Strike the Blood – Tome 12 – Chapitre 5

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Chapitre 5 : Retour aux confins

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Chapitre 5 : Retour aux confins

Partie 1

Un grand battement d’ailes baigné d’énergie magique fit alors décoller l’énorme dragon.

Kojou, ballotté par les secousses incessantes et les vents violents, s’accrocha au cou du dragon pour ne pas être éjecté.

« Glenda, calme-toi ! Où penses-tu aller ?! » Kojou criait désespérément, mais sa voix n’atteignait pas les oreilles de Glenda qui s’agitait.

Prisonnière de la peur, la dragonne n’avait aucune destination en tête dans ses efforts aveugles pour s’éloigner du chevalier d’acier.

« Wôw ! »

Le corps de Glenda oscilla violemment, ballotté par les courants d’air. L’embardée déséquilibra fortement Kojou qui glissa vers le bas. Instinctivement, il tendit la main droite pour s’agripper au dos du dragon, mais il fut choqué par l’absence de sensation. Engourdie par la blessure causée par Paper Noise qui l’avait empalée, cette main refusait de bouger.

Ce n’est pas bon. Kojou gémit intérieurement alors qu’il était frappé par une sensation de flottement inconstante. Je vais tomber !

Au moment où Kojou se résigna, quelqu’un lui attrapa le bras droit.

« Senpai ! »

La main droite de Yukina tenait sa lance d’argent, ne lui laissant que la gauche pour soutenir le poids de Kojou. Ayant utilisé l’énergie rituelle pour augmenter inconsidérément sa force musculaire, elle commença à soulever Kojou.

« Himeragi ! Désolé, tu m’as sauvé la mise ! »

À la manière d’une grenouille, Kojou se glissa à quatre pattes le long du dragon et atteignit son épaule une fois de plus. Sans pouvoir utiliser l’une ou l’autre de leurs mains, Yukina réussit à le mettre en position stable juste à côté d’elle.

« S’il te plaît, accroche-toi bien ! »

« D-D’accord. — Mais, euh — ! »

La sensation inconnue qui se pressait contre sa joue fit tressaillir Kojou.

« Qu’est-ce qu’il y a ? »

« Euh, c’est juste que tes seins poussent contre mon visage, Himeragi… »

— Nous pourrions peut-être changer un peu de position, s’apprêtait à dire Kojou, lorsqu’il reçut un coup de coude en pleine figure.

« Idiote, je vais tomber ! »

« — C’est parce que tu as dit quelque chose d’indécent, Senpai ! »

Alors que Kojou était sur le point de tomber une nouvelle fois, Yukina lui tendit la main à contrecœur.

Kojou gonfla les joues et secoua la tête mollement en disant :

« C’est vrai… Et la fille Yuiri ? »

Je n’ai pas encore entendu son nom de famille, pensa-t-il en cherchant l’autre chamane-épéiste qui aurait dû se trouver à proximité.

Lorsqu’il passa la tête par-dessus l’épaule large de Glenda, maintenant sous forme de dragon, il aperçut Yuiri entre les griffes avant de la créature. Les courants d’air faisaient remonter la jupe de son uniforme, dévoilant de façon spectaculaire ses cuisses gainées de collants.

Malgré cela, Yuiri n’avait pas pu cacher la vue derrière une main et suppliait Kojou, les yeux pleins de larmes : « Ne regardez pas ! »

« … On dirait que tout va bien. »

Voyant qu’elle était en sécurité, Kojou reprit sa position initiale. Yuiri n’avait pas la vie facile, mais elle ne semblait pas en danger immédiat.

Cependant, alors qu’il exprimait son soulagement, Kojou sentit le corps de Yukina se raidir juste derrière lui.

« Pas encore, Senpai ! »

« Hein… ? »

Avant que Kojou n’ait pu comprendre la situation, le dragon fut secoué par un énorme impact.

Le corps de Glenda se tordit et elle poussa un rugissement d’angoisse alors qu’elle endurait la douleur.

Une sphère noire fonça sur elle.

C’est une attaque à distance ! réalisa Kojou. Quelqu’un qui les poursuivait par-derrière avait lancé une attaque sur Glenda.

« La wyverne de tout à l’heure… ! »

Lorsqu’il se retourna, Kojou vit la wyverne noire de jais dans sa ligne de mire. L’homme en armure était monté sur son dos. La femme, utilisatrice de magie, chevauchait l’autre wyverne, un peu plus loin derrière lui.

Le chevalier posa sa lance. Kojou remarqua que la forme de l’arme avait changé : à cet instant, elle ressemblait davantage à un énorme fusil qu’à une lance. Elle pouvait changer en fonction des caractéristiques des machines avec lesquelles elle entrait en contact.

La lance tirait des sphères noires en guise de balles.

Glenda ne pouvait pas échapper aux attaques, Kojou et les autres sur elle. La fille dragonne hurlait en encaissant les tirs sur tout son corps.

« Miss Glenda !? »

Yukina s’adressa à Glenda avec une réelle inquiétude. Cela avait peut-être eu un effet positif, car la panique de Glenda se calma et Kojou et Yukina évitèrent ainsi d’être éjectés de son dos. Mais si les attaques persistaient, l’endurance de Glenda finirait par faiblir.

« Désolé, Himeragi, stabilise-moi pendant un certain temps, d’accord ? »

Pendant ce temps, Kojou se leva sur le dos du dragon et se tourna vers l’arrière.

Les joues de Yukina se raidirent lorsqu’elle comprit ce que Kojou avait en tête.

« Senpai, tu ne dois pas. Si tu utilises un Vassal Bestial, ta blessure — ! »

« — Ce n’est pas le moment de se retenir. Viens à moi, Al-Nasl Minium ! »

Kojou endura la douleur provoquée par le choc en retour et invoqua un Vassal Bestial. L’air se déforma lorsque le bicorne incandescent émergea, hurlant et libérant une onde de choc sur la wyverne volante, semblable à un boulet de canon.

Cependant, Azama, l’homme en armure de plates de chevalier, avait anticipé la contre-attaque de Kojou. Sans se laisser décourager, il déploya une gigantesque membrane défensive en étendant son manteau noir.

L’attaque du bicorne écarlate était en réalité une masse d’énergie démoniaque sous forme d’onde de choc. C’est ce qui lui conférait une puissance destructrice considérable, mais dans ce cas, cette énergie était une faille fatale. La barrière défensive du chevalier annulait les attaques directes d’énergie démoniaque.

« Je me doutais bien que les attaques du Vassal Bestial ne fonctionneraient pas… Alors, pourquoi ne pas essayer ça ? »

Un sourire défiant se dessina sur le visage de Kojou alors qu’il fit prendre de l’altitude au bicorne écarlate.

Même si le Vassal Bestial avait réussi à le frapper directement, il ne parviendrait pas à vaincre cette wyverne. D’un autre côté, l’aura noire qui les enveloppait n’avait pas suffi à repousser la roquette antichar lancée par l’une des filles de l’Oceanus. Si l’attaque ne reposait pas sur l’énergie démoniaque, il était possible de leur infliger des dégâts.

Kojou fit plonger le Vassal Bestial en piqué, visant les deux wyvernes qui dansaient dans les airs en contrebas. Simultanément, il libéra complètement le Vassal Bestial de ses entraves, libérant toute l’énergie démoniaque concentrée en lui.

Incapable de conserver sa forme physique, le bicorne se transforma en une masse colossale de vibrations et de vents violents. Il devint une tempête furieuse composée d’innombrables tornades qui agitaient l’atmosphère autour de lui.

Le changement brutal de la pression atmosphérique fit grincer les tympans de Kojou.

Les arbres qui recouvraient le sol furent arrachés avec leurs racines et se mirent à danser dans les airs, emportant avec eux une grande quantité de terre.

C’était une véritable catastrophe naturelle, voire une calamité.

La destruction massive s’apparentait à une vague de bombardements. La ligne de crête d’une montagne fut rasée et un éboulement se produit sur sa surface rocailleuse tandis que le terrain autour d’eux se transformait sous leurs yeux.

Des vents violents s’abattaient sur une superficie équivalente à celle d’une grande ville. Si cette zone n’était pas inhabitée, au cœur des montagnes, les victimes se compteraient certainement par dizaines de milliers.

« Qu’as-tu… ? »

Le visage de Yukina pâlit en regardant le Vassal Bestial se déchaîner. Cela faisait longtemps que Kojou n’avait pas vu la véritable puissance d’un Vassal Bestial du Quatrième Primogéniteur de ses propres yeux; il était lui aussi à court de mots.

S’il avait déchaîné une telle puissance dans le ciel au-dessus de l’île d’Itogami, celle-ci aurait probablement été anéantie sans laisser de trace. Heureusement que je ne suis pas assez stupide pour essayer, se dit-il, soulagé au plus profond de lui-même.

Les wyvernes n’auraient jamais pu voler au milieu de vents et de courants d’air aussi violents. Même si elles pouvaient annuler les coups directs de l’énergie démoniaque, cela ne servirait à rien contre une atmosphère agitée.

Voyant qu’Azama et les autres avaient abandonné la poursuite, Kojou libéra l’invocation de son Vassal Bestial. Cependant, une fois levées, les tornades ne pouvaient plus être affectées par sa volonté.

Pendant un moment, Kojou regarda avec stupéfaction les montagnes se creuser et les glissements de terrain se produire les uns après les autres. Le regard sévère de Yukina qui lui transperçait le visage l’énerva. Et puis…

« Glenda… ? »

Le corps du dragon, vraisemblablement hors de portée des vents violents, se mit soudainement à osciller.

Peut-être était-ce dû à ses blessures. Peut-être ses forces l’avaient-elles simplement abandonnée. Quoi qu’il en soit, Glenda avait perdu connaissance. Les battements d’ailes du dragon avaient perdu de leur force et ne pouvaient plus soutenir son énorme corps.

Glenda tombait vers la terre, entraînant Kojou et les autres dans sa chute.

« Kyaaaaaaaaaaa ! »

Le cri de résignation de Yuiri résonna dans le ciel gris et hivernal pendant un long moment.

***

Partie 2

C’était un peu avant l’été qu’elle avait entendu les rumeurs sur le Quatrième Primogéniteur.

On disait de lui qu’il était immoral et immuable, sans aucun lien de parenté, sans aucune aspiration à régner, et qu’il était servi par douze Vassaux Bestiaux, la calamité incarnée : un vampire cruel et sans cœur qui buvait du sang humain, massacrait et détruisait, existant au-delà de toutes les doctrines du monde.

Si un tel monstre apparaissait dans une nation, un membre de l’Organisation du Roi Lion ne serait-il pas dépêché pour le tuer ? Ainsi, à la Forêt du Grand Dieu, un centre d’entraînement de l’Organisation du Roi Lion déguisé en célèbre école primaire et secondaire pour filles, une telle information s’était répandue en un clin d’œil, plongeant les élèves dans la terreur.

