Chapitre 30 : La vérité dévoilée
Partie 5
« Cela dit, on n’a pas beaucoup de temps. S’il s’approche des lignes défensives, il y aura des pertes massives même s’il est éliminé. Il faudrait se préparer à ce que Balmes soit partiellement détruite. Sans compter que sur la base de ce que l’on peut attendre, il est probable que plus de la moitié des Singles ne reviendront pas vivants. »
En apprenant que Balmes risquait d’être partiellement détruit, Holtal transpirait à grosses gouttes et était incapable de sortir un mot entre deux respirations irrégulières. Il avait gardé le silence par souci pour Balmes, mais il ne s’attendait pas à ce que ses actions mènent à cela. Il ne pouvait s’empêcher de trembler devant la bêtise qu’il avait commise en refusant de demander de l’aide.
Cependant, les officiels des autres nations étaient également secoués. Après tout, même en utilisant tous les magiciens à un chiffre, ils risquaient d’en perdre la moitié. Même s’ils sortaient victorieux, l’équilibre entre les humains et les Mamonos serait modifié, et ils seraient obligés de se concentrer sur la défense pour les années à venir. Non, il n’y avait même pas de garantie que ce ne serait que quelques années…
Les magiciens à un chiffre étaient indispensables à une nation. S’ils les perdaient, ils risquaient de ne pas en trouver d’autres de ce niveau pour le reste de leur vie.
Pourtant, même dans cette situation, Cicelnia arborait un sourire presque anormalement calme. « Mais Alus, votre exemple ne vous inclut pas, n’est-ce pas ? »
« … »
Elle avait pris son silence pour une confirmation et avait continué, « Vous seriez capable de l’éliminer, n’est-ce pas ? »
« Non, s’il devait dépasser la classe S, on s’entretuerait, alors… »
Berwick vit sa chance et interrompit Alus, essayant sans vergogne de faire croire qu’il venait seulement de se souvenir de tout ça. « Tu as éliminé de nombreux Mamonos de classe S en solo lors de la reconquête de Zentley. Tu ne perdras donc pas si facilement contre ça. »
Ses paroles avaient ébranlé les personnes présentes dans la pièce.
« Quoi ? C’est… ! »
« Il faudrait au moins un bataillon pour s’attaquer à une classe S ! Le faire tout seul n’est pas… »
Plusieurs personnes avaient élevé des voix dubitatives, trouvant cela difficile à croire, mais elles avaient vite perdu leur élan. Ils savaient que même s’ils avaient des doutes, soupçonner la vérité derrière ces déclarations reviendrait à rejeter leur seule possibilité.
Comme si cela représentait l’atmosphère de la pièce, un homme s’était tourné vers Alus. Dans ses yeux se lisait l’espoir sincère que ce qui avait été dit était vrai. Il hocha la tête et exposa son idée. « Alors, l’élimination ne serait-elle pas un succès complet si nous avions les huit chiffres uniques ? »
Les voix de soutien s’étaient succédé.
« C-C’est vrai, si nous formons la force la plus puissante de l’humanité… »
« Il faudrait aussi former une unité de soutien ! »
« Mais s’il est vraiment capable de terrasser des Mamonos de classe S à lui tout seul, pourquoi avoir gardé le secret jusqu’à présent… ? »
« Cela n’a pas d’importance ! Nous devons établir une chaîne de commandement et un quartier général pour la mission ! »
Les personnages clés des nations s’étaient salués d’un signe de tête, les yeux pétillant d’un nouvel espoir. Mais l’instant d’après, une voix avait jeté cet espoir dans l’eau froide.
« Qui a dit que je participais ? Désolé, mais je m’en passerai, » dit Alus d’un ton distant.
« V-Vous n’êtes pas sérieux !? » s’exclama Haorge, le souverain d’Iblis, bouillant de rage, alors que les autres participants étaient tout aussi étonnés par ce que venait de dire Alus.
Cependant, Alus ne leur avait pas prêté attention, et il avait semblé marmonner à lui-même comme s’il rassemblait ses pensées, « … Cela dit, si la Tour de Babel venait à s’écrouler, le précieux matériel académique des nations pourrait être mêlé aux batailles et détruit. Je suppose que je ne pourrais pas le supporter. »
Son murmure n’avait rien à voir avec la réponse furieuse qu’il avait reçue. C’était simplement lui qui donnait la priorité à ce qui était commode et bénéfique pour lui, d’un bout à l’autre.
On pouvait entendre le son de dents grinçantes. Sa réaction était incroyablement inappropriée en ce moment. On devrait faire tout ce qui est en son pouvoir pour le bien de l’humanité, et même mettre sa propre vie en jeu si nécessaire.
Les propos d’Alus différaient grandement de la résolution et de l’état d’esprit que chacun attendait des magiciens. Les dirigeants et les figures d’autorité avaient eu du mal à saisir son détachement. Sans parler de la gravité de la crise… Ils ne pouvaient pas le mettre dans le même panier que les magiciens ordinaires. Il était presque comme un élément étranger.
