Saikyou Mahoushi no Inton Keikaku LN – Tome 10 – Chapitre 58

Bannière de Saikyou Mahoushi no Inton Keikaku (LN) ☆☆☆

Chapitre 58 : Cette main tendue

☆☆☆

Chapitre 58 : Cette main tendue

Partie 1

Lorsque le groupe était revenu à la base, Louise, la magicienne guérisseuse, prit le relais. C’était en quelque sorte à la fin de la mission qu’elle s’était illustrée. Grâce à ses instructions rapides et précises, la base avait été rapidement transformée en salle de soins.

Une scène étrange se déroulait à l’entrée de sa salle de soins, avec un groupe d’hommes adultes qui se serrent les uns contre les autres en attendant d’être examinés. Commençant par Mujir et suivie par Loki, Louise traitait les uns après les autres.

Bien qu’on les appelle magiciens guérisseurs, leurs capacités se limitent généralement à améliorer la capacité de la personne blessée à se guérir elle-même. Il existait bien sûr des différences entre les praticiens, mais ils étaient tous fondamentalement les mêmes.

Cependant, il y a des exceptions. Les magiciens guérisseurs de premier ordre connus sous le nom de maîtres médecins n’appartenaient pas à cette catégorie.

Quand il s’agit du niveau des magiciens qu’un Single comme Lettie recrute, ils sont probablement pris parmi les meilleurs de la nation. Louise ne faisait pas exception, et en quelques heures, la plupart des blessés s’étaient suffisamment rétablis pour se tenir debout.

Alus ne connaissait pas bien les magiciens guérisseurs, mais leurs techniques étaient impressionnantes, même pour lui. Il semblerait qu’ils soient devenus une nécessité dans le Monde extérieur qu’ils ne pouvaient pas se permettre d’ignorer.

Cependant, Mujir avait reçu l’ordre de se reposer un peu. L’intéressé n’était pas content qu’on lui dise de s’allonger, mais il avait beau insister sur le fait qu’il allait bien, les ordres de Louise étaient absolus. Lettie était probablement la seule à pouvoir aller à son encontre.

Les membres de l’escouade qui l’entouraient ne prenaient pas la chose trop au sérieux et se moquaient plutôt de Mujir.

Même Alus avait vu sa main gelée guérie et n’avait eu d’autre choix que de suivre les conseils de Louise. Cela dit, qu’est-ce que je suis censé faire si je n’utilise pas mon bras ? L’interdiction d’utiliser son bras dominant dans le Monde extérieur était une condition assez stricte. Il avait trop utilisé sa main malgré les engelures, et c’est ainsi qu’elle s’était aggravée à ce point. Heureusement, il pouvait encore utiliser la magie.

Après avoir terminé son traitement, Alus se dirigea vers une petite pièce à l’arrière. La base était aussi grande que nécessaire, pas plus. La question de savoir si l’on pouvait même parler de petite pièce était à débattre, puisqu’il ne s’agissait que d’une zone séparée par un tissu qui pendait.

Alus écarta le tissu et fit signe au propriétaire de la pièce avec ses yeux. Comme le tissu était déjà entrouvert, Loki avait déjà remarqué sa visite.

Elle récupérait actuellement sur un lit en bois grossièrement fabriqué, ses jambes sous bandage. En tant que magicienne, elle devait penser que cet air maussade ne lui allait pas. Comme Mujir, elle arborait une expression compliquée.

Alus sembla comprendre son état. « J’imagine que l’arrière-goût de la défaite est amer. »

« … » Avec un léger froncement de sourcils, Loki regarda Alus comme si elle voulait dire quelque chose.

« Survivre est une chance. Cette fois-ci, tout le monde a été sauvé par cette imprudence. » Avec un léger sourire, il lui reconnut le mérite de cette imprudence. Si la neige avait été présente, la bataille contre le Shem Azah aurait été beaucoup plus difficile.

Le M2-Polaris de Lettie lui traversa l’esprit un instant. Si elle avait utilisé ce sort alors que la neige était encore là, elle aurait été soit incapable de l’utiliser, soit incapable de le contrôler. Comme ce sort pouvait facilement toucher le lanceur, il serait difficile pour quelqu’un qui n’est pas très doué pour les sorts de barrière de l’utiliser. Il existe des sorts similaires, mais ils sont tous considérés comme des sorts tabous par crainte de ce qui pourrait arriver si l’on en abusait.

Par exemple, quelqu’un de haut placé pourrait manipuler un pion jetable pour l’utiliser en supposant qu’il se fera également exploser.

« Pourquoi cet homme s’est-il rangé du côté des Mamonos ? Il était tout seul à côté d’un nid de Mamonos… Ce n’est pas normal. Et il a parlé de Godma », demanda Loki à Alus. La question qui trottait dans son esprit était partagée par le reste de l’escouade. Elle les empêchait de se réjouir honnêtement de leur reconquête de Vanalis à cause de leur malaise.

« Discutez-vous de quelque chose d’intéressant ? Je ne peux pas avoir de conversations secrètes dans ma base », dit Lettie en enlaçant Alus par-derrière. Elle posa son menton sur son épaule et lui chuchota à l’oreille : « Ne me laisse pas en dehors de ça. »

Mais à en juger par son atmosphère détendue, elle n’avait sans doute pas d’arrière-pensées. Elle restait proche d’Alus, mais Loki, allongée dans son lit, n’était pas particulièrement ébranlée. En fait, elle regrettait d’avoir abordé le sujet alors qu’ils n’étaient que tous les deux. Il aurait mieux valu en parler avec Lettie.

Loki ferma lentement les yeux, mais Lettie ne semblait pas s’en préoccuper. Ou plutôt, elle ne la regardait même pas. Il y avait beaucoup de blessés dans la base. Et il y avait aussi le détachement précurseur… Le résultat lui laissait un arrière-goût amer dans la bouche, et ce n’était pas quelque chose dont elle pouvait être fière. Mais Lettie, la capitaine, souffrait sans doute bien plus qu’elle.

L’instant d’après, les membres de l’escouade semblèrent avoir perçu ce qui se passait et les regards se tournèrent vers eux. Il était temps d’écouter le résumé de leur mission. Comme Loki était allongée sur un lit dans un coin de la base, elle ne pouvait que se sentir à l’étroit.

