Chapitre 32 : La fille vend des « fleurs »
Table des matières
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Chapitre 32 : La fille vend des « fleurs »
Partie 1
À l’heure où les clients commencèrent à quitter le quartier des affaires, ceux-ci commencèrent à affluer vers un quartier d’affaire d’un autre genre. Ils venaient dans le quartier des plaisirs, enflammés par une luxure débridée qui ne pouvait être satisfaite à la lumière du jour.
La nuit, des voix étouffantes tentaient d’attirer les clients dans leurs établissements, et des hommes ivres qui avaient perdu leur sang-froid en jouant et en se battant trébuchaient en marmonnant. Les passants se moquaient, comme si ce n’était pas leur problème, tandis que les dealers véreux ignoraient le vacarme et continuaient à crier leurs arguments de vente. Pendant la journée, ce n’était qu’une petite rue tranquille, mais maintenant, c’était tellement anarchique que toute personne ayant une once de décence aurait froncé les sourcils.
Au milieu de ce chaos, une petite enfant à la voix pleine d’innocence appela depuis le coin de la rue, malgré l’heure tardive.
« Voulez-vous une fleur ? », demanda-t-elle.
Dans ces rues, qui n’avaient qu’une mauvaise influence sur elle, une petite fille rousse portait un panier sur son coude. Ses nattes se balançaient tandis qu’elle vendait désespérément des fleurs qui semblaient avoir été cueillies dans le parc, mais personne dans ce marché du vice n’était intéressé par ça.
C’était dix ans avant que Rachel ne soit jetée en prison. À seulement six ans, Margaret vendait des fleurs dans le quartier des plaisirs pour aider à joindre les deux bouts.
*****
La mère de Margaret était connue pour être une prostituée de luxe. Elle était belle, même sans maquillage, et avec son sourire calme et éphémère, elle aurait pu passer pour une jeune femme aisée. C’était peut-être dû à son apparence, mais la mère de Margaret s’habillait de façon plus chaste que les autres femmes de son entourage. À côté de toutes les « fleurs » aux couleurs toxiques, son apparence exigeait un prix supérieur à la valeur marchande, mais elle avait quand même un certain nombre de « chéris » qui voulaient la déflorer.
On pourrait penser que cela lui suffirait pour vivre dans le luxe, puisqu’elle était l’un des gros bonnets de la ville, mais, peut-être parce qu’elle était pointilleuse sur sa clientèle, Margaret n’avait jamais eu l’impression qu’elle se portait bien financièrement. C’était pourquoi elle sortait jour après jour pour vendre des fleurs, afin de pouvoir aider sa mère.
La mère de Margaret était belle et intelligente, et elle avait dit à Margaret : « Si tu penses à ton avenir, tu devrais commencer à travailler maintenant. »
Margaret n’avait jamais pensé à autre chose qu’au dîner du lendemain, mais vu que c’était sa mère qui le lui disait, celle-ci devait avoir raison.
*****
« Voulez-vous des fleurs ? »
Les fleurs que Margaret avait cueillies au bord de la route un peu plus tôt étaient, comme on pouvait s’y attendre, peu impressionnantes dans la pénombre de la nuit. De toute évidence, elles ne se vendaient pas.
Allez comprendre. Personne ne paierait pour ces choses, pensait-elle, mais de temps en temps, quelqu’un tombait dans le panneau et lui donnait un peu d’argent par pure bonté d’âme, ou pour une autre raison.
Si deux ou trois personnes me donnaient de l’argent par pitié, cela serait suffisant pour acheter du lait demain.
Alors qu’elle se faisait de tels plans dans sa tête, elle regarda autour d’elle pour voir si quelqu’un pourrait s’arrêter pour elle. À ce moment-là, une ombre tomba sur Margaret.
« Hm ? »
En levant les yeux, elle vit un homme d’âge moyen qui la regardait.
Je l’ai fait ! J’ai un client !
« Voulez-vous une fleur ? »
Margaret tendit quelques fleurs fanées vers l’homme, mais ce dernier n’était pas intéressé par les fleurs. Au lieu de cela, il enroula ses mains tout doucement autour de la main qu’elle lui tendait.