Il s’agissait toutefois d’une rumeur irresponsable et sans fondement. Avec la même rapidité, le sujet s’était éteint et avait été relégué aux oubliettes.

C’est à cette époque que Yuiri Haba apprit l’existence du Quatrième Primogéniteur par une source des plus inattendues : Koyomi Shizuka, l’un des Trois Saints de l’Organisation du Roi Lion.

Elle apprit de lui que le Quatrième Primogéniteur était en fait un lycéen vivant sur l’île d’Itogami. De plus, comme Yuiri avait le même âge qu’elle, elle avait été désignée comme candidate pour devenir la Chamane Épéiste chargée de le surveiller.

Cette nouvelle l’avait surprise et effrayée.

D’un côté, elle éprouvait un léger sentiment d’espoir.

Si elle était envoyée pour surveiller le Quatrième Primogéniteur, un garçon, elle pourrait développer une relation romantique avec lui — tel était son espoir sucré. Parmi ses camarades de dortoir, seule Shio Hikawa savait que Yuiri était une lectrice assidue de mangas à l’eau de rose destinés aux adolescentes.

Mais ce n’est pas Yuiri qui avait été choisie pour surveiller le quatrième Primogéniteur.

Les raisons en sont extrêmement simples. La première était que Yuiri ne savait pas manier le Schneewaltzer.

La Lance d’assaut purificatrice de démons de type 7, arme secrète de l’Organisation du Roi Lion, ne pouvait pas être adaptée à son utilisateur. C’est donc la compatibilité avec l’arme, et non les compétences ou les capacités de l’utilisateur, qui déterminait si quelqu’un pouvait la maîtriser. Même Koyomi Shizuka ne parvenait pas à tirer pleinement parti des véritables capacités d’un Schneewaltzer.

La deuxième raison pour laquelle Yuiri n’avait pas été sélectionnée était qu’elle n’était pas orpheline.

Rare parmi les filles vivant à la Forêt du Grand Dieu, Yuiri avait encore une famille vivante. Ses deux parents travaillaient dans l’Organisation du Roi Lion et elle avait un jeune frère du même âge qu’elle.

Bien sûr, Yuiri n’avait pas l’intention de devenir une chamane épéiste juste pour faire plaisir à ses parents, mais on croyait qu’elle avait été épargnée des missions très dangereuses, comme celle d’être la surveillante du quatrième Primogéniteur, par égard pour sa famille.

C’est pourquoi, même aujourd’hui, Yuiri se sentait redevable envers Yukina.

Si seulement elle avait pu utiliser un Schneewaltzer un peu mieux… Si seulement Yukina avait une famille, comme Yuiri…

Dans ce cas, c’est peut-être à Yuiri qu’aurait été confiée la dangereuse mission de surveiller le quatrième Primogéniteur.

 

+++

« Oh, êtes-vous réveillée... Mlle Yuiri ? »

Le vacillement paresseux d’un poêle à bois éclairait la pièce tandis que le Quatrième Primogéniteur l’appelait.

Bien que le visage du garçon soit loin de correspondre à l’image du vampire primogéniteur qu’elle avait en tête, il n’en était pas moins charmant. Il était assis, les jambes écartées, sur le sol d’une cabane en rondins apparemment inconnue.

« Kojou ? Où sommes-nous ? Où est Glenda… ! ? »

Yuiri se redressa lentement, tandis que des souvenirs ambigus lui revenaient en mémoire. Elle sentit immédiatement une douleur sourde lui traverser le bras gauche. Il s’agissait de la blessure causée par l’attaque du chevalier sur la wyverne. Grâce au bouclier de Glenda, la blessure n’était pas grave, mais utiliser sa main gauche pour manier l’épée semblait peu pratique pour l’instant.

Elle se souvenait également avoir été attrapée par la griffe du dragon Glenda, puis projetée vers le sol. Puis, juste avant de toucher le sol, sa vision avait été recouverte d’un brouillard argenté.

Pour être plus précise, elle avait eu l’étrange sentiment de se transformer en vapeur. Elle avait également l’impression de voir une énorme bête à carapace au milieu de la brume. Il s’agissait peut-être de l’un des Vassaux bestiaux du Quatrième Primogéniteur.

De nombreux vampires possédaient le pouvoir de transformer leur chair en brume et de se déplacer sous cette forme, mais elle n’avait jamais entendu parler d’un phénomène qui transformait non seulement le corps, mais aussi tout ce qui l’entourait. Cette fois-ci, elle avait réussi à retrouver sa forme humaine, mais elle avait eu un frisson en songeant qu’il pourrait perdre le contrôle de son Vassal bestial.

Cela dit, Yuiri et Glenda avaient encore été sauvées par Kojou.

Je dois d’abord le remercier, pensa Yuiri. Mais lorsqu’elle ouvrit la bouche, Kojou comprit quelque chose et détourna le visage.

« Euh… Désolé. Ce serait une grande aide si vous pouviez… vous couvrir », marmonna Kojou, sans jamais permettre à ses yeux de rencontrer les siens.

« K… Kyaaaaaaaaa ! »

À cet instant, Yuiri poussa un cri en réalisant qu’elle n’avait pas son uniforme d’école sur elle. Heureusement, elle portait encore ses sous-vêtements, mais cela ne la rassurait guère. C’était la première fois qu’elle se montrait ainsi devant un garçon. Elle n’avait jamais laissé son jeune frère la voir ainsi.

« Senpai, qu’as-tu fait à Yuiri ? »

Yukina, qui avait entendu le cri, s’était précipitée du milieu de la cabane en rondins, le pas rapide, et avait jeté un regard à Kojou.

En voyant Yuiri en sous-vêtements, Yukina soupira profondément et comprit immédiatement la situation : « Vraiment, je ne peux pas te tourner le dos une seconde… »

« Hé, ne me mets pas ça sur le dos ! »

Kojou posa une main sur sa joue en répliquant, boudeur. En réalité, ce n’est pas de sa faute, pensa Yuiri, mais tout ce qu’il put faire fut de lui adresser un faible sourire.

Yukina regarda le bandage autour du bras gauche de Yuiri et demanda avec inquiétude : « Peux-tu bouger, Yuiri ? J’ai appliqué les premiers soins, mais… »

C’est elle qui avait enlevé l’uniforme de Yuiri.

« Merci, Yukii. La blessure va bien. Plus important encore, où est-on ? »

« Je crois qu’il s’agit d’un chalet de montagne destiné à accueillir les alpinistes. Il semble qu’il soit vide en raison du bouclage de la zone par les forces d’autodéfense. »

« C’est ainsi que… »

Voyant que Glenda dormait à côté d’elle, saine et sauve, Yuiri expira de soulagement.

Kojou et Yukina avaient donc repéré une cabane près de l’endroit où ils s’étaient écrasés et avaient pu y transporter Yuiri et Glenda. À en juger par la luminosité extérieure, Yuiri était inconsciente depuis deux ou trois heures.

« Encore un peu, et Asagi, l’une de nos amis, viendra nous chercher. Glenda ne peut pas encore bouger, alors il vaut mieux se cacher ici pour l’instant. Il fera bientôt nuit. »

« Je suppose que oui. »

Après avoir remis son uniforme à Yuiri, Yukina tourna le dos à Kojou, faisant comme si elle approuvait son opinion.

La fille aux cheveux gris, qui se trouvait sous la même couverture que Yuiri, se mit à bouger et s’accrocha à lui comme un chaton à sa mère.

« Hyuiri... Hyuiri... »

« Glenda, comment vont tes blessures ? »

« Dah. Hé, ne me mets pas ça sur le dos ! »

Lorsque Glenda, qui n’était peut-être pas tout à fait réveillée, lui adressa des paroles aux sonorités mystérieuses, Yuiri lui caressa les cheveux. En se transformant en dragon, les vêtements de Glenda avaient une nouvelle fois éclaté, détruisant ceux que les filles de l’Oceanus lui avaient fournis. Pour l’instant, elle ne portait que la parka que Kojou Akatsuki avait encore sur lui il y a peu.

Vêtue de vêtements amples, Glenda n’avait pas de blessure importante, ce que Yuiri constata en lui tapotant la poitrine, soulagé.

« Alors… qu’est-ce qu’elle est ? Pourquoi Azama la poursuit-il ? » demande Kojou.

« Je n’en sais rien non plus. » Yuiri secoua faiblement la tête.

« C’est logique », dit Kojou, l’abattement visible dans ses yeux. Après tout, sans savoir pourquoi Azama en voulait à Glenda, il leur était impossible de prédire ses prochains mouvements, et ils ne pouvaient pas la protéger indéfiniment.

Pour tenter de les aider, Yuiri leur expliqua toutes les circonstances avant et après la rencontre avec Glenda, mais les expressions sur les visages de Kojou et de Yukina étaient contradictoires. Si Yuiri ne comprenait pas ce qui se passait, alors les deux autres avaient peu d’espoir de le comprendre.

Lorsqu’elle eut fini de leur donner toutes les informations dont elle disposait, un bref silence s’installa.

Un grognement bestial et rauque rompit le silence gênant.

C’était l’estomac de Yuiri qui ne pouvait plus supporter la faim.

En y repensant, Yuiri se rendit compte qu’elle n’avait pas mangé une seule bouchée depuis ce matin-là. Glenda lui avait en effet retiré toutes ses rations de biscuits d’urgence. De plus, elle remarqua qu’une bonne odeur commençait à se répandre dans la cabane. Quelque chose bouillait dans la marmite posée au-dessus du poêle à bois.

« Il restait de la nourriture pour les cas d’urgence dans la cuisine, alors j’ai pensé essayer de la réchauffer. »

Yukina parla d’un ton réservé alors qu’elle servait le repas.

Il s’agissait d’une soupe aux légumes avec une multitude d’ingrédients, accompagnée de sucreries telles que des biscuits et des barres chocolatées. Pour quelqu’un qui avait presque le ventre vide, c’était un véritable festin. Lorsqu’elle jeta un coup d’œil, Glenda, encore à moitié endormie, se mit immédiatement à grignoter les biscuits.

« Merci, Yukina. J’ai un peu l’impression de te faire faire tout le travail. »

« Pas du tout, Yuiri. Tu t’occupes bien de Sayaka et de moi depuis longtemps. Je suis heureuse de pouvoir faire quelque chose pour te rendre la pareille. »

« Ah-ha-ha. C’est parce que Kirasaka et Shio se sont beaucoup disputées. »

Yuiri avait ri en raison de la nostalgie tout en portant la soupe à ses lèvres. Shio Hikawa et Sayaka Kirasaka étaient toutes deux des filles têtues et des candidates au titre de Danseuse de guerre chamanique dans la même classe, ce qui les amenait à s’affronter sur tous les fronts. C’est généralement Yuiri, qui était dans la même classe, ou Yukina qui en subissaient les conséquences.

