Prologue
Devant ses yeux se trouvait la mer du milieu de l’été.
Le sanctuaire des démons de la ville d’Itogami était une île artificielle. L’été ne s’était jamais terminé dans cette ville construite au milieu de l’océan Pacifique. Des cumulonimbus blancs flottaient dans un ciel bleu outremer, les rayons du soleil brillaient à la surface d’une mer calme et miroitante.
C’était une adolescence japonaise, grande et agile, avec ses cheveux sous la forme d’une longue queue de cheval. Sa peau était pâle, ses cheveux étaient d’un brun clair. Sa beauté possédait une élégance glamour, mais d’une certaine façon, son regard était mélancolique. Elle serrait ses lèvres, laissant échapper de temps en temps un soupir fatigué.
***
Un avion en train d’atterrir était passé dans le coin de sa vision.
Ils étaient dans une suite exécutive à l’aéroport.
Il s’agissait d’une salle dite VIP, réservée exclusivement aux invités de l’État et aux hauts fonctionnaires du gouvernement. Le sol était recouvert d’un tapis rectangulaire à poil long et une énorme télévision était encastrée dans un mur de bois au grain magnifique.
Deux invités étrangers le regardaient en bavardant agréablement.
Le premier était un bel homme blond aux yeux bleus. Il s’appelait Dimitrie Vattler, duc d’Ardeal.
D’apparence, il ne semblait pas plus vieux que vingt-cinq ans, mais il était en fait un noble de l’empire du seigneur de guerre en Europe. En d’autres termes, il était un vampire de sang pur, un descendant direct du Premier Primogéniteur, le seigneur de guerre perdu.
Assise en face de l’aristocrate à l’air jeune, il y avait une jeune femme.
Ses cheveux argentés évoquaient une plaine enneigée, ses yeux bleus brillaient comme un glacier pâle. C’était une fille si charmante qu’on l’appelait la seconde venue de Freya. C’était la princesse héritière de la famille royale d’Aldegian, La Folia Rihavein.
« Dans cette scène, elle est devenue complètement sans défense devant l’ennemi, malgré la situation de combat. J’applaudis les mérites tactiques du changement d’équipement, mais il y a des difficultés pratiques. » La Princesse La Folia avait exprimé calmement son opinion en regardant ce qui était sur l’écran de télévision.
Elle faisait partie de la famille royale d’une nation avec une longue histoire de technologie de sorcellerie avancée. De plus, c’était une prêtresse de haut rang capable d’employer des sorts d’invocation d’esprit. Elle n’avait pas montré une seule once de peur à converser avec le noble vampire assis si près d’elle.
Pour sa part, Vattler avait un regard d’une gravité inhabituelle lorsqu’il regardait l’écran. « Je m’interroge là-dessus. Dans ce cas, la transformation ne devrait peut-être pas être considérée comme un simple changement d’équipement, mais aussi comme une modification de ses propriétés physiques ? Dans ce cas, la capacité défensive est maintenue même si le changement n’est pas entièrement réalisé. »
« Vous dites donc que les vêtements des filles ne disparaissent pas, mais plutôt qu’ils sont réarrangés au niveau atomique et qu’ils entrent dans une forme énergétisée ? » La princesse hocha la tête comme si elle était captivée. Les filles qu’elle regardait à l’écran se transformaient juste sous leurs formes de combat pour se battre contre un monstre géant.
« Bien que cela signifie qu’elles utilisent leur pouvoir rituel à un rythme beaucoup plus élevé, » dit Vattler avec une note de sarcasme.
La Folia sourit en secouant la tête. « En s’alignant avec un élément, il est possible de supprimer sa consommation de pouvoir ritualistique. Mais lorsqu’on considère la précision requise pour la transmutation physique, il doit être difficile pour l’individu de rester dans un état transformé. »
« Ahh ! C’est pourquoi cela exige l’utilisation d’articles supplémentaires…, » déclara Vattler.
***
Sayaka Kirasaka grimaça en regardant leurs visages sérieux pendant qu’ils débattaient. Pourquoi dois-je être ici ? se demanda-t-elle avec une expression angoissée.
