
Chapitre 68 : Saisir l’ombre dans la tourmente
Partie 3
Frose avait été quelque peu surprise, mais elle trouvait rassurant que sa fille devienne davantage une femme. Elle avait considéré Tesfia comme étant encore une enfant… même si elle hésitait un peu puisque Lettie était une de ses amies.
Mais en tant que chef de famille, elle était résolue. C’était quelque chose d’important. C’était une bataille pour perpétuer la lignée d’une famille distinguée.
C’est pourquoi Frose avait abandonné sa dignité de noble pour prononcer les mots suivants, tout en étant convaincue que les choses se déroulaient de manière à aboutir à un dénouement heureux. « Prenez soin de ma fille, s’il vous plaît, monsieur Alus ».
« O-Oui, je trouve que c’est quand même un peu tard pour ça. C’est quelque chose que j’ai demandé, après tout. » La réponse d’Alus avait également chevauché la vague ligne de l’incompréhension, ce qui avait encore compliqué les choses.
Frose réunit ses mains en affichant un sourire éclatant. « Oh, mon Dieu, mon Dieu, vous l’avez fait… ? Je suppose que le sang fougueux de la jeunesse doit être le facteur décisif dans ce genre de choses. Et c’est ainsi que Fia, sans effort, a juste… » Elle jeta un coup d’œil significatif en direction de Tesfia.
La jeune fille pencha la tête en réponse. « Quoi ? »
« En effet, la jeunesse vaut tellement par elle-même », marmonna Frose pour elle-même.
Alus avait senti un danger. Elle avait sûrement une fausse impression. « Madame Fable, avant de commencer, il semblerait que vous ayez mal compris quelque chose ».
« Oh, vous n’avez pas besoin d’être aussi formel. Si par “malentendu” vous voulez dire… Cela veut-il dire que vous avez déjà… »
« Hein ? Ah, c’est donc ce que vous vouliez dire. Dans ce cas, l’acte est déjà fait, mais ne vous inquiétez pas. Il n’y a pas eu de problèmes et son corps n’a rien eu d’anormal par la suite. » Alus faisait référence à sa levée de la suggestion qu’Aile avait placée sur Tesfia, mais ses mots n’étaient pas à la hauteur de la tâche.
Frose avait eu l’air surprise, mais elle sembla arriver à une conclusion hâtive avant de lui adresser un généreux sourire. « … Je vois. Bien sûr, il n’y a pas de problème si c’est déjà un fait établi. Enfin, normalement, il y en aurait un, mais de nos jours, ne pas s’embarrasser de ces choses-là, c’est le monde tel qu’il est, n’est-ce pas ? » Elle était de si bonne humeur qu’elle ne remarqua même pas les regards suspicieux d’Alus et des autres, et continua à bavarder en grande partie pour elle-même.
Alus ne savait pas ce qu’elle entendait par fait établi, mais il était difficile d’arrêter son débit. Finalement, il attira l’attention de Frose en toussant un peu, mais cela avait pris pas mal de temps. « Attendez une minute. Il ne se passe rien entre Fia et moi. » Ce n’est qu’après que le monologue de Frose se soit prolongé suffisamment longtemps pour que le thé refroidisse qu’il put placer ces mots.
Frose avait l’air abasourdie. Alus avait sauté sur l’occasion et s’était empressé de poursuivre. « C’est arrivé alors que nous parlions avec Aile von Womruina. Il a placé une sorte de suggestion hypnotique sur Fia que j’ai dû retirer. Je lui ai aussi demandé d’enlever ses vêtements qui la gênaient à ce moment-là. »
Alus n’avait pas assez de conscience de soi pour réaliser qu’il n’avait pas besoin de dire la dernière partie. Tout d’abord, sur le champ de bataille, il n’y avait pas de distinction entre homme et femme lorsqu’il s’agissait de soigner des blessures. Pour lui, ce n’était pas différent d’un médecin qui demande à un patient de retirer ses vêtements pour l’examiner.
Alors que Loki écoutait, son expression changea de multiples fois. Tesfia, elle, était tranquillement assise sur le canapé, aussi rouge qu’une fraise mûre. Elle était insupportablement gênée, mais n’arrivait pas à prononcer un seul mot.
« Ah… comment ma fille peut-elle être aussi pathétique ? » Lorsque Frose avait enfin tout compris, elle regarda le plafond de façon exagérée, et soupira.
La moustache taillée de Selva trembla d’amusement. « Ha ha, c’est tout à fait raisonnable. La jeune demoiselle est encore une jeune fille rêveuse à cet égard. » Il se tourna vers Tesfia. « En matière de modestie, vous portez en vous les qualités d’une dame de la famille Fable. »
« Ce n’est pas suffisant », déclara Frose sans ambages.
Il semblait que les choses allaient s’éterniser ainsi, ou plutôt qu’Alus allait s’y laisser entraîner, aussi tenta-t-il d’y couper court en s’excusant rapidement. « C’était un acte irréfléchi de ma part. Mais il ne fait aucun doute que planter cette suggestion était dangereux. » Il n’était pas très au fait de la société noble, mais si quelqu’un lui disait que voir la peau d’une fille était une raison pour se marier, il serait extrêmement agacé.
La rapidité avec laquelle il avait géré la situation avait eu pour but d’écarter le danger, mais il semblait qu’il n’y avait aucune raison de s’inquiéter de la réaction de Frose. « S’il vous plaît, ne vous inquiétez pas pour ça. C’est ma faute si je n’ai pas su reconnaître l’ambition et le danger de cette famille. S’il y a quelque chose à faire, c’est de vous remercier encore une fois. Mais c’est une bonne occasion de vous poser des questions sur Fia. »
Sentant que le sujet allait être relancé, Alus secoua fermement la tête. « J’ai dit la même chose au seigneur Vizaist, mais je n’en ai pas l’intention ».
