☆☆☆Chapitre 74 : Un pion libre
Table des matières
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Chapitre 74 : Un pion libre
Partie 1
Alus se dirigeait vers le palais en portant Lilisha.
Une fois qu’ils avaient dépassé le quartier du milieu, qui s’étendait sur la plus grande surface, ils pouvaient passer inaperçus. Le problème, c’est que la région suivante est celle où vivent les plus riches.
Le palais, situé près du lac qui entoure la Tour de Babel, était entouré de clôtures sur plusieurs kilomètres et des points de contrôle avaient été installés à des endroits stratégiques. Un code de licence était nécessaire pour chacun d’entre eux, et toute personne sans rendez-vous était refoulée et marquée pour être surveillée.
La sécurité du palais était assurée par un magicien de premier ordre, et une partie des forces de sécurité était composée de vétérans réemployés, ce qui rendait le palais aussi strictement surveillé que le quartier général militaire.
La question était de savoir comment percer tout cela.
« Tu n’as donc pensé à rien ? » demanda Lilisha, méprisante. « Tu as bien pris contact avant, n’est-ce pas ? »
Alus aurait voulu l’ignorer, mais la conversation n’irait nulle part s’il le faisait.
« Je ne peux pas me donner la peine d’aller aussi loin. De plus, elle a probablement déjà remarqué que nous sommes là. Si nous essayons de respecter les règles, nous serons tout simplement renvoyés », expliqua Alus en gardant le visage impassible. Mais il s’était calmé à la fin. « En fait, la sécurité est-elle aussi stricte d’habitude ? On pourrait croire qu’il y a une menace terroriste ou quelque chose du genre. »
« Il est impossible que le palais de la souveraine ne soit pas gardé ! En tant que numéro un, ne l’as-tu pas gardé toi-même ? Où est passé tout l’élan du début ? » demanda Lilisha.
« À part quelques fois où elle était hors du pays, comme pour la conférence des dirigeants, c’est Lettie qui s’en chargeait. Quoi qu’il en soit, ça va être compliqué de passer en force. »
Depuis un endroit caché, Alus et Lilisha observaient les formations défensives lorsque Loki s’interposa de force entre eux.
« Wow ! » s’exclama Lilisha.
« Madame Lilisha, je te prie de confirmer la situation sans t’accrocher ainsi à Sire Alus. Et nous aimerions éviter de nous battre dès le départ. »
« Ça ne va-t-il pas être difficile ? Le simple fait de percer est déjà un crime », marmonna Lilisha en cédant sa place à Loki.
En fait, les membres du grand public et les personnes sans affaires n’étaient pas autorisés à s’approcher du palais. Même en utilisant un portail circulaire, il était impossible d’y accéder sans un code spécial.
« Eh bien, essayons d’avancer comme d’habitude », suggéra Alus. « S’ils nous refusent l’accès, je n’aurai plus qu’à me frayer un chemin. »
« Wôw, ça me met incroyablement mal à l’aise… Même avec l’aide de Mme Loki, que vas-tu faire si quelque chose arrive ? » Lilisha arborait un sourire en coin et ne semblait pas trop mécontente de l’idée.
Mais il y avait des perles de sueur sur son front. Alus, conscient qu’il la poussait trop fort, ressentit le besoin de vérifier à nouveau sa brûlure.
« Je jette un coup d’œil. »
« Hein ?! »
Il se déplaça derrière elle et remonta sa chemise. Ce fut un manque de tact, mais même Loki ressentit le besoin de jeter un coup d’œil. Lilisha s’était donc recroquevillée, les yeux fermés, attendant qu’ils finissent d’examiner son dos exposé.
« Il y a une faible trace de mana », déclara Alus.
« C’est un peu chaud, mais ce n’est pas si grave que je ne puisse pas bouger », déclara Lilisha.
« Allons donc, nous ne connaissons toujours pas les principes ou les mécanismes, hein ? » répondit Alus. « En tout cas, nous devrions nous dépêcher de l’enlever. »
Soudain, Loki remarqua quelque chose. « Ah, donc tu ne portes pas de soutien-gorge. »
« Quoi ?! Eh bien, je suis enveloppée dans des bandages… Tu le sais bien. En fait ! Vous manquez tous les deux de tact ! » dit Lilisha.
« Je ne faisais que donner mon avis… c’était de la simple curiosité. » Loki répondit, sérieuse, ce qui fit tressaillir les joues de Lilisha.
Loki n’y prêta pas attention et laissa échapper un soupir. « Pourtant, pourquoi faut-il que tant de femmes se rassemblent autour de Sire Alus pour s’exposer si facilement ? »
« Tu es une petite… ?! Ne me mets pas dans le même sac que ces petites filles innocentes. Je ne vais pas me mettre à crier pour qu’on me remarque. »
« C’est un problème à part entière, n’est-ce pas ? En d’autres termes, tu es facile », dit Loki.
« Qui traites-tu de fille facile ?! Je suis comme les autres, à cet égard », répondit Lilisha.
« Je sais que tu essaies d’être subtil, mais je n’avais pas besoin d’un rapport sur ton statut. Tout ce que je dis, c’est que tu dois apprendre à être timide. »
« Qu’est-ce que c’est que ce bordel ?! »
Alus avait parlé froidement pour étouffer la dispute qui montait rapidement entre les filles, mais qui ne servait à rien.
« Dépêchons-nous. C’est bien que tu sois pleine d’énergie, mais nous ne savons pas quels seront les effets de la marque si elle interfère avec tes Mots fondamentaux. Il vaut mieux ne pas traîner. Tu as compris, Loki ? »
Sur ces mots, les trois individus quittèrent leur cachette et se dirigèrent vers le poste de contrôle avec nonchalance.
Plusieurs gardes se tenaient de chaque côté de la porte massive. La nouvelle se répandit parmi les gardes lorsqu’ils aperçurent Alus et les autres au loin. À mesure que le groupe d’Alus se rapprochait, de plus en plus de gens se rassemblèrent.
Finalement, le garde de tête les interpella. « Désolé, mais arrêtez-vous là. Vous êtes de l’armée, n’est-ce pas ? »
« C’est exact, » dit Alus.
« Les choses sont plutôt dangereuses de nos jours, c’est pourquoi nous aimerions commencer par vous fouiller. »
Trois gardes s’approchèrent et commencèrent à les fouiller.
« Qu’est-ce que c’est ? » demanda l’un d’eux.
« Hmm ? C’est un AWR normal. Je suis un magicien, donc ce n’est pas un problème », dit Alus.
« Ce n’est pas comme ça que ça marche. Aucune arme n’est autorisée à entrer dans le palais. Sur les ordres de qui êtes-vous ici et que faites-vous ? »
La fouille par palpation avait été effectuée loin de la porte, par prudence. Même s’ils avaient fait un geste, Alus et les autres n’auraient pas pu passer rapidement le poste de contrôle. Et alors que les gardes agissaient sans se préoccuper de rien, ils avaient un AWR à la taille.
« J’ai rendez-vous avec dame Cicelnia », dit Alus. « Pas d’ordre ni de rendez-vous. »
Pendant un instant, les gardes interrompirent leur fouille. Le garde qui contrôlait Alus se tourna vers les autres et leur fit discrètement signe de la tête. Les autres lui rendirent la pareille.
« D’où venez-vous ? » demanda le garde.
C’est à ce moment-là qu’Alus réalisa qu’il avait oublié de répondre à la question. Le garde parlait probablement du portail circulaire, la seule voie officielle menant au palais. Comme il l’avait contourné, il était normal qu’ils soient méfiants.
Les gardes de la porte vérifiaient rapidement le système de sécurité pour détecter d’éventuels dysfonctionnements. L’homme qui se trouvait en face d’Alus avait une main tendue à sa taille et l’autre tendue pour obtenir la licence de magicien.
« Loki, tu as apporté la tienne ? »
« Ah, j’ai oublié », répondit Loki d’un ton monocorde.
Lilisha tressaillit en voyant à quel point elle jouait bien la comédie. Il était clair qu’Alus et Loki n’avaient pas l’intention de s’en sortir pacifiquement.
En le réalisant, Lilisha se heurta à l’homme qui la contrôlait et laissa échapper un « Ah ! » en tombant de façon spectaculaire.
« Hé, qu’est-ce que vous croyez faire ?! » demanda-t-il.
« C’est ma phrase ! Où croyez-vous toucher ? » demanda Lilisha. « Qu’est-ce que c’est que ça ? Vous vous servez de cette recherche comme d’une excuse pour me tripoter ! Vous êtes le pire ! — Uhm, ah oui, en tant que secrétaire principale du gouverneur général, je ne manquerai pas de signaler cela aux autorités compétentes ! Maintenant, faites place ! »
« Attendez ! Qu’est-ce que vous… ? »
Lilisha s’indigna et se mit en marche vers le poste de contrôle. Loki s’en aperçut et éleva la voix à son tour.
« Quelle impudeur ! C’est un abus de pouvoir, et je ne resterai pas silencieuse à ce sujet ! » Elle donna un coup de pied sec à son garde et l’assomma.
Alus frappa du tranchant la nuque de son garde, puis suivit Loki et Lilisha. Le garde restant sortit son AWR et le brandit en l’air pour lancer une fusée éclairante, mais il fut facilement arrêté.
Loki se retourna et tendit la paume de sa main vers lui. L’instant d’après, l’électricité parcourut son corps. Ce n’était pas très puissant, mais il serait paralysé pendant un moment.
En voyant cela, les gardes du poste de contrôle réagirent rapidement. Un groupe de gardes était sorti du poste de garde.
« Alors, qu’est-ce qu’on fait ensuite ? » demanda Lilisha.
