Chapitre 1 : Attaque-surprise
Partie 12
Lorsque nous avions rencontré Ferrici, elle nous avait bombardés de questions, ce qui était tout à fait normal. Il n’y a pas si longtemps, les environs avaient subi une série d’impacts et d’explosions massifs. Un géant avait surgi des bois et la foudre avait été ridiculement puissante. Si je ne savais pas la situation, j’aurais probablement cru quelqu’un qui m’aurait dit que c’était la fin du monde. Cela dit, nous ne pouvions pas vraiment donner tous les détails à Ferrici, mais cela ne signifiait pas non plus que nous devions la laisser dans l’ignorance la plus totale.
« Un de nos ennemis s’est présenté et nous l’avons battu », avais-je dit. « Et la foudre, c’était la magie de Lorraine. Ne t’inquiète pas, tout va bien maintenant. »
« Vraiment ? » demanda Ferrici.
Sauf qu’elle ne m’avait pas demandé à moi, mais à Augurey. Elle devait avoir une grande confiance en lui.
Augurey sourit. « Oui, c’est vrai. Quant à ce vieux monsieur, c’est… l’un des alliés de l’ennemi. Nous devons encore l’interroger sur certaines choses. Nous n’abusons pas des personnes âgées, d’accord ? »
Il était important d’expliquer cette partie. Nous aurions eu l’air de maniaques ayant ligoté un vieil homme si nous ne l’avions pas fait.
Ferrici semblait accepter l’explication. Les aventuriers faisaient toujours des choses difficiles à comprendre pour les autres, alors peut-être pensait-elle que cela en faisait partie. La plupart des villageois avaient été élevés dans une saine méfiance à l’égard des aventuriers et on leur avait dit d’éviter de s’en approcher pour ne pas être mêlés à leurs manigances. C’était une autre histoire pour les adultes, mais c’était un peu comme être traité comme un animal sauvage.
Ferrici avait simplement répondu : « Je me sens un peu mal pour lui, mais je suppose que vous n’avez pas le choix… »
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Étonnamment, à notre retour, l’aubergiste nous avait accueillis chaleureusement. J’étais content, car j’étais persuadé que nous arriverions pour trouver nos affaires devant la maison et que l’aubergiste nous chasserait. Cela aurait pu être presque drôle, car cela aurait signifié que Sirène — que nous avions laissée enfermée dans la chambre de Lorraine — aurait été jetée dehors elle aussi. Mais Lorraine avait déjà donné une explication à l’aubergiste. Elle était minutieuse pour ce genre de choses.
Nous n’avions pas été expulsés du village ou quoi que ce soit d’autre, alors je n’étais pas si inquiet à l’idée de retrouver toutes nos affaires jetées à la poubelle à notre retour.
« Alors, où est Sirène ? » demanda le vieil homme alors que nous entrions dans l’auberge.
Il savait qu’elle était ici quelque part, bien sûr, mais nous ne lui avions pas encore donné de détails. Nous lui avions seulement dit que nous l’avions attrapée et maîtrisée.
« Elle est par là. » Lorraine nous avait conduits à sa chambre. Quand elle ouvrit la porte, nous avions vu Sirène, attachée et allongée sur le lit. Elle nous avait vus quand nous étions entrés.
« Hmmf ! »
Dès qu’elle l’avait fait, elle avait commencé à essayer de parler, mais le bâillon qu’on lui avait mis dans la bouche rendait ses paroles inintelligibles. Je voyais bien qu’elle n’était pas contente de la situation, ce qui allait sans doute de soi. À sa place, je détesterais aussi cette situation.
« Je suppose que nous devrions la détacher ? » demanda Lorraine au vieil homme.
Lorraine pensait probablement qu’avec toutes les explications que nous devions donner, laisser la femme attachée serait extrêmement gênant. Cependant, le vieil homme — que je pensais être du genre à se soucier de ses alliés — avait jeté un coup d’œil à Sirène et avait soupiré.
