Chapitre 5 : Remerciements de la part de la fille du village
Partie 4
« Nous y voilà », marmonnai-je, comme un vieil homme qui se lève de sa chaise, et je descendis de la wyverne.
Après avoir récolté l’elata de wyverne, nous étions retournés à pied vers nos wyvernes garées et les avions chevauchées jusqu’au niveau du sol.
« La terre ferme est rassurante au bout d’un moment », fit remarquer Augurey. « Non pas que nous serions morts si nous étions tombés de là. »
La pierre flottante sur laquelle nous avions récolté l’elata se trouvait juste au-dessus du lac, si bien que nous ne serions pas morts en entrant dans l’eau. Mais nous aurions été trempés et obligés de nager jusqu’au rivage. De plus, sans Ferrici à nos côtés, nous aurions pu être attaqués par des wyvernes. Un aventurier ordinaire n’aurait peut-être pas survécu à un tel sort. J’aurais pu voler avec mes propres ailes, mais je n’avais jamais essayé de voler avec un essaim de wyvernes à mes trousses. Bref, j’étais heureux que nous ayons pu atterrir en toute sécurité.
« Une quête de plus, qui s’est déroulée encore plus facilement que nous l’espérions. Quelle est la prochaine étape ? On continue sur notre lancée ? » demandai-je.
Je m’attendais à ce que cette tâche prenne plus de temps, car nous aurions dû éviter des wyvernes en colère et trouver nous-mêmes les buissons d’elata. Ferrici nous avait permis de surmonter tout cela, c’était énorme. Tout cela était arrivé non seulement parce que Ferrici vivait dans ce village, mais aussi parce que la Sirène avait hypnotisé ces villageois, nous donnant l’occasion de les sauver, ce qui nous avait valu la gratitude de Ferrici. Peut-être aurions-nous dû être reconnaissants envers le Gobelin et son équipe. Comme nous nous attendions à ce qu’il se passe quelque chose, nous avions l’impression d’avoir arrangé le match nous-mêmes. Mais bon…
« Il nous faut juste capturer un aqua hathur et récupérer de la boue ou de l’argile d’un golem luteum, » nota Augurey, « mais nous ne savons pas où trouver l’un ou l’autre. Je suppose que nous n’avons qu’à nous promener dans le lac. »
Ces créatures, contrairement aux wyvernes, n’avaient pas d’habitat spécifique.
« Je sais où se trouve un aqua hathur », déclara Ferrici.
« Quoi ? » s’écria Lorraine, surprise que Ferrici ait dit cela si calmement.
Même les aventuriers devaient passer du temps à chasser un aqua hathur, et cette fille normale d’un village savait simplement où il y en avait un ? Bon, elle avait ses capacités spéciales et tout, mais je pensais que le qualificatif « normal » s’appliquait encore ici. Elle n’était pas particulièrement musclée, même si elle avait prouvé en chemin qu’elle était bien plus endurante que les filles de la ville.
« Ce n’est pas une garantie », avait-elle ajouté. « J’en ai vu un l’autre jour. Il est peut-être encore là. »
« C’est essentiel », répondit Lorraine. « Une fois qu’un aqua hathur s’est installé à un endroit, il ne s’en éloigne plus. »
« C’est vrai ? Je croyais que les monstres de type félin pouvaient parcourir des dizaines de kilomètres par jour », avais-je demandé.
C’était la théorie acceptée et c’était aussi la raison pour laquelle les alarmes étaient souvent déclenchées lorsqu’un monstre de type félin était repéré à proximité d’une ville. Ils pouvaient facilement se déplacer d’un village à l’autre en l’espace d’une nuit.
Lorraine acquiesça. « C’est vrai, mais un aqua hathur est plus proche de la fée que du félin. Tu sais que les créatures féériques de l’élément eau sont attirées par l’eau claire. »
« C’est vrai, » marmonna Augurey. « Une fois qu’ils auront trouvé une source d’eau qui leur plaît, ils n’iront pas loin. »
« Oui. C’est pourquoi les informations de Ferrici nous sont précieuses. Pouvez-vous nous montrer le chemin ? »
Lorraine avait demandé une confirmation parce que nous étions sur le point de nous aventurer au-delà de la zone où la capacité de Ferrici la mettait à l’abri des wyvernes. En tant qu’aventuriers, nous devions faire passer le bien-être de Ferrici avant tout, mais même les meilleurs aventuriers du monde ne pouvaient pas garantir une sécurité absolue, et nous ne pouvions donc pas insister sur la coopération de Ferrici. Je m’étais dit qu’elle nous indiquerait son emplacement général et que nous partirions à sa recherche.
« Bien sûr. C’est par là », dit Ferrici en commençant à marcher.
Nous nous étions à nouveau précipités à sa suite.
« N’êtes-vous pas inquiète du danger que vous courez ? » demanda Lorraine.
« Elle a fait l’aller-retour l’autre jour. Je pense qu’elle sait que ce n’est pas si dangereux », avais-je dit. C’était ma meilleure hypothèse.
