Chapitre 37 : Le roi profite de son bain
Le roi salua un messager qui attendait non loin de là, la tête baissée, puis se retourna et s’assit sur le trône temporaire qu’il avait fait installer dans une pièce libre. Pour un hôtel, la pièce était étonnamment luxueuse, mais elle était modeste par rapport aux exigences du roi.
« Oh, désolé. Je suis habillé comme ça parce que je viens de prendre un bain. Vous pouvez vous aussi être moins formel », dit le roi en buvant une gorgée de thé froid. Il ne portait qu’une chemise de nuit et des pantoufles.
« Oui, Votre Majesté ! »
Le messager, qui était en fait actuellement un chambellan, détendit un peu sa posture et sortit les nombreux rapports qu’il avait apportés du palais.
« Chaque bureau a fait son propre rapport, mais presque tous s’inquiètent du travail que le prince Elliott a fait en votre absence. En particulier, la série d’événements que je vous ai rapportés l’autre jour sur la rupture de ses fiançailles avec Mlle Rachel Ferguson… »
« S’ils sont tous plus ou moins les mêmes, résumez-les pour moi », demanda le roi.
« Oui, Sire ! »
Le chambellan ferma le rapport : « Revenez bientôt. Voilà qui résume bien la situation. »
« Je vois. »
Le roi but rapidement le reste de son thé et posa la tasse sur le côté. Il jeta un coup d’œil à tous les rapports étalés sur la table basse. La pile était si grande, le chambellan n’avait pas pu tous les porter.
« Ah, oui. Et bien, voyez-vous, j’aimerais bien retourner à la capitale bientôt, mais il semble que le bas de mon dos ne soit pas de cet avis. »
« Oui, Sire. J’apporte aussi des nouvelles du gardien du château, le Grand Duc Vivaldi. »
« De mon oncle ? »
Le roi ne pouvait évidemment pas demander à quelqu’un de lire une lettre personnelle émanant d’un membre de la famille royale en son nom, il accepta donc l’enveloppe et l’ouvrit. Le contenu de la lettre pouvait se résumer en une ligne :
« Mon cœur ne peut pas en supporter plus. S’il te plaît, reviens vite. »
Remettant la lettre du grand-duc dans l’enveloppe, le roi prit le stylo et le papier à côté de lui et écrivit : « Je ferai ce que je peux. »
« Veuillez remettre ceci à mon oncle. Je suis intéressé par ce qui se passe dans la capitale, mais mes soucis d’épaules ne sont pas encore terminés. Je vous recontacterai quand je serai en mesure de partir. »
« Oui, monsieur ! »
*****
Une fois le messager parti, le roi sortit également de la pièce qu’il avait réservée aux audiences et retourna à l’annexe de l’hôtel qui lui était réservée.
« Bienvenue chez toi, Votre Majesté », lui dit la reine en entrant.
Elle était assise avec le duc et la duchesse sur les canapés de la réception. Ils portaient tous des peignoirs de bain. Le roi quitta sa chemise de nuit pour enfiler lui aussi un peignoir. Il s’installa alors sur un canapé, l’air exaspéré, et prit la grande tasse qu’une des servantes lui proposa.
« Ugh, ils n’arrêtent pas de dire, “Reviens, reviens”. Je leur dis que je suis ici aux sources chaudes parce que j’ai mal aux pieds. Et vous savez que je ne pourrais pas faire le long voyage si j’ai si mal aux pieds. »
Le roi, qui avait sué à grosses gouttes en jouant au polo l’autre jour, descendit sa chope de Pilsner avec un visage en pleine forme.
« Oh, si c’est si grave, tu devrais vraiment réduire ta consommation d’alcool », dit la reine avec un sourire.
Le roi rota, puis, le visage impassible, dit : « Je considère que tout cet alcool agit comme un désinfectant. »
Il jeta un coup d’œil à la table garnie de plats qui avaient été épicés pour le palais d’un roturier, ce qui était plus intensément savoureux que tout ce qui était servi au palais. Il choisit un poulet avec os grillé au soja, le prit à mains nues et s’y plongea. Il le fit descendre avec une eau de Seltz dorée.
« Quand je pense que je n’ai plus le droit d’apprécier ce genre de choses devant les autres, je regrette d’être devenu roi. »
« Il est important de sauver les apparences dans notre métier. Cela rend des moments comme celui-ci, où nous pouvons laisser le formalisme de côté, encore plus amusants. », déclara la reine.
Le roi se lécha les doigts en feuilletant les rapports sur la table d’appoint.
