Chapitre 3 : L’organisation
Partie 14
« Donc la raison pour laquelle la Tour et l’Académie sont à Maalt en ce moment…, » dit Lorraine.
Jean acquiesça. « Oui, c’est vrai. La Tour est à la recherche du noyau du donjon. L’Académie aussi, mais elle est soutenue par le premier prince. C’est une course pour savoir qui le trouvera en premier. »
« Le prince sait donc qu’il faut aussi réparer le sceptre ? » demandai-je.
« C’est vrai », répondit Jean. « Gisel a volontairement divulgué l’information. Quoi qu’il en soit, la priorité de la Tour est de trouver une méthode pour découvrir qui est le propriétaire du noyau. C’est un problème de main-d’œuvre, donc ils veulent qu’autant de personnes que possible aident à fouiller le donjon. Si l’Académie le trouve en premier, la Tour prévoit de le lui voler. »
C’était logique, certes, mais ce serait aussi sanglant. Même s’il s’agissait d’un nouveau donjon qui n’était pas très grand, il faudrait un temps considérable pour en fouiller tous les recoins. Il était compréhensible qu’ils veuillent le plus de monde possible, car le délai d’un an ne leur laissait pas beaucoup d’espace pour travailler, mais la volonté de se battre pour l’obtenir une fois qu’ils l’auraient trouvé était un peu exagérée…
Pourtant, de notre point de vue, nous savions où se trouvait le cœur du donjon, et nous savions donc que ce conflit ne se produirait jamais. Ils ne trouveraient jamais Laura dans le donjon, et même dans le cas très hypothétique où ils se rendraient compte qu’elle en était la propriétaire, comment pourraient-ils le lui prendre ? Je n’avais pas eu l’occasion de voir Laura se battre de près, mais ce que j’avais vu avait suffi à me faire comprendre à quel point elle était monstrueusement puissante.
De plus, elle se trouvait dans le manoir de Latuule, entourée de son personnel. Un seul serviteur était au minimum un vampire moyen, et ce n’était que l’échelon le plus bas. La plupart d’entre eux étaient en fait de grands vampires.
Le domaine de Latuule disposait d’une force militaire suffisante pour entrer en guerre contre un pays entier. La Tour et l’Académie d’un royaume reculé comme Yaaran pourraient-elles gagner contre cela ? Pourquoi se donner la peine de poser la question ? Il n’y avait pas d’autre solution que d’essayer la très mauvaise idée de prendre le cœur du donjon à Laura.
Il serait en tout cas plus facile de convaincre le roi de changer d’avis. Je voyais bien que Lorraine et moi pensions exactement la même chose, mais nous ne pouvions pas vraiment en parler franchement à Jean.
Comme je n’avais pas vraiment d’autres choses à dire sur le sujet, j’avais décidé de passer à un sujet beaucoup plus important pour nous.
« Bon, je crois que j’ai compris pour le noyau du donjon. Mais cela n’explique pas pourquoi nous aurions dû être tués. »
« C’est parce que la deuxième princesse essayait de faire créer un nouveau sceptre par les hauts elfes », dit Jean. « Et nous pensions que vous aviez été choisis pour être les messagers. »
Je me souvenais que le vieil homme avait dit quelque chose dans ce sens.
« Mais qu’y a-t-il de mal à cela ? » demandai-je. « Un nouveau sceptre éviterait au roi d’utiliser l’ancien. Je n’y vois pas d’inconvénient. »
« C’est vrai. Mais la seconde princesse n’allait pas remettre le sceptre au roi. Elle allait attendre que l’ancienne l’ait vidé de son sang, puis utiliser la nouvelle pour s’emparer du trône. »
« Pas possible », avais-je immédiatement dit. « Elle n’est pas du genre à faire une chose pareille. Du moins, ce n’est pas ce qu’elle m’a semblé être. »
« Et vous avez raison. C’est l’information erronée que j’ai mentionnée, qui nous a été transmise par l’espion que nous avions parmi la royauté. L’organisation a agi en conséquence, et je n’étais pas là à l’époque pour la saisir puisque j’étais en mission ailleurs. Personne ne connaissait suffisamment bien la seconde princesse. Les caractéristiques du sceptre n’avaient pas non plus été transmises à la plupart d’entre eux, si bien que personne n’était en mesure d’émettre un jugement précis. De fil en aiguille, Gilli a reçu l’ordre de vous tuer et de déjouer le complot de la seconde princesse. Il était déjà parti quand je suis revenu, je n’ai donc pas pu l’arrêter. »
Le vieil homme en question avait l’air choqué. « L’ordre est venu du vice-chef, je n’ai pas pensé à le remettre en question… »
« Il semblerait que le vice-chef soit dans la poche de Gisel depuis longtemps. Mais je m’en suis déjà occupé. Nous n’avons plus de vice-chef, ni d’espion royal. »
C’était une chose terrifiante à dire avec autant de désinvolture. Oubliez « plus dans l’organisation ». Il avait probablement voulu dire « plus dans le monde des vivants ».