Alus répondit calmement : « Nous devrons simplement percer par la force. Je me retiendrai suffisamment pour les assommer. »
« Ha. Eh bien, je suppose que c’est mieux que d’en faire trop. Attends une seconde. » Lilisha empêcha Alus de faire son geste et s’adressa au groupe qui s’approchait.
« C’est un malentendu ! Ils ont utilisé la fouille par palpation comme excuse pour nous tripoter ! » déclara-t-elle. « Nous n’avons pas eu d’autre choix que de résister ! Nous aimerions déposer une plainte officielle au palais, alors s’il vous plaît, faites place ! »
« Qui pensez-vous qui tombera dans le panneau ? » demanda le garde.
Lilisha haussa les épaules. « Eh bien, je vous ai donné notre excuse, ou plutôt nos objections. D’accord, Alus, tu peux t’en occuper à partir de maintenant. Mais tout cela ne servira à rien si tu blesses quelqu’un sérieusement. »
Alus prit acte de ses paroles, puis s’avança pour prendre les devants. Il n’avait pas vraiment l’intention de les attaquer directement. Il devait simplement les empêcher de se mettre en travers de sa route.
Alus ne faiblit pas dans sa démarche alors qu’il se frayait un chemin à travers le groupe en brandissant toutes sortes d’AWRs. Il libéra suffisamment de mana pour contrôler toute la zone et geler la plupart des gardes sur place. Ils étaient des proies devant un prédateur.
Cependant, ces gardes étaient également des magiciens de haut niveau qui ne flancheraient pas devant n’importe quel attaquant, et certains avaient pu résister à la pression d’Alus et lui opposer une certaine résistance.
« Ne tenez pas trop longtemps. Je m’épuise à me retenir autant », dit-il en lançant un regard acéré aux quelques personnes capables de bouger, ce qui les fit pâlir et se figer à leur tour.
Malgré tout, un dernier homme, probablement le capitaine, se tenait devant lui et refusait de bouger. Il était évident qu’il était le plus fort à ce poste de contrôle.
Il maniait une épée et portait une armure typique. En tant que personne ayant probablement une certaine expérience du monde extérieur, il pouvait clairement sentir la puissance écrasante d’Alus.
« Quel que soit votre but, vous ne passerez pas sans permission », réussit à extirper le capitaine avec défiance.
Derrière, Lilisha applaudit en admirant son courage.
« En ce moment, je fais preuve de beaucoup de compromis avec la souveraine. Tu n’as aucune raison de le savoir, mais c’est elle qui a commencé. Je ne suis pas venu ici pour attaquer, mais si tu continues sur cette voie, je pourrais finir par devoir utiliser la magie. »
Cela signifie qu’un affrontement serait inévitable.
Mais même s’il avait des sueurs froides, le capitaine secoua la tête. « Cela va à l’encontre de mon devoir ! Peu importe qui vous êtes… Même si vous avez le niveau d’un magicien à un chiffre ! »
Alus rétrécit les yeux, impressionné. Malgré la pression écrasante, le garde refusa de bouger. Il était vraiment exemplaire.
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Partie 2
Cependant, la situation étant ce qu’elle était, Alus devint glacial et posa la main sur son AWR. C’est alors qu’une voix claire de femme brisa la tension. « Monsieur Alus, nous t’attendions. »
Alus regarda autour de lui et aperçut Felinella qui marchait avec élégance derrière les gardes.
Avant qu’il ne puisse demander la raison de sa présence, il aperçut l’assistante de la souveraine, Rinne Kimmel, avec elle. La situation le déconcertait.
Rinne regarda les gardes qui s’étaient effondrés. Elle se passa la main sur le front en signe d’exaspération et dit : « Vous êtes toujours aussi imprudent, Sire Alus. Capitaine, vous pouvez le laisser passer. Nous ne voudrions pas qu’il cause plus de dégâts. Cela ne ferait qu’alimenter les rumeurs selon lesquelles la garde du palais est insuffisante. »
« Compris ! » répondit le capitaine en saluant, une expression de soulagement apparaissant brièvement sur son visage.
« Merci pour votre service. » Alus exhiba nonchalamment son permis en passant devant le capitaine.
« Je savais que tu l’avais sur toi. Tu es vraiment le pire. » Lilisha s’exclama, mais Alus l’ignora. À côté d’eux, Loki avait également montré son permis en passant le contrôle.
« C’est tout simplement plus efficace de procéder de cette façon. Quand tu comprends le fonctionnement de l’armée, tu sais qu’ils vont simplement appeler leurs supérieurs et que tu finiras dans ce cas par être coincé pendant une heure. »
Lilisha sourit, mais elle n’approuvait pas les actions d’Alus. C’était une ruse que seuls ceux qui avaient vécu dans un monde difficile connaissaient. Même si Lilisha ne voulait pas prendre exemple sur lui, c’était une leçon qui valait la peine d’être apprise.
Voyant l’expression de Lilisha, Felinella s’adressa à elle. « Oh, Madame Lilisha. Vous vous sentez déjà mieux ? »
Felinella lui posa la question par inquiétude, en tant que son aînée, et Lilisha lui répondit avec un faux sourire. « C’est un plaisir de vous rencontrer, madame Socalent. Oui, je me sens mieux maintenant. Je vous remercie. »
Felinella avait vu clair dans son jeu, mais en aînée attentionnée, elle resta calme au lieu de s’énerver. « Je suis contente de l’entendre. J’étais vraiment inquiète, vous savez. Je suis aussi la surveillante du dortoir, alors je suis venue vous voir une fois alors que vous vous reposiez. »
« Je vois. » Lilisha donna une réponse standard, mais elle était perplexe face aux sentiments négatifs qui montaient en elle à l’égard de sa gentille aînée.
Mais elle n’avait pas eu besoin d’y réfléchir longtemps. Felinella Socalent. C’est une noble dame modèle jusqu’au bout des ongles, mais quelque chose me semble étrange, pensa-t-elle.
Elle avait le sentiment de se tromper, mais son cœur restait serré. Malgré sa méfiance, elle avait tout de même tendu la main pour serrer celle de Felinella, ce qui lui avait semblé encore plus étrange. Il lui était arrivé de répondre à une poignée de main, mais elle n’avait jamais tendu la sienne. Lorsqu’elle réalisa ce qu’elle faisait, Lilisha commença à retirer sa main avec amertume.
Il s’en est fallu de peu, pensa-t-elle. Cette personne est effrayante d’une autre façon…
Felinella avait une aura maternelle qui adoucissait naturellement le caractère têtu de Lilisha. En tant que noble, elle devait être douée pour manœuvrer les interactions personnelles, bonnes ou mauvaises. Et maintenant, sa bienveillance était dirigée vers Lilisha.
Lilisha, qui savait lire les expressions faciales, pouvait sentir que Felinella n’était pas seulement une noble dame modèle; elle avait aussi l’esprit ouvert.
« Enchanté de vous rencontrer, madame Lilisha. » Felinella enroula ses mains autour de celles de Lilisha, qui n’avait pas eu le temps de les retirer.
Elles s’étaient finalement serré la main, malgré la réticence de Lilisha, qui avait détourné le visage, comme pour échapper aux mains douces et à la chaleur de Felinella.
« Moi aussi… » répondit Lilisha, maladroite, comme quelqu’un qui cherchait à dissimuler son embarras.
Voyant cette interaction, Alus demanda depuis le côté : « Qu’est-ce que vous faites ? »
Lilisha devint instantanément rouge jusqu’aux oreilles et lâcha Felinella, même si, pour une raison ou une autre, elle avait envie de lui tenir la main pour toujours.
« Plus important encore, Feli, pourquoi es-tu ici ? » Alus poursuit en jetant un coup d’œil à Rinne.
« Pendant que je me renseignais sur Aferka, j’ai rencontré un problème et j’espérais t’en faire part », dit Felinella.
Avant qu’Alus ne lui fasse remarquer qu’ils pouvaient simplement utiliser la fonction d’appel de la licence pour cela, Felinella poursuit : « J’ai jugé qu’il serait préférable de te rencontrer directement. Je me suis donc arrangée avec Mme Rinne pour qu’elle t’attende ici. »
Elle avait souri de façon incompréhensible à Alus en présentant Rinne. Alus avait déjà rencontré Rinne auparavant. Elle l’avait déjà contacté pour rencontrer Cicelnia et ils avaient déjà travaillé ensemble dans le monde extérieur.
Qu’elle en soit consciente ou non, Felinella poussa doucement Rinne vers l’avant, malgré le fait qu’elle ne semblait pas vouloir s’impliquer.
« Vous n’avez rien à dire, Sire Alus », dit Rinne, réticente, en évitant de croiser le regard d’Alus. Contrairement à l’Œil de l’Alpha qu’il avait déjà vu, Alus trouvait cette version de Rinne plutôt maladroite et étonnamment mignonne.
« Il semblerait que je sois assez détesté », railla Alus. « Je n’ai pas l’intention de te reprocher quoi que ce soit, mais si l’on m’évite encore plus, j’ai l’impression que je vais perdre la chance de regarder dans tes yeux. »
« Alors, faites ce que vous voulez », dit Rinne. « Peu importe ce que vous demandez, je ne suis qu’un pion de toute façon. »
« Oh, un pion, c’est ça ? Tu es donc au moins consciente que tu te trouves sur le plateau de jeu de cette femme », dit Alus.
« C’était un lapsus », dit Rinne au bout d’un moment, les épaules affaissées, alors qu’elle fermait la bouche.