Alus attendit le bon moment et reprit le sujet de tout à l’heure. « En termes de politique internationale, la récupération de Vanalis est un grand accomplissement pour Alpha. Il faudra du temps pour construire cet endroit, mais les autres nations finiront par voir sa valeur en tant que base d’expansion de première ligne. »

Mujir écoutait, tout en regardant le plafond bas depuis le lit sur lequel il avait été transporté.

La grande carcasse de Sajik s’appuyait contre le mur. Il était inhabituellement silencieux.

Lettie lâcha Alus et resta silencieuse. Chacun écoutait à sa manière, mais leurs réactions étaient toutes muettes.

Eh bien, il y a eu des pertes après tout, se dit Alus. Il n’y avait pas de corps ou de restes derrière eux, donc le nombre de morts ne pouvait pas être déterminé, mais leurs compagnons d’armes avaient été détruits. Beaucoup d’entre eux étaient considérés comme « disparus », mais ce n’était qu’un euphémisme.

Cependant, Alus ne pouvait ni se sentir uni à eux ni partager leurs sentiments. Au mieux, il comprenait ce qu’ils ressentaient, se taisant.

Il y avait une chose qui n’avait pas répondu à ses attentes. Le groupe envoyé à la recherche de l’avant-garde était miraculeusement revenu avec quelques survivants. Ils avaient été surpris par le blizzard soudain et attaqués. Après quoi, épuisés, ils avaient trouvé un endroit où se cacher.

En entendant leur rapport, Alus n’en avait pas fait grand cas. C’était tout au plus une bonne nouvelle qu’ils n’aient pas tous été anéantis. Mais il pouvait comprendre le chagrin de Lettie lorsqu’elle vit que les autres n’étaient pas avec eux. D’habitude, elle était si extravertie qu’il était facile de savoir quand elle faisait semblant.

Alus était sur le point de se remémorer des souvenirs similaires, mais ils appartenaient au passé. « Il y a eu beaucoup de pertes, mais je suis sûr que vous pourrez les honorer un jour. Tout le monde a fait du bon travail. » Les mots résonnèrent, creux. Même lui les trouvait insipides.

« Allie, tu peux garder ça pour ces vieux schnocks de hauts gradés qui se reposent dans leurs fauteuils confortables. Je suis sûre qu’ils nous feront du gringue une fois que nous serons rentrés. »

« Je suppose que c’est vrai. Alors, passons au sujet principal. Tu veux en savoir plus sur cet homme, n’est-ce pas, Lettie ? »

L’ambiance dans la pièce changea complètement. Il ne devait pas y avoir d’ennemis dans le monde extérieur, à part les Mamonos. Pourtant, c’était un étranger que l’on croyait être un magicien qui était à l’origine de ces événements, un homme mystérieux qui avait blessé Mujir.

« Commençons par la conclusion. Je ne sais pas vraiment qui était l’homme qui contrôlait la neige. Ce n’est pas comme si j’étais ami avec tous les magiciens. »

« N’aurais-tu pas au moins entendu parler de quelqu’un d’aussi compétent ? Sans parler de l’étrange échange que tu as eu avec lui », dit Lettie, en faisant référence à la fois à Godma et à la personne qui en avait parlé.

C’était un secret militaire, mais Alus décida qu’il n’avait pas d’autre choix que d’en parler. « J’aimerais dire que tu devrais demander les détails au gouverneur général, mais peu importe. Tu n’en as probablement pas entendu parler, mais il y a quelque temps, j’ai reçu pour mission d’appréhender un criminel nommé Godma… »

Alus raconta l’incident à Lettie et aux autres d’une manière indifférente, notant que Godma était un chercheur profondément impliqué dans le projet de séparation des facteurs élémentaires, qui faisait partie du sombre passé de l’armée. Cette expérience humaine illégale avait depuis été effacée des archives. Il expliqua ensuite que Godma avait été tué par quelqu’un alors qu’il était détenu par l’armée, et que Berwick pensait qu’il y avait un co-conspirateur derrière Godma, chargeant Vizaist d’enquêter sur cette affaire.

Lettie et son équipe n’avaient aucun moyen de le savoir puisqu’ils se trouvaient dans le monde extérieur depuis tout ce temps. « Et il ne l’a jamais retrouvé. Bon sang, Vizaist est devenu sénile », plaisanta Lettie, mais elle prit un air nostalgique à la mention d’un nom familier.

« C’est l’inverse. Même un professionnel du renseignement n’a pas pu trouver d’indices », lui déclara Alus, en couvrant Vizaist et en se disant qu’ils étaient quittes maintenant. « Je crois que c’est un certain Enouve qui tirait les ficelles. »

« Alors notre bonhomme de neige, c’était lui Enouve ? »

« Vu qu’il connaissait les Quatre Livres de Fegel, il n’y a guère de doute. » Les Quatre Livres de Fegel étaient les livres les plus rares au monde. Certains les considéraient comme prophétiques, mais certains membres de l’escouade présents n’avaient même pas entendu parler de leur existence.

« Kurama pourrait-il être impliqué dans cette affaire ? » demanda Lettie.

Même Berwick soupçonnait l’organisation criminelle Kurama d’être derrière tout ça. Aucune preuve n’avait été apportée, mais Alus, qui avait un passé commun avec Kurama, pensait que c’était le scénario le plus probable. L’homme mystérieux qui était un utilisateur aussi doué ne pouvait pas être inconnu du monde entier. De plus, Kurama était devenu plus actif l’année dernière, répandant leur nom autour d’eux.

☆☆☆

Partie 2

Lors de l’incident de Demi-Azur, Alus et Lettie avaient rencontré Élise et son complice. Il s’agissait d’un échange à distance, mais ils avaient eu une expérience directe de son pouvoir. C’est pourquoi il était naturel que leurs esprits s’orientent dans cette direction.

« Oui, c’est une forte possibilité. »

« Que cherchent-ils ? » demanda rapidement Mujir, allongé sur son lit. Il ne pouvait pas bouger la tête et parlait au plafond. C’est quelqu’un qui l’avait gravement blessé, alors il voulait savoir qui était derrière tout ça.

« Je ne sais pas. Selon l’homme lui-même, sa mission était terminée. »

L’homme avait la capacité de contrôler librement les chutes de neige dans la vaste région de Vanalis, et il n’hésitait pas à neutraliser Mujir et à blesser Loki. En présence d’une Lettie épuisée, l’homme était dangereux. C’est pourquoi Alus avait immédiatement décidé de le tuer.

