Chapitre 5 : Maalt, la douce Maalt, et une visite chez le forgeron
Table des matières
- Chapitre 5 : Maalt, la douce Maalt, et une visite chez le forgeron – Partie 1
- Chapitre 5 : Maalt, la douce Maalt, et une visite chez le forgeron – Partie 2
- Chapitre 5 : Maalt, la douce Maalt, et une visite chez le forgeron – Partie 3
- Chapitre 5 : Maalt, la douce Maalt, et une visite chez le forgeron – Partie 4
- Chapitre 5 : Maalt, la douce Maalt, et une visite chez le forgeron – Partie 5
- Chapitre 5 : Maalt, la douce Maalt, et une visite chez le forgeron – Partie 6
- Chapitre 5 : Maalt, la douce Maalt, et une visite chez le forgeron – Partie 7
- Chapitre 5 : Maalt, la douce Maalt, et une visite chez le forgeron – Partie 8
- Chapitre 5 : Maalt, la douce Maalt, et une visite chez le forgeron – Partie 9
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Chapitre 5 : Maalt, la douce Maalt, et une visite chez le forgeron
Partie 1
« Nous sommes enfin de retour…, » murmura Lorraine en apercevant les portes de Maalt par l’entrebâillement des rideaux du carrosse. « Je sais que nous n’avons pas passé beaucoup de temps dans la capitale royale, mais j’ai l’impression que cela fait une éternité. »
J’avais ressenti la même chose. Peut-être était-ce parce que nous considérions Maalt comme notre maison — notre base d’opérations, pour ainsi dire. Hathara était mon foyer, à proprement parler, et celui de Lorraine se trouvait quelque part dans l’Empire Lelmudan, mais c’était ici, à Maalt, que nous nous étions construit une vie. Il était donc normal que nous éprouvions une telle nostalgie, même après l’avoir quittée pour un temps.
« Crois-tu que quelqu’un a changé ? » m’étais-je demandé à haute voix. « Eh bien, même si c’est le cas, ça ne doit pas être tant que ça. »
« On entend des histoires sur des gens qui partent quelque part pendant un an ou deux et qui reviennent en découvrant que leurs connaissances ont eu des enfants et ainsi de suite », déclara Lorraine. « Mais nous sommes partis moins d’un mois, alors je doute que les choses aient changé. Cependant, comme j’imagine que l’Académie et la Tour ont vaqué à leurs occupations, nous pourrions découvrir qu’il y a eu d’autres types de changements… »
La Tour était l’institution de recherche magique du pays, et l’Académie était son institution éducative. Elles existaient dans de nombreux endroits, et pas seulement à Yaaran, et même si leurs noms variaient, la plupart des gens les désignaient simplement par ces noms. Quel que soit le pays où l’on se rendait, on trouvait dans les Académies et les Tours les futurs dirigeants des nations en train d’être éduqués et des groupes de recherche indispensables à la découverte des secrets de la magie.
Les membres de ces deux organisations étaient très nombreux à séjourner à Maalt.
C’était à cause du donjon qui se trouvait juste en dessous de la ville, à la suite d’un incident relativement récent causé par un vampire. Les donjons étaient des ressources naturelles — un peu comme les gisements de minerai, si les gisements de minerai pouvaient produire divers monstres, trésors et matériaux — mais ils étaient aussi mystérieux et personne ne pouvait dire exactement comment ils s’étaient formés.
Si certaines parties de l’intérieur des donjons ressemblaient à des passages en pierre construits par l’homme ou à l’intérieur de bâtiments, d’autres ressemblaient à de vastes biomes dégagés que l’on trouverait dans le monde extérieur, et il semblerait que la seule explication à leur existence était qu’ils avaient été façonnés par rien de moins qu’un dieu.
C’est pourquoi il existait un certain nombre de théories complexes et enchevêtrées sur les donjons, et de nombreux pays et leurs instituts de recherche menaient des recherches à ce sujet. Néanmoins, personne n’avait encore réussi à découvrir la vérité.
Un donjon s’était alors soudainement formé à Maalt.
Les donjons nouvellement créés étaient rares à l’échelle mondiale, et ils se trouvaient souvent dans des endroits difficiles d’accès. C’est pourquoi des foules de gens de la Tour et de l’Académie avaient déferlé sur Maalt, un afflux de personnes qui frôlait l’invasion.
Lorraine et moi nous étions enfuis dans la capitale royale pour échapper à toute cette agitation, et nous ne savions donc pas comment les choses se passaient actuellement à Maalt. Cependant, il n’était pas difficile d’imaginer qu’il y avait eu des changements. J’espérais vivement qu’il n’y aurait pas de disputes ou de conflits à gérer, mais d’après ce que j’avais vu avant notre départ, il n’y avait pas eu d’escalade au-delà des querelles mineures entre les aventuriers que la Tour et l’Académie avaient engagés comme gardes du corps. Il n’y avait probablement pas de problèmes majeurs qui se cachaient dans les environs, je pouvais donc être tranquille pour le moment. Avec un peu de chance. Peut-être.
« Quand même, un nouveau donjon, hein ? Je suis curieux de savoir pourquoi il a été créé, mais j’avais aussi envie d’y faire un tour. Vous y êtes déjà allés, n’est-ce pas ? C’était comment ? »
L’homme qui nous posait cette question, à Lorraine et à moi, n’était autre que Jean Seebeck, le Grand Maître de la Guilde de Yaaran. Il était certes un peu âgé, mais il était physiquement en pleine forme, et son regard était plus vif que celui de Wolf, le maître de la guilde de Maalt. Je n’avais pas besoin d’avoir des sens particulièrement aiguisés pour me rendre compte que si je devais l’affronter, ce ne serait même pas un combat digne de ce nom. Je ne mourrais pas même si on m’embrochait le cœur ou si on m’écrasait la tête, mais Jean Seebeck était le genre d’homme qui me faisait penser que cela n’avait aucune importance — il trouverait de toute façon un moyen d’anéantir mon existence en un rien de temps.
De ce point de vue, nous avions bien ramené quelqu’un de dangereux avec nous à Maalt… mais c’était à la demande de Wolf, donc toute la responsabilité lui incombait si quelque chose tournait mal. Quoi qu’ait fait Jean, j’avais les mains propres. Oui.
Cela dit, Jean n’était pas du genre apathique lorsqu’il s’agissait de son pays ou des gens qui y vivaient. En fait, il se souciait des autres, et sa politique générale était de maintenir la paix et l’ordre. C’est pour cela qu’il avait rassemblé tant d’individus aux capacités uniques en un même lieu, et qu’il était le chef d’une organisation clandestine qui tenait les rênes de la pègre de la capitale royale. Il n’y avait donc probablement pas lieu de s’inquiéter de le voir faire quoi que ce soit de dangereux ou d’incontrôlable…
« Hmm… quand nous sommes entrés, il venait à peine de se former », dit Lorraine d’un ton pensif. « C’était vraiment très désagréable. Comment dire... C’était comme pénétrer dans les organes internes d’une personne. Les murs ressemblaient presque à de la chair. »
« Absolument », aivaisje ajouté en signe d’approbation. « J’ai aperçu de plus en plus de murs de pierre et de boue au fur et à mesure que le temps passait, mais comme l’a dit Lorraine, tout était en chair au début. Si c’est pour cela que les gens soutiennent la théorie selon laquelle les donjons sont des créatures vivantes, alors je dirais que c’est une preuve assez convaincante. »
Jean avait ri. « Fascinant. J’ai vraiment hâte de le voir, on ne voit pas beaucoup de choses nouvelles quand on a mon âge. À quoi ressemblent les monstres et les objets magiques du donjon ? »
« Nous sommes partis avant que l’un ou l’autre ne commence à se manifester », dit Lorraine. « Vous devrez le constater par vous-même. »
À l’époque, Lorraine et moi avions été très occupés par le conflit contre le vampire Shumini et ses créatures, et nous n’avions donc pas eu le temps d’explorer le donjon et de découvrir ses monstres et ses objets magiques uniques. Même après l’incident, nous n’avions fait que jeter un coup d’œil rapide à l’entrée, et nous n’avions donc pas encore exploré l’endroit en profondeur. C’est pourquoi nous étions impatients de faire notre propre exploration, si nous en avions la permission.
« Je vois… », songea Jean. « Je suppose que cela gâcherait le plaisir si vous me disiez tout ce qu’il y a à savoir à ce sujet. Il va falloir que j’aille voir par moi-même ! »
◆◇◆◇◆
Après être descendus de la calèche, nous nous étions dirigés vers la guilde des aventuriers de Maalt. En chemin, j’avais demandé à Jean des nouvelles du maître de la guilde, c’est-à-dire de Wolf.
« C’est vous qui avez donné son poste à Wolf, n’est-ce pas ? »
J’étais en tout cas à peu près certain que c’est ainsi que l’histoire s’était déroulée. Il était de notoriété publique que Wolf était sur le point de se retirer de l’aventure pour mener une vie tranquille et retirée à la campagne, mais Jean Seebeck y avait mis un terme.
Jean hocha la tête. « Je l’ai fait en effet. À l’époque, il était sur le point d’atteindre le rang Platine… mais c’était avant d’être gravement blessé aux yeux. Il ne rajeunissait pas non plus, et c’est à ce moment-là qu’il a commencé à parler de retraite. En un rien de temps, il avait tout préparé et un pied dans la porte. J’ai quitté la capitale royale aussi vite que possible pour l’arrêter. “Bien sûr, des blessures comme les tiennes font qu’il n’est pas facile d’être un aventurier”, lui avais-je dit. “Mais avec les années et l’expérience que tu as accumulée, pourquoi ne pas te tourner vers un rôle qui te permettrait de soutenir la profession ?” Il se trouve que la guilde de Maalt jouit d’une excellente réputation en ce moment. Avant que Wolf ne devienne chef de guilde, elle n’était pas très différente des autres. Si ça ne veut pas dire que le nommer était la meilleure décision que j’aurais pu prendre, alors je ne sais pas ce qu’il en est. »
Les paroles de Jean semblaient sincères. J’avais réfléchi à la chronologie dans ma tête : Wolf était devenu le chef de la guilde probablement… plus d’une décennie avant que Lorraine et moi ne devenions des aventuriers.
Je n’étais pas là pour savoir à quoi ressemblait la guilde de Maalt à l’époque, mais je me doutais qu’elle était dans un état assez difficile. En général, une guilde moyenne — pour le meilleur ou pour le pire — tendait vers une politique d’autonomie et de responsabilité individuelle pour ses aventuriers locaux. En d’autres termes, elle ne vous prendrait pas, mais ne vous aiderait pas non plus.
On aurait pu penser que c’était tout à fait normal — et ça l’était, du moins pour les personnes habituées à travailler dans un tel système — mais les guildes appliquaient aussi cette politique aux débutants les plus frais, et c’est là que le bât blesse. Un débutant ne savait pas grand-chose sur les espèces de monstres et les parties de leur corps, et encore moins comment les découper pour les récolter, pas plus qu’il n’était très instruit sur les plantes et les matériaux en général.
Le résultat était évident : ils acceptaient une mission de rang Fer en pensant que ce serait simple, puis échouaient lamentablement. Et c’était l’une des meilleures issues : souvent, ils mouraient tout simplement.
La question qui s’imposait était : « pourquoi personne n’a-t-il fait quelque chose à ce sujet ? » La réponse avait été : parce que pendant très longtemps, c’est ainsi que les choses se sont passées. Le maintenir était une tradition.
« Dans ce cas, il s’agit de la liberté de l’aventurier. Le fondement même de la profession était qu’elle n’était liée par des entraves. C’était une idéologie accrocheuse, et parce qu’elle existait, il y avait une quantité non négligeable d’aventuriers qui l’interprétaient comme “personne ne peut nous donner d’ordres !” »
Ce n’était pas toujours le cas que de simples aventuriers, il y avait même des chefs de guilde qui pensaient de la même façon. Il était donc difficile d’essayer de changer le système, car ce que l’on essayait de changer était une partie importante des fondations mêmes de la guilde.
Sous la direction de Wolf, cependant, ce genre de choses avait été éliminé de Maalt. Il en était résulté une culture de communication ouverte, et le soutien de la guilde avait favorisé l’émergence d’un désir positif d’amélioration personnelle, non seulement chez les débutants, mais aussi chez les vétérans.
Jean avait dû nommer Wolf parce qu’il le croyait capable d’établir une telle culture, et Wolf s’était montré à la hauteur de la tâche. C’était une chose merveilleuse, et tous deux méritaient leur part de mérite.
***
Partie 2
Moi, je n’avais fait qu’enseigner quelques rudiments à des recrues. Je n’étais pas arrivé à un poste où j’aurais pu introduire des réformes de haut en bas. Bien sûr, je ne pensais pas que ma contribution avait été totalement inutile, mais il ne faisait aucun doute que la raison pour laquelle ces efforts avaient été utiles était que Wolf était le maître de la guilde de cette ville.
« Si d’autres villes avaient des chefs de guilde qui comprenaient les aventuriers comme Wolf, cela réduirait le taux de mortalité des recrues », avais-je dit. « Cela augmenterait aussi la qualité des matériaux récoltés. Je suis presque sûr qu’il n’y aurait pas d’inconvénients. Je suppose que c’est plus facile à dire qu’à faire, n’est-ce pas ? »
Jean réfléchit un instant avant de répondre : « Nous, c’est-à-dire la guilde de Yaaran, changeons peu à peu notre façon de penser à cet égard, mais il est difficile d’étendre cette dynamique en dehors du royaume. Encore une fois, si nous y allons trop fort, le projet s’essoufflera. Ces choses-là demandent du temps — et des efforts lents et constants. Il faut d’abord s’implanter dans la capitale royale… mais ce n’est pas une mince affaire. Je ne sais pas si vous êtes au courant, Rentt, mais il y a même des gens de classe Argent dans la capitale qui ne peuvent pas faire la différence entre les herbes les plus communes. »
« Donc, si une herbe est un tant soit peu difficile à identifier, ils ne sauront pas ce que c’est ? » avais-je demandé. « Comme la différence entre le cerfeuil sauvage en terre et le cerfeuil sauvage en fleurs ? »
Le visage de Jean se crispa. « Personne ne vous reprocherait de les confondre. Même les herboristes professionnels les confondent en personne après une inspection minutieuse. »
« Les recrues de Maalt peuvent les différencier », avais-je dit. En tout cas, ceux à qui j’avais enseigné pouvaient le faire.
