Chapitre 1 : Un homme étrange
Partie 6
« C’est… C’est superbe ! Incroyable ! Je n’ai jamais vu un spécimen aussi bien conservé ! »
La personne devant moi n’était autre qu’un certain Unbert Abeiyu, le guérisseur qu’Alize avait déjà mentionné. L’herboriste Norman Hanel l’accompagnait.
Unbert était un homme mince, d’âge moyen, tandis que Norman était beaucoup plus jeune, un jeune homme dodu dans la vingtaine. À en juger par leur comportement et leurs sourires amicaux, j’avais cru comprendre qu’ils avaient des liens amicaux avec l’orphelinat.
« Est-ce vraiment le cas… ? Seuls des aventuriers de haut rang exploreraient le Marais des Tarasques, » demandai-je. « On pourrait penser qu’ils sauraient au moins comment récolter et préserver une Fleur de Sang du Dragon. »
La compétence d’un aventurier augmentait proportionnellement à son rang. Les aventuriers de haut rang avaient généralement plus de force et de puissance, et ils acquéraient aussi habituellement d’autres compétences en cours de route, comme la dissection et les techniques de cueillette d’herbes. Bien sûr, il fallait aussi apprendre l’étiquette dans les affaires et acquérir des connaissances générales sur les coutumes du monde. Bien qu’on ne s’attendait pas à ce qu’ils possèdent autant de connaissances qu’un professionnel, les aventuriers devaient, dans tous les cas, continuer d’apprendre et d’affiner leurs compétences de base à mesure qu’ils gravissaient les échelons.
Il y avait des exceptions, bien sûr. Les individus qui n’acceptaient que des demandes concernant la mort de cible et qui se développaient de façon disproportionnée. De même, les aventuriers qui réussissaient à tricher ou à bluffer en passant les tests de progression se retrouvaient avec des compétences un peu plus étranges.
Compte tenu de tout cela, on pourrait logiquement supposer que tout aventurier explorant le Marais de Tarasque serait au moins de classe Argent ou Or. Sauf dans des cas particuliers comme le mien, ils seraient suffisamment qualifiés dans tous les domaines : combat, cueillette d’herbes, ou autre.
« Pas tout à fait. La plupart des aventuriers sont bien trop préoccupés par l’empoisonnement pour se soucier des fleurs qu’ils cueillent ! En fait, la plupart d’entre eux récoltent les fleurs avec insouciance, pensant que tout va bien s’ils reviennent avec un échantillon. Cependant, étant donné la nature de l’endroit… peu d’aventuriers oseraient s’y aventurer, donc nous ne pouvons pas vraiment nous plaindre. En fait, trouver un aventurier capable de s’aventurer à l’intérieur est une chose dont il faut se réjouir ! » déclara Norman.
Il y avait une part de vérité dans les paroles de Norman. Peu d’aventuriers seraient prêts à rester dans le marais plus longtemps qu’ils ne le devraient. La plupart des aventuriers qui avaient la capacité de le faire préféreraient être ailleurs, même si ceux qui y étaient entrés étaient probablement bien rémunérés pour leur temps. Des bénévoles comme moi étaient peut-être inconnus dans ce scénario particulier.
Un aventurier et son client étaient généralement sur un pied d’égalité, de sorte que le client devait offrir une compensation suffisante pour attirer un aventurier compétent dans le marais. En raison de la complexité des facteurs en jeu, l’aventurier impliqué avait souvent eu le dessus dans cette discussion. Dans la plupart des cas, cependant, c’était le contraire qui s’était produit. Alors qu’une relation client-aventurier équilibrée était idéale, la réalité était tout autre.
« Je suis heureux que cela se soit bien passé, » déclarai-je.
« Bien sûr que ça s’est bien passé ! » La réponse de Norman avait été enthousiaste. « Avec cette Fleur de Sang du Dragon parfaitement conservée, la création d’un remède pour la maladie de l’accumulation de miasme serait une affaire simple ! En raison de son état parfait, j’aurais aussi beaucoup plus de temps pour le traiter. En fait, je pourrais faire beaucoup d’autres médicaments. Si seulement nous avions plus de Fleurs de Sang du Dragon…, » déclara Norman, comme si le fait d’avoir une seule fleur était une bénédiction en soi.
