vous parler du Seigneur Ryoma Mikoshiba… non ? » répondit son assistant, Chris Morgan, en arrêtant de feuilleter une liasse de documents.
« Cela fait seulement dix jours qu’il a quitté la capitale. En supposant qu’il ne s’est rien passé en chemin, ils devraient approcher de la ville forteresse d’Epire, près de l’isthme de la péninsule. »
« Oui… Ça devrait être à peu près ça. », répondit Helena en chuchotant.
Son regard se dirigea vers le nord.
« Avez-vous des regrets ? » lui demanda Chris.
Helena n’avait pas répondu. Elle n’avait pas de réponse à donner.
« Honnêtement, je me sens aussi un peu coupable envers le Seigneur Mikoshiba. J’ai croisé le fer avec lui une fois avant son départ, et il était très compétent. Il n’avait pas encore appris la magie, mais son habileté et son talent de guerrier sont plus qu’inhabituels. Au moins, je vois maintenant que ce qui lui a permis de battre Kael Iruna de ses propres mains n’était pas un coup de chance… »
« Même toi, tu le penses ? Celui qui était loué comme la Lance Divine ? »
Helena finit par sourire à ses mots et lui demanda curieusement de revenir.
« En termes de compétence pure, cet homme est bien en dessous de moi. Cependant… »
« Ce serait différent dans un duel à mort. »
« Oui… »
Chris acquiesça d’un signe de tête sombre.
« Je gagnerais contre lui neuf fois sur dix, mais dans un vrai combat… »
Effectivement, Ryoma Mikoshiba avait ôté la vie à Kael Iruna au cours d’un duel lors des dernières étapes de la guerre civile. Kael Iruna, l’homme dont on disait qu’il était inégalé en ce qui concernait son habileté au sabre et qui avait une parfaite maîtrise de la magie martiale. Beaucoup de gens avaient affirmé que la victoire de Ryoma n’était que chanceuse. Nombreux étaient les collègues de Chris qui partageaient ce point de vue sur Ryoma.
C’était peut-être juste… de l’envie.
Les réalisations de Ryoma pendant la guerre civile avaient été extraordinaires. Il était venu en aide à la princesse Lupis lorsqu’elle se trouvait dans une position extrêmement défavorable, et avait rapidement réuni sous sa bannière les nobles qui avaient jusqu’alors conservé un statut de neutralité. Il avait même accompli l’exploit vraiment impressionnant de ramener l’héroïne nationale, Helena Steiner, de la retraite au service actif. Il avait ensuite affaibli l’influence du général Hodram Albrecht, alors chef de la faction des chevaliers.
Son talent de tacticien était véritablement magistral. Il établit avec succès une tête de pont sur la Thèbes et, lors de la bataille d’Héraklion, il arrêta rapidement le général Albrecht dans sa tentative de fuite du pays.
Mais la seule chose que toutes ces réalisations lui avaient value était une région reculée qui servait de vivier à de puissants monstres et pirates. Une terre non développée qui avait servi de colonie pénitentiaire pendant de nombreuses années.
En fait, elle n’avait pas de population. Elle était officiellement appelée colonie pénitentiaire, mais c’était plutôt un terrain d’exécution. Toute personne exilée dans cette zone neutre devenait forcément la proie de monstres.
La reine Lupis avait menti, prétendant que c’était une promotion destinée à honorer ses réalisations, mais les seuls qui croyaient cela étaient les citoyens de la capitale. Tous ceux qui connaissaient les circonstances avaient estimé que la façon dont Ryoma était traité était injuste.
« Mais il n’y avait pas d’autre moyen d’agir autrement… Sa Majesté l’a ordonné, et s’opposer au jugement du dirigeant serait… »
Chris s’était rendu compte de l’état d’esprit d’Helena, il avait pourtant lui-même approuvé la décision de la reine Lupis. Ou plutôt, il avait dû l’approuver. Ce sentiment n’était pas non plus exclusif à Chris, tous les chevaliers et les nobles qui avaient prêté allégeance à la reine Lupis et à Rhoadseria étaient du même avis.
Dame Helena… Je sais que vous avez une dette envers cet homme. Mais quand même…
Le clou qui dépassait devait être abattu rapidement. Chris pensait que c’était tout simplement naturel. En fait, c’était pour cette raison que sa promotion avait été retenue pendant des années sous la tyrannie du général Albrecht. Il ne comprenait que trop bien l’amertume de se voir refuser une évaluation équitable, mais d’un autre côté, il devait se demander pourquoi une personne aussi brillante pouvait se tromper de position. Mais pour l’avenir de Rhoadseria, ils ne pouvaient pas se permettre qu’Helena subisse le même sort que Ryoma.
« Entre vous et moi, Sa Majesté souhaite donner le rang de général au Seigneur Mikhail. Donc si quelqu’un devait avoir vent de votre mécontentement, la position du pays pourrait bien vaciller à nouveau… Faites attention. »
Helena ne pouvait qu’acquiescer au conseil de Chris.
La nouvelle des échecs de Mikhail dans la guerre civile s’était répandue et se répandait dans tout le pays. Peut-être le fait qu’il était considéré comme l’un des plus grands sabreurs du pays avait-il influencé les choses. Mais les rumeurs qui circulaient parmi les associés de la reine soutenaient qu’il s’agissait d’une sorte de conspiration de la part de quelqu’un qui détestait la façon dont Mikhail se défaisait de son autorité en tant qu’assistant de Lupis.
Mais si les rumeurs étaient un peu exagérées, elles n’en étaient pas moins vraies. Il avait en effet porté des accusations non autorisées à cause d’une rancune personnelle, et le fait qu’il soit tombé en captivité avait directement conduit la reine Lupis à accepter de gracier le duc Gelhart.
À cet effet, Mikhail avait dû payer pour ses échecs en étant assigné à résidence dans sa propriété de la capitale jusqu’à tout récemment. Normalement, une personne qui avait échoué à ce point ne garderait jamais un poste important aussi longtemps.
Cependant, le problème était que Mikhail Vanash était l’une des personnes en qui la reine Lupis avait le plus confiance, et compte tenu de son passé, c’était tout à fait naturel. Pendant que le général Albrecht contrôlait toutes les affaires militaires, Mikhail restait farouchement fidèle à Lupis.
Il était resté avec elle dans les moments difficiles, plus longtemps encore que Meltina Lecter, qui était l’aide la plus proche de la reine. Ils étaient si proches que quelques échecs ne suffiraient pas à ébranler la confiance de la reine.
À l’heure actuelle, la reine Lupis avait besoin d’aides de confiance. Le royaume de Rhoadseria était sur le point d’établir un nouveau régime sous la direction de sa nouvelle reine, et il était naturel qu’elle veuille léguer à ceux en qui elle avait confiance les plus hautes positions dans l’armée.
Cela ne voulait pas dire que la reine Lupis ne faisait pas confiance à Helena, bien sûr. Au moins en ce qui concernait sa loyauté envers le pays… Mais la reine ne pouvait pas s’empêcher de remettre en question la loyauté d’Helena envers elle en tant que personne. Cela faisait plus de dix ans qu’Helena avait été contrainte de se retirer à cause du complot du général Albrecht.
La reine Lupis, qui avait maintenant une vingtaine d’années, n’était alors qu’au début de son adolescence. Peut-être les choses auraient-elles été différentes si elle avait été adulte au moment des faits, mais elle ne connaissait Helena dans la même mesure qu’un enfant de la famille royale salue un général dans les couloirs du palais ou lors des dîners de ses parents. Leur relation était trop faible pour qu’Helena puisse jurer honnêtement allégeance à la reine Lupis. De même, Lupis n’aurait pas facilement fait confiance à une personne qu’elle connaissait si peu.
Il était bien connu de tous dans le château que la reine Lupis n’avait fait qu’aller à l’encontre de ses propres préférences et avait donné à Helena le poste de général parce que tout le monde, chevaliers et nobles, l’y exhortait. Si la reine Lupis sentait que la loyauté d’Helena à son égard vacillait, ne serait-ce qu’un peu, elle la renverrait volontiers et ferait de Mikhail Vanash le nouveau général.