« Je vois… Yuiri, vous connaissez Himeragi depuis que vous êtes toutes petites, hein ? » demanda Kojou, surpris.

Yukina avait du mal à parler de son passé. Un léger rougissement l’envahit, elle baissa la tête et dit : « Je suppose que c’est le cas. Même si nous n’étions pas dans la même classe et que nous n’avions pas souvent l’occasion de discuter ensemble… »

« En y réfléchissant bien, personne ne parlait beaucoup à Yukii. Elle était un peu inaccessible, elle avait la tête froide depuis toute petite, et elle était effrayante pendant les simulacres de combat. »

Tandis que sa belle cadette était sous ses yeux, Yuiri la regardait fixement, l’écoutant radoter sérieusement. En entendant cela, Yukina cligna des yeux, apparemment surprise.

« Inaccessible ? Effrayante ? »

« Oui, tu ne souriais jamais, même quand tu gagnais, et tu étais toujours directe quand tu parlais aux gens. Je me suis vraiment énervée quand mes blagues géniales te passaient au-dessus de la tête. »

« C’est parce que j’étais tendu avant la compétition… »

Yukina se défendit faiblement. Mais son visage affichant une allure adorable avait apparemment piqué la curiosité de Yuiri, car elle continuait à sourire, laissant même échapper un gloussement.

***

Partie 3

« Tu étais très sérieuse et stricte, et tu avais d’excellentes notes. Tu étais donc difficile à fréquenter. »

« Tu m’as vraiment vue comme ça ? »

Yuiri réfléchit un instant en observant la réaction authentique de Yukina. Elle trouva quelque chose d’humoristique dans le fait que, même lors de leurs retrouvailles après une longue période d’absence, son sérieux n’avait pas changé d’un iota.

« Ah, mais je ne veux pas dire que les gens te détestaient. Beaucoup de jeunes filles t’admirent. C’est pourquoi, quand j’ai appris que Yukina avait reçu le Schneewaltzer et était devenue l’observatrice du quatrième Primogéniteur, j’ai su que ce serait elle. »

Lorsque Kojou entendit la réponse de Yuiri à Yukina, il ouvrit la bouche comme s’il venait de comprendre quelque chose.

« Je vois… Yuiri est aussi une chamane épéiste, donc ça aurait pu être elle qui vivait juste à côté au lieu d’Himeragi ? »

« Eh ? — Yukina, tu vis juste à côté de Kojou ? »

Yuiri regarda Yukina avec surprise. Sa cadette haussa un sourcil.

« Oui, cela fait partie de la mission. »

« Oh… — Très bien. »

Naturellement, la moitié de la raison pour laquelle Yuiri était déséquilibrée était la façon dont Kojou en avait parlé comme si de rien n’était. Après tout, c’était une règle d’or des romans d’amour que Yuiri dévorait : lorsque des camarades de classe vivent l’un à côté de l’autre, l’amour suit.

Yuiri avait du mal à rester calme à l’idée que c’était peut-être elle qui vivait à côté de Kojou.

Elle se laissait aller à de tels fantasmes lorsque Kojou posa la question suivante à Yukina.

« Comment était Yuiri à l’époque ? »

« Eh !? »

Yuiri se sentit très mal à l’aise lorsqu’elle devint soudain le sujet de la conversation, d’autant que cela se produisit juste après qu’elle eut parlé de Yukina.

Puis, estimant qu’elle devait répondre honnêtement à la question de Kojou, la jeune fille trop sérieuse de Yuiri ouvrit la bouche et dit : « Voyons voir. La première fois que je me souviens l’avoir rencontrée, c’était la nuit, juste après un exercice sur le terrain. »

« Yukii, s’il te plaît, tout sauf ça ! »

La vue de Yuiri baissant la tête désespérément fit rire Kojou et Glenda.

L’un des avantages de cette conversation tout à fait banale était que Yuiri sentait sa volonté se rétablir peu à peu. Son sentiment de tension et de méfiance envers Kojou Akatsuki, le quatrième Primogéniteur, s’estompa également.

Cependant, elle éprouvait en même temps un sentiment de doute.

En y réfléchissant de manière rationnelle, Kojou n’avait aucune obligation de sauver Yuiri ou Glenda. Il était venu sur cette terre pour protéger sa petite sœur; il n’avait aucune raison de se battre contre Azama.

Pourquoi était-il donc allé si loin pour protéger Yuiri et Glenda ?

La seule chose qu’elle comprenait, c’était ceci : c’était sans doute parce que Kojou avait ce genre de personnalité que Yukina, cette fille très sérieuse, lui faisait confiance, au point que Yuiri se demandait si elle ne lui faisait pas un peu trop confiance.

« Senpai, tu n’as pas de bonnes manières. »

Elle lui lança un regard noir et se plaignit lorsqu’il avala sa soupe d’un trait. Cependant, Kojou haussa les épaules, refusant de céder sur ce point.

« Je ne peux pas bouger ma main droite, alors je n’ai pas vraiment le choix. »

« Bonté divine. Donne-moi ça… — Voilà. »

Après avoir eu sa dose, Yukina vola le plat des mains de Kojou et porta la soupe à ses lèvres à l’aide d’une cuillère. C’était le genre de pose où l’on s’attendrait à ce que quelqu’un dise « Dis aah ». Kojou se contenta de faire « Hm » en guise de remerciement, buvant la soupe de la cuillère de Yukina comme si de rien n’était.

Puis, alors qu’il croquait dans une barre de céréales entre deux gorgées, il déclara : « Hé, c’est plutôt savoureux. »

« Vraiment ? D’une certaine manière, cela semble plutôt étrange… — Est-ce bien le cas ? »

 

 

« Oui, c’est ce qui m’a surpris. Je pense que vous aimerez aussi le goût, Himeragi. Voilà. »

Kojou tendit la barre de céréales partiellement mangée à Yukina pendant qu’il parlait. Sans hésiter, Yukina se pencha en avant et grignota le bout de la barre comme un oiseau.

« C’est vraiment savoureux… »

« Je te l’avais dit. »

Kojou acquiesça en jetant un coup d’œil aux alentours. Yukina, qui l’observait, ramassa une bouteille en PET à ses pieds et dit : « De l’eau ? Voilà maintenant. »

« Ah, merci. »

Avec un geste vraiment naturel, Yukina ouvrit le couvercle de la bouteille et Kojou l’accepta sans se poser de questions. La raison pour laquelle Kojou ne s’était pas éloigné du rebord de la fenêtre était qu’il laissait Yukina s’asseoir devant le poêle à bois, l’endroit le plus confortable de la cabane.

Pendant un moment, Yuiri regarda l’interaction effrayante et naturelle entre les deux avec une expression neutre. Finalement, elle fut prise d’une impulsion soudaine et s’exclama : « Êtes-vous mari et femme ? »

Elle finit par le dire à pleins poumons.

« Mais qu’est-ce que c’est ? »

« Yuiri ? »

Kojou et Yukina regardèrent Yuiri, surpris, comme s’ils ne comprenaient pas pourquoi elle avait dit cela soudainement. Ils n’avaient sans doute jamais imaginé que leur propre comportement était quelque peu fâcheux.

Mais le fait de voir Yukina et Kojou si proches avait fait fondre le sentiment de culpabilité de Yuiri.

Le fait que Yukina ait entrepris une mission dangereuse à la place de Yuiri n’avait pas changé. Cependant, en le faisant, elle avait gagné quelque chose que Yuiri n’avait pas :

« Je suis désolée, ce n’est rien. J’avais juste envie de le crier. »

« D-D’accord. »

Elle ne semblait pas s’excuser, mais Kojou acquiesça tout de même.

Peut-être le fait d’avoir mangé avait-il rendu Glenda somnolente, car elle était déjà recroquevillée sur la couverture et endormie. Cependant, les faibles gémissements et les petits tressaillements de ses oreilles laissaient penser qu’elle faisait un cauchemar.

Au même moment, Yuiri remarqua quelque chose d’autre : un individu dégageant une étrange énergie magique s’approchait de la cabine. Alors qu’elle tentait de prévenir Kojou et Yukina, Yuiri vit cette dernière tendre la main vers la lance qui se trouvait à côté d’elle.

« Senpai… Une wyverne. »

« Ils nous ont donc trouvés… Ça n’a pas pris longtemps. C’est de la merde. » Kojou enfourna le reste de la barre de céréales dans sa bouche et se leva rapidement.

Lorsque Yuiri regarda de plus près, Kojou et Yukina avaient encore leurs chaussures aux pieds. Ils semblaient détendus, mais ils étaient tous deux prêts à affronter un éventuel raid d’Azama et de ses acolytes.

Voyant Yuiri se précipiter pour les suivre, Yukina lui dit calmement : « Yuiri, s’il te plaît, prend soin de Glenda. Si le pire arrive, s’il te plaît, laissez-nous et fuyez. »

« Yuiri… — Ah, merci. »

Lorsque Yuiri regarda Yukina sortir de la cabine, un sourire tendu et spontané se dessina sur son visage.

Elle répéta les mots de Yukina comme si c’était la chose la plus naturelle du monde.

« Nous, hein ? »

+++

La wyverne Gunmetal se posa à une courte distance de la cabane.

Azama, qui portait une armure de plaques de chevalier, était seul. Il n’y avait aucun signe de l’autre wyverne ou de l’utilisateur de magie de bronze qui la montait.

La wyverne avait peut-être été prise dans l’attaque du vassal bestial de Kojou. Elle était gravement blessée, et le métal nu était visible sous les écailles. Les wyvernes étaient également des golems créés par les dispositifs de sorcellerie du Dieu Pécheur.

« Major Azama ? Vous êtes seul ? »

Kojou posa la question alors que l’homme en armure de chevalier descendait de sa wyverne.

Azama n’avait pas sa lance en main; il avait ôté l’un de ses dispositifs de sorcellerie, son heaume de chevalier. Il était d’une jeunesse inattendue, un homme usé par le temps qui rappelait un chien de chasse.

« Kojou Akatsuki… J’aimerais vous parler. »

« Moi ? »

Kojou fronça les sourcils, dubitatif, devant ces paroles inattendues.

« Oui, » dit Azama en hochant gravement la tête, « en raison de ma position, je suis au courant de beaucoup de circonstances entourant le fait que vous soyez devenu le Quatrième Primogéniteur — des informations largement inconnues, même pour les hauts gradés des Forces de Défense. »

« Où voulez-vous en venir ? »

Kojou grimaça. Il n’y avait rien de réconfortant à ce que quelqu’un qu’il ne connaissait pas, voire qu’il n’avait jamais vu auparavant, lui dise : « Je connais ton passé. »

« Ne voulez-vous pas savoir pourquoi nous essayons de capturer Glenda ? Ou plutôt, ce que Glenda, un soi-disant dragon, est vraiment… »

« — J’écoute, » répondit Kojou après quelques hésitations. Après tout, c’était exactement l’information qu’il recherchait.