Sayaka était une mage d’attaque — plus précisément, une danseuse de guerre chamanique — de l’Organisation du Roi Lion. Elle était experte en malédictions et assassinats.
En raison de leur domaine d’expertise, Sayaka et ses cohortes avaient souvent été affectées à la protection de VIP qui risquaient fort d’être la cible de malédictions et de tentatives d’assassinat. La logique était simple : utiliser un assassin pour tuer un assassin.
La mission actuelle de Sayaka était d’escorter et de protéger La Folia Rihavein.
La Folia Rihavein était une belle princesse dont le nom était connu dans le monde entier. Même si elle n’était pas en mission officielle, elle avait été très importante pour le gouvernement japonais pendant son séjour. Cela avait doublé lorsque Dimitrie Vattler, un vampire de la vieille garde, s’était assis avec elle, ce qui avait mis une lourde responsabilité sur la personne qui la protégeait. Sayaka, la fière utilisatrice de Der Freischötz, l’une des armes divines les mieux classées de l’Organisation du Roi Lion, était, en fait, un choix évident.
Néanmoins, l’expression de Sayaka était morose.
La Folia et Vattler regardaient, en toute sincérité, une émission de « magic girl » destinée aux enfants sur une chaîne de télévision entièrement consacrée aux animes. Ils avaient une discussion tactique très sérieuse pendant qu’ils regardaient des filles en mini-jupe qui voltigeaient et se battaient contre des malfaiteurs. C’était bien que les choses soient si paisibles, mais elle se sentait profondément ridicule de les surveiller au fur et à mesure qu’ils le faisaient, ce qui rendait progressivement l’humeur de Sayaka de plus en plus triste.
Soit dit en passant, les chevaliers qui escortaient la princesse debout dans un coin de la suite exécutive et les jeunes subordonnés vampires de Vattler dans un autre coin regardaient tous le spectacle avec une attention particulière.
Certains d’entre eux serraient les poings en applaudissant les héroïnes, d’autres étaient émus jusqu’aux larmes. C’était un peu troublant de voir à quel point l’effet que cela avait sur un groupe d’enfants pouvait sembler vulgaire, ce qui ne faisait qu’ajouter à l’angoisse de Sayaka.
Après avoir attendu que le thème final se termine, Vattler avait soudainement changé de sujet. « Au fait, princesse, j’ai entendu une rumeur étrange ces derniers temps. » Il avait parlé sur un ton d’indifférence désinvolte, mais à cet instant, l’atmosphère dans la suite s’était tendue. « C’est à propos du fait qu’une unité de chevaliers d’Aldegian a été envoyée sur l’île d’Itogami en secret. »
« Oh mon Dieu, » murmura la princesse en inclinant la tête avec un regard souriant sur son visage. « C’est une rumeur si étrange, n’est-ce pas ? Ma tante est ici sur cette île. Même si elle a perdu son droit de succession, elle est toujours membre de la maison royale d’Aldegian. C’est certainement le moins que nous puissions faire. »
« Et donc, ils viennent sur une île éloignée comme celle-ci pour protéger une élève du collège ? Les Chevaliers de l’élite de la seconde venue ont la vie dure, » déclara Vattler.
Les mots moqueurs du jeune aristocrate n’avaient pas fait vaciller le sourire de La Folia. « C’est une tante plutôt exigeante. »
Les chevaliers qui escortaient la princesse retenaient leur souffle pendant qu’ils regardaient silencieusement les deux individus s’engager dans une conversation.
Même si cela ressemblait à une discussion informelle et pacifique, ce qui se passait entre Vattler et la princesse était en fait une négociation d’arrière-boutique à enjeux élevés entre des puissances étrangères.
Une fille nommée Kanon Kanase, fille du précédent roi d’Aldegia, aujourd’hui à la retraite, vivait sur l’île d’Itogami. Citant cela, La Folia avait envoyé des chevaliers d’Aldegian à l’île d’Itogami sans avis public. C’était des chevaliers du royaume protégeant la famille royale : il n’y avait rien d’anormal à cela.