« Non, laissez-la ainsi un moment », avait-il dit. « Elle ne fera que se plaindre à nos oreilles. Faites venir Gobelin. Il sera plus rapide pour comprendre. »
Wôw, c’est froid.
Sirène, qui avait écouté, se mit à parler encore plus fort, mais tout le monde l’ignora.
« J’y vais alors », dit Augurey. Il se tourna vers le vieil homme. « Je suppose que nous utiliserons cette pièce pour nos entretiens ? »
« Ça marche », répondit le vieil homme. « Nous devons aussi remplir le formulaire de Sirène. »
Augurey était parti chercher Gobelin.
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« Papy… Qu’est-ce qui se passe ici ? »
Gobelin, anciennement connu sous le nom de Yattul, semblait à la fois confus et étonné en entrant dans la pièce. Augurey entra derrière lui et ferma la porte. Au bruit de la fermeture, Gobelin sursauta un peu. Son instinct lui disait sans doute qu’il était pris au piège et encerclé.
Néanmoins, le vieil homme semblait avoir raison quant à la capacité de Gobelin à garder la tête froide, car la tension disparut rapidement de ses épaules. Il ne montra aucun signe de violence. Je devinais qu’il serait beaucoup plus facile de lui expliquer les choses qu’à Sirène.
« Il s’est passé beaucoup de choses, » dit le vieil homme, « Mais je vais aller à l’essentiel. J’ai perdu — complètement — dans un combat frontal. Le travail est donc un échec. »
Contre toute attente, la personne qui semblait la plus étonnée était Sirène. Les cris étouffés qu’elle poussait constamment s’arrêtèrent tandis que sa bouche se détendait et se fermait complètement. Peut-être qu’en dépit de son antagonisme envers le vieil homme, elle avait eu confiance en sa force. Gobelin avait lui aussi l’air étonné, comme s’il n’arrivait pas à croire ce qu’il entendait.
Le vieil homme poursuivi calmement, d’un ton qui ressemblait à celui d’un professeur. « C’étaient de véritables monstres. J’ai rarement rencontré quelqu’un d’aussi fort dans ma vie. J’ai utilisé mes capacités au maximum et je me suis battu sans baisser ma garde, mais j’ai quand même perdu. Je ne peux rien faire d’autre que d’admettre ma défaite. C’est ce que je ressens vraiment. »
Contrairement aux paroles douces du vieil homme, Gobelin semblait troublé. « Je ne veux pas le croire, mais si tu le dis, alors… Mais qu’est-ce que cela signifie pour nous ? Nous avons échoué dans notre tâche ! Je ne peux pas dire qu’ils nous tueront à coup sûr, mais pense à qui est le client ! Ils nous feront certainement payer d’une manière ou d’une autre ! »
« En effet, » répondit le vieil homme. « Ce serait gênant, n’est-ce pas ? Mais ces trois-là m’ont fait une proposition. Ils veulent rencontrer le chef, négocier. D’ailleurs, c’est l’organisation et notre client qui sont responsables de cet échec, pas nous. Ils ne nous ont pas fourni d’informations exactes. Si nous parvenons à leur faire comprendre cela, alors peut-être pourrons-nous tous trouver une solution pacifique. »
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« Le… chef ? Mais c’est… »
Gobelin semblait réticent, mais le vieil homme n’avait pas lâché prise.
« Je sais ce que tu ressens. Tu penses que c’est une décision trop importante pour nous, ou que ce serait trahir l’organisation, mais dans l’état actuel des choses, nous sommes probablement morts de toute façon. Au pire, je pourrais m’enfuir seul, mais est-ce que Sirène et toi seriez d’accord ? Je ne vous en empêcherai pas si c’est le cas, mais… »
Il ne pensait probablement pas pouvoir le faire. Si Gobelin refusait et que nous ne pouvions pas rencontrer leur chef, nous savions tous ce que nous aurions à faire avec le vieil homme. Ce n’était pas comme si nous pouvions le laisser revenir dans le futur pour nous mordre. Je suppose que nous avons la possibilité de le laisser partir volontairement, mais il y a peu de chances que nous ayons à prendre cette décision, alors j’avais mis cette idée de côté pour l’instant.