Les yeux de Jean s’ouvrirent en grand. « Quoi ? Vous vous moquez de moi. »
« Non, vraiment. En fait, n’est-ce pas très grave de ne pas pouvoir faire la différence ? Le cerfeuil sauvage en terre est un mets de choix, mais le cerfeuil sauvage en fleur provoque la paralysie si on le mange. »
« Je voulais dire que vous n’avez pas tort, mais… »
« Et si vous pouvez les distinguer, les cerfeuils sauvages en fleurs ont aussi leur propre utilité. Elles sont assez puissantes pour affecter même les monstres de taille décente, vous pouvez donc en extraire le jus et l’appliquer sur votre épée. »
Jean m’avait regardé avec incrédulité pendant quelques instants avant de dire : « Et vous êtes en train de me dire que les recrues de Maalt font ça ? C’est terrifiant. J’ai l’impression d’avoir été surpassé. »
Bien que Jean l’ait qualifié de « terrifiant », l’extrait des cerfeuils sauvage en fleurs ne tuerait pas une personne, et le système humain le purgeait relativement vite. Même si l’on se blessait avec une arme qui en était enduite, on s’en sortait tant qu’on avait des alliés avec soi. J’avais pris soin d’enseigner aux recrues que j’avais formées qu’elles ne devaient pas l’utiliser lorsqu’elles étaient seules, donc elles s’en sortiraient probablement. Et par « apprendre », je voulais dire que je leur avais fait tester l’extrait sur eux-mêmes pour qu’ils puissent ressentir la paralysie. De cette façon, ils pouvaient se rendre compte par eux-mêmes du danger que cela représentait — et je l’avais dit à Jean.
« Je retire ce que j’ai dit », murmure Jean. « C’est vous qui êtes terrifiant. Je commence à penser que votre masque effrayant vous va vraiment bien… »
Peu après, nous étions arrivés à un certain bâtiment et Jean s’était arrêté. « Ah ! » dit-il. « Nous sommes arrivés. »
C’était la guilde des aventuriers de Maalt. Je ne fus pas surpris par le fait que Jean l’ait reconnue — il avait mentionné qu’il était déjà venu ici. D’un autre côté, les guildes se ressemblaient plus ou moins partout, puisqu’elles étaient construites dans le même but.
Il semblerait qu’il y ait des exceptions, mais je ne les avais jamais vues. Si je voyageais un jour dans des contrées lointaines, j’aurais peut-être cette chance…
« Bon, allons à l’intérieur », dit Jean. « Vous venez tous les deux aussi, n’est-ce pas ? »
Il se dirigea vers le bâtiment, et Lorraine et moi lui emboîtâmes le pas. La mission que nous avions acceptée était d’escorter Jean jusqu’à Wolf, et notre travail d’aventuriers n’était donc pas terminé tant que nous n’avions pas pleinement satisfait aux exigences de la mission.
Mais bien sûr, ce n’était que du bon sens.
◆◇◆◇◆
« Allons d’abord à la réception », avais-je dit. « Ensuite… »
Ensuite, ils pourront informer Wolf de notre présence, allais-je dire, mais Jean se dirigeait déjà vers le bureau du maître de guilde, nous laissant derrière lui. Il donnait l’impression de ne vouloir écouter personne.
« U-Um, excusez-moi ! Excusez-moi ! » Sheila travaillait manifestement aujourd’hui, mais malgré ses premières tentatives pour l’arrêter, elle s’était figée en voyant son visage et murmura « Quoi… ? Non, pas du tout… Êtes-vous… ? »
Jean s’arrêta un instant et souffla d’amusement. « Pardonnez mon intrusion. Ne vous inquiétez pas, vous n’en porterez pas la responsabilité. » Il reprit sa marche et disparut bientôt à l’étage suivant.
Sheila, qui était restée figée sur place en le regardant partir, ne bougeait toujours pas. Lorraine et moi nous étions précipitées vers elle.
« Sheila, ça va ? »
« Toutes mes condoléances, Sheila… »
Nos paroles semblèrent la ramener à la vie. « Ça… », avait-elle lâché. « Cet homme… est-il celui que je crois ? »
J’avais acquiescé. « Jean Seebeck, le Grand Maître de la Guilde de Yaaran. Nous l’avons fait venir de la capitale royale. »
« Je le savais… »
Sheila avait l’air abattue, mais aussi soulagée — probablement parce qu’elle s’était sentie responsable d’avoir laissé Jean se frayer un chemin sans confirmer son identité. Pour être honnête, sa seule présence avait été intimidante, et elle avait semblé reconnaître son visage.
« L’as-tu déjà rencontré, Sheila ? » demanda Lorraine.
« En quelque sorte…, » confirma la réceptionniste de la guilde. « Les employés réguliers de la guilde comme moi se rendent parfois dans la capitale royale pour des formations ou des séminaires. Je ne l’ai vu de loin qu’une poignée de fois… mais une fois aurait suffi pour m’en souvenir. La façon dont il se comporte… ce n’est pas quelque chose que l’on peut oublier. »
« Tu as raison… »
Même lorsqu’il ne bougeait pas, on avait l’impression qu’une sorte de vitalité ou de dynamisme se dégageait de Jean Seebeck par vagues. Lorraine et moi étions bien conscients que ce n’était que son visage public, nous savions qu’il pouvait passer inaperçu quand il le souhaitait. Il n’aurait jamais pu diriger une organisation clandestine dans la capitale royale autrement.
Dans des circonstances comme celles-ci, cependant, il était plus commode de dire ouvertement qui il était. Cela ouvrait des portes et permettait aux gens de le reconnaître… comme Sheila à l’instant.
« De toute façon, c’est un officiel de la guilde, donc il ne devrait pas y avoir de problème pour le laisser passer », dis-je. « Est-ce que Lorraine et moi pouvons aller le chercher ? Nous devons faire un rapport à Wolf. »
« Bien sûr, » dit Sheila. « Je dois dire que je préférerais vraiment ne pas aller au bureau maintenant, alors… s’il vous plaît, allez-y. »
Ses dernières paroles m’avaient semblé un peu insistantes. Je ne pouvais pas vraiment imaginer ce que serait une réunion entre Wolf et Jean, mais de toute évidence, ce n’était pas quelque chose dans lequel un employé ordinaire de la guilde voulait s’impliquer.
Je me doutais bien que ne pas s’impliquer était la meilleure chose à faire, et Lorraine pensait probablement la même chose. Pourtant, nous devions faire un rapport, sinon notre travail ne serait pas terminé…
En soupirant, nous avions poursuivi Jean.
◆◇◆◇◆
« Wolf ! Ça fait trop longtemps ! »
Le temps que Lorraine et moi le rattrapions, Jean avait déjà ouvert la porte du bureau du directeur de la guilde et entrait joyeusement en souriant.
« On dirait que nous sommes arrivés trop tard… », avais-je marmonné.
« Eh bien… ce n’est pas comme s’ils allaient commencer à essayer de s’entretuer, n’est-ce pas ? » fit remarquer Lorraine calmement. « Ça devrait aller. Ce n’est probablement pas très différent de la visite surprise du directeur d’une entreprise à l’un de ses directeurs de succursale. »
C’est une bonne façon de le dire, et si c’est vraiment le cas, il ne devrait pas y avoir de problèmes. Mais cette description ne tient pas compte du fait que Jean semble être un fauteur de troubles né.
Je mentirais si je disais que je n’avais pas espéré que notre arrivée et notre rapport soient plus calmes que cela. Hélas, ce qui a été fait a été fait.
Lorraine et moi étions entrés dans le bureau après Jean, et nous avions été accueillies par Wolf, une main sur le front, une expression douloureuse sur le visage. C’était une expression rare chez lui — il était habituellement toujours imposant et digne — et cela m’avait fait ressentir un sentiment de culpabilité pour ce que nous avions déclenché chez lui.
Wolf jeta un coup d’œil dans notre direction. Je ne dirais pas qu’il y avait un regard réprobateur dans ses yeux, mais je dirais que j’avais détourné le regard et fait semblant de ne pas le remarquer. J’avais même sifflé, mais en silence.
Lorraine aurait même pu murmurer : « Tu ne trompes personne », mais cela ne me concernait pas.
« Grand Maître de Guilde Seebeck…, » dit Wolf. On aurait dit qu’il avait dû forcer les mots à sortir de sa bouche. « Je dois admettre que je ne m’attendais pas à ce que tu arriverais si… rapidement… »
Jean sourit largement. « J’ai vu clair dans ton jeu, mon bonhomme. Tu as envoyé ces deux-là me chercher pour pouvoir dire que tu as techniquement fait l’effort, n’est-ce pas ? Je parie que tu pensais que mon personnel refuserait et que tu pourrais ainsi repousser l’échéance plus longtemps. Mais tant pis, je suis là ! »
« Tu… l’es en effet. J’avais pensé que Rentt et Lorraine n’étant pas des visages familiers de la capitale, il leur aurait été difficile de te rencontrer directement… »
D’après ce que j’avais compris, Wolf nous avait engagés pour faire le travail, mais il espérait que nous lui dirions que nous avions été repoussés. Comme il s’agissait probablement plus d’un message interne que d’un travail de guilde à proprement parler — il s’était contenté de dire « amenez-le » —, le fait de ne pas l’accomplir n’aurait pas entraîné une baisse de nos rangs ou quoi que ce soit d’autre, et Lorraine et moi n’aurions donc pas eu à en subir les conséquences négatives.
Mais il s’est avéré que nous avions été confrontés à plusieurs événements inattendus et que nous nous étions retrouvés au cœur d’une situation assez complexe… ce qui nous avait permis de réussir à escorter Jean jusqu’ici. Je ne pouvais pas reprocher à Wolf de ne pas avoir su prévoir cela.
Je me demandais si Wolf savait que Jean était le chef d’une organisation de l’ombre. Je ne pouvais pas en être sûr, il était donc préférable de supposer qu’il ne le savait pas pour le moment et de choisir mes mots en conséquence.
« Pouvons-nous maintenant considérer que ce travail est terminé ? » demandai-je, interrompant momentanément leur conversation.
« Oui…, » dit Wolf. « Vous pouvez. Je suis franchement impressionné par la façon dont vous avez géré la situation. Comment l’avez-vous rencontré ? »
« C’est une longue histoire… Honnêtement, je pense que nous aurions pu y arriver simplement en demandant. Quand nous avons dit aux employés de la guilde que c’était une demande de votre part, ils nous ont réservé un traitement royal. »
« Qu’est-ce que… ? » Wolf avait l’air perplexe.
« Je me doutais que tu allais bientôt envoyer quelqu’un pour pouvoir prétendre que tu avais “essayé” de m’inviter à Maalt, » expliqua Jean. « J’ai donc donné l’ordre de me transmettre tout message de ta part, sans exception. »
Wolf poussa un profond soupir, reconnaissant qu’on avait lu en lui comme dans un livre. « Tu n’as pas changé d’un iota, » dit-il. « Eh bien, qu’il en soit ainsi. Tu es ici maintenant. Bienvenue à Maalt. »
***
Partie 3
« Un toast ! À vous, aventuriers, à nous — la guilde qui vous soutient — et au plus grand chef de guilde que nous puissions tous demander : Wolf Hermann ! Buvez, tout le monde ! À la vôtre ! »
Un chœur de « Santé » retentit dans la taverne. Cela résonna dans toute la taverne, parmi les aventuriers rassemblés. Dire que tous les aventuriers de Maalt étaient présents serait un peu exagéré, mais ce n’était pas loin d’être le cas. Presque tous les aventuriers qui n’étaient pas en mission étaient présents pour une seule et unique raison : saluer l’arrivée de Jean Seebeck, le grand maître de la guilde de Yaaran.
« Quand j’ai dit qu’il devrait lui-même organiser une fête de bienvenue s’il en voulait une, je ne m’attendais pas à ce qu’il le fasse vraiment… » marmonna Wolf. Il était à la même table que Lorraine et moi, et son expression était résignée alors qu’il regardait Jean porter un toast à la taverne. « Cet excentrique ne changera jamais. »
« Pourquoi nous as-tu demandé d’aller le chercher à la capitale ? » Je grommelai, laissant transparaître un peu de rancœur dans mon ton. « Oh, c’est vrai. Pour que tu puisses dire que tu as fait l’effort, n’est-ce pas ? »
« Désolé, » déclara Wolf en inclinant la tête pour s’excuser. « Je ne peux pas nier que j’attendais que vous me contactiez pour me dire qu’il avait refusé. En partie parce que c’est une nuisance, bien sûr, mais je m’attendais surtout à ce qu’il refuse parce qu’il est vraiment occupé la plupart du temps. Neuf fois sur dix, il refuserait également une invitation sincère. Si j’avais su qu’il voulait vraiment venir, j’aurais suivi la procédure. »
Bien que Wolf ait parlé comme s’il pensait que Jean était une gêne, cela ne sonnait pas tout à fait juste. J’avais l’impression qu’il ne voyait pas seulement Jean comme un supérieur, mais aussi comme quelqu’un envers qui il était redevable. J’étais sûr qu’une partie de lui était probablement heureuse de revoir Jean après si longtemps.
« C’est vrai, il doit avoir beaucoup de responsabilités différentes à assumer…, » songea Lorraine. « Lorsque nous avons quitté la capitale royale, il a dû se débarrasser des employés de la guilde et partir en secret. Je me demande s’ils seront corrects là-bas… »
D’après l’expression de son visage, il semblait que Wolf avait réalisé quelque chose. « Est-ce que vous deux… êtes au courant de son “travail” ? » dit-il à voix basse.
J’avais supposé qu’il parlait de l’organisation fantôme de Jean. Lorraine et moi avions acquiescé.
« Certains de ses associés nous ont été envoyés », ai-je dit. « C’était une expérience unique. J’ai dû passer à la rivière un certain nombre de fois par la suite à cause de cela. »
« Nous avons tout de même fait des rencontres passionnantes », souligna Lorraine.