Je suppose que c’est ce qui avait occupé Jean ces derniers temps. Chef d’une organisation de l’ombre ou non, les luttes de pouvoir politiques ne devaient pas être faciles à gérer. Pourtant, une chose me chiffonnait.
« Vous n’avez jamais remarqué que votre vice-chef travaillait pour Gisel ? »
Il s’agissait là d’un oubli assez important…
« Je n’ai pas d’excuses. Cela dit, l’organisation n’a pas toujours été aussi grande. Nous nous sommes développés petit à petit en démontant et en assimilant d’autres organisations. L’une d’entre elles était celle du vice-chef. Imaginez que vous ayez gardé un tel secret pendant trente ans, sans même en parler à vos subordonnés directs. Honnêtement, c’est plus impressionnant qu’autre chose. »
Le vice-chef avait donc gardé le secret toute sa vie, attendant le moment critique et travaillant avec diligence sans en parler à ses collègues ou à ses subordonnés. Il n’est donc pas étonnant que personne n’ait eu l’idée de se méfier.
En fin de compte, le résultat avait été un échec. Cela semblait être une triste vie, mais si la personne elle-même avait été heureuse de se sacrifier pour sa loyauté, alors ce n’était peut-être pas si mal. Même s’il s’agissait du coupable qui nous avait causé tant d’ennuis, il s’agissait d’une personne de principe, d’une certaine manière, et je me sentais donc un peu mélancolique.
Peut-être que je ne pouvais penser ainsi que parce que je ne l’avais jamais rencontré et que nous étions sortis indemnes de son intrigue. Si nous avions été vraiment blessés d’une manière ou d’une autre, je lui aurais probablement gardé une rancune amère.
« Alors, si c’est le cas, » commençai-je, « Qu’allez-vous faire maintenant ? D’après ce que j’ai vu, Gisel ne se laissera pas faire et elle fera tout ce qu’elle peut pour mettre la première princesse sur le trône. Allez-vous continuer à travailler avec elle ? »
« Non, notre contrat avec elle est conclu. Je serais parfaitement satisfait que la seconde princesse ramène un nouveau sceptre. Je sais qu’elle le remettrait volontiers au roi. Le problème est de savoir si elle parviendra à l’obtenir. Comment cela se présente-t-il ? »
◆◇◆◇◆
« Je crains que nous ne puissions pas vous le dire », déclara Lorraine. « Je sais que nous avons été francs l’un envers l’autre jusqu’à présent, mais nous devons respecter certaines règles de confidentialité. »
En fait, nous ne l’avions pas fait, d’autant plus que nous n’avons même pas accepté la demande de la princesse, mais Lorraine avait probablement pensé que nous impliquer davantage dans les affaires royales serait gênant.
La position qu’elle adoptait était essentiellement la suivante : « Vous vous occupez du reste. Nous n’avons rien à voir avec cela. »
J’étais tout à fait d’accord. Je ne voulais pas voir des morts-vivants surgir partout dans Yaaran, mais si nous nous intéressions de plus près au problème du sceptre, nous risquerions nos vies.
Risquer la mienne était une chose, mais c’était celle de Lorraine et d’Augurey qui était en jeu. D’ailleurs, même si ce n’était pas le cas, il valait mieux éviter d’attirer l’attention des poids lourds du royaume comme Gisel.
Si ma classe d’aventurier était plus élevée, je pourrais peut-être me vanter et déclarer que c’est le travail d’un aventurier de maintenir la paix dans le royaume, mais en l’état actuel des choses, j’avais fort à faire pour m’occuper de mes propres problèmes.
Maintenant qu’il n’y avait plus de menace de voir l’organisation de Jean s’en prendre à nous, j’étais satisfait. La meilleure chose à faire serait de lui souhaiter bonne chance et de lui dire au revoir.
Ou plutôt, elle le serait si Jean n’avait pas besoin de nous accompagner à Maalt.
C’était un problème.
« C’est logique », répondit Jean. « Je vais aller demander une audience à la deuxième princesse demain. »
Il recula relativement facilement. Après tout, il avait l’air d’être une connaissance de la seconde princesse. Le roi aussi. L’assurance qu’il mettait dans ses paroles venait probablement du fait qu’il n’aurait pas de mal à les rencontrer quand il le souhaiterait.
« Ce serait la méthode la plus sûre », dit Lorraine. « Quant à notre autre objectif, avez-vous l’intention de visiter Maalt ? »
S’il ne voulait pas y aller, nous pourrions simplement lui faire écrire une lettre à cet effet et en finir.
En y repensant, Wolf n’avait pas non plus semblé très enthousiaste à l’idée de la visite de Jean. Je m’étais demandé s’il s’était vraiment réjoui de son absence.
