Nozomanu Fushi no Boukensha – Tome 13 – Chapitre 4

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Chapitre 4 : Vers le pays maritime

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Chapitre 4 : Vers le pays maritime

Partie 1

« Voyons voir… », m’étais-je murmuré.

Nous étions maintenant le lendemain, et je me dirigeais vers la forteresse contenant les cercles de téléportation. Capitan se trouvant dans la République maritime d’Ariana, c’était bien beau, mais le problème était de trouver le bon cercle de téléportation pour s’y rendre. La ville souterraine en était remplie, et je n’avais aucune idée de l’endroit où la plupart d’entre eux menaient.

J’aurais aimé faire une vérification superficielle de chacun d’entre eux, mais malheureusement, j’avais un emploi du temps relativement serré. L’examen d’ascension de la classe Argent approchait à grands pas, je n’avais donc pas le temps.

Quant à savoir comment j’allais trouver celui qui mènerait à Ariana…

« Heureusement que j’ai la carte d’Akasha. Merci, mystérieuse dame qui me l’a donnée. Franchement… »

Je le pensais aussi. La carte d’Akasha était un objet magique unique qui m’avait été donné en guise d’excuses par une femme à la présence terrifiante et à la force palpable, que j’avais rencontrée dans une zone inexplorée du donjon de la Lune d’eau. La carte enregistre automatiquement tous les endroits que je traverse, même l’intérieur des donjons. Elle avait aussi d’autres capacités, mais je ne les avais pas encore découvertes. Cependant, sa représentation de la Cité des donjons du bon roi Felt répertoriait commodément tous les cercles de téléportation que j’avais vus, ainsi que leurs points de sortie. C’était une véritable bénédiction pour quelqu’un comme moi qui n’avait pas beaucoup de temps devant lui.

Mais je ferais bien de garder ça pour moi. Je pense que si cette femme mystérieuse apprenait que je considérais sa carte comme un simple moyen de gagner du temps, elle se mettrait en colère.

Quoi qu’il en soit, c’est pour cela que je marchais sur la route de la forteresse, les yeux fixés sur la carte d’Akasha, à la recherche du cercle de téléportation qui menait à l’Ariana.

« Ariana, Ariana… Ah, nous y voilà. »

Enfin, je l’avais trouvé. L’étiquette sur la carte indiquait : « Vers : La ville portuaire de Lucaris, République maritime d’Ariana. »

J’avais imaginé une carte du continent dans ma tête, en essayant de me rappeler où se trouvait Lucaris. Comme c’était une ville portuaire, elle devait se trouver sur la côte… et j’étais presque sûr qu’il y avait un donjon à proximité. Cela signifiait qu’il devait y avoir une guilde là-bas aussi. La plupart des villes avaient des Guildes, mais il était rare d’en voir une dans un village, et les villes en dessous d’une certaine taille n’avaient généralement qu’une petite succursale. Il était donc plus difficile pour les aventuriers locaux de trouver du travail — en premier lieu, à la fois pour accepter des emplois et pour trouver des informations à leur sujet.

Dans une ville de la taille de Lucaris, cependant, cela ne serait pas un souci : elle était beaucoup plus métropolitaine que Maalt.

Mais encore une fois, il n’était en premier lieu peut-être pas juste de comparer les deux. Maalt était en plein essor, mais en fin de compte, il s’agissait toujours d’une colonie frontalière dans un pays reculé. La découverte récente d’un nouveau donjon à proximité y avait insufflé un peu de vie, mais c’était tout. Comparé à une ville portuaire d’un pays où le commerce est l’élément vital, Maalt ressemblait à un petit hameau de campagne ordinaire.

« J’espère qu’ils ne vont pas me considérer comme un plouc…, » marmonnai-je en moi-même, alors que j’atteignais la forteresse et que j’entrais dans le cercle de téléportation. L’instant d’après, je me trouvais dans la cité-donjon du bon roi Felt. Peu de temps après, le shakhor melekhnamer arriva et je sautai sur son dos.

« Merci », avais-je dit. « Allons-y. »

J’avais pointé du doigt la direction que je voulais et le monstre se mit à trotter à vive allure. Nous étions arrivés à destination en quelques minutes.

« Merci. Je compte aussi sur toi pour faire attention à moi sur le chemin du retour. »

Je lui avais lancé de la viande d’orc, qu’il avait habilement attrapée, en poussant un miaulement semblable à celui d’un chat — mais beaucoup, beaucoup plus fort — et en s’éloignant à grandes enjambées pendant qu’il dévorait son repas.

« Si seulement je pouvais le garder à Maalt… mais ça n’arrivera jamais. »

C’est évident, pourquoi ne le fais-tu pas ? Je me l’étais rétorqué à moi-même, avant de me tourner vers le cercle de téléportation que j’avais prévu.

Je n’avais jamais utilisé celle-ci auparavant, alors j’avais revérifié la carte d’Akasha pour m’en assurer. Oui, c’était bien écrit : « Vers : La ville portuaire de Lucaris, République maritime d’Ariana. »

C’était donc le bon. Mais j’avais un peu peur — qui savait ce qui m’attendait de l’autre côté ? Il y avait toutes les chances qu’il me recrache au fin fond d’une forêt ou d’une caverne de montagne, ou même au fond de la mer. Et c’était une chance. Mon corps pouvait supporter ce genre d’environnement, mais s’il me recrachait dans une grotte effondrée ou autre, je serais coincé. Je devais prier pour que cela n’arrive pas.

Si le cercle de téléportation lui-même était endommagé, il ne fonctionnerait pas, mais tant qu’il était intact, il pouvait vous faire sortir littéralement n’importe où, ce qui était une idée terrifiante. Mais je m’en sortirais probablement, puisque Capitan l’avait aussi utilisé.

Je n’avais plus qu’à prendre mon courage à deux mains et à me placer dessus…

Avec précaution, j’avais posé le pied sur le cercle de téléportation. Il avait réagi à mon sang et s’était mis à briller, la lumière enveloppant tout mon corps et rendant mon environnement d’un blanc aveuglant. Lorsque la lumière s’estompa, j’étais ailleurs.

« Eh bien, me voilà… »

J’avais balayé du regard mon environnement. J’avais tout de suite compris que je n’avais pas atterri dans un endroit trop étrange — c’était juste l’intérieur d’une grotte.

Il n’y avait presque pas de lumière, mais mes yeux de mort-vivant avaient révélé la zone sans problème. Un humain normal aurait dû tâtonner un peu… mais là encore, Capitan avait probablement apporté un moyen de faire du feu. Ou alors, il était tellement habitué au voyage qu’il n’avait pas besoin de lumière pour s’orienter.

En fait, cette dernière solution semblait plutôt lui ressembler.

La grotte n’était pas très grande, et il y avait une ouverture qui semblait mener à l’extérieur, alors je m’étais dirigé vers elle. En sortant de la caverne, je m’étais retrouvé dans une forêt, en me retournant, j’avais vu que l’entrée de la grotte était petite et en grande partie cachée par de l’herbe. Attends, non — à bien y regarder, il y avait une sorte de magie d’inhibition de la perception qui jouait là. Capitan avait dû… Nan, c’était forcément Gharb.

L’enchantement n’avait pas l’air très vieux, il devait donc être renouvelé régulièrement — il y avait de fortes chances que je n’aurais pas pu voir l’entrée autrement. Il fallait quelque chose d’assez fort pour tromper les sens de mon corps de mort-vivant, surtout si j’avais déjà vu l’illusion une fois. J’étais à peu près certain que si je partais et revenais, je serais toujours capable de repérer l’entrée. Il allait de soi que Gharb pouvait la voir, puisqu’elle avait probablement lancé l’illusion en premier lieu, mais Capitan avait probablement un équipement de détection magique sur lui. Sinon, il serait bloqué sans aucun moyen de revenir…

Mais je me laissais distraire. J’avais mis de côté mes hypothèses pour l’instant et j’avais essayé de déterminer où se trouvait Lucaris. Bien que la carte d’Akasha indique la ville portuaire comme destination, j’étais entouré de forêts. Cela signifiait-il que j’étais à la périphérie ? Ou cela signifiait-il plutôt… ?