« Monsieur ? »
Elle était perplexe face à son comportement étrange. Elle ne savait pas ce qu’il voulait.
L’homme d’âge moyen caressa la main de Margaret et il s’accroupit pour pouvoir la regarder directement dans les yeux. Voyant de près son adorable expression dubitative, il hocha la tête avec satisfaction.
« Tu es une petite fille si mignonne. Combien coûtes-tu ? »
Un sourire gluant sur le visage, il regarda dans les yeux de Margaret qui inclinait la tête en signe de confusion.
« Huh… ? Oh ! Ohhh ! »
Comprenant enfin ses intentions pédophiles, Margaret esquissa un sourire.
« Tu es ce genre de client, hein ? Ouf, tu m’as fait peur ! Je pensais que j’étais sur le point d’être impliquée dans un “incident”. »
« Hein ? Euh, non, c’est exactement ce que c’est… »
« Il y a eu beaucoup de problèmes d’enlèvement ces derniers temps ! Ne pas payer une fille après l’avoir achetée n’est pas bien ! »
« C’est ça le problème ?! »
Margaret, maintenant complètement détendue, leva ses doigts pour indiquer le prix et les tendit vers lui.
« Eh bien, si c’est ce que tu cherches, voilà ce que ça va te coûter. »
Margaret lui donna un prix qui était plus que suffisant pour acheter trois fois chaque fleur de son panier, mais pas trop pour « jouer » avec une si jolie petite fille. En fait, l’homme était si heureux de l’aubaine qu’il avait volontiers payé ses honoraires d’avance.
Margaret rangea le paiement, fonça dans ses bras et lui prit la main.
« Par ici. Maman a une chambre qu’elle utilise pour ses affaires ! »
« Oh, vraiment ? Comme c’est prévenant. »
Ils sourirent tous les deux en marchant main dans la main à travers cet enfer.
*****
Margaret le conduisit devant un bâtiment se situant dans une ruelle exiguë. La porte était presque en train de tomber, et il y avait tellement de poussière qu’on aurait pu croire qu’il s’agissait d’un entrepôt ou d’une ruine. L’homme ressentit une certaine appréhension à ce sujet, mais Margaret lui lança un sourire innocent.
« Si l’avant est comme ça, ils ne viendront pas nous casser les pieds. La pièce arrière est belle et propre. », dit-elle.
« Ohh. C’est logique. »
Margaret lâcha la main de l’homme et poussa sur la porte métallique rouillée, laissant échapper un petit gémissement mignon. Une fois qu’elle réussit à ouvrir la porte, elle entra avant lui.
« C’est là-dedans. Fais attention où tu marches. C’est sombre. »
« Oh, whoa, whoa, whoa. »
L’homme entra et suivit la voix de Margaret jusqu’à ce qu’il vit une lumière qui brillait faiblement sous une porte au fond. Il chercha la poignée, et en la poussant, il se dit qu’il était étrange que la porte soit fermée si la petite fille était déjà entrée.
Une bouffée d’air effleura sa joue. De l’autre côté de la porte, il y avait… l’extérieur.
« Huh ? »
Contrairement à ses attentes, ce n’était pas une chambre d’amis, et encore moins une quelconque pièce.
« Quoi ?! »
Incapable de comprendre immédiatement ce qui s’était passé, l’homme continua à avancer et trébucha sur quelque chose de gros.
« Whoa ! »
Ce dernier bascula en avant et tomba à travers l’embrasure de la porte, plongeant directement dans la rivière sale bien en dessous.
« Aaaah ! »
Sploooosh !
Il y eut un cri terrible, suivi par l’éclaboussement d’un gros objet heurtant l’eau. Puis il y eut le bruit d’un homme se débattant violemment pendant qu’il se noyait.
La masse sur laquelle l’homme avait trébuché commença à bouger.