L’expression de Wolf se teinta de compréhension. « Ah… c’est donc comme ça que vous l’avez rencontré. Je suis impressionné que vous en soyez sortis vivants. »
« Ce n’était pas aussi grave que ça aurait pu l’être », avais-je admis. « Non pas que je lèverais la main si on me demandait de recommencer. Ils avaient l’air d’avoir des problèmes internes, donc ils ne nous ont pas attaqués avec tout ce qu’ils avaient. »
L’organisation de Jean était plongée dans une lutte de pouvoir interne lorsqu’elle s’en était prise à nous, ce qui s’était traduit par des renseignements erronés et un travail bâclé. S’ils avaient tenté de nous tuer de façon coordonnée, je ne pense pas que nous serions rentrés vivants à Maalt. Bref, nous avions eu de la chance.
« Ça a l’air d’être un vrai gâchis… » Wolf s’arrêta un instant pour réfléchir à la question. « Je suppose que Jean me racontera toute l’histoire plus tard. Vous savez, je n’arrive toujours pas à croire qu’il ait laissé tomber les employés de la capitale pour venir ici. Je peux pratiquement entendre les plaintes que je vais recevoir la prochaine fois que je visiterai le quartier général. J’ai déjà mal au ventre… »
« Tu peux toujours lui rejeter toute la responsabilité », suggéra Lorraine. « En fait, pourquoi ne pas prendre l’initiative ? Tu pourrais l’appréhender et le renvoyer à la capitale, ou même simplement faire un rapport sur ses allées et venues et t’attribuer le mérite de l’avoir localisé. »
« Cela me mettrait à l’abri…, » marmonna Wolf en hochant la tête. « Tout le monde dans la guilde sait à quel point il est impossible de le contrôler, surtout les employés de la capitale. Ils seraient sans doute assez reconnaissants de savoir où il se trouve. Hmm… Je crois que c’est ce que je vais faire. » Il leva les yeux vers Lorraine et moi. « Dans un autre ordre d’idées, il y a des nouvelles que vous voudrez peut-être entendre. Quelque chose d’intéressant s’est produit peu après votre départ de Maalt. »
« Oh ? Qu’est-ce que c’était ? » ai-je demandé.
« Vous êtes bien sûr au courant du nouveau donjon qui s’est formé sous terre ici… »
« Oui. »
« Eh bien, il s’avère qu’un autre a été trouvé, le long de la route d’Ete, près du village de Mors. »
« Vraiment ? » s’exclama Lorraine. « Es-tu sûr qu’ils n’ont pas fait de fausses déclarations ? »
Elle avait l’air surprise, et je pouvais aussi entendre une note d’incrédulité dans sa voix, ce qui était tout à fait raisonnable. Les donjons étaient suffisamment rares pour que leur découverte soit loin d’être un événement quotidien, et il s’avérait souvent que quelqu’un s’était simplement fait une fausse idée d’une grotte ordinaire. Si une grotte était assez grande, les monstres s’en servaient comme d’un nid, et certains types de personnes y cachaient souvent leur butin. Le résultat final était souvent difficile à différencier d’un véritable donjon.
« Apparemment, la personne qui l’a trouvé — un aventurier de classe Bronze qui chassait des gobelins à Mors — a vu le donjon alors qu’il était en train de “s’étendre”, » expliqua Wolf. « Ce phénomène est aussi rare que la formation d’un tout nouveau donjon, mais on le voit parfois dans des donjons plus petits. L’aventurier en question avait déjà vu un autre donjon auparavant, il était donc convaincu de sa découverte. Il a même exploré un peu les étages moins profonds et est revenu avec un objet magique, qui s’est avéré être de la “camelote de donjon”. Je ne peux donc pas affirmer avec certitude qu’il s’agit d’un donjon, mais cela semble assez probable. »
La « camelote de donjon » est le nom d’une catégorie d’objets magiques provenant des donjons et n’ayant pas d’utilité précise. Ils avaient probablement une utilité quelconque, mais l’intelligence et la créativité humaines n’avaient pas réussi à la découvrir, si bien qu’on les traitait comme de simples curiosités. Presque tous les donjons en possédaient, ce qui, d’une certaine manière, prouvait qu’un lieu donné était bien un donjon.
Il était toujours possible que l’aventurier de rang Bronze ait pris de la camelote de donjon ailleurs pour la faire passer pour une nouvelle découverte, mais courir après chaque soupçon ne nous mènerait nulle part. Pour l’instant…
« Tu t’en occupes, n’est-ce pas ? » avais-je demandé.
Wolf acquiesça. « Les personnes absentes aujourd’hui sont en train de confirmer le rapport. Nous devrions avoir de leurs nouvelles assez rapidement. »
« J’ai hâte…, » murmure Lorraine. On aurait dit qu’elle se parlait plus à elle-même qu’à l’un d’entre nous. « Un nouveau donjon à proximité, juste après celui de Maalt ? Peut-être que cette théorie tenait la route… »
« Théorie ? » demanda Wolf.
« Hmm. Pour être précis, il ne s’agit pas tant d’une théorie que de quelque chose que mon vieux mentor avait l’habitude de marmonner parfois. En gros, il pensait que les donjons pouvaient donner naissance à d’autres donjons dans les environs. »
◆◇◆◇◆
« Des donjons qui donnent naissance à d’autres donjons ? » Les sourcils de Wolf se froncèrent en signe de doute. « Cela ressemble à un conte de vieille femme pour moi. »
« Cela semble quelque peu absurde, n’est-ce pas ? » Lorraine était d’accord. « Pourtant, ne se pose-t-on pas la question de temps en temps ? Il y a plus d’un endroit dans le monde où les donjons sont regroupés, même si l’on pourrait penser que la répartition est plus homogène. C’est un peu comme si les animaux formaient un troupeau… pour paraphraser mon vieux mentor. »
« C’est juste… vous savez. Les conditions dans ces endroits facilitent la formation des donjons, n’est-ce pas ? Je ne suis pas un expert, donc j’ai oublié les détails de la théorie, mais c’est quelque chose par rapport au mana ambiant et à la topographie qui se combinent pour créer les circonstances spécifiques dont un donjon a besoin pour se former. Je pense que c’est une explication assez raisonnable pour expliquer pourquoi les donjons sont regroupés. »
Malgré ce qu’il prétendait, Wolf était assez érudit en la matière. Il existait un sous-groupe d’aventuriers assez important qui se vantait que les sujets académiques étaient inutiles pour eux, puisque leur profession était basée sur la force physique pure. Même si Wolf avait l’air d’être le parfait porte-parole de ce genre d’aventuriers, il était en fait un intellectuel à part entière.
« Oui, c’est la théorie la plus répandue de nos jours », acquiesça Lorraine. « Et c’est logique — en fait, j’en étais moi-même partisane. Mais avec ce nouveau donjon à Maalt et la découverte d’un autre à proximité si peu de temps après… eh bien, je ne peux pas me résoudre à croire qu’ils ne sont pas liés. Si ce nouveau donjon s’est formé récemment — surtout si la période est juste après la formation du donjon souterrain de Maalt — alors je me dis que mon ancien mentor avait peut-être raison. »
« Je ne peux pas critiquer cette logique », pensa Wolf. Il n’avait pas l’air totalement convaincu, mais il semblait au moins penser qu’il y avait quelque chose dans cette théorie. « Pourtant, cela semble si… Eh bien, qu’en penses-tu, Rentt ? »
« Moi ? Je me le demande… » J’avais réfléchi un instant. « Je croirais à l’une ou l’autre théorie, pour être honnête. Même dans ce cas précis, il se pourrait que les “conditions” que tu as mentionnées pour la formation des donjons se soient trouvées réunies dans cette région au cours des derniers mois. »
Malgré mes paroles, je penchais plutôt pour l’opinion de Lorraine, mais c’était uniquement parce que Laura m’avait appris que le donjon sous Maalt avait été créé par la magie et ne s’était pas formé naturellement. Si un autre donjon s’était formé près de Maalt peu de temps après, il semblait naturel de supposer une relation de cause à effet.
Mais Wolf n’était pas au courant, et ce serait trop compliqué à expliquer, car je devais rester vague sur les détails. Par ailleurs, je ne pouvais pas non plus nier la possibilité que la théorie de Wolf soit correcte. Il était tout à fait possible qu’un donjon se formant sous Maalt ait créé un environnement facilitant la formation d’autres donjons à proximité.
J’avais l’impression qu’il suffirait de demander à Laura de répondre à la question sur-le-champ, mais elle dormait encore. D’ailleurs, même si elle ne l’était pas, elle ne serait probablement pas aussi libre dans ses réponses. Elle donnait toujours l’impression de préférer rester en retrait, comme si elle voulait que les autres essaient de se débrouiller seuls et qu’elle n’intervenait qu’en dernier recours. Qu’est-ce qu’elle était, ma mère ou quelque chose comme ça ?
Mais j’aurais trop peur de lui dire cela en face…
En tout cas, à ma grande surprise, Wolf et Lorraine avaient acquiescé à mes propos.
***
Partie 4
« C’est une possibilité certaine », déclara Lorraine. « Quelle que soit la réponse, elle reste à voir. Il pourrait même s’agir de quelque chose d’entièrement différent. » Son expression s’assombrit un peu. « D’une manière ou d’une autre… »
« D’une manière ou d’une autre… ? » demanda Wolf, l’air perplexe.
« Il est possible que d’autres donjons soient découverts autour de Maalt dans un avenir proche, et pas seulement au village de Mors. Il semblerait que ta charge de travail ne fasse qu’augmenter à partir de maintenant, Wolf… »
À mes oreilles, les mots de Lorraine sonnaient comme un présage de malheur pour Wolf — et à en juger par la prise de conscience qui se dessinait sur son visage, c’était bien le cas.
« Je n’avais pas envisagé cette possibilité… », avait-il déclaré. « Mais tu as tout à fait raison. Pourquoi tout cela se passe-t-il à Maalt, entre tous les endroits possibles ? C’est censé être une petite ville rurale paisible… »
C’est ce que je me demandais aussi. J’avais vraiment l’impression que des événements bizarres m’arrivaient sans cesse depuis que j’étais devenu un monstre. Était-ce ma faute ? Certainement pas…
En fait, j’étais techniquement la première victime dans tout ça. Cela me mettait probablement dans le même bateau que Wolf quand il s’agissait d’être un aimant à malchance.
Dans mon cas, cependant, beaucoup de bonnes choses étaient venues avec les mauvaises. Même si j’étais devenu un monstre, cela signifiait que chaque entraînement que je faisais se traduisait par une amélioration physique mesurable. En pensant à cela, je m’étais rendu compte que cette situation n’était pas non plus si terrible pour Wolf.
« Ce n’est pas une si mauvaise affaire, n’est-ce pas ? » dis-je. « Cela pourrait finir par augmenter les revenus de la guilde, et un nouveau donjon signifie une chance d’acquérir de nouveaux matériaux et objets magiques. Bien sûr, cela augmentera aussi la charge de travail de la guilde, mais… »
Les donjons étaient comme un riche filon de minerai attendant d’être exploité. Le profit qu’ils promettent est la raison pour laquelle tant de gens le visitent. Et si un riche filon de minerai apparaissait soudain à côté d’une ville, les gens penseraient qu’il s’agit d’un don du ciel.
Wolf, quant à lui, semblait avoir quelque chose qu’il estimait plus important que les désirs matérialistes. « Quel est l’intérêt d’augmenter mon revenu si je perds tout mon temps libre dans le processus ? » s’exclama-t-il. « Mais… une augmentation de la charge de travail signifie que tous les employés de la guilde vont devoir mettre la main à la pâte. Et je dis bien tout le monde. »
Il me regardait fixement pendant qu’il parlait, mais je n’avais aucune idée de ce que — oh. Je… J’avais oublié, mais j’étais fonctionnellement un employé de la guilde en ce moment, n’est-ce pas ? Mais… mais…
« J’ai le droit de refuser, n’est-ce pas… ? » avais-je dit.
« Bien sûr », acquiesça Wolf. « N’hésite pas à le faire. Abandonner le reste d’entre nous au travail sans sommeil ni repos serait si gentil de ta part, Rentt. Cela ne me dérange pas, bien sûr… mais les autres employés risquent d’être tellement occupés qu’ils ne pourront même pas rentrer chez eux. Sheila pourrait même pleurer… »
« Tu joues au plus malin et tu le sais », m’étais-je plaint. Il essayait clairement de me culpabiliser pour que je ne puisse pas refuser.
Cependant, il semblerait que je me sois trompé dans cette hypothèse — du moins en partie. « Je plaisante, » assura Wolf. « J’apprécierais cependant un peu d’aide lorsque les choses deviendront vraiment difficiles. Je demanderai probablement à Jean d’envoyer des gens de la capitale en dernier recours, s’il le faut, mais cela prendra du temps. »
« Eh bien… si c’est tout, fais-moi savoir quand tu auras besoin de moi. »
« Je le ferai. Merci. » Il semblerait que les affaires soient terminées, car Wolf revint à la conversation. « En y pensant, allez-vous travailler à nouveau tous les deux à partir de demain ? »
« J’ai l’intention de prendre mon congé demain », avais-je dit. « Il y a quelques affaires que je dois régler, mais aucune n’est liée à la guilde. »
D’abord, je devais remettre une lettre à Lillian, la directrice du deuxième orphelinat de Maalt. Ensuite, l’arme que j’avais commandée devait être prête. J’irais la chercher… puis j’irais probablement faire un tour dans les donjons ou je trouverais une mission à prendre. Pour l’essentiel, je reprenais le cours normal de mes activités.
En fait, ce n’était pas tout à fait comme d’habitude. Il y avait encore une chose dont je devais m’occuper — enfin, dont je voulais m’occuper. Pas tout de suite, mais bientôt.
« Wolf, » commençai-je. « Quand aura lieu le prochain examen d’ascension de rang Argent ? Je me suis en fait récemment qualifié pour le passer… »
◆◇◆◇◆
Heureusement, Lorraine et moi avions réussi à éviter de nous réveiller avec la gueule de bois le lendemain. Ce n’était pas une surprise pour moi — avec mon corps, je ne pourrais pas avoir la gueule de bois si j’essayais. Après tout, l’alcool est une sorte de poison.