Augurey renchérit : « Ça aussi, mais elle doit nous faire confiance. Sinon, elle n’aurait pas accepté sans réfléchir. »
« Nous devons la protéger si les choses tournent mal », avais-je insisté. « Surtout après ce qui s’est passé. »
Lorraine accepta. « Je vais mettre en place un solide bouclier magique. Elle doit rester indemne, même au prix de notre propre sécurité. »
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« C’est vraiment ici », avais-je murmuré.
Il était là, un véritable aqua hathur sous mes yeux. Son apparence était celle d’un chat transparent, dont tout le corps était fait d’eau. Sur le plan comportemental, il était impossible de le distinguer d’un chat ordinaire. Il était en train de se laver le visage.
De plus, il y avait de multiples hathurs aquatiques. Ils étaient placés autour d’une petite source créée par une formation rocheuse. Elle était légèrement surélevée par rapport au lac, et de l’eau s’infiltrait par les fissures. Il devait s’agir d’un des nombreux plans d’eau qui alimentaient le lac.
Les personnes qui aiment les chats auraient pu se contenter de regarder ces félins liquides se prélasser dans la source toute la journée, mais nous avions un travail à faire. Même si ce monstre était inoffensif, nous devions en capturer un. Et comme je l’ai dit, ils étaient plutôt inoffensifs.
« Mettons-nous au travail, comme nous l’avions prévu », avais-je suggéré.
Augurey désigna un point sur une carte qu’il tenait à la main. « Nous les accostons là-bas. »
« Vous pouvez le faire ! » s’exclama Ferrici alors que nous nous dirigeons vers les hathurs d’eau.
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Le hathur aquatique avait senti notre approche et s’était tourné vers Augurey et moi comme l’aurait fait un chat. Le problème était venu de son prochain mouvement. J’avais senti le mana se contracter dans l’air et j’avais vu une fine lame d’eau se former devant le monstre, mais pas parce que l’aqua hathur avait soif ou quoi que ce soit d’autre.
« Augurey ! »
« Oui, je sais ! »
Nous avions échangé un regard et avions plongé sur les côtés. Dès que nous l’avions fait, la lame d’eau avait creusé un gouffre à travers le sol et avait coupé en deux les arbres qui se trouvaient à l’extrémité de ce gouffre, avant de s’abattre sur le sol avec fracas.
Ce petit projectile d’eau aurait pu être notre guillotine. Les humains pouvaient lancer un sort appelé Yidle Swiffof qui produisait un effet similaire, mais beaucoup plus lentement et à une échelle beaucoup plus petite. De plus, un mage humain avait besoin d’un intervalle de quelques secondes à une demi-minute entre deux sorts, alors qu’un aqua hathur pouvait lancer la magie de l’eau aussi facilement que nous utilisions nos membres, ce qui lui permettait de répéter rapidement le sort.
Une série de lames liquides mortelles volèrent dans notre direction. En les esquivant toutes, nous gagnâmes du terrain en direction de l’aqua hathur. Heureusement pour nous, ce n’était qu’un animal stupide. Cela peut paraître insensible, mais il n’était pas assez intelligent pour voir une direction dans nos mouvements et utiliser ses sorts pour nous barrer la route. Cette créature aurait été un ennemi terrifiant si elle avait eu l’intelligence d’un humain moyen. Elle n’en restait pas moins mortelle. C’est juste que, peu importe la fatalité d’un sort, il ne servirait à rien s’il n’atteignait jamais son but.
« Maintenant ! Je l’ai ! »
J’avais sauté devant l’aqua hathur avant qu’Augurey n’en ait l’occasion et j’avais tendu la main vers le petit monstre. Bien sûr, l’aqua hathur était composé d’eau, donc je ne pouvais pas l’attraper par des moyens normaux, mais le mana maintenait son corps ensemble, tout comme le mana maintient les os d’un squelette en place.
Tant que l’on contenait le mana de l’aqua hathur, on pouvait le ramasser, soi-disant. Grâce à leurs recherches, nous disposions désormais d’objets magiques qui nous permettaient de toucher et d’interagir avec des monstres moins solides comme l’aqua hathur. Augurey et moi avions chacun une paire de ces objets magiques en main, grâce à Lorraine. Notre premier plan était de les manier et d’attraper le hathur si nous le pouvions.
« Wôw ! Pas de chance ! »
J’avais réussi à l’attraper, mais l’aqua hathur m’avait échappé en se tortillant. Il s’était enfui, s’éloignant tant bien que mal et dispersant ce qui était un groupe de plusieurs aquas hathurs. Lorsque notre cible originale passa devant Augurey, il tendit la main vers la créature, mais ne put même pas la toucher. Ce n’était pas qu’Augurey était incompétent, mais l’aqua hathur était tout simplement très rapide.
Même en courant, ils continuaient à tirer leurs lames d’eau. Il était impossible d’esquiver ces lames et d’attraper un aqua hathur. Il y avait bien quelques solutions pour tuer le monstre, comme des sorts qui ciblaient une zone plutôt qu’un monstre en particulier, mais… Je suppose que c’est probablement la raison pour laquelle ce travail avait pris la poussière jusqu’à ce qu’Augurey le prenne.