« C’est le deuxième homme cette semaine. »
Margaret, qui s’était mise en boule sur le sol, ferma la porte et fuit la ruine en toute hâte. Elle traversa deux ou trois pâtés de maisons, trouva un trou dans lequel elle pouvait se cacher en toute sécurité, et s’y blottit. Elle ouvrit le portefeuille qu’elle avait volé dans la poche de l’homme. Même dans l’obscurité, elle pouvait voir l’éclat terne des pièces.
« Wôw ! Quel butin ! »
Margaret avait rapidement vérifié le contenu de son portefeuille plus tôt, lorsqu’il l’avait payé d’avance, mais maintenant qu’elle l’avait dans ses petites mains, elle trouvait bien plus que ce qu’elle avait deviné. Il contenait plus d’argent que ce qu’elle avait déjà reçu et même trois pièces d’or. C’était la plus grosse somme qu’elle avait gagnée depuis longtemps.
Margaret montra alors un grand sourire.
« Chaque fois que je fais une vente comme ça, toute la fatigue du travail s’en va tout de suite ! ».
Ce travail la mettait davantage à l’épreuve sur le plan émotionnel que sur le plan physique, mais le plus important était le stress.
Margaret compta ce qu’il y avait dans le portefeuille, puis retourna au quartier des plaisirs.
*****
Debout au coin de la rue la plus fréquentée, Margaret interpella un homme à l’air méchant.
« Patron ! »
« Oh ? Margaret ? »
Cet homme, le « patron » des pickpockets et des rabatteurs, était aussi le représentant de tout le quartier des plaisirs. Il était le juge qui décidait de ce qui était acceptable dans cet endroit à cheval entre le légal et l’illégal.
Margaret remit au patron le portefeuille qu’elle avait pris à l’homme.
« À l’instant, j’ai piégé l’un de ces clients qui voulaient autre chose que des fleurs… »
« Oh… Il y en a beaucoup ces derniers temps, hein ? »
Quiconque faisait des affaires dans cette ville, même les petites filles, devait payer son dû au patron, et ce dernier savait que Margaret vendait des fleurs de pacotille et qu’elle trompait les pédophiles afin de leur faire perdre leur portefeuille.
Margaret jeta le contenu du portefeuille sur un plateau, puis remit la plupart des pièces dans le portefeuille une fois que le patron les eut toutes vues. Elle lui donna alors celles qu’elle n’avait pas remises, les trois pièces d’or.
« C’est censé être un partage fifty-fifty, ta part est donc trop petite », dit le patron.
« Je ne peux pas utiliser de pièces d’or », répondit Margaret.
« Oui, je suppose que tu as raison. »
Les pièces d’or étaient si précieuses que la plupart de magasins où les gens ordinaires achetaient leurs produits de première nécessité ne les prenaient pas. Plus tard dans sa vie, Margaret aurait pris la moitié des pièces d’or également, mais elle était encore un peu trop simple pour cela maintenant.
« Si tu peux faire de la monnaie pour moi, je la prendrai », ajouta-t-elle.
« Tu aurais dû le faire avant de venir ici. »
« Je te les donne parce que je ne le peux pas. Eh bien, assure-toi de travailler assez pour me rembourser la différence. »
« Tu ne parles pas comme un enfant… »
Même à cet âge, Margaret était toujours Margaret.
Juste pour être sûre, Margaret donna au patron une description de son client précédent. Quand des types comme ça sortaient enfin de la rivière, soit ils rentraient chez eux en rampant, le moral dans les chaussettes, soit ils venaient la chasser dans un accès de rage.
« Je vais faire attention, mais fais aussi attention à toi pendant un moment, tu entends ? », dit le patron.
« Bien sûr ! »
Margaret et les autres habitants du quartier des plaisirs payaient un tribut au patron pour que les clients qui tombaient dans leurs combines ne puissent pas se venger. Tant qu’elle payait lui son dû, et même si cet homme revenait et essayait de s’en prendre à elle, personne ne la lui livrerait. Les habitants du quartier joueraient les idiots. Évidemment, si elle faisait des affaires sans le payer, il l’aurait livrée au pédophile à la place.