Quant à Lorraine, elle avait toujours su tenir l’alcool, et elle buvait rarement plus que ce qu’elle pouvait supporter. Elle pouvait même utiliser la magie ou la divinité pour se soigner si les choses allaient vraiment mal.
Ce jour-là, nous nous étions promenés ensemble dans les rues de Maalt. Nous avions un certain nombre de courses à faire.
« Hmm… dans un mois, dans la ville minière de Welfia », me dit Lorraine alors que nous nous dirigions vers l’orphelinat. « C’est un peu loin. »
Elle parlait de l’examen d’ascension de rang argent dont Wolf nous avait parlé la nuit précédente.
« Je n’y peux rien », avais-je dit en haussant les épaules. « La capitale est une chose, les gens y passent l’examen du rang Argent tout le temps. Maalt, en revanche… crois-tu vraiment que je serais capable d’attendre une année entière ? »
L’essentiel était simple : bien que l’examen d’ascension du rang Argent ait lieu tous les mois ou presque dans la capitale royale, c’était une autre histoire ici. Bien que Maalt soit une ville de taille convenable, il s’agissait toujours d’une colonie rurale frontalière. Il n’y avait pas beaucoup de gens capables d’atteindre le rang Argent.
En conséquence, Maalt organisait l’examen beaucoup moins souvent que la capitale. Quand j’avais posé la question à Wolf hier soir, il m’avait dit qu’ils venaient de le passer, ce qui signifiait que le prochain aurait lieu dans un an. Puis, après que je lui ai dit que je ne pouvais pas attendre aussi longtemps, il m’avait parlé de la ville minière de Welfia.
Comme son nom l’indique, Welfia était une ville basée sur les plus grandes mines de Yaaran, et constituait la pierre angulaire de l’économie du royaume. Elle était donc bien plus grande que Maalt. De plus, Wolf connaissait apparemment le maître de la guilde de Welfia, et il m’avait recommandé de m’y rendre si je voulais passer l’examen plus tôt, car ils étaient dignes de confiance.
L’examen aurait lieu dans un mois, et il fallait cinq jours pour rejoindre Welfia depuis Maalt en chariot — une semaine, si l’on se donnait un peu de marge. En d’autres termes, j’avais largement le temps de m’y rendre. Il n’y avait pas non plus de problème pour s’inscrire à l’examen — les inscriptions étaient ouvertes à la guilde de Welfia jusqu’au jour même.
D’ailleurs, la raison pour laquelle l’examen d’ascension du rang Bronze était fréquemment organisé, même à Maalt, était qu’il y avait toujours des gens qui passaient du rang Fer au rang Bronze. La chute brutale du nombre de candidats à l’examen au rang Argent montrait à quel point il était difficile d’atteindre ce rang. La plupart des aventuriers terminent leur carrière au rang Bronze, et le fait d’être bloqué à ce niveau n’était pas un problème propre à moi.
Cela dit, dans mon cas, j’avais été particulièrement têtu lorsqu’il s’était agi de laisser tomber le problème. Une décennie de stagnation aurait renvoyé n’importe quel aventurier ordinaire chez lui, dans un autre secteur d’activité, ou l’aurait laissé avec la résolution résignée de vivre d’un travail de rang Bronze pour le reste de sa vie.
Je n’avais pas été capable d’accepter l’une ou l’autre de ces options — ce qui est une façon élégante de dire que j’avais tout simplement été un idiot. Pourtant, cette idiotie m’avait conduit là où j’étais aujourd’hui, et je n’avais donc aucun regret.
« Je suppose qu’une année me paraîtrait trop longue, étant donné qu’il s’agit d’une étape vers la réalisation de ton rêve », déclara Lorraine. Je pouvais entendre le sentimentalisme dans sa voix. Maintenant qu’elle l’avait mentionné…
« Je commence à avoir l’impression que l’attente ne sera pas si terrible que ça », avais-je dit. « Un an n’est pas si long comparé à la façon dont j’ai passé les dix dernières années… »
« Non, c’est une bonne chose que tu sois impatient. Mais n’en fais pas trop, ce n’est qu’une étape. Tu es encore loin du Mithril. »
« Je sais, mais s’il te plaît, ne le dis pas à haute voix. Ma détermination vacillerait… »
« Vacillerait ? Après tout ce temps ? S’il te plaît… Oh, nous sommes là. Je commence à m’habituer à ce heurtoir. » Lorraine souleva délicatement le heurtoir en question et le frappa contre la porte à plusieurs reprises. « Oh… ? »
À notre grande surprise, le heurtoir était resté fermement en place — un changement notable par rapport à la façon dont il se détachait habituellement — et cela avait produit un son aigu et net à chaque coup.
« Qu’est-ce que… » commença Lorraine, mais elle avait été interrompue par la porte qui s’ouvrait sur Lillian.
« Oh, si ce n’est pas Lorraine et Rentt », dit-elle, avant de remarquer la surprise dans nos expressions. « Il y a… quelque chose qui ne va pas ? »
« Non, eh bien… le heurtoir semble différent aujourd’hui », déclara Lorraine.
Les yeux de Lillian s’illuminèrent en signe de reconnaissance. « Nous commencions à en avoir assez, alors nous avons fini par le réparer », expliqua-t-elle. « Enfin, je dis “nous”, mais c’est Isaac qui l’a fait en déposant Alize un jour. Il a été très rapide. »
De toute évidence, Lillian avait fait connaissance avec Isaac. D’après la description, une sœur de l’Église du Ciel oriental qui fait la connaissance d’un vampire semblait être une recette pour les ennuis, mais d’après l’histoire qu’elle venait de nous raconter, leur relation était probablement plus proche d’une paire de voisins amicaux.
Pour être honnête, j’étais passé à l’orphelinat quand j’étais une goule, puis un thrall, et de nombreuses fois depuis, donc je n’étais pas en position de parler. Il ne me restait plus qu’à prier pour que Lillian ne soit pas corrompue par le mal pendant que je ne la regardais pas.
Bien sûr, l’Église du ciel oriental était relativement indulgente. Elle n’était pas comme ces religions dont les doctrines se résument à « Tu tueras tous les monstres », alors un peu de fraternisation ne posait probablement pas de problème.
Je doute que les choses se soient passées aussi facilement si elle avait fait partie de l’Église de Lobelia. Je voulais éviter ces gens autant que possible — l’une des raisons étant que Nive avait des liens avec eux.
Isaac avait tout de même réparé le heurtoir de l’orphelinat… ?
« Il peut vraiment faire n’importe quoi, n’est-ce pas ? » murmura Lorraine.
On aurait dit qu’elle se parlait à elle-même, mais j’étais tout à fait d’accord. On pouvait dire que c’était une évidence, compte tenu de la personnalité d’Isaac et de sa longévité, mais cela n’enlève rien aux efforts qu’il déploie pour s’améliorer jour après jour. Il fallait vraiment respecter ses compétences.
Après tout, c’était un heurtoir maudit. Quelle que soit la quantité d’adhésif que Lorraine et moi avions utilisée, il s’était toujours décollé. Peut-être que le problème venait de notre insistance à utiliser de l’adhésif ?
Honnêtement, si nous avions traité les réparations avec autant de négligence, c’est probablement parce qu’il aurait été un peu triste de voir enfin le heurtoir stabilisé. J’aurais pu le réparer quand je le voulais. Mais il était temps de dire adieu au heurtoir d’antan… ou pas.
Quoi qu’il en soit, un sentiment de tristesse s’était emparé de nos cœurs.
***
Partie 5
« Je vois… Alors Elza se débrouille bien… »
En ce moment, nous étions assis sur le canapé du salon, en train de discuter avec Lillian. Trois tasses étaient posées devant nous sur la table, remplies de thé noir, qu’un des enfants de l’orphelinat avait apporté plus tôt. Ce n’était pas Alize, et lorsque nous avions demandé après elle, Lillian nous avait dit qu’elle était avec Isaac. On aurait dit qu’ils suivaient assidûment l’entraînement que nous avions demandé à Isaac de leur donner.
Cela dit, apparemment Rina n’était pas en ville pour une mission en ce moment, alors Isaac entraînait Alize tout seul. À eux deux, ils étaient probablement plus forts que moi à ce stade.
Ha ha ha. Je plaisante… J’espère.
J’étais vraiment jaloux des gens qui avaient du talent.
Je plaisante encore.
« Oui. Mel et Pochi se portent aussi bien », dit Lorraine. « Ils nous ont demandé de leur transmettre leurs salutations. Ils se sentaient seuls quand vous ne répondiez pas à leurs lettres. »
C’est Lorraine qui avait reçu la demande de Lillian — je ne faisais que l’accompagner — et c’est donc elle qui lui faisait le rapport. Cela dit, j’étais venu à l’orphelinat parce que j’avais pensé que Lillian voudrait savoir comment Elza, Mel, Pochi et les enfants se portaient.
« Êtes-vous allée à l’orphelinat ? » dit Lillian. « Je vois… Je suis vraiment heureuse d’apprendre que tout le monde va bien. Je suppose que je n’ai jamais répondu, n’est-ce pas ? J’ai toujours eu peur qu’ils aient des ennuis… »
« Des problèmes ? »
« J’ai été affectée à Maalt en raison de circonstances internes compliquées au sein du clergé…, » explique Lillian. « En fait, j’ai été rétrogradée. J’ai pensé que le fait d’avoir des liens étroits avec quelqu’un comme moi les affecterait négativement. Après tout, elles dirigent un orphelinat. Et si on leur coupait les vivres ? »
Ah, bien sûr. L’orphelinat que dirigeait Mel était une institution de l’Église du Ciel Oriental, ce qui signifie que c’était la source de leur financement. Je ne connaissais pas les détails de l’histoire de Lillian, mais si elle avait eu une mauvaise réputation auprès de l’Église, les hautes sphères pouvaient très bien se couper de ses sympathisants.
Même si ce n’était pas aussi probable que Lillian le pensait, son inquiétude ne faisait que démontrer à quel point Lillian tenait à l’orphelinat où elle avait grandi.
« Je ne pense pas que ce soit encore une préoccupation, » dit Lorraine. « L’abbesse Elza a même dit qu’il y avait une chance que vous soyez rappelée à la capitale. Ah, c’est vrai. J’ai une lettre d’elle. »
« Oh ? Est-ce que c’est… ? »
« Oui, elle nous a demandé de vous l’apporter. Voilà pour vous. »
« Merci. » Lillian accepta la lettre. « Cela vous dérange si je la lis ici ? »
« Pas du tout. »
Lillian brisa le sceau, la divinité qui s’en dégageait prouvant qu’il avait parfaitement rempli l’objectif d’Elza : empêcher quiconque d’ouvrir la lettre, à l’exception de Lillian.
Les yeux de Lillian parcoururent la lettre. Il ne lui fallut pas longtemps pour la terminer, et lorsqu’elle le fit, son expression se détendit, comme si un fardeau avait été enlevé de ses épaules.
« Si c’est possible, puis-je demander ce qui est écrit ? » demanda Lorraine.
« Bien sûr, » dit Lillian. « Même si ce n’est pas grand-chose. Elle dit juste que tout le monde va bien et que les choses se sont calmées au sein de l’Église, qu’elle peut donc me rappeler si c’est ce que je veux. Et que même si je ne veux pas revenir, je peux toujours lui rendre visite. »
Il semblerait que Lillian n’ait plus à s’inquiéter des hauts responsables de l’Église du ciel oriental.
« Avez-vous l’intention de revenir ? » demanda Lorraine.
Lillian secoua la tête. « Non. Peut-être l’aurais-je fait, il y a longtemps, mais maintenant… c’est ici où je dois être. Mais j’ai l’intention de venir en visite. Et il faudra que j’envoie aussi une lettre à Mel. »
Lillian n’avait pas l’intention de quitter l’orphelinat pour retourner à la capitale. Elza et Mel en seraient tristes, mais c’était le choix que Lillian avait fait, et elles l’accepteraient probablement. Elles étaient encore assez proches pour se rendre visite, après tout. Et quand elles le feraient…
« Si vous avez besoin d’une escorte, ne cherchez pas plus loin que nous », dit Lorraine. « Naturellement, si vous estimez que nos capacités sont insuffisantes, n’hésitez pas à engager d’autres aventuriers. »
J’étais presque sûr qu’elle plaisantait avec cette deuxième partie.
Lillian s’esclaffa. « Bien sûr. Je compterai sur vous lorsque le moment sera venu. Quant à vos capacités… Je n’en ai peut-être pas l’air, mais je suis moi-même assez habile au combat. Si nous sommes attaqués par des monstres que vous trouvez difficiles à gérer, n’ayez crainte, je nous protégerai. »
Ses paroles m’avaient surpris. J’avais senti qu’elle ne plaisantait pas complètement non plus. Un peu de sa divinité s’était répandu — suffisamment pour que je puisse dire à quel point elle était raffinée et puissante. La divinité que Lorraine et moi possédions était à peine digne d’être mentionnée en comparaison. Il n’est pas étonnant qu’Elza ait eu de si grandes attentes pour son avenir.
Bien sûr, le degré de divinité d’une personne n’était pas le seul facteur déterminant sa capacité à se battre, mais tout mort-vivant serait une proie facile pour elle, et les soins et la purification qu’elle pourrait apporter feraient d’elle un atout inestimable, quoi qu’il en soit.
« Oh, c’est vrai, » dit Lillian, l’air troublé. « Elle a aussi écrit sur la promenade que vous avez faite ensemble dans la ville. On dirait qu’elle vous a causé des ennuis… En tant qu’amie d’enfance, je m’excuse en son nom. »
Elza avait dû inclure dans la lettre son excursion furtive hors de l’abbaye.
« Pas du tout », assura Lorraine. « Honnêtement, nous nous sommes aussi bien amusés, c’était très bénéfique. Oh, tenez, nous avons acheté ça pour vous. »
Lorraine lui avait remis les cadeaux que nous avions achetés dans la capitale : des confiseries longue conservation et du thé noir. Le premier était destiné aux enfants de l’orphelinat, bien sûr, tandis que le second provenait d’une marque dont Elza nous avait dit qu’elle plaisait à Lillian.