Cependant, le vampire le plus puissant du monde, qui fréquentait la même école que Kanon, était une tout autre histoire.
En d’autres termes, au nom de la protection de Kanon Kanase, la famille royale d’Aldegian pouvait surveiller Kojou Akatsuki, le quatrième Primogéniteur, sans réel fardeau. Comme Vattler séjournait sur l’île d’Itogami dans le même but, cela ne l’avait certainement pas amusé. C’est pour ça qu’il disait, d’une façon détournée, Ne vous mêlez pas de mes affaires. Malgré cela, La Folia plissa ses yeux en regardant calmement Vattler en réponse.
« Maintenant que vous en parlez, j’ai entendu dire qu’il y a des individus plutôt violents de l’Empire du seigneur de guerre qui viennent ici aussi. Le comte Wortizlawa et le seigneur Zagan, deux militants bien connus du Dominion, non ? » répondit Vattler avec un regard innocent sur son visage. « Ce sont de simples touristes. Après tout, il y a bientôt un grand festival sur l’île d’Itogami. »
La princesse plissa les sourcils, en l’entendant apparemment pour la première fois.
« Un festival ? » demanda La Folia.
Sayaka s’était mordu la lèvre en voyant les yeux de La Folia scintiller. C’est mauvais, pensa-t-elle. Elle vit soudain une expression grave apparaître sur le visage du chevalier commandant l’escorte de la princesse, elle aussi.
Sayaka s’était rapidement imposée dans la conversation avec Vattler, chuchotant à l’oreille de La Folia. « Il est temps, princesse. Nous devons nous préparer pour votre vol... » Voir Sayaka agir si vite semblait apporter encore plus de plaisir à la princesse.
La Folia devait rentrer dans son pays d’origine, Aldegia, à bord d’un vol charter organisé par le gouvernement japonais. Si elle avait été envoyée avec succès, la mission de Sayaka se serait terminée sans incident. Elle ne pouvait pas supporter que des plans soigneusement élaborés tournent mal à cause d’une information négligemment rejetée.
La Princesse La Folia avait beaucoup de vertus : elle était sage et possédait une grande connaissance, et elle était rusée, mais aussi audacieuse. Cependant, le revers de la médaille, c’était qu’elle était intensément motivée à nourrir sa vorace curiosité.
Lui faire savoir qu’il y avait un festival qui se préparait menaçait de lui faire dire, je vais retarder mon retour d’un jour et profiter de la vue. Il fallait à tout prix éviter cela. « Alors, princesse. Je vous souhaite un bon voyage. Mes amitiés à votre père. »
Heureusement, Vattler ne semblait pas avoir l’intention d’empêcher La Folia de partir. Officiellement, il était là pour voir la princesse partant, mais son véritable objectif était de contrecarrer les Aldégiens.
Si La Folia rentrait poliment dans son pays d’origine, cela leur épargnerait à tous les deux beaucoup d’ennuis.
Comme si elle poussait la princesse hésitante à bouger, Sayaka avait regardé la sortie de la suite. Elle pouvait voir que l’avion affrété était à l’aéroport, en attente et prêt à décoller. Tout ce qu’elle avait à faire, c’était de transporter la princesse à bord.
« C’est quoi ce festival, Sayaka ? » La Folia marchait élégamment le long d’un couloir exclusif en posant la question.
« Le Festival de la Veillée Funèbre. C’est un festival qu’ils organisent dans la Ville d’Itogami à cette époque chaque année. Il y a un certain nombre d’événements partout sur l’île et… p-par événements, je veux dire des chars, des stands et d’autres divertissements pour les masses, pas quelque chose dont une princesse devrait se soucier ! » déclara Sayaka.
« Mon Dieu…, » entendant l’explication de Sayaka, les yeux de La Folia brillèrent comme ceux d’une petite fille.
« Geh, » dit le chevalier commandant, le visage tremblant. « Vous ne devez pas, Votre Altesse ! Il y a quelques jours à peine, quelqu’un en avait après votre vie. Son Altesse Royale est prête à votre retour au pays. Si vous retardez encore votre retour… ! »
« Ah, il semble que les étudiants tiennent aussi des expositions et des stands de rafraîchissements, » déclara La Folia.
