Wortenia Senki – Tome 10 – Prologue – Partie 1

***

Prologue

Partie 1

C’était tôt le matin. Une brise fraîche frôlait la peau. Mais dire que c’était le matin n’était peut-être pas tout à fait exact puisque le soleil n’avait pas encore commencé à dépasser l’horizon. La nuit régnera encore pendant une heure. La seule illumination dans la région était la faible lumière des lampes que les gardes du domaine de Liu Daijin tenaient et les étoiles scintillantes.

Pourtant, une ombre se faufilait dans l’obscurité. Une brume blanche sortait de ses lèvres et s’évanouissait dans l’air. Sa respiration lourde n’était cependant pas surprenante, il avait passé une heure à pratiquer la technique de respiration Rituzenn.

La technique était, en soi, assez simple. Banale, même. Il fallait écarter les jambes de la longueur des épaules et baisser la taille. Puis on tendait les bras devant la poitrine pour former un anneau. L’important était de rapprocher les doigts des deux mains pour former un anneau plus petit.

C’était équivalent au fait de s’asseoir sur une chaise invisible. Le maintien de cette posture pendant un certain temps semblait exercer une forte pression sur la partie inférieure des jambes, mais ce n’était qu’un simple effet secondaire. Un exercice similaire était utilisé pour l’entraînement musculaire, mais celui-ci avait un autre but qui n’était pas immédiatement évident.

« Hm. Ça a l’air de bien fonctionner. Je m’y suis habitué », dit Zheng Motoku, satisfait de voir que l’entraînement au Neigong que Liu Daijin lui avait transmis fonctionnait efficacement.

La chair de Zheng était ornée d’un tatouage de neuf dragons, du dos jusqu’au flanc. Un célèbre artisan lui avait fait porter ce tatouage après qu’il eut quitté l’Armée de libération du peuple et commencé à travailler pour la mafia de Hong Kong en tant qu’assassin professionnel. Ce tatouage était inspiré de celui de Shi Jin, l’un des héros d’Au bord de l’eau, qui était censé avoir un tatouage similaire.

Les dragons d’encre ondulaient à chaque respiration tandis qu’il continuait à s’entraîner. D’innombrables perles de sueur scintillaient sur son front, s’égouttant sur le sol en dessous et formant une grande tache visible. Et bien qu’il ait maintenu cette posture pendant des heures, Zheng avait conservé sa respiration. L’endurance nécessaire pour conserver cette posture était tout à fait stupéfiante, mais il était resté parfaitement immobile. Son visage ne trahissait ni déplaisir ni douleur, il souriait simplement.

N’importe quel habitant de ce domaine aurait été surpris par ce sourire. Zheng était, par principe, un homme de peu de mots et de peu d’expression émotionnelle. Il était toujours vêtu d’une queue de pie parfaitement ajustée, ses cheveux étaient coiffés à la perfection. Ses yeux étaient toujours aussi clairs et froids qu’un lac en hiver.

Un homme aussi froid que la glace et aussi ferme que l’acier. C’était l’incarnation humaine de la loyauté envers son maître.

C’était l’impression que la plupart des résidents du domaine avaient de Zheng. Mais ce sourire prouvait qu’il n’était en aucun cas une poupée, ni une sorte de monstre. Pour Zheng, cet entraînement était son seul plaisir dans la vie, la seule chose qu’il pouvait appeler un passe-temps. La pratique des arts martiaux chinois était, pour lui, la seule vocation qu’il avait en dehors de ses fonctions.

Cet entraînement pouvait être divisé en deux catégories : externe et interne. L’entraînement externe se concentrait sur la chair et les muscles. L’entraînement interne se concentrait sur les organes internes, la respiration et la conscience. Zheng, qui transpirait abondamment, pratiquait actuellement une technique d’entraînement interne extrêmement éprouvante et efficace, le Qigong.

Les médias populaires de Rearth dépeignent souvent le Qigong comme un moyen de développer des pouvoirs surnaturels, mais ce n’était pas le cas. C’était la façon dont le corps humain régulait naturellement et inconsciemment la respiration, la conscience et le mouvement des muscles. Tous ces éléments étaient contrôlés en même temps pour générer la force appropriée à un moment donné.