Azama, qui attendait clairement cette réponse, sourit en continuant.

« La mythologie vous a probablement appris que les anciens surhommes, connus sous le nom de Devas, se sont disputés avec le dieu de l’autre monde, Caïn. Nous appelons ce conflit “la purification”. »

« J’ai aussi entendu dire que les érudits ne l’acceptent pas comme un fait historique », rétorqua Kojou. « N’est-ce pas un mythe ? »

Il ne se moquait pas d’Azama, mais il avait du mal à croire qu’un homme aussi sérieux puisse agir sur la base d’informations aussi vagues.

« Mais il n’en reste pas moins qu’une grande partie de la technologie de sorcellerie repose sur des vestiges de cette purification. La sorcellerie, la magie rituelle, l’alchimie et les appareils de sorcellerie, y compris le Schneewaltzer utilisé par la chamane épéiste à vos côtés, ont été construits à partir d’objets précieux anciens. Cela s’applique également à vous, Quatrième Primogéniteur. »

« Et alors ? Quel est le rapport avec Glenda ? » Kojou plissa les yeux, son irritation était évidente.

« Même si la purification a réellement eu lieu, n’a-t-elle pas pris fin il y a des milliers d’années ? — Les guerres se répètent, même si les deux camps à l’origine ont péri. On dit que les Dévas ont été anéantis, mais la sorcellerie et les démons subsistent dans ce monde. »

Azama prononça ces mots d’une voix de baryton empreinte d’un étrange degré de révérence.

« … Les démons ? »

« On dit que Caïn est le créateur de tous les démons. On dit aussi qu’il a enseigné la sorcellerie et la science à l’humanité. En d’autres termes, l’héritage de Caïn, le Dieu pécheur, est la loi qui régit ce monde. »

« Eh bien, vous êtes libre de croire cela si vous voulez, mais… » Kojou soupira et secoua la tête. « Cela ne signifie pas pour autant que cela a quelque chose à voir avec le présent. Ou bien avez-vous l’intention de prendre la place de Dieu et de réécrire les lois du monde ? »

« Bien sûr que non. Les humains ne peuvent pas devenir des dieux », dit Azama avec un sourire autocritique. Puis, il lança un regard de défi à Kojou.

« Mais il est possible de ressusciter un dieu autrefois détruit et de le contrôler. »

« Contrôler un dieu ? » Kojou lui lança un regard noir. « Êtes-vous fou ? »

En réponse, le Chevalier du Dieu Pécheur sourit et secoua simplement la tête.

***

Partie 4

Kojou avait entendu dire que les Purificateurs étaient des terroristes hérétiques qui vénéraient Caïn. Cependant, si le véritable objectif d’Azama était de contrôler ce dieu, le sens de toutes leurs actions en était bouleversé. Les Purificateurs n’étaient pas de simples adorateurs de Caïn, loin de là. Leurs actions étaient inspirées par la répudiation de Caïn et de tout ce que le Dieu pécheur avait accompli.

« Glenda, le Dragon du Marais, est la gardienne de l’héritage laissé par Caïn. Elle est le réceptacle des informations du Dieu. Elle n’est ni démon ni bête démoniaque; elle n’est qu’un élément d’un système. Ce système est programmé pour se réveiller lorsque certaines conditions particulières sont réunies. »

« Condition particulière… ? »

Kojou avait l’impression que les mots prononcés par Azama constituaient une légère avance. Quelle était la véritable raison qui poussait l’Organisation du Roi Lion à sacrifier Nagisa Akatsuki ? Et si la clé pour réveiller Glenda, relique de la Purification, résidait dans la connaissance — les souvenirs — d’une autre relique du même conflit, que seule Nagisa possédait ?

Kojou parvint à une réponse. « Je vois… Le réveil du Quatrième Primogéniteur… ! »

Azama expira longuement en signe de reconnaissance. « Il est certain que Glenda ne représente pas une grande menace en elle-même. Malgré tout, elle est une relique que nous, les Purificateurs, devons obtenir par tous les moyens. L’Organisation du Roi Lion s’en est servie pour nous tendre un piège et nous débusquer, mais même si la plupart de mes frères doivent y laisser la vie, cela en vaut la peine. »

« … » — Pourquoi me dis-tu tout cela ? Kojou avait de sérieux doutes, et il n’était pas nécessaire qu’Azama lui explique les objectifs des Purificateurs.

Cependant, Azama posa un regard mystérieusement sérieux sur le quatrième Primogéniteur.

« Parce que, Kojou Akatsuki, vous avez vous aussi un intérêt dans cette affaire. En tant qu’être humain, vous comprenez sûrement que les démons possèdent des capacités extraordinaires et qu’ils peuvent facilement déformer le monde qui nous entoure. Une grande ville peut être détruite par le simple caprice d’un vampire. À quoi ressemblerait, selon vous, la véritable forme de ce monde déformé ? »

« Alors, vous voulez éliminer l’humanité démoniaque ? »

Kojou grimaça de dégoût. Il utiliserait le dieu qui avait créé les démons pour les exterminer jusqu’au dernier. L’objectif d’Azama était tordu, mais Kojou comprenait sa logique.

« Nous cherchons simplement à redonner au monde sa forme originelle. Ces mots doivent être évangéliques à vos oreilles, Kojou Akatsuki : vous seriez libéré de votre malédiction d’immortalité et pourriez mourir en tant qu’être humain. »

Azama avait parlé d’un ton dur.

Il lui proposait de mourir en tant qu’être humain plutôt que de vivre seul pendant des centaines, voire des milliers d’années.

Cette logique était stupide.

D’un autre côté, la proposition avait de quoi séduire.

Pour être franc, l’idée d’un avenir incertain et d’une solitude éternelle était trop lourde à porter pour un seul être. Azama pouvait libérer Kojou de cette angoisse sans fin.

« Ne vous mettez pas en travers de mon chemin », tel est le message qu’il adressait à Kojou.

« Selon le point de vue que l’on adopte, ce n’est pas une si mauvaise affaire… si ce que vous dites est vrai. »

Kojou accepta la justesse de l’affirmation de l’homme. Kojou n’avait pas obtenu le pouvoir d’un vampire immortel par choix. Il n’avait aucune réticence à s’en débarrasser. Après tout, l’immortalité était une véritable malédiction.

« Senpai… ! »

Tremblant de colère, Yukina entendit le murmure de Kojou, qui semblait dépourvu d’instinct de conservation. Voyant Yukina dans cet état, Kojou esquissa un sourire douloureux. C’était elle qui avait reçu la mission de continuer à surveiller le quatrième Primogéniteur, et de le tuer si nécessaire. Sa colère n’était pas très rationnelle.

« Remettez-moi Glenda, quatrième Primogéniteur. Ce réceptacle nous est nécessaire pour nous opposer à la Corporation de management du Gigaflotteur. » La demande d’Azama semblait presque professionnelle.

Kojou sursauta, son visage se figeant.

« La Corporation de Management du Gigaflotteur… Qu’est-ce que l’île d’Itogami a à voir avec ça ? »

Quelques instants plus tard, il entendit un grondement semblable à un coup de tonnerre lointain. Un énorme objet volant descendit des nuages qui le surplombaient, aussi gros qu’un avion de ligne en train d’atterrir.

« Senpai ! C’est… ! ? »

« Mais qu’est-ce que c’est que ça ? Est-ce un avion-cargo ? »

L’avion, recouvert d’une couleur grisâtre, ressemblait beaucoup à un avion-cargo militaire, mais les innombrables bouches à feu intégrées dans les flancs de son fuselage indiquaient qu’il ne s’agissait pas d’un simple appareil de transport.

L’énorme engin malveillant descendait à haute altitude vers la cabane où se trouvaient Glenda et Yuiri.

« C’est la carte maîtresse du régiment de mages d’attaque spéciale des forces d’autodéfense. Un vaisseau de combat AC-2. Mais maintenant, il nous appartient », déclara Azama calmement et sans se vanter.

L’avion, dont la conception était basée sur celle d’un avion-cargo, était équipé d’une grande quantité d’armes et de munitions, ce qui lui conférait des armes lourdes et une puissance de feu considérable, impossibles à manier pour un avion normal. Il avait été transformé en avion d’attaque pour la suppression au sol, et c’est la femme en robe qui le pilotait.

« Vous voulez nous dire que vous avez utilisé l’avion comme matériau pour un golem ? » demanda Yukina, son expression se figeant lorsqu’elle comprit les intentions d’Azama.

L’utilisateur de la magie du métal pouvait transformer une arme de guerre en golem en se basant sur ses spécifications d’origine. Même les golems basés sur des véhicules blindés de transport de troupes possédaient une force d’âme et une puissance offensive bien supérieures à la normale. Dans ces conditions, elle ne pouvait même pas imaginer la puissance de feu d’un monstre né d’un appareil de combat.

De plus, ils pouvaient annuler les attaques des vassaux bestiaux de Kojou. Le Loup des neiges, leur seul moyen de défier les barrières magiques, ne pouvait pas atteindre un golem volant dans le ciel.

« La discussion est terminée, Kojou Akatsuki. Laissez Glenda ici et retirez-vous. »

Azama mit son heaume de chevalier. Derrière lui, la wyverne déploya ses immenses ailes.

« Votre histoire avait du bon, major Azama. » Kojou sourit férocement, les crocs dévoilés. « Mais je vous ai vu tuer l’un de vos hommes sans même sourciller. À cause de vous, les Purificateurs, de nombreuses troupes innocentes ont été blessées. Je ne peux pas vous faire confiance et je ne confierai pas Glenda à quelqu’un en qui je n’ai pas confiance. »

« Je vois… C’est bien dommage, Quatrième Primogéniteur. »

Azama posa une nouvelle fois sa lance, la pointant vers le cœur de Kojou.

Il ajouta, avec une émotion brute dans la voix, pour la première fois :

« Alors, mourrez comme un sale démon ! »

 

+++

Avec un rugissement, la lance du chevalier de fer ouvrit le feu avec les mêmes sphères noires qui avaient blessé Glenda.

Kojou ne pouvait pas esquiver l’attaque. S’il s’écartait, la sphère aurait frappé la cabine, blessant ainsi Yuiri et Glenda. Kojou leva donc la main droite et hurla :

« Viens à moi, vassal bestial numéro un, Mesarthim Adamas ! »

Il endura la douleur féroce qui frappa sa main droite et invoqua un mouton divin irradiant de lumière. Les innombrables cristaux de diamant qui encerclaient le Vassal Bestial formèrent un bouclier pour repousser l’attaque du chevalier.