Les inquiétudes de Chris sont justifiées… Il est trop tôt pour que Mikhail devienne général. Il devra passer dix ans de plus comme chevalier commandant pour acquérir cette expérience.
Helena n’avait pas particulièrement détesté ou méprisé Mikhail. Elle ne doutait pas que lui et Meltina seraient ceux qui dirigeraient l’armée de la Rhoadseria dans le futur… Mais c’était en pensant à ce qui allait se passer dans les années à venir. Elle pensait qu’à l’heure actuelle, il serait prématuré de confier à Mikhail la responsabilité des affaires militaires du pays.
Le sang-froid, la capacité de lire dans la profondeur de la situation, la connaissance de la tactique et de la stratégie. Mikhail n’avait pas toutes ces qualités pour le moment. Poussé par une rancune personnelle et le désir de regagner son mérite perdu, il avait mis de côté ses fonctions de reconnaissance et avait désobéi aux ordres. Laisser un homme comme lui tenir l’armée du royaume dans la paume de sa main était un scénario cauchemardesque aux yeux d’Helena.
Si une personne aussi bornée se voyait attribuer le rang de général, les affaires intérieures déjà instables de Rhoadseria ne seraient que plus perturbées, et les pays environnants pourraient profiter de cette instabilité pour lancer une invasion.
Helena soupira, ces pensées pesant sur son esprit.
Pour commencer… Mikhail Vanash est-il au moins apte à jouer le rôle de général… ?
Être général est effectivement un rôle auquel tous les chevaliers aspirent, mais il faut avoir certaines qualités pour s’asseoir sur ce siège élevé…
Et oui, ces qualités n’avaient pas grand-chose à voir avec la capacité d’un guerrier à manier une arme au combat. Il fallait comprendre les finances, la diplomatie et toutes les questions liées à l’armée, et savoir comment toutes ces questions étaient impliquées lorsqu’il s’agissait d’une guerre. D’une certaine manière, il fallait être capable de voir les choses du point de vue de Dieu.
Mais d’après ce qu’Helena a pu voir, Mikhail n’avait pas ces qualités. S’il apprenait à être un peu plus prudent, il pourrait être un excellent commandant sur le champ de bataille, mais il lui manquait le talent nécessaire pour saisir les événements sur tous les fronts possibles et s’emparer de la victoire.
Bien que je suppose qu’à cet égard, très peu de gens ont ce genre de talent…
D’après ce que savait Helena, il n’y avait que trois personnes actuellement à Rhoadseria qui possédaient ce genre de perspective. Elle-même, Ryoma, qui se trouvait maintenant au nord, et cet homme qui vivait une vie de reclus solitaire sur son territoire au nord.
Nous ne pouvons pas laisser Mikhail être nommé au poste de général maintenant… La meilleure option serait de former ce garçon et d’en faire le général du royaume. Mais j’ai trahi Ryoma… J’ai choisi le royaume à la place… Je l’ai mis à une extrémité de la balance et l’avenir du royaume à l’autre…
Elle était bien consciente de sa naïveté. Ryoma ne l’avait pas aidée par bonté de cœur, mais c’est grâce à lui qu’elle avait pu prendre sa revanche sur Hodram. Des regrets et des sentiments contradictoires tourbillonnaient dans son cœur.
Mais elle ne pouvait pas tourner le dos au pays dans lequel elle était née et avait grandi. Rhoadseria était au bord de la crise. Du point de vue d’Helena, la reine Lupis était trop immature pour servir de nouvelle reine. Elle en savait trop peu sur le gouvernement, la diplomatie, l’économie… Le seul domaine dans lequel elle était un peu douée était celui des affaires militaires, et même à cette époque, elle n’était que passable. Elle n’était guère assez fiable pour servir de gouvernante.
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Partie 2
Les causes de son inaptitude à être une reine n’étaient que trop claires, son manque d’expérience et sa trop grande gentillesse. En termes de connaissances, Lupis avait été éduquée comme un membre de la famille royale et en savait plus qu’il n’en fallait pour remplir ses fonctions. Elle avait un cœur qui aimait les masses, on penserait donc qu’elle serait normalement bien adaptée pour ce rôle.
Et pourtant, assez comiquement, elle était bien trop inapte à gouverner. Ses assistants ne pouvaient pas être qualifiés d’intelligents. Les survivants de la faction des nobles conspiraient contre elle. Et pire encore, son cœur était trop gentil avec ceux qui lui étaient chers, ce qui la rendait indécise.
Le pire facteur était sans doute la structure du gouvernement de la reine Lupis, qui avait pris le pouvoir pour résoudre les innombrables problèmes qui affligeaient Rhoadseria en tant que pays. Le plus grand point de discorde était son favoritisme envers ceux qui lui tenaient à cœur.
Sa décision la plus extrême concernait Mikhail. Il avait été assigné à résidence, mais elle avait ignoré les objections de son entourage. Il était retourné au service actif en tant que chevalier en deux mois seulement. Bien entendu, la reine Lupis avait besoin de personnes de confiance pour réformer le pays. Helena se souvenait que Meltina avait utilisé ce raisonnement pour refuser ceux qui s’opposaient à cette décision.
Mais restaurer un homme qui avait accumulé les échecs les uns après les autres après une si courte période… Tout en repoussant dans la péninsule de Wortenia l’homme qui avait tant contribué à la guerre, bien que ce ne soit qu’un roturier, le jugement de la reine était remis en question par ceux qui l’entouraient.
La reine Lupis, et Meltina qui la servaient ne semblaient pas comprendre comment cela se répercutait sur elles.
La guerre civile a pris fin, et nous avons réussi à minimiser l’affaiblissement du pouvoir national du royaume. Mais nos problèmes domestiques n’ont pas diminué du tout… Non, au contraire, les choses ont empiré. Qu’est-ce que ces deux-là en pensent, je me demande…
Helena fronça les sourcils et soupira à nouveau de mélancolie. À la surface, le royaume semblait avoir retrouvé sa paix et sa stabilité. Mais Helena ne voyait cela que comme un château de sable fragile. Il était dans une sorte d’accalmie, et pouvait s’effondrer à tout moment. C’était l’état actuel de Rhoadseria.
Si les aides de la reine étaient plus prudents, peut-être que ce ne serait pas le cas. Si la reine était plus décisive, peut-être que cela changerait. Mais cela ne se passait pas comme ça dans la réalité. Le mur du statut social entre les roturiers et la classe dirigeante était tout simplement trop épais, et le garçon qui avait tant accompli dans cette guerre entre nobles et chevaliers avait été écarté.
S’il avait été l’un des aides de Lupis et donc en mesure de guider le royaume, cette situation critique aurait pu être évitée. Helena s’était opposée à ce qu’il quitte le pays, mais c’était uniquement parce qu’elle estimait qu’il était digne qu’on lui confie l’avenir du royaume. Mais malheureusement, la reine Lupis craignait ses compétences exceptionnelles et avait choisi de le repousser.
Helena poussa un grand soupir et commença à lire ses documents. S’inquiéter de tout ceci ne changerait pas grand-chose. Helena avait fait son choix. En tant que général de Rhoadseria, elle avait choisi de reconstruire ce pays de son propre chef. Et c’était pourquoi elle n’avait rien dit lorsque la reine Lupis décida de lever l’assignation à résidence de Mikhaïl. En tant que générale, Helena ne pouvait pas se permettre de s’opposer à la décision de la nouvelle reine à ce stade, alors que les fondements de son règne n’étaient pas encore solides. Si elle le faisait, cela diviserait le pays en deux.
« Réorganiser le pays est plus important maintenant. Aussi injuste que cela puisse être, nous ne pouvons pas échanger l’avenir de ce pays contre quoi que ce soit. Et, quelle que soit la terre qui lui a été donnée, un roturier a été promu au statut de noble. Je ne nierai pas que Sa Majesté a rompu la promesse qu’elle avait faite à Ryoma au début, mais en fin de compte c’était inévitable. », déclara Chris.