Imaginez une personne soulevant un objet lourd. Elle retiendra momentanément sa respiration, fermera sa bouche et serrera les dents. Si elle ne le faisait pas, son corps ne parviendrait pas à rassembler la force nécessaire pour accomplir la tâche.

Le but du Qigong était d’appliquer cette utilisation naturelle et appropriée du corps aux arts martiaux chinois. En utilisant une méthode de respiration spéciale, on pouvait guider sa conscience vers l’intérieur du corps, ce qui permettait de contrôler et de comprendre la tension qui dirigeait ses mouvements.

Le commun des mortels pourrait appeler cela rassembler l’énergie de son corps, mais c’était loin d’être aussi simple. L’entraînement musculaire demandait beaucoup d’efforts pour être maîtrisé, mais l’entraînement interne en demandait encore plus.

De plus, il fallait un maître compétent pour surveiller attentivement l’entraînement. Cela ne voulait pas dire que l’entraînement autodidacte était une mauvaise idée. Les anciens maîtres, qui avaient développé les arts martiaux, n’avaient pas de professeurs sur qui compter. Avoir un professeur n’était donc pas absolument nécessaire. Mais il y avait toujours un niveau difficile, voire impossible, à atteindre sans l’aide d’un professeur. Les enseignements de ses prédécesseurs étaient une accumulation d’histoire, et chaque vie individuelle était courte. Utiliser le temps limité dont on disposait dans ce monde pour faire des essais et des erreurs était inefficace. Se tenir sur les épaules des géants qui vous avaient précédé était bien plus productif.

Mais dépendre de la sagesse de ses prédécesseurs présentait un problème évident. Pouvait-on vraiment trouver le bon professeur pour les instruire ? Si la formation était comme l’escalade d’une montagne, alors l’enseignant était le guide. Et si un élève croyait que ce guide pouvait le mener au sommet, il pouvait choisir de devenir son apprenti.

Et pourtant, la question était toujours de savoir si ce professeur connaissait vraiment le chemin. Malheureusement, comme c’était souvent le cas, il y avait plus de menteurs et de fraudeurs que de véritables maîtres. Une rencontre avec un vrai maître était rare et précieuse.

Heureusement, Zheng était l’un des rares à avoir cette chance.

Apprendre sous sa tutelle est l’une des rares bénédictions que ce monde m’ait accordé…

Zheng avait souri timidement, même si la sueur qui coulait de son visage brouillait sa vision. Il avait été convoqué dans un monde semblable à l’âge des ténèbres, pour être soumis à une existence infernale, envoyé sur le champ de bataille comme esclave.

Pendant un temps, il avait vécu dans l’abandon de soi. Il s’était noyé dans l’alcool, avait forcé les femmes et avait vécu ses jours à cheval entre la vie et la mort. Mais ce n’était que de l’évasion, une tentative de détourner son regard d’une vie où chaque jour précédait un lendemain incertain.

Mais en y repensant maintenant, sa venue dans ce monde avait apporté un peu de bien dans sa vie. Depuis plusieurs décennies qu’il vivait, il pouvait dire que certains de ses plus beaux jours — le joyau de sa vie, même — furent passés dans ce monde.

Rien ne pouvait être plus impressionnant qu’un véritable maître des arts, à l’exception d’un guerrier vraiment compétent. En effet, lorsque Zheng vivait en Chine, il avait vu quelques artistes martiaux de renom qui se disaient maîtres des arts martiaux. Ils étaient talentueux à leur manière, certes, mais aucun d’entre eux ne lui semblait être quelqu’un qu’il ne pourrait pas abattre. Il avait fait partie des forces spéciales de l’Armée de libération du peuple et avait le sang d’innombrables personnes sur les mains. Pour lui, ces artistes martiaux étaient des mauviettes qui vivaient dans un environnement protégé et sécurisé.