Je suppose que cela n’avait pas d’importance. D’une manière ou d’une autre, la ville ne devait pas être loin. Tout irait bien tant que je me dirigeais dans la direction où je pouvais sentir des gens.

D’ailleurs, je pouvais remercier mon odorat vampirique pour cette capacité. Toutes les fonctions de mon corps de mort-vivant m’avaient vraiment rappelé à quel point je m’étais éloigné de l’humanité…

Ah, peu importe. Pour l’instant, j’avais commencé à marcher.

◆◇◆◇◆

En fait, je n’avais pas mis longtemps à sortir de la forêt. Il y avait un mur devant moi, alors j’avais continué à me diriger vers lui.

Le ciel matinal était dégagé, ce qui me permettait de bien voir la région — une route s’étendait vers les murs de la ville, et le nombre de personnes autour augmentait progressivement au fur et à mesure que j’approchais. Il n’y avait pas non plus que des chariots sur la route — il y avait beaucoup de gens qui voyageaient à pied.

De plus, les gens que j’avais vus étaient de races différentes. Je n’étais pas vraiment surpris, mais ce n’était pas un spectacle que l’on voyait habituellement à Maalt. Ce spectacle, c’est celui d’un grand nombre d’hommes bêtes.

L’homme-bête est le terme générique pour désigner les races humanoïdes ayant des traits d’animaux, et elles étaient en fait divisées en plusieurs catégories différentes, c’est juste que les humains comme moi avaient trouvé plus facile de les mettre tous dans le même panier.

Si on voulait être plus précis, il y a des loups, des oiseaux et bien d’autres choses encore. J’avais même entendu dire qu’il existait des loups-dragons, mais ils étaient rares et je n’en avais jamais vu. Les hommes bêtes apparaissent de temps en temps à Maalt, mais ils étaient peu nombreux. C’était généralement le cas dans l’ensemble du Yaaran, mais la situation particulièrement reculée de Maalt n’en faisait pas un lieu de vie attrayant pour eux.

Je soupçonnais que la principale raison pour laquelle nous en avons vu si peu, c’est tout simplement que Maalt était si loin au milieu de nulle part que personne ne voyait l’intérêt de voyager aussi loin. Il y avait bien d’autres races dans le monde, mais les hommes bêtes étaient parmi les plus nombreuses, et ils pouvaient vivre n’importe où avec une relative facilité. Maalt en faisait partie, à moins que quelque chose ne m’échappe, et tout cela ne faisait qu’étayer ma théorie du « ils ne viennent pas parce que c’est au milieu de nulle part ».

En comparaison, Lucaris était une ville parmi les villes, elle offrait donc beaucoup de choses aux hommes bêtes. Je parie que si Maalt était plus prospère, leur nombre augmenterait aussi. Ce serait une bonne chose — les hommes bêtes sont assez habiles physiquement, et il existe une corrélation entre le fait d’en avoir beaucoup et l’amélioration de la force de la guilde locale. En retour, le fait d’avoir beaucoup d’aventuriers compétents signifiait que la population de la région avait plus de facilité à vivre.

Mais c’en était assez de rêvasser sur l’avenir. Il est temps d’entrer dans Lucaris.

J’avais rejoint la foule de gens qui attendaient devant les portes principales. S’il s’agissait de Maalt, je franchirais les portes, je montrerais aux gardes ma pièce d’identité et ce serait tout. Même s’il s’agissait d’un pays différent, la procédure générale aurait dû être la même. Bien sûr, les taux d’imposition et la paperasserie étaient différents, mais Ariana était connue pour être très ouverte aux étrangers et pour offrir à ses habitants un haut degré de liberté, comme on peut s’y attendre d’un pays dont le nom contient le mot « république ». Compte tenu de son économie commerciale florissante, Ariana ne souhaitait probablement pas imposer trop de restrictions.

« Suivant ! Passez par là ! »

La file d’attente avançait progressivement, et en peu de temps, je me retrouvai face à un garde qui me jeta un regard scrutateur. Je m’étais demandé pourquoi pendant une seconde avant de comprendre : les gardes de Maalt avaient pris l’habitude, mais…

« Peux-tu enlever le masque, s’il te plaît ? »

Oui, le masque de crâne. La première fois que j’avais essayé d’entrer à Maalt avec ce masque, j’avais eu quelques ennuis, si je me souviens bien. La présence de Rina avait arrangé les choses, mais j’étais seul aujourd’hui.

Cela dit, j’avais sur moi des papiers d’identité en règle, et ce n’était pas comme s’ils allaient immédiatement sauter à la conclusion que j’étais un monstre. La confiance en soi est la clé du succès.

« J’aimerais bien, mon ami, » dis-je. « Malheureusement, ce masque est maudit. Il ne s’enlèvera pas. »

« Vraiment ? Je ne veux pas te traiter de menteur, mais… »

***

Partie 2

Je voyais bien qu’il avait très envie de me traiter de menteur, en fait, mais qu’il était trop poli pour le faire. Par respect pour cela, je m’étais abstenu de le faire remarquer.

« C’est facile à prouver », avais-je dit. « Tu peux essayer de tirer dessus, aussi fort que tu le peux. Il ne bougera pas. »

« Et si c’était le cas ? »

« Je serais aux anges, dans ce cas ! J’ai tout essayé pour l’enlever, mais rien ne semble fonctionner. Force brute, magie, divinité — tout ce qu’il y a sous le soleil, à ce stade. Tiens, essaie un peu. » L’explication m’était venue facilement, puisque pas un mot n’était un mensonge.

Cela avait semblé piquer l’intérêt du garde. « Très bien, je pense que je vais le faire », dit-il.

« Vas-y. Oh, est-ce que je peux demander à quelqu’un d’autre de me tenir pendant que tu tires ? »

« Je vais le faire », dit un autre garde en se plaçant derrière moi. Il passa ses bras sous les miens et les leva pour me retenir.

« Voilà, c’est parti. Hng… Nggggah ! »

Le garde avait saisi les bords de mon masque et avait tiré de toutes ses forces, mais il avait à peine bougé. Je n’avais ressenti aucune douleur, mais il m’était venu à l’esprit que cela pouvait faire très mal à une personne ordinaire. Après tout, c’était essentiellement la même chose que de se faire tirer la peau du visage. J’imagine que c’est une bonne chose qu’il soit resté coller à moi, plutôt qu’à quelqu’un qui aurait pu ressentir toute cette douleur.

Attends, non — ce n’était pas du tout une bonne chose pour moi.

Le garde essaya encore un peu, mais finalement…

« Tu as raison — c’est collé si durement. On dirait que tu ne mentais pas. On n’a pas non plus l’impression que c’est de la magie. »

« Tu vois ? Cela m’a causé beaucoup de soucis. En fait, j’ai entendu dire qu’une variété d’objets maudits circulait sur les marchés ici à Lucaris. Connais-tu quelqu’un qui pourrait faire quelque chose à ce sujet ? »

« Hmm ? Eh bien… Malga, le vendeur de malédictions, pourrait le faire. Mais tu ferais mieux de faire attention. Tu pourrais te faire soigner, et repartir avec une nouvelle malédiction à gérer. »

« Je vois. Ça a l’air prometteur ! Oh, mais j’ai failli oublier. Est-ce que je peux entrer ? »

« Ah, c’est vrai. Bon, je suppose que porter un masque inamovible n’est pas quelque chose de particulièrement suspect, et tu as aussi une pièce d’identité correcte de la Guilde. Vas-y. Mais au fait, quel est le but de ta visite ? »

« Je suis en partie ici pour le donjon, et en partie ici pour rassembler quelques ingrédients médicinaux. »

« Oh, tu es herboriste, n’est-ce pas ? Je ne m’attendais pas à ça en te regardant. Je suppose qu’on ne peut vraiment pas juger un livre à sa couverture. »

« Pour le dire franchement, je suis plutôt un apprenti. J’ai l’autorisation de mon professeur pour vendre quelques plantes de base, cependant, alors fais-moi savoir si tu es sur le marché. Si tu fais un travail à la Guilde, je viendrai le chercher quand je serai dans le coin. »

« Hé, merci. Je garderai cela à l’esprit. Bienvenue à Lucaris, monsieur l’aventurier herboriste masqué. Profite bien de ton séjour. »

◆◇◆◇◆

Dès que j’avais franchi les portes de Lucaris, j’avais été submergé.