Helena avait ressenti un soupçon de peur dans les mots de Chris.
Il a un grand sens du devoir… Et plus son sens du devoir est grand, plus il attend des autres qu’ils tiennent leurs propres promesses…
Il était probable que les seuls à comprendre les appréhensions d’Helena étaient la poignée de personnes travaillant sous le comte Bergstone, qui interagissaient directement avec Ryoma.
Le jeter dans cette péninsule était probablement semblable à lâcher une vipère dans la nature…
Helena pouvait imaginer la colère et la haine qui crépitaient comme des flammes dans le cœur de Ryoma. Elles s’écrasaient sous la surface, aussi lentement et certainement qu’un courant de magma. Ayant passé de nombreux jours à préparer la vengeance de son mari et de sa fille décédés, elle pouvait capter avec sensibilité les intentions cachées que Ryoma essayait de dissimuler.
Sa haine pour ceux qui sont au pouvoir… Surtout pour les dirigeants et ceux qui occupent des positions privilégiées… C’est quelque chose que je ne connais que trop bien.
Si la décision de la reine Lupis n’était pas vraiment un choix admirable, elle n’avait pas vraiment suscité de critiques. Sur cette Terre, l’immobilité sociale était un fait commun, à toute épreuve, il était donc naturel que ceux qui occupent des positions élevées fassent leurs choix sans être contestés. Mais la princesse Lupis s’était trompée sur un point essentiel : la procédure.
Elle aurait pu simplement expliquer les choses à l’avance et recevoir l’approbation de Ryoma. Ryoma n’était pas un homme à qui l’on ne pouvait pas faire entendre raison, et si on lui avait donné une explication honnête et correcte, il aurait compris son point de vue.
Mais la différence de classe entre un noble et un roturier avait fait ressortir sa laideur. Peut-être ne l’avait-elle pas fait consciemment, mais son attitude montrait clairement que son intention était : « Tais-toi et écoute ce que dit la reine, roturier. »
Il est vrai que piétiner un roturier en se cachant derrière son statut social n’était pas rare dans ce monde, mais la reine Lupis n’avait pas du tout réalisé que les personnes piétinées ne supporteraient pas toujours cette humiliation en silence.
Je leur ai pardonné… Mais ce garçon…
Née roturière, Helena avait connu de nombreuses frustrations amères dans sa jeunesse. Mais elle avait simplement utilisé cette frustration comme un tremplin pour atteindre la position de général grâce à son travail de chevalier, en grimpant au sommet. Beaucoup de gens avaient démissionné à l’époque, craignant les représailles d’Helena pour leurs actes.
Mais Helena ne s’était jamais vengée. C’était uniquement dû au fait qu’Helena Steiner était une citoyenne de ce royaume. Elle s’était retenue, pensant qu’il serait mal de s’en prendre à ses compatriotes.
Mais que ferait une personne sans attachement à Rhoadseria ? Son cœur tremblerait probablement simplement d’humiliation et de colère, croyant que le jour où la vengeance tombera arrivera sûrement…
Devrai-je éventuellement me battre contre ce garçon… ?
Chaque fois que cette question lui traversait l’esprit, Helena frissonnait. Bien sûr, elle n’avait pas l’intention d’élever la voix pour l’avertir de cette situation ni de conseiller à la reine Lupis de chercher la réconciliation.
Si Ryoma venait à se venger, elle se contenterait de le défier en duel en silence. Elle savait que sa colère était justifiée.
Cinq ans…
Ces mots étaient réapparus dans son esprit. C’était ce que Ryoma avait dit la veille de son départ du Pireas, lors de son banquet d’adieu.
Ce pays n’avait plus beaucoup de temps…
L’ancien duc Gelhart fut rétrogradé au rang de vicomte, et son territoire, la région céréalière d’Héraklion, fut échangé contre une terre non développée. Par rapport à l’époque où il contrôlait Héraklion, son statut avait été considérablement abaissé, mais comme sa fortune personnelle était restée intacte, il restait financièrement stable. Il retrouvera certainement son influence à un moment donné.
Et en effet, la rumeur disait que dans les trois mois qui suivirent la fin de la guerre civile, le vicomte Gelhart avait déjà commencé à rassembler les restes de la faction des nobles qui avaient échappé à la punition. La plupart d’entre eux étaient des personnes qui avaient été chassées de leur poste à cause de la promotion du comte Bergstone et des autres nobles de la faction neutre. Ils complotaient la résurgence de la faction des nobles, avec le vicomte Gelhart comme chef.
Et bien sûr, cette faction de nobles réformés utilisait la princesse Radine comme figure de proue nominale. La grâce du vicomte Gelhart avait permis à Radine d’être officiellement reconnue comme membre de la famille royale. C’était tout naturel, puisque la reine Lupis avait accepté son explication. Mais bien sûr, les gens qui s’étaient battus pour prouver la légitimité de la reine sur le champ de bataille ne pouvaient pas accepter cet état de fait aussi facilement.
La reine Lupis est encore plus malmenée qu’avant…
En apparence, l’ordre public dans le royaume s’était amélioré et les marchés étaient animés. En ce qui concernait la qualité de vie des citoyens, le royaume était certainement en train de se reconstruire. Mais ce n’était qu’une paix trompeuse.
C’était comme si le pays était malade et refusait la chirurgie qui le guérirait, et ne fonctionnait que grâce à un médicament qui supprimait les symptômes. À l’extérieur, tout semblait aller bien, mais la maladie ravageait lentement mais sûrement l’intérieur du corps du patient.
Le problème était que, malgré le fait que la reine Lupis avait gagné la guerre civile, elle ne pouvait pas exécuter Furio Gelhart. Hodram, qui était marié à un noble de Tarjan, était mort. Cela avait laissé Rhoadseria et Tarja dans un état de tension. Elles n’étaient pas en état de guerre avec Xarooda ou Myest, mais elles n’étaient pas très proches sur le plan diplomatique. Des hostilités pouvaient éclater avec ces deux royaumes au moindre incident. Et en plus de tout cela, il y avait une faction au sein du royaume qui complotait pour faire tomber la reine Lupis de son trône.
Ryoma avait estimé le temps qu’il restait à la reine Lupis en tenant compte de tous ces facteurs, et l’avait communiqué à Helena. Cinq ans… Ou plutôt, cinq ans tout au plus. Les choses pourraient très bien s’effondrer encore plus tôt. En fait, étant donné la situation, il semblait très probable qu’elles s’effondreraient bien avant cinq ans.
« Si vous ne vous préparez pas en conséquence pendant ces cinq ans, la reine Lupis pourrait mourir… Bien que je suppose que vous le savez déjà. Mais je vous dis ceci, juste au cas où… Après tout, je vous ai pratiquement forcé à participer à tout ça. », avait dit Ryoma avec un sourire.
Au moment où elle vit ce sourire, Helena avait réalisé qu’il avait complètement abandonné la Reine Lupis. Il parlait uniquement par souci pour Helena… La prévenant de ne pas se détruire en obéissant à une reine qui n’avait pas d’avenir.
« Cinq ans… »
Les mots lui échappèrent.
« Hmm ? Tu as dit quelque chose ? », demanda Chris en la regardant d’un air interrogateur.
« Non, ce n’est rien… Peux-tu me passer le prochain document ? »
Chris lui tendit le document suivant comme demandé. Elle le regarda rapidement et le tamponna avec son sceau. Il ne restait pas beaucoup de temps avant le jour prévu par Ryoma.
Ryoma… Continue à vivre… Et puis, une fois de plus…
Helena pria du fond du cœur pour le bien-être de ce garçon mûr qui était assez jeune pour être son petit-fils. En espérant qu’ils se reverraient un jour…
Le soleil brillait dans le ciel, illuminant les gens qui voyageaient sur la route. Les cicatrices laissées par la guerre civile rhoadserienne se faisaient encore vivement sentir, et la circulation des marchandises était encore entravée dans le pays. Mais aujourd’hui, trois mois après la fin des combats, la vie pacifique revint enfin pour les civils de Rhoadseria.