Comme Alus ne s’était pas excusé, ou n’avait pas montré de remords, des regards hostiles avaient commencé à être dirigés vers lui. Il semblait être sur le point de leur répondre calmement, mais ce ne fut pas le cas. Avec une expression froide, son regard les avait dépassés et avait dérivé sur le côté, passant devant et ignorant complètement Haorge, qui avait été le premier à élever la voix en colère. Ses yeux s’étaient arrêtés deux sièges plus loin.
Là, il vit Jean qui se tenait derrière la souveraine de Rusalca, Lithia. En temps normal, Jean aurait été exaspéré et aurait regardé le plafond, mais son côté sérieux remontait à la surface dans ce genre de situation, et il avait réussi à réprimer son envie avec seulement un tressaillement de la joue à la place.
La personne suivante à parler était Lithia elle-même. « Eh bien, Sire Alus. Serait-il possible de négocier votre participation en échange d’argent ? »
« … Lady Lithia, ne soyez pas stupide ! E-Excusez-moi. Mais un fier magicien à un chiffre n’a rien à voir avec un commerçant ! »
Alus avait répondu à Lithia, ignorant l’opinion franche que quelqu’un avait laissé échapper, « Dame Lithia, je ne suis pas intéressé par l’argent. »
« Alors qu’est-ce qu’il faudrait… ? » Le regard sérieux de Lithia avait une étrange attraction.
« Eh bien… » déclara Alus en affichant un sourire sarcastique, ayant réalisé qu’il était entraîné dans une négociation avec Lithia. Ou peut-être serait-il plus exact de dire qu’il y avait été guidé.
Lithia le regardait fixement, son expression étant la définition même du sérieux, bien qu’il y ait de la place pour le calme dans ses yeux. Ces yeux fermement fixés sur l’autre partie brillaient d’un sens des affaires qui était presque un gaspillage pour une souveraine. Un seul regard montrait clairement qu’elle avait une confiance absolue dans sa capacité à négocier quoi que ce soit.
C’est là que Cicelnia était intervenue. Elle avait pu le faire, étant du même statut que Lithia. « Mme Lithia, puis-je vous demander de nous laisser faire ? Alus est un magicien d’Alpha, après tout. » Il y avait un sourire sur son visage, mais sa bouche était cachée derrière son éventail. Lorsqu’il s’agissait de politique, elle gardait toujours son masque, il était donc rare de voir une telle démonstration de rivalité envers Lithia cachée à la vue de tous.
« C’est un timing parfait, » dit-elle. « Et si vous laissiez cette affaire entièrement à Alpha ? »
« … ! »
Les participants à la réunion avaient ouvert de grands yeux, et Alus lui avait lancé un regard noir comme pour lui demander ce qu’elle pouvait bien penser.
Cicelnia avait balayé son regard et s’était levée avec élégance. Elle s’était ensuite dirigée vers un Alus à l’air renfrogné et avait caché sa bouche derrière son éventail en lui murmurant : « Ça ne va pas être si terrible. Si vous n’êtes pas intéressé, dites-le simplement, mais il y aura une récompense… Je suis sûre que l’Œil de la Providence saura très bien stimuler vos pulsions de recherche. »
« … ! » Alus fronça les sourcils devant cette proposition quelque peu alléchante.
Voyant Cicelnia s’éloigner immédiatement, Alus se dit qu’elle n’attendait probablement pas de réponse de toute façon. Elle savait déjà qu’il n’avait pas d’autre choix que d’accepter son offre.
Rinne n’était pas présente à la réunion, mais l’œil magique qu’elle possédait serait sûrement d’une grande aide pour les recherches d’Alus. Sans compter que les yeux magiques étaient extrêmement rares, ce qui en faisait un champ d’études très intéressant.
Berwick, qui avait plus ou moins une idée du genre de marché que Cicelnia avait proposé, incita Alus à poursuivre. « Si tu n’acceptes pas, le Tournoi Amical de Magie devra, bien sûr, être annulé. »
Il n’avait pas fallu longtemps pour que quelqu’un critique Berwick. « Lord Berwick, qu’est-ce que vous dites !? Nous ne pourrions pas maintenir le tournoi malgré tout dans cette situation ! »
Berwick était bien conscient de l’irrationalité de son discours. Mais lui et Cicelnia savaient que c’était une carte précieuse à jouer dans les négociations avec Alus. Berwick avait promis une récompense plutôt convaincante si Alus contribuait à la victoire du tournoi, après tout. Si le tournoi était annulé, cette promesse partirait avec.
Toute personne dotée de bon sens ne pourrait imaginer qu’une récompense personnelle vaille la peine d’affronter la pire espèce de mamono, mais pour une raison inconnue, cela pesait sur la balance tordue d’Alus.