Il y avait tellement de gens ici que leur nombre éclipsait la population de Maalt. Je m’y attendais, puisque Maalt n’était qu’une petite ville frontalière. Ce à quoi je ne m’attendais pas, c’était la diversité des races — c’était comme si j’étais entré dans un autre monde.

Même la capitale du Yaaran ne pouvait pas se vanter d’une telle diversité. J’avais toujours su que c’était un pays un peu arriéré, mais cette expérience me l’avait vraiment fait comprendre.

De plus, les bâtiments étaient tout simplement fascinants à regarder. Il y avait une architecture banale en brique et en pierre, comme à Yaaran, mais il y avait tout autant de types de bâtiments colorés que je n’avais jamais vus chez moi. Et était-ce seulement mon imagination, ou la plupart des gens qui entraient et sortaient de ces bâtiments appartenaient-ils à des races non-humaines ? Toute cette architecture provenait-elle de leur pays d’origine ou était-ce juste une bizarrerie d’Ariana ?

« Oups. Je ne peux pas me laisser distraire sans arrêt. Voyons voir — où puis-je trouver une auberge… ? »

Même le simple fait de me promener dans Lucaris m’avait permis de faire de nouvelles découvertes fascinantes, mais même si je prévoyais de me promener dans la ville plus tard pour chercher Capitan, je devais d’abord m’assurer un logement.

Si possible, je voulais trouver Capitan avant la fin de la journée, mais localiser une seule personne dans une ville aussi grande serait difficile. Gharb m’avait indiqué quelques endroits où il pouvait se trouver, mais s’il était entré dans une taverne au hasard d’une ruelle sur un coup de tête, mes chances de le retrouver étaient minces. Capitan devait avoir un certain nombre d’établissements qu’il fréquentait ici, et il n’avait probablement pas pris la peine de les mentionner tous à Gharb.

« Excusez-moi, j’aimerais acheter un paquet de ces herbes. »

Alors que je marchais dans les rues principales à la recherche d’une auberge, j’avais repéré un certain nombre de vendeurs. C’était un peu mon passe-temps de parcourir ces magasins lorsque je me promenais à Maalt, et je n’avais pas pu résister à l’envie de faire de même ici, à Lucaris. Mais je ne cédais pas à mes caprices, je vous le promets…

« Oh ? Tu as de bons yeux, mon frère », dit l’homme bête en me remettant le paquet. « Ce sont les marchandises de meilleure qualité de mon stock. »

Il avait les traits d’une chèvre, si bien que l’expression « homme-chèvre » aurait peut-être été plus juste. Sa fourrure était noire et une paire de cornes sortait de l’arrière de sa tête. Je m’étais souvenu que son peuple venait de régions montagneuses, et qu’il était donc rare de voir l’un d’entre eux dans une ville.

Quant aux herbes, je les avais achetées parce qu’il s’agissait d’une variété que je ne voyais jamais vraiment dans les prairies ou les forêts.

 

 

« Je suis herboriste, enfin, presque, » expliquai-je. « On peut dire que je suis une sorte de vétéran quand il s’agit de choisir la flore. »

« Vraiment ? Alors tu pourrais être intéressé par celles-ci aussi. » L’homme-chèvre ouvrit l’un des paniers de la pile derrière lui et aligna plusieurs plantes différentes sur son tapis.

« Il faudrait escalader des montagnes extrêmement hautes pour récolter toutes ces plantes… Je vais prendre tout le lot. »

« Mon Dieu, quelle générosité de ta part ! Es-tu sûr ? » L’homme-chèvre pointa du doigt les herbes les plus rares de la file d’attente. « Celles-ci ne sont pas bon marché. »

J’avais acquiescé. « Je peux me le permettre — et si je laisse passer cette chance, il se passera une éternité avant que je ne les retrouve. À moins que tu ne les récoltes assez régulièrement, je suppose. »

« Les autres, oui, mais il faut avoir de la chance avec ceux-là. Que penses-tu de… trois pièces d’or pour tout le lot ? »

« Sérieusement ? »

« Est-ce que c’est… trop cher ? »

« Le contraire — c’est une bonne affaire. J’accepte cette offre. Tiens. » Je lui avais donné l’argent.

« O-Oh. Je pensais que tu essaierais de me marchander… »

« Est-ce que tes clients essaient toujours de faire cela ? »

« Plus ou moins… Nous, les hommes-chèvres, avons tendance à être un peu laissés de côté, où que nous allions. C’est plus difficile de garder la tête haute ou de répondre. Cependant, c’est l’un des meilleurs endroits où j’ai vécu. » L’expression de l’homme-chèvre était quelque peu triste.

Les humains considèrent souvent les autres races avec des préjugés, et les hommes-chèvres ne font pas exception à la règle. Il y avait toutes sortes de raisons à cela, mais l’une des principales était que l’humanité avait tout simplement tendance à être clanique et à exclure les autres.

Bien sûr, je n’avais pas cette vision des choses moi-même. Peut-être que c’était plutôt un truc de citadin — personne à Maalt ne se souciait vraiment de la race à laquelle tu appartenais. Cela me faisait apprécier davantage les zones rurales.

« La République d’Ariana est-elle un endroit où il fait bon vivre ? » demandai-je. « Ah, mais je suppose que je veux parler de la ville de Lucaris en particulier. »

« Oui. Cette ville a ses propres problèmes, mais les hommes-chèvres comme moi peuvent y mener une vie agréable. J’ai déjà vécu dans l’Empire, et c’était affreux, mais ici, le pire que j’ai à affronter, c’est un peu d’intimidation et le fait que tout le monde essaie de marchander pour faire baisser les prix. »

C’était probablement déjà clair dans ce qu’il disait, mais les hommes-chèvres avaient une plus grande tendance à être vagabonds que les humains, ne restant jamais longtemps au même endroit. S’ils n’aimaient pas un endroit, ils le laissaient rapidement derrière eux. C’est peut-être ce qui explique que les humains les considèrent avec préjugé.

Quand même, l’Empire, hein ? Je peux le comprendre. Ce n’était pas universel ou quoi que ce soit, mais la patrie de Lorraine avait un fort sentiment de suprématie humaine. C’était parce que c’était un principe de l’Église de Lobelia, et qu’ils étaient partout là-bas. C’était aussi la raison pour laquelle je ne voulais pas que leur foi se répande à Maalt — la principale religion de Yaaran, l’Église du ciel oriental, n’avait rien de tout cela.

Pour ce qui est d’Ariana, je ne pense pas qu’une religion soit très implantée ici, et c’est probablement la raison pour laquelle la population traite les hommes-chèvres comme n’importe quel autre étranger, c’est-à-dire avec une grande ouverture d’esprit. C’était un pays qui connaissait beaucoup de commerce extérieur, d’immigration et d’émigration.