« Combien en avez-vous besoin ? » demandai-je.
« Eh… ? Hmm. Voyons voir. Trois ou quatre tiges de plus seraient parfaites. Je pourrais distribuer l’extrait, et pouvoir faire beaucoup d’autres médicaments afin de guérir les malades ! » répondit Norman, plus à lui-même que quiconque.
Il n’avait pas l’air de me supplier de lui donner plus de fleurs, je ne l’avais même pas informé du fait que j’avais récolté plusieurs fleurs. Norman pensait probablement à un scénario hypothétique dans lequel de nombreux aventuriers bienveillants rapportaient chacun une fleur.
Il n’avait pas l’air d’être du genre à mentir — comme s’il affirmait mes pensées, Alize se pencha vers moi, me murmurant à l’oreille.
« Le docteur Norman aide beaucoup de pauvres, et pas seulement l’orphelinat ! Il paie les médicaments de sa poche, vous savez ? C’est un médecin si rare et avec un bon cœur ! C’est rare en ce moment ! » Alize était apparemment pleine d’éloges pour le bon docteur Norman. Il semblerait que le docteur avait son approbation.
Il n’y avait aucun doute que le médecin apportait un soutien important à Alize et à l’orphelinat, mais les herboristes en général avaient besoin de beaucoup de capital pour fonctionner. Les médicaments n’étaient pas tout à fait gratuits, car il fallait rassembler le matériel adéquat. C’était juste la nature du travail. Ainsi, la plupart des herboristes n’avaient d’autre choix que de vendre leurs produits à des prix un peu plus élevés, ne serait-ce que pour pouvoir continuer à fonctionner.
Malgré tout… Dire que le docteur avait payé de sa poche pour aider les malades. Je n’avais pas pu m’empêcher de ressentir un sentiment d’inquiétude. S’il arrivait quelque chose au docteur Norman, l’orphelinat serait sûrement affecté négativement.
Au moins, Alize penserait comme ça. Cependant, en réalité, le médecin devait disposer de ses propres moyens pour assurer le bon fonctionnement de son entreprise. Pour ce qui est de ces raisons, je n’en étais pas tout à fait sûr, mais j’avais supposé que cette petite contribution ne ferait pas de mal.
J’avais tendu la main dans ma pochette magique, décidant d’apporter d’autres fleurs de mon stock. Quelques tiges de plus n’étaient pas vraiment une perte terrible, et c’était pour une bonne cause.
« Tenez… prenez ceci, » déclarai-je.
J’avais récupéré quatre autres Fleurs de Sang du Dragon, les mettant sur la table. Les yeux de Norman et d’Unbert s’ouvrirent à la vue. Je suppose qu’ils ne pensaient pas qu’un aventurier solitaire aurait la capacité de récolter autant de fleurs tout seul.
Au début, les Fleurs de Sang du Dragon poussaient en grandes grappes, mais ces deux messieurs le savaient à peine, tout comme la plupart des non-aventuriers ne savaient pas à quel point les poches magiques étaient sans fond. J’avais économisé pendant cinq ans pour acheter cette pochette — un investissement rentable. Même un aventurier de la classe Argent devrait épargner pendant au moins un an, ce qui n’était pas une mince affaire, étant donné que la plupart des aventuriers n’étaient que des dépensiers sans scrupules. Pour empirer les choses, ces objets magiques n’étaient pas facilement disponibles sur le marché, il fallait d’abord les trouver dans les ventes aux enchères publiques, ou même sur le marché noir.
Grâce à mes nombreux contacts sociaux et informateurs, j’avais pu acheter un sac de grande capacité, alors que la plupart des aventuriers se retrouvaient généralement avec un sac deux fois plus petit que le mien. Les sacs plus petits n’avaient presque plus d’espace après que les fournitures, les rations et les contenants habituels eurent été distribués.
