Chapitre 5 : Remerciements de la part de la fille du village
Partie 3
« L’une de nos tâches consiste donc à récolter des elatas de wyverne. Comment procédez-vous habituellement ? » avais-je demandé. Les cargaisons d’elatas de wyvernes qui étaient arrivées pendant la saison des amours des wyvernes mimétiques devaient être l’œuvre de Ferrici.
C’est là que le bât blesse : même si Ferrici parvient à s’approcher des wyvernes sans se faire attaquer, il ne sera pas facile d’atteindre l’endroit où se trouve l’elata. Les elatas de wyvernes poussaient près de leurs nids, qui se trouvaient exclusivement sur la face supérieure des pierres flottantes. Pourquoi étaient-ils si difficilement accessibles ? Parce qu’on disait que la plante poussait à partir des excréments des wyvernes, et que les wyvernes ne se posaient sur les pierres flottantes que pendant la saison des amours.
On trouvait parfois des elatas de wyvernes au milieu des bois, mais il s’agissait alors de crottes de wyverne tombées en plein vol et qui atterrissaient loin de la pierre flottante. Les elatas n’avaient jamais atteint une taille impressionnante, mais j’avais toujours ramassé ceux que j’avais trouvés. Dans cette zone, cependant, l’elata poussait exclusivement sur les pierres flottantes. D’autres végétaux poussaient également sur les pierres, si bien que grimper sur les lianes pouvait être un moyen d’atteindre notre objectif, mais je doutais que Ferrici y parvienne, d’où ma question.
Ferrici avait répondu : « En général, j’en choisis une pour qu’elle me les apporte. »
« Qu’est-ce que cela veut dire ? » demanda Lorraine, comme si elle ne voulait pas croire ce qu’elle avait entendu.
Ferrici décida de nous montrer ce qu’elle voulait dire. « Eh bien… Celle-là a l’air bien. Hé ! » Elle fit un signe de la main à une wyverne qui rêvassait, et la créature se tourna vers Ferrici avant de s’envoler. Elle atterrit à côté de nous et se blottit contre le visage de Ferrici.
« Sa capacité lui permet de faire plus que de s’approcher d’eux…, » murmura Lorraine.
« Elle convient parfaitement à un chevalier dragon ou à un cavalier-wyverne. Je l’embaucherais sur-le-champ », ajouta Augurey.
Ce serait sa vocation si elle pouvait connaître l’état d’une wyverne rien qu’en s’approchant d’elle et même lui donner des ordres de base sans avoir à la dresser. Les deux professions qu’Augurey avait énumérées étaient assorties d’un salaire et d’un statut assez élevés. Ferrici serait immédiatement embauchée pour l’une ou l’autre de ces professions recherchées.
« Je ne pourrais pas faire une chose pareille », déclara Ferrici. « Je peux juste leur demander une petite faveur. Oh, celle qui est là-bas a l’air bien aussi. » Ferrici rassembla bientôt quatre wyvernes en tout. « Maintenant, montez sur leur dos. Elles nous emmèneront là-haut. »
Elle désigna la plus grande pierre flottante que nous pouvions voir, ornée de tant de végétation qu’on aurait dit qu’une petite forêt se dressait à son sommet, surtout si on la compare aux autres pierres flottantes des environs. Nous pouvions voir des wyvernes voler vers et depuis la pierre, il y avait donc fort à parier qu’il y avait de l’elata à son sommet.
« Êtes-vous sûrs que nous pouvons les monter ? » avais-je demandé.
Ferrici acquiesça. « C’est sans danger. Sauf si vous volez trop loin de moi, mais certains de mes amis du village l’ont déjà fait. Vous vous souvenez des deux filles avec qui j’étais au bar ? »
« Ces deux-là. Ont-elles aussi monté une wyverne ? »
Cela signifiait qu’elles étaient au courant de la capacité spéciale de Ferrici. Je m’étais souvenu qu’aucune d’entre elles n’avait dit un mot à ce sujet lorsque nous leur avions posé des questions après que Ferrici eut quitté le bar. Elle avait de bonnes amies.