Comme des boules de billard, la trajectoire des sphères noires de jais était modifiée lorsqu’elles percutaient les cristaux l’un après l’autre. Les cristaux se transformèrent en balles et attaquèrent Azama de toutes parts. L’agneau divin, absolument intact, était un effrayant Vassal Bestial de la vengeance.

Cependant, Azama déploya son aura noire pour entraver ces balles de diamant.

Bien que cette membrane n’ait pas la moindre profondeur, elle semblait s’infiltrer dans l’air, empiétant sur le monde lui-même et le repeignant. Sans un bruit, les attaques du vassal bestial du Quatrième Primogéniteur furent englouties par les ténèbres.

« Encore ce rideau noir… ! »

Kojou était nerveux à l’idée que le pouvoir du chevalier neutralisait son Vassal Bestial, mais il était également soulagé.

Même s’il était armé de reliques de la Purification, Azama n’était qu’un être humain. S’il recevait une pluie d’attaques de la part d’un Vassal Bestial, il était un homme mort. Le fait que son adversaire soit un meurtrier ne constituait pas une raison pour Kojou de le tuer, même s’il avait pour objectif de massacrer toute l’humanité démoniaque.

« Senpai, protèges Glenda et Yuiri ! Je vais m’occuper du major Azama ! » dit Yukina en bondissant vers l’avant pendant que Kojou hésitait et qu’elle mettait en place sa lance d’argent.

Kojou n’eut pas le temps de l’arrêter. Il parvenait à abattre toutes les balles tirées par le chevalier d’acier, tandis que Yukina comblait instantanément la distance.

« Tu me gênes, Chamane Épéiste ! »

Azama ordonna à sa wyverne d’attaquer. La bête démoniaque en métal qui volait faisait obstacle à Yukina, si bien que ses attaques ne parvenaient jamais à atteindre le chevalier d’acier. La wyverne, qui tournoyait presque au niveau du sol, constituait à elle seule une menace. L’arme de Yukina, dépourvue d’effets physiques supplémentaires, ne pouvait pas faire face à une telle puissance.

« Himeragi ! Baisse-toi ! »

Lorsque Kojou se précipita pour protéger Yukina, le vaisseau rugi à ce moment-là.

L’énorme silhouette qui tournoyait dans le ciel n’avait plus rien d’un avion. Il avait pris la forme d’une fausse hydre à neuf têtes dont la taille dépassait de loin celle du dragon Glenda ou des wyvernes. Le monstre à plusieurs têtes, héritant de la puissance de feu du vaisseau, crachait des flammes noires avec une force incroyable.

« Un boulet noir… ! ? »

Le vassal de Kojou déploya son mur défensif. Mais les cristaux de diamant d’une grande densité se brisèrent complètement sous les attaques de l’hydre factice. C’était comme pour les tirs de la lance d’Azama : le boulet de canon de l’hydre factice avait reçu la capacité d’annuler l’énergie démoniaque.

Le mur du vassal bestial ayant été détruit, le boulet de canon noir s’en prit à Kojou, désormais sans défense.

Juste avant qu’il ne soit englouti par cette énorme sphère, un rayon éblouissant fendit l’air.

« Rosen Chevalier Plus, activation ! »

Yuiri, une épée longue en argent à la main, atterrit devant Kojou. La faille dans l’espace créée par son coup d’épée repoussa le boulet noir. La capacité d’annulation de l’énergie magique du boulet mit fin à l’effet de coupure pseudospatiale, mais celui-ci s’était déjà dissipé.

« Yuiri… ! ? »

« Je suis désolée ! Mais je pensais que se cacher contre un tel adversaire ne servirait à rien. »

« Ah non… Je suppose que vous avez raison. Vous m’avez sauvé. Et Glenda ? »

« Dah ! »

Lorsque Kojou regarda autour de lui, Glenda, vêtue d’une parka, sauta sur son dos en poussant un soupir audible. La sensation du corps léger de la jeune fille provoqua un regard perplexe chez Kojou, puis Yuiri baissa les yeux.

« Euh… Kojou, j’ai pensé que l’endroit le plus sûr pour elle était probablement derrière votre dos, alors… » Apparemment, Glenda s’accrochait à Kojou sur les instructions de Yuiri.

Yuiri ne s’attendait peut-être pas à ce que Glenda soit aussi proche de lui.

« Cette partie est bien, mais ce n’est pas bon. À ce rythme — ! »

Kojou se sentait très mal à l’aise en regardant l’hydre au-dessus de sa tête. S’il absorbait la prochaine attaque de l’hydre, Yuiri ne pourrait probablement pas la bloquer. S’il ne parvenait pas à vaincre ce golem géant avant, il était certain que Yuiri ne pourrait pas bloquer la prochaine attaque.

« Merde ! Venez ici, Regulus Aurum ! Al-Meissa Mercury ! »

Kojou invoqua alors deux nouveaux vassaux : le lion foudroyant et le dragon bicéphale vif-argent. Ceux-ci tentèrent d’écraser l’hydre qui dansait au-dessus de leurs têtes et d’abattre son armature géante.

***

Partie 5

L’utilisatrice de magie du métal qui se tenait au sommet d’une des têtes de l’hydre bloqua leurs attaques. L’aura noire qui se répandait par les ouvertures de sa robe recouvrait tout le corps de l’hydre.

L’hydre trembla sous l’effet des collisions, mais c’était tout. Si elle était isolée de l’énergie démoniaque, même les vassaux bestiaux du quatrième Primogéniteur ne pourraient pas détruire l’énorme créature.

Cela dit, il ne pouvait pas recourir aux mêmes moyens que ceux qu’il avait utilisés pour terrasser les wyvernes auparavant. L’hydre était tout simplement trop proche. S’il laissait ses vassaux bestiaux se déchaîner dans cette situation, Kojou et ses alliés n’en sortiraient pas indemnes, et cette fois, il tuerait certainement Azama et son compagnon.

« Pas bon, alors… ! »

L’hydre déchaîna ses flammes avec un rugissement. Les vassaux de Kojou déclenchèrent leurs attaques respectives pour contrer le boulet de canon noir. Malgré cela, ils ne purent l’arrêter, laissant le boulet s’abattre sur Kojou et les autres depuis le ciel…

« — Loup de la dérive des neiges ! »

C’est Yukina qui l’abattit sous les yeux de Kojou et des autres.

« Allez-vous bien, Senpai !? Yuiri ! ? »

« Yukii… ! »

« Himeragi ! La wyverne… !? »

Voyant qu’ils étaient sains et saufs, bien que secoués, Yukina désigna ce qui se trouvait devant elle. La wyverne qu’elle avait combattue se tordait sur le sol, une aile et son torse profondément entaillés. Les tirs de canon de l’hydre l’avaient touchée.

Non, Yukina l’avait plutôt attiré dans une position où l’attaque de l’hydre en ferait une victime. Yukina s’était utilisée comme un leurre pour amener un ennemi à tirer sur l’autre. Avec le Loup de la dérive des neiges, elle avait déchiqueté l’aura noire qui aurait protégé la wyverne.

« … Un Schneewaltzer de l’Organisation du Roi Lion… une arme bien difficile à manier. J’avais entendu dire qu’elle pouvait briser n’importe quelle barrière, mais de penser qu’elle pouvait même couper l’empiétement de Nod, » murmura Azama d’un ton bas, mi-admiratif.

« L’empiétement de Nod… ? »

Kojou réfléchit aux mots inconnus qu’Azama avait laissé échapper de ses lèvres.

« Nod est un autre monde, celui où Caïn, le Dieu pécheur, a été exilé. C’est aussi un monde creux où, par la Purification, le dieu a perdu sa toute-puissance… »

De façon surprenante, Azama répondit directement à la question de Kojou.

Je vois, pensa Kojou en hochant la tête sans mot dire. Si toute l’énergie démoniaque du monde était le produit de Caïn, et que le pouvoir de Caïn ne fonctionnait pas dans le Nod, cela signifiait que Nod était un monde où l’énergie démoniaque n’existait pas.

L’aura noire qui annulait l’énergie démoniaque était en fait des traces de Nod qui s’infiltraient dans leur monde.

« Cette armure antique est donc un dispositif de sorcellerie pour contrôler l’empiétement de Nod, non ? Je croyais que vous aimiez juste vous habiller. »

« Je n’ai guère envie de me déguiser en bouffon, mais c’est un mal nécessaire. Après tout, grâce à cela, je suis capable d’obtenir le pouvoir d’éliminer d’un seul coup les démons comme vous de la surface de la Terre. »

Azama étendit son manteau noir de jais. Cependant, l’aura nocturne qui suintait ne couvrait pas l’air, mais était au contraire absorbée silencieusement par le sol aux pieds d’Azama.

Perplexe, Kojou regardait la tache noire se répandre sous ses pieds. Cette tache se transforma en d’innombrables lames sans profondeur, émergeant du sol pour transpercer le corps de Kojou…

« Quoi… !? »

Aussitôt, Kojou fut frappé par une douleur féroce et des impacts sourds.

« Senpai — ! »

« Kojou !? »

Yukina et Yuiri se regardèrent, les yeux écarquillés par le choc. Même avec leur capacité à regarder dans le futur, les filles avaient été incapables de répondre à l’attaque souterraine invisible.

« Gah... Haah... ! »

Les lames, de la couleur de la nuit, qui empalaient tout le corps de Kojou, avaient atténué ses pouvoirs vampiriques. Kojou crachait du sang, incapable de prononcer un mot, privé de la possibilité d’invoquer des Vassaux Bestials. Il lui fallut toute sa force pour sauver Glenda en la poussant hors de son dos.

Les ténèbres qui s’étendaient aux pieds de Kojou empiétaient sur l’espace lui-même et engloutissaient tout le corps de Kojou.

« Yuiri, ne… Prends Glenda… et cours… »

Au moment où Yuiri se précipita, Kojou l’arrêta d’un seul regard. À ce moment-là, si Yuiri touchait négligemment Kojou, elle serait entraînée dans le vide avec lui.

Yukina sortit sa lance d’argent, mais l’empiétement de Nod fut plus rapide. Kojou se fondit complètement dans les ténèbres, ne laissant derrière lui qu’un suintement noir.

« Objectif principal atteint. Capitaine Okiyama, occupez-vous du reste. »

« Compris. »

Acceptant les instructions d’Azama, l’utilisatrice de la magie du métal descendit du sommet de l’hydre. Azama voulait qu’elle s’occupe seule de Yukina et de Yuiri pendant qu’il capturait Glenda.

« Je vais gagner du temps ! Yuiri, prends Glenda et pars ! »

« Yukii… ! »

Regardant de derrière, l’hésitation traversa les yeux de Yuiri alors qu’elle voyait Yukina entrer dans une position de combat.

Il était impossible pour Yukina d’affronter Azama, Okiyama et l’hydre toute seule. Les faire s’entretuer avec des tirs amis comme elle l’avait fait avec la wyverne ne fonctionnerait probablement pas non plus.