***
Partie 3
Parmi les personnes qui empruntaient la route en direction du nord se trouvait un groupe portant une bannière particulière. Elle était faite d’un tissu teint en noir. Un drapeau représentant un serpent à deux têtes avec des écailles d’or et d’argent enroulées autour d’une épée. Les yeux cramoisis du serpent semblaient fusiller du regard son entourage.
En acceptant le titre de baron, Ryoma Mikoshiba fit faire ce drapeau par un des artisans de Pireas, le doublant de l’écusson de la nouvelle Maison Mikoshiba. L’épée était le symbole de la force, tandis que le serpent représentait la ruse et la sagesse. Un symbole qui signifiait avec précision la nature de Ryoma Mikoshiba.
Devant les yeux de Ryoma se trouvait une région vallonnée en pente douce. Des vergers s’étendaient des deux côtés de la route, et les roturiers qui peuplaient les villages voisins s’en occupaient.
« Garçon ! On devrait bientôt passer par la crête ! »
Lione se retourna et l’appela, ses cheveux pourpres battant légèrement dans la brise.
« Bon, enfin… Je ne vais pas mentir, mes fesses commencent à me faire mal », dit Ryoma, en levant légèrement les hanches pour frotter son derrière douloureux.
« Bon sang, les nobles de ce monde enterreraient leur tête dans la honte s’ils voyaient un baron comme toi faire ça », dit Lione d’un air taquin, un sourire sarcastique aux lèvres.
Ryoma savait très bien à quel point sa conduite était honteuse. En revanche, Laura, qui était à ses côtés, le regardait avec une réelle inquiétude.
« Mon Dieu, Maître Ryoma… Cela doit faire mal. Supporte-le encore un peu, oui ? Je t’appliquerai de la pommade dès que nous aurons trouvé un logement… »
Avant que Ryoma ne puisse répondre, Sara avait interrompu leur échange.
« Non, tu ne devrais pas avoir à attendre si longtemps. Si tu veux, tu peux aller dans la calèche. Si tu es à l’intérieur, nous pouvons appliquer de la pommade, et je pense que tu pourras voyager beaucoup plus confortablement. »
Apparemment, les jumelles Malfist étaient en pleine bataille pour l’affection de Ryoma.
« E-Erm… Ça va aller, vous deux. Il faut que je m’habitue à monter à cheval… » répondit Ryoma tout en supportant la douleur.
Honnêtement, passer à la calèche était quand même assez tentant…
Jusqu’à présent, Ryoma n’avait aucune expérience de l’équitation. Au Japon, les seuls moyens de transport généralement utilisés, à l’exception de la marche, étaient la bicyclette et la voiture. Selon la distance à parcourir, il fallait prendre le train ou l’avion, mais tous ces moyens de transport étaient beaucoup plus pratiques que le cheval.
Le siège d’une voiture était bien sûr très pratique, mais même la selle d’une bicyclette était beaucoup plus agréable que celle d’un cheval. En tant qu’enfant des temps modernes, le derrière de Ryoma était irrité à force d’être resté longtemps assis sur la selle.
Lorsqu’ils avaient poursuivi Hodram, il avait partagé la selle avec l’une des sœurs Malfist, de sorte que ses connaissances sur la façon de monter à cheval étaient très basiques et superficielles. Toutes ses prétentions en matière d’équitation avaient complètement disparu après ce voyage de dix jours à cheval.
Il ne pouvait cependant pas céder à la tentation et s’installer dans la calèche ici. Après tout, cela le mettrait dans une situation où il devrait laisser les sœurs Malfist lui mettre de la pommade sur ses fesses exposées…
Et si je dis « non » de la mauvaise façon, elles pourraient se mettre à pleurer…
Ryoma les avait même fait pleurer en refusant leur aide une ou deux fois lors de leur première rencontre. Les sœurs Malefist avaient fondamentalement placé leur service envers Ryoma au-dessus de tout. D’une certaine manière, elles étaient à la fois des bonnes et des gardes du corps, mais elles fonctionnaient souvent comme bonnes. Elles l’aidaient à se changer, à préparer ses repas et à le nourrir, elles s’occupaient essentiellement de tous ses besoins.
En effet, certains nobles de ce monde avaient des servantes pour les aider dans toutes leurs affaires. En fonction de leur situation, ils faisaient appel à leurs serviteurs et à leurs servantes pour les affaires plus personnelles. Parfois, il s’agissait d’aider les malades et les personnes âgées, mais souvent, en particulier dans ce cas, ces affaires personnelles prenaient une tournure plus sexuelle.
Ainsi, le fait que Ryoma déclina leur service dans cette situation avait porté un coup à la raison d’être des sœurs. Elles avaient l’impression que leur présence même auprès de lui était niée. Il lui avait fallu un jour et une nuit entière pour les convaincre que ce n’était pas le cas la dernière fois, et depuis lors, il n’y avait pas eu de problèmes.
Mais récemment, l’attitude des sœurs avait changé. Le fait que Ryoma soit devenu baron les avait fait changer d’avis, car elles pensaient qu’elles devaient désormais le servir comme des servantes au service d’un noble.
Eh bien, techniquement, elles n’ont pas tort…
Il possédait peut-être le plus petit titre de noblesse possible, mais un baron restait néanmoins un membre de l’aristocratie. Et en tant que tel, il était censé s’attendre à un niveau de vie et à une déférence dignes de son rang.
En fin de compte, Ryoma ne pouvait qu’attribuer cette différence à une différence de culture.
« Eh bien, supporte encore un peu ! Une fois que nous aurons passé cette crête, les murs du château d’Epire devraient être visibles », dit Lione d’une voix inhabituellement gaie, remuant tout le monde alors qu’elle sentait la direction particulière que prenait la conversation.
Le groupe d’hommes dirigé par Lione comprenait les trente-trois membres du groupe de mercenaires de Lione et Boltz, les Lions Rouges, ainsi que Genou, Sakuya, les sœurs Malfist et Ryoma. Ce groupe était trop important pour effectuer un travail de mercenaire typique, mais trop petit pour prendre le contrôle d’un territoire.
J’aurai besoin de personnes capables de s’occuper de la paperasserie…
Les seules personnes que Ryoma pouvait voir autour de lui avaient des spécialités très orientées vers les affaires militaires et martiales. Ils pouvaient être bons pour remplir des papiers, mais Ryoma avait l’intention de gérer un pays, et la situation actuelle n’était pas satisfaisante à cet égard.
Eh bien, on peut faire ça petit à petit… Je ne pourrai pas créer le pays que je veux du jour au lendemain.
Ryoma se chuchota à lui-même en poussant un petit soupir et en fixant son regard vers l’avant, son cœur brûlant d’une nouvelle détermination.
Je survivrai ! Et Lupis… ! Je me vengerai de ça… Je veillerai à ce que tu paies pour tout, avec des intérêts…
Ryoma le jura dans son cœur en regardant les murs d’Epire grossir progressivement à son approche.
La citadelle de la ville d’Epire. Le point d’appui des territoires du nord de Rhoadseria, situé à la frontière de la péninsule de Wortenia.
La ville était entourée d’un profond fossé et de murs de pierre de plusieurs dizaines de mètres de haut. Elle avait trois entrées. Deux à l’est et à l’ouest, et une au nord. Au sud se trouvait le château du gouverneur régional, le comte Salzberg.
Tous les citoyens de Rhoadseria et de Xarooda savaient que cette ville était le solide rempart qui défendait le royaume. Xarooda avait tenté une invasion par l’ouest, mais la forteresse les avait repoussés avec succès, ce qui avait contribué à asseoir sa réputation.
Mais tous les habitants de la ville comprenaient que la ville dans laquelle ils vivaient était le couvercle d’un creuset ne contenant rien d’autre que le chaos…
*****
Ryoma se reposait maintenant dans une auberge, située en face de la rue principale d’Epire. Le groupe de Ryoma avait enfin conclu les formalités et avait atteint ce que l’on pouvait considérer comme l’entrée de la péninsule de Wortenia.
Alors que Ryoma se reposait dans sa chambre, il avait tenu une réunion avec le reste de ces principaux membres, sous la direction de Boltz. Son but était de décider de leur future politique.