Pour sa propre sécurité, Margaret devrait éviter de travailler pendant un certain temps, mais comme les gains d’aujourd’hui étaient vraiment bons, elle s’en sortirait pour ses dépenses courantes. Elle décida d’aller au marché demain pour acheter du fromage et des saucisses.
En restant vigilante pour s’assurer qu’elle ne soit pas suivie, Margaret fredonnait un air joyeux en traversant le quartier des plaisirs jusqu’à la maison où sa mère l’attendait.
Dix ans plus tard, Margaret était devenue une noble, mais à peine, et l’homme qui était son patron faisait des courses pour sa rivale en amour. Cependant, n’étant pas un dieu omniscient, Margaret n’aurait jamais pu imaginer cela à l’époque.
***
Partie 2
« Je suis rentrée ! », dit Margaret.
Leur humble demeure était une chambre au quatrième étage d’un immeuble d’habitation délabré. Beaucoup d’autres personnes exerçant le métier de sa mère y vivaient également pour des raisons de sécurité et de soutien mutuel.
Et bien que ce soit le milieu de la nuit, Margaret salua joyeusement les résidents en se dirigeant vers le dernier étage. Sa mère lui ouvrit la porte avant même qu’elle ait pu frapper.
« Bienvenue à la maison, Margaret. Comment étaient les ventes aujourd’hui ? », demanda sa mère. Elle portait une robe simple et un châle, et elle accueillit sa fille avec un sourire.
« Incroyable ! », répondit joyeusement Margaret.
Un coup de doigt sur la tête fit voler Margaret. Maintenant sur le sol, cette dernière leva les yeux, les larmes aux yeux, et se frotta le front.
« Maman, ça fait mal… »
« Ce n’est pas bon, Margaret. Que fais-tu quand je te demande comment étaient les ventes ? », dit sa mère à voix basse.
Réalisant son erreur, Margaret baissa également la voix.
« Je dis qu’elles ont été bonnes et je te montre le chiffre avec mes doigts. »
« C’est vrai. On peut faire confiance aux voisins, mais pas entièrement. On peut compter sur eux en cas de cambriolage ou de répression, mais quand il s’agit d’argent, la plupart de ces femmes disparaîtraient dans la nuit si on leur confiait un seul cuivre. »
Margaret soupira.
« C’est dur… », répondit-elle alors qu’un regard triste traversait son élégant visage.
« C’est bien que tu sois si honnête, mais tu l’es à l’excès, et ça m’inquiète… »
« Ne t’inquiète pas, maman ! On me dit que les filles muettes sont mignonnes ! »
« C’est exactement ça. C’est ça qui m’inquiète. »
Margaret donna ses gains à sa mère, et celle-ci lui rendit trois pièces d’argent, ce qui représentait tout de même une somme importante. Si les autres voyaient cette somme, ils penseraient qu’elle avait gagné une bonne somme ce jour-là.
Margaret utiliserait cet argent pour ses dépenses courantes. Sa mère cachait le reste afin que les autres pensionnaires ne puissent pas le voler. Margaret était d’une certaine manière encore pure. Elle ne connaissait pas la règle tacite qui disait que si on laissait une grosse somme d’argent à sa mère, on ne la récupérait pas, même une fois adulte.
Mais alors que Margaret sirotait le jus de prune que sa mère lui avait donné pour fêter sa grosse prise aujourd’hui, elle décida de demander quelque chose qui la tracassait.
« Hé, maman. Les gens disent toujours, “Ta mère est si jolie qu’elle pourrait gagner beaucoup plus d’argent”. Alors, pourquoi ne prends-tu pas beaucoup de clients ? »
Sa mère, qui savourait une liqueur distillée, rougit très légèrement tandis qu’un sourire se dessina sur ses traits délicats.
« Tu veux savoir ? Maman vise une vie meilleure, alors elle ne veut pas se vendre à bas prix. »
« Avoir des clients, c’est se vendre à bas prix ? »
Margaret ne comprenait pas vraiment, alors sa mère essaya de l’expliquer de la manière dont elle pouvait le faire.