« De toute façon, les morts ne parlent pas. C’est tout ce que nous savons pour l’instant. C’est le travail de Berwick maintenant. Si l’homme était vraiment un membre de Kurama, le tuer était important. En les affaiblissant, nous pourrons plus facilement nous occuper d’eux s’ils nous attaquent », ajouta-t-il en plaisantant, mais il savait qu’avec Élise, le membre de Kurama qui avait attaqué l’Institut, ils ne pourraient pas battre Kurama sans lui.

Il n’avait pas particulièrement envie d’une revanche avec cette petite visiteuse, mais il se doutait bien qu’elle ne se présenterait plus devant lui de cette façon. De plus, en raison de l’Œil magique, il ne s’agirait même pas d’un combat à mort.

On disait que l’œil unique de Salem gouvernait la vie. Et Alus savait ce que cela signifiait… Élise ne mourrait pas. Elle ne pouvait même pas mourir. Pour cette raison, il préférait ne pas avoir cette revanche.

Cependant, les membres de l’équipe n’avaient pas l’air particulièrement satisfaits. Ils semblaient chercher un moyen d’exprimer leurs émotions contradictoires.

Lettie était un peu différente. Elle le regardait avec une sorte d’innocence dans les yeux, et il ne pouvait pas savoir ce qu’elle pensait.

« … !? » En suivant son regard, il vit enfin qu’elle ne le regardait pas, mais qu’elle le dépassait… Loki. Il ne comprenait pas de quoi on l’avait accusé exactement, mais il était conscient que tous les péchés supposés remonteraient à la surface si on les examinait trop fort. Il y avait encore quelque chose qu’il n’avait pas dit à Lettie et à Loki.

« Allie, il y a autre chose, n’est-ce pas ? » Comme prévu, Lettie s’approcha d’un pas et regarda directement le visage d’Alus. Elle était si proche que les bouts de leurs nez se touchaient presque.

« Il n’y a rien d’autre ! Je n’ai pas l’intention de cacher quoi que ce soit. »

« Hmm, vraiment ? »

Il aurait aimé dire qu’il était innocent jusqu’à preuve du contraire, mais il ne pouvait échapper au regard de Lettie. En réalité, il n’avait dit que les faits tels qu’ils étaient. Il avait laissé de côté ses suppositions sans fondement.

Cependant, Loki avait été ébranlée par le ton implicite de Lettie et semblait curieuse de savoir à quoi elle fait référence.

Sentant qu’Alus était désavantagé, Lettie se pencha en avant, comme si elle lui demandait s’il allait vraiment cacher des choses, même à sa partenaire. En conséquence, elle avait pratiquement pris la confiance de Loki en otage.

C’est alors qu’Alus abandonna. Peut-être devrait-il louer la capacité de Lettie à comprendre les choses. « Très bien… Ce qui a attiré mon attention, c’est l’épée de glace que l’homme utilisait. »

« C’était la première fois que je le voyais. C’est vraiment pénible de l’utiliser en contrôlant le mana, au lieu de le manier directement. Eh bien, tu lui as coupé le bras. »

C’était une technique utile, mais elle ne valait pas la peine d’être utilisée. Un haut niveau de traitement de l’information était nécessaire pour écraser les coordonnées et déplacer l’épée rapidement. « C’est vrai. Mais c’était un sort inhabituel. C’est tout. Oublions-le. » Les détails de la nature de l’épée ressortaient, mais il n’y avait pas de quoi s’inquiéter.

Loki, elle, fut un peu choquée. Elle avait dû remarquer que l’épée de glace était similaire au sort que quelqu’un d’autre avait utilisé.

« Quoi qu’il en soit… » Alus tenta de conclure.

Mais Lettie l’arrêta de la main. « D’accord, j’ai plus ou moins compris, alors c’est bon pour l’instant ! Je m’en occupe à partir d’ici. » Elle se retourna et fit face à son équipe. « D’accord ! Célébrons la reprise de Vanalis ! » cria-t-elle joyeusement en levant le poing.

C’était un comportement de garçon et ils avaient tous été surpris au début, mais ils s’étaient ensuite regardés les uns les autres. L’instant d’après, ils poussèrent des cris de victoire. Certains s’étreignirent, d’autres se tapaient sur l’épaule, d’autres encore souriaient depuis leur lit. Levant leurs bras musclés, ils dansaient de joie, hurlaient, sifflaient et faisaient toutes sortes de bruits. L’atmosphère morose d’avant avait disparu, remplacée par une grande clameur.

Alus et Loki étaient un peu perplexes, mais ils comprirent que c’était ainsi que fonctionnait l’escouade constituée par Lettie. Quelles que soient les difficultés qu’ils pouvaient rencontrer, lorsque le moment était venu et que leur mission épuisante était terminée, leur peine était temporairement remplacée par de la joie.

Mais les soufflets étaient si puissants qu’ils chassèrent ces pensées de l’esprit d’Alus. La signification de leurs résultats pour l’humanité et Alpha n’avait plus d’importance. Ils n’étaient émus que par les réalisations qui comptaient pour eux.

Cependant, Alus ne se laissa pas gagner par l’atmosphère. Au contraire, un doute lui vint à l’esprit. Peut-être que l’homme des neiges ne faisait que donner l’impression de coopérer avec les Mamonos à la surface, alors qu’en réalité il faisait autre chose. Comme l’Ogma pouvait contrôler ses alliés avec l’élément sombre, peut-être essayait-il de contrôler les Mamonos aussi. Après tout, il avait mentionné les résultats des recherches de Godma.

D’ailleurs, tous les documents de recherche de Godma étaient censés avoir été effacés sur ordre de Vizaist. Et si l’homme des neiges avait travaillé en coulisse avec Godma ? Il n’aurait pas été étrange qu’il reçoive certains résultats de recherche.

Bien sûr, il ne s’agirait pas de recherches sur les éléments… mais sur la magie qui transforme les gens en Mamonos.