Cela dit, si Yuiri tombait avec elle, il n’y aurait plus personne pour protéger Glenda.

Que dois-je faire ? s’angoissa Yuiri lorsque, sous ses yeux, Glenda fit un geste tout à fait inattendu.

« Uu - ! »

De sa propre volonté, Glenda sauta dans la stagnation noire qui restait à la surface du sol — l’obscurité creuse qui avait avalé Kojou. Un instant après que Glenda ait disparu à son tour, les ténèbres continuèrent à se rétrécir jusqu’à ce qu’elles se dissipent complètement.

Dans un bruit de battement, seule la parka qu’elle portait tomba sur le sol.

« G… Glenda !? »

« Quoi… !? »

Yuiri et Yukina n’étaient pas les seules à être surprises. Azama, qui était censé contrôler l’empiétement, fut abasourdi par la tournure inattendue des événements. Il s’exclama d’un ton éberlué, « Le réceptacle lui-même… avalé… par le Nod… ! Comment est-ce possible… !? »

Le désespoir de sa voix tremblante fit éclater la dure vérité.

Même le pouvoir du chevalier du Dieu du péché ne pouvait pas ramener celui qui avait été consumé par les ténèbres.

+++

Une ville où l’été n’en finit pas —.

Là, au-dessus du Pacifique, flottait une île minuscule.

Une île artificielle entourée d’une mer rouge comme le sang.

Le ciel était écarlate, comme après le coucher du soleil. La ruine d’un énorme bâtiment se détachait sur le fond du ciel vermillon. Les bâtiments des environs, brisés et abîmés, avaient été détruits, réduits en cendres. On aurait dit une scène se déroulant juste après une grande catastrophe naturelle — ou les conséquences immédiates d’une destruction au milieu d’un conflit armé.

« Qu’est-ce que c’est que cet endroit ? »

Kojou murmura en observant les ruines qui lui semblaient familières. La voix était mêlée à un gémissement angoissé.

L’attaque d’Azama lui avait valu d’être empalé et englouti par les ténèbres. Lorsque Kojou revint à lui, il était seul dans un monde étrange.

Les blessures à vif laissées sur tout son corps prouvaient qu’il ne s’agissait ni d’un souvenir ni d’un rêve. Les vêtements sur son corps, et même le sol à ses pieds, étaient trempés dans son propre sang qui coulait le long de son corps.

Ayant perdu ses capacités de régénération vampirique, ce n’était probablement qu’une question de temps avant qu’il ne meure d’une perte de sang. Mais à ce moment-là, ce n’était pas sa propre vie ou sa propre mort qu’il remarqua, mais le monde lui-même.

« Ne me dites pas que c’est… L’île d’Itogami… !? »

Kojou fut déconcerté lorsqu’il réalisa que les décombres du bâtiment détruit ressemblent étrangement à la Porte de la Clef de Voute de l’île d’Itogami. Le tracé des rues et la structure aérienne en forme de monorail qui entourait l’île artificielle ressemblaient beaucoup à ceux de l’île d’Itogami. Mais — !

« Non, c’est différent… »

Perplexe, Kojou secoua la tête lorsqu’il s’aperçut que les enseignes et les panneaux portaient des caractères qu’il n’avait jamais vus auparavant.

Comme il s’en doutait, ce monde n’était pas l’île d’Itogami. Bien qu’elle lui ressemble beaucoup, c’était une terre tout à fait différente.

L’avancée de Nod aurait dû m’engloutir, alors qu’est-ce que je fais dans un endroit comme celui-ci ? C’est ce que Kojou se demanda.

L’instant d’après, il sentit quelqu’un d’autre s’approcher.

« Qui est là… !? Il y a quelqu’un dehors ? »

Lorsque Kojou se retourna, il aperçut un homme seul, debout dans les décombres d’un bâtiment en ruine.

Les rayons du soleil du soir dans son dos empêchaient Kojou de bien voir son visage.

Ce que Kojou avait reconnu, c’est la lance brisée qu’il tenait contre sa poitrine.

De plus, il remarqua la présence de douze ailes noires et floues qui flottaient dans son dos.

L’homme avait l’air d’être en deuil — ou peut-être en train de chanter…

« —… … — »

Enfin, Kojou se rendit compte que les lèvres de l’homme tremblaient, comme s’il essayait de lui dire quelque chose.

Mais avant que ces mots ne soient prononcés, l’homme s’estompa, puis… disparut.

Au même moment, Kojou se rendit compte que l’île en ruines avait commencé à se dissiper silencieusement, se transformant en minuscules particules de lumière.

Elle avait commencé à s’estomper et à disparaître, comme un souvenir d’il y a longtemps…

« Des restes de pensées… ou quelque chose comme ça ? »

Kojou ressentit une grande nervosité en observant le paysage qui se consumait dans les ténèbres tout autour de lui, car le sol artificiel sous les pieds de Kojou, et même la chair et le sang de Kojou, commençaient lentement à se dissiper.

Tout émettait une lumière pâle en fondant, disparaissant dans le vide.

« Argh… Ce n’est pas bon… »

Kojou serra les dents en subissant l’invasion féroce de Nod.

Vais-je disparaître dans un endroit pareil ? pensa-t-il, la rancœur et la colère se répandant en lui.

Mais dans l’état actuel des choses, Kojou n’avait aucun pouvoir pour résister à son anéantissement. Il en aurait été de même s’il avait conservé ses pouvoirs de vampire. Après tout, seul l’effet d’oscillation divine du Loup de la dérive des neiges pouvait s’opposer à l’invasion de Nod.

La lance d’argent que seule Yukina possédait —

« Qu’est-ce que… ! ? »

À l’instant où la vue de Yukina et de la lance surnommée le Loup de la dérive des neiges apparut dans son esprit, une douleur féroce traversa la main droite de Kojou.

C’était comme s’il avait reçu une soudaine secousse d’un circuit invisible incrusté dans le dos de sa main, envoyant de l’électricité à travers lui.

L’instant d’après, l’assaut sur le corps de Kojou… s’arrêta.

Tout autour de Kojou, une membrane transparente et rayonnante, semblable à une bulle de savon, l’enveloppait. Cette membrane protégeait Kojou du vide noir.

« Une barrière ? Cette lumière… C’est la même que celle du Loup de la dérive des neiges… »

Kojou murmura, étonné lorsqu’il comprit la véritable nature de la membrane lumineuse qui avait stoppé l’avancée de Nod.

Sans aucun doute, c’était une barrière à effet d’oscillation divine qui avait sauvé Kojou du danger de l’anéantissement. Il avait vu et se souvenait de Yukina employant des techniques similaires à plusieurs reprises.

Pourtant, Yukina n’était pas là. Et pourtant, un effet d’oscillation divine aussi puissant avait été intégré à la main droite de Kojou — il ne pouvait penser qu’à une seule possibilité.

« Papernoise… À l’époque, elle devait… ! »

L’étrange blessure qui aurait été encore gravée sur sa main droite avait disparu. La sensation perdue dans sa main droite était revenue. Au dernier instant de leur affrontement, Koyomi Shizuka avait scellé la main droite de Kojou avec un rituel de barrière.

Consciente qu’elle ne pouvait pas empêcher Kojou de quitter l’île d’Itogami, elle avait souscrit une police d’assurance. Elle avait secrètement placé dans Kojou un atout qui pouvait le sauver de l’anéantissement s’il rencontrait un ennemi capable de manipuler l’empiétement du Nod — sans que Kojou ne s’en doute.

Kiriha Kisaki avait identifié ce qui avait été gravé dans sa main droite comme un rituel de scellement. Cependant, les sceaux ne se limitaient pas à empêcher l’adversaire de s’échapper. Selon les circonstances, les sceaux étaient utilisés pour protéger ce qui se trouvait à l’intérieur. C’est ce dernier que Koyomi Shizuka avait gravé sur Kojou.

***

Partie 6

En y repensant, la blessure à la main droite de Kojou ne lui avait pas fait mal lorsqu’il avait invoqué ses vassaux bestiaux. Sans exception, sa blessure palpitait dès qu’une personne utilisait un dispositif de sorcellerie du Dieu du Péché. Cette blessure avait réagi à l’invasion de Nod.

Malgré tout, pensa Kojou en soupirant.

Grâce au sort de Paper Noise, il avait échappé à l’anéantissement instantané, mais il n’était pas pour autant revenu dans son propre monde. La barrière de l’Effet d’Oscillation Divine ne durerait pas non plus éternellement.

À moins qu’il ne trouve un moyen de s’échapper de Nod, l’anéantissement n’était plus qu’une question de temps.

Kojou se mit à réfléchir : « Que dois-je faire ? » se demanda-t-il en se serrant la tête.

« Dah… Kojou… ! »

Le rugissement d’un dragon fit trembler l’air à l’intérieur de la barrière.

Un énorme dragon semblait nager dans les ténèbres, se dirigeant droit vers Kojou.

Alors qu’il commençait à craindre d’être écrasé par sa masse écrasante, le dragon se transforma en fille.

Glenda s’était glissée à travers la barrière de l’effet d’oscillation divine et s’était accrochée au dos de Kojou.

« G-Glenda !? — Comment diable es-tu arrivée ici… ! »

Kojou se retourna avec étonnement vers la jeune fille nue qui lui sourit innocemment.

Glenda toucha l’une de ses blessures qui saignaient et demanda : « Ça fait mal ? Kojou, ça fait mal ? »

« Si tu comprends, alors ne me touche pas comme ça… » Il grimaça et gémit faiblement tandis qu’elle caressait nonchalamment l’emplacement de ses blessures.

Il n’avait bien sûr aucune idée de la raison pour laquelle Glenda était apparue à cet endroit. Il songeait aussi à Yukina et Yuiri, restées dans leur monde d’origine. Quoi qu’il en soit, l’apparition de Glenda signifiait que l’attente de l’anéantissement n’était plus une option. Il devait la ramener dans le monde réel par tous les moyens.

« Merde, pourquoi as-tu dû venir ici, toi aussi ? »

« Ramener… Kojou. Rendre Yuuri… Heureuse », répondit la jeune fille aux cheveux couleur d’acier.

« Ah, c’est donc ça », dit Kojou en soupirant. Elle avait dû sauter dans ce monde vide uniquement pour rendre Yuiri heureuse.

« Glenda, sais-tu ce que nous devons faire pour sortir d’ici ? » demanda-t-il en prenant la jeune fille dans ses bras avec précaution.

De toute façon, le fait qu’elle soit nue posait un certain nombre de problèmes s’il s’éloignait d’elle. Il voulait aussi éviter de la lâcher imprudemment et de les laisser se séparer. C’est ainsi que la jeune fille se retrouva tout contre le corps de Kojou.