« Je m’attendais à ce que les défenses soient lourdes étant donné que c’est une ville frontalière, mais ils font plus qu’essayer de se défendre contre Xarooda. »
Boltz haussa les épaules.
Sa vaste expérience de mercenaire faisait ses preuves. Pendant que tous les autres faisaient une pause dans leur chambre à l’auberge, il se promenait dans la guilde de la ville, recueillant des informations.
« Un brise-lames pour s’assurer que les monstres n’affluent pas dans Rhoadseria ? » demanda Ryoma.
Boltz acquiesça.
« J’ai entendu beaucoup de rumeurs sur la péninsule de Wortenia pendant mon temps de mercenaire, mais c’est une terre beaucoup plus difficile que je ne le pensais… Nous allons devoir faire de gros efforts si nous voulons faire quelque chose de cet endroit. », dit-il.
Ses paroles avaient été accueillies par des petits hochements de tête de la part de tout le monde. Ils savaient que ce serait une terre difficile alors qu’ils étaient encore dans la capitale.
« Cela voudrait dire que nous devrions donner la priorité à nos préparatifs dans cette ville… N’est-ce pas ? » dit Ryoma.
Pour l’instant, ce dont il avait besoin, c’était d’informations plus détaillées sur la péninsule et sur cette ville, Epire. Il savait que marcher sur Wortenia en l’état actuel serait probablement un suicide. Cela les ferait simplement atterrir dans l’estomac de monstres.
Ryoma et son groupe manquaient de tout, de l’équipement aux informations topographiques. Apparemment, la péninsule de Wortenia était parsemée d’enclaves de pirates et de villages semi-humains. Le mot clé était « apparemment », car il n’y avait aucune preuve concrète de leur existence. Et même s’il y avait une telle preuve, ce n’était pas comme s’ils pouvaient marchander avec les pirates et les semi-humains pour de la nourriture et de l’eau.
En tant que tels, la nourriture et l’eau étaient leur plus grande préoccupation, et jusqu’à ce qu’ils créent une ville autosuffisante, ils devaient compter sur Epire pour s’approvisionner. Il leur faudrait trouver une compagnie qui les aiderait à cet égard.
Fidèle à son nom de « point d’appui du Nord », Epire était parsemée d’innombrables compagnies de tailles différentes. Vu l’ampleur de leurs activités à venir, ils avaient besoin d’une société qui vendrait en gros, tout en n’ayant pas trop de liens avec le gouverneur. Il y avait un risque que le gouverneur tente d’interférer avec le commerce.
« Nous devrons choisir avec soin parmi les compagnies ici à Epire », déclara Lione.
« C’est comme tu l’as dit, sœurette. Si nous traitons avec n’importe quelle compagnie, nous pourrions nous retrouver avec le tapis tiré de sous nos pieds quand nous nous enfoncerons dans la péninsule. »
Ils avaient déjà évalué la situation de manière approfondie. Chacun d’entre eux faisait de son mieux pour assurer sa survie.
« Nous allons chercher la bonne compagnie… »
Laura leur a rapidement attribué un rôle.
« Pour l’instant, nous allons vérifier quelles compagnies traitent principalement avec des roturiers. Est-ce que ce sera acceptable ? »
« Oui, s’il te plaît. »
C’était la preuve que Laura avait une solide connaissance de la situation. Sarah avait également hoché la tête, montrant qu’elle comprenait tout aussi bien.
« Alors Boltz, tu t’occupes de la guilde. Nous avons besoin d’autant d’informations détaillées que possible sur Wortenia. En particulier la position des rivières et des lacs, et tout ce que tu peux rassembler sur les types de monstres qui s’y reproduisent. »
« Compris, mon garçon ! Laisse-moi faire ! »
Boltz frappa du poing contre sa poitrine avec assurance.
Ryoma acquiesça, puis il se tourna vers Genou. Personne n’était plus apte que lui et Sakuya à recueillir des informations. En remarquant le regard de Ryoma, les yeux de Genou se mirent à briller.
« Genou, j’ai besoin de toi pour enquêter sur les personnages influents de cette ville, à savoir le comte Salzberg. Leurs structures familiales, leurs faiblesses, leurs forces, tout ! Il faudra faire de cette ville notre base pour un temps. »
« Je vois, seigneur… L’idéal serait d’avoir les personnages influents de cette ville à nos côtés », répondit Genou.
L’expression de Ryoma était radieuse.
***
Partie 4
« Mais ne fais rien qui puisse te faire sortir du lot. Fais particulièrement attention à l’environnement du comte Salzberg. D’après ce que m’a dit Dame Helena, il a une personnalité très… particulière. La pire chose que nous puissions faire est de le contrarier accidentellement. »
« Considérez que c’est fait… »
Genou inclina la tête avec révérence.
« Ne vous inquiétez pas, seigneur, demain j’aurai répondu à vos attentes. »
« Garçon… Tu veux que je m’occupe des mercenaires ? » demanda Lione.
Ryoma tourna son regard vers elle. Alors que Genou et Sakuya enquêtaient sur les personnages influents de la ville, Ryoma et Lione étaient les seuls à ne pas avoir de tâche à accomplir. Mais Lione connaissait assez bien son rôle.
« Oui… Mais pas de la façon dont tu penses. Je veux que tu choisisses les personnes vraiment compétentes, et que tu le fasses en coulisses… Honnêtement, ce serait le bon moment pour augmenter nos effectifs, mais étant donné que nous ne pouvons pas espérer de revenus pour l’instant, ce sera difficile… »
« Dois-je leur dire que nous cherchons des chevaliers, alors ? Dire que nous cherchons des candidats chevaliers attire un public différent de celui que l’on a quand nous cherchons des mercenaires. », demanda Lione.
Ryoma secoua la tête. Cela équivalait à chercher des travailleurs à plein temps par rapport à des travailleurs à temps partiel.
« Non… Bien sûr, dans le futur ils pourraient finir par être nos chevaliers, mais pour l’instant, gardez-les employés comme mercenaires. Nous devrions prendre et garder parmi eux ceux qui semblent en valoir la peine. Et de cette façon, nous pourrons filtrer ceux qui posent problème… Tu comprends ? »
« Ceux qui posent problème… ? »
Sara répéta les mots de manière interrogative.
« Comme les espions envoyés par les gouverneurs des pays voisins », répondit Ryoma avec un léger sourire.
« Ce serait ennuyeux. Si nous engageons des personnes dont nous n’avons jamais entendu parler, pourquoi ne pas engager des groupes comme ceux d’Arand et de Gran ? Ils ont beaucoup de respect pour toi. », dit Lione d’un ton taquin.
Ryoma avait répondu à ces mots avec un sourire. Il était suffisamment proche de ces gens pour qu’il, sans la reine Lupis et ses tours de passe-passe, envisage de créer un nouveau groupe de mercenaires dirigé par Ryoma. Les emmener aurait normalement été la ligne de conduite évidente, mais Ryoma n’avait pas choisi de le faire.
« Eh bien, j’ai considéré ça… Mais je me suis dit que comme j’aurai besoin de personnes de confiance plus tard, je préfère gaspiller des gens auxquels je ne suis pas aussi attaché… Tu comprends ? »
« Par les dieux, tu es un homme si effrayant et si mauvais… »
Lione fit un petit sourire sombre.
« Investir au nom d’un avenir meilleur… Je suppose que ça résume tout. »
Ryoma haussa les épaules.
Il faudra des années pour que ce travail de fond commence à porter ses fruits. Dans un sens, c’était un choix peu judicieux de la part de Ryoma, étant donné que sa vie dépendait du succès de son gouvernement sur la péninsule de Wortenia. Mais d’un autre côté, la préparation de ce qu’il allait faire au cas où son travail de fond porterait ses fruits était également un bon moyen de jouer.
Que ce travail de fond soit payant ou non est un pari qui dépend de ma capacité à faire de cette péninsule ma terre.