Felinella avait eu pitié d’elle et elle était intervenue. « Monsieur Alus, je comprends ce que tu ressens, mais s’il te plaît, ne brutalise pas madame Rinne. »
Alus voulut dire quelque chose, mais Rinne le devança. « Juste pour que vous le sachiez, je suis la plus vieille ici. »
Alus avait complètement ignoré sa déclaration avant de poursuivre : « Alors, comment connais-tu Mme Rinne, Feli ? »
« Par le biais d’une certaine correspondance », répondit Felinella. « Ce n’est pas comme si nous étions de vieilles connaissances, mais nous sommes récemment devenues amies. Elle a beaucoup de difficultés, alors je peux compatir à sa situation. »
« Alors, une dame plus âgée qui travaille au palais se plaint auprès d’une élève plus jeune. Qu’est-ce que c’est que cette histoire d’être la plus âgée déjà ? »
« Sire Alus, un homme ne devrait pas trouver de fautes dans une discussion entre femmes. D’ailleurs, je n’ai que peu parlé avec la petite Felinella en venant ici », répondit Rinne.
« S’il te plaît, je t’ai dit d’arrêter d’ajouter “petite” à mon nom. »
Felinella et Rinne semblaient avoir formé un lien presque instantané, et leurs voix rebondissaient l’une sur l’autre en harmonie, comme si elles étaient deux écolières.
Alus n’avait jamais vu quelqu’un parler à Felinella de cette façon. C’était presque aussi rafraîchissant qu’inattendu. En remarquant son regard, elle eut l’air un peu timide.
C’est Loki, qui se sentait mise à l’écart, qui décida de briser le calme en abordant un sujet plus important. « Madame Rinne, pourrons-nous rencontrer la souveraine après cela ? »
Il n’en fallait pas plus pour ramener tout le monde à la réalité.
En tant que collègue observatrice, Loki devrait normalement faire preuve de plus de respect envers l’observateur classé numéro 2.
Rinne salua Loki et attendit qu’elle lui rende la pareille avant de prendre la parole. « En effet. Dame Cicelnia a déjà donné l’ordre de laisser passer Sire Alus au palais. »
« J’en étais sûr », répondit rapidement Alus.
Il savait déjà que c’était vrai, et que c’était la raison pour laquelle Rinne était là. Il savait qu’il était impossible de se cacher à l’Œil de la Providence et il avait remarqué qu’ils n’avaient rencontré personne d’autre depuis qu’ils avaient quitté le poste de contrôle.
Le palais était le centre de la politique d’Alpha et ne dormait jamais. Il était donc irréel que la surveillance autour du palais soit aussi laxiste.
« Mais, madame Rinne, tu comprends, n’est-ce pas ? » demanda Alus. « J’ai été plutôt indulgent avec ses bêtises, mais cette fois, elle a dépassé les bornes. La suite dépendra de la réponse de Cicelnia… »
« Bien sûr. Mais je crois que parler directement à Dame Cicelnia vous aidera à comprendre. » Rinne baissa les yeux et lui transmit solennellement quelques paroles pleines d’espoir.
« Je n’en suis pas si sûr. Comme je l’ai déjà dit, je préfère ne pas me brouiller avec toi. »
« Cela va dans les deux sens, Sire Alus. Il est rare que quelqu’un s’intéresse à mes yeux magiques. Sans parler de toutes les contributions que vous avez apportées en tant que chercheur. J’aimerais donc vous demander d’être gentil », dit Rinne en s’inclinant profondément devant Alus.
Après une longue pause, elle releva la tête, affichant l’expression neutre et parfaite d’une aide de camp. Alus eut du mal à lire quoi que ce soit dans ce sourire compliqué.
« Enfin bref, je n’ai qu’une seule affaire à régler. Je suis sûr que tu comprendras aussi, madame Rinne. » Alus dirigea son regard vers Lilisha qui se contenta de fixer Rinne d’un regard doux et d’acquiescer.
« Alors, allez-y, s’il vous plaît », dit Rinne en ouvrant un grand ensemble de portes qu’ils venaient d’atteindre.
La salle du trône se trouvait devant eux, majestueuse, luxueuse, mais aussi empreinte de sérieux. C’était la salle où l’on conférait les pairs et les récompenses. D’épaisses colonnes bordaient la pièce et un tapis cramoisi recouvrait le sol. Le décor était démodé, mais la pièce était un aboutissement pratique de la dignité.
« Bienvenue, Alus. » Assise sur le trône, Cicelnia, toujours aussi belle, l’accueillit avec un sourire dubitatif.
Les gens l’appelaient une déesse vivante et une messagère des cieux, car elle était d’une beauté incomparable. Ses longs cheveux noirs et lisses descendaient le long de ses épaules, brillant comme un miroir.
Face à cette beauté, Lilisha baissa la tête et se mit à genoux. Felinella fit de même.
Garder la tête basse devant le souverain était un vestige du passé, lorsque personne n’osait regarder le visage royal sans permission. Aujourd’hui, il s’agissait plutôt d’un rituel formel.
« Quoi ? Vous voulez que je vous dise de lever la tête ? » Cicelnia, connue pour être une souveraine amicale, en avait assez de cette vieille tradition. Elle soupira et regarda Rinne.
Voyant l’aide acquiescer, elle se résigna.
« Oui, oui. S’il vous plaît, levez la tête », dit-elle. « Il s’agit d’une étiquette vraiment dépassée. Maintenant… Felinella Socalent, une visite de la famille Socalent est à la fois rare et inattendue. »
« Je suis honorée d’obtenir une audience avec Votre Altesse. » La voix claire et digne de Felinella résonna dans la pièce. Elle donna une réponse noble et parfaite, calme et courtoise, sans trahir la moindre émotion.
« Oh, vous êtes assez jolie pour me rendre jalouse. Si je me souviens bien, vous êtes étudiante au deuxième institut de magie, tout comme Alus. »
Sentant la formulation légèrement conflictuelle de Cicelnia, Felinella baissa les yeux, comprenant que des tractations politiques avaient commencé. « Oui, c’est un privilège d’être proche de Monsieur Alus. Il nous arrive de partager la même table à l’heure du déjeuner. »
Les coins des yeux de Cicelnia tressaillirent à cette mention.
« Cependant, n’est-ce pas un peu imprudent pour une fille noble, surtout la fille du célèbre seigneur Socalent ? » demanda Cicelnia, en utilisant sa formule de prédilection pour s’adresser au père de Felinella.
Cicelnia poursuit : « Votre famille constitue l’un des piliers de cette nation. La fille de cette famille qui se rapproche plus que nécessaire du plus grand magicien de la nation provoquera des spéculations indésirables de la part des autres. »
Cicelnia conseillait implicitement à Felinella de ne pas perturber la société noble sans raison. Mais le même conseil pourrait être donné à Tesfia, qui faisait partie de la famille Fable, une autre des trois grandes familles nobles.
☆☆☆
Partie 3
Les paroles de Cicelnia semblaient davantage basées sur des sentiments que sur de bons conseils. Alus entendit les échanges verbaux et comprit qu’une querelle se préparait à propos d’une futilité, mais il ne parvint pas à déterminer de quoi il s’agissait exactement.
Pendant ce temps, Felinella ripostait sans faiblir.
« Avec tout le respect que je vous dois, nous sommes une famille établie depuis la génération de mon père, un arriviste de bas étage, si vous voulez. En tant que tel, mon père m’a dit à plusieurs reprises que si mes paroles étaient jugées indignes de la noble société ou si ma position créait des conflits ou des restrictions inutiles, il abandonnerait humblement sa position. »
Vizaist était prêt à renoncer à son titre de noble si cela risquait d’entraver l’avenir de sa fille, et il ne bluffait pas. Alus avait déjà entendu quelque chose de similaire de la bouche même de Vizaist. Il ne maintenait sa position que parce que Felinella rejoindrait un jour l’armée en tant que magicien.
C’était un parent attentionné s’il en est.
« Ha ha, votre courage de dire cela devant la souveraine est louable », dit Cicelnia. « Normalement, ce n’est pas une qualité que l’on peut louer, mais il n’y a personne ici qui le qualifierait d’insolent. Cependant, le seigneur Socalent est vital pour l’armée et doit au moins avoir un titre de noblesse. Je comprends votre détermination, mais vous feriez mieux de vous demander s’il est vraiment sage de suivre simplement vos propres désirs. »
L’atmosphère changea lorsque Cicelnia eut fini de parler. Elle fixait Felinella, une lueur acérée dans les yeux.
Felinella releva la tête, imperturbable. « Je ne vois aucune raison d’y penser. Le simple fait d’être ici avec Monsieur Alus est la plus grande preuve de ma détermination. »
C’était comme si Felinella et toute la famille Socalent déclaraient qu’ils resteraient aux côtés d’Alus durant toute cette série d’événements.
Malgré la déclaration audacieuse de Felinella, Cicelnia resta impassible.
Puis, Cicelnia rétrécit les yeux, regarda Felinella et déclara d’un ton glacial : « Apprenez à vous tenir à votre place. Vous allez trop loin. »
Elle posa son coude sur l’accoudoir du trône, planta sa joue dans sa main et fixa Felinella. Après un moment, elle expira bruyamment et fit semblant de changer de position pour s’appuyer sur son trône.
« Vous dites des choses scandaleuses malgré votre joli visage. Bon sang, cette personne insociable est sûrement pécheresse », dit Cicelnia en cachant son visage derrière un éventail pliant.
Dans leur petite guerre des mots, une chose était devenue claire pour Cicelnia. Malheureusement, Felinella Socalent n’avait pas seulement des nerfs d’acier; c’était aussi une « jeune fille » qui se tenait sans aucun doute aux côtés d’Alus. Elle n’était qu’un pion inutile dans les plans de Cicelnia. Et ses sentiments pour Alus risquaient de poser problème.