Contrairement à ce que j’attendais, Jean nous avait dit : « Oui, c’est vrai. Je me suis dit qu’il était temps que je passe. Demain… ce n’est pas possible pour moi puisque je vais voir la princesse comme je l’ai dit, mais si nous allions à Maalt le lendemain ? Ça vous va ? »
« Vous êtes sûr ? » avais-je demandé. « N’êtes-vous pas occupé ? »
Jean avait une montagne de problèmes à régler. Il devait non seulement s’occuper de l’organisation, mais aussi de la guilde et de l’affaire du sceptre. J’avais mes propres affaires, comme le rapport à Hathara et la préparation de l’examen de la classe Argent, mais ce n’étaient que des questions personnelles. Elles étaient bien moins importantes que les responsabilités de Jean.
« Le problème du sceptre ne sera pas résolu en quelques jours, » répondit Jean. « Et je ne veux pas que le cœur du donjon soit sécurisé avant que cela n’arrive. J’aimerais vérifier les progrès de la Tour et de l’Académie. Je suppose que j’ai aussi un intérêt personnel. L’artifice de la Tour mis à part, je n’ai jamais vu de donjon nouvellement créé. Je suis curieux de savoir à quoi il ressemble. »
Il était tout à fait clair pour moi et Lorraine qu’ils ne pouvaient pas avoir fait de progrès, mais nous ne pouvions pas le lui dire. Cela l’aurait amené à nous demander comment nous le savions.
Même si nous voulions expliquer, nous devrions être extrêmement prudents. Ils avaient un détenteur de capacité qui pouvait dire quand quelqu’un mentait. En premier lieu, le meilleur moyen d’éviter cet examen minutieux était d’orienter la conversation de manière à ce qu’elle ne soit pas examinée.
La proposition de Jean n’était de toute façon pas mauvaise pour nous. Après tout, nous avions été chargés de le ramener à Maalt. Peut-être que Wolf préférait continuer sans Jean, mais il n’y avait pas de raison que nous soyons aussi prévenants à son égard. C’était lui qui nous avait imposé cette tâche, alors le moins qu’il puisse faire était d’en assumer la responsabilité.
« D’accord, » dit Jean. « C’est ce que nous allons faire. Nous partons pour Maalt après-demain. Est-ce d’accord ? »
« Bien sûr », avais-je répondu. « Pendant ce temps, nous allons nous préparer. En ce qui concerne le chariot… »
« Nous nous en occuperons », dit Lorraine. « Vous n’aurez donc pas besoin de prendre des dispositions. Nous vous verrons dans deux jours. »
C’est ainsi que nos discussions avaient pris fin.
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Lorsque nous étions rentrés à l’auberge et que nous avions tout raconté à Augurey, il avait soupiré.
« Ha. C’est devenu terriblement compliqué, n’est-ce pas ? Ce n’est pas souvent que l’on se retrouve entraîné dans un tel pétrin. Je ne sais pas si je dois parler d’une expérience inédite ou d’une simple malchance. »
Sirène était retournée avec Spriggan à l’organisation, si bien que Lorraine, Augurey et moi étions seuls.
La diminution du nombre de membres rendait les choses plus calmes, mais aussi un peu plus déprimantes. Même s’ils étaient arrivés après nos vies, nous avions traversé le danger ensemble, et j’avais appris à aimer le groupe de Spriggan. Maintenant qu’ils étaient partis, je ne pouvais m’empêcher de me sentir un peu déprimé. Et puis, même si je voulais penser que nous n’essaierions plus de nous entretuer puisque nous n’étions plus ennemis, ils travaillaient pour une organisation de l’ombre. Il n’était pas exclu qu’ils nous affrontent à l’avenir. Compte tenu de ce que Jean et Spriggan avaient dit, je pouvais probablement être sûr qu’ils s’arrangeraient pour que cela n’arrive pas.
« Ce n’est vraiment pas de chance », déclara Lorraine. « C’est du moins ce que j’aimerais dire, mais nous en avons tiré beaucoup. Je suppose que l’on peut dire que nous en sommes sortis égaux. »
Elle avait acquis une nouvelle formule de sort et s’était ouvert les yeux sur le potentiel latent de ses capacités uniques.
De plus, c’était probablement un avantage de s’être fait des connaissances au sein d’une organisation fantôme de grande envergure, que nous puissions ou non les faire travailler pour nous. Bien sûr, si nous parlions d’eux, ils pourraient s’en prendre à nous à nouveau, mais tant que nous ne le faisions pas, il y avait toujours une chance que nous puissions faire appel à nos relations un jour ou l’autre.
« C’est peut-être faire preuve de trop d’optimisme, » murmura Augurey, « Mais maintenant que nos soucis sont derrière nous, c’est peut-être mieux ainsi. Néanmoins, je suppose que cela signifie que demain, c’est l’adieu. Vous allez me manquer. »
Je pouvais entendre la sincérité dans ses mots. Il avait raison. Augurey était basé dans la capitale, mais ce n’était pas le cas pour Lorraine et moi. Nous aurions l’occasion de revenir un jour, mais au moins pour un temps, c’était un adieu.
merci pour le chapitre