Soudain, des images surgirent dans la tête d’Alus. Le motif en forme d’œil sur les ailes, ainsi que la crinière de cheveux humains et le morceau de cuir humain que Mujir et Sajik avaient rapporté. Ces traits humains avaient pris une apparence trop évidente à cause de la prédation, sans compter qu’il était anormal que des Mamonos portent de la peau humaine. Ce qui signifiait que peut-être…

Peu après, Louise était apparue à l’arrière de la base, portant un plateau en bois. Sur le plateau se trouvaient de nombreuses tasses. Elles devaient avoir été fabriquées à la main, car elles semblaient inégales, mais elles avaient été limées avec soin.

Louise prit une tasse et une bouteille sur le plateau et commença à verser un liquide transparent. « Voilà, Lady Lettie. »

« Merci pour l’aide et pour la guérison de tout le monde », dit Lettie en souriant et en remerciant Louise. Après s’être calmée, elle éleva la voix. « Que tout le monde prenne une tasse. »

Elle se tourna ensuite vers Alus et Loki. « Désolée, mais les enfants devront se contenter d’eau. » Devant le regard exaspéré d’Alus, elle poursuivit : « C’est non, même si vous me faites les yeux doux. C’est du costaud. »

En entendant cela, Alus s’était souvenu qu’il y avait effectivement de l’alcool parmi les choses que le détachement précurseur avait apportées.

Avec un sourire en coin, Mujir ajouta sa propre excuse. « Sire Alus, ce n’est pas comme si nous buvions tout le temps. C’est plutôt une tradition pour ce genre d’occasion. » Ses yeux étaient doux, mais avec un certain degré de tristesse.

À bien y penser, après tout ce remue-ménage, le toast avait une sorte de solennité cérémonielle. En d’autres termes, le genre d’occasion à laquelle Mujir faisait référence ne consistait pas à terminer une grande mission, mais à pleurer leurs camarades tombés au combat.

Dans la main d’Alus se trouvait une tasse contenant suffisamment d’eau pour la boire d’un seul trait. Mais il avait l’impression que cette gorgée avait beaucoup de sens. Loki s’était assise dans son lit et tenait la petite tasse à deux mains.

Après s’être assurée que tout le monde était prêt, Lettie leva sa tasse. Un peu d’alcool s’en échappa, mais elle s’en moqua. Les autres membres de l’équipe levèrent leur verre en réponse. Alus et Loki firent de même, levant lentement leurs gobelets, en veillant à ne pas en renverser le contenu.

« Maintenant, nous avons nettoyé votre désordre. Je ne sais pas si le paradis ou l’enfer se trouve après cela, mais vous n’avez pas le temps de vous reposer. Tant que nous exercerons notre pouvoir dans le Monde extérieur, vous aurez l’obligation d’en être les témoins. C’est votre punition pour avoir pris de longues vacances avant le reste d’entre nous. » Lettie parlait comme si elle enviait les morts, mais son expression était joyeuse et innocente. Ses paroles lui ressemblaient beaucoup, bien loin du langage formel auquel on s’attendrait habituellement en de telles occasions.

Elle inclina le gobelet et avala la boisson d’un trait, avant d’expirer bruyamment. Il semblerait que ce soit vraiment une boisson forte.

Les membres survivants de l’équipe suivirent l’exemple de Lettie et burent leurs boissons. Certains étaient comme Lettie, affichant des expressions comme s’ils supportaient quelque chose, tandis que d’autres tiraient la langue, et que d’autres encore tenaient leur verre à l’envers, l’air insatisfait.

Sajik fronça les sourcils, semblant s’étouffer. Mujir avait bu son verre, mais ne montra aucune expression. Il avait l’air de tenir l’alcool.

Finalement, Alus but sa propre tasse, mais comme prévu, ce n’était que de l’eau. Pensant qu’il en était de même pour Loki, il jeta un coup d’œil vers elle. « … !! »… Il vit son visage devenir rouge après l’avoir bu. Ses yeux se déconcentrèrent également.

Alus se retourna et s’exclama : « Hé ! » Louise lui renvoya un regard vague, sans que l’on sache si c’était intentionnel ou non.

« La petite Loki a bu de l’alcool ? Eh bien, nous sommes dans le monde extérieur, c’est comme si nous étions à l’extérieur de notre propre nation… En fait, je ne pensais pas que tu étais un tel poids plume. »

« Haha… ce n’est rien du tout… vraiment ! Je vais bien. Je peux faire une montagne de Mamonos dehors ! » Non seulement elle bafouillait ses mots, mais elle se montrait étrangement confiante. On aurait dit qu’elle avait même oublié ses blessures. « Sire Alusss, ne penses-tu pas que tu me quittes trop des yeux ? J’ai besoin que tu voies que… je peux me… débrouiller toute seule ! » Il y avait même des hoquets mêlés à son discours, il ne faisait donc aucun doute qu’elle avait perdu le contrôle.

« C’est une drôle d’alcoolique, Allie. Je suis contente qu’elle ne se déshabille pas et qu’elle ne soit pas violente. »

« Ne fais pas comme si cela ne te concernait pas ! Qu’est-ce qu’on est censé faire ? »

Lettie avait l’air de s’amuser. « Au fait, je suis du genre à être collante ! »

☆☆☆

Partie 3

Alus l’ignora, et lorsqu’elle tenta de s’appuyer sur lui, il la repoussa silencieusement. Un coup d’œil aux expressions sèches de Mujir et de Sajik révéla qu’elle était loin d’être du genre collant lorsqu’elle était ivre.

« Allons-y. Nous allons commencer cette fête des cadavres ! » déclara Loki en sautant de son lit.

Alus enroula ses bras autour de son ventre et la tint en l’air, mais elle commença à se débattre comme une enfant. « Hé, fais quelque chose ! »

« Qu’est-ce qu’on est censé faire ? N’est-ce pas, Louise ? »

Pendant ce temps, Loki échappa à l’emprise d’Alus et utilisa la Force pour se déplacer sur une distance de deux mètres. Ivre ou non, les mouvements de son corps étaient parfaits. Le fait qu’elle n’ait aucune difficulté à contrôler le mana et à construire des sorts dans son état était surprenant.

Voyant le visage suffisant de Loki, Alus se frappa le front. À ce rythme, elle pourrait se frayer un chemin jusqu’aux terres infestées de Mamonos sans que personne ne puisse l’arrêter. Les membres de l’escouade se dépêchèrent de bloquer le passage.