À travers les interstices de son éventail, Cicelnia regarda également derrière Alus. La fille aux cheveux argentés, Loki Leevahl, se tenait là.
Cicelnia avait des informations sur Loki; elle ne la considérait donc pas comme un gros problème. Toutefois, d’après son comportement lors de la brève guerre des mots, c’était encore une autre « jeune fille ».
Bon sang… C’est plus qu’un péché. C’est un péché mortel, je le dis, pensa Cicelnia en regardant Alus.
Il avait montré une réaction différente.
Il a l’air inconscient, comme toujours, pensa Cicelnia. Il ne s’agit pas d’une simple histoire légère sur un séducteur invétéré.
Pourtant, l’entêtement de Felinella lui pesait. Cicelnia, elle aussi obsédée par Alus, ou plutôt par son pouvoir, ne pouvait pas prendre en compte cette variable.
Cicelnia remarqua qu’une autre fille était arrivée et se ressaisit. Lorsqu’elle regarda Lilisha, le coin de ses lèvres se releva légèrement. Il n’y avait pas que des erreurs de calcul.
Il y a beaucoup de choses à prendre en compte, mais plus le pari est grand, plus le plaisir est grand, pensa-t-elle. Et il vaut mieux les laisser pour la fin. Eh bien, la première sera Felinella Socalent. Je devrais lui donner une bonne tape à cette jolie petite étudiante.
Le tournoi amical de magie des sept nations avait prouvé que Felinella était l’une des élèves les plus fortes de l’institut. Et même si elle est la fille de la famille Socalent, il ne serait pas très amusant que la dirigeante ait simplement le dessus dans une guerre de mots à cause de tractations politiques.
Les sentiments d’une jeune fille étaient en jeu.
Mais Felinella était franche et ouverte sur ses sentiments. Elle n’hésitait pas non plus à les exprimer, les utilisant comme une arme face à Cicelnia.
Felinella voulait simplement rester aux côtés d’Alus pour pouvoir un jour l’aider. Quoi qu’il en soit, Cicelnia n’avait pas l’intention de jouer dans le même camp.
Je n’ai pas les qualités d’une jeune fille. Pourtant, c’est excitant de vivre quelque chose de nouveau, pensa la souveraine. Je ne sais pas ce que cette fille pense de mes sentiments, mais elle a pris l’initiative de me mettre en échec.
Cicelnia savait que considérer tout comme un jeu était l’une de ses mauvaises habitudes, mais elle ne pouvait s’empêcher de trouver cette réaction inattendue amusante. Secouant la tête, elle combattit l’envie de jouer avec les sentiments sincères de la jeune fille pour son propre plaisir.
Ce serait méprisable. Cicelnia se surprit alors à éprouver de l’affection pour la jeune fille qui se tenait devant elle.
« Eh bien, peu importe. Mais revenons au sujet du dîner avec Alus, au vu et au su de tout le monde », dit-elle en laissant une pause significative.
Felinella profita pleinement de l’ouverture. « Oh, il n’y a rien d’étrange à cela. Après tout, que Monsieur Alus le veuille ou non, il a tendance à se faire remarquer. Je suis simplement concernée en ma qualité de personne qui comprend sa situation et de responsable de l’Institut. Ou peut-être dois-je même obtenir l’autorisation du gouverneur pour cela… »
Cicelnia n’avait pas négligé le ton acéré de Felinella. « Oui, c’est vrai. C’est nécessaire. »
Pendant un moment, Felinella n’avait rien dit. Elle n’arrivait pas à croire que la souveraine avait prononcé ces mots sans sourciller, et en présence d’Alus. Il était notoire qu’il détestait qu’on cherche à le contrôler ou à le contraindre.
Cicelnia avait dit ce qu’elle avait dit malgré tout. Même si elle s’attendait à ce qu’il rechigne à lui demander la permission, il y avait des choses sur lesquelles elle ne transigerait pas.
Cependant, Cicelnia s’était contentée de sourire, amusée par la réaction de Felinella.
« N’y prêtez pas attention », déclara-t-elle. « Ce n’était qu’une blague. Alus est un individu avant d’être le premier magicien de la nation. Je ne serais pas si déraisonnable. Et il fait toujours un travail remarquable, même si je le pousse à faire l’impossible. Je crains qu’il ne me déteste secrètement. » Avec un sourire chagrin, Cicelnia poursuit doucement. « Ah, tout ceci n’est que moi qui parle toute seule, alors ne faites pas attention à moi, s’il vous plaît. »
À ce moment-là, Felinella commença à envisager d’abandonner. Elle n’aimait pas le chaos, mais en tant que noble et étudiante d’honneur, elle ne pouvait pas ignorer complètement la volonté de Cicelnia.
Cicelnia avait dit qu’il fallait sa permission pour dîner avec Alus. Elle dirait bientôt que c’était une plaisanterie, mais cela avait donné à Felinella un aperçu de l’esprit de la souveraine.
Ce regard montrait que la souveraine, d’une beauté immense, se souciait d’Alus. Même si Felinella n’avait pas l’intention de céder en ce qui concernait ses sentiments, en tant que noble sous l’autorité de la souveraine, elle savait qu’agir de façon têtue et inflexible n’était pas une option.
Felinella finit par accepter une sorte de cessez-le-feu, comprenant mieux comment la tromperie alimentait l’armée et le gouvernement central de la nation. Elle ne pouvait s’empêcher de ressentir un manque de pouvoir.
« Je comprends ce que vous dites », répondit Felinella au bout d’un moment. « S’il vous plaît, ne vous inquiétez pas pour ça. Monsieur Alus n’est pas si terrible. »
Ces paroles n’étaient que de pure forme, mais elle faisait de son mieux pour paraître aussi respectueuse que possible. Elle s’efforçait toujours d’agir comme une dame convenable devant Alus.
La situation était réglée pour le moment, mais Rinne était la seule à avoir perçu la conversation apparemment décontractée entre les deux. Alus et Loki n’avaient saisi que la moitié des nuances et Lilisha avait le cœur qui battait la chamade depuis le début.
Aferka avait autrefois été sous le contrôle direct du dirigeant précédent et était donc plus touchée par leur influence. Lilisha était donc hypersensible aux intentions du souverain. En observant la scène, Lilisha avait reculé de peur, voulant se prosterner devant la souveraine et s’excuser pour l’impolitesse de son amie.
À l’opposé d’elle, Alus fit un pas en avant vers Cicelnia sans se soucier de rien. S’il ne comprenait pas ce qui se passait sous la surface de leur échange, il savait qu’il avait dû marquer une pause.
Alus se montra énergique. « Tu sais pourquoi je suis ici. »
« Quel accueil, Alus ! Cela fait combien de temps que tu n’es pas venu au palais de ton plein gré ? Si je me souviens bien, tu n’as même pas assisté aux cérémonies de remise de prix… Cela fait donc un bon moment, maintenant », dit Cicelnia en essayant de paraître distante.
Alus n’allait pas la laisser jouer avec lui. Il poursuivit d’un ton froid : « Je n’ai pas de temps à perdre en conversations futiles. » Il n’y avait probablement personne qui pût battre Cicelnia dans l’art de la communication manipulatrice, avec ou sans mots. Alus considérait cela comme une action préventive pour l’empêcher de prendre l’initiative.
« Tu penses vraiment pouvoir feindre l’ignorance après m’avoir impliqué de la sorte ? » dit-il. « Ne me regarde pas de haut. »
« Wow… Ne crois-tu pas que tu es un peu trop sévère ? » répondit Cicelnia. « Ce n’est pas comme si je voulais te mettre en colère. J’ai mes propres circonstances à prendre en compte, et tu refuserais de toute façon si je te demandais ta coopération. »
« Bien sûr que je le ferais. Tu as même pris les devants et utilisé Berwick pour cela. »
« Oh, tu as déjà tout compris. Je suppose que je devrais m’excuser, alors. Je suis désolée, Alus. » Cicelnia baissa la tête, mais resta assise. Ce geste peu sincère n’était qu’une formalité et elle ne feignit même pas d’avoir l’air coupable.
« Je suis content que tu comprennes ce qui me préoccupe. Penses-tu que c’est suffisant pour que je me sente soulagé ? » demanda Alus.
Cicelnia haussa les épaules. « Oh, ce n’est pas assez ? Ne sois pas si morose, d’accord, Alus ? — Oh, je suppose qu’il n’y a rien à faire. Veux-tu entendre les détails de mon plan ? »
« Oui, je ne veux plus être mêlé à tout ça », dit Alus. « Mais ce serait pénible si tu continuais à éluder les détails, alors je vais aller droit au but et te demander ce que je veux savoir. »
« Je sais déjà ce que tu cherches, alors laisse-moi te donner la réponse. Il s’agit de madame Lilisha, n’est-ce pas ? » Cicelnia retroussa les lèvres en un sourire et claqua des doigts, faisant signe à une nouvelle personne d’entrer dans la pièce.
Le bruit d’une canne tapant contre le sol retentit, puis une femme âgée, vêtue d’habits démodés, entra.
« Madame Miltria ?! » Lilisha poussa un cri, les yeux écarquillés, lorsqu’elle aperçut la femme pour la première fois. Mais sa surprise se transforma rapidement en nostalgie.
Alus n’était pas particulièrement surpris en répétant le nom dans sa tête. Miltria… Miltria Tristen ?
Il se remémora rapidement ce qu’il savait d’une personne qui correspondait à la description. S’il se souvenait bien, son nom était apparu sur une liste de chercheurs en magie de premier plan. Elle avait notamment avancé des théories sur l’unification des groupes et la parallélisation des formules.
Il fixait avec vigilance la femme âgée qui souriait doucement à Lilisha.