« C’est bon à entendre », dis-je. « Vu mon apparence, j’ai tendance à craindre que quelqu’un veuille déclencher une bagarre chaque fois que je me trouve dans un endroit peu accueillant. »

« Oui, ce masque ferait peur à n’importe qui au premier coup d’œil. Es-tu arrivé ici récemment ? »

« Plus tôt dans la journée, en fait. Oh, c’est vrai — il y a quelque chose que j’aimerais te demander. »

« Oui ? »

« Connais-tu de bonnes auberges ? Je cherche un endroit tranquille, avec une bonne cuisine. Ce n’est pas grave si c’est un peu plus cher. »

C’était une autre des raisons pour lesquelles j’avais parcouru les vendeurs de rue. J’aurais pu demander à une taverne, mais je risquais d’être entraîné dans une bagarre, et mon apparence signifiait qu’arrêter quelqu’un dans la rue l’aurait effrayé au plus haut point. J’avais donc pensé qu’approcher un vendeur de rue était ma meilleure option.

De plus, comme ce vendeur en particulier semblait voyager assez souvent entre la ville et les montagnes, il séjournait sans doute régulièrement dans des auberges et savait lesquelles étaient bonnes ou mauvaises.

Comme je l’espérais, lhomme-chèvre connaissait une auberge décente, alors après m’avoir donné des indications, je l’avais remercié et j’avais continué mon chemin.

***

Partie 3

« Maintenant, que dois-je faire en premier… ? »

Je m’étais assis sur mon lit dans l’auberge, planifiant mon prochain mouvement. Si je voulais trouver Capitan, la première chose à faire était…

Bon. Je devais effectuer une recherche en se basant sur ce que Gharb m’avait dit.

Si je ne trouvais pas Capitan, il faudrait que je me déplace pour recueillir plus d’informations. C’était un plan aléatoire, mais je n’avais pas beaucoup d’autres options.

Ah, mais il vaudrait mieux que je passe d’abord à la guilde. Capitan était enregistré en tant qu’aventurier de classe Bronze, il avait donc peut-être accepté un travail de récolte pendant qu’il cherchait les herbes de l’esprit de la mer.

Dans ce cas, il s’était rendu au moins une fois à la Guilde, et il devra le faire à nouveau pour remettre le travail. Si je leur demandais de transmettre un message, même si je ne parvenais pas à le trouver par moi-même, je serais probablement en mesure de le contacter dans un jour ou deux.

Attendre simplement à la Guilde était l’option la plus sûre, mais si Capitan prévoyait de rassembler tous les objets demandés avant de les livrer, alors il y avait des chances qu’il ne se montre pas avant plusieurs jours.

En fin de compte, ma meilleure option était de partir à sa recherche…

Quoi qu’il en soit, j’avais un plan maintenant. Après avoir dit à l’aubergiste que je serais absent pendant un moment, je m’étais dirigé vers la Guilde.

◆◇◆◇◆

La guilde de Lucaris était à la fois beaucoup plus grande que celle de Maalt et beaucoup plus colorée. Si l’on était généreux, on pouvait qualifier le bâtiment de la guilde de Maalt de sévère et sans âme, mais il n’en restait pas moins qu’il était entièrement dédié à la fonction plutôt qu’au style.

Le bâtiment de la guilde de Lucaris était cependant complètement différent. Il arborait de magnifiques peintures murales sur les murs et des ornements décoratifs suspendus à chaque pilier, avant-toit et auvent. Grâce à leurs dessins et gravures complexes, même un amateur des beaux-arts comme moi pouvait se rendre compte de la créativité artistique qui avait présidé à leur réalisation.

Une partie de moi s’inquiétait de leur longévité — une guilde remplie de ruffians ne risquait-elle pas de tout casser ? — mais peut-être que les aventuriers de Lucaris étaient des types bien élevés. Ou alors, ils appréciaient tous les arts. Ce ne serait pas totalement impossible, étant donné qu’il s’agit d’une grande ville.

Mais ce n’était ni l’un ni l’autre. J’avais pénétré dans la Guilde, appréciant l’art au fur et à mesure que j’avançais. Conformément à mes attentes, l’intérieur portait les marques d’une touche plus fine. Tout cela était très cosmopolite.

Alors que les comptoirs de réception de Maalt étaient tous placés en une longue ligne, donnant une première impression plutôt banale, chaque réceptionniste disposait ici d’un bureau séparé avec un espace décent entre les deux. Les aventuriers étaient souvent dérangés par des oreilles indiscrètes après avoir déposé une livraison de marchandises, mais cette conception permettait d’éviter cela.

C’était un changement bienvenu par rapport à Maalt, où la Guilde ne se souciait guère de ce genre de détails…

Alors que ma sensibilité de garçon de la campagne s’imprégnait tranquillement de l’atmosphère métropolitaine, j’avais regardé autour de moi. Je sentais que quelqu’un m’observait. Mais qui ?

Après quelques instants à faire ma meilleure interprétation du hibou, je m’étais rendu compte que tous les hommes du hall — des aventuriers, à ce qu’il paraît — me regardaient fixement.

Qu’ai-je fait pour mériter cela ? Avais-je commis un faux pas ? Rien ne me venait à l’esprit quand j’y pensais… jusqu’à ce que je me souvienne de mon apparence.

C’est le masque, n’est-ce pas ?

C’était logique si tu y réfléchissais. Un jour, un étranger portant un masque de squelette et une cape noire de jais entre dans votre Guilde. Ta première pensée serait probablement : « Mais qui est ce type ? »

Pourtant, aucun d’entre eux n’avait l’air d’être sur le point de m’agresser — ils se contentaient de garder un œil sur l’étranger. Je pourrais probablement les ignorer.

S’ils me confrontaient, je serais obligé d’y faire face d’une manière ou d’une autre, mais je n’avais pas le sang assez chaud pour que quelques personnes qui me fixaient du regard me tapent sur les nerfs. En fait, on pourrait dire que j’aurais besoin de plus de sang chaud — après tout, j’avais toujours voulu en boire davantage.

Mais si je leur racontais une telle blague, ils sortiraient probablement leurs armes sur-le-champ…

J’avais choisi l’un des comptoirs d’accueil et je m’étais dirigé vers la jeune femme réceptionniste. « Excusez-moi, puis-je avoir un moment ? » avais-je demandé.

« Bien sûr. Puis-je vous être utile ? Êtes-vous ici pour afficher une tâche ? Ou peut-être en accepter une ? »

Si les regards des autres aventuriers m’avaient un peu découragé, mon apparence n’était pas si mauvaise. Lorsque j’étais humain, chaque fois que j’entrais dans des guildes qui ne me connaissaient pas, elles supposaient que j’étais un client venu poster un travail. Mais maintenant que j’avais cette apparence, ils semblaient toujours savoir que j’étais un aventurier venu en prendre un.

Eh bien, excuse-moi d’avoir l’air d’un citoyen ordinaire à l’époque. J’étais un vétéran de l’aventure, tu sais…

Peut-être que la faute en revient cependant aux préjugés personnels des employés de la guilde. La bonne procédure consistait à poser des questions sur les deux à la suite, comme l’a fait cette réceptionniste.

« Ni l’un ni l’autre », déclarai-je. « Je cherche un autre aventurier qui est probablement dans la ville, alors j’aimerais lui laisser un message ici. »

« Je vois. Excusez-moi, mais êtes-vous vous-même un aventurier ? »

« Je le suis. De classe bronze. » Je lui avais remis mon permis d’aventurier.

Après l’avoir vérifié, la réceptionniste déclara : « Oui, tout semble en ordre. Je vois que vous venez du royaume de Yaaran. C’est un sacré voyage. »

Si tu te demandes pourquoi elle m’a demandé si j’étais aussi un aventurier, c’est parce que transmettre un message d’un autre aventurier est un service gratuit. En revanche, si j’avais été un citoyen ordinaire, il m’en aurait coûté plusieurs bronzes pour un message local, c’est-à-dire limité à la ville. Si ce n’était pas le cas, tout le monde utiliserait la Guilde comme un tableau d’affichage gratuit.

« Oui, c’est la première fois que je viens à Ariana. Pourtant, c’est un endroit charmant. Lucaris est une ville immense — belle aussi — et la Guilde ici est vraiment spacieuse. »

Je ne pouvais encore rien dire sur la qualité de ses aventuriers. Enfin, si ce n’est qu’ils avaient l’air d’être du genre peu recommandable à inventer un prétexte pour se battre avec un inconnu qui venait d’entrer… mais ce n’était pas la peine de faire des pieds et des mains pour le dire.