L’instant d’après, Loki afficha un étrange sourire puis… elle vomit un flot de sang.

« Aaaaaaaaa !!! Ses blessures se sont ouvertes ! » cria Louise. Elle avait des herbes réparatrices dans la main, mais il était déjà trop tard. Quand elle vit Loki dans cet état, ses épaules s’affaissèrent. « Je lui ai aussi dit qu’elle devait se reposer. »

Ce ne sont pas les mots de quelqu’un qui est responsable de sa consommation d’alcool. Louise s’empressa de prendre Loki et de la ramener à l’unité de soins.

Lettie riait aux éclats, mais ce n’était pas le moment, pensa Alus. Au moins, il avait eu un aperçu d’une facette rare de Loki et de ses vrais sentiments. De plus, il avait appris à ne jamais la laisser boire.

Sentant l’épuisement le frapper d’un seul coup, Alus tomba, dos le premier, sur un lit. Cela dit, le lit n’était pas vraiment rembourré, ce qui lui fit un peu mal au dos.

Lettie finit par cesser de rire et expira comme pour savourer le moment. Une forte odeur d’alcool lui chatouilla le nez.

C’était une brève pause pour les magiciens qui se déplaçaient d’un champ de bataille à l’autre, lorsque le temps ralentissait à mesure qu’il s’écoulait. De penser qu’un tel moment se produirait dans le monde extérieur, dans une petite base construite dans une grotte.

Passer du temps avec les gens du monde extérieur lui rappelait des souvenirs d’un passé lointain… des journées épanouissantes qu’il aurait pu vivre à l’époque.

« Ce genre de chose n’est pas si grave, tu sais », dit Lettie, comme si elle lisait dans ses pensées.

Sans répondre, Alus ferma simplement les yeux sur le lit dur. Ils étaient tous les deux des Singles, ils avaient donc quelque chose en commun. De plus, il connaissait Lettie depuis longtemps. Ils n’étaient pas trop proches, mais ils n’étaient pas non plus distants l’un de l’autre. C’était en quelque sorte une relation inséparable. Je suis battu. Sur cette pensée, la conscience d’Alus dériva sous la surface et il s’endormit.

Un calme qui avait été tant attendu s’était installé sur Vanalis.

Dans son sommeil confortable, sa conscience s’enfonça encore plus profondément.

☆☆☆

Vanalis avait autrefois abrité une ville fortifiée. Après l’élimination des Mamonos de haut rang qui y avaient fait leur nid, la carte de la région avait dû être redessinée. Certains terrains avaient en effet été modifiés.

Si des gens comme Vizaist ou Berwick l’apprenaient, ils se tiendraient la tête entre les mains. L’endroit où Alus et Lettie avaient éliminé le Shem Azah en particulier n’était pas susceptible de voir une quelconque vie végétale pour le prochain demi-siècle. La terre était brûlée, et il y avait un grand trou qui s’enfonçait profondément dans la roche.

Le sol était partout retourné, témoignant de l’intensité de la bataille. Il faudrait beaucoup de main-d’œuvre pour le remettre en état. Mais comme il n’allait pas le faire lui-même, Alus s’en moquait éperdument.

La bataille terminée, Vanalis retrouvait rapidement son climat d’antan. C’était une région chaude à l’origine, et avec la fonte de l’étrange neige, le paysage d’origine remontait à la surface. L’air était vivifiant et la respiration n’était plus douloureuse.

Le ciel de Vanalis était dégagé et il n’y avait pas un seul nuage à l’horizon. Leur mission achevée, ils pouvaient se laisser séduire par la beauté de la nature de la région. Ce n’était peut-être pas pour demain, mais la flore et la faune finiraient par revenir pour recouvrir la terre de verdure.

Après la bataille décisive, les apparitions de Mamonos avaient été drastiquement réduites, mais ce n’était pas un phénomène rare. Une fois que le Mamono de la plus haute classe régnant sur la région était éliminé, les Mamonos restants avaient tendance à se disperser et la prolifération des Mamonos diminuait considérablement jusqu’à ce qu’un autre chef apparaisse. Mais comme ils avaient fait tout leur possible pour nettoyer Vanalis, ils auraient préféré qu’aucun nouveau chef n’apparaisse pendant un certain temps.

« Je veux vraiment la petite Loki pour moi », déclara soudainement Lettie, alors qu’ils patrouillaient dans la région pour s’assurer qu’il n’y avait pas d’autres Mamonos de haut niveau.

Loki n’était pas encore revenue à la normale, mais elle pouvait utiliser son sonar à mana sans problème. Louise lui avait strictement interdit de prendre part à la moindre bataille, elle était donc limitée à la détection, ce dont elle s’acquittait très bien.

« Quelqu’un de mon niveau ne ferait que vous gêner. » La façon dont Loki déclara cela avec fermeté était à la fois emphatique et têtue. Elle était gênée, et regrettait de s’être déchaînée hier. Il y avait beaucoup de souvenirs qu’elle voulait effacer.

« Eh bien, la façon dont tu as vomi du sang était plutôt mauvaise », nota Lettie.

« C’était à cause de l’alcool ! » Loki voulait faire comme si rien ne s’était passé, mais sa réaction montrait bien que cela la gênait. Elle se tourna vers Alus pour lui faire comprendre que c’était la faute de l’alcool et non la sienne. Mais elle vit alors le visage revêche d’Alus. « Je suis désolée pour tous les ennuis que je t’ai causés ! » s’excusa-t-elle en s’inclinant.

« Eh bien, c’était drôle, alors tout va bien. »

« La-Lady Lettie ! »

Lettie ignora les protestations de Loki, qui rougissait, et s’esclaffa en se souvenant de la journée d’hier.

Exaspéré, Alus prit la parole pour interrompre le flux. « Cette zone devrait être dans un état acceptable maintenant. Désolé, mais nous allons rentrer en premier. » D’autres membres de l’escouade en charge de différentes zones faisaient des rapports via leurs consenseurs, et il n’y avait aucun problème. Ils retournaient progressivement vers Lettie par petits groupes. La prochaine étape serait un nettoyage détaillé de la région, mais le travail d’Alus ne consistait pas à s’occuper du menu fretin.