☆☆☆
Partie 4
« Je t’ai causé des ennuis, Lilisha », déclara la femme.
« Non… Tout ça, c’est à cause de mes propres manquements ! » Lilisha répondit. « J’ai été une disciple terrible, et maintenant je suis expulsée de la famille. Et parce que vous m’avez protégée, votre position et votre statut… »
« Ce n’est pas à toi de t’en préoccuper. Il était temps pour ces vieux os fatigués de prendre leur retraite. Et je n’étais pas d’accord avec le chef actuel. »
À la suite de cet échange, Alus comprit le genre de relation qui liait la jeune fille et la vieille femme, mais il ne put s’empêcher de se montrer méfiant face à cette apparition soudaine.
Pendant ce temps, Cicelnia tendit sa paume retournée pour faire les présentations.
« Madame Miltria, présente ici, est une grande précurseure que j’ai fait venir avec un traitement spécial. Elle est l’ancienne sorcière et la conseillère actuelle d’Aferka. Dans le passé, elle était leur commandante en chef. »
« Ha ha ha, je ne suis plus qu’une vieille sorcière. Et m’appeler “commandante” est un peu trompeur », dit Miltria. « Autrefois, Aferka était dirigée par deux personnes. À l’époque, il y avait tellement de travail à faire… »
Miltria semblait sur le point de se remémorer le bon vieux temps, mais Cicelnia l’en empêcha. « Pas de longues histoires, s’il te plaît. »
Après avoir acquiescé, Miltria fixa Alus du regard. « Je suppose que vous êtes Alus. Vous avez l’air plutôt fringant. Je comprends pourquoi Lilisha s’est prise d’affection pour vous. »
« Hein ?! — Je… je ne sais pas vraiment… » Lilisha s’exclama avec surprise.
Avec un doux sourire, Miltria secoua la tête en direction de la jeune fille. « Lilisha, tu n’es peut-être pas une disciple officielle, mais cette sorcière n’est pas sénile au point de ne pas voir à travers ton cœur. Moi aussi, je vois clair dans ta situation. Ce n’est pas comme si les rumeurs liées à Aferka ne me parvenaient pas en tant que conseillère. »
« Oh… » Lilisha marmonna, en guise de réponse.
Miltria se tourna vers Alus. « Hmm, c’est donc bien Alus ? J’ai entendu dire que vous fréquentiez l’institut de Cisty. Dire que Cisty est en position d’enseigner aux jeunes ! Le temps passe si vite ces derniers temps. L’autre jour, elle est venue me rendre visite… En parlant de ça, je suppose que Cisty est la condisciple de Lilisha. »
Alus se contenta de plisser les yeux à cette révélation. C’est à ce moment-là qu’il comprit que cette femme âgée était la source d’informations de Cisty. Il n’est pas étonnant que Cisty ait découvert les activités d’assassin de Lilisha.
Lilisha en fut également surprise. « La directrice est votre… ? »
« Oui, c’est pour cela qu’elle a hérité du pseudonyme de Sorcière », expliqua Miltria. « Comme l’a dit la souveraine, c’était mon titre dans le passé. Eh bien, c’est une jolie petite apprentie à part entière. Tu es moins douée pour la magie, c’est pourquoi tu as été formée différemment, Lilisha. »
« Je vois… »
« Il est important de tenir compte des aptitudes d’une personne lorsqu’on enseigne », poursuit Miltria. « Mais cela mit à part, je vous ai aussi causé beaucoup d’ennuis, Alus, alors je suis désolée. Et je vous remercie d’avoir sauvé cette enfant. »
« Si vous parlez de ce qui s’est passé au domaine des Fable, ce n’est que le cours naturel des choses. Sans compter que votre disciple, la directrice, m’a complètement mené en bateau, même si c’était en partie par choix », dit Alus.
« Ha ha ha, est-ce donc ainsi ? Il semblerait donc que vous ayez aussi sauvé Cisty, d’une certaine manière. Ce qui voudrait dire que mes deux disciples ont une dette envers vous. Lilisha est comme une petite-fille pour moi… Il se trouve qu’elle est malchanceuse à bien des égards. »
Même si elle n’avait été qu’une mentore temporaire pour Lilisha, Miltria considérait la jeune fille comme sa petite-fille et éprouvait des sentiments contrastés à ce sujet.
« Il n’y a pas besoin de me remercier. C’était juste le résultat naturel », répondit Alus. « Est-ce que ça suffit ? Parce que j’aimerais continuer. Comme vous êtes l’ancien dirigeant d’Aferka, ce sera rapide. Vous en savez plus que nous, sur la marque de la malédiction, n’est-ce pas ? Alors, pourquoi ne pas commencer par examiner l’état de votre disciple préférée ? »
Miltria hocha la tête, sérieuse. Cicelnia n’avait probablement pas invité Miltria à soigner Lilisha, mais il semblait que la supposition d’Alus était la bonne. Il ne fallut qu’une brève explication pour qu’Alus fasse signe à Lilisha de venir s’asseoir sur la chaise en face de Miltria. Lilisha se tourna vers le dossier et s’assit.
Miltria avait une idée approximative de l’état de Lilisha rien qu’en la regardant, mais elle tendit la main et toucha le vêtement de la jeune fille avec ses mains ridées.
Alus se demandait quel diagnostic elle allait poser. En tant qu’ancienne responsable d’Aferka, Miltria pouvait savoir comment supprimer entièrement la marque de malédiction. Alors qu’il l’observait avec intérêt, Lilisha lui lança un regard noir.
« Hé ! Si tu continues à regarder, tu vas tout voir », dit-elle en pointant son doigt dans une autre direction, espérant qu’il se détourne.
« Si tu veux, je peux me couvrir les yeux », dit Alus.
« Pas assez ! » cria-t-elle.
S’il désobéissait davantage, Alus risquait de se faire un ennemi de toutes les femmes présentes. Il se tourna vers la droite et regarda la jeune fille aux cheveux argentés.
Il ne savait pas exactement ce que signifiait le silence de Loki, mais il ressentit une pointe de culpabilité lorsqu’elle soupira ouvertement. Elle voulait sans doute qu’il lui dise d’être plus raisonnable, et il avait l’impression qu’un cours sur le cœur des femmes l’attendait plus tard.
« Hmm, c’est donc une marque de malédiction ? Ce n’est pas une forme de magie, n’est-ce pas ? »
Lorsque Cicelnia prit la parole, Alus commença à se tourner vers elle, mais Loki lui maintint de force la tête immobile. Alus lui répondit donc sans la regarder.
« J’ai pensé que tu serais le mieux placé pour le savoir. C’est la marque du paria qu’Aferka a placée sur Lilisha. »
À l’écoute de ces paroles, il y eut un sursaut. Cicelnia avait évité de penser à ce qui était arrivé à Lilisha et c’était la première fois qu’elle entendait parler de cette marque de malédiction. Cicelnia avait peut-être reçu une éducation protégée, mais elle n’était pas du genre à se laisser ébranler par n’importe quoi. Cette marque était si mauvaise qu’elle en avait frémi.
« J’étais au courant, mais je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi grave », marmonna Miltria.
« Tu comprends maintenant, Cicelnia ? » demanda Alus. « Nous sommes ici pour enlever la marque de malédiction de Lilisha. Comme Aferka travaillait pour le souverain, je me suis dit que tu pourrais nous renseigner à ce sujet. »
Cicelnia répondit lentement : « Je ne sais pas. Je n’ai jamais rien reçu au sujet d’Aferka de la part de mon prédécesseur. Je ne leur ai jamais donné d’ordres directs. »
Cicelnia était devenue souveraine à un jeune âge, lorsque son père, le souverain précédent, était décédé des suites d’une maladie. « Mais je comprends pourquoi tu penses que je suis au courant. — Miltria, et toi ? »
« Hum, si la marque de malédiction s’est autant répandue, tu dois vraiment l’avoir rejetée », dit la sorcière.
Lilisha n’avait rien répondu. Elle baissa la tête et tenta de retenir ses larmes.
Elle s’était toujours efforcée d’appartenir à Aferka, mais en fin de compte, elle en avait été rejetée. Et c’est précisément ce rejet qui a provoqué la propagation de la marque sur tout son dos. Elle avait l’impression que son moi intérieur avait été mis à nu, mais elle avait aussi acquis une meilleure compréhension d’elle-même.
Elle avait tué pour que son frère la reconnaisse, malgré sa propre volonté. Mais cette volonté était toujours là. Sinon, elle serait morte au domaine des Fable, comme son frère l’avait ordonné, et la vérité n’aurait pas été un choc pour elle.
En réalité, ce n’est pas qu’elle ne pouvait pas répondre aux attentes, mais plutôt qu’elle n’avait pas pu devenir une véritable membre d’Aferka.
Mais maintenant, elle n’était plus si faible qu’elle ne pouvait que trembler. Lilisha leva les yeux vers son mentor et, d’une voix forte, elle parla. « Oui. »
Miltria regarda Lilisha comme elle le ferait pour un petit-enfant. « Je vois, je vois. Tu as fait de ton mieux. Laisse-moi le reste. »
Selon Miltria, la puissance de la marque de malédiction est influencée par l’état mental de la personne marquée. Lorsque Lilisha avait reçu la marque, son état mental était très fragile en raison de sa dépendance. La marque de malédiction était donc devenue puissante et l’avait affectée à la fois physiquement et mentalement.
Miltria résuma la situation de Lilisha à Alus et aux autres.