La réceptionniste sembla satisfaite de mes éloges. « Merci pour vos aimables paroles. Il y a beaucoup de choses à voir à Lucaris, donc même une simple promenade est agréable. »

« Je vais essayer, » répondis-je. « Au fait, le nom de l’aventurier à qui j’aimerais laisser un message est “Capitan”. Est-il passé ? »

C’était un nom relativement inhabituel, je m’étais donc dit qu’il suffirait à circonscrire l’homme en question, mais la réaction de la réceptionniste me prit par surprise.

« Capitan !? Le connaissez-vous !? »

◆◇◆◇◆

J’avais cligné des yeux. « C’est le cas. J’en déduis que vous aussi ? »

La réceptionniste hocha vigoureusement la tête. « Bien sûr ! Il ne vit pas ici, mais il se présente périodiquement et nettoie d’un seul coup toutes les missions qui ont été laissées à l’abandon, même si ce sont des missions difficiles que tout le monde évite. Il est à lui seul responsable de la récente augmentation de notre taux d’achèvement des missions ! »

Elle avait l’air si heureuse que je me sentais en fait un peu suffisant. C’était agréable d’entendre mon vieux maître se faire féliciter.

« Vraiment ? Alors, ça veut dire qu’il est en train de faire une mission en ce moment, non ? »

Il y avait une chance que Capitan ne soit venu en ville cette fois-ci que pour répondre à la demande de Gharb concernant les herbes de l’esprit de la mer, mais l’histoire de la réceptionniste rendait cette hypothèse moins probable.

« Oui. Comme toujours, il prit un certain nombre de commissions qui prenaient la poussière et se mit en route. Cependant, elles se trouvaient toutes au même endroit. Je pense qu’il avait déjà une destination en tête. »

En bref, il n’avait dû prendre les emplois qu’au même endroit que les herbes de l’esprit de la mer, et n’avait probablement pas prévu d’aller ailleurs. C’est logique, Gharb voulait les herbes le plus rapidement possible.

« Puis-je vous demander où se trouve cette destination ? » J’avais déjà une idée, puisque Gharb m’avait dit où Capitan chercherait les herbes, mais je voulais revérifier, au cas où.

« Le donjon des filles du dieu de la mer. Il est parti ce matin, je ne pense pas qu’il sera de retour avant le coucher du soleil. »

Le donjon des filles du dieu de la mer se trouvait près de Lucaris, et c’était l’endroit dont Gharb m’avait parlé — c’était très bien ainsi. Il n’y avait qu’un seul problème…

« Si je me souviens bien… c’est au fond de la mer, n’est-ce pas ? »

« Oh ! Vous êtes bien informé pour quelqu’un qui n’est pas du coin. Oui, c’est vrai. L’entrée se trouve sous l’eau, au large de la côte. Le ferry ne fait le trajet que deux fois par jour, le matin et le soir — mais quand les eaux sont agitées, sortir du donjon est impossible. De toute façon, il ne sera pas de retour avant le soir. »

C’était exactement ce que je craignais. Il y avait des donjons dans à peu près tous les endroits imaginables, mais même parmi eux, le donjon des filles du dieu de la mer était l’un des plus difficiles d’accès. Cependant, ce n’était pas le pire — il y avait un donjon confirmé dont l’entrée était la bouche d’un volcan.

Tu te demandes peut-être comment quelqu’un est censé entrer, mais il ne faut pas sous-estimer l’ingéniosité humaine. Apparemment, il existait une méthode d’entrée fiable qu’un nombre décent de personnes utilisaient régulièrement.

Je n’y avais jamais été moi-même, bien sûr, mais il faudrait bien que j’y aille un jour, vu que je visais la classe Mithril. Je ferais tout ce qu’il faut pour devenir plus fort… même si une partie de moi protestait à l’idée de sauter dans la bouche d’un volcan.

Quoi qu’il en soit, compte tenu de la difficulté des donjons, le donjon des filles du dieu de la mer ne semblait pas si mal en comparaison. Il va sans dire que les matériaux que l’on peut y trouver sont difficiles à trouver, et les herbes de l’esprit de la mer en sont un exemple. Leur environnement naturel est constitué de zones profondes du fond de la mer — ce n’est pas un endroit où les humains peuvent simplement se promener. Habituellement, votre seule option était de demander à un homme-poisson d’en cueillir pour vous, mais les herbes poussent à de telles profondeurs que seuls certains hommes-poissons peuvent faire le voyage. Dans ces conditions, le meilleur moyen de trouver des herbes était de faire des recherches dans les donjons.

Chaque donjon possédait une variété différente de matériaux et d’objets que l’on pouvait y trouver. Celui de Maalt avait son propre ensemble unique, et les autres lieux ne faisaient pas exception. Comme le donjon des filles du dieu de la mer se trouvait sous l’eau, beaucoup de ses matériaux récoltables étaient de nature aquatique — c’est pourquoi Capitan s’y était rendu à la recherche des herbes de l’esprit de la mer.

Pourtant, il ne serait pas de retour avant le soir, hein ?

« Est-ce que je le rencontrerai si je vais au port au coucher du soleil ? » avais-je demandé.

« Vous devriez, à moins que vous ne vous manquiez l’un l’autre », confirma la réceptionniste. « Capitan passe tous les jours pour déposer sa récolte, cependant, alors ce serait plus sûr de venir ici, euh… » Elle me regarda d’un air inquisiteur.

« Rentt. »

« Rentt, » répéta-t-elle. « Je lui ferai savoir que vous êtes passée, il vous attendra sûrement. »

« Oui ? Merci. Mais juste au cas où on se manquerait encore, voici l’auberge où je loge. Pourriez-vous lui dire de passer me voir ? »

« Bien sûr. »

Ceci étant réglé, j’étais sûr de retrouver Capitan aujourd’hui ou demain, sauf circonstances exceptionnelles. Maintenant, comment allais-je passer le reste de la journée ?

Une promenade dans la ville me paraissait agréable. J’avais quitté la Guilde, impatient de faire un peu de tourisme.

***

Partie 4

Au lieu de retourner directement à mon auberge, j’avais pris un chemin sinueux à travers la ville.

Lucaris possède un certain nombre de magasins destinés aux aventuriers, et j’avais donc fait le tour des magasins pour faire le plein d’herbes médicinales, de potions de récupération et, enfin, de rations conservées et périssables pour le moment où je m’enfoncerai dans le donjon. Je m’étais également arrêté chez un forgeron pour entretenir mon équipement.

Une fois que tout cela avait été fait, j’avais continué ma promenade, me sentant grandement satisfait. J’avais commencé par les rues principales, mais les chemins que j’empruntais devenaient peu à peu plus étroits et plus sombres. Pourtant, je ne retournais pas à l’auberge. Au contraire, je me dirigeais dans la direction opposée.

Mon plan initial avait été de retourner à l’auberge et de faire un peu d’herboristeries jusqu’au soir, mais les yeux que je sentais dans mon dos avaient mis un terme à ce projet.

Oui, tu m’as bien entendu : j’étais suivi.

Mes poursuivants ne devaient pas être trop proches, puisque je n’avais vu personne en me retournant, mais la sensation de leurs regards sur moi était indubitable. Je ne dirais pas que c’était la soif de sang, mais je pouvais dire qu’ils ne pensaient certainement pas à quelque chose d’agréable.

Je suppose que je devrais commencer…

« Cela devrait faire l’affaire », avais-je dit. « Pourquoi ne sortez-vous pas tous ? C’est le moins que vous puissiez faire après que je vous ai fait la faveur de venir jusqu’à cet endroit lugubre. »

Tranquillement, ils s’étaient montrés. Leur équipement n’avait rien d’unificateur, mais je voyais bien qu’ils avaient l’habitude de manier leurs armes. On peut trouver des gens comme eux partout où l’on va, et leur mode de vie m’était très familier.