« Bien sûr que non, » répondit Gobelin. « Je ne veux pas non plus mourir. J’ai une dette envers l’organisation… mais pas au point de mourir pour elle. J’avais prévu de prendre ma retraite bientôt de toute façon. »
« Tu en étais là ? » demanda le vieil homme. « En fait, j’allais te recommander de le faire après cette mission. »
« Tu as remarqué, hein, papy ? »
« Tu es un homme de cœur. Contrairement à moi, tu n’es pas fait pour ce travail. C’est une chance que tout ce jeu d’acteur que tu as fait en tant que marchand se soit transformé en quelque chose de plus réel. »
« Oui, je me suis dit que je m’en sortirais bien si je continuais à faire du colportage. On dirait qu’il va falloir attendre longtemps avant que je puisse réaliser ce rêve, avec tout ce bordel qui se passe. »
« Ne dis pas cela. Considère-le comme une chance d’en faire ton dernier emploi et efforce-toi plutôt d’atteindre cet objectif. Tu le vivras différemment. »
« Tu dis ça, mais… Bah, peu importe. Ça ne sert à rien d’argumenter sur ce point. Mais êtes-vous sérieux ? Pour ce qui est de rencontrer le chef ? »
Gobelin avait dirigé la dernière partie directement vers nous. D’après les apparences, le vieil homme avait réussi à le convaincre.
« Nous le sommes », répondit Lorraine. « Nous avons tout entendu sur les raisons pour lesquelles vous nous ciblez, et pour être franche, j’en ai déjà assez de ces absurdités. L’idée que votre organisation nous envoie encore plus de gens comme lui est suffisante pour me faire tourner la tête. Honnêtement, je veux juste parler au responsable, quel qu’il soit, afin de mettre un terme à toutes mes inquiétudes. »
Cela sembla toucher une corde sensible chez Gobelin, car son regard était compatissant. « Ouais, papy est l’un des meilleurs combattants de notre organisation. Certains d’entre eux m’ont dit qu’il était vraiment sauvage dans sa jeunesse. C’est… un peu ridicule que vous l’ayez battu. Je ne doute pas de vous, d’autant plus qu’il l’a admis lui-même. C’est juste qu’il n’y a pas beaucoup de gens qui peuvent faire ça. »
« Nous avons simplement eu une série de coups de chance », dit Lorraine. Elle se tourna vers Augurey et moi. « Je ne veux plus jamais essayer quelque chose comme ça. Vous n’êtes pas d’accord ? »
« C’est vrai », avais-je répondu avec lassitude.
« Vous pouvez le répéter », dit Augurey, semblant tout aussi épuisé.
Le vieil homme ricana. « Nous sommes donc tous dans ce cas. Ne les laisse pas te tromper, Gobelin. Ils sont plus monstrueux que moi. Franchement, ce ne sont pas des gens qu’il faut avoir comme ennemis. Si je veux qu’ils parlent au chef, c’est parce que je ne veux pas les affronter à nouveau. Je ne veux pas non plus que l’organisation le fasse, pour son propre bien. Pourrais-tu transmettre ce message au chef ? »
« Je m’y attendais un peu », dit Gobelin. « Alors j’y vais ? »
« Qui d’autre serait-ce ? » demanda le vieil homme. « Nous ferions tout un tapage si nous y allions tous ensemble. »
« Du tapage ? Ça n’a pas l’air si — . »
« Par “tapage”, je veux dire que nous serons tous rassemblés et exécutés sur-le-champ. »
« C’est vrai. Ce genre d’agitation. Je suppose que tu as raison. Mais il y a une chance que cela m’arrive encore si j’y vais seul. »
« Ils ne savent pas encore que nous avons échoué, alors j’en doute. Il suffit de les convaincre de nous laisser rencontrer le chef d’une manière ou d’une autre. Tu trouveras quelque chose. »
« On ne laisse pas transpirer le moindre petit détail, n’est-ce pas ? Tout comme ton corps. »
« Peut-être que nos capacités ont aussi un effet sur nos personnalités, hein ? Je compte sur toi. »
« Oui, oui. En route pour le bronze, en route pour l’or. J’y arriverai d’une manière ou d’une autre. »
C’est à ce moment-là que Sirène recommença à pousser des cris étouffés. Apparemment, elle s’était enfin remise du choc causé par la défaite du vieil homme. Nous nous étions retournés pour la regarder et nous nous étions arrêtés. Je crois que nous avions tous presque oublié qu’elle était là.