« Puisque la marque de malédiction s’est autant étendue, il lui sera impossible d’utiliser la magie. Elle ne pourra pas non plus révéler le fonctionnement interne d’Aferka. Lilisha, abstiens-toi de faire quoi que ce soit d’imprudent jusqu’à ce qu’elle soit enlevée. Si tu ne fais pas attention, la situation risque de s’aggraver. Cela pourrait même sonner le glas de ta vie de magicien. »
Alus lui posa une question. « La marque de malédiction ne devrait pas être un sort de ténèbres. Est-ce qu’elle peut vraiment faire autant ? »
« Oui, » répondit Miltria. « Aferka possède aujourd’hui un rituel d’initiation. Ils versent leur sang sur un objet magique et prêtent serment. Les futures recrues enfoncent ensuite une sorte de coin qui perturbe leur structure magique de base. À cause de cela, ils peuvent être empêchés d’utiliser la magie ou de libérer du mana à l’avenir. En fait, c’était pire quand j’étais là-bas. Quiconque quittait Aferka pour quelque raison que ce soit était immédiatement considéré comme un traître. Au lieu de recevoir une marque de malédiction, ils étaient inscrits sur la liste de la purge et traqués jusqu’à la fin de leur vie. »
La vieille femme l’appelait le destin des assassins, une règle immuable pour ceux qui vivaient dans l’ombre afin de maintenir l’ordre. Sans une chaîne pour lier ceux qui tuent, l’organisation ne pourrait jamais survivre.
« Je vois », dit Alus. « En fait, avant que Lilisha ne le fasse, un homme nommé Vector a attaqué Selva. Bien que ce ne soit pas un ordre de l’organisation, il semble que ce soient des émotions personnelles qui l’aient poussé. C’était un ancien membre d’Aferka. »
« Vector. Il était très dévoué à Selva par le passé. Quoi qu’il en soit, je doute qu’il soit encore en vie. Il a été très malheureux. » Miltria, soudain nostalgique, plissa les yeux comme si elle cherchait des exemples à donner.
Avant qu’elle n’ait le temps de le faire, Cicelnia l’interrompit. « Je crois que tu devrais garder cela pour plus tard. Il est vrai que j’ai choisi de ne rien faire, même si, dans une certaine mesure, j’ai compris les risques que Mme Lilisha prendrait. »
« Alors, tu l’admets », dit Alus.
« Oui, mais je jure que je n’étais pas au courant de la marque de malédiction. Je ne crois pas que des excuses suffiront à me faire pardonner, mais je ferai de mon mieux », dit Cicelnia. « Pour commencer… »
Lilisha remit sa veste et attendit les prochaines paroles de Cicelnia.
« Je peux faire une supposition. C’est que l’auteur de la marque devrait pouvoir la retirer. »
C’est ce qu’Alus avait pensé. Il acquiesça, attendant qu’elle poursuive.
☆☆☆
Partie 5
« Une autre possibilité est que si un outil magique a été utilisé en conjonction avec la marque de malédiction, alors un autre outil magique est très probablement nécessaire pour l’enlever. La salle du trésor du palais abrite une zone où sont entreposés des objets laissés par mon prédécesseur, qui entretenait des liens plus étroits avec Aferka. Il se peut qu’il y ait là un outil qui pourrait être la clé. »
S’il existait des ensembles d’outils pour placer et retirer les malédictions, le souverain aurait peut-être donné à Aferka la moitié de l’ensemble pour créer la malédiction, mais il aurait très probablement gardé la partie permettant de la retirer.
« Y a-t-il vraiment une garantie que ce soit un outil magique ? » demanda Alus. « Il est tout à fait possible qu’il utilise un système magique pour l’enlever. »
« Comme je l’ai dit, il ne s’agit que de conjectures », déclara Cicelnia.
Alus doutait de Cicelnia, mais Miltria était d’accord avec elle.
« D’après ce que j’ai vu, c’est très probable. Le précédent souverain ne faisait pas confiance à Aferka parce qu’il connaissait ses origines. En fin de compte, il a renoncé à leur pouvoir et a tenté de les éliminer. Il est très possible qu’il ait laissé derrière lui une forme d’assurance au cas où ? »
« J’ai compris. — Alors, est-ce que je peux faire quelque chose pour t’aider ? » demanda Alus.
Cicelnia secoua la tête. « C’est admirable de ta part, mais malheureusement, seuls le souverain et son assistant sont autorisés à entrer dans la salle des trésors. Je suis désolée, mais tu vas devoir attendre. Je vais demander à tous mes subordonnés de le chercher. »
« Je vois. Je te remercie. »
Cicelnia laissa transparaître sa surprise, mais ne fit aucun commentaire. Après un instant, son charmant sourire réapparut, mais le regard qu’elle portait sur Alus semblait inhabituellement fragile.
« Je ne m’attendais pas à entendre ces mots de ta part, et je dois avouer que je suis un peu déconcertée. Tu dois être très en colère. Je m’y attendais. J’ai évidemment tiré des leçons de notre dernière rencontre et j’ai cessé de te considérer comme ma propriété, mais tu es la lame la plus affûtée et le pouvoir le plus grand d’Alpha. On aura donc toujours besoin de toi, quoi qu’il arrive. »
Elle parlait sans la moindre compassion, en exposant les faits sans détour. « Alus, je suis sérieuse, je réfléchis sérieusement à cette nation. »
Cicelnia faisait enfin face à Alus avec ses vrais sentiments, sans plus aucun faux-semblant. Plutôt que de se plier aux exigences du magicien, Cicelnia avait ouvert son cœur et avait choisi de dire ce qu’elle ressentait vraiment.
Alus l’avait senti et avait concentré son regard sur elle. Il n’allait négliger la moindre parole ni le moindre mouvement.
Pour tester sa sincérité, Alus lui posa une question cinglante. « Sincèrement ? Qu’est-ce que c’est ? Tu tirais les ficelles en coulisses comme s’il s’agissait d’un jeu, non ? Si tu places arbitrairement des gens sur ton plateau de jeu, que tu te tracasses pour savoir combien de pièces tu as et si tu gagnes ou si tu perds pour t’amuser, tu es folle. »
« Tu vas remettre en question la santé mentale des gens ? Est-ce moi qui suis folle ou est-ce le monde entier ? Si tu veux mon avis, c’est les deux », déclara Cicelnia. « Qu’y a-t-il de mal à contrôler le pays comme s’il s’agissait d’un jeu ? C’est le privilège d’un dirigeant. Qu’est-ce que je suis censée voir dans ce tout petit espace ? Qu’est-ce que je suis censée trouver sur les chemins de la vérité et de la sincérité ? Suis-je folle… ? C’est une chose assez commune pour toi de dire cela. »

Ses mots semblaient chargés d’émotion, mais sa voix restait calme. Elle avait déjà tiré ses conclusions. Ses paroles étaient peut-être étranges, mais elles semblaient sincères. Il ne faisait aucun doute qu’elles correspondaient à ce qu’elle ressentait vraiment.
Alus pouvait le comprendre; lui aussi assumait un lourd devoir et une obligation. Pour y faire face, il s’était éloigné du monde des magiciens, ce qui avait reporté la responsabilité sur quelqu’un d’autre. Mais c’était elle qui dirigeait.
Il était peut-être le plus grand magicien, mais il n’en restait pas moins un individu. La souveraine existait pour la nation; elle devait donc abandonner sa personnalité pour fonctionner comme une machine politique.
« Je ne sais pas si je qualifierais cela de normal, mais je vois que tu as enfin abandonné les faux-semblants. Dans ce cas, je vais suivre ton exemple. Alors, laisse-moi te demander : combien de pions y a-t-il sur ce plateau ? Et quelles sont les perspectives ? »
« J’aimerais dire que je ne sais pas ou que je m’en fiche — et ce n’est pas comme si j’étais omnipotente et capable de prédire l’avenir —, mais puisque tu as sauvé cette fille, je vais aussi utiliser mon autorité de dirigeante. C’est parce que c’est toi, Alus. »
« C’est un éloge excessif. Tu as l’intention de tout me laisser faire ? » demanda-t-il.
« Non, je le fais parce que j’en ai envie. Je ne te dis pas d’obéir, mais pourrais-tu, s’il te plaît, détourner de moi cette hostilité ? C’est parce que je ne suis pas tout-puissant que je m’y prends sérieusement, en utilisant mes propres moyens pour élaborer une stratégie dans ce que tu appelles un jeu. »
Après ce discours, Alus ne pouvait pas lui en vouloir. Ou peut-être s’était-elle arrangée pour que personne ne puisse le faire. Méthodes mises à part, elle avait agi pour le bien de sa nation.
Lilisha avait été prise dans ces plans, mais cela pourrait lui servir à se libérer d’Aferka. La marque de malédiction était inattendue, et même si Cicelnia semblait indifférente, il était possible qu’elle ait réfléchi à cela depuis longtemps.
« Pour l’instant, je vais affecter un magicien de guérison de la cour à Mme Lilisha. En plus de fouiller la salle du trésor, nous pourrions découvrir d’autres informations qui nous aideront à faire disparaître la marque de malédiction. C’est pourquoi je veux que vous vous reposiez tous au palais aujourd’hui. »
« D’accord ! Je ne vous remercierai jamais assez pour cette gentillesse », dit Lilisha.
« Ne t’inquiète pas pour ça », dit Cicelnia. « Comme je l’ai déjà dit, je porte une part de responsabilité dans ta situation. Tout comme Alus, j’ai choisi de t’aider de mon plein gré. »
Après une profonde révérence, Lilisha quitta la pièce avec Rinne et Miltria.
En passant devant Alus, elle lui murmura : « Merci, Alus. »
Alus lui adressa un avertissement au lieu de répondre. « Rien n’est encore résolu, alors ne baisse pas ta garde. »
Il avait jugé que Cicelnia disait vrai, mais cela ne signifiait pas pour autant qu’il accepterait tout ce qu’elle disait. Cicelnia était déchirée entre son rôle de dirigeante et celui d’individu. Il savait qu’elle n’était pas si facile à convaincre; ils devaient donc se préparer à un éventuel désastre.