C’était des aventuriers.

◆◇◆◇◆

« Bon, » dit l’un de mes poursuivants. « Alors tu nous as remarqués ? Pas mal. »

Il y en avait trois au total. Ce n’est pas un grand nombre, mais ce n’est pas non plus un petit nombre…

« Vous n’avez pas vraiment fait preuve de subtilité en me suivant », avais-je dit. « Alors, qu’est-ce qui vous tracasse ? Je ne suis arrivé dans cette ville qu’aujourd’hui, alors je ne peux pas avoir fait quoi que ce soit qui vaille la peine d’être rancunier. »

Je ne pouvais pas garantir que je ne le ferais pas à l’avenir, mais dans l’état actuel des choses, j’étais à peu près sûr d’avoir fait table rase du passé. Ils n’avaient pas non plus l’air d’avoir envie de se battre, même s’ils me suivaient.

Ce serait bien si nous pouvions résoudre ce problème de façon diplomatique, mais il semblerait qu’ils aient d’autres idées.

« Il n’y a rien de personnel, mon ami. Nous avons juste vu à quel point tu as été généreux avec ce vendeur de rue. Je veux dire, trois pièces d’or ? Pour un homme-chèvre ? On se demandait si tu pouvais distribuer un peu de cette générosité pour les pauvres gens dans le besoin comme nous. »

Ah, c’est donc une pièce de monnaie qu’ils recherchaient. C’est un problème. Ils avaient dû regarder de près quand j’avais payé le vendeur homme-chèvre — ils avaient même trouvé le montant exact.

« Oh, alors vous êtes aussi des vendeurs d’herbes ? » dis-je. « Je serais heureux de jeter un coup d’œil à vos marchandises. » Il était évident que ce n’était pas le cas, mais je voulais d’abord épuiser toutes les possibilités. Je voulais vraiment éviter de faire des histoires. Cela dit, je savais qu’il n’y avait qu’une seule façon pour eux d’interpréter cela…

« Quoi ? Est-ce que tu as toute ta tête ? Écoute, donne-nous juste l’argent ! » Les hommes avaient fait un pas vers moi, tendant les armes à leur taille.

Bon, d’accord — j’avais peut-être su que cela arriverait et j’avais intentionnellement été un peu sarcastique. Je suppose que tu récoltes ce que tu as semé.

« Est-ce qu’on doit vraiment en arriver à ça ? » avais-je demandé.

« Regardez ça, les gars ! Le grand homme là-bas fait encore semblant de ne pas trembler dans ses bottes ! Allez, on l’attrape ! »

L’homme qui avait parlé m’avait chargé. Je pouvais respecter le fait qu’il m’ait attaqué lui-même au lieu de laisser les deux autres — qui avaient l’air d’être ses subalternes — commencer. La plupart des gens comme lui avaient tendance à se contenter de faire du vent et à laisser leurs hommes de main faire le sale boulot.

Pourtant, cela ne changeait rien à ce que j’allais devoir leur faire.

J’avais dégainé mon épée et m’étais élancé vers l’avant. J’avais déjà une bonne idée de leur niveau, et je ne leur ferais pas trop mal… même s’ils avaient sans doute besoin d’une bonne raclée qui les mettrait hors d’état de nuire pendant un certain temps. Je ne voulais pas en faire trop.

En canalisant le mana dans mes jambes, j’avais instantanément comblé la distance qui me séparait de l’homme qui me précédait. Soudainement confrontés à mon masque de squelette, ses yeux s’ouvrirent en sursaut. Son épée, cependant, était toujours en mouvement.

« Il faudra que tu sois plus rapide que ça. »

Mon coup horizontal frappa son torse, heurtant son armure et l’envoyant voler. Il s’écrasa contre un mur et s’affala sur le sol, inconscient. Quant aux deux autres…

« A-Ahhh ! »

« Qu-Quoi !? Comment… !? »

Ils tremblaient de peur. L’issue du combat était évidente pour moi, mais manifestement pas pour eux. Ce n’est même pas que j’étais terriblement fort — ils étaient juste du côté faible. Je l’avais deviné à leurs mouvements et au fait qu’ils n’étaient pas assez fort pour se faire trois pièces d’or en prenant des commissions.

En bref, ils étaient à peu près aussi puissants que je l’étais — peut-être même moins. Je ne pouvais pas perdre. Pourtant, tout comme j’avais dû respecter leur chef déchu, il semblait que je doive aussi réévaluer mon opinion sur ces deux-là.

« N’allez-vous pas fuir ? » demandai-je. J’avais brandi mon épée d’une seule main et l’avais pointée droit sur eux. Même un enfant serait capable de comprendre le message : Vous êtes les prochains.

Et pourtant, ils ne s’étaient pas enfuis.

« Qu-Quoi, ta tête est aussi vide que ce crâne le laisse paraître !? Nous n’allons pas laisser notre ami derrière nous ! » hurla l’un d’eux.

« O-Oui ! », ajouta l’autre. « Tiens bon Niedz, on vient te chercher, mec ! »

Ils avaient tous les deux tourné leurs regards vers moi. Tout à coup, j’avais eu l’impression d’être le méchant. Qu’est-ce qui se passe ?

J’avais pris mentalement du recul et j’avais regardé la situation objectivement. Dans une ruelle, un type avec un masque de squelette et une cape noire se tenait face à trois aventuriers. L’un d’eux était inconscient au pied de l’homme masqué, tandis que les deux autres lui tenaient tête pour sauver leur ami, luttant pour surmonter leur terreur.

Wôw, tu parles d’un malentendu facile.

« C’est parti ! W-Waaaaghhh ! »

« Prends ça, Face de crâne ! »

Le duo s’était précipité sur moi en hurlant. Mais ils n’avaient jamais réussi à aller jusqu’au bout, car l’instant d’après…

Bruit sourd.

Ils s’étaient tous les deux effondrés sur le sol. Pourquoi, demandes-tu ? Eh bien, je peux te dire que ce n’était pas parce que je les avais éliminés avec un sort à distance ou une autre astuce.

« J’ai pensé qu’il y avait quelque chose d’inhabituel à ce sujet », avais-je dit. « Alors, avez-vous aussi des affaires à régler avec moi ? »

Un homme était apparu derrière la paire d’aventuriers tombés au combat. Mes yeux, qui pouvaient voir dans l’obscurité, m’avaient permis de remarquer qu’il n’était pas humain, mais un homme bête.

Le personnage avait une fourrure brillante, d’un noir de jais, agréable au toucher, et des iris félins qui scintillaient, les faisant ressortir dans la pénombre. Au niveau de la taille, il était légèrement plus grand qu’un humain moyen, et sa carrure était souple, manifestement entraînée à l’agilité plutôt qu’à la force brute.

Ce que je veux dire, c’est qu’il était bien plus capable que les deux aventuriers qui venaient de m’attaquer. S’il envisageait de faire de même, je devais y aller à fond.

« M’avais-tu aussi remarqué ? » demanda-t-il.

« Oui, j’ai senti quelqu’un d’autre que ces types, » avais-je expliqué. « Mais je n’ai pas pu déterminer où vous étiez précisément. » Il avait bien réussi à se dissimuler. Je l’avais quand même senti… mais il avait peut-être fait exprès de me laisser le remarquer.

« Vraiment ? Je suppose que ça ne servait pas à grand-chose après tout. Je doute que cela vaille la peine de poser la question, mais est-ce que tu vas bien ? »

« D’après ta question, je suppose que tu n’es pas avec ces types ? Et il ne semble pas non plus que tu sois venu pour m’attaquer. » Il semblerait que les intentions de l’homme aient été de faire exactement le contraire, en fait, puisqu’il avait intentionnellement fait connaître sa présence à moi.