L’esprit de Ryoma s’était alors tourné vers Gran et les autres, qui étaient maintenant répartis sur tout le continent. Lione pensait probablement la même chose. Après un long moment de silence, Lione ouvrit ses lèvres pour parler à nouveau.
« Eh bien, je suppose qu’on en a fini avec Gran… Donc, je devrais les engager comme mercenaires. »
« Oui, pour le moment. Après tout, on n’aura peut-être pas d’argent pour payer les salaires plus tard. »
Il voulait honnêtement les engager comme chevaliers, mais vu leurs perspectives peu claires, les employer à long terme était trop dangereux. Il était préférable d’avoir des mercenaires qui cessaient simplement de travailler pour eux lorsqu’ils n’avaient plus d’argent, que des chevaliers qui pouvaient se retourner contre eux lorsque les choses tournaient mal.
« Tu as peut-être raison… Peut-être faut-il abstenir d’engager d’autres chevaliers tant que le développement de la péninsule n’est pas en cours. »
Être le chef d’un groupe de mercenaires avait permis à Lione de comprendre que diriger une armée est une entreprise coûteuse et peu rentable.
« Eh bien, de toute façon, je m’en occupe ! Mais de combien de personnes auras-tu besoin ? Les plus compétents coûtent une jolie somme. »
Les mercenaires qualifiés demandent des salaires plus élevés, bien sûr. Lione ne pourrait pas faire avancer les choses sans savoir quel était leur budget. Face à sa question, Ryoma tourna son regard vers Laura. Il laissait les sœurs Malfist s’occuper des dépôts et des retraits de son argent.
« Nous avons environ quatre mille pièces d’or sous la main. C’est la richesse personnelle de Maître Ryoma. En plus de cela, nous avons les cinq mille pièces d’or qui nous ont été promises par la reine Lupis, mais nous devrions les recevoir plus tard. », répond-elle avec aisance.
« Bon sang, je ne savais pas que tu étais riche ! » dit Lione, les yeux écarquillés de surprise.
Sa surprise était compréhensible. Quatre mille pièces d’or, c’était la richesse d’un noble de rang moyen. Il y avait plusieurs raisons pour lesquelles Ryoma avait amassé une telle fortune. Tout d’abord, il y avait l’argent et les bijoux qu’il avait volés à l’esclavagiste Azoth lorsqu’il avait sauvé les sœurs Malefist. Cela représentait la majeure partie de ses fonds, mais il y avait aussi l’argent qu’il avait gagné en tant qu’aventurier et la récompense qu’il avait reçue pour ses activités pendant la guerre civile.
Et à cela s’ajoutaient les cinq mille pièces d’or que le royaume de Rhoadseria devait leur remettre dans le cadre de fonds de développement. Cela donnait l’illusion que sa situation financière était sûre, mais il y avait de nombreux problèmes à régler.
« Mais nous allons commencer par construire un village, et il sera situé sur un terrain non développé et non peuplé… »
Il n’était pas impossible de développer une terre en friche à partir de rien dans ce monde, mais cela n’était vrai que s’il s’agissait d’un territoire peu développé à coloniser, et non une région infernale.
« Nous aurons besoin d’un peu plus de marge de manœuvre que ça, hein ? », demanda Lione.
Ryoma fit un signe de tête. Il faudrait des années entre le moment où ils auront construit une forteresse dans la péninsule et la stabilisation de leurs revenus, et jusque-là, ces neuf mille pièces d’or étaient la bouée de sauvetage de Ryoma. Honnêtement, peu importe leur rentabilité. Ce ne serait pas suffisant.
« Alors que dirais-tu de cinq cents pièces d’or ? Avec ça, j’aurai assez de gens pour un an… Environ deux cents hommes. Cela devrait nous donner une certaine marge de manœuvre pour acheter de l’eau et des provisions, non ? », suggéra Lione.
« Oui, je pense que l’on sera en mesure d’en gérer autant. »
Laura a fait un signe de tête.
« Bien reçu, bien reçu. »
Lione acquiesça vigoureusement.
« Est-ce que cela te convient, mon garçon ? »
Ayant dirigé un groupe de mercenaires pendant des années, Lione était capable de discerner les compétences d’un mercenaire avec facilité. Elle était parfaitement adaptée à ce rôle. Sauf que…
Deux cents hommes… Donc, deux cent trente, en nous y incluant…
Le niveau de compétence des hommes qu’ils trouvaient pouvait grandement influencer leur potentiel de guerre, mais par rapport à la logique de cette Terre, c’était le nombre d’hommes habituellement affiliés au foyer d’un comte. Sauf que ce nombre était normalement constitué de chevaliers, et un noble normal pouvait enrôler ses sujets afin de renforcer son armée.
Ils portaient tous deux le même titre de comte, mais le comte Salzberg était chargé de défendre une frontière et le comte Bergstone se trouvait à la capitale. Le nombre de chevaliers qui les servaient n’était bien sûr pas le même.
En y pensant de ce point de vue, le nombre actuel d’hommes de Ryoma était certainement faible. On pourrait peut-être le considérer comme une force militaire plus que suffisante compte tenu de son statut de baron nouvellement formé, mais comme il n’avait pas de personnes à enrôler, son effectif global faisait clairement défaut.
La question est de savoir si nous pouvons contrôler Wortenia avec tous ces puissants monstres qui y vivent… Ce sera probablement une tâche difficile.
À vrai dire, si cette péninsule pouvait être contrôlée par une force de cette taille, un noble lambda aurait probablement déjà essayé de le faire. Après tout, d’un simple point de vue géographique, la région débordait d’avantages. Un coup d’œil rapide sur la carte le montre de façon flagrante.
Étant une péninsule, la Wortenia avait évidemment accès à la mer par le nord, l’est et l’ouest, la seule route intérieure se trouvant au sud. Cette route était aussi une route sinueuse et serpentine parsemée de falaises et de forêts périlleuses. Elle ne donnait pas l’impression d’être un endroit isolé, mais à y regarder de plus près, cette zone neutre se révélait être une montagne de trésors.
Aussi stupides que les nobles aient pu être, il était difficile de croire que personne n’avait jamais essayé de s’approprier cette région. Et en effet, quelqu’un d’autre semblait être arrivé à la même conclusion que Ryoma.
« Mais je crois que nous manquons un peu trop de personnel pour défier cette terre maudite… » Boltz, qui s’était tu jusqu’à présent, écarta les lèvres pour parler.
« Il est évident que nos fonds ne sont pas inépuisables, mais qu’as-tu en tête, mon garçon ? »
En tant que dirigeant d’un groupe de mercenaires aux côtés de Lione, il était donc peut-être naturel qu’il ait ces doutes. Ryoma lui-même n’était pas sûr que sa force d’un peu plus de deux cents hommes serait suffisante.
Il a raison, mais même si nous voulons rassembler plus de troupes, nous ne pouvons pas le faire maintenant. Nous avons besoin d’informations plus détaillées pour élaborer un plan…
Dans les jeux de stratégie, les soldats n’étaient qu’un nombre, une statistique à l’écran, mais dans la réalité les choses étaient différentes. Ils avaient besoin de nourriture, de lits et de vêtements. L’important était de savoir comment évaluer le bon nombre. Ryoma prit une grande respiration et mit ses pensées en mots.
« Oui, je suis d’accord avec tes préoccupations, Boltz. Nous pourrions avoir besoin de plus de gens… Mais Lione, continue à rassembler des gens comme nous l’avons décidé. Je vais observer la situation et réfléchir à quelque chose que nous pouvons faire. »
Il ne faisait que repousser le problème à une date ultérieure, mais sa conclusion était qu’il ne servait à rien d’y penser maintenant.
« Compris, mon garçon… Mes excuses pour avoir dépassé les bornes. »
Boltz baissa la tête, sentant le conflit dans le cœur de Ryoma.
« Compris, je vais m’en occuper ! »
Lione se tapa la poitrine avec son poing.
Ryoma était le seul à ne pas avoir de tâche à accomplir.
« Que comptes-tu faire, Maître Ryoma ? », demanda Sara.
« Moi… ? Je pense que je vais aller voir le comte Salzberg », dit Ryoma.
