Chapitre 4 : La Fleur de Sang du Dragon
Partie 1
« Je suppose que je devrais cette fois-ci accepter une demande en bonne et due forme, » dis-je en me tenant debout, seul, devant l’un des nombreux tableaux de demandes de la guilde.
Bien que j’aie résolu l’incident au lac il n’y a pas si longtemps, cette demande n’avait pas été faite par l’intermédiaire des canaux officiels de la guilde, et ce n’était pas quelque chose dont je pouvais m’attribuer le mérite.
Je dois me reprendre en main.
J’avais continué mes recherches…
« Celle-là…, » murmurai-je.
Mes yeux s’étaient arrêtés sur cette demande particulière. Ce n’était rien de remarquable puisque la récompense pour avoir répondu à la demande était une unique pièce de bronze. Ce n’était pas étonnant qu’il ait été laissé sur le tableau tel quel, on pouvait gagner plus d’argent en tuant un gobelin.
Mais en quoi consistait exactement cette demande ?
Mon intérêt s’était éveillé, j’avais examiné le reste un peu plus attentivement, pour découvrir que ce n’était pas une tâche simple.
« Rentt… ? envisages-tu de répondre à cette demande ? Nous te serions très reconnaissants de bien vouloir…, » commença une voix derrière moi.
Me tournant vers la source de la voix familière, je n’avais vu personne d’autre que Sheila, qui avait apparemment été réceptionniste pendant tout ce temps.
Je n’avais visité la guilde que durant ses heures les plus calmes, donc il y avait peu d’aventuriers dans la salle en ce moment, voire aucun. Sheila, elle aussi, n’avait pas beaucoup de travail de réceptionniste à faire, d’où son errance jusqu’à moi.
« La raison pour laquelle cette demande est toujours là, ce n’est pas une question d’indemnisation, n’est-ce pas ? C’est plus lié aux détails de la demande, » déclarai-je.
« Oui. Au premier coup d’œil, une seule pièce de bronze n’est pas grand-chose, mais en voyant qui l’a demandée, ça a du sens. Après tout, c’est une tradition de la guilde, » répondit-elle.
Cette tradition consistait à offrir une seule pièce de bronze en récompense. C’était quelque chose qui était fait par des individus qui avaient besoin de l’aide d’un aventurier, mais qui ne pouvaient pas se permettre d’offrir une grosse somme d’argent comme récompense. Je suppose qu’on pourrait dire que c’était quelque chose d’assez semblable au bénévolat. De telles demandes avaient été courantes depuis la création de la guilde elle-même, et les nouveaux aventuriers avaient souvent entendu parler de cette tradition par leurs aînés.
S’éclaircissant la gorge, Sheila avait continué. « Cependant, même s’il y avait des aventuriers prêts à travailler bénévolement, le contenu de la demande est… un peu… un peu… »
« Récolter une Fleur de Sang du Dragon est une demande difficile, car autour de celle-ci, il y a des choses très puissantes, » déclarai-je.
Une Fleur de Sang du Dragon était une fleur aux pétales pourpres rouges comme du sang. C’était une plante rare, à la fois ornementale et médicinale. À partir de ces fleurs, un fluide de la même couleur appelé sang de fleur du dragon pouvait être extrait, et à partir de ce fluide, une variété de médicaments pouvait être fabriquée.
La légende raconte qu’une jeune fille humaine serait tombée amoureuse d’un Dragon, leur relation transcendant les frontières des espèces. Cependant, à la suite d’une série de malentendus malheureux, un héros était arrivé et avait tué le Dragon. Son sang, à son tour, devint ces fleurs alors qu’il s’infiltrait profondément sous la terre. Jusqu’à ce jour, les Fleurs de Sang du Dragon étaient parfois offertes en cadeau à de jeunes filles amoureuses.
C’est peut-être une idée étrange de cadeau, vu la triste nature du conte. Mais dans l’histoire, le héros était le frère de la jeune fille. Bien que le Dragon aurait pu le vaincre sans trop d’efforts, il a plutôt choisi d’offrir sa propre vie par amour pour la jeune fille. C’est ainsi que cette fleur en était venue à représenter la détermination inébranlable d’une personne face à toute éventualité, d’où son statut contemporain de cadeaux romantiques.
Sa rareté signifiait qu’il était presque impossible d’obtenir de telles fleurs. Ils étaient à peine vendus chez le fleuriste commun, et ils demandaient une grosse somme d’argent.
Cette requête demandait la récupération de ces mêmes fleurs. Il était tout à fait logique de supposer que l’aventurier commun ne serait pas motivé pour entreprendre une telle tâche.
Bien que Sheila ait mentionné qu’un certain nombre d’aventuriers avaient envisagé d’accepter la demande. La raison en était le nom du client en question.
Les mots suivants étaient clairement écrits en caractères d’imprimerie sur la demande :
« CLIENT : ORPHELINS DU DEUXIÈME ORPHELINAT DE MAALT. »
Malgré sa nature, cela n’avait pas été écrit pour invoquer la pitié de quelque façon que ce soit. Les détails de la demande avaient été rédigés de façon claire, nette et formelle. Et bien que la récompense pour cette tâche ait été négligeable au mieux, il appartenait à l’aventurier de décider si cette demande valait la peine d’y consacrer son temps.
« Que vas-tu faire… ? » demanda Sheila, avec un léger sourire sur son visage. Connaissant Sheila, elle connaissait déjà ma réponse.
« Je vais accepter cette demande, » déclarai-je.