« Oh, vous êtes sûre ? » dit Lillian en hésitant. « C’est moi qui vous ai fait cette demande… »
« Vous et cet orphelinat avez fait beaucoup pour nous », déclara Lorraine. « Ne voyez pas cela comme un cadeau pour un client, mais comme une marque d’appréciation pour un voisin merveilleusement serviable. »
Lorraine était sincère — à présent, nous avions tous deux des liens profonds avec cet orphelinat. Notre relation se poursuivrait à l’avenir également, donc rester en bons termes serait bénéfique pour tout le monde.
Finalement, Lillian accepta les cadeaux avec joie.
Nous apprendrons plus tard que les confiseries avaient disparu dès qu’elle les avait remises. Rien d’étonnant à cela : en matière d’appétit, les seules créatures qui rivalisent avec les monstres légendaires sont les enfants.
◆◇◆◇◆
« Hé, Clope ! Es-tu là ? »
Après avoir quitté l’orphelinat, je m’étais dirigé vers le Harpon à trois branches — les forgerons. Comme Luka n’était pas là pour le moment, j’avais crié vers l’arrière pour voir si Clope était dans les parages.
D’ailleurs, Lorraine était rentrée chez elle en disant qu’elle voulait trier au plus vite les livres qu’elle avait achetés dans la capitale. Je n’avais aucune idée du moment où elle avait trouvé le temps de faire ses achats. Elle n’avait pas de chose à faire chez les forgerons comme moi, donc il n’y avait pas de problème particulier à ce que nous nous séparions pour l’instant.
Elle m’avait dit de lui montrer l’arme que j’irais chercher plus tard, mais j’avais déjà testé les prototypes à plusieurs reprises et elle les avait vus à l’époque, si bien qu’aucun de nous deux n’était particulièrement soucieux de tenir sa promesse.
« Hmm ? Oh, si ce n’est pas Rentt ! » Clope sortit la tête de l’arrière-boutique. « Je vois que tu es de retour de la capitale. »
Le fait qu’il m’ait entendu signifiait probablement qu’il n’était pas en train de forger. C’était le genre d’homme qui ne ferait même pas une pause dans son travail si on lui criait dessus… bien qu’il serait probablement plus juste de dire qu’il serait trop concentré pour vous entendre.
« Oui, je suis rentré l’autre jour », avais-je dit. « Oh, tiens. J’ai pris un cadeau pour toi. »
Clope accepta la grande pochette de cuir que je lui tendais et y jeta un coup d’œil dubitatif pendant un moment avant de se fendre d’un sourire. « Oh ! Ce sont de très bons matériaux. On ne les trouve nulle part par ici. »
Lorraine et moi ne savions pas trop quoi offrir à Clope, mais quand nous avions demandé à Augurey...
« C’est un forgeron, il sera heureux de recevoir des matières premières, non ? Des outils pourraient être utiles aussi, mais je parie qu’il préfèrerait choisir les siens. D’ailleurs, il y a quelques missions ici qui pourraient faire l’affaire… »
Il nous avait ensuite présenté plusieurs papiers de mission d’élimination visant des monstres relativement rares qui n’apparaissaient nulle part ailleurs que dans les environs de la capitale. Finalement, nous les avions tous acceptés…
C’était une bonne chose dans la mesure où il nous restait beaucoup de matériel après avoir effectué les demandes — mais avec le recul, j’avais l’impression d’avoir passé tout mon temps dans la capitale à servir de cheval de bataille à Augurey.
Compte tenu des ennuis que je lui avais causés, je ne pense pas avoir le droit de me plaindre.
« Lorraine et moi les avons récupérés avec Augurey », avais-je expliqué. « Ils ont tous été traités correctement. Il ne devrait pas y avoir de problème de qualité. »
« Oh ? Vous avez rencontré Augurey ? Voilà un nom que je n’avais pas entendu depuis longtemps. Si vous le revoyez, dites-lui de passer de temps en temps. »
Augurey était un client de Clope, après que je l’ai présenté au forgeron.
« Ce sera le cas. Je ne sais pas quand ce sera le cas, mais je le garderai à l’esprit. »
« Merci. Maintenant, pour quelle raison es-tu venu me voir aujourd’hui — eh bien, je suppose que je ne devrais même pas prendre la peine de demander, hein ? Tu dois être là pour ça. »
Clope sortit un paquet de tissu de l’arrière-boutique, le portant avec précaution. Je n’eus pas besoin de l’ouvrir pour savoir de quoi il s’agissait : c’était l’épée que je lui avais commandée, forgée à partir de fer de mana, du cristal magique d’une tarasque, d’un bois imprégné de ma divinité et de mon propre sang.
C’était un peu étrange quand j’ai énuméré tous ces ingrédients comme ça. Mais Clope n’aurait pas fait un travail bâclé.
J’avais déjà testé les prototypes à plusieurs reprises, mais les matériaux tels que le fer de mana et les cristaux magiques de tarasque ne poussaient pas sur les arbres. Les essais avaient donc été réalisés avec du fer ordinaire, du bois infusé par la divinité et mon sang, afin d’avoir une idée du produit final.
Naturellement, pour autant que Clope le sache, il utilisait du sang de vampire que j’avais obtenu d’une manière ou d’une autre, et non le mien.
***
Partie 6
Au final, le bois infusé avait rendu les prototypes plus difficiles à briser en les chargeant de Divinité — et il les avait également renforcés. Pendant ce temps, mon sang avait donné aux lames de test la capacité de drainer légèrement l’endurance et le mana de tout ce qu’elles coupaient, ce qui était tout à fait approprié pour un vampire. L’effet était plutôt agréable — Clope avait été surpris, car apparemment de tels pouvoirs étaient extrêmement rares. Néanmoins, c’était vraiment minime, donc il ne me donnerait pas un réservoir d’énergie infini dans lequel puiser. Peut-être que le sang de Laura pouvait créer une arme aussi folle… mais je parie qu’elle ne me la donnerait pas. D’ailleurs, je doute que je sois capable de manier le résultat.
Quant au fer de mana et au cristal magique de tarasque, il restait à voir quel effet ils avaient, mais j’étais impatient de les tester.
« Comment s’est passée la forge ? » avais-je demandé.
Clope se gonfla le torse. « Cela te satisfera à coup sûr, je te le garantis. » Il s’arrêta un instant. « Pour être honnête, j’aurais aimé utiliser des matériaux encore meilleurs, mais ce n’est jamais le cas en forge. C’est le mieux que j’ai pu faire avec ce que j’avais. »
« J’ai hâte de l’essayer. Cela te dérange si je le fais tout de suite ? »
« Vas-y. Il faut voir quelle quantité de Divinité il peut supporter, et ce qui se passe quand on y ajoute de l’esprit et du mana. C’est la partie la plus importante, si ça ne marche pas, je l’aurai fabriqué pour rien. »
Les forgerons connaissaient relativement bien le fonctionnement du mana, de l’esprit ou de la divinité, ainsi que la fusion du mana et de l’esprit. Cependant, lorsqu’il s’agissait de la fusion divinité-mana-esprit, la majorité des forgerons n’avaient aucune expérience des outils destinés à ces personnes. Rares étaient ceux qui possédaient les trois en même temps.
Clope et moi ne pouvions donc que procéder par essais et erreurs. Cela semblait avoir porté ses fruits : l’expérience qu’il avait acquise en testant les prototypes à plusieurs reprises s’était révélée au fur et à mesure qu’il se familiarisait avec les armes. Tout au long du processus, j’avais pu sentir que les énergies circulaient à travers les lames de manière plus fluide à chaque fois.
« J’espère que je ne le casserai pas », avais-je plaisanté.
« Tu ferais mieux de ne pas le faire ! » cria Clope. Il avait l’air sincère. « Si tu sens que tu es sur le point de le faire, arrête tout de suite de canaliser de l’énergie, compris ? »
Étant donné que j’avais cassé plusieurs prototypes, sa prudence était justifiée. Je n’avais pas l’intention de les briser, bien sûr, mais la fusion divinité-mana-esprit n’est pas une mince affaire. Je n’arrivais toujours pas à la contrôler. Au moment où je pensais l’avoir réussie, elle s’effondrait, et au moment où je pensais l’avoir arrêtée, elle continuait à se faire. Ces occasions étaient fréquentes, et chaque utilisation était incroyablement épuisante.
Il était indéniable que c’était l’atout de ma manche — un coup suffisamment puissant pour briser presque toute défense — mais c’était une bénédiction mitigée, car si je ne réussissais pas à le faire, cela signifiait que la situation se retournerait contre moi.
Je voulais m’exercer davantage à cette technique, mais aucune arme ne durait jamais assez longtemps… C’est pourquoi j’étais impatient de voir ce dont cette épée était capable.
« Tout ce que je peux faire, c’est faire de mon mieux », avais-je dit. « Si ça ne marche pas… »
« Si ça ne marche pas… ? » répéta Clope.
« Alors… Je m’excuse d’avance », avais-je plaisanté.
« Hé ! »
En gloussant, je me dirigeai vers la cour, où je pourrais mettre ma nouvelle arme à l’épreuve.
◆◇◆◇◆
En arrivant dans la cour, j’avais déballé le paquet de tissu que j’avais pris à Clope. Le plus amusant quand on a un équipement spécialement conçu pour soi, c’est le moment où l’on pose les yeux dessus pour la première fois. Avec tous les prototypes que j’avais testés, j’avais déjà une petite idée de ce que serait le produit final, mais cela n’entamait en rien mon enthousiasme. J’avais retiré le dernier pli de tissu pour dévoiler l’épée dans toute sa splendeur, et…
« Oh ! Je dois dire que je ne m’attendais pas à ça… »
« Bien sûr que non », dit Clope, l’air suffisant. « Bien que, pour être honnête, je ne m’attendais pas non plus à ce que ça se passe comme ça. Je pense que c’est à cause du bois imprégné de ta divinité. J’ai déjà vu des armes fabriquées à partir d’arbres sacrés, et certaines d’entre elles se ressemblaient. »
Il faisait référence au motif unique de la lame. En la tenant par la poignée, j’avais vu que cela s’étendait sur toute la longueur de l’épée, une empreinte granuleuse qui rappelait les anneaux de vieillesse d’un arbre. À proprement parler, cependant, le motif lui-même n’était pas incroyablement unique.
Clope suivait manifestement une ligne de pensée similaire à la mienne. « On peut obtenir ce genre d’effet sans utiliser d’arbres sacrés », avait-il déclaré. « La différence réside dans la solidité du matériau. J’ai fabriqué un petit couteau pour tester le matériau, et il était cinq fois plus résistant qu’un couteau ordinaire — sans pour autant sacrifier la souplesse. »
J’avais donné un léger coup sur la lame en guise de test et, à ma grande surprise, elle s’était pliée comme une branche. C’était comme si je ne maniais pas du tout une lame de métal solide, mais une de ces épées-fouets segmentées, même si elle était plus rigide. Néanmoins, elle ne donnait pas du tout l’impression qu’elle allait se briser.
« Intéressant…, » avais-je remarqué. « Il faudra sans doute un peu de temps pour s’y habituer. »
« Il n’y a rien que tu puisses faire à ce sujet, si ce n’est fournir des efforts », déclara Clope. « Mais si la flexibilité n’est vraiment pas ta tasse de thé, je peux la reforger. »
« Non… Je vais d’abord faire quelques essais. Je pourrais accepter ton offre si je n’ai pas l’impression d’avancer, mais j’ai déjà l’impression que ça va marcher. »
« Bon à savoir. »
« Pourtant… les couleurs sont un peu… eh bien… »
« D’aspect diabolique ? »
« Oui… »
Le motif de la lame était bien beau, mais il n’y avait pas moyen de décrire la couleur autrement que par le mot « maléfique ». Était-ce parce qu’elle était faite de mon sang ? L’épée était teintée de rouge à plusieurs endroits et avait un air si sinistre qu’on l’entendait presque crier « Plus de sang ! Plus de sang ! »
« Eh bien, c’est très bien, n’est-ce pas ? » dit Clope. « Ça te va bien. »
« Est-ce… une bonne chose… ? » avais-je demandé.
Avec mon masque de crâne et cette arme, j’avais plus l’air d’un bandit ou d’un assassin que d’un aventurier. Je ne pouvais pas vraiment nier que cela me correspondait, mais c’était une tout autre question que de savoir si c’était une apparence digne d’un aventurier…
Alors que je réfléchissais à cette question, Clope déclara : « Je pense que l’apparence n’a pas d’importance. Ce qui est important, c’est la sensation qu’il procure. Laisse-moi voir comment elle coupe. »
Clope avait sorti plusieurs bûches et mannequins faits de matériaux divers allant du bois au métal en passant par la paille. Il les disposa ensuite dans la cour. Je m’étais dit que les différents matériaux devaient m’aider à mieux sentir l’arme, car il était rare de voir une épée aussi souple que celle-ci.
« D’accord, c’est parti…, » avais-je dit.
J’avais commencé à découper les mannequins un par un. Au début, je n’avais pas canalisé de mana, je m’étais fié à ma force et à ma technique pour me familiariser avec la lame.
Clope avait eu raison d’avoir confiance en elle, je pouvais déjà dire que c’était une épée de qualité et qu’elle coupait extrêmement bien. J’avais réussi à couper en deux les mannequins portant une armure métallique, et ce qu’elle avait fait à la paille et au bois ne valait même pas la peine d’être mentionné.
J’avais vérifié que la lame n’était pas entaillée, mais je n’avais trouvé aucune marque. En examinant l’armure métallique, je vis que les parties que j’avais traversées étaient légèrement déchiquetées, ce qui correspondait à la résistance que j’avais ressentie. La force que me conférait mon corps monstrueux m’avait sans doute permis de passer en force.
Pourtant, c’était très bien ainsi. Je n’avais jamais manié une épée capable de couper aussi bien.
« Comment cela se passe-t-il ? » demanda Clope.