« Le gouverneur d’Epire ? Pourquoi prendre la peine de le rencontrer… ? Ne va-t-il pas te mépriser parce que tu es un roturier arriviste ? » dit Lione, alors que presque tous les autres approuvèrent de la tête.
Ses soupçons étaient fondés. Après tout, c’était la trahison de la reine Lupis qui les avait mis dans cette situation, et se méfier de la noblesse semblait donc être la réponse naturelle.
Genou, cependant, semblait être d’accord avec Ryoma.
« Ah… C’est une bonne idée », dit-il.
« Que veux-tu dire, Genou ? »
Lione n’avait pas encore compris la raison.
***
Partie 5
Son regard se fixa sur le vieux, bien que ce ne soit pas un regard antagoniste, simplement un regard curieux et interrogateur. C’était là que Lione excellait. Elle était prête à entendre et à comprendre l’opinion de l’autre partie.
Cela pouvait sembler simple, mais il était en fait assez difficile de s’y conformer dans la pratique. C’était quelque chose qui manquait à l’ensemble des nobles de ce monde, et l’aristocratie de Rhoadseria en étant l’exemple le plus frappant.
« Il est vrai que les nobles de ce pays sont pour la plupart pourris. Nous l’avons assez bien vu… Et en effet, tout comme tu le soupçonnes, Lione, il est fort probable que le comte Salzberg ne prépare rien de bon. Mais la réalité des choses est qu’Epire est voisine de Wortenia, et il serait donc sage de rencontrer son gouverneur… Et inversement, si mon seigneur ne salue pas le comte, celui-ci pourrait lui en vouloir et tenter de le harceler pour cela. »
L’idée que le comte utilise cela comme prétexte pour les traiter injustement semblait bien réelle pour Lione. Après tout, s’ils devaient survivre dans la péninsule, ils devraient dépendre d’Epire pour leurs provisions. S’ils attiraient la colère du gouverneur pour quelque raison que ce soit, celui-ci pourrait faire pression sur les compagnies locales, ce qui augmenterait leurs dépenses.
« Aye… Je peux voir ça arriver. »
« N’est-ce pas ? Les nobles ont une façon d’être très sensibles quand on touche à leur fierté… »
Ce n’était peut-être que de la fierté pour les nobles, mais ce n’était en fait rien d’autre que de la vantardise et de l’arrogance. Ils étaient aveugles face à leur propre manque de respect envers les autres, tout en étant extrêmement enthousiastes lorsque les autres étaient insolents à leur égard. La grande majorité des nobles ressemblaient à ça. Tout le monde semblait satisfait de l’explication de Genou.
« Alors il vaudrait mieux que Maître Ryoma l’approche en premier. De cette façon, le comte n’aura plus d’excuse s’il veut s’impliquer contre lui », conclut Sara.
« Je suis d’accord avec Sara. Le rencontrer devrait nous donner une meilleure idée du genre de personne à qui nous aurons affaire. Il pourrait même s’avérer être en notre faveur. »
Ryoma acquiesça au conseil des sœurs Malfist.
« Oui, pour l’instant, je vais le rencontrer et voir quel genre d’homme il est. Cela devrait m’aider à évaluer s’il est un ennemi ou un ami pour nous… »
Et puis il y a l’avertissement de Lady Helena… Méfie-toi de Thomas Salzberg, gouverneur d’Epire et chef des dix maisons nobles du Nord…
Helena lui avait dit cela avant qu’il ne quitte Pireas, lors de leur dernière rencontre. Quand Ryoma lui demanda pourquoi il devait se méfier de lui, elle avait simplement secoué la tête en silence.
Elle voulait probablement que je confirme cela par moi-même, sans aucun préjugé…
Ryoma regarda autour de la table, fixant son regard sur tout le monde. Ils lui firent un signe de tête en réponse. Ils savaient tous, par expérience douloureuse, que les nobles et la royauté n’étaient pas dignes de confiance. Cela ne signifiait pas non plus que tous les nobles étaient suspects. La seule façon de le savoir était de confirmer de ses propres yeux si on pouvait lui faire confiance…
Eh bien, je suppose que la même chose est vraie pour nous… Genou Igasaki… Il est temps que nous mettions tout ça au clair. Et nous devons décider comment traiter avec cet homme…
Genou était un homme étrange. Sa petite-fille, Sakuya, avait été envoyée pour l’assassiner, mais pour une raison inconnue, il avait décidé de passer du côté de Ryoma. À présent, ils servaient tous les deux Ryoma aux côtés de Boltz et de Lione.
Mais on ne ferait pas ce genre de choix par caprice. Avec cette pensée à l’esprit, Ryoma jeta un regard significatif dans la direction de Genou.
« Seigneur… Y a-t-il quelque chose que vous voudriez me dire ? »
Tout le monde avait quitté la salle avec la fin de la conférence, mais Genou était revenu dans la salle tout seul. Apparemment, il avait senti le regard de Ryoma.
« Oui… J’aimerais te demander quelque chose. »
Ryoma n’avait pas tenu compte du fait que Genou avait ouvert la porte sans le moindre bruit.
Hmm… Alors il a senti ma présence… ? Peut-être que mes compétences se sont émoussées… Ou pas, ce sont ses capacités qui sont en jeu.
Genou avait vu beaucoup de batailles impitoyables dans sa jeunesse. Il s’était peut-être éloigné quelque peu du travail sur le terrain depuis qu’il a rejoint le Conseil des Anciens, mais ses compétences en matière d’assassinat étaient toujours au sommet de son clan.
Il est vraiment celui que les anciens de la première génération recherchaient…
Le regard de Genou était fixé sur Ryoma.
« Qu’y a-t-il, Genou ? » demanda Ryoma.
Il avait perçu les émotions intenses dans les yeux de Genou. Il montrait alors une expression perplexe vers le vieil homme qui se tenait encore à l’entrée de sa chambre.
« Ah, mes excuses, seigneur… »
Genou baissa la tête avec révérence.
« Alors ? Vous avez besoin de moi pour quelque chose ? »
« Ah, pas vraiment… Juste une petite demande… Sauf que je dois te demander quelque chose avant cette demande, c’est pour ça que je voulais que tu reviennes. »
« Oui, compris, seigneur. Demandez-moi ce que vous voulez. »
Ryoma l’avait rappelé après avoir dissous le groupe, c’était donc apparemment quelque chose qu’il ne voulait pas que Boltz, Lione et les autres entendent.
C’est probablement à propos de moi et Sakuya… Il a peut-être confiance en notre travail, mais il ne peut pas nous faire entièrement confiance.
Genou avait vite compris les doutes de Ryoma. Après tout, ils étaient venus l’assassiner au départ et il les avait utilisés depuis sans les exécuter. C’était bien sûr une preuve de la tolérance de Ryoma, mais en même temps, il était toujours resté un peu réservé avec Genou et Sakuya. C’était la preuve qu’il ne leur faisait pas entièrement confiance.
Mais c’est bien naturel… Après tout, je ne lui ai pas tout dit…
C’était une relation où aucun des deux ne pouvait faire entièrement confiance à l’autre. Cela ne signifiait pas qu’ils étaient nécessairement méfiants, mais plutôt qu’ils adoptaient une approche attentiste l’un envers l’autre. Mais cela pourrait très bien changer selon l’approche de Ryoma.
Est-ce que je lui dis tout maintenant… ? Non… C’est trop tôt. Je ne peux pas confier l’avenir du clan à cet homme de mon propre chef.
Ryoma Mikoshiba était un guerrier de haut niveau, un commandant habile et un tacticien talentueux. C’était aussi un chef tolérant. Mais cela ne suffisait pas pour le rendre digne d’être le maître du clan Igasaki.
L’avenir du clan dépendait de cette décision. Genou était naturellement prudent et méfiant.
« J’ai juste une question, Genou… Pourquoi me suis tu ? »
Il avait apparemment lu les émotions de Genou et était allé droit au but. La question portait sur ce que Genou gardait caché, celui-ci ne pouvait répondre à la demande de Ryoma que par le silence.