Puis, finalement, j’avais dit : « Devrions-nous la détacher ? Nous avons en quelque sorte déjà terminé, alors c’est probablement bon, non ? »
Le vieil homme acquiesça. « C’est possible. Mais je vous préviens, ça va être bruyant. Êtes-vous sûr d’être prêt ? »
« Croyez-vous ? » demanda Lorraine. « Je pense que ça ira très bien, personnellement. Tenez, je vais vous faire l’honneur. »
Elle commença à psalmodier quelque chose qui ressemblait à un sort pour libérer les liens de Sirène, et c’est exactement ce qui se produisit lorsqu’elle eut terminé. Le lien de la bouche n’étant pas magique, Sirène l’enleva elle-même dès que ses bras et ses jambes furent libérés.
« Hé ! » cria Sirène. « N’ai-je pas mon mot à dire ? Croyez-vous que je vais m’asseoir ici et laisser faire ? »
« Vous voyez ce que je veux dire ? » commenta le vieil homme.
« Ne me dites pas qu’elle n’écoutait pas, » dit Gobelin.
Ils s’étaient tous les deux mis la main sur l’oreille en parlant. On aurait pu se demander s’ils étaient vraiment alliés, mais c’est probablement parce qu’ils étaient si proches qu’ils avaient pu réagir comme ils l’avaient fait.
Sirène sauta du lit et s’approcha d’eux. « J’écoutais ! Vous pensez vraiment que vous allez réussir à faire ça ? Avez-vous oublié à quel point l’organisation peut être effrayante ? »
Malgré cela, le vieil homme et Gobelin ne faiblirent pas, ils gardèrent leur position défensive.
On aurait pu croire qu’elle était hystérique, mais ce qu’elle disait était plutôt raisonnable. Cela dit, elle n’était pas très douée pour lire l’ambiance de la pièce. Nous étions déjà parvenus à une conclusion claire.
Sirène se tourna ensuite vers nous. « Et vous trois ! Comme si nous pouvions nous mettre d’accord sur… »
Elle s’était interrompue et avait reculé lorsque Lorraine s’était avancée. Alors que nous étions tous déconcertés par ce qui venait de se passer, Lorraine leva sa baguette et la pointa sur Sirène.
« Je peux le refaire, si vous voulez », déclara Lorraine.
Je n’avais aucune idée de ce dont elle parlait, mais d’après la réaction de Sirène, c’était manifestement quelque chose de connu pour elle.
« Eek ! Non merci ! J’en ai déjà eu plus qu’assez ! Je serai sage, d’accord ? Je le ferai ! »
Puis elle s’était mise à sangloter. Augurey, qui se sentait probablement aussi mal pour elle que moi, s’était approché et lui avait donné son mouchoir. Ensuite, toutes les personnes présentes dans la pièce, à l’exception de Sirène, s’étaient tournées vers Lorraine. Je voyais bien que nous pensions tous la même chose : qu’est-ce qu’elle lui a fait ?
Mais nous étions tous trop effrayés pour demander.