J’avais acquiescé. « Je l’aime bien. La flexibilité ne me gêne pas autant que je le pensais. En fait, je pense qu’elle améliore la capacité de coupe. »
« C’est une bonne nouvelle. Pourtant, de penser que l’épée est aussi efficace sans y canaliser une quelconque énergie… Peut-être que vous êtes compatibles tous les deux ? »
Clope était lui-même un bon épéiste, mais apparemment ses tentatives avec la lame n’avaient pas été aussi fructueuses que les miennes. L’épée était en partie faite de mon sang, alors en ce sens, c’était peut-être mon arme personnelle. C’était peut-être pour cette raison qu’elle coupait parfaitement, même sans que j’aie besoin d’y injecter du mana.
Il existe des exemples d’armes personnalisées de ce type dans le monde. Les plus simples et les plus directes étaient les épées ou les lances sacrées qui choisissaient leur porteur, lui conférant un immense pouvoir lorsqu’il utilisait l’arme en question. Peut-être que cette épée fonctionnait de la même manière.
« Tu… ne penses pas que c’est une épée démoniaque, n’est-ce pas ? » demandai-je.
« Qui sait… ? » Clope haussa les épaules. « Bien que je pense qu’en tant que forgeron, être capable de forger de telles armes serait une incroyable bénédiction. »
Les épées sacrées et démoniaques étaient plutôt trouvées dans les donjons que forgées, et lorsqu’elles l’étaient, c’était uniquement par des forgerons dont le nom était réputé dans tout le pays. Clope était certainement doué, mais la question de savoir s’il était capable d’un tel exploit restait ouverte.
« Ne vois-tu pas la différence ? » avais-je demandé.
« Avec certains d’entre eux, c’est possible. Mais pour beaucoup d’entre eux, c’est impossible. C’est la raison pour laquelle on peut les rencontrer de temps en temps dans des échoppes de rue. Tu as déjà entendu des histoires de ce genre, n’est-ce pas ? »
En fait, c’est ce que j’ai fait. La variante que j’avais entendue mettait en scène un aventurier chanceux qui avait ramassé ce qui s’était avéré être une épée démoniaque pour un prix dérisoire chez un vendeur ambulant. Cette épée lui avait permis de vaincre des monstres de plus en plus puissants, et il avait fini par atteindre la classe Or — ou Platine, selon l’auteur de l’histoire.
J’avais entendu l’histoire d’un homme qui avait vécu une expérience similaire, sauf qu’il s’agissait d’un masque étrangement maudit — ce qui n’était pas du tout une chance. Enfin… Je suppose que ce n’était pas trop malchanceux, puisqu’il était encore en vie…
« Je suppose que si je veux en avoir le cœur net, je dois aller voir le Dieu de l’évaluation », avais-je songé à haute voix.
« C’est ce qu’il faut faire, » acquiesça Clope. « Mais il y a d’autres moyens. »
« Comme ? »
« Pour commencer, un grand forgeron serait capable de le dire… Quoi qu’il en soit, laisse-moi réfléchir à cette partie. Tu devrais continuer à l’essayer. »
***
Partie 7
Ensuite, j’avais décidé d’essayer de canaliser l’esprit dans l’épée. Des trois énergies dont je disposais, l’esprit était celle sur laquelle j’avais toujours compté le plus, même lorsque j’étais humain. À l’époque, c’est grâce à l’esprit que j’étais devenu assez fort pour pouvoir enfin tuer des squelettes et des slimes.
Avec le recul, j’avais fait du chemin. Aujourd’hui, je pouvais découper des monstres de ce genre avec ma seule force physique. Je n’y parvenais toujours pas contre les espèces supérieures et les variantes uniques, mais au moins, ces dernières ne signifiaient pas une mort instantanée lorsque je les rencontrais. C’était déjà une grande différence en soi.
Le vampire que j’avais croisé dans la capitale ne comptait pas…
« Hé, pourquoi t’éloignes-tu ? » demanda Clope.
« Oh, je suis désolé. J’étais juste en train de réflechir. »
« Je pense qu’il n’y a pas d’urgence. J’ai fini d’installer d’autres mannequins, alors essaie. »
Je m’étais recentré et j’avais commencé à canaliser l’esprit dans mon épée. Dès que je l’avais fait…
« Cela n’a pas l’air différent… », avais-je marmonné.
Il existait un bon nombre d’armes dans le monde qui changeait d’apparence si l’on y canalisait de l’esprit ou du mana. L’idée me plaisait, et j’aurais aimé que mon épée fasse de même, mais il semblait que mes espoirs — qui n’étaient pourtant pas très grands — aient été déçus.
Cependant, ce genre d’armes avait tendance à révéler leurs capacités, ce qui les rendait difficiles à utiliser. Le fait que mon épée soit restée inchangée était sans doute préférable pour les combats à venir.
Pour l’instant, j’avais tenté un simple swing d’entraînement.
« Hein. Je vois. C’est donc comme ça que ça change… »
« Y a-t-il quelque chose de différent ? » demanda Clope.
« Oui, » avais-je dit. « J’ai l’impression que la flexibilité s’est… un peu accentuée. »
« Vraiment ? Moi-même, je ne vois pas la différence. »
« Je n’ai canalisé qu’une petite quantité d’esprit, donc tu ne le remarqueras que si tu manies l’épée. Si j’en canalise davantage… »
Mes soupçons s’étaient avérés exacts : plus je canalisais d’esprit dans l’arme, moins elle devenait flexible. En bref, l’esprit est synonyme de dureté.
Je ne savais pas si c’était une bonne ou une mauvaise chose. Cela améliorerait peut-être la capacité de coupe de l’épée, mais je craignais que cela ne la rende plus susceptible de se briser ou de s’ébrécher. Si je devais la briser, Clope pleurerait. Je me demandais si je devais ou non continuer à la tester.
« S’il se casse à force d’être utilisé, cela signifie simplement que j’ai fabriqué un produit défectueux », déclara Clope d’un ton franc. « Allez-y, vois ce qu’il en est. »
C’était logique. Clope n’avait pas forgé l’épée pour en faire une décoration, alors si cela suffisait à la briser, il n’aurait aucune raison de m’en vouloir.
J’avais acquiescé et j’avais commencé à frapper. Comme je m’y attendais, je n’eus aucun mal à trancher le bois et la paille. Même avec la rigidité de l’épée, je doutais que cela soit suffisant pour laisser des éclats ou des rayures. Après avoir vérifié le résultat des coupes, je vis qu’elles étaient beaucoup plus lisses qu’avant — même si je m’en doutais déjà.
« Maintenant… et le métal ? » J’avais grogné en tranchant le mannequin revêtu d’une armure.
Le poids de l’épée n’avait pas changé, elle était donc toujours facile à manier. Cependant, le recul était différent maintenant qu’elle était moins flexible, et je devais donc faire beaucoup d’efforts pour m’y habituer.
J’avais un peu d’appréhension à l’idée de tester mon épée sur le mannequin revêtu d’une armure, mais l’arme n’avait rencontré aucune résistance lorsqu’elle avait tranché. C’est ainsi que…
« Tout a l’air d’aller bien », confirma Clope, après avoir couru vérifier la lame de mon épée. « Pas d’égratignures. »
J’avais poussé un soupir de soulagement. Tout comme pour les mannequins de bois et de paille, le coup porté à l’armure métallique du mannequin était plus doux que lorsque je n’avais pas utilisé d’esprit, et l’épée ne présentait aucun signe de dommage, ce qui était excellent. Si elle pouvait couper aussi bien, elle serait utile pour percer jusqu’au cœur des monstres amorphes comme les slimes.
La chasse aux slimes restait une bonne source de revenus d’appoint pour moi…
« Je suppose que le mana est le suivant. »
Tandis que Clope mettait rapidement en place la prochaine série de mannequins, j’avais commencé à canaliser le mana à travers l’épée, et j’avais alors commencé à ressentir quelque chose d’étrange.
« Est-ce que c’est… ? »
C’était comme si je pouvais sentir quelque chose dans le sol, comme si la terre elle-même était une extension de mes membres. En guise de test, j’avais essayé de déplacer la sensation fantôme et…
Whump.
Sur mon ordre, une partie du sol de la cour s’était élevée telle une petite colline.
J’avais testé le phénomène à plusieurs reprises et à chaque fois j’avais observé le même effet — manifestement, canaliser le mana à travers mon épée me donnait la capacité de manipuler le sol — ou, pour être plus précis, la terre et le sable. Cela semblait assez utile pour labourer les champs…
Je ne manquais pas d’engrais, alors si je me retirais de la vie d’aventurier pour devenir fermier, je serais probablement salué comme un dieu de l’agriculture. Alors que je suivais ce stupide train de pensées, Clope s’était approché, ses préparatifs terminés.
« C’est probablement l’effet du fer de mana que nous avons utilisé, puisqu’il était imprégné du mana d’un dragon de terre », dit-il en me regardant jouer avec le sol. « Des choses similaires se produisent parfois lorsque l’on fabrique une bonne arme à partir de matériaux provenant de monstres ayant un lien étroit avec la roche ou la terre. La capacité elle-même n’est pas si rare. La question est de savoir à quel point elle est puissante. »
Je connaissais aussi ce genre d’armes, des armes élémentaires qui pouvaient cracher du feu ou de la glace et s’en envelopper. C’était comme si un mage lançait un sort, sauf qu’il suffisait de canaliser le mana à travers l’arme.
Comme Clope l’avait dit, ce n’était pas si rare. On pouvait acheter de telles armes sur le marché — à condition d’être prêt à se séparer de la moitié de la rançon d’un roi, bien sûr. Et même dans ce cas, il était difficile de dire si beaucoup d’armes en valaient la peine. C’est pourquoi je n’avais pas beaucoup d’expérience dans leur utilisation.
« Comme est-ce au niveau de la puissance, hein ? » dis-je. « Je suppose que je devrais y canaliser plus de mana pour le découvrir. »
Je n’avais utilisé qu’une petite quantité de mana pour commencer, à titre de test. Si j’augmentais cette quantité, je pourrais peut-être améliorer l’effet.
Lorsque j’avais mis cette tentative en pratique, j’avais eu raison : la quantité de terre et de sable que je pouvais manipuler augmentait avec la quantité de mana, et j’avais même réussi à former des projectiles de pierre à partir de rien. Je disposais d’une grande liberté d’action, ce qui m’offrait un large éventail d’options en combat.
Cependant, le taux de consommation de mana était un peu inquiétant. Je devrais passer encore plus de temps à m’entraîner avec l’épée pour m’habituer à toutes les différentes façons de l’utiliser.
Je commençais à craindre de ne jamais pouvoir la manier correctement.
◆◇◆◇◆
L’étape suivante était la divinité. Je m’étais débarrassé de mes appréhensions et j’avais canalisé l’énergie divine dans l’épée. Elle semblait maintenant recouverte de flammes bleues floues. Cependant…
« As-tu déjà essayé d’utiliser la Divinité ? » demanda Clope.
Même s’il m’observait, je n’avais pas l’impression qu’il pouvait voir ce que je voyais. Il ne m’avait pas fallu longtemps pour comprendre pourquoi : c’était parce que les flammes étaient produites par la divinité. En repensant — à contrecœur — à l’époque où la chasseuse de vampires fou Nive Maris m’avait arrosé de force de flammes divines, les gens sans divinité n’avaient pas pu les voir. Bref, les flammes qui recouvraient mon épée en ce moment même étaient probablement de la même variété.
Bien sûr, lorsque j’avais appris les principes fondamentaux de l’utilisation de la divinité, on m’avait enseigné comment la rendre visible pour ceux qui ne pouvaient pas la voir. J’avais mis cette technique en pratique pour le montrer à Clope.
« Oh. La lame est… en flamme ? » remarqua-t-il.
« On dirait bien », avais-je dit. « Je… ne pense pas qu’elle soit vraiment chaude. »
Je ne sentais pas la chaleur de la lame, même si je la maniais. La toucher ne me semblait pas non plus différent.
« Veux-tu essayer de le toucher ? » demandai-je à Clope.
Il sembla d’abord hésiter, car même si elles étaient insubstantielles, il était clair qu’il s’agissait de flammes. Mais sa curiosité finit par l’emporter et il tendit lentement la main vers l’épée.
« Tu as raison… », murmure-t-il. « Ce n’est pas chaud. Des flammes de cette couleur devraient être brûlantes… »
C’était exactement le genre de chose que dirait un forgeron. Il devait être assez étrange pour une personne habituée à travailler avec le feu de toucher ce qui ressemblait à une flamme vive et de ne rien ressentir.
J’aurais aimé qu’il soit là pour voir Nive m’enflammer. Il aurait trouvé cela amusant — ou terrifiant — à coup sûr. Bien sûr, je ne voulais plus jamais vivre une telle expérience si je pouvais l’éviter, mais je pouvais peut-être faire une exception si c’était pour effrayer un peu Clope.
« Pourtant, je n’ai pas l’impression que quelque chose de particulier ait changé, » murmurai-je en évaluant l’épée. « La flexibilité est la même, et je n’ai pas l’impression de pouvoir manipuler quoi que ce soit… Je suppose que je vais commencer par tester sa capacité de coupe. »
Je m’étais mis en position de combat, puis j’avais commencé à découper les mannequins avec mon épée enveloppée de flammes, en faisant les mêmes mouvements que lors de mes précédents essais.
« Elle coupe mieux, mais ce n’est qu’une amélioration par rapport à ce que j’aurais obtenu en canalisant la divinité à travers une épée normale… » notai-je. « Quel est l’intérêt de ces flammes… ? »
Je repassai la question dans mes pensées. L’épée coupait assez bien les mannequins, je n’avais pas à m’en plaindre. Le tranchant et la durabilité d’une épée ordinaire augmentaient si l’on y canalisait du mana, de l’esprit ou de la divinité, et cette épée suivait le même principe, mais en mieux. De plus, l’utilisation du mana et de l’esprit créait des effets uniques faciles à comprendre.