« Alors même Vizaist a essayé… Mais en tant que numéro 1 du classement, ne serait-ce pas un problème en soi ? Je suis sûr que le gouverneur général ne restera pas silencieux à ce sujet. » Cela pouvait paraître anodin, mais en fait, il était important de préserver la lignée du héros de l’humanité et du plus grand magicien au monde. En tant que noble connaissant la tradition de la lignée et de la transmission du pouvoir à ses enfants, Frose n’avait pas hésité à poser des questions à ce sujet.
« Non, vous pouvez déjà vous douter que c’est quelque chose qui a été discuté avec le gouverneur général. J’ai mes propres circonstances. »
« Hmm, des circonstances, et c’est… »
Il y avait quelqu’un qui s’en préoccupait plus que Frose, à savoir la rousse assise à côté d’Alus. Tesfia lui jeta un regard curieux, comme pour lui demander s’il avait déjà quelqu’un en tête. Cependant, elle n’était pas sûre de savoir pourquoi elle était intéressée à ce point.
De toute façon, Alus avait toujours l’excuse de reporter quoi que ce soit jusqu’à ce que sa mystérieuse capacité spéciale puisse être expliquée, et il s’était donc montré clair. « Je ne vais pas entrer dans les détails ici. Je n’exagère pas en disant que c’est top secret. »
Frose haussa les épaules et finit par reculer. « Je comprends. Mais est-ce que c’est pour toute votre vie ? Ou bien cela sera-t-il résolu à un moment ou à un autre ? »
Il répondit à la question en exposant les faits. « Qui sait ? J’espère le résoudre un jour, mais Dieu seul sait si je le ferai vraiment, et je n’ai aucune idée du moment où cela pourrait se produire. »
Frose soupira. « Je comprends. Alors j’espère que Dieu réparera tout cela sur un coup de tête un jour. »
« Je vous remercie de votre compréhension. Pour l’instant, je ne suis pas prêt pour ce genre de choses, et je n’en ai pas l’intention. » Une ombre traversa un instant le visage d’Alus et il baissa les yeux, avant de relever la tête. Il espérait qu’ils pourraient passer au sujet principal.
Tesfia sembla un peu soulagée d’entendre ce qu’il disait. Quant à Loki, on aurait dit que son âme avait quitté son corps. Mais cela ne dura qu’un instant, car elle retrouva vite son expression calme habituelle.
Cela mis à part, tout ce qui s’était passé jusqu’à présent ressemblait à un prélude, et pourtant le chef de famille avait une attitude décontractée — presque trop décontractée. Alus jeta un coup d’œil perplexe à Frose, mais elle garda un vague sourire. Il était loin de pouvoir déchiffrer ce qu’elle pensait… à part le fait qu’elle espérait le mettre en couple avec sa fille.
Il décida donc de changer lui-même la direction de la conversation. « Revenons au Tenbram. Je crois que vous savez déjà ce qui est en jeu. » Frose aurait dû accepter en connaissant les conditions, mais Alus voulait vérifier au cas où. Il expliqua que les conditions étaient l’annulation des fiançailles de Tesfia et son propre changement éventuel de commandement et d’affiliation.
Frose acquiesça. « Oui, j’en ai entendu parler. Mais le Tenbram ne sera pas retenu. »
« Et pourquoi cela ? »
« Les fiançailles de Fia ont déjà été annulées. Ce fils des Womruina a choisi un combat plutôt bâclé sans que rien ne le justifie. »
Cela avait soulevé la question à laquelle Alus pensait. Apparemment, Frose était convaincue que l’annulation avait déjà eu lieu. Pourtant, Aile leur avait montré un acte de fiançailles légalement valide. Je suppose que je dois d’abord confirmer les faits. C’était gênant, mais comme Lilisha n’était pas là, il n’avait pas d’autre choix que de poser lui-même la question à Frose. « Madame Fable, les fiançailles entre Aile et Fia n’ont pas été annulées. L’autre partie m’a présenté l’acte original. Lilisha, la fille de la famille Rimfuge, était là pour en témoigner. »
Frose réprima sa surprise, se contentant d’afficher un regard dubitatif. « Qu’est-ce que cela signifie, Monsieur Alus ? J’ai déjà annulé les fiançailles. L’acte a été détruit. Je l’ai vu se dérouler sous mes yeux. »
Pas étonnant qu’elle ait l’air si sûre d’elle. " C’était peut-être un faux ».
« … C’est possible. Dans ce cas, cela a dû avoir lieu à l’époque. Quel sale tour à jouer ! » S’exclama Frose. La règle voulait qu’un fonctionnaire administratif relevant du sénat soit présent lors des signatures de tous les documents importants entre familles nobles. « Je vois… Ils ont dû soudoyer le fonctionnaire », conclut-elle, la voix pleine d’irritation.
Peut-être avaient-ils utilisé une suggestion hypnotique, ou le fonctionnaire avait-il simplement été soudoyé, mais il n’y avait eu qu’une seule chance d’intervertir l’acte. Lorsque l’acte avait été annulé, il avait été remis au fonctionnaire pour qu’il efface les signatures. C’était sans doute à ce moment-là que cela s’était produit.
« Alors qu’est-ce que ça veut dire !? »
« Je suis désolée, Fia. C’était une erreur de ma part. L’annuler reste mon souhait, car je n’ai pas l’intention de me laisser faire par des gens comme les Womruinas. »
« Mère, je suis aussi en partie responsable. Je n’ai pas beaucoup de souvenirs de la famille Womruina, alors c’est sûrement à ce moment-là que la suggestion a été faite. En tant que prochain chef de famille, je repousserai facilement une telle chose ! »
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