Lettie sourit. « Je suppose qu’on y est obligé. C’est ce que nous avons promis. »

« Bien sûr. Si je continue, mes résultats scolaires en pâtiront. »

« Même toi, tu ne fais pas le poids face à Cisty. Cette sorcière est vraiment effrayante. »

« Oui, quelque chose comme ça. Alors bonne chance par ici. » Sur ce, Alus poussa Loki et se retourna. Leurs meutes les attendaient à la base.

Mais Lettie appela Alus par-derrière. « Et aussi… J’aimerais entendre ta réponse à cette question, Allie. » Sa façon de parler n’avait pas changé, mais son regard fuyant et son air un peu brusque lui donnaient l’air d’une fille qui attendait la réponse à une confession. Les mots résonnaient dans l’air clair, avec leurs nuances délicates.

Seul Alus savait de quelle question parlait Lettie. Ignorant le regard perplexe de Loki, il jeta un coup d’œil à Lettie. Cependant, il ne s’arrêta pas de marcher.

Il aurait été faux de dire qu’il n’avait pas eu le temps d’y réfléchir. Il n’avait pas besoin d’y réfléchir. Il avait beau se remémorer ou réfléchir, il ne trouvait pas de réponse.

Le simple fait d’avoir été invité dans l’équipe de Lettie lui donnait l’impression d’avoir été sauvé. Depuis qu’il avait commencé à se rendre seul dans le monde extérieur, personne n’était intervenu, qu’il vive ou qu’il meure. Et il ressentait la même chose envers les autres.

Alus avait demandé à prendre sa retraite de l’armée parce qu’il en avait assez de ce genre de monde. Mais le monde intérieur était trop différent pour un magicien à un chiffre comme Alus. Parfois, il avait l’impression que sa seule place était à l’extérieur. C’était peut-être pour cela qu’il avait toujours attendu que quelqu’un lui tende la main.

Lettie interpréta sa pause comme une hésitation, et un sourire apparut sur ses lèvres. « C’est bien d’avoir un endroit où l’on peut courir dans le monde extérieur avec d’autres personnes. Ces gars-là ne mourront pas si facilement, tu sais ? Oh, je suppose que tu deviendras le capitaine si tu nous rejoins. Eh bien, ce serait bien aussi. » Elle prononça ces mots lourds d’une manière plutôt légère, mais les membres de l’escouade qui s’étaient rassemblés autour d’elle n’avaient pas l’air contrariés le moins du monde.

Au contraire, ils semblaient tous prêts à l’accepter. Certains sourient faiblement en croisant les bras. D’autres avaient l’air intéressés, se caressant le menton. D’autres encore s’appuyaient sur les arbres voisins pour observer la situation. Cependant, ils étaient tous silencieux, observant la discussion entre Lettie et Alus. Chaque visage était aussi féroce que le suivant. Ils étaient tous de puissants vétérans qui avaient vécu leur lot de batailles.

« Tu n’as plus besoin d’être seul. Si tu ne peux pas vivre ailleurs que dans le Monde extérieur, tu devrais trouver un endroit où tu te sentes à ta place… C’est le cas ici. Allie, tu es déjà comme de la famille. » En même temps que son sourire enjoué, Lettie tendit sa main douce et souple.

 

 

En voyant cela, Loki ne put cacher sa surprise. Elle se rendit compte de tout et se mit à sourire. Alus avait subi un traitement inhumain dans l’armée, et tout ce qu’il avait obtenu en retour, c’était des louanges superficielles. La douleur de son cœur et ses propres souhaits avaient été complètement ignorés.

Maintenant, son âme blessée allait enfin être sauvée et un peu récompensée. Lettie était l’une des rares personnes à pouvoir vraiment comprendre Alus, et prendre sa main le mènerait sûrement au bonheur.

Loki resterait à ses côtés pendant qu’il suivrait ce chemin. Ils ne pourraient pas quitter l’armée et le chemin serait plein de dangers, mais ce n’était pas différent de maintenant.

Plus important encore, c’est au sein de l’équipe que se trouvaient les personnes qui comprenaient la véritable valeur d’Alus, et elles étaient là pour lui. Elle avait l’impression que les choses qu’Alus voulait étaient là. Elle avait perdu ses parents et avait été élevée dans l’armée. C’est pourquoi elle pouvait comprendre ce qu’il choisissait et ce qu’il voulait. Comparée à l’armée qui n’appréciait que sa capacité à tuer des Mamonos, l’escouade de Lettie était comme un rêve. C’était à la fois une famille et un endroit où l’on pouvait se sentir chez soi.

Loki n’arrivait pas à verbaliser le sentiment qui l’habitait. C’était chaleureux, mais il y avait aussi une légère amertume. L’invitation était censée être bonne pour lui et pour elle aussi. Mais elle sentait une différence dans ce qui était censé être une relation d’égal à égal. En fin de compte, elle ne déclara rien à voix haute.

« De cette façon, nous n’aurons pas non plus à chercher un nouvel observateur. La petite Loki sera avec nous après tout. »

« Mais à part ça… avoir deux Singles dans une même escouade ruinerait complètement l’équilibre des forces dans l’armée. »

« Je ne me soucie pas de ces petites choses. Ce qui compte, c’est ce que tu veux faire. Sache que je ne t’invite pas sur un coup de tête. J’y ai pensé depuis que j’ai créé cette équipe. » Ce que disait Lettie était la vérité. Comme ils étaient deux Singles à se battre en première ligne, elle était toujours restée au courant des mouvements d’Alus, ainsi que des ordres qui lui étaient donnés. « Je ne laisserai personne se plaindre. Même si c’est le gouverneur général qui a l’autorité, ce sont les magiciens sur place qui ont le pouvoir. Si tu rejoins mon escouade, Allie, nous contrôlerons soixante pour cent de la puissance militaire d’Alpha. »

Alus s’était retenu de dire qu’elle exagérait. La déclaration inappropriée de Lettie donnait l’impression qu’elle était d’accord pour se retourner contre l’armée.

☆☆☆

Partie 4

Mais c’était en fait un signe de sa détermination. C’était dire à quel point elle mettait de l’émotion dans son offre à Alus. Quel que soit le choix d’Alus, personne ne se plaindrait. Il y aurait peut-être quelques mécontents, mais le pouvoir et la valeur d’un Single étaient énormes. Et si deux d’entre eux étaient réunis dans une même escouade, personne ne pourrait les toucher.