La divinité, cependant…
Je n’arrivais pas à comprendre ce qu’elle était censée faire. Elle était différente d’une manière ou d’une autre — c’était évident vu la façon dont elle réagissait à la divinité par rapport à une épée normale — mais je n’arrivais pas à la situer. S’il s’avérait que les flammes vacillantes n’étaient là que pour la décoration, je soupçonnais que je commencerais à ressentir une envie de casser l’arme en deux. Clope se mettrait en colère. En fait, il pleurerait probablement si je mentionnais l’idée, alors je m’étais dit qu’il valait mieux ne pas en parler. J’avais expliqué ce que je pensais de l’épée, en omettant cette partie, et Clope avait répondu par une question.
« Tu ne vois aucune possibilité ? »
Il essayait probablement de susciter une sorte d’inspiration qui m’amènerait à relier les points. Après réflexion, une idée m’était venue.
« C’est peut-être un peu exagéré, mais j’ai déjà vu une sainte femme utiliser un pouvoir similaire…, » dis-je. « Peut-être que ces flammes peuvent brûler les vampires ? Non pas que nous ayons les moyens de le tester ici… »
Je parlais bien sûr de Nive et de ses flammes sacrées. Celles qui enveloppaient mon épée étaient bien plus petites, mais elles ressemblaient aux siennes. Il était donc raisonnable de penser qu’elles auraient le même effet.
***
Partie 8
Cela dit, je n’avais aucun moyen de le tester ici. Cela n’avait pas fonctionné sur moi, après tout, la divinité ne fonctionnait en général pas sur moi.
Si Isaac ou quelqu’un de la famille Latuule avait été là, j’aurais peut-être pu leur demander — mais si le résultat était celui que j’attendais, cela risquait d’éteindre leur existence, et je préférerais mourir plutôt que de faire quoi que ce soit qui puisse donner à la famille Latuule une raison de me garder rancune.
Pourtant, s’il était dans les parages, Isaac aurait probablement pu s’en rendre compte rien qu’en regardant. Il faudra que je lui montre quand j’en aurai l’occasion.
« Oui, on ne peut pas vraiment sortir un après-midi et revenir avec un vampire sur lequel tester ses épées », acquiesça Clope. « Mais si tu penses que ça marche sur eux, alors ça marcherait aussi sur des monstres morts-vivants ? Tu pourrais l’essayer sur les squelettes du Donjon de la Lune d’Eau. »
« Bonne idée », avais-je dit en hochant la tête.
Lorsque Nive avait utilisé ses flammes sacrées sur moi, elle s’était montrée très enthousiaste quant à la façon dont elles me brûleraient si j’étais un vampire. À l’origine, cependant, la capacité de purification de la divinité la rendait efficace contre tous les morts-vivants en général. Il n’était donc pas exagéré d’imaginer que les flammes qui enveloppaient cette épée le seraient également.
Dans ce cas, il devrait avoir un effet évident sur les squelettes. Heureusement, le Donjon de la Lune d’Eau était mon terrain de jeu depuis des années, et je le connaissais sur le bout des doigts. Il y avait bien un être étrange qui y résidait, mais je me disais que tout irait bien tant que je ne m’y aventurais pas trop.
En fait, bien que j’y sois allé plusieurs fois depuis notre dernière rencontre pour essayer de la revoir, je n’avais jamais pu atteindre cette étrange pièce. Le mystérieux résident en question avait parlé comme s’il existait une voie d’accès, et c’était probablement le cas… mais pour l’instant, il était inutile d’essayer.
Quoi qu’il en soit, j’avais décidé qu’il me faudrait bientôt partir à la chasse aux squelettes.
◆◇◆◇◆
En fin de compte, je savais à peu près comment utiliser l’épée. Il ne me restait plus qu’à essayer la fusion mana-esprit et la fusion divinité-mana-esprit. Ces deux techniques sollicitent beaucoup l’arme, mais en échange, elles donnaient accès à une puissance destructrice importante qui peut servir d’atout.
C’est grâce à ces combinaisons que j’étais parvenu jusqu’ici, en remportant des victoires contre des adversaires qui avaient eu le dessus sur moi. Et avec la constitution unique de mon corps qui me permettait de « mourir » plusieurs fois dans un combat et de m’en sortir, j’étais désormais quelqu’un qui pouvait tenir plus de quelques secondes face à un adversaire beaucoup plus fort, à défaut de pouvoir se battre vraiment.
Il était également très rassurant de savoir que j’avais la possibilité de faire semblant d’être mort lorsque la situation devenait vraiment désespérée. Si le pire des scénarios se produisait, je pouvais simplement faire le mort pendant un moment avant de m’enfuir.
Les gens disent souvent qu’en tant qu’homme, il y a des moments où il faut se tenir debout et se battre quoi qu’il arrive… mais ma devise personnelle est qu’en dehors de ces moments-là, il faut s’enfuir dès qu’on sait qu’on n’a aucune chance.
Après tout, tant que l’on a une vie, on a de l’espoir.
« Très bien, veux-tu essayer la suite ? » demanda Clope, un peu après avoir fini d’installer d’autres mannequins.
J’acquiesçai et commençai à canaliser le mana et l’esprit dans mon épée. C’était une chose que j’avais déjà faite un nombre incalculable de fois, mais elle s’avéra toujours aussi difficile : il y avait une sensation de pression, comme si j’essayais de faire entrer plus d’eau dans une poche de cuir déjà sur le point de se rompre. C’était sans doute pour cela qu’une épée traversée par une fusion mana-esprit faisait éclater tout ce qu’elle touchait.
Ce n’était cependant pas le seul tour que j’avais dans ma manche ces derniers temps. Au lieu de simplement forcer les choses à se rompre, j’étais également capable de canaliser un mince flux de mana et d’esprit des deux côtés de la lame de mon épée, ce qui lui donnait un meilleur tranchant que si j’avais utilisé uniquement le mana ou l’esprit. Quoi qu’il en soit, je ne pouvais pas maintenir l’une ou l’autre de ces méthodes de fusion mana-esprit pendant longtemps.
Je supposais que je devais simplement continuer à m’entraîner dur et à consacrer plus de temps à mon amélioration.
Lorsque j’avais fini de canaliser le mana et l’esprit dans l’épée, une inspection rapide m’avait permis de constater que la rigidité de l’épée avait augmenté et que j’avais à nouveau l’impression de pouvoir manipuler la terre et le sable. Canaliser l’esprit seul avait rendu l’épée plus rigide, et canaliser le mana seul m’avait permis de manipuler la terre, donc d’une certaine manière, c’était le résultat évident de canaliser les deux. Cependant, j’avais l’impression que la puissance globale des deux effets était plus grande que lorsque j’avais utilisé l’esprit ou le mana seuls.
Lorsque j’avais testé la lame, la coupe qu’elle avait faite à travers le mannequin était extrêmement douce, et j’avais pu manipuler une quantité importante de terre avec un contrôle plus fin. De plus, lorsque j’avais changé la façon dont je canalisais ma fusion mana-esprit et que j’avais essayé de trancher un autre mannequin, la technique avait conservé ses propriétés explosives.
En bref, il s’agissait d’une extension des mêmes capacités que le mana et l’esprit produisaient individuellement, mais plus fortes et plus cohérentes.
J’avais immédiatement pensé à l’idée de choisir par défaut la fusion mana-esprit comme option de combat principale à partir de maintenant, mais comme c’était toujours le cas dans la vie, c’était plus facile à dire qu’à faire. Alors que je maintenais la fusion mana-esprit, mon épuisement augmentait de façon exponentielle. Plus précisément, alors que dix secondes d’utilisation équivalaient à un sprint à pleine vitesse, trente secondes me rendaient incapable de rester debout.
« C’est… bien… trop peu pratique… à utiliser… », avais-je gémi.
Je ne m’étais pas senti aussi épuisé en utilisant la fusion mana-esprit avec des lames ordinaires. Cela devait être dû au fait que l’épée conservait une rigidité accrue et des effets de manipulation de la terre en plus d’un meilleur tranchant. Ajouté à cela, tout cela représentait un énorme fardeau.
Si je continuais à essayer de l’utiliser au bout de trente secondes, oubliez l’épée qui se casse — j’allais probablement me casser bien avant qu’elle ne le fasse. Et j’étais un mort-vivant. Si une personne normale l’utilisait, est-ce qu’elle la viderait de sa vie ? Cette épée était suffisamment dangereuse pour que cette éventualité soit envisageable.
« Ça va ? » demanda Clope avec inquiétude, en me regardant m’allonger sur le sol alors que j’essayais de récupérer mon endurance.
« Oui, je suis juste fatigué », avais-je répondu. « Je ne suis pas blessé. »
« C’est une bonne nouvelle. Il y a beaucoup d’épées magiques qui prennent quelque chose au porteur pour se renforcer. Je craignais que celle-ci ne soit l’une d’entre elles. »
Il n’avait pas tort, il y avait une bonne quantité d’épées de ce type dans le monde. Cette pensée me rendit soudain curieux de connaître le point de vue d’un forgeron sur le sujet. « Juste pour référence, Clope…, » demandai-je. « Quand tu penses à “épées magiques dangereuses”, quels types te viennent à l’esprit ? »
Clope réfléchit quelques instants. « Eh bien, les exemples les plus faciles à comprendre sont ceux qui réduisent l’espérance de vie de leur porteur », dit-il. « Plus vous les utilisez, plus votre vie est réduite, mais en échange, l’épée devient plus forte au fur et à mesure que vous vous rapprochez de la mort — et cela se traduit par des choses comme le fait que le porteur devienne fou furieux et incapable de différencier un ami d’un ennemi. Il y a quelque temps, j’ai vu une épée rare avec des aiguilles qui sortaient de la poignée lorsque quelqu’un la prenait en main. Ces aiguilles s’enfonçaient dans la main du porteur et drainaient son sang pour augmenter la puissance de l’épée. C’était une chose pourrie qui ne vaut pas le temps de vie d’une personne décente, bien sûr, mais on ne pouvait pas nier à quel point elle était redoutable. Les armes de ce genre passent toujours d’un maître à l’autre, gagnant en infamie au passage. Je parie que tu as au moins entendu parler des exemples que je viens de citer, n’est-ce pas ? »
J’avais d’ailleurs entendu parler des deux. Les épées magiques qui pouvaient vous apporter la gloire au prix d’un destin funeste étaient un sujet de conversation courant parmi les aventuriers qui buvaient un verre ensemble. Parfois, les noms de leurs détenteurs étaient mentionnés, mais les armes changeaient souvent de mains rapidement. Ceux qui les utilisaient pendant de longues périodes étaient qualifiés de héros.
En fin de compte, cependant, même ces héros avaient généralement connu un destin prématuré.
Les aventuriers apprenaient ces choses par les histoires racontées par les bardes et les ménestrels, et ils étaient toujours prompts à dire des choses comme « Ils ont récolté ce qu’ils ont semé » ou « J’aurais pu mieux l’utiliser ». Pourtant, malgré toutes ces histoires, il n’y avait jamais eu de pénurie d’aventuriers à la recherche de ces épées magiques.
La raison en était simple. Non, je ne pouvais pas parler comme si j’étais un spectateur. À l’époque où j’étais un aventurier de rang Bronze sans avenir, j’avais été dans le même cas : tentant désespérément de réaliser mon rêve, incapable de l’abandonner même si tout ce qui se trouvait sur ce chemin n’était que désespoir.
Quelle que soit l’époque, il était toujours facile de trouver ce genre d’aventuriers. Certains d’entre eux avaient même réussi à trouver ce qu’ils cherchaient. C’est pourquoi leurs histoires étaient restées dans les poèmes et les chansons — même si ces chansons parlaient d’aventuriers qui marchaient sur le chemin d’une mort certaine.
À la fin de ces histoires, ils avaient laissé leurs épées derrière eux, à la place d’une pierre tombale, pour que quelqu’un d’autre vienne les reprendre, avec un destin ruineux et tout, afin que recommence le cycle.
Mon épée était-elle l’une d’entre elles ? Si je n’avais pas été mort-vivant…
Je ne pouvais pas le savoir avec certitude. Tout ce que je pouvais dire, c’est que, pour mon moi actuel, il s’annonçait comme un partenaire fiable. J’allais la maîtriser, quoi qu’il arrive. Et si je me retrouvais un jour dans le chant d’un barde à cause d’elle…
Je ne pouvais qu’espérer qu’elle serait intéressante.
***
Partie 9
La dernière technique qu’il me restait à tester était la fusion divinité-mana-esprit. Au cas où, je m’étais excusé à l’avance.
« C’est celui qui m’inquiète… Désolé si je finis par casser l’épée, Clope. »
Clope était fier de l’arme qu’il avait fabriquée. Si je finissais par la briser en morceaux, je me sentirais mal. Cependant, sa réponse était inattendue.
« Je sais que j’ai essayé de t’en dissuader…, » dit-il en secouant la tête. « Mais la vérité, c’est que si c’est tout ce qu’il faut pour la briser, cela signifie que je t’ai donné une arme qui n’était pas à la hauteur des normes de ton ordre. Cela signifierait que j’ai échoué dans mon travail de forgeron. Ne t’inquiète donc pas, car ce serait ma faute. Je dois juste croire que l’épée s’en sortira. »
Il n’avait pas tort : j’avais commandé une épée capable de résister à la fusion divinité-mana-esprit. Mais il n’en reste pas moins que les forgerons n’ont pas tous les jours des clients qui font de telles commandes. Je doutais que Clope ait beaucoup d’expérience en la matière, voire aucune, il était déjà assez rare de rencontrer quelqu’un capable de manier les trois énergies. Même s’il « échouait », pour reprendre ses propres termes, je ne lui en voudrais pas du tout.
Cela dit, il est indéniable que je voulais une arme qui me permette d’utiliser toute ma force. Le fait de pouvoir manier les trois types d’énergie ne me rendait ni fort ni faible en soi, mais la polyvalence était quelque chose que je pouvais utiliser à mon avantage. En ce qui me concerne, je ne pouvais que m’estimer heureux.
Il y avait des adversaires contre lesquels le mana ne fonctionnait pas, et d’autres contre lesquels l’esprit était inefficace. La divinité était très puissante contre certains ennemis, tandis que d’autres nécessitaient des méthodes d’attaque spéciales, comme la fusion mana-esprit ou la fusion divinité-mana-esprit, pour venir à bout de leurs puissantes capacités défensives. Si je parvenais au moins à me battre contre tous ces adversaires, ce serait un avantage considérable pour l’aventurier que je suis.