« Le travail de maman peut lui faire gagner beaucoup d’argent maintenant, mais seulement tant qu’elle est encore jeune et jolie. »
« Hmm ? »
« Donc, plutôt que de gagner de l’argent seulement maintenant, maman veut un style de vie qu’elle peut garder pour toujours. C’est pourquoi elle travaille dur pour trouver un homme avec un certain statut et des revenus qui l’épousera. »
« J’ai compris ! », s’exclama Margaret.
« Tu comprends ? », demanda sa mère.
« Je comprends un peu… je crois. Mais ça n’a toujours pas de sens, alors peux-tu me donner un autre indice ? »
« Cela signifie que tu ne comprends pas. »
La mère de Margaret voulait tirer parti de sa rare beauté pour devenir l’épouse d’un petit noble. Elle aurait probablement eu un meilleur style de vie si elle avait visé un riche marchand, mais pour un homme comme lui, elle ne serait jamais rien de plus qu’une maîtresse facilement remplaçable. Elle voulait passer du statut de travailleur journalier à celui d’employé à plein temps, pas celui d’un travailleur contractuel temporaire.
Elle ne voulait pas d’un marchand assez riche pour s’amuser ou d’un grand noble qui aurait des problèmes avec ses origines. À la place, elle voulait un petit noble. Si elle était belle et se comportait de manière cultivée, même une roturière comme elle pourrait devenir sa femme légitime.
Évidemment, un noble de nom ne suffirait pas, car elle devrait toujours vivre dans la pauvreté, elle avait donc besoin d’un noble ayant un revenu correct. Elle ne voulait pas non plus d’un tyran qui la traiterait comme une propriété, il devait donc être un homme de caractère aux manières douces. De plus, elle n’avait pas l’intention d’abandonner Margaret, il devait donc être si indulgent qu’il pouvait aussi aimer sa fille. Et comme il n’était pas question d’avoir des domestiques qui méprisaient une ancienne prostituée, il fallait que sa maison soit petite. Elle avait besoin d’un homme qui réponde à toutes ces conditions et qui jurait de la prendre comme épouse légitime, et qu’il soit suffisamment playboy pour venir dans le quartier des plaisirs.
Avec toutes les choses qu’elle voulait, le fait qu’il n’y ait plus de candidats n’était pas surprenant. Elle n’avait pas encore rencontré un homme qui soit à la hauteur de ses exigences. Mais la mère de Margaret n’avait pas l’intention d’abandonner. Elle avait encore une vingtaine d’années. Elle pouvait continuer à chercher pendant encore dix ans.
« Ce genre d’homme ne veut pas d’une femme qui a l’habitude de s’amuser. C’est pourquoi je suis la fille d’un noble déchu, vivant à contrecœur comme une prostituée… », expliqua sa mère.
« Hein ? Mais notre famille n’était-elle pas cultivatrice de pommes de terre ? », demanda innocemment Margaret.
« C’est une histoire, ma chère. C’est pourquoi je suis sélective quant à mes clients. »
« Une histoire. »
Comme sa fille la regardait avec étonnement, elle dit : « Margaret, souviens-toi de ça, d’accord ? Pour attraper un homme, il est important d’avoir une bonne histoire. »
C’était une mère qui mettait des connaissances sans valeur dans la tête de sa fille de six ans.
« C’est important ! », répondit Margaret.
Voilà une fille idiote à l’avenir inquiétant qui absorbait tout ce qu’on lui disait.
La mère de Margaret lui donna alors une tape sur la tête.
« Maman promet qu’elle va te trouver un papa merveilleux, d’accord ? Et tu seras la fille d’un baron. »
« Je vais être une noble ? ! »
Margaret serait un jour la plus basse des nobles, mais pour l’instant, elle était la plus basse sorte de roturière. La seule image qu’elle avait des nobles était qu’ils étaient des gens importants. Et Margaret allait être l’un d’entre eux.
« Si j’attrape un noble, tu pourras aller au palais, tu sais ? Cela fera de toi une jeune femme, et tu pourras attraper un noble supérieur. Non, tu peux même attraper un vrai prince. », ajouta la mère de Margaret.