Cependant, l’offre de Lettie ne comportait aucune considération politique. En fait, elle lui demandait ce qu’il voulait et comment il voulait vivre. S’il voulait vivre ici, l’existence de camarades était nécessaire. Et elle essayait peut-être de lui dire qu’ils resteraient à ses côtés et le soutiendraient.

Alus savait déjà que rien n’était éternel. Il savait que les souvenirs de ses camarades resteraient toujours dans un coin de son esprit, tels des fantômes persistants.

Tout au long de sa vie militaire, la seule qu’il ait connue, Alus avait toujours supprimé tout ce qui était inutile. C’est ainsi qu’il s’était maintenu en vie. Même les émotions devaient être éliminées.

Mais maintenant, Lettie lui tendait la main, et pour un magicien, c’était une main très pure.

Alus connaissait les limites de la solitude, mais jusqu’à présent, il n’avait pas encore atteint ce stade. Alors si on lui demandait si c’était nécessaire ou non… il devrait dire que ce n’était pas nécessaire. Tout le monde mourrait un jour, et pour les magiciens, le monde extérieur était l’endroit où ils passaient le reste de leur vie.

Pendant un instant, la question s’était posée dans son esprit. Allait-il rester les bras croisés et regarder d’autres personnes mourir devant lui ? Il aurait beau les aider, la même scène se reproduirait. C’est ainsi que ça finirait par devenir pénible et inutile.

Mais peut-être que cette fois-ci, ce serait différent. Avec des compagnons d’armes, ils pourraient se couvrir mutuellement le moment venu. Ce genre de chose serait bien.

Même après s’être lassé des combats et avoir pris sa retraite, il y avait toujours des excuses pour ramener Alus à l’extérieur. Cela ne faisait même pas un an qu’il était à l’Institut et il avait déjà été renvoyé plusieurs fois. Il se faisait des illusions. Sa situation n’avait pas vraiment changé. La retraite n’avait été qu’un prétexte pour lui permettre de trouver un endroit où il avait sa place, un endroit où l’honneur et le titre d’être le plus grand magicien n’avaient pas d’importance et où il pouvait simplement être lui-même.

Il voulait trouver un endroit où il pourrait faire ce qu’il voulait. C’est tout. Il voulait se débarrasser de son titre et même laisser son nom derrière lui…

Alus était également conscient que son désir était plus fort que celui de la plupart des gens. En même temps, il voulait voir ce qui se trouvait plus loin, dans le monde extérieur. Peut-être que la main de Lettie exaucerait ce souhait.

Un jour, il serait libéré de ses jours de combat. Quand tous les Mamonos auraient été rayés de la surface de la planète… Je suppose que ça n’arrivera pas. Même si tous les Mamonos étaient éliminés, les combats continueraient. L’art de tuer sera toujours utile, quelle que soit l’apparence du monde.

Alus rit intérieurement et réfléchit encore un peu. Finalement, il tendit sa main vers celle de Lettie. S’il prenait sa main, ses jours de combat recommenceraient. Mais ce serait complètement différent de ce qu’il avait vécu dans le passé. Cela mènerait sûrement à un avenir différent de celui qu’il connaissait.

Cependant… juste avant de toucher ses doigts souples et magnifiques, porteurs d’un doux avenir, sa main s’arrêta. « Je passe mon tour. J’ai encore quelques affaires à régler. »

C’était peut-être juste une excuse qu’il avait inventée. Mais Lettie l’accepta silencieusement avec un sourire, et retira sa main. « À l’Institut, hein. »

« … » La réponse d’Alus fut le silence. Il ne savait pas vraiment s’il avait encore quelque chose à faire là-bas. Mais s’occuper de Tesfia et d’Alice pouvait certainement être considéré comme une tâche inachevée.

Lettie fixa Alus. Elle savait que l’Institut était un lieu important pour Alus, et qu’il en était de même pour Loki.

Alus avait beaucoup changé depuis qu’il était entré à l’Institut. Certaines choses étaient bonnes et d’autres mauvaises, mais il n’était plus le même qu’avant. C’est ce qu’on appelle grandir. En ce sens, les ennuis qui lui étaient arrivés l’un après l’autre n’étaient peut-être pas aussi inutiles que ses plaintes le laissaient entendre.

« C’est dommage, mais je m’en doutais un peu. C’est pourquoi je n’avais pas l’intention de dire quoi que ce soit », grommela Lettie. Pourtant, elle ne devait pas vouloir rater l’occasion de travailler avec lui dans le Monde extérieur.

Elle était aussi l’une des personnes qui avaient senti les changements à Alus. C’est pourquoi elle avait fait son offre en s’attendant plus ou moins à être rejetée. En même temps, elle ne pouvait pas cacher sa réaction. Même si elle savait qu’elle serait probablement rejetée, elle était plus déprimée qu’elle ne l’aurait cru.

Elle dissimula cette agitation intérieure derrière un ton décontracté. « Si tu cherches un endroit où te sentir chez toi, tu peux toujours venir chez nous. Nous t’attendrons. Toujours. » En lui ébouriffant les cheveux, le sourire de Lettie vacilla. Elle ressentait une véritable gratitude, un espoir pour l’avenir et un léger regret.

« Oui, ce n’était que pour une courte période, mais je te dois bien ça… Non, je crois que c’est toi qui me dois quelque chose », répondit Alus en plaisantant.

Avec un grand sourire, Lettie avait saisi les épaules d’Alus et le fit tourner de force. « Pourquoi, petit… ! » Elle l’enlaça ensuite par derrière, lui chuchotant à l’oreille pour qu’il soit le seul à l’entendre. « Je te suis vraiment redevable… Pourtant, j’aurais aimé t’inviter avant que tu ne t’inscrives à l’Institut. Enfin, si cela te convient, c’est mieux ainsi. »

Entendant cette voix sincère à son oreille, Alus regarda les cieux vides au-dessus de lui. Si elle l’avait vraiment invité avant qu’il ne s’inscrive, alors peut-être…

Mais cela n’arrivera jamais maintenant. En même temps, il avait l’impression que le fait qu’elle l’aborde signifiait que tout le travail qu’il avait accompli par le passé avait fini par porter ses fruits. Tant qu’il y aurait quelqu’un pour le reconnaître, Alus ne pourrait pas quitter complètement ce monde ou l’armée. Et surtout, il ne détestait pas Lettie.