Bien sûr, quel que soit le type de pouvoir dont on parle, ils sont tous inutiles si leur détenteur ne peut pas les gérer correctement. J’avais confiance en ma capacité d’adaptation… mais je ne devais pas me laisser aller à l’excès de confiance. Je savais que je devais me perfectionner en faisant des efforts constants.
Telles étaient les pensées qui me traversaient l’esprit alors que je canalisais la divinité, le mana et l’esprit dans mon épée. C’était difficile — si la fusion mana-esprit avait été comme essayer de faire entrer de l’eau dans une poche de cuir bombée, c’était comme essayer de comprimer de force un minerai extrêmement solide : j’avais beau faire, il semblait y avoir une limite physique à ce que je pouvais y faire entrer.
La quantité d’énergie que je parvenais à canaliser n’avait rien d’impressionnant — c’était probablement un dixième de ce que j’avais utilisé pour la fusion mana-esprit, si ce n’est même moins. Comme la quantité que j’utilisais en réalité était plusieurs fois supérieure, cela signifiait qu’une grande partie de cette énergie était gaspillée.
Malgré tout, la puissance pure à laquelle je pourrais accéder en déversant toutes mes énergies dans la même épée serait l’arme la plus puissante de mon arsenal. Je ne pouvais pas renoncer à l’essayer.
« Je crois… que j’ai compris… »
D’une manière ou d’une autre, j’y étais parvenu : un mélange de divinité, de mana et d’esprit s’était répandu dans mon épée. Sans attendre, j’avais commencé à me frayer un chemin à travers les mannequins que Clope avait préparés, aussi rapidement que possible. Le simple fait de maintenir le flux d’énergie m’épuisait visiblement.
En terminant, j’avais vu que les mannequins de bois et de paille avaient été compressés à une taille plus petite — assez petite pour tenir dans la paume de ma main — et qu’ils étaient tombés au sol. De plus, ils étaient enveloppés de terre et de lierre, comme s’ils étaient comprimés. C’est quelque chose que je n’avais jamais vu auparavant.
Quant au mannequin en armure métallique, je pouvais encore distinguer son contour d’origine, y compris l’endroit où j’avais fait les entailles avec l’épée, mais il avait été sévèrement écrasé en une forme sphérique. Il était donc difficile de savoir dans quelle direction j’avais fait l’entaille. Comme les mannequins de bois et de paille, il était enveloppé de terre et de lierre. On aurait dit une forme améliorée de la capacité inhérente à la fusion divinité-mana-esprit : la compression.
« C’est vraiment quelque chose d’autre. Et le lierre… où sont les racines ? » Clope examina le lierre avec une lueur de curiosité dans les yeux. Il suivit les lianes, cherchant, et… « D’après ce que je peux voir, il s’est bien accroché à l’intérieur. Je… pense qu’il essaie de se nourrir de tout ce qui a été compressé. C’est une idée terrifiante. De plus, le lierre lui-même n’est pas affecté par la compression… ou peut-être qu’il l’est et qu’il s’en moque. Quoi qu’il en soit, il a l’air bien vivant. »
« Ces mannequins sont des armures de bois, de paille et de métal », avais-je fait remarquer. « Comment va-t-il pouvoir se nourrir de tout cela ? Il va probablement se dessécher d’ici peu. »
« Eh bien… tu as peut-être raison. Mais je suis curieux de voir ce qui se passe quand on essaie ça sur quelque chose de vivant. Celui qui le recevrait serait froissé et transformé en nourriture pour les plantes. Quelle façon de partir... »
« Je suppose que tu as raison… »
Était-ce parce que j’étais un monstre issu de la lignée des vampires ? Même mon épée avait acquis la capacité de drainer la vie des êtres vivants pour prolonger la sienne.
Il était difficile de dire à quel point cette capacité serait utile, et elle semblait difficile à utiliser. De plus, faire germer un nouvel arbre ou quelque chose comme ça à chaque coup était une capacité assez douteuse. Lorsque j’avais canalisé la divinité dans mon épée, elle avait fait quelque chose de similaire, alors ce n’était pas une révélation choquante ou quoi que ce soit d’autre, mais quand même.
Je m’étais demandé si je pouvais le contrôler dans une certaine mesure. J’aurais probablement posé la même question, quel que soit l’effet obtenu, mais en fin de compte, c’est la pratique qui l’emportait.
C’était peut-être dans cette direction que j’allais orienter mon entraînement à partir de maintenant. Auparavant, ma politique consistait à ignorer les effets secondaires et à donner la priorité à la puissance destructrice brute, parce que le manque de cette puissance était le plus gros problème auquel j’avais été confronté.
Cependant, maintenant que je pouvais réellement espérer gagner en force, les choses étaient différentes. Je devais commencer à réfléchir davantage à ce genre de choses. Par exemple, laisser une blessure froissée et couverte de lianes restrictives revenait à dire au monde entier qui l’avait faite. Il est facile d’imaginer les problèmes qu’une telle reconnaissance instantanée peut engendrer.
Bien sûr, si je n’améliorais pas l’épée, ou si je continuais à compter sur la canalisation de l’esprit ou du mana pour m’en sortir, et que je n’utilisais mes techniques de fusion qu’en cas d’absolue nécessité, je n’aurais pas à m’inquiéter de tout cela. C’est ce qui m’avait permis d’arriver jusqu’ici, après tout.
Mais la seule chose que ce succès avait vraiment prouvée, c’est que j’avais eu la chance de n’affronter que des adversaires que je pouvais vaincre avec ce que j’avais. Je pouvais facilement voir mes futurs ennemis devenir suffisamment forts pour que ces techniques ne soient plus suffisantes. Qu’allais-je faire lorsque je me retrouverais face à l’un d’entre eux et que je n’aurais d’autre choix que de me battre ?
C’est ce que signifie l’ascension vers le rang Mithril… même si j’en étais encore loin.
Il était clair que les adversaires que j’affronterais à l’avenir seraient plus redoutables que ceux du passé — d’autant plus que j’allais entreprendre l’Examen d’Ascension du Rang Argent. J’avais déjà combattu des ennemis de ce niveau ou plus forts avec Lorraine et Augurey à mes côtés, mais si vous me demandiez de recommencer ces combats seul… eh bien, je n’aurais certainement pas le luxe de me retenir.
Si cela devait arriver, alors — tant que j’utiliserais l’épée que Clope avait fabriquée pour moi — ce serait comme si je laissais ma signature derrière moi sur chaque adversaire que je vaincrais.
Et c’était loin d’être idéal.
La plupart du temps, ce ne serait pas un problème, car je ne faisais pas vraiment d’affaires louches, mais il y avait une chance que je sois engagé pour des tâches qui devaient rester confidentiels. Si je voulais que tout se passe bien, je devais pouvoir contrôler les effets de mon épée.
Heureusement, je savais déjà avec certitude que je pouvais gérer les effets du mana, de l’esprit et de la divinité en les canalisant seuls. Puisque c’était le cas, la même chose devrait être possible pour la fusion mana-esprit et la fusion divinité-mana-esprit.
Si cela s’avérait impossible, je devrais abandonner et trouver une autre méthode…
Mais pour l’instant, tout ce que je peux faire, c’est essayer.
◆◇◆◇◆
« Au fait, comment l’épée tient-elle le coup ? » demanda Clope avec curiosité, après que j’eus bien étudié les effets de l’arme.
De son point de vue, la question la plus importante était sans doute de savoir si l’épée pouvait ou non résister à mon pouvoir. Personnellement, je voulais surtout savoir ce qu’elle pouvait faire. Clope s’était abstenu de s’enquérir de l’état de l’épée — refoulant ainsi son instinct de forgeron — parce qu’il avait donné la priorité à moi, le porteur, et à ce que je voulais. Maintenant que j’avais plus ou moins fait le tour des effets de l’épée, ce n’était plus nécessaire.
J’avais vérifié l’état de l’épée sous le regard attentif de Clope. « Elle va bien, pour autant que je le sache », dis-je. Je ne m’étais fié qu’à son apparence, mais je pouvais au moins dire qu’elle était loin des dégâts importants que ma fusion divinité-mana-esprit avait causés aux épées que j’avais précédemment empruntées à Clope ou achetées à d’autres forgerons. Je les avais rendues inutilisables.
Cela dit, je n’étais pas forgeron de métier, il pouvait y avoir des dégâts que mes yeux de profane ne pouvaient pas voir. Il était tout à fait possible que la fusion divinité-mana-esprit ait provoqué des fractures internes dans la lame ou une forte baisse de sa durabilité.
Je connaissais assez bien les épées pour pouvoir juger de la qualité des produits fabriqués en série, mais il allait sans dire que cette arme était différente. Clope s’était donné corps et âme pour la forger, et le résultat final était probablement proche d’une véritable épée magique. Je n’étais tout simplement pas équipé pour évaluer correctement une telle arme.
Je l’avais donc remis à Clope pour qu’il l’examine de plus près. Il l’avait prise et avait procédé à une série d’examens minutieux : il avait scruté la poignée, regardé la lame, l’avait balancée et l’avait tapotée pour vérifier qu’elle ne présentait pas de défauts. Cela prit du temps, mais lorsqu’il eut terminé…
« On dirait que tu avais raison », m’avait-il dit. « C’est bon. »
« Puis-je en déduire que tu as réussi ? » demandai-je. « Que tu as forgé une épée capable de résister à la fusion divinité-mana-esprit. »
Si c’était vraiment le cas, je serais aux anges. Jusqu’à présent, j’avais considéré cette technique comme mon dernier atout à usage unique. Si je pouvais l’utiliser deux fois, trois fois, ou même plus, mes options de combat s’élargiraient considérablement, c’est-à-dire qu’il me serait plus facile de trouver le chemin de la victoire. En d’autres termes, il y avait moins de chances que je subisse une défaite écrasante. Comme j’étais déjà difficile à tuer, j’étais extrêmement reconnaissant de toute option qui me permettait d’avoir de meilleures chances de tirer pleinement parti de ma ténacité dans un combat.
« Oui, » confirma Clope. « Cela dit, je ne sais pas combien de fois elle pourra résister à tout ça. Tu es le seul à pouvoir utiliser une technique aussi folle que la fusion divinité-mana-esprit. S’il y avait d’autres personnes dans le coin, je pourrais faire plus de tests… mais je suppose que c’est un vœu pieux. Je ne connais personne qui puisse utiliser la divinité, le mana et l’esprit. Je suis désolé. »
Les excuses de Clope semblaient sincères, et c’était un témoignage de l’honnêteté du forgeron qu’il était. Cependant, peu importe la façon dont on voit les choses, c’est moi qui en suis responsable.
« C’est très bien, vraiment », avais-je dit. « Tu es le seul forgeron assez patient pour s’occuper d’un aventurier comme moi. Tu n’as pas à t’excuser. » Je disais franchement ce que je ressentais. Sans Clope, j’aurais eu du mal à me procurer des armes convenables.
« Penses-tu que c’est le cas ? Je peux trouver un certain nombre de personnes dont la curiosité serait piquée par un cas particulier comme toi. Il y a probablement quelque chose dans ton genre qui attire mon genre, alors tu ferais mieux de ne pas non plus t’en inquiéter. Mais si tu as vraiment l’impression de devoir te rattraper, apporte-moi des choses plus intéressantes sur lesquelles travailler. Je prendrai tout ce que tu m’enverras. »
C’était des mots fiables. Avec mon corps de monstre, il n’y avait qu’un nombre limité de personnes à qui je pouvais commander des travaux de forge sans réserve. Même si, en tant que pseudovampire, je n’avais pas l’air différent d’une personne, je vivais avec l’appréhension constante de pouvoir être démasqué à tout moment. Il y avait très peu de personnes en qui je pouvais avoir confiance pour ne pas me dénoncer si cela arrivait — ou pour qui je me laisserais prendre s’ils me dénonçaient — et Clope était l’une d’entre elles. Si j’en avais la possibilité, je voulais faire quelque chose pour lui en retour. C’est cette pensée qui avait motivé mes prochains mots.
« Je suis heureux que tu le prennes ainsi, mais je ne t’ai toujours pas remboursé », avais-je dit. « Si je peux faire quoi que ce soit pour toi, dis-le-moi. Je rassemblerai autant de matériaux rares que tu le souhaites, entre autres choses. »
Je le pensais aussi, du fond du cœur. Clope, cependant, secoua la tête et dit : « Oublie ce genre de choses. Laisse-moi forger ton équipement, et je serai heureux. Mais… Je ne peux pas dire que je n’aurai jamais de travail pour toi, alors j’accepte volontiers ton offre. Tu ferais mieux de ne pas dire que tu l’as oubliée quand je viendrai la demander, d’accord ? »
J’avais souri à la plaisanterie. « Si tu es dans le pétrin, je prendrai du temps pour toi, même si je suis très occupé. Aucun travail n’est trop petit, alors tu ferais mieux de ne pas non plus te retenir. »
« Ai-je l’air de quelqu’un d’aussi avare et réservé ? Le moment venu, je te demanderai quelque chose de grand, alors tu ferais mieux de te préparer ! »
◆◇◆◇◆
Après avoir bavardé un moment, Rentt rentra chez lui, l’épée à la main et l’air satisfait, et Luka, la femme de Clope, retourna au Harpon à trois branches après sa visite à la guilde des forgerons.
« Je suis de retour, chéri. »
« Bon retour parmi nous. Tu es plus en retard que d’habitude — je m’inquiétais », salua Clope, avant de remarquer que le sourire habituel de sa femme avait disparu au profit d’une expression troublée. « Qu’est-ce qui te donne cet air ? S’est-il passé quelque chose ? »
« Eh bien… regarde, chéri… » Luka tendit une lettre.
Clope le prit, brisa le sceau et lut attentivement le contenu. Lorsqu’il eut terminé, il hocha la tête. « Ce sera un peu difficile de lui poser la question après ce que je viens de dire… mais c’est peut-être arrivé au bon moment », songea-t-il. « On dirait que je vais accepter l’offre de Rentt plus tôt que prévu. »