Chapitre 1 : Attaque-surprise
Partie 2
Je n’avais jamais pu communiquer correctement avec aucune des goules que j’avais rencontrées. Je ne savais pas trop pourquoi, j’avais une conscience assez développée à ce stade. Quelle était la différence entre eux et moi ? Était-ce parce qu’à l’origine, j’étais une personne ? Ou parce qu’un dragon m’avait englouti ? Je n’en avais aucune idée. D’abord, qu’est-ce que les monstres, au fond ?
Lorraine poursuivait ses recherches et elle menait toutes sortes d’investigations, et je faisais de mon mieux à ma manière pour tirer quelque chose de mon cerveau débile, mais nous n’avions toujours pas trouvé de réponse à ma situation. Ce n’était probablement pas une surprise, étant donné que nous cherchions essentiellement une explication à l’existence des monstres, et que les gens se posaient cette question depuis toujours.
Lorraine était un génie, mais l’histoire avait connu beaucoup de génies, et aucun n’avait réussi à faire la lumière sur la vérité des monstres — dont l’origine, surtout, restait un mystère. Il existait de nombreuses théories à ce sujet, mais aucune d’entre elles ne permettait d’affirmer quoi que ce soit avec certitude. Je suppose que notre seule option était de continuer à chercher et à réfléchir.
« Les monstres de haut rang peuvent cependant parler », déclara Augurey. « Les vampires et les dragons anciens me viennent tout particulièrement à l’esprit. Mais peut-être que les goules ont une communication plus proche de celle des humains et des singes. C’est un vrai mystère, n’est-ce pas ? »
Je n’avais pas de réponse à lui donner. J’espérais pouvoir le faire un jour… mais je ne savais pas si ce jour viendrait un jour.
« Désolé », dit Augurey. Peut-être avait-il vu qu’il m’avait un peu déstabilisé. « Je ne voulais pas te faire broyer du noir. Je faisais juste la conversation. »
Il avait raison de dire que j’avais un peu broyé du noir, mais ce n’était pas comme si cela m’avait rendu dépressif ou désabusé de la vie ou quoi que ce soit d’autre. J’avais juste réfléchi à ce que cela signifiait d’être en vie.
« Ne t’inquiète pas », avais-je dit. « Je pense à ces choses tout le temps de toute façon. Tu m’as juste fait reconsidérer à quel point tout cela est un mystère. »
« Ah oui ? Alors c’est bien. Il est temps de partir. Est-ce que j’ai enlevé toute la boue ? »
Augurey tourna sur lui-même, me donnant une vue claire de son corps. Il était svelte, mais bien proportionné, la silhouette même d’un aventurier. Il me paraissait propre, et après lui avoir demandé de vérifier ma propreté, nous nous étions habillés et nous nous étions dirigés vers le point de rendez-vous que nous avions fixé avec Lorraine.
◆◇◆◇◆
« On dirait qu’on est tous propres », dit Lorraine en nous retrouvant. Peut-être était-ce parce que nous étions tous couverts de boue il y a peu, mais elle avait presque l’air d’une nouvelle personne. « L’aubergiste ne devrait plus avoir à se plaindre. On y va ? »
Le voyage de retour avait été très confortable. La différence entre ce voyage et celui que nous avions effectué jusqu’ici avait été particulièrement marquée lorsque nous avions traversé les zones de reproduction des wyvernes mimétiques, car nous étions désormais beaucoup moins inquiets qu’elles nous attaquent. Nous ne pouvions pas baisser complètement la garde, mais nous ne devions pas non plus être constamment sur le qui-vive. Nous devions beaucoup à Ferrici.
Malheureusement, alors qu’il aurait été agréable de terminer notre voyage de retour en toute insouciance, il arrive que la vie nous jette de la boue au visage. Nous n’étions plus qu’à quelques encablures du village lorsque nous avions aperçu quelque chose d’étrange.
« Est-ce que c’est… une personne ? » demanda Ferrici.
Les autres l’avaient déjà remarqué bien avant qu’elle ne pose sa question. Mes yeux voyaient assez loin, et Lorraine et Augurey savaient qu’il se passait quelque chose à cause des coups d’œil silencieux que je leur lançais. Nous avions tous les trois subtilement modifié notre itinéraire, mais il ne fallut pas longtemps pour que la silhouette au loin s’en aperçoive et nous coupe la route.