« Un prince ?! », répondit Margaret avec excitation
« C’est vrai. Il n’y a pas beaucoup de filles aussi mignonnes que toi, Margaret. Ce sera facile. »
« Oooh… D’accord ! Je ferai de mon mieux, maman ! »
« Oui, bien sûr que tu le feras. »
« Pose les bases de ma brillante success-story ! »
« Qui t’a appris cette façon exaspérante de parler ? »
« L’un de ces vieux Chevaliers qui est venu acheter Tatie Meg au deuxième étage le disait. »
« Les chevaliers sont juste les pires. Ils ont des muscles à la place du cerveau. Si je vais chercher quelqu’un, il faut qu’il soit du genre bureaucratique. Bref, Margaret, n’appelle personne dans cet appartement “tante”. Et je ne parle pas que de Meg, d’accord ? Si elles t’entendent, tu ne seras plus là pour voir le lendemain. »
« Est-ce si grave que ça ? »
« C’est vraiment très grave. Elles sont toutes à l’âge où elles sont sensibles à ce genre de choses. »
*****
« Cela fait dix ans… »
Margaret, qui était devenue une belle jeune femme — du moins à son avis — regardait depuis la terrasse du palais la ville basse où elle vivait.
Sa mère avait tenu sa parole et, quatre ans plus tard, elle lui avait trouvé un père qui remplissait toutes ses conditions. Il était si loin dans la hiérarchie aristocratique que les gens le remarquaient à peine, mais comparé au style de vie qu’elles avaient dans les bidonvilles, le style de vie actuel de Margaret aurait semblé à jamais hors de portée.
Maintenant que Margaret était venue à la maison baronniale avec sa mère, elle était une véritable fille de la noblesse. Elle vivait dans une petite maison avec des domestiques et passait ses journées à se rendre au palais et à en revenir en calèche. Quand elle repensait à sa vie en marge de la société, travaillant dans le quartier des plaisirs et s’inquiétant des voleurs et des kidnappeurs, c’était pratiquement le paradis. Cependant…
« Heh, heh, heh. Je suis presque arrivée à destination. Encore un petit effort et j’aurai entièrement volé le prince Elliott à cette horrible Rachel. Je serai celle qui s’assiéra dans le siège de la princesse héritière ! »
Margaret n’avait pas l’intention de s’arrêter là. Sa mère avait fait d’elle la fille d’un baron, comme elle l’avait promis.
« Tout s’est passé comme maman l’avait dit. Maintenant que je suis une noble, je vais me trouver un vrai prince ! »
Margaret n’avait toujours pas oublié la promesse qu’elle avait faite ce jour-là, et maintenant elle était à un pas de la réalisation de son rêve.
Regardant la ville, les bras croisés et l’expression de son esprit indomptable, Margaret se mit à glousser. Le rire monta progressivement de sa gorge jusqu’à ce qu’il s’échappe de ses lèvres. Elle finit par rire à gorge déployée sous le ciel ouvert.
« Heh heh heh… Hee hee, ha ha ha… Ah ha ha ha ! Je peux faire tout ce que je veux ! Regarde juste, Rachel ! Je vais voler loin de toi le Prince Elliott et tout ce qui allait être à toi ! Ah ha ha ha ! Haaah ! Ha ha ha — Haagh ! Haaack ! Hack ! Gugh ! »
À un moment, Margaret avait ri si fortement qu’elle commença à tousser. Puis elle s’accroupit, en crachant et en vomissant.
*****
Au même moment, deux gardes discutaient sur la terrasse.
« J’ai cru entendre des cris étranges. Ah oui, c’est encore elle. »
« Que voit le prince en elle ? »
« Il ne voit que ce qu’il veut voir. À travers ça, je comprends mieux pourquoi on dit que l’amour rend aveugle ? »
« Elle ne peut pas faire ce genre de choses à la maison plutôt ? Dès qu’il y a un bruit bizarre, on doit aller enquêter. J’aimerais qu’elle se mette à notre place. »