« Alus. Je ferai tout ce que je peux pour t’aider, mais contacter Aferka est la solution la plus sûre. Chercher dans le coffre au trésor pourrait permettre de trouver quelque chose, mais ce n’est encore qu’une possibilité. La personne qui l’a marquée au fer rouge saurait certainement comment l’enlever », suggéra Cicelnia, comme si elle faisait des civilités.
« Je l’aurais fait si j’avais pu », dit Alus. « Même si je savais où se trouve leur chef, je doute qu’ils m’autorisent pacifiquement à le voir. Ou peut-être me le présenteras-tu ? Qu’est-ce que tu sais vraiment ? »
« Pourrais-tu cesser d’être aussi brusque et faire preuve de plus de révérence ? »
Cicelnia fronça les sourcils, mais Alus ne fut pas gêné le moins du monde.
« Si tu veux plus de respect, fais preuve de la dose de sincérité appropriée. Une fois que tout sera en place, alors je pourrai l’envisager. »
« Vraiment ? » demanda Cicelnia. « Je suis moi-même assez fatiguée. Je ne m’attendais pas à ce que Cisty intervienne autant, mais c’est aussi la faute de Miltria. »
« Je m’en fiche. D’ailleurs, c’est toi qui l’as invitée, non ? Si quelqu’un qui est censé te suivre s’est déplacé tout seul, c’est parce que tu manques de vertu, non ? » demanda Alus.
« Mais c’est parce que je suis encore trop jeune pour diriger. Je n’ai pas d’expérience. Je ne suis pas assez importante pour bousculer quelqu’un du calibre de Miltria », dit Cicelnia. « C’est la même chose avec Aferka. Au départ, la passation de pouvoir était incomplète, et je n’ai jamais pris les contacts appropriés, alors ils ne m’écouteront probablement pas du tout. En d’autres termes, contrairement à Lilisha, ce n’est plus une organisation qui vénère l’autorité du dirigeant. D’ailleurs, Alus, pourquoi ne m’aiderais-tu pas ? »
Il était difficile de dire si elle était sérieuse ou enjouée à cet instant, mais il pouvait affirmer qu’elle n’appréciait guère ce jeu.
« Il n’y a pas de temps à perdre. J’ai déjà dit que j’étais sérieuse. C’est la vérité », poursuit Cicelnia.
« Ce n’est pas suffisant pour que je te fasse confiance », répondit Alus. « D’ailleurs, même en demandant de l’aide, tu n’as pas l’intention de tout révéler, n’est-ce pas ? »
Cicelnia lui répondit par un sourire crispé. Il se retint de faire claquer la langue. Il savait qu’il était inhabituel pour une personne en position d’autorité de parler ouvertement de ses pensées.
Même si cela mettait ses subordonnés mal à l’aise, il était essentiel pour un haut fonctionnaire d’être intransigeant lorsque c’était nécessaire. Le point fort de Cicelnia était sa capacité à parler et à entretenir des relations politiques sans révéler ses véritables intentions.
« Je veux bien que ce soit temporaire, mais pour une fois, pourrions-nous nous donner la main ? » Cicelnia chuchota, le visage dans l’ombre.
Elle craignait le rejet d’Alus et hésitait à lui tendre la main.
Alus chercha des motifs sur lesquels fonder sa décision. Il jeta un coup d’œil à Loki et à Felinella, qui étaient toujours dans la pièce.
Felinella était restée silencieuse, gardant son opinion pour elle. C’était l’une de ses qualités.
Loki fronça les sourcils, l’air un peu déconcerté. Elle craignait qu’Alus ne serve à nouveau de pion, mais son regard lui fit comprendre qu’elle respecterait sa décision.
Alus avait pris sa décision.
Pour l’instant, il se trouve à l’institut.
Au début, il pensait qu’on l’avait forcé à entrer là, mais ce n’est plus le cas. Avec le temps et diverses expériences, il était arrivé à cet endroit par accumulation de décisions.
Il avait changé.
Il ne se sentait pas si mal. Même si le chemin qu’il avait emprunté semblait être le plus long, il n’était pas mauvais. Il en irait sûrement de même pour celui-ci.
Tout va bien, pensa Alus, comme s’il rassurait à la fois Loki et lui-même.
Il était venu jusqu’ici pour sauver Lilisha, et il comptait bien aller jusqu’au bout. Il était prêt à prendre quelques risques, quitte à s’allier au seigneur du Pandémonium.
« Ouf, je me sens bien plus à l’aise avec les demandes de Berwick », dit Alus après une pause. « Cicelnia, combien de fois ai-je bougé pour tes intérêts ? Si je me souviens bien, je voulais en finir. Mais cette fois, c’est en échange de mon aide pour ôter la marque de malédiction de Lilisha. »
Alus s’avança lentement. Cicelnia fit un léger signe de tête et tendit la main. Alus souleva sa main blanche et fine et la prit dans sa paume.
« Oui, cela me suffit. J’aimerais seulement que ce soit lors d’un événement officiel », déclara la souveraine.
« Ne sois pas trop gourmande. Tu commences aussi à comprendre comment les choses fonctionnent, n’est-ce pas ? Si tu t’étais contentée de rester la tête haute et d’exiger ma coopération en échange du sauvetage de Lilisha, j’aurais refusé immédiatement », dit Alus sans ambages.
Plutôt que de se mettre en colère, Cicelnia se contenta de sourire. « Je suis heureuse de l’entendre. J’ai failli déraper et dire exactement la même chose. Alors, nous avons un accord, et j’emprunterai la force du magicien à la tête du classement. »
« Mais ne me surestime pas. Ce n’est pas comme si j’étais omnipotent. »
Les deux personnages échangèrent quelques mots, esquissant de légers sourires.
« N’hésite pas à rejeter ce que je vais dire comme des bêtises, Alus… » Cicelnia commença soudain. « Si les pions se déplaçaient toujours comme prévu, le monde serait un peu moins beau. Le vrai potentiel est toujours en dehors de la norme. C’est peut-être le sens de l’espoir. Une fois que tout cela sera terminé, convaincs-moi que c’était pour le mieux. »
Après ces paroles profondes, Cicelnia se tut.
Alus et les autres furent alors conduits dans des chambres d’hôtes extravagantes pour y passer la nuit.
☆☆☆
Partie 6
Sous le voile de la nuit, alors que tout était plongé dans l’obscurité et que les gens avaient terminé leur dîner pour s’apprêter à dormir, Cicelnia retourna seule dans la salle du trône et s’assit sur son trône froid. Elle porta un verre de vin à ses lèvres et contempla le monde paisible, l’air sombre.
« Tout va bien quand je peux me concentrer et déplacer les pions sans souci, mais pourquoi suis-je ramenée à la réalité quand le jeu ne se déroule pas comme prévu ? » marmonna Cicelnia en buvant d’un trait le contenu de son verre. Elle tendit la main vers la bouteille de vin posée sur la table voisine pour se servir un autre verre.
« Mais même cela reste dans les limites des attentes, n’est-ce pas ? » dit Rinne, qui semblait l’avoir attendue sur le côté. Elle se leva lentement et récupéra la bouteille de vin vide.
« Oh, ce n’est que mon premier verre », dit Cicelnia.
« C’est du moins ce que vous dites de façon tout à fait éhontée », dit Rinne. « Normalement, vous ne buvez jamais. »
« C’est vrai. Mais cette Felinella… Elle a remarqué mes intentions. »
« Je suis sûre qu’elle l’a fait », acquiesça Rinne. « Mais elle n’a toujours rien dit. Elle est intelligente, comme vous, Lady Cicelnia. »
« En effet. C’est la fille du Seigneur Socalent en personne » dit Cicelnia.
« Vous ne l’appelez pas le seigneur Vizaist, n’est-ce pas ? » demanda Rinne.
« Les titres devraient aller avec les noms de famille. Il semble porter ce nom, mais ce n’est le cas que dans le monde des magiciens. » La glace dans le verre de Cicelnia tinta et elle fit un signe de tête à Rinne. « Les choses sont difficiles pour nous deux. »
« Dans mon cas, c’est parce que vous me faites travailler très dur, Lady Cicelnia. Mais ce n’est pas comme si je n’y étais pas préparée dès l’instant où j’ai décidé de travailler pour vous. »
Cicelnia prit tranquillement une gorgée de son vin, puis tendit le reste à Rinne afin de ne pas s’enivrer. Rinne n’était pas particulièrement tolérante, mais elle avala le reste du vin.
Cicelnia était encore jeune, un fait que Rinne oubliait parfois. En raison de sa position unique et de son intelligence supérieure, elle devait toujours réfléchir et planifier à long terme. Heureusement pour tous, elle n’avait utilisé son intelligence que pour rendre la nation plus prospère. Mais quiconque voyait son corps frêle pouvait se rendre compte que le poids risquait d’être trop lourd à porter pour elle.
« N’aurait-il pas été préférable de tout dire à Sire Alus ? » demanda Rinne.
Elle pensait qu’Alus, malgré son attitude irrespectueuse, pouvait faire preuve de discrétion quand il le fallait. Sinon, il ne serait même pas là.
Cicelnia s’y attendait probablement et savait au fond d’elle-même qu’elle pouvait tout confier à Alus. Mais elle avait peur. Elle avait toujours gouverné dans l’isolement.
Rinne voyait bien qu’Alus était le seul à pouvoir se rapprocher de la jeune souveraine. Et même si elle commençait à l’admettre, elle n’était pas prête à lui faire entièrement confiance.