Qui qu’ils soient, il était manifestement suspect. Cela dit, nous devions le dépasser si nous voulions atteindre le village. N’ayant pas le choix, nous nous étions dirigés dans sa direction. Le fait de devoir garder Ferrici en sécurité signifiait que si quelque chose arrivait, nous aurions à mener une bataille difficile, mais l’envoyer seule sur une autre route était également une perspective effrayante. Il était plus sûr que nous restions tous ensemble.
Nous avions continué à marcher et, en peu de temps, la « personne » suspecte s’était retrouvée devant nous. Il n’y avait qu’une seule façon de procéder, c’était de s’approcher et de parler. Il était vêtu d’une cape, d’où dépassait une paire de bras maigres, et semblait être un vieil homme.
« Excusez-moi », dis-je. « Excusez-moi, monsieur ? Y a-t-il un problème ? Nous serions heureux de vous écouter si — . »
Avant que je n’aie eu le temps de terminer, quelque chose d’énorme et de lourd s’écrasa dans mon estomac.
◆◇◆◇◆
Que s’est-il passé ? Lorraine n’y comprenait rien. Ce n’était pas surprenant, bien sûr, car en fin de compte, elle était une mage. Bien que ses capacités de combat soient redoutables, sa façon de se battre était fondamentalement différente de celle d’autres professions, comme les épéistes. Ses capacités physiques dépassaient de loin celles de n’importe qui, mais malgré cela, elle n’avait pas pu saisir exactement ce qui venait de se passer.
Néanmoins, elle est capable de porter un jugement instantané. Cet étranger est dangereux. Qui que soit ce vieil homme, il venait d’envoyer Rentt dans les airs.
Au moment où Rentt s’était approché et avait commencé à parler, une sorte d’objet massif lui avait foncé droit dans l’estomac, l’emportant en un clin d’œil dans la direction de la forêt et lui faisant renverser plusieurs arbres sur sa trajectoire. S’il s’était agi d’une personne ordinaire au lieu de Rentt, elle serait morte. Il n’y avait aucune chance qu’elle ait survécu. Un aventurier aurait peut-être eu une chance de s’en sortir avec des blessures légères, mais il n’aurait pas pu revenir de sitôt.
Rentt, lui, était différent. Son corps n’était pas celui d’un humain ordinaire, mais celui d’un monstre. Ses capacités physiques étaient incomparables à celles d’une personne ordinaire, tout comme sa résistance. De plus, il avait une Division dans sa manche, qui lui permettait de se remettre de blessures graves en un clin d’œil.
Tout cela rassurait Lorraine : il n’y avait aucune chance que Rentt soit mort d’un coup de cette ampleur et il reviendrait bientôt. Gardant son sang-froid, elle rapprocha Ferrici et lança le plus puissant sort de bouclier instantané qu’elle pouvait obtenir autour d’elle, de Ferrici et d’Augurey. Elle savait que leur priorité était de prendre de la distance, aussi se prépara-t-elle à le faire…
« Vous êtes lent. »
Le temps que les sens de Lorraine reprennent le dessus, le vieil homme était déjà devant elle, sa cape flottant autour de lui. Il avait comblé l’écart en un instant. Le vieil homme leva le bras, manifestement dans l’intention d’en faire quelque chose — quelque chose qui était manifestement lié au coup qui avait envoyé Rentt dans les airs. Même si le danger la mettait au pied du mur, Lorraine ne le manqua pas, et elle savait que le prochain coup serait dirigé vers elle, Ferrici et Augurey. Pointant sa baguette, elle incanta un sort.
« Ald Halva ! »
Même parmi les autres sorts de magie de terre, Ald Halva se distinguait par la quantité de masse qu’il invoquait. Il créait un gigantesque éclat de roche aiguisé, semblable à une lance, et l’envoyait sur l’adversaire. Il s’agissait d’un sort extrêmement simple, mais c’est précisément pour cette raison qu’il était si difficile de s’en défendre. Alors que l’eau, le feu et les autres sorts de ce genre pouvaient généralement être neutralisés par leur élément opposé, lancer un sort de vent sur Ald Halva ne suffirait pas à s’en débarrasser.
Cela dit, il existait toujours des méthodes pour le contrer. Si Lorraine avait choisi Ald Halva, c’est parce qu’il constituait le meilleur moyen de s’échapper de la situation dans laquelle ils se trouvaient. Naturellement, ce n’était pas le genre de sort qu’une personne pouvait facilement lancer à volonté sans chanter l’incantation complète. À moins que cette personne ne soit Lorraine. De plus, elle avait réussi à le lancer tout en maintenant simultanément trois sorts de bouclier — un exploit vraiment impressionnant.