Bien sûr, on pourrait former des groupes pour transporter plus d’articles en conséquence. Cependant, cela n’aurait pas aussi bien fonctionné lors de l’exploration du Marais des Tarasques, principalement en raison de l’équipement antipoison qui occupait généralement beaucoup d’espace. C’est pourquoi la plupart des aventuriers revenaient habituellement avec une seule Fleur de Sang du Dragon.
Dans mon cas, j’avais loué un sac de grande capacité à la guilde, et il me restait pas mal d’espace puisque je n’avais pas besoin de protection contre les poisons.
Je suppose que mon corps avait eu son utilité. Une étrange émotion avait jailli des profondeurs de mon esprit : alors que je voulais redevenir humain un jour, est-ce que je perdrais ma résistance au poison si je le faisais ? Peut-être, que c’était avide pour moi d’avoir de telles pensées, mais encore une fois, les humains étaient des créatures avides par défaut. Une fois qu’ils avaient obtenu quelque chose, ils désireraient, sans faute, plus.
Celui interrompant mon train de pensées était Edel, perché silencieusement sur mon épaule. Il voulait apparemment annoncer qu’il n’avait aucun intérêt pour ces pensées avides, mais je suppose qu’une souris se sentirait comme ça. En réponse, Edel avait serré son emprise sur mon épaule.
Oui, oui, souris. Je te présente mes excuses.
Quoi qu’il en soit, je m’étais tourné vers les deux professionnels de la santé qui étaient devant moi et qui étaient encore gelés sur place à la vue des fleurs sur la table. Norman avait été le premier à réagir.
« Est… vraiment acceptable ? Nous vendriez-vous ces fleurs ? Mais… si vous en avez tant, Monsieur Rentt, ne serait-il pas plus logique de le vendre à un plus grand apothicaire… ? » demanda Norman.
Il semblerait que Norman ne pouvait pas payer pour ces fleurs. Il n’en avait pas demandé autant au début, alors peut-être qu’il fallait s’y attendre.
« Non, » j’avais secoué la tête lentement. « Je vous donne ces fleurs en signe d’appréciation pour vos noble et honnête intentions. Ne vous inquiétez pas. J’en ai bien plus dans le sac. »
Je ne voulais pas que Norman me doive des faveurs, car j’avais simplement envie de faire un acte de charité occasionnel. Je ne faisais que me satisfaire, ni plus ni moins.
Je n’avais pas récolté ces fleurs supplémentaires dans l’espoir de les vendre à un prix élevé, je voulais simplement aider les connaissances qui se trouvaient dans le besoin, donc donner ces fleurs n’était pas vraiment un problème. Le docteur Norman, plus que quiconque, serait en mesure d’utiliser ces ingrédients pour une bonne cause. C’était bien d’avoir des relations avec un herboriste compétent, et aider le docteur Norman serait le début d’une relation bénéfique.
Alors que Lorraine elle-même était capable de synthétiser des médicaments et autres, elle se spécialisait principalement dans les potions et les solutions magiques, de sorte que guérir les maladies serait en dehors de son expertise. Le docteur Norman, de son côté, travaillait avec les malades.
J’avais personnellement suivi une formation d’herboriste dans ma jeunesse, et j’étais plus capable sur le sujet que l’aventurier typique, mais je ne pouvais pas espérer m’approcher d’un vrai professionnel. Ce serait vraiment bénéfique d’avoir le docteur Norman de mon côté. Ce n’était pas la meilleure chose à dire, mais personne n’était perdant dans cette transaction.
Enfin calmé après sa surprise initiale face à mes paroles, le docteur Norman m’avait donné sa réponse.
« Toutes mes excuses. Oui, ça m’aiderait beaucoup. Un bon nombre de vies peuvent être sauvées grâce à cela… S’il y a quoi que ce soit que je puisse faire, Monsieur Rentt, dites-le-moi. Dans tous les cas, j’ai une grande confiance en ma connaissance des herbes et de la médecine — je dirais, sans pareil dans ces pays ! » déclara Norman.
Telles étaient les paroles de gratitude du bon docteur.
merci pour le chapitre
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