« La petite Loki a aussi beaucoup aidé. Tu peux venir seule, tu sais », dit Lettie sur le ton de la plaisanterie, mais en tendant la main. Cela signifiait qu’elle avait reconnu Loki comme une magicienne, un grand compliment venant d’un Single.

Cependant… « C’est un honneur, merci, Lady Lettie. Mais je suivrai Sire Alus n’importe où », dit clairement Loki. Elle s’excusa en s’inclinant.

Lettie sourit ironiquement. « C’est vrai, je suppose que c’est mieux ainsi. Mais le monde extérieur est étonnamment petit, alors je suis sûre que nous nous reverrons quelque part. La prochaine fois, j’espère que tu m’appelleras correctement Grande Soeur. »

Lorsqu’elle évoqua la farce de ce qui s’était passé à l’Institut, Loki s’empressa de porter un doigt à ses lèvres. C’était le genre d’atmosphère propre aux femmes que même Alus hésitait à interrompre. Au moins, leur relation s’était approfondie au cours de cette mission.

Après avoir regardé Alus et Loki retourner dans le monde intérieur, les épaules de Lettie s’affaissèrent.

« Ha ha, je suppose que tu as été rejetée, capitaine », dit Mujir, comme s’il essayait de la réconforter. Son ton était enjoué, mais il était un peu forcé, car il ne correspondait pas à son caractère. Il risquait de se retourner contre elle et de l’offenser, mais sa loyauté le poussait à prendre le risque.

Et il n’était pas le seul. Tous les membres de l’équipe savaient que c’était son rêve depuis la création de l’équipe. Elle avait voulu intégrer Alus à son équipe et combattre côte à côte. C’était pratiquement impossible… mais c’était le désir personnel de Lettie.

Pourtant, vouloir imposer sa volonté était une chose que tous les magiciens comprenaient lorsqu’ils acquéraient de l’expérience. Un magicien à un chiffre était la clé de voûte de la puissance militaire d’une nation, et il avait donc tendance à se retrouver coincé dans toutes sortes de liens, car les considérations politiques s’entortillaient inévitablement autour de ses pieds. L’escouade de Lettie n’avait appris les contraintes liées au pouvoir qu’en passant du temps avec une Single comme elle.

C’est pourquoi ils étaient tous favorables à ce qu’Alus les rejoigne. Ensemble, Alus et Lettie pourraient se soutenir mentalement. Sans parler du fait que l’équipe devrait être assez confortable pour un magicien à un chiffre. Ces sentiments s’étaient renforcés après la bataille contre Demi-Azur.

« Ce n’est pas grave. Il reviendra un jour… ou peut-être qu’il vaudrait mieux pour Allie qu’il ne revienne pas. »

« Décide-toi ! » dit Mujir avec exaspération, alors que le coup de marteau qu’il s’était préparé à recevoir ne vint jamais.

Ignorant sa remarque, Lettie se contenta de sourire vaguement. En réalité, tous les préparatifs pour que l’escouade reçoive Alus avaient déjà été faits. Mais en même temps, elle sentait qu’Alus n’aurait pas accepté, jusqu’à ce qu’elle entende des rumeurs sur sa retraite et qu’elle sente que c’était sa chance. Elle allait agir par tous les moyens possibles.

C’est alors qu’elle apprit qu’il s’était inscrit à l’Institut, et elle mit son recrutement en suspens pour observer ce qui se passait. Si les choses se passaient bien pour lui, il ne serait peut-être pas nécessaire qu’il rejoigne son équipe.

Mais lorsqu’il s’agit de ses sentiments… « J’ai l’impression d’avoir raté ma seule chance. C’est une lourde perte. » Avec un soupir, elle posa ses mains sur l’arrière de sa tête et se retourna. Devant elle se trouvait la terre de Vanalis, récemment reconquise.

« Qu’est-ce que c’est que ça ? Ce n’est pas une perte, c’est une aide précieuse. Sans lui, nous aurions peut-être dû consacrer une demi-année de plus à cette mission », souligna Sajik.

Mais Lettie ne pouvait s’empêcher de penser qu’il était naïf. « Ne sois pas stupide. Ça ne prendrait pas que six mois. Nous aurions eu de la chance de nous en sortir vivant, petit Sajik. »

Sajik se crispa immédiatement devant cette façon inhabituelle de l’appeler, se demandant s’il s’était trompé et avait mis le capitaine en colère. Mais la colère ne vint pas, Lettie commença simplement à s’éloigner, son cerveau cherchant déjà à savoir comment procéder à partir d’ici.

En y repensant, la mission avait été pleine de mystères. Non seulement de nombreux Mamonos de haut rang avaient rapidement changé de chef, mais il y avait aussi le Lefkis qui avait la corne d’une espèce évoluée capable de lancer des sorts à longue distance. Et aussi, le cas sans précédent de Mamonos se coordonnant les uns avec les autres… Sans compter qu’à leur tête, ce n’était pas le chef — le Shem Azah — mais l’Ogma, ce qui était d’autant plus étrange.

Encore une fois, il n’était plus certain qu’il s’agisse bien de l’Ogma. La présence de cet homme assombrissait les pensées de Lettie.

Elle avait l’impression que sa tête allait exploser à force de considérer tous les facteurs compliqués. Elle gémit et secoua la tête pour s’éclaircir les idées. « Notre priorité pour l’instant est d’entretenir cet endroit et de préparer le transfert. Sajik, rédige un rapport et nettoie le périmètre. Mujir, mets à jour la carte et rédige les documents nécessaires. »

Sajik et Mujir avaient soudainement réalisé qu’ils allaient payer pour leurs erreurs précédentes. Même leur demande d’une seule nuit de repos avait été impitoyablement rejetée.

Peu après, Lettie reçut des nouvelles inquiétantes de l’unité qu’elle avait envoyée au sommet de la montagne enneigée. La zone était censée être débarrassée de tous les Mamonos charognards.

Pourtant, ils avaient signalé que le cadavre de l’homme avait disparu…

☆☆☆

Si vous avez trouvé une faute d’orthographe, informez-nous en sélectionnant le texte en question et en appuyant sur Ctrl + Entrée s’il vous plaît. Il est conseillé de se connecter sur un compte avant de le faire.

Laisser un commentaire