Ignorant les avertissements de son subalterne, la princesse avait commencé à consulter le site Web sur des événements publics sur un téléphone intelligent qu’elle avait sorti de quelque part.
Le chevalier commandant s’agrippa à sa tête et leva le visage vers le ciel. « Votre Altesse ! »
« Princesse, euh, notre Premier ministre a spécialement arrangé cet avion pour que, euh…, » déclara le commandant.
« Vous n’avez pas besoin de le dire. Je suis bien consciente que je ne peux pas causer des difficultés à votre nation pour le simple plaisir d’assister à un festival par intérêt personnel. » La Folia ouvrit légèrement les lèvres et se plaça dans une apparente consternation. Sayaka continua à la guider par la main alors qu’elles passaient par une porte menant à la porte d’embarquement. À cet instant, elles furent toutes les deux frappées par des vertiges légers et momentanés. Le paysage scintillait comme un mirage avant d’émerger sous un soleil éblouissant.
« … Cependant, si nous ne pouvons pas atteindre l’avion, on ne peut pas faire autrement, n’est-ce pas ? » La princesse adopta un ton de voix espiègle, trouvant clairement la circonstance présente amusante.
« Comment ça, vous ne pouvez pas atteindre le… euh… hein !? » s’écria Sayaka.
Sayaka regarda autour de lui avec horreur. Il n’y avait aucun doute qu’ils étaient à l’aéroport jusqu’à quelques instants auparavant. Cependant, ce qui s’étendait maintenant sous leurs yeux, c’était la vaste mer et une structure de sous-construction flottant sur elle.
Malgré les nombreux signes de nouvelles destructions, Sayaka n’avait que trop bien reconnu le spectacle.
l’Île d’Itogami, sous-flotteur No. 13 —
Dans le passé, c’était l’endroit où Sayaka, avec Kojou Akatsuki à ses côtés, s’était livré à un duel mortel contre des terroristes. Il n’y avait pas eu de confusion avec quoi que ce soit d’autre.
Cependant, il s’agissait essentiellement du côté opposé de l’île vis-à-vis de l’aéroport central de l’île d’Itogami. Il y avait presque dix kilomètres à vol d’oiseau entre les deux points. Ce n’était tout simplement pas le genre de distance que l’on pouvait parcourir en un instant.
Et pourtant, le fait est que Sayaka et la princesse, et seulement elles avaient été envoyées sur la pointe du sous-flotteur.
Il n’y avait aucun signe des chevaliers qui les avaient accompagnés, ni l’avion que la princesse devait embarquer, ni l’aéroport et ses bâtiments visibles nulle part. Elles avaient été emmenées à cet endroit dès qu’elles avaient franchi la porte intérieure de l’aéroport. C’était comme si elles étaient entrées dans une déchirure dans l’espace.
Bien sûr, ce n’était pas un simple phénomène naturel. Le risque que ce soit une attaque magique par quelqu’un était assez élevé. Mais Sayaka n’avait pas senti d’attaque. Les médiums de son niveau et de celui de La Folia auraient dû ressentir une prémonition d’un sort d’une telle ampleur avant qu’il ne se déclenche… mais elles ne l’avaient pas fait.
« Voilà vraiment le sanctuaire des démons. Nous ne nous ennuierons certainement pas avant un certain temps, » déclara La Folia lorsqu’un sourire innocent et charmant était apparu sur son visage. Elle avait fait sortir son pistolet à sorts bien-aimé alors qu’elle inspectait toute la région, mais il ne semblait pas que cette anomalie visait spécifiquement la princesse. Malgré cela, il ne fait aucun doute qu’elle avait trouvé la situation très amusante.
Sayaka se sentait très mal à l’aise quand elle regardait le ciel.
Le ciel tranquille, bleu et éternel de l’été ressemblait au calme qui régnait avant la tempête.
C’était la dernière semaine d’octobre.
Les gens du sanctuaire des démons de la ville d’Itogami, tous excités à l’approche du début du festival, n’avaient encore rien remarqué.