Lorsqu’un aventurier acceptait un travail, il se devait de le mener à bien. Augurey et moi n’avions pas réussi à attraper un aqua hathur, mais ce n’était que notre première tentative. Notre meilleure chance restait à venir. Nous nous étions concentrés sur l’un d’entre eux qui avait fui dans la bonne direction pour que nous puissions commencer notre approche.
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« Qu’est-ce que vous faites ? » demanda Ferrici à Lorraine, visiblement déconcertée par le travail de cette dernière.
Elles se trouvaient dans une impasse formée par des rochers, sur lesquels Lorraine dessinait des cercles magiques d’une grande complexité. La façon dont ses doigts fins brillaient et scintillaient sur les rochers était digne d’un chef-d’œuvre d’artiste. Pour l’instant, les cercles magiques n’avaient pas encore fait effet, à ce qu’il paraît, et c’était donc tout naturellement que Ferrici se montra curieuse.
Lorraine expliqua : « Je suis en train de tisser un filet pour entourer un aqua hathur. Je pourrais faire apparaître un filet par la magie seule, mais il va le remarquer et il va trop vite. J’aurais pu le lancer au bon moment, mais c’est plus sûr. Avec les cercles magiques, je peux l’activer dès qu’un aqua hathur passe par ici. Après avoir investi tout mon mana dans ces cercles, je ferais bien de faire une sieste. »
La paresse effrontée de Lorraine mise à part, tout ce qu’elle avait dit à Ferrici était vrai, même si elle avait omis une chose : elle ne voulait pas risquer de créer et de contrôler un filet magique tout en jetant un bouclier sur Ferrici pour la protéger, de peur de ne pas réussir à le faire. Et si Lorraine pouvait lui faciliter la tâche avec un travail préparatoire supplémentaire, elle choisissait cette option à chaque fois plutôt que d’attendre et de s’inquiéter de ce qui pourrait mal tourner.
« Cela devrait suffire », dit-elle en se levant. « Les cercles sont prêts. Prenons du recul et profitons de la comédie mettant en scène Rentt et Augurey. »
Si l’un d’entre eux avait entendu cette remarque, il aurait pu en être scandalisé.
Lorraine et Ferrici se placèrent à une certaine distance, mais suffisamment près pour observer le piège. Peu après, un aqua hathur surgit, suivi d’un homme portant un masque de squelette et agitant sa robe noire, et d’un autre homme vêtu d’une tenue à motifs de paon qui faisait mal aux yeux après une exposition prolongée.
L’aqua hathur ne se contentait pas de fuir la paire, il tirait continuellement des lames d’eau à l’arrière, forçant ses poursuivants à les esquiver.
« Arrête tout de suite, petit… ! »
« Abandonne maintenant ! »
La scène était pour le moins comique. Cependant, le spectacle atteignit son apogée lorsque la créature arriva dans l’impasse où travaillait Lorraine. Dès que l’aqua hathur posa le pied dans la zone, les cercles magiques émirent des lumières qui ressemblaient à une décharge électrique, formant une cage autour de l’insaisissable chat d’eau. La créature tenta néanmoins de s’échapper et entra en contact avec le fil électrique. Les lumières clignotèrent et l’aqua hathur s’effondra sur place.
Les aventuriers auraient pu craindre qu’il soit mort s’ils n’avaient pas su que les aqua hathurs ne conservaient pas leur forme lorsqu’ils mouraient. Lorsqu’ils retournaient à la nature, ils devenaient simplement une masse d’eau et s’enfonçaient dans le sol. Par conséquent, le groupe avait pu constater que cet aqua hathur était inconscient, mais vivant.
« Ça a bien marché. Allons les rejoindre. Rentt et Augurey ne peuvent rien faire sans cage », dit Lorraine en portant une cage qui semblait s’être matérialisée de toutes pièces. Elle était manifestement destinée aux aquas hathurs, car elle était visiblement différente d’une cage ordinaire conçue pour accueillir des animaux normaux. Le haut et le bas étaient ornementés, et les barreaux n’étaient pas en métal, mais constitués des mêmes stries électriques qui avaient piégé l’aqua hathur dans la formation rocheuse.
En fait, Lorraine s’était approchée de l’aqua hathur inconscient, l’avait saisi avec sa main gantée et l’avait placé dans la cage. La créature se réveilla, poussa un grand cri et chargea les barreaux électriques. Après une décharge crépitante, elle céda et s’installa.
L’électricité de la cage à main était certes moins puissante que celle du piège sur les rochers, mais l’aqua hathur avait tout de même l’air assez pitoyable dans son état actuel. Même si le monstre venait de déchaîner des lames d’eau mortelles contre le groupe, quelque chose dans son apparence attirait une sympathie inconditionnelle.
Lorraine le vit sur le visage de Ferrici et ajouta : « Cet aqua hathur sera gardé par une noble de la capitale. Il portera un collier magique qui l’empêchera de jeter des sorts, mais il ne sera pas maltraité. Ne vous inquiétez pas. »
Ferrici semblait visiblement soulagée.
merci pour le chapitre