« Oui, » confirma-t-il. « Je les ai vus te filer en rentrant chez moi. Ils n’avaient pas l’air de préparer quelque chose de bien, alors je les ai suivis, juste au cas où. »

« Allais-tu intervenir et me sauver ? »

« Oui… mais j’ai vite compris que mon aide ne serait pas nécessaire. »

« Oh, pas du tout. Merci. Ces deux-là étaient plutôt terrifiés à la fin, et on ne sait jamais ce qu’une personne désespérée va faire. Un coup rapide par-derrière pour les assommer était la solution la plus propre. »

« Heureux d’avoir pu t’aider. D’ailleurs… »

« Hmm ? »

« Que veux-tu faire d’eux ? » L’homme jeta un coup d’œil aux aventuriers inconscients. « Devons-nous les remettre aux autorités ? »

J’avais réfléchi un instant. C’était vraiment une option, mais… « Je ne suis arrivé dans cette ville que récemment », avais-je dit. « Que se passerait-il si nous les livrions ? »

« Voyons… Eh bien, comme ils ont l’air d’être des aventuriers, on leur retirerait d’abord leur permis. Ensuite, ils devront probablement passer un mois ou deux en cellule. Tu es indemne, malheureusement — ah, mes excuses, je ne voulais pas dire ça comme ça — alors il est très probable que ce soit la seule punition qui leur soit infligée, vu l’absence de dégâts. »

Il n’y aurait donc pas beaucoup d’intérêt à les livrer. Le retrait de leur permis est une sanction importante, mais cela signifierait qu’ils n’auront plus de source de revenus. Cela les obligerait probablement à retenter ce genre de choses.

Cela allait être pénible à gérer, mais c’était peut-être une sorte de destin. Ils n’avaient pas l’air d’être des méchants — enfin, pas trop méchants en tout cas — alors ça valait sans doute la peine de leur faire la morale.

« Je vais rester ici et attendre qu’ils se réveillent. »

« Pardon ? »

« Ils m’ont attaqué parce qu’ils n’avaient pas d’argent. Je me dis que je vais leur apprendre le strict minimum de ce qu’il faut faire pour gagner sa vie. Sinon, ils pourraient retenter leur chance, et rien ne garantit que leur prochaine victime sera aussi capable de faire face que je l’étais. »

L’homme m’avait regardé avec incrédulité. « Es-tu une vraie mauviette ? »

« Je ne dirais pas cela. S’ils avaient été pourris jusqu’à la moelle, je les aurais simplement jetés dans les niveaux les plus bas du donjon, au diable les conséquences. Et vois-tu, je ne resterai pas longtemps en ville. »

« D’accord, je retire ce que j’ai dit sur le fait que tu étais une mauviette. Hmm. Attendre ici qu’ils se réveillent serait plutôt ennuyeux, alors pourquoi ne pas les amener chez moi ? »

« Chez toi ? En es-tu sûr ? Je ne voudrais pas qu’ils te gardent rancune. » Et s’ils revenaient plus tard et brûlaient sa maison ?

« Oh, c’est bon. S’ils tentent quoi que ce soit, je les tuerai tout simplement. »

« Ah. Eh bien… tu sembles certainement assez capable… »

« Alors, finissons-en. Je vais porter ces deux-là. Le premier homme que tu as assommé est tout à toi. »

« J’ai compris. Désolé pour tout ça. »

« Si quelqu’un doit s’excuser, c’est bien eux », dit l’homme bête en hissant la paire d’aventuriers inconscients sur ses épaules.

« Tu as raison. Je ne manquerai pas de leur demander des excuses une fois qu’ils seront réveillés. »

« Vas-tu les torturer ? »

« Hmm… C’est certainement une option. Je peux soigner tous les dégâts que je subis, alors… » J’avais ramassé mon gars et je m’étais mis en route, suivant les pas de l’homme-bête. « Oh, je n’ai pas compris ton nom, au fait. Je suis Rentt Faina. Appelle-moi Rentt. »

« Diego Malga. Appelle-moi Diego. »

« Malga ? Ne serais-tu pas par hasard le vendeur de malédictions, n’est-ce pas ? ? »

« Oh, tu as entendu parler de moi ? Oui, c’est ma boutique. Se faire traiter de vendeur de malédictions, ça fait un peu mal, quand même… Je ne suis qu’un magasin général. »

***

Partie 5

Diego me conduisit à travers les ruelles, en prenant un certain nombre de tours et de détours. « Ce serait plus rapide de prendre les rues principales, » dit-il, « mais pendant que nous transportons ce lot… »

Oui, transporter trois aventuriers inconscients ne faisait pas bonne figure. Les gens nous prendraient pour des kidnappeurs. Nous pourrions expliquer notre situation si on nous le demandait, bien sûr, mais nous serions alors emmenés par les autorités — eux pour être enfermés, et nous pour être interrogés. Je voulais éviter cela, alors me faufiler dans les ruelles me convenait parfaitement.

Le problème, c’est que je n’avais aucune idée de l’endroit où nous allions. Pour ce que j’en savais, Diego était un criminel qui m’emmenait directement chez ses associés. Tout ce que je pouvais faire, c’était suivre tranquillement.

Mais je doute d’avoir à m’inquiéter de cette éventualité. Si tel avait été son objectif, il n’aurait pas pris le temps d’expliquer pourquoi nous empruntions les ruelles. Quoi qu’il en soit, au pire, l’Éclatement me permettrait de me sortir de presque toutes les situations, même de celles qu’une personne normale ne pourrait pas affronter.

Mais il semblerait que je ne me sois pas trompé sur Diego, car nous étions arrivés à destination après une demi-heure de marche.

« Entre, » dit-il.

Nous étions devant l’entrée arrière d’une maison en pierre d’apparence robuste. Bien qu’il porte un corps en plus, il avait habilement ouvert la porte et me l’avait tendue. Je me sentais un peu coupable, cela ne m’aurait pas dérangé de passer en premier.

« Ah, désolé », avais-je dit. « Laisse-moi fermer. »

Je m’étais avancé et j’avais fermé la porte derrière nous pendant que Diego entrait plus profondément dans la maison. Je l’avais suivi et j’avais été impressionné de voir que l’intérieur sombre s’éclairait automatiquement au fur et à mesure que nous avancions.

« C’est une installation magique assez luxueuse que tu as là », avais-je fait remarquer.

Diego secoua la tête. « Ce ne sont que des artefacts que mon père a récupérés dans le donjon. Je ne peux pas m’en attribuer le mérite. »

« Oui ? Est-ce un aventurier ? »

« Oui, il l’était. Il tenait aussi un magasin général… mais j’ai repris le flambeau, bien sûr. »

« Je vois… » Nous n’avions pas échangé beaucoup de mots, mais cela avait suffi pour que je lise entre les lignes. Le père de Diego n’était plus parmi nous. « Alors quand le garde m’a parlé de “Malga le vendeur de malédictions”, il parlait de ce magasin ? »

« Ça devait être le cas. Vois-tu, nous n’avons jamais choisi de nom officiel pour lui. On l’appelait “Raul le vendeur de malédictions” à l’époque de mon père. »

Le père de Diego s’appelait donc Raul. « Comment se fait-il que tu ne lui aies jamais donné de nom ? » avais-je demandé. « N’est-ce pas gênant ? »

« Mon père ne tenait ce magasin que comme un hobby, et je suis pareil. L’aventure était — et est toujours — notre principale profession. Comme lui, je n’ouvre le magasin général que lorsque j’en ai envie, ou lorsqu’un habitué me fait savoir qu’il passera. »

« Peux-tu gagner suffisamment pour t’en sortir de cette façon ? »

« Comme je l’ai dit, ce n’est qu’un passe-temps. En plus, les vendeurs de malédictions sont plutôt demandés à Lucaris. Ah, c’est cette pièce. »

Nous étions arrivés à destination, semblait-il. Diego s’était dirigé vers le canapé au centre de la pièce et posa les deux aventuriers, alors je l’avais suivi avec le mien. Leurs corps prenaient tellement de place que nous n’avions nulle part où nous asseoir.