◆◇◆◇◆
Le deuxième orphelinat de Maalt —
Bien que Maalt fût une ville frontalière pour ainsi dire, elle avait la chance d’avoir deux labyrinthes dans ses environs et, par conséquent, une population assez importante. Maalt était dans l’ensemble une ville assez bien établie. Il y avait un bon nombre d’installations publiques disponibles — au moins un nombre proportionnel à la population de Maalt. L’orphelinat vers lequel je me dirigeais en était un.
Selon la région et le royaume, les orphelinats étaient gérés par diverses organisations. Celui-ci, en particulier à Maalt, était dirigé par un collectif de moines et de moniales appartenant à l’Église du Ciel Oriental. Cette église croyait qu’un ange était descendu du ciel au-dessus de la partie orientale de Yaaran, et que cet ange aurait accompli une variété de miracles bienveillants. L’Église, à son tour, considère l’ange comme une matérialisation de Dieu, étant ainsi la cible de son culte. Comme leurs activités le suggéraient, ils étaient une organisation relativement paisible, ne s’engageant pas dans un travail missionnaire agressif et n’exigeant pas de dons du grand public.
Cependant, ils étaient plus appauvris que d’autres organisations du même genre. Les adeptes du ciel oriental étaient connus pour leur frugalité et leurs nobles intentions, et ils étaient respectés dans tout le royaume de Yaaran. Ce phénomène ne s’était toutefois étendu qu’à Yaaran. En raison du fait que l’organisation ne s’était jamais beaucoup développée, son nom n’avait apparemment pas été entendu souvent en dehors de ces terres.
Quoi qu’il en soit, je suppose que c’était ainsi que les organisations religieuses locales concentrées dans certaines parties du pays s’en étaient tirées.
La présence de l’Église à Maalt était représentée par le deuxième orphelinat, bien qu’elle n’ait pas donné une image très agréable. Le bâtiment lui-même était délabré et avait grandement besoin d’être réparé, mais je suppose que c’était exactement comme ça. Les fissures et les trous dans ses murs étaient remplis de morceaux de gravier blanc ici et là. Bien que les réparations improvisées aient semblé faire leur travail, le manque général de financement qui affligeait l’Église du Ciel Oriental était douloureusement évident dans ces observations.
D’après les livres que j’avais lus et quelques divagations de Lorraine, un certain empire à l’ouest de Yaaran abritait un certain nombre de grandes organisations religieuses. Le pouvoir qu’ils exerçaient était immense, détenant autant de pouvoir que l’empire lui-même. On disait que ses prêtres et ses représentants étaient habillés d’une telle quantité de pierres précieuses et de parures qu’on les prenait souvent pour des bijoutiers. À Yaaran, cependant, pas un seul de leurs adeptes n’avait pu être vu.
En regardant l’état de l’orphelinat, j’avais senti que l’Église du Ciel Oriental semblait plus appropriée avec un chaudron de cuisson en cuivre qu’avec des bijoux. Mais les chaudrons de cuivre étaient chers, donc ce n’était ni l’un ni l’autre.
Je m’étais vite retrouvé devant l’orphelinat, sa porte équipée d’un grand heurtoir. En levant la main, j’avais saisi la poignée de métal, avec l’intention d’annoncer ma présence. C’est ce que je voulais faire, jusqu’à ce que le heurtoir s’arrache de la porte, maintenant une partie métallique inerte dans ma paume.
« … Je n’ai rien vu, » murmurai-je.
Heureusement, il y avait des contacts métalliques à la fois sur le heurtoir et sur la porte, donc une simple réparation s’imposait. En retirant une fiole pleine de liquide visqueux de ma ceinture à objets, j’en avais versé sur le heurtoir avant de le maintenir en place contre la porte pendant quelques secondes. En relâchant lentement ma main, j’avais été satisfait de voir le heurtoir revenir à sa position d’origine.
Ne voulant plus démolir l’infrastructure de l’orphelinat, j’avais frappé sur la porte en bois qui tremblait — doucement, de peur que je ne retire la porte de ses charnières. Évitant la zone autour du heurtoir, j’avais continué à frapper, en m’assurant qu’il y avait assez de son transmis à travers la surface de la porte. Une manœuvre des plus techniques, c’était probablement la plus élaborée que j’aie jamais effectuée en tant qu’aventurier. Mais faire cela m’avait fait réfléchir momentanément à ce que je faisais exactement de ma vie. Heureusement, la porte s’était rapidement ouverte, m’arrachant à mes pensées de plus en plus détournées.
De l’autre côté de la porte émanait une série de bruits violents — et dire que je venais de réparer le heurtoir de la porte ! Au moment suivant, la porte en bois s’était enfin ouverte, et la personne de l’autre côté ne se souciant apparemment pas beaucoup de l’état de la porte ni de ma présence suspecte, masquée par un crâne. En fait, elle avait souri.
« Ah, un invité ? Je m’excuse, mais Lillian n’est pas là aujourd’hui… »
C’était une fille d’environ 12 ans, au mieux. Ses cheveux courts, mais bien coupés se détachaient. Malgré sa pauvreté, elle était bien soignée, avec un air de raffinement, je suppose que même les périls de la pauvreté n’étaient pas suffisants pour lui enlever cela.
Mais je n’avais aucune idée de qui était Lillian, et aucune idée de comment répondre. J’avais donc décidé d’expliquer la raison de ma visite.
« … Je suis un aventurier de la guilde qui a accepté votre demande ou est-ce que vous refuseriez une personne comme moi ? » demandai-je.
Les yeux de la fille s’étaient élargis face à mes paroles.
« Ah ! Pourquoi ne l’avez-vous pas dit ? J’ai supposé que vous étiez l’un des agents de recouvrement… S’il vous plaît, entrez. J’espère que cela n’est pas trop étroit à votre goût, » déclara la fillette.
La jeune fille m’avait ouvert la porte et m’avait accueilli à l’orphelinat.