Les beaux yeux de Glenda, semblables à de l’hématite, fixaient Kojou.

« Glenda… Comprends… Glenda est le réceptacle de l’information. Doit atteindre la prêtresse. »

« … Une prêtresse ? »

Kojou écoutait avec perplexité les paroles fragmentées de Glenda. La chaleur humaine de la jeune femme disparaissait peu à peu, et son expression innocente se transformait en une expression presque robotique.

Glenda fut enveloppée d’une faible lueur et ses contours devinrent vagues et flous.

« Ramener… Kojou… Tout le monde sera… Heureux… »

Glenda, enveloppée de lumière bleue, se transforme sous les yeux de Kojou.

Kojou s’attendait à ce qu’elle se transforme en dragon, mais ce fut le visage d’une fille inattendue qui apparut.

Elle avait les cheveux argentés et les yeux bleus. Son visage était aussi doux que celui d’une sainte : Kanon Kanase.

« Kanase… ? Comment… !? »

Devant Kojou, surpris, la lumière entoura à nouveau Glenda. Le visage androgyne de Yuuma Tokoyogi apparut ensuite. Puis, le visage royal de La Folia. Enfin, la silhouette élégante de Sayaka Kirasaka se dessina.

C’est à ce moment-là que Kojou comprit enfin pourquoi Glenda savait à quoi ils ressemblaient.

« Es-tu en train de fouiller dans mes souvenirs ? »

Elle présentait les filles dont Kojou avait bu le sang.

Une fille homoncule aux cheveux indigo apparut, puis Glenda se transforma en la dernière.

Yukina Himeragi. La petite chamane-épéiste dont le sang avait été le premier que Kojou avait bu de son plein gré —.

« Mon sang… S’il te plaît, bois mon sang… »

En prononçant ces mots sous les traits de Yukina, Glenda lui offrit sa nuque.

La voix et l’apparence de Yukina — étaient directement issues des souvenirs de Kojou.

« Senpai, grâce à l’action vampirique, tu obtiendras la mémoire du sang. Je t’accorderai le pouvoir de l’information que j’ai en moi. Le pouvoir de défier l’empiétement de Nod. »

Glenda — ou plutôt Yukina — prit la main de Kojou et la guida doucement vers son sein.

Elle la pressa contre le léger renflement de sa poitrine pour qu’il puisse sentir les battements de son cœur.

« Attends… — Qu’est-ce que tu… !? »

La sensation d’une chair lisse et d’une douce fermeté qu’il n’avait jamais touchée auparavant effaça toutes ses pensées. Ses canines palpitaient et sa gorge était frappée par une puissante sensation de sécheresse.

Il respirait lourdement. Battements de cœur. La chaleur du corps. La présence réconfortante de son toucher, de son parfum.

Azama l’avait qualifiée de réceptacle. Glenda avait dit qu’elle était un réceptacle d’information.

Mais qui lui avait donné ces informations ? se demanda-t-il.

Une chanson s’échappa des lèvres de Glenda. Un air de complainte que le garçon avait chanté, serrant la lance brisée contre sa poitrine, à la lumière du crépuscule.

« J’ai compris… Glenda, tu es… » murmura Kojou, dont les yeux se teintaient d’écarlate. Glenda n’était plus sous les traits de Yukina; elle avait déjà repris les siens. Cependant, Kojou céda à ses pulsions vampiriques et enfonça ses crocs dans son cou.

Il se sentait coupable envers Yukina, mais il devait ramener Glenda avec lui.

Retourner dans leur monde… Dans le monde des vivants.

« Ah… »

La jeune fille se tortilla dans les bras de Kojou, laissant échapper un souffle mince et fragile.

Et puis —,

 

+++

L’attaque de l’hydre avait creusé le sol. Yukina et Yuiri avaient réussi à l’esquiver de justesse.

Azama, revêtu d’une armure de chevalier en métal, déploya à nouveau l’aura d’annulation sur la surface du sol.

Il comptait sans doute rouvrir le passage vers le Nod, autrefois fermé. Il espérait peut-être que Glenda reviendrait par ses propres moyens.

Dans ce cas, la présence de Yukina et Yuiri constituait une nuisance pour lui. C’est pourquoi Mikage Okiyama, l’utilisatrice de magie du métal, jouait son rôle de soutien auprès d’Azama en tentant d’éliminer le duo.

« Yukii ! Je vais retirer le plus gros, alors pendant ce temps, tu t’occupes de… — ! »

« — Bien ! »

Yukina laissa Yuiri s’occuper de l’hydre et se concentra sur l’utilisateur de magie du métal qui venait de débarquer au sol. Quoi qu’il en soit, l’arme de Yukina ne pouvait pas percer l’armure qui protégeait l’hydre.

Mais si elle battait Mikage Okiyama, la fine pellicule de néant recouvrant l’hydre disparaîtrait. Dans ce cas, Yuiri pourrait certainement détruire l’hydre par la suite.

« — ! ? »

La lance de Yukina déchira la robe de l’utilisateur de magie. Cependant, l’aura noire qui enveloppait Okiyama ne s’était pas dissipée. Elle s’était en effet dépouillée de sa propre robe, qu’elle utilisait comme un bouclier pour obstruer la vision de Yukina.

Puis, depuis un angle mort derrière la robe, la baguette s’élança vers Yukina. Une tige noire et brillante.

Yukina para le coup de justesse. Si elle ne l’avait pas bloqué, l’impact l’aurait projetée loin en arrière. Mikage Okiyama, voyant que Yukina n’avait même pas perdu l’équilibre après un tel coup, lui adressa un sourire admiratif.

Son expression était irritante au possible.

« C’est donc votre appareil de sorcellerie, capitaine Okiyama », cracha Yukina, le regard noir.

L’armure qu’il portait était un dispositif de sorcellerie du Dieu du Péché capable de contrôler l’empiétement de Nod lui-même. Yukina avait pensé que la robe de la femme avait le même effet.

Ce n’était pas le cas. La robe de l’utilisatrice de magie n’était qu’une simple supercherie.

Grâce à cette prise de conscience tardive, la première attaque de Yukina avait été déjouée de manière spectaculaire, même si tout retard dans la défaite d’Okiyama mettrait Yuiri en danger.

« Oui, c’est bien cela. — Vous êtes… Yukina Himeragi, l’autre chamane-épéiste ? » Mikage Okiyama fit tourner la baguette dans sa main en regardant Yukina. « Soyez tranquille. Ce dispositif de sorcellerie n’est qu’une simple réplique. Créer des golems et recouvrir les choses d’un voile de néant est la limite supérieure de ses capacités. Cependant — ! »

Une seconde plus tard, Mikage Okiyama était devenu flou dans le champ de vision de Yukina.

Okiyama bondit vers l’avant à une vitesse incroyable. Elle lança sa baguette. Malgré la rapidité de sa réaction, tout ce que Yukina put faire fut d’éviter de justesse le fil de l’attaque. La baïonnette attachée à l’extrémité de la canne passa à quelques centimètres de l’épaule de Yukina.

« Arts de la baïonnette — ! »

Elle frappa encore et encore.

« Croyez-vous vraiment que vous pouvez me battre au corps à corps ? Je fais partie du régiment spécial des mages d’attaque, vous savez ? »

Les attaques incessantes de Mikage Okiyama avaient progressivement repoussé Yukina sur la défensive.

Elle était d’une force inimaginable. En termes d’habileté brute au corps à corps, Mikage Okiyama surpassait de loin Yukina.

L’arme de l’utilisatrice de magie avait une portée inférieure à la lance de la chamane-épéiste, mais il était bien plus facile à manier dans des espaces confinés. Okiyama défia Yukina dans un combat d’attaques contondantes à bout portant pour tirer le meilleur parti de cet avantage. Yukina, qui était plus petite et moins musclée, ne pouvait pas prendre pied pour contre-attaquer.

« Cette lance est prétendument invincible contre les démons, mais contre un être humain comme moi, ce n’est rien d’autre qu’une arme de mêlée anachronique ! Et la vision spirituelle de votre chamane épéiste est inutile contre l’empiétement de Nod qui me recouvre ! »

« Argh… ! »

Mikage Okiyama heurta le corps de Yukina, qui fut propulsée en l’air. Pour Yukina, cela constituait toutefois une opportunité, car elle avait enfin obtenu l’espace nécessaire pour remettre sa lance dans une position correcte.

Alors qu’elle atterrissait, elle reprenait sa respiration et levait le visage. Elle vit alors Mikage Okiyama reculer d’un bond vers l’arrière. « Pourquoi ? » se demanda Yukina, confuse. Pendant cette ouverture momentanée, Okiyama donna un ordre à son golem.

« AC-2, ouvre le feu ! »

« Oh non ! »

Un instant après que Yukina eut touché le sol, les neuf têtes de l’hydre crachèrent des flammes en même temps vers elle.

« Yukii, baisse-toi ! »

Yukina étant figée sur place, Yuiri sauta devant elle. Elle balança sa longue épée d’argent vers le bas, déployant un pseudo-barrage spatial, mais l’attaque initiale de l’hydre brisa facilement cette barrière en morceaux.

Rosen Chevalier Plus ne pouvait plus être utilisée tant qu’il n’avait pas été rechargé en énergie rituelle. Yuiri rit sèchement, apparemment à ses dépens, tandis que l’hydre s’apprêtait à tirer une nouvelle salve.

« Nous ne l’éviterons jamais — »

Yukina et Yuiri poussèrent de petits soupirs en comprenant simultanément ce fait.

Un instant plus tard, l’hydre s’enflamma.

L’impact du canon du char d’assaut ébranla fortement le corps imposant du golem.

« Uu — ! ? »

Ce n’est ni Yukina ni Yuiri qui avaient été ébranlées par ce spectacle, mais Mikage Okiyama.

Un char robotique écarlate émergea de la forêt dense et verdoyante. Son canon principal avait frappé directement le golem de Mikage.

***

Partie 7

Une jeune fille à la coiffure extravagante, des jumelles à la main, sortit la tête d’une trappe et cria :

« Il l’a senti, celui-là, Tanker ! Donne-lui-en une autre ! »

« C’est par hasard que j’ai augmenté la puissance de feu ! »

Dès que le chargeur automatique s’arrêta, le pilote du char robotisé tira l’obus suivant. Simultanément, de nombreux missiles antichars ont été tirés depuis les nacelles situées à l’arrière du char.

Le corps imposant de l’hydre s’effondra en une multitude de fragments de métal épars.

La canne magique de Mikage Okiyama était un dispositif de sorcellerie qui permettait de transformer les armes modernes en bêtes démoniaques. La bête démoniaque ainsi créée héritait de la puissance offensive de l’arme dont elle était issue, mais sa résistance défensive n’était pas plus grande. Un vaisseau de combat conçu à partir d’un avion-cargo n’était pas assez solide pour résister à l’artillerie d’un char.