Diego sortit une chaise de quelque part et l’apporta. « Ce serait un peu étrange de ma part de te dire de faire comme chez toi, étant donné les circonstances, mais assieds-toi. Je vais t’apporter du thé. »

« Tu n’as pas besoin de te mettre en quatre pour mon compte. »

« C’est bon — tu es un invité. Assieds-toi. »

Sur cette remarque, Diego se dirigea vers la cuisine. Je m’étais soudainement senti coupable — j’avais débarqué de nulle part, et maintenant il me traitait si poliment. Il n’avait aucune raison de m’accueillir, et encore moins ces trois aventuriers.

Diego m’avait traité de mauviette, mais je commençais à me demander s’il n’en était pas un lui-même.

Malgré tout, j’étais reconnaissant d’avoir son aide. Je ferais de mon mieux pour ne pas le déranger, dans la mesure du possible.

Tnk. Une tasse de thé fumante fut posée sur la table devant moi.

« Ça sent très bon », avais-je fait remarquer.

« C’est importé, pas cultivé localement, » déclara Diego. « C’est un bon thé. »

En raison de son climat, Ariana n’était pas un grand centre agricole. Son développement en tant que nation dépendait de l’essor de son économie commerciale. Par conséquent, le thé était difficile à cultiver ici, et le produit final n’était pas si délicieux.

Cependant, lorsque j’avais goûté le thé que Diego m’avait donné, il avait une saveur distincte qui envahissait ma bouche et mon nez. Il semblait qu’il n’avait pas menti en disant qu’il s’agissait d’un thé importé.

« Une de mes amies est très exigeante en ce qui concerne son thé, alors j’ai goûté à des feuilles de grande qualité en mon temps », avais-je dit. Bien sûr, je parlais de Lorraine. « Mais ceci donnerait à n’importe lequel d’entre eux une chance de s’en sortir. Est-ce aussi un de tes hobbies, Diego ? »

« Quoi ? Est-ce que j’ai la tête d’un gars qui est passionné par son thé ? », répondit-il. « Je prendrai le bon produit s’il est disponible, bien sûr, mais c’est à peu près tout. J’ai obtenu ce mélange d’un client. »

« Ah, l’un des habitués dont tu as parlé tout à l’heure ? »

Cela signifie qu’il avait des clients plutôt aisés. Un citoyen ordinaire ne lui aurait pas apporté un thé d’une telle qualité. Lorraine pouvait se permettre d’en acheter, mais c’était au-dessus des moyens de la plupart des gens.

« Oui. Est-ce étrange que des clients aussi aisés se rendent dans un établissement comme le mien ? »

« C’est un peu inattendu, mais je n’irais pas jusqu’à dire que c’est étrange. »

Il m’avait dit que son magasin n’était qu’un à-côté irrégulier de son activité principale. Les vendeurs de malédictions étaient rares à Maalt, mais Lucaris avait sans doute un vaste choix, et je n’avais rien remarqué qui puisse le distinguer des autres, d’où ma surprise.

« J’ai suivi une formation dans un temple du Dieu de l’évaluation, je peux donc évaluer les objets maudits dans une certaine mesure, » expliqua Diego. « Les gens apprécient cela. Lucaris est une grande ville, et nous avons plus que notre part d’yeux aiguisés, mais je suis le seul vendeur de malédictions à avoir pris la peine d’apprendre cette compétence. Alors voilà. »

◆◇◆◇◆

« Cela signifie-t-il que tu es un prêtre du Dieu de l’évaluation ? » avais-je demandé.

« Rien de bien grandiose », dit Diego. « Je dois dire qu’ils m’ont mis à la porte à mi-parcours. Tu peux sans doute deviner ce qu’ils pensaient du fait que j’évalue des objets maudits tout le temps… »

À bien y penser, les prêtres que j’avais rencontrés n’étaient pas très enthousiastes à l’idée d’objets maudits, n’est-ce pas ? « Oui, je peux comprendre. » Les prêtres du Dieu de l’évaluation étaient assez stricts à cet égard. « Alors tu dis que tu as étudié les malédictions tout le temps malgré cela ? »

« Pour ainsi dire. C’est pour ça qu’ils m’ont chassé, à la fin. Mais j’ai appris beaucoup de choses sur l’art de l’évaluation. Et de mon point de vue, peu importe que l’objet soit maudit ou non — les objets ne sont pas intrinsèquement pécheurs. »

L’évaluation est une compétence que tout le monde peut apprendre. La guilde avait des spécialistes, et de nombreux marchands savaient aussi le faire. Cependant, les plus grands experts du monde étaient les prêtres qui servaient le Dieu de l’évaluation, et nombreux étaient ceux qui se rendaient dans leurs temples pour apprendre leurs méthodes.

D’après ce que Diego avait dit, c’est exactement ce qu’il avait fait. Mais pour apprendre leurs méthodes, il fallait aussi devenir prêtre — ils refusaient de t’enseigner autrement. Dans un sens, c’était tout à fait naturel. Mais si Diego était devenu prêtre pour étudier des objets maudits si souvent qu’il en était excommunié…

Un aventurier comme moi serait extrêmement reconnaissant d’avoir un évaluateur capable d’identifier n’importe quoi pour lui, mais je ne doutais pas que les prêtres voyaient les choses tout à fait différemment.

« Ne le regrettes-tu pas ? » avais-je demandé. Il était allé jusqu’à rejoindre la prêtrise pour apprendre l’art de l’évaluation. Se pourrait-il qu’il ait vraiment voulu y consacrer sa vie, à un moment donné ?

Diego secoua la tête. « Non, pas vraiment. Je ne l’ai appris que pour pouvoir tenir mon magasin général ici à Lucaris. J’ai toujours eu l’intention de revenir une fois que j’en aurais appris assez. Je suis resté plus longtemps que prévu, en fait, car c’était plus agréable que ce à quoi je m’attendais, alors se faire botter le train a parfaitement fonctionné. »

« Alors pourquoi Lucaris ? Y a-t-il une raison particulière pour laquelle tu es accroché à cette ville ? »

En tant qu’évaluateur suffisamment doué pour devenir prêtre du Dieu de l’évaluation, Diego aurait pu s’installer dans une ville encore plus grande et être très demandé — et pourtant, il tenait simplement une petite boutique comme celle-ci en tant qu’activité secondaire. Son père lui avait légué cette boutique, c’est peut-être pour cela qu’il la tenait.

« C’est la ville où mon père a passé sa vie », dit Diego, confirmant mes soupçons. « D’ailleurs… »

« D’ailleurs ? » avais-je demandé.

« Je…» Diego s’était interrompu en secouant la tête. Il semblait qu’il n’allait pas s’étendre davantage, car il changea soudain de sujet. « Maintenant que j’y pense, Rentt, tu as dit que tu allais discipliner ces trois-là ? » Il regarda les hommes inconscients sur le canapé. « Qu’est-ce que tu vas leur faire ? »

« Ah, d’accord. Bon, j’allais d’abord recueillir leur version de l’histoire à leur réveil.»

« Et ensuite ? »

« Fais en sorte qu’ils m’aident à faire un travail. J’ai prévu de leur apprendre quelques trucs pendant que nous travaillons aussi. »

« Un travail ? »

« Oui. Est-ce que tu connais les herbes de l’esprit de la mer ? »

C’était un changement de sujet un peu brusque, mais comme tout bon propriétaire de magasin général et évaluateur, Diego semblait bien connaître la botanique. « C’est une sorte d’herbe qui pousse sur le fond marin, c’est ça ? » dit-il. « Les hommes-poissons en récoltent parfois, mais on n’en voit à Lucaris qu’une fois par an environ. Oh — mais j’ai entendu dire qu’on pouvait parfois en trouver dans le donjon des filles du dieu de la mer. »

***

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