« C’est vrai. Et elles les ont emmenées jusqu’à cette île. Il n’y a pas de quoi s’inquiéter. »
Refuser cette offre me détruirait en tant qu’aventurier. Qui engagerait un aventurier plus lâche qu’une villageoise moyenne ? Je ne risquais pas de me retrouver au chômage, mais je ne vivrais jamais cette expérience. Rentt le lâche. Rentt le trouillard. Je pouvais entendre les surnoms moqueurs maintenant, et je n’étais pas prêt à en faire une réalité.
Je m’étais redressé et j’avais sauté sur le dos de la wyverne. C’était étonnamment confortable et je me sentais en sécurité. Je m’attendais à ce que les wyvernes soient plus visqueuses, mais je m’étais trompé. La peau de la wyverne était sèche et douce au toucher, mais pas au point de me faire glisser de son dos. J’avais l’impression d’être assis sur un canapé en cuir bien fait.
« Ce n’est pas si mal… », avais-je fait remarquer.
« Je dirais que c’est le cas », déclara Augurey.
Lorraine et Augurey avaient l’air aussi amusés que moi.
Ces wyvernes n’avaient pas de rênes, bien sûr, et je me demandais où m’accrocher quand Ferrici parla : « Tout le monde ! Accrochez-vous à leurs cornes pour ne pas tomber ! »
Les cornes de chaque wyverne étaient assez grandes. Celles de ma wyverne étaient juste de la bonne taille, contrairement aux cornes de certaines des plus grandes wyvernes du coin.
En nous voyant tendre timidement les cornes de la wyverne, Ferrici sourit et s’écria : « C’est parti ! »
La wyverne de Ferrici s’éleva la première, et les nôtres suivirent. Elles n’étaient pas montés trop vite — un peu plus lentement que moi volant avec mes propres ailes — mais Lorraine et Augurey semblaient légèrement choqués par cette nouvelle sensation. Ils s’amusaient tout de même, mais d’une manière différente de celle à laquelle je m’attendais.
Augurey s’était écrié : « C’est génial ! »
« Ce serait très pratique pour la cartographie », se dit Lorraine.
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« Nous voici… »
Après un vol tranquille, nous avions atterri sur l’une des pierres flottantes. Par « nous », j’entends bien sûr les wyvernes. J’étais le seul d’entre nous qui aurait pu atterrir sans aide. Enfin, peut-être pas.
« Quelle expérience ! Je n’aurais jamais imaginé voler sur le dos d’une wyverne », dit Lorraine, l’air satisfait.
« Les wyvernes vont-elles nous attendre ici ? » demanda Augurey à Ferrici, apparemment plus préoccupé par notre situation que par l’importance de l’expérience.
Elle acquiesça. « Oui. Il faut juste que je leur demande. »
« C’est bien. Nous n’aurons pas à trouver nous-mêmes le chemin du retour. »
Si les wyvernes nous abandonnaient, notre seul moyen de quitter la pierre flottante serait de sauter. Lorraine pouvait très bien trouver quelque chose avec la magie, mais il était rassurant de savoir que notre voyage de retour se ferait par une méthode familière.
« Maintenant que nous avons notre plan de sortie, mettons la main sur des elatas de wyvernes. Savez-vous où elles poussent ? » demanda Lorraine à Ferrici.
« C’est le cas. Je l’ai recueilli à plusieurs reprises. Par ici. »
Ferrici s’était mise à marcher. Nous nous étions précipités à sa suite, sachant pertinemment que, que nous étions sur ou hors de la pierre flottante, nous serions envahis par des wyvernes dès que nous serions trop éloignés d’elle.
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« Un nid de wyverne… Je n’arrive pas à croire que nous en soyons proches », murmura Lorraine en le regardant avec grand intérêt.
Le nid, construit à partir des branches et des os de monstre, était assez grand pour qu’une personne ou deux s’y couchent. Il avait même semblé un peu petit considérant comment étaient les wyvernes, mais j’avais pensé qu’un plus grand nid pourrait être gênant en raison de combien de pierres flottantes étaient dans le secteur et combien de wyvernes avaient été rassemblés ici. Peut-être la nature avait une manière de maintenir l’équilibre avec ces choses.
Ce qui se trouvait à l’intérieur du nid avait piqué encore plus notre curiosité.