« Tu ne peux pas encore me dire… ? », demanda Ryoma.
Genou sentit les yeux de Ryoma sur lui.
Je ne veux pas lui mentir…
Cette émotion serra les lèvres de Genou. Un shinobi pourrait mentir autant que nécessaire, mais cela ne lui ferait pas gagner une réelle confiance. Son seul choix n’était donc ni le déni ni l’affirmation, mais simplement de se taire.
Après un long moment de silence, Ryoma haussa les épaules en signe de résignation.
« Bien. Tu as probablement tes raisons. Je ne te forcerai pas », dit-il.
L’expression de Genou était remplie de surprise.
« Êtes-vous sûr que c’est bien… ? », demanda le vieux.
« Bien sûr que non. Mais je ne pense pas que tu sois en train de faire quelque chose de malveillant… Tu es plutôt secret, mais je pense que je te le redemanderai quand le moment sera venu. »
Ryoma sentait bien que Genou le servait pour une raison quelconque, et non pour une raison malveillante. Si Ryoma avait senti ne serait-ce qu’un soupçon de mauvaise volonté de la part de Genou, il se serait débarrassé de lui et de Sakuya sans aucune pitié même s’ils avaient du sang japonais dans les veines.
C’est très bien. Il me le dira lui-même le moment venu. Pour l’instant, nous devons nous occuper de cette affaire…
Ryoma changea de sujet. Il avait besoin de toutes les personnes compétentes possibles pour l’aider.
« Au fait, Genou. Je veux demander à ton clan de s’occuper d’une tâche. Puis-je faire appel à leurs services ? »
« Pourquoi… Bien sûr que vous le pouvez, seigneur. »
Genou retrouva son calme après les paroles surprenantes de Ryoma. Au même moment, son esprit commença à analyser froidement ce que Ryoma allait demander.
Il fait une demande à mon clan… Est-ce parce qu’il ne veut pas nous éloigner, Sakuya et moi… ? Alors, quel que soit le travail, il n’est pas autour d’Epire… Ce n’est pas possible ! Veut-il que nous assassinions Lupis Rhoadseria ?!
C’était l’option la plus probable en ce moment, étant donné la personnalité de Ryoma. Il ne connaissait pas Ryoma depuis si longtemps, mais Genou avait déjà une bonne compréhension de son caractère.
Il n’oublie jamais une faveur, mais en même temps, il ne lâche jamais ses rancunes.
Si l’on considérait que la reine Lupis l’avait malicieusement forcé à gouverner la terre frontalière de Wortenia, il ne serait pas surprenant que Ryoma ait recours à son assassinat. Et pourtant, Genou avait fini par nier cette conclusion.
Non… Cela ne doit pas être ça… Il ne gagnerait pas grand-chose à faire ça maintenant…
C’était peut-être une option quand ils étaient encore dans la capitale, mais la péninsule était maintenant sous leurs yeux. À ce stade, se donner la peine de tuer la reine Lupis ne servirait pas à grand-chose.
La tuer maintenant ne ferait que plonger le royaume dans le chaos… Choisir de le faire maintenant, alors qu’il n’a pas encore de base d’opérations, serait imprudent… Dans ce cas…
Il faudrait plusieurs années pour faire de la péninsule de Wortenia un véritable territoire. Si le royaume était plongé dans la tourmente, Ryoma perdrait le temps précieux dont il avait besoin pour construire cette région. Ryoma était très conscient de tout ce qui était en rapport avec ses intérêts et ne ferait jamais ce genre de choix.
Mais ce que Ryoma avait dit ensuite était un nom des plus inattendus.
« Je veux que tu tues quelqu’un. Il s’appelle Wallace… Wallace Heinkel, le chef de la guilde de la ville portuaire de Pherzaad. Et aussi sa famille. »
Genou s’était retrouvé à pencher la tête pour lui poser des questions. Il avait naturellement entendu parler de l’homme qui avait dupé son maître actuel. Leur groupe l’avait également mentionné assez souvent. Mais maintenant, les affaires qui l’entouraient étaient terminées.
« Tu as l’air surpris. Ne comprends-tu pas mon raisonnement ? », dit Ryoma.
Genou fit un signe de tête honnête.
« Oui… L’influence de la reine Lupis aurait dû prouver votre innocence… Pourquoi le tuer maintenant ? »
Est-ce juste un simple désir de vengeance… ?
Si c’était le cas, la haute opinion de Genou sur Ryoma diminuerait considérablement. Le désir de se venger d’un homme qui l’avait poussé à la chute était compréhensible, mais ils étaient pressés d’épargner tout ce qu’ils pouvaient pour le moment. Un homme qui dilapidait ses fonds pour un désir personnel de vengeance n’avait pas d’avenir… Et ne méritait pas qu’on lui confie l’avenir du clan.
Mais l’anxiété de Genou était mal placée.
« Il est vrai que grâce à l’influence de Lupis, Lione et moi sommes innocentés. Mais cela signifie seulement que Lupis pourrait nous rendre à nouveau coupables, n’est-ce pas… De plus, Wallace n’a pas été particulièrement puni pour toute cette affaire. Il travaille toujours comme chef de guilde de Pherzaad. »
Genou compris alors, dans une certaine mesure, les inquiétudes de Ryoma.
« Vous pensez que Wallace Heinkel pourrait encore essayer de nous mettre des bâtons dans les roues ? »
« Il nous a déjà dupés une fois. C’est normal qu’on lui en veuille, et il sait que… Dans ce cas, nous sommes une nuisance pour lui. Une menace. Au pire, il pourrait s’associer à Lupis pour nous piéger à nouveau. »
Ces mots avaient poussé Genou à envisager cette option également. La reine du royaume de Rhoadseria et un chef de guilde. Ce serait en effet une force dangereuse s’ils s’alliaient entre eux.
« Vous voulez donc éliminer cette menace avant qu’elle n’ait une chance de germer », conclut Genou.
Ryoma hocha la tête en silence.
« Compris… Je vais demander au clan d’envoyer des gens. »
« Merci… Au début, je voulais demander à toi et à Sakuya de vous en occuper, mais l’endroit est maintenant beaucoup trop éloigné. »
Un aller-retour entre Epire et Pherzaad prendrait un mois et demi. En plus du temps qu’il leur faudrait pour préparer l’assassinat, cela prendrait deux mois complets. Mais comme la prise de possession de la péninsule avait la priorité sur tout le reste, Genou et Sakuya ne pouvaient pas partir aussi longtemps.
« Donc, à propos du salaire… Combien cela va-t-il coûter ? » demanda Ryoma.
Genou Igasaki servait Ryoma personnellement, mais il n’en était pas de même pour le clan Igasaki. Les engager signifiait naturellement qu’il allait les payer pour leur service. Genou, cependant, secoua simplement la tête doucement.
« Non… Cela ne sera pas nécessaire, seigneur. »
Le sourcil droit de Ryoma s’était plissé à ces mots.
« Es-tu sérieux ? Non… Quelles vont donc être tes conditions ? »
Un chef de guilde était une cible sérieuse. C’était la même chose que de demander l’assassinat d’un noble influent. Normalement, cela devait coûter bien plus de cent ou deux cents pièces d’or, mais Genou affirmait qu’il n’y avait pas besoin de paiement.
Je suppose qu’ils ne voulaient peut-être pas d’argent, mais autre chose…
Ryoma savait que croire en des mots tels que « il n’y a pas besoin de paiement » au pied de la lettre ne ferait qu’entraîner une mort rapide sur cette Terre.
« Oui… Nous ne demandons qu’une chose. »
Je m’en doutais…
Il était naturel que Genou évoque ses termes maintenant, mais la question était de savoir ce qu’ils signifieraient pour Ryoma.
Je suppose que je dois d’abord le demander avant de décider si je dois dire oui ou non…
« Bien sûr. Qu’est-ce que c’est ? », dit calmement Ryoma, après quelques secondes de contemplation silencieuse.
Ce jour-là, Genou et Ryoma scellèrent un pacte. Mais la seule personne à part eux à en connaître le contenu était la lune pâle, qui brillait dans le ciel.