« Honnêtement, comment se fait-il qu’une jeune femme qui est en prison puisse envoyer des rapports bien plus détaillés bien plus fréquemment que le gouvernement et la cour royale ? »
Il avait rapidement parcouru la montagne de rapports que le chambellan avait apportés du palais, au cas où, mais ils ne lui avaient appris que deux choses. La première était qu’Elliott était incroyablement incompétent. Il était tellement occupé à harceler Rachel en prison qu’il négligeait ses fonctions. La seconde, qui était liée à ce manquement au devoir, était qu’Elliott causait constamment des problèmes autour du palais. Ce n’était pas exclusivement Elliott, mais lui et son équipe étaient toujours impliqués d’une manière ou d’une autre. De là, les rapports avaient tous conclu qu’il n’y avait pas de fin en vue et l’avaient supplié de revenir rapidement.
Le roi se renfrogna alors que les visages des personnes qu’il avait laissées en charge en son absence défilaient dans son esprit. Aucun d’entre eux ne peut dire : « Nous avons les choses en main pendant votre absence. Prenez votre temps et profitez-en ? »
« Tu dois admettre que c’est une situation très irrégulière », dit le duc Ferguson avec un sourire légèrement peiné.
Il connaissait bien sa fille et le prince, mais il n’avait jamais envisagé qu’ils puissent provoquer un tel tumulte. Dans le cas de sa fille, c’était dû au fait qu’il n’avait pas voulu imaginer cette possibilité.
« Gérer ce genre de choses avec compétence est le travail des politiciens et des bureaucrates. Si cela continue, d’autres pays remettront en question notre capacité à gouverner », remarqua le roi avec un sourire méchant sur son visage vieillissant.
Il aurait été un peu plus impressionnant qu’il l’était là s’il ne portait pas un peignoir fourni par l’hôtel.
« De plus, il y a quelqu’un ici même qui se débrouille pour gérer la situation. Non ? »
C’était maintenant au tour du Duc de se renfrogner.
« Je ne sais pas si je m’en sors bien, ou si elle se joue de nous. »
Le duc leva les yeux vers la servante qui avait apporté des boissons fraîches.
« Je ne demanderai pas à vos agents fantômes de me remettre directement les rapports, mais pourraient-ils au moins les laisser sur le bureau ? Me réveiller pour les trouver sur mon oreiller ne rend pas service à mon cœur. »
Lisa, la servante personnelle de Rachel, inclina la tête.
« La lettre que je vous ai apportée de la jeune maîtresse hier était la première, Maître. »
« Officiellement, oui. »
Le fait que sa fille prenne trop de plaisir à cela le dérangeait. Et le fait que, malgré le ton professionnel avec lequel ils étaient rédigés, les rapports étaient remplis de choses qui semblaient folles le dérangeait davantage.
Posant son verre, la reine passa le rapport qu’elle regardait au roi.
« Rachel est vraiment la seule à pouvoir être la prochaine reine. Il suffit de regarder ce rapport. Il est si détaillé et concis. Comparez-le aux rapports pathétiques et fragmentaires que les gens du palais nous envoient une fois par semaine. »
Le duc s’était dit qu’ils étaient si détaillés parce qu’elle avait aussi écrit sur ce qu’elle faisait dans les coulisses pour faire trébucher le prince. Les courtisans qui étaient forcés de regarder cette pièce depuis les sièges des invités ne pouvaient pas écrire sur tout cela.
« Mais, après avoir vu cela, nous ne pouvons pas vraiment faire en sorte que Rachel épouse le prince. Ils ne tiendraient pas un an ensemble », dit la duchesse, l’air plus qu’enivrer.
Le rapport qu’elle tenait couvrait l’incident qui avait valu à Sykes d’être expédié à la frontière.
Avec le visage froid d’une souveraine, la reine versa du vin frais dans le verre vide de la duchesse.
« Nous allons abandonner Elliott et faire de Raymond le prince héritier à la place. Les membres de la faction d’Elliott devront être convaincus, mais après cette débâcle, ils ont probablement déjà renoncé. »
Le roi s’était alors empressé d’ajouter : « Je veux dire, Rachel a probablement prévu cela quand elle a causé cet incident. »
Il vida alors une autre tasse, faisant signe à Lisa pour un remplissage.
« Quand elle se venge d’Elliott, elle le fait délibérément d’une manière qui cause des dommages collatéraux et qui le tiendra occupé. Les gens du palais voient tous maintenant sa totale ineptie. Oui, la meilleure façon pour elle d’éviter qu’il se venge est de le faire tomber. »
Le roi et la reine se regardèrent l’un l’autre.
« Je savais que je n’avais pas tort quand je disais que je voulais que Rachel soit reine. Regardez comment elle manipule habilement ceux qui sont plus puissants qu’elle. Elle analyse tout calmement et a la capacité de préparer les choses tout en les gardant secrètes. », se vanta la reine.