Elle les voyait tous les deux très semblables : ils étaient tous les deux cyniques.
Après tout, c’est Sire Alus, pensa-t-elle.
Malgré tout, Rinne n’avait jamais hésité à suivre cette souveraine pour le reste de sa vie. Elle voulait simplement rester à ses côtés et la protéger. Mais elle n’était pas assez arrogante pour croire qu’elle pouvait guérir la solitude de sa souveraine.
Rinne savait qu’elle ne pouvait pas soutenir Cicelnia toute seule et qu’Alus pourrait remplir le rôle qu’elle ne pouvait pas. Elle ne pouvait s’empêcher de s’accrocher à l’idée saugrenue qu’Alus devienne le garde du corps personnel de la souveraine.
Sur cette pensée, Rinne appela soudain la souveraine, tendue. « Dame Cicelnia… »
Cicelnia remarqua l’expression sérieuse de Rinne. « Je me suis dit qu’il était temps. Je suis contente que cela soit arrivé avant que j’attrape un rhume. »
« J’espère qu’il n’y aura pas de répétition de la fois où Sire Alus vous a intimidée », dit Rinne.
« Quelle plaisanterie amusante ! Rinne, comme prévu, tu devrais t’en aller. »
« Vous me dites ça en sachant que je n’obéirai pas ? » Rinne le lui demanda avec un sourire qui indiquait qu’elle allait rester.
Elles avaient déjà discuté du départ de Rinne, mais elles avaient convenu que c’était trop risqué. De plus, elle n’avait pas l’intention de laisser la souveraine derrière elle.
Rinne posa la main sur un œil et vit d’innombrables points de vue. Grâce à sa capacité spéciale, l’Œil de la Providence, elle pouvait surveiller le terrain et l’intérieur du palais.
Soudain, une ombre apparut là où il n’y avait que Rinne et Cicelnia quelques instants plus tôt.
Après une pause, la silhouette parla d’une voix basse, distinctement masculine, mais aussi calme et agréable à l’oreille.
« C’est un plaisir de vous rencontrer, princesse Cicelnia il Arlzeit. » Il avait adressé un salut ordinaire, mais il y avait un certain sarcasme dans l’utilisation du titre « princesse ».
Bien qu’Alpha utilise un système de dénomination différent de celui des autres nations, il serait plus logique d’appeler Cicelnia « reine » plutôt que « princesse », même si elle n’avait pas encore été couronnée.
Ses paroles, prononcées avec un léger sourire, indiquaient son refus de reconnaître l’autorité de Cicelnia. Mais Cicelnia balaya cette remarque d’un revers de la main.
« Si c’est censé être un sarcasme, ça manque de tranchant, deuxième fils des Frusevans. Non, je suppose que vous êtes devenu l’héritier légitime maintenant, Rayleigh. »
L’homme aux longs cheveux blonds fit un pas en avant sans un mot, affichant ses traits androgynes à la lumière de la lune qui filtrait par une fenêtre. Au même moment, plusieurs silhouettes vêtues de noir apparurent dans l’obscurité, derrière lui.
« Sachez que vous vous tenez devant la souveraine ! » Rinne avait crié d’une voix tonitruante, mais les personnages vêtus de noir avaient répondu en lançant des couteaux aux lames noires.
Il faisait sombre, mais grâce à ses yeux magiques, Rinne parvint à les repousser d’un coup sec du bras.
Elle avait recouvert son bras d’une lame de mana tranchante. Elle subirait un contrecoup magique assez important si elle devait le faire d’assez loin, mais ce n’était pas vraiment un obstacle lorsqu’ils étaient proches.
« Insolents maudits ! Je protégerai la souveraine au péril de ma vie ! » s’exclama-t-elle.
« Non, tu es déjà tombée dans notre piège. C’est très simple », chuchota Rayleigh.
À ce moment-là, les couteaux tombés au sol se mirent à émettre une lueur inquiétante.
« Veibind » les individus qui avaient lancé les couteaux prononcèrent ensemble la formule d’une voix étrangement grossière.
Quatre cordes de mana jaillirent et lièrent les bras de Rinne. Elles s’enroulèrent autour de son corps et se resserrèrent comme un serpent.
Plus elle se débattait, plus les cordes se resserraient. Elle eut finalement du mal à respirer et s’écroula sur le sol. Rinne se rendit compte que les couteaux qu’elle avait abattus portaient tous la même formule magique gravée dessus.
Ils avaient lancé les couteaux pour faire croire à une embuscade, mais cela n’était qu’une partie de l’attaque.
« Qu… ?! — Lady Cicelnia, échappez-vous, s’il vous plaît ! » supplia Rinne.
Cependant, Cicelnia ne bougea pas et fixa les attaquants sans expression, comme si elle n’avait pas entendu Rinne.
« Je ne savais pas qu’une organisation d’assassins professionnelle comme Aferka utiliserait des méthodes aussi détournées », déclara-t-elle.
« Ne vous inquiétez pas, » dit Rinne. « D’ici peu, il y aura une montagne de cadavres à l’intérieur du palais. »
« Oh, j’ai l’impression d’avoir été mordu par mon chien de compagnie… Eh bien, ce n’est pas comme si j’avais voulu vous garder. »
Rayleigh ignora le sarcasme de Cicelnia.
« Maintenant que nous sommes face à face, je suis convaincu qu’un esprit monstrueux se cache sous cette beauté. Comme je le pensais, Womruina correspond davantage à nos objectifs et à nos intentions. »
« “Un monstre” n’est pas le genre de mot que vous devriez utiliser pour décrire une jeune femme. Quoi qu’il en soit, vous voulez me remplacer ? Vous devez être aveugle. Mais comment pourriez-vous avoir de telles ambitions alors que vous n’arrivez même pas à ôter votre propre collier ? » Cicelnia continua.
Tout en parlant, elle semblait décontractée et posée, mais du coin de l’œil, elle aperçut Rinne, effondrée. Un frisson lui parcourut l’échine, mais elle ne pouvait pas laisser les assaillants insolents voir son inquiétude.
Elle s’appuya sur son trône, faisant bonne figure devant ses potentiels assassins. Secrètement, elle ne pouvait s’empêcher de penser qu’elle avait l’air pathétique. Elle se sentait acculée, sur le point d’être complètement exposé. Un sourire d’autodérision se dessina sur les lèvres de Cicelnia.
Rayleigh la dévisagea froidement, puis continua. « Je me doutais bien que vous finiriez par nous éliminer. Mais de là à penser que vous le ferez de façon aussi flagrante ! Quelle femme effrayante vous êtes ! »
Soudain, Rayleigh baissa les yeux et commença à disparaître rapidement, comme s’il se fondait dans l’obscurité.
Même Cicelnia pouvait sentir la mort s’approcher d’elle. Dans quelques secondes, il se tiendrait sûrement à côté du trône pour lui enfoncer une lame froide dans le cœur.
Elle s’agrippa aux accoudoirs et sentit les perles de sueur couler sur son front. Elle regretta de ne pas avoir au moins un poignard à portée de main. Même si cela ne servait à rien, elle voulait se défendre.
Instantanément, sa respiration devint superficielle et elle commença inconsciemment à compter dans son esprit les secondes qui lui restaient.
En un instant, Rayleigh disparut complètement et Cicelnia vit apparaître un éclair d’argent tandis que la pointe de la lame de l’assassin s’incurvait vers son cou. La trajectoire de la lame était destinée à lui transpercer le cou, mais Cicelnia l’observa froidement, bien décidée à conserver son sourire jusqu’au bout.
Un instant plus tard, un bruit métallique retentit : l’épée de Rayleigh avait été déviée par quelque chose qui était apparu sur le côté. Sous l’effet de l’élan, l’épée fut projetée sur le côté, frôla la joue de Cicelnia, puis se planta dans le dossier du trône.
En voyant les mèches de ses cheveux noirs danser dans l’air, Cicelnia comprit que son pari était gagné.
Remplie d’un soulagement écrasant, toutes ses forces la quittèrent. Elle ne pourrait probablement même pas se lever, mais elle ne pouvait pas se permettre d’avoir l’air disgracieuse. En tant que souveraine, il lui incombait de rester debout alors que le rideau tombait. C’était la seule responsabilité que Cicelnia devait assumer dans cette situation.
Déterminée, Cicelnia regarda autour d’elle. Elle vit que la chaîne de la brume nocturne montait en flèche autour d’elle, formant une barrière protectrice. Lorsqu’il comprit que c’était ce qui avait arrêté sa lame, Rayleigh recula en arrière du trône, craignant une contre-attaque. Il prit une position défensive et recula lentement jusqu’à l’endroit où ses hommes étaient alignés.
« Il s’en est fallu de peu, Alus », déclara Cicelnia.
« C’est toi qui as planifié ça, espèce de mégère », répondit Alus.
« Oh, je n’en suis pas si sûre », dit Cicelnia d’un ton badin en se glissant derrière Alus, incapable de cacher ses mains tremblantes.
« Qu’est-il arrivé aux jeux ? Es-tu passée du statut de spectateur à celui de gros parieur », demanda-t-il.
« Mon jeu se déroule toujours comme prévu, je te le fais savoir », lui assura la jeune souveraine.
« Alors, pourquoi prendre un risque aussi élevé ? » demanda Alus.
« Je prends toujours mes jeux au sérieux », précisa-t-elle. « Je ne suis pas du genre à être excessivement prudente. Qu’il s’agisse d’un jeu ou de quoi que ce soit d’autre, si je le juge nécessaire, tout et n’importe quoi peut devenir un jeton ou un pion. Cela inclut même ma personne. Si nécessaire, je franchirai autant d’obstacles qu’il le faudra, même s’ils sont en feu. »
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