Certes, en termes de maîtrise, ils étaient sans aucun doute ses supérieurs à l’époque. Mais la plupart d’entre eux n’avaient pas appris les arts martiaux dans le but de tuer. L’entraînement à l’autodéfense n’anticipait pas le combat réel. Pour certains d’entre eux, ce n’était qu’un métier pour gagner leur pain quotidien. Seuls les plus doués avaient pu l’apprendre par respect et par adhésion à l’importance culturelle des arts. Mais la plupart d’entre eux reprenaient les slogans qui s’étaient répandus dans le grand public : préserver sa santé, soulager le stress, approfondir ses connaissances, etc. Lorsque Zheng avait quitté la Chine continentale pour Hong Kong, quelqu’un lui avait même demandé s’il avait lui aussi l’intention de devenir une star du kung-fu.

Était-ce là l’essence des arts martiaux ? Zheng en doutait.

Quoi qu’il en soit, Zheng savait qu’il ne fallait pas rejeter ces raisons en bloc. Certaines de ces mêmes personnes pourraient bien avoir atteint une véritable maîtrise. Mais à ses yeux, ils n’avaient appris que les aspects superficiels de l’art sans essayer d’en comprendre l’essence. C’était quelque chose qu’il rejetait fermement. Ainsi, les slogans qui promouvaient les arts martiaux comme un moyen d’atteindre un faux objectif le dérangeaient beaucoup.

Ce sentiment n’était pas entièrement déplacé. Après avoir été appelé dans ce monde, Zheng avait vu les mêmes artistes martiaux connaître des fins horribles. Il avait vu des artistes d’arts martiaux mixtes et des boxeurs de renommée mondiale mourir sans ménagement. Ce n’était pourtant pas des gens faibles. C’était des athlètes dans tous les sens du terme. Mais la force dans le domaine du sport n’était pas ce dont on avait besoin pour survivre dans ce monde. Ce furent ces expériences qui apprirent à Zheng pourquoi le cœur était la première des trois qualités qu’un guerrier devait posséder.

Sauf que, dans ce cas, ce cœur devait être capable de prendre la vie d’un autre sans broncher…

Liu Daijin savait ce que signifiait ce cœur. Il connaissait l’essence des arts martiaux. Et étudier sous ses ordres était la plus grande chance que Zheng ait jamais connue. Toute arme, aussi forte soit-elle, était impuissante, insignifiante, si elle n’était pas utilisée quand les choses se gâtaient.

Très bien…

Convaincu que son entraînement avait porté ses fruits, Zheng prit une profonde inspiration et défit sa posture. Il attrapa une serviette posée sur la rampe du belvédère pour essuyer la sueur de son corps.

Maintenant, il faut pratiquer quelques formes…

Au moment où cette pensée lui traversait l’esprit, Zheng sentit un regard fugace sur lui. Ses mains s’étaient arrêtées. Il avait concentré ses sens sur son environnement sombre, ajustant son corps pour que personne ne remarque qu’il regardait autour de lui. Mais ce regard fugace disparu sans laisser de trace.

L’ai-je imaginé ? Non…

En réalité, il était fort probable que ce soit le fruit de l’imagination de Zheng. Tous ceux qui travaillaient dans le domaine de Liu Daijin savaient qu’il serait ici à cette heure-ci, en train de pratiquer ses arts martiaux. Ils savaient aussi que les artistes martiaux avaient horreur de montrer leurs techniques aux autres. D’ailleurs, on ne pouvait l’approcher pendant son entraînement que dans un cas d’urgence, comme celui d’il y a quelques jours, où l’on soupçonnait une attaque d’un autre groupe. Mais s’il s’agissait d’une urgence, le messager ne prendrait pas la peine d’obscurcir sa présence.

***

Si vous avez trouvé une faute d’orthographe, informez-nous en sélectionnant le texte en question et en appuyant sur Ctrl + Entrée s’il vous plaît. Il est conseillé de se connecter sur un compte avant de le faire.

Un commentaire :

  1. merci pour le chapitre

Laisser un commentaire