« Oui. J’ai été surpris la fois où elle a poussé Elliott dans l’étang et lui a jeté des pierres, mais j’ai été très impressionné par la façon dont elle a calmement expliqué son raisonnement sans une once de culpabilité. À moi, son roi ! Elle était capable et audacieuse, et elle comprenait parfaitement la situation. Je pouvais voir qu’elle était faite pour gouverner, pas pour servir. », acquiesça le roi.
« Et la façon dont elle a mené une opération de cette ampleur depuis la prison… Je n’en attendais pas moins d’elle. »
« Pouvoir réussir à garder ses partisans avec elle alors qu’elle a perdu tout son pouvoir, elle a marqué des points là. »
Plus Rachel embêtait Elliott, plus le couple royal lui faisait confiance. Ils parlaient même en ce moment de remplacer le prince plutôt que la fiancée. Parce que Rachel était allée trop loin, il allait en fait être encore plus difficile pour elle de s’en sortir maintenant. Lisa était amusée par l’ironie.
Lorsque Lisa leur apporta des boissons fraîches, le roi et la reine s’étaient amusés à frapper leurs tasses l’une contre l’autre.
« Prison, yay ! »
Le duc ramassa les rapports éparpillés sur la table et les tendit à Lisa.
« Malgré tout, en tenant compte de tout cela, nous devons mettre fin à cette situation. Nous ne pouvons pas laisser le centre du pouvoir de notre pays vide pour toujours. »
« Oui, tu as raison. Je suppose que ce voyage relaxant aux sources chaudes, qui a duré deux mois entiers, a atteint sa conclusion. », dit le roi, convaincu.
Le roi laissa échapper un grand soupir et s’appuya contre le dossier du canapé. La reine et la duchesse s’étaient regardées.
« La boucle sans fin de manger, se laver et dormir… »
« La délicieuse nourriture roturière que nous ne pouvons obtenir au palais, et les fêtes que nous pouvons apprécier sans apparat… »
« Où nous n’avons pas à sauver les apparences devant la société polie… »
« Et il n’y a pas de subordonnés pour nous gêner ni de rivaux politiques rancuniers pour nous faire perdre notre temps… »
Les quatre s’étaient allongés sur leurs canapés respectifs.
« Ahh, je ne veux pas rentrer à la maison… »
*****
Une servante en manteau noir apparut dans l’obscurité du donjon.
« Jeune maîtresse. »
Rachel, qui jouait avec Haley, leva alors les yeux.
« Hmm ? Ce n’est pas un jour de rapport ? Que s’est-il passé ? »
« Nous avons reçu un message urgent de Lisa aux sources chaudes de Fracker. Sa Majesté et le maître seront bientôt de retour. », dit la servante en inclinant la tête.
« Hmm. »
Rachel s’était assise tout en se caressant le menton.
« C’est le rapport officiel, non ? Quel est le rapport secret ? »
« Lisa nous en expliquera davantage à son retour, mais… Leurs Majestés ont décidé de couper les ponts avec le prince Elliott et de faire du prince Raymond le prince héritier à la place. »
« Oh, mon Dieu ! Qu’est-ce que Son Altesse a pu faire de mal ? », s’exclama Rachel tout en penchant la tête sur le côté.
Cette question ne semblait pas nécessiter de réponse, aussi la servante ignora-t-elle en silence l’ignorance mal feinte de sa maîtresse.
Après avoir réfléchi, Rachel demanda soudainement : « Au fait, le prince Raymond, qui cela peut-il être ? »
« Vous avez le contrôle total de la situation, mais il semblerait que vous manquez des détails clés à cause de votre manque d’intérêt. », répondit la servante.
« Je me souviens qu’il est de trois ans plus jeune que le prince Elliott. »
« Je vais vous apporter un profil sur lui demain. »
« Quoi, il a une sorte de fétichisme dont tu préfères ne pas parler ? »
« Interprétez-le comme vous le souhaitez… »
Rachel s’allongea sur le dos et se retourna dans le lit.
« Ah… Mes vacances sont terminées après seulement trois mois, hein ? »
« Jeune maîtresse. Pour la plupart des gens, s’ils quittent leur travail pendant trois mois, ils doivent s’inquiéter de savoir s’il sera là pour eux quand ils reviendront. »
« Est-ce vraiment le cas ? », dit Rachel en se retournant et en souriant.
La femme de chambre vit où cela allait et décida de l’arrêter au passage.
« Au vu de votre utilité future, jeune maîtresse, je ne pense pas que vous serez renvoyée de votre statut de fille de duc. »
Rachel abaissa sa tête en signe de découragement.
« S’il te plaît, laisse-moi au moins un peu de place pour apprécier mes fantasmes. »
« Nous serions dans une situation difficile si vous nous demandiez de faire en sorte que cela se produise. Il en est donc hors de question. »
merci pour le chapitre