L’énorme lance de terre se dirigea directement vers le vieil homme à une vitesse incroyable.
« Ungh ! »
Mais avec un grognement d’effort, il le dévia, le soufflant et l’envoyant s’écraser au sol.
Lorraine fut choquée. Elle n’en croyait presque pas ses yeux, mais la logique l’emportait. Elle savait que le monde était vaste et qu’il existait toutes sortes de personnes monstrueusement fortes, qui auraient probablement pu faire la même chose que ce vieil homme. Elle ne pouvait pas se permettre de laisser sa surprise prendre le dessus.
En un battement de cœur, elle rassembla son mana, se préparant à lancer son prochain sort, mais les jambes du vieil homme étaient plus rapides, et il combla en un rien de temps la petite distance qu’elle s’était donné tant de mal à gagner. Mais l’instant d’après, Augurey, l’épée haute, s’interposa pour lui barrer la route.
« Pas sous ma surveillance ! » s’écria-t-il.
« Si vous voulez être le premier, je vous en prie ! » Le vieil homme sourit et leva le bras, et Lorraine put voir pour la première fois ce qui avait fait fuir Rentt et dévier son Ald Halva.
Lorsque le vieil homme leva le bras, celui-ci s’allongea en une fraction de seconde pour atteindre une taille titanesque et disproportionnée. Il le balança sur Augurey, qui fut projeté au loin. Face à une telle masse, il n’y avait pas grand-chose à faire. C’était la dure et froide vérité.
Lorraine savait que le sort de bouclier qu’elle avait jeté à la hâte sur Augurey avait rempli son office et absorbé la plus grande partie de l’impact avant de se briser, mais il était évident qu’il n’avait pas réussi à annuler complètement le coup. Bien qu’elle regrette de ne pas avoir eu plus de temps, elle était presque certaine d’avoir sauvé Augurey de la mort, ce qui était suffisant pour l’instant. Le problème était que les choses n’allaient faire qu’empirer.
Le vieil homme hésita un instant, comme s’il se demandait lequel de ses adversaires serait sa première proie, avant de détacher son regard de Lorraine et de s’enfoncer dans la forêt, dans la direction où il avait envoyé Augurey.
« Je suppose que je peux laisser le mage pour plus tard », murmura le vieil homme, puis il disparut.
Lorraine ne savait pas si elle devait poursuivre, mais elle avait Ferrici avec elle. Elle devait d’abord mettre la jeune fille à l’abri, elle ne pouvait pas la mettre en danger en l’emmenant avec elle.
Elle pouvait encore sentir le mana d’Augurey, donc elle pouvait au moins dire qu’il n’avait pas été incapacité, il courait à travers la forêt. Il irait probablement bien pendant un moment. En attendant…
« Ferrici. »
« Oui ? Hum, qu’est-ce que — ? »
« Je ne sais pas, mais on verra plus tard. Tenez, prenez ceci. C’est un objet magique qui permet de lancer un puissant sort de bouclier. Je l’ai déjà chargé de mana. Prenez aussi ceci. Tant que vous le gardez, je peux vous trouver où que vous alliez. Cachez-vous et attendez-moi, d’accord ? »
Lorraine ne voulait pas faire cela, mais face à un adversaire aussi dangereux que le vieil homme, elle n’avait pas le choix. Elle, Rentt et Augurey devaient l’affronter ensemble. Ferrici ne ferait que l’entraver. Mais elle ne pouvait pas se contenter de ne rien faire pour Ferrici, alors elle s’était rabattue sur ce dernier recours. Ni Gobelin ni Sirène n’étaient dans la zone, donc au moins elle n’avait pas à s’inquiéter qu’ils attaquent Ferrici.
Lorraine ne savait pas si le vieil homme avait des alliés dans les parages, mais si c’était le cas, c’était à cela que servait le sort de bouclier. De plus, le marqueur qu’elle avait donné à Ferrici pouvait servir de point de visée pour lancer des sorts à longue distance. Cela ne voulait pas dire que la jeune fille était en sécurité, mais tout de même…
« J’ai compris. » Ferrici hocha la tête avec insistance. « Ne vous inquiètez pas pour moi. Allez-y ! »
À ses paroles courageuses, Lorraine répondit : « Désolé ! Je vous en dois une ! »
Puis elle partit, courant dans la forêt.
merci pour le chapitre