Le petit char robotique écarlate avait infligé une attaque unilatérale au golem. Le temps que le tank épuise tous ses obus, l’hydre n’était plus qu’un tas de ferraille au bord de la mort.

« Aiba ! »

Yukina resta un instant abasourdie, puis appela la fille au sommet du char, qui s’arrêta juste à côté d’elle et de Yuiri.

« Désolé d’être en retard, Himeragi. Où est Kojou ? »

« Il est — »

Yukina s’arrêta, maladroite, alors que ses yeux se tournaient vers le chevalier de bronze.

Azama, sans se soucier du golem détruit, regarda la fine pellicule de néant qui recouvrait encore le sol.

« Il a donc été avalé par l’empiétement de Nod ? Heh-heh. » Un garçon étranger, monté sur le char et semblant tout saisir du spectacle qui s’offrait à lui, se mit à rire d’un air amusé. Il avait un niveau d’énergie démoniaque anormalement élevé.

« Iblisveil Aziz, je suppose… et la prêtresse de Caïn. Dans un moment comme celui-ci… »

Azama dégaina sa lance et fixa le garçon.

Yuiri s’étonna et leva les yeux vers le garçon lorsqu’elle entendit le nom d’Iblisveil Aziz. Pour sa part, Yukina était simplement déconcertée. Elle connaissait bien sûr elle aussi l’infamie d’Iblisveil Aziz, le prince maléfique de la dynastie déchue. C’était un individu extrêmement dangereux, de la même trempe que Dimitrie Vattler. Elle n’arrivait même pas à comprendre comment un prince vampire aussi vil avait pu agir de concert avec Asagi Aiba.

« Capitaine Okiyama. »

« Oui, major. Je vais me débarrasser du char —. »

Azama et Mikage Okiyama avaient préparé leurs instruments de sorcellerie respectifs pour le combat.

Yukina et Yuiri se mirent également en garde. Même s’ils avaient perdu l’hydre, Azama avait toujours l’empiétement de Nod de son côté. Même avec l’aide d’Iblisveil, ils ne pouvaient pas se permettre d’être négligents.

Cependant, contrairement à l’antagonisme mortel qui opposait Yukina aux autres, Iblisveil affichait une expression douce.

Le prince-vampire montra les dents en regardant le vide laissé sur le sol. « Ne vous précipitez pas, sous-fifres du dieu pécheur, je ne suis pas votre adversaire. Pas encore, du moins. »

« Quoi… ! ? »

Le visage d’Azama était caché par le métal du casque de chevalier, mais Yukina savait qu’il s’était déformé sous l’effet du choc. Bien qu’il ait sans aucun doute renoncé à contrôler l’empiétement de Nod, celui-ci ne se dissipait pas, mais se resserrait lentement.

C’était comme si quelqu’un ouvrait une porte invisible.

L’énergie démoniaque qui surgissait des ténèbres n’était absolument pas celle de Glenda. C’était l’énergie démoniaque, bien plus féroce et malveillante, du plus grand vampire du monde.

« C’est dingue ! Un démon, un simple démon, aurait-il franchi la barrière de Nod par ses propres moyens ? »

Un écho de perplexité se mêla à la voix d’Azama. Pour lui, qui souhaitait soumettre Caïn, le Dieu du Péché, Nod était un monde qui rejetait l’existence de tout pouvoir surnaturel. Il était tout simplement impossible qu’un démon revenant de cet endroit existe. Même le Quatrième Primogéniteur ne pouvait faire exception à cette règle.

« Pourquoi es-tu si surpris ? Il y en a un qui est revenu de Nod avec succès. Un seul, dans un passé très lointain… », dit solennellement Iblisveil, déversant son mépris sur un Azama ébranlé.

Azama se figea, comme s’il était sous le choc.

« Vous ne pouvez pas dire qu’il a consommé les souvenirs de Caïn ? Une telle chose serait absurde — ! »

Devant les échos de la voix brisée d’Azama, les ténèbres se dissipèrent.

En même temps, un incroyable torrent d’énergie démoniaque émergea, révélant un couple : un garçon et une fille étroitement enlacés. Le garçon avait une expression extatique, la fille était petite et portait une parka ample.

« Senpai ! Miss Glenda ! »

« K-Kojou ! »

« Glenda ! Kojou ! »

Yukina, Asagi et Yuiri laissèrent échapper des exclamations surprises. Puis… L’énergie démoniaque qui surgissait des ténèbres n’était absolument pas celle de Glenda.

« Quatrième Primogéniteur !!! »

… Vêtu d’une armure de bronze, le chevalier du Dieu du péché rugit.

 

+++

« Yuiriiiiii ! »

« G-Glenda !? »

Avec une force incroyable, la fille aux cheveux d’acier bondit et Yuiri s’empressa de la rattraper.

Les fines cuisses de Glenda dépassaient du bas de la parka. Le visage d’Asagi tressaillit à cette vue.

« Qui est-ce ? Et pourquoi est-elle avec Kojou… ? ! »

« Oh, ces jambes sont en effet magnifiques. Un régal pour les yeux. »

Alors qu’Asagi était nerveuse, Lydianne laissait échapper des mots d’admiration.

Voyant les regards assidus des filles, Kojou poussa un soupir de lassitude. Il était heureux que Yuiri et les autres soient saines et sauves, mais la situation semblait également devenir problématique.

Alors que Kojou tenait bon comme si de rien n’était, le chevalier de bronze hurla d’un air malveillant : « Pourquoi, Quatrième Primogéniteur... Pourquoi le réceptacle vous a-t-il choisi… ? »

« Je ne sais pas vraiment de quoi tu parles, major Azama. »

Kojou avait choisi ses mots de manière à irriter Azama. Kojou ressentait enfin une véritable colère envers Azama, cet homme qui avait mis Glenda et les autres en danger en appliquant sa propre conception de la justice.

« C’est Glenda qui m’a sauvé. Tu as essayé de l’utiliser comme un outil, mais elle m’a prêté sa force de son plein gré. Peut-être qu’un type comme toi, qui tue ses propres hommes comme s’ils n’étaient rien, ne comprendrait jamais. »

« Comment un traître devenu démoniaque jusqu’à l’âme ose-t-il parler ainsi à… » Azama le regarda avec le plus grand mépris.

« Tais-toi, vieil homme. »

Sans tambour ni trompette, Kojou mit fin aux insultes d’Azama.

Kojou regarda le chevalier du Dieu du péché, furieux et désespéré, avec un regard glacé empreint de pitié.

« Tu as peut-être raison. Peut-être ce monde est-il déformé, comme tu l’as dit. Mais si changer le monde pour lui redonner sa forme est une bonne chose et que tes idéaux sont justes, pourquoi es-tu devenu un terroriste ? Ne te cache pas derrière un masque ! Trouve un moyen pacifique de rendre le monde tel que tu le souhaites, comme l’ont fait les Primogéniteurs avec le Traité de la Terre Sainte ! »

« Pourquoi les morveux... »

Même à travers son casque de chevalier, il était clair qu’Azama était furieux.

En le voyant, Iblisveil poussa un petit rire jubilatoire.

Les mots que Kojou avait prononcés avec tant de nonchalance avaient fait un grand trou dans l’esprit faible d’Azama. Il avait continué à détourner les yeux de la vérité, prétendant qu’il n’en avait pas conscience.

« Tu ne peux pas faire ça, et ça te rend plus bas que n’importe quel démon. Ça n’a rien à voir avec la race ou les capacités. Tu as perdu contre des démons pour des raisons de justice. Ce n’est pas le monde qui est tordu… C’est toi qui n’es pas capable de regarder la vérité en face ! »

Alors qu’Azama se taisait, Kojou fit un pas vers lui.

Le traité de la Terre sainte avait été conclu dans le but d’assurer la coexistence entre les humains et les démons, et c’est grâce au puissant soutien des Primogéniteurs vampires qu’il avait pu porter ses fruits. À une époque où les Purificateurs affirmaient que le monde ne pourrait être redressé que par l’extinction de tous les démons, c’est cette même alliance de démons qui avait montré au monde une voie possible vers la paix.

Dès lors, les Purificateurs n’avaient plus le droit de parler de justice.

C’est pourquoi ils sont considérés comme des terroristes et des criminels.

« Allez, mon vieux. Si tu continues à t’en prendre à Glenda au nom de la justice, c’est moi qui t’arrêterai ! À partir de maintenant, c’est mon combat ! »

« Kojou… Akatsuki ! » hurla Azama.

Une fois de plus, l’empiétement de Nod fut libéré de la plaque du chevalier. Une fois de plus, elle s’étendit sous le sol.

Mais alors qu’elle se transformait en lames tentant de transpercer Kojou, un éclair argenté stoppa net la fine pellicule de néant.

Entourée d’un éclat pâle, la lance de Yukina s’enfonça dans le sol aux pieds de Kojou.

« Non, Senpai. C’est notre combat ! »

Yukina avait stoppé l’avancée de Nod en atterrissant aux côtés de Kojou.

L’attaque souterraine du Chevalier du Dieu du Péché constituait une menace sérieuse, mais le fait d’avoir été prévenu lui permettait d’être anticipé. Depuis qu’Azama avait utilisé cette technique pour la première fois, il avait perdu l’élément de surprise.

« Désolé de t’avoir fait attendre, Himeragi. »

De sa propre initiative, Kojou s’excusa pour Yukina, pensant qu’elle devait être très inquiète. Cependant, le regard que Yukina lui lança était bien plus glacial que prévu.

« Tu as bu le sang de Miss Glenda, n’est-ce pas, Senpai ? »

La voix de Kojou devint stridente face au ton plat de Yukina.

Il n’aurait pas dû rester de traces révélatrices, mais Yukina s’en était apparemment rendu compte bien avant.

« Tu te trompes. Euh, je veux dire, tu n’as pas tort, mais à proprement parler, c’était à la fois Glenda et… Pas Glenda, donc… »

Yukina l’écoutait, indifférente aux méandres de l’explication limpide de Kojou. Puis, se plaçant à côté de Kojou, elle fit tourner sa lance d’argent.

« Vraiment ? Nous aurons alors une bonne et longue discussion à ce sujet. »

En entendant la déclaration silencieuse de Yukina, Kojou ressentit un petit sentiment de désespoir. Elle ne lâchera pas l’affaire, n’est-ce pas ?

Pendant ce temps, Mikage Okiyama se précipita aux côtés d’Azama, une canne à la main. « Major Azama — »

« Je vous confie le reste, capitaine Okiyama. »

Azama arrêta Okiyama avec des mots qui sonnaient comme ceux d’un homme sur le point de battre en retraite, puis pointa sa lance vers son propre cœur. La pointe se dirigea vers son sternum.

***

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Claramiel

Bonjour, Alors que dire sur moi, Je suis Clarisse.

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