Profitant de l’hésitation momentanée d’Alus, Cicelnia s’était lancée dans la bataille. « En effet. Que le tournoi continue… c’est la condition pour qu’Alpha s’occupe de cet incident. Je promets, bien sûr, de prendre mes responsabilités et de faire éliminer le Dévoreur. Cependant, si vous n’êtes pas d’accord, Alpha n’enverra aucun de ses singles pour éliminer cette menace. »
« Petite morveuse, pour qui vous prenez-vous ? »
« Il y a deux options, » dit Cicelnia, ignorant la voix outragée de quelqu’un. « La première est l’élimination du Dévoreur sans Alus Reigin et Lettie Kultunca. L’autre est qu’Alpha s’en occupe seul avec Alus. Ce n’est pas que je sous-estime les magiciens de vos nations, c’est juste que je crois que la deuxième option est plus susceptible de résoudre ce problème. Vous êtes libres d’interpréter ceci comme le consensus d’Alpha. »
Après avoir entendu l’explication et l’analyse de la situation par Alus, il n’y avait vraiment qu’une seule option. Mais cela ne suffisait pas à faire taire les objections. C’est pourquoi Cicelnia avait décidé de faire un compromis. « Cependant, je suis sûre que cela ne suffit pas à dissiper vos inquiétudes. C’est pourquoi, en guise d’assurance, établissons une ligne défensive alors qu’Alpha fait son avancée. Et là, nous ferons se rassembler les six autres magiciens à un chiffre restants. »
Peut-être submergé par le discours ininterrompu de Cicelnia, personne n’avait soulevé d’objections. Au lieu de cela, il y avait des chuchotements inquiets.
« Cependant, si Sire Alus devait être dévo… non, s’il devait échouer à l’élimination… » L’homme qui chuchotait avait failli lâcher le mot « dévoré », mais il s’était empressé de se retenir.
Mais une autre voix s’était élevée. « Quand même, dire qu’il ne bougerait qu’avec les bonnes conditions… le magicien classé n° 1 est censé être le gardien de l’humanité, mais il est plutôt un mercenaire. »
« Ce ne serait pas étrange s’il l’était. »
« … !! »
C’est Berwick qui avait fait taire ceux qui ridiculisaient Alus. Il était ici en tant que gouverneur général d’Alpha et n’aurait pas toléré que l’on se moque du Single de sa nation, mais surtout, il savait quel genre de personne était Alus et il avait donc pris la parole pour le défendre. « Alus était à l’origine censé avoir pris sa retraite et vivre sa vie comme il l’entendait. S’il avait obtenu ce qu’il souhaitait, il serait un civil employé par l’armée. Pour le moment, il est toujours maintenu dans l’armée en tant que réserviste et… »
Alus avait écouté Berwick avec amertume. Prendre sa défense était une belle façon de le décrire, mais cela confirmait à nouveau à Alus qu’il était toujours un soldat.
« C’est pourquoi c’est la meilleure option qu’Alpha puisse offrir. Si Alus devait perdre, cela conduirait à la disparition non seulement de Balmes, mais de tout le domaine humain, j’en suis sûr. Mais une élimination sans lui n’aurait qu’une chance sur deux au mieux, et ce serait même fini si un Single était dévoré. Et ce n’est pas comme si nous évoquions cette question pour une simple comparaison de puissance de combat. »
Avec une passion rarement vue chez Berwick, il poursuit : « Il est vrai qu’il a réussi à éliminer des classes S il y a plusieurs années. Cependant, l’une des raisons pour lesquelles il y est parvenu est que son style de combat est unique et centré sur le déplacement seul. De plus, il n’y a aucune garantie que les Singles soient capables d’exhiber leurs pleins pouvoirs s’ils étaient tous réunis. »
Berwick s’était brièvement arrêté. Il ne mentait pas, mais ce n’était pas nécessairement la vérité — même si cela semblait s’additionner sur le papier.
Alus ne dégageait pas vraiment une atmosphère de coopération, mais heureusement, les souverains et les hauts fonctionnaires n’étaient pas rompus au combat. Les autres gouverneurs généraux présents pouvaient avoir des doutes, mais il était difficile d’émettre des objections claires sur la façon dont les choses se déroulaient.
« Compte tenu de la compatibilité entre les affinités et leur coordination, il y a de fortes chances que les magiciens ne puissent utiliser que la moitié de leur force. Nous n’avons pas beaucoup de temps, et à part notre propre Lettie Kultunca, Alus n’a pas le temps de se synchroniser avec les autres Singles. C’est pourquoi je pense qu’il serait préférable qu’une des nations qui possèdent deux Singles, Alpha ou Rusalca, envoie une force à elle seule. En comparant simplement les rangs, je suis désolé pour Rusalca, mais Alpha est mieux placé. En tout cas, celui qui est capable d’agir le plus rapidement pour résoudre cette situation n’est ni Balmes ni Iblis, mais Alpha. »
merci pour le chapitre