Lorraine s’exclama à voix basse. « Des œufs et des oisillons. C’est un spectacle que je n’aurais jamais cru voir un jour. »
Dans le nid se trouvaient des œufs de wyverne non éclos et de jeunes wyvernes qui semblaient n’avoir que quelques jours. Leur mère les nourrissait de bouche à bouche comme des oiseaux. Leur apparence était également celle d’un oiseau, les faisant ressembler à des poussins couverts de plumes bleues et douces. Leur taille, en revanche, était très différente de celle des autres oiseaux : les oisillons étaient déjà aussi grands que des poulets adultes. Même les œufs étaient trop gros pour être portés à bout de bras.
« J’aimerais bien casser un de ces œufs sur une plaque de cuisson », s’amusa Lorraine.
Ferrici lui lança un regard mauvais. « Non, Lorraine. » Il était clair que les wyvernes comptaient beaucoup pour elle. Elles seraient importantes pour moi aussi si je pouvais comprendre un peu leurs pensées et qu’elles obéissaient à mes ordres.
« Je suis désolée, c’était une blague », s’excusa Lorraine. « Même si j’étais affamée, je ne pourrais pas finir un œuf aussi gros. »
Le regard noir de Ferrici s’était quelque peu atténué.
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« Par ici », nous déclara Ferrici.
Nous l’avions suivie jusqu’à une clairière, après avoir dépassé le groupe de nids de wyvernes mimétiques. Elle nous avait dit que la plupart des elatas de wyverne se trouvaient à une certaine distance de leurs nids, et c’est vrai, nous avions poussé un soupir collectif de stupéfaction en arrivant dans un bosquet où se trouvaient plus de l’elatas de wyverne que je n’en avais jamais vus.
Les proportions des plantes étaient tout aussi impressionnantes que la quantité qui se trouvait devant nous. Elles étaient bulbeuses, avec des tiges épaisses et des fleurs sur le dessus et les côtés. La plupart des spécimens étaient considérés comme adultes si la tige était aussi épaisse que le pouce, mais chaque elata que nous avions pu voir avait des tiges plusieurs fois plus épaisses. Alors que la hauteur moyenne de la plante m’arrivait à la taille, plusieurs d’entre elles dépassaient nos têtes.
« Je n’ai jamais rien vu de tel », marmonna Lorraine, émerveillée. Elle se tourna vers Ferrici et lui demanda : « Vous les vendez ? Je m’attendais à ce que quelqu’un s’en aperçoive. Tous ceux qui les verront demanderont où elles poussent, et j’imagine que n’importe quel herboriste ou alchimiste cherchera à s’en procurer à tout prix. »
Ferrici répondit : « Je vis peut-être dans un village isolé, mais j’y ai déjà pensé. Je ramasse et je vends toujours les plus petits, comme ceux qui se trouvent dans le coin. » Elle pointa du doigt la lisière du fourré où les spécimens en question étaient plus petits — comme ceux que l’on trouve au marché, ou peut-être un peu plus petits.
« Comment font-ils pour grandir autant ? » demanda Augurey.
« Je pense que c’est parce que les wyvernes qui nichent sur cette pierre n’y laissent que leurs excréments. J’ai entendu dire qu’elles fertilisent l’elata, et il y a beaucoup de wyvernes sur cette pierre. J’ai vérifié beaucoup d’autres pierres flottantes, mais aucune d’entre elles ne pousse autant que celle-ci. »
Lorraine acquiesca. « La nature trouve un moyen. Les résultats devraient être similaires dans d’autres environnements où l’on trouve des pierres flottantes de cette taille. Je chercherai peut-être d’autres endroits un jour », marmonna-t-elle, probablement sérieuse. Les sites d’accouplement des wyvernes étant difficiles à trouver, la tâche devrait s’avérer pour le moins ardue.
« Rassemblons-en quelques-uns », avais-je dit. « Les petites, celles qui passent inaperçues, bien sûr. Mais cela ne vous dérange pas si je prends quelques-uns des plus grands pour mon usage personnel ? »
« Pas du tout », répond Ferrici. « Si vous savez garder un secret. »
merci pour le chapitre