Nozomanu Fushi no Boukensha – Tome 10 – Chapitre 5

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Chapitre 5 : Remerciements de la part de la fille du village

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Chapitre 5 : Remerciements de la part de la fille du village

Partie 1

Augurey était rentré tard dans la nuit et nous avait raconté qu’il avait fallu du temps pour éclaircir un malentendu avec les parents de Ferrici. Compte tenu de la situation inhabituelle dans laquelle nous nous trouvions, je n’avais pas été trop surpris d’entendre cela. Quoi qu’il en soit, nous devrions exécuter correctement le travail demain — techniquement aujourd’hui.

Augurey était allé se coucher peu après son retour à l’auberge, si bien que nous n’avions pas pu tenir notre réunion de préparation. Cela ne m’inquiétait pas outre mesure. Nous avions déjà décidé de la façon de traiter la demande avant d’arriver au village, et la seule chose que j’avais en tête pour l’ordre du jour de la réunion était de revoir notre plan.

Ce n’était pas un travail facile, et nous échouerions probablement si nous sous-estimions la difficulté, mais ni Augurey ni Lorraine ne feraient cela. Par exemple, Augurey ne s’était pas précipité au lit par paresse. Il voulait se reposer suffisamment pour que ses performances ne soient pas affectées le lendemain. Lorraine s’était empressée de faire de même pour la même raison.

J’avais déjà suffisamment dormi, il ne me restait plus qu’à tuer le temps jusqu’à ce que le soleil se lève. Je pouvais me coucher si je le voulais vraiment, mais cela ne servait pas à grand-chose. Parfois, cela me fatiguait encore plus que de rester debout.

Mon corps présentait quelques avantages, mais la solitude nocturne n’en faisait pas partie. Pas de douleur, pas de gain, disait-on. En échange d’un sommeil bienfaisant, j’avais la chance d’atteindre la classe Mithril. Je ne pouvais pas me plaindre, tout compte fait. Néanmoins, j’avais toujours envie de redevenir humain. Si seulement je pouvais être un humain et conserver ces pouvoirs. J’étais trop gourmand, je suppose. Un jour, il faudrait choisir, je le sentais bien. Il faudrait que j’y réfléchisse vraiment.

Il me semblait que je ruminais toujours quelque chose quand j’étais seul. Je souhaitais que le soleil se lève déjà.

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« Allons-y », dit Lorraine.

Nous étions tous les trois devant l’auberge. Après la sieste de Lorraine et d’Augurey, le matin était arrivé. Même après tout ce qui s’était passé, l’aubergiste nous avait gracieusement préparé le petit déjeuner, que nous avions gracieusement accepté.

Nous étions tous les trois préparés et habillés pour le travail. Nous portions nos armures, nos armes et les outils nécessaires. Nous avions rangé nos vêtements de voyage dans un sac magique pour ne pas laisser de bagages dans nos chambres. Nous faisions confiance à l’aubergiste et aux autres villageois, mais pas au Gobelin ni à la Sirène. Mieux vaut prévenir que guérir, avions-nous décidé.

« Je pense que nous sommes prêts. Vous souvenez-vous de notre objectif ? » demanda Augurey, en vérifiant deux fois.

« Bien sûr, » répondis-je. « Capturons un aqua hathur vivant, recueillons la boue ou l’argile d’un golem luteum, et rassemblez quelques elatas de wyverne. »

Augurey acquiesça. « Et comment allons-nous faire ? »

Lorraine prit le relais. « Nous devons d’abord localiser l’aqua hathur. Il a été repéré autour du lac Petorama, mais ce monstre est pratiquement une fée. Tant que nous le trouvons, je m’en occuperai avec de la magie. »

« Bien. On compte sur toi, Lorraine. Rentt et moi ne serons pas d’une grande aide. »

On pourrait penser qu’il est présomptueux de la part d’Augurey de m’inclure dans son commentaire, mais il avait tout à fait raison. Je n’avais pas pu faire beaucoup d’ajustements aux quelques sorts que je pouvais lancer, et aucun d’entre eux n’était de haut niveau. Augurey n’était pas beaucoup plus doué pour les sorts, il préférait l’épée. Il avait un peu de magie dans sa manche, comme j’en avais avant de me transformer en monstre. La plupart de ces sorts servaient à améliorer la qualité de vie, comme allumer un feu ou obtenir de l’eau potable.

Lorraine secoua la tête. « Je ne dirais pas cela. Le plan est que je lance le filet et que vous le poursuiviez tous les deux. Vous aurez plus de travail que moi. »

« Tout ce que nous avons, c’est de l’endurance physique. Beaucoup plus facile que la magie. »

« Tu l’as dit. »

Augurey et moi avions bombé le torse, à l’exaspération de Lorraine. Elle n’était cependant pas en désaccord.

« Je ne peux pas dire que je n’ai pas l’endurance nécessaire », déclara Lorraine. « Disons que nous nous mettons dans les bons rôles. Quant à la boue ou à l’argile d’un golem luteum… »

« C’est délicat », répondit Augurey. « Abattre les golems est une chose, mais nous devons mettre la main sur ce dont ils sont faits. »

« C’est à pile ou face quand au fait que nous aurons un golem à base de boue ou à base d’argile, selon le degré d’humidité qu’il contient. Espérons que nous aurons de l’argile. »

Un golem luteum peut être un blob visqueux de boue ou une structure solide d’argile. Les deux étaient considérés comme le même monstre, malgré leur différence de forme. J’avais quelques mots à dire au chercheur qui avait pris cette décision, mais la nature du mana du golem luteum, ainsi que la matière dont il était composé, étaient apparemment presque identiques. Sécher un golem à base de boue le transformerait en golem d’argile, et ajouter de l’eau à la variante à base d’argile la transformerait en golem de boue.

Les matériaux que l’on peut extraire de la terre dans cette région se distinguent clairement de la boue et de l’argile, et leur composition est donc plus complexe qu’il n’y paraît. C’est pourquoi notre mission exigeait un golem d’argile ou de boue. Nos recherches nous avaient appris que les deux variantes avaient été repérées autour du lac Petorama, ce qui laissait notre rencontre potentielle au hasard. Si nous n’avions pas eu à terminer nos trois missions avant la fin de la journée, nous aurions pu attendre un golem d’argile, mais nous devions nous contenter de la première rencontre possible. L’argile devrait rendre la collecte plus facile et moins salissante, alors croisons les doigts.

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Lorraine grogna, les bras croisés. « Et après ça, nous avons l’elata de wyverne. » Elle s’inquiétait plus de l’effort que de la difficulté de la tâche.

« Cela risque d’être dur… Nous devons garder la tête froide. De toute façon, nous devons nous occuper de cette question pour accéder à nos autres matériaux », déclara Augurey.

Notre seul moyen d’entrer était de passer directement par le lieu de reproduction des wyvernes mimétiques. Les wyvernes étaient considérées comme relativement pacifiques à n’importe quel autre moment de l’année, mais pendant la saison des amours, s’approcher d’elles risquait fort de les faire attaquer. Se frayer un chemin à travers leurs aires de reproduction signifiait que nous devrions traverser des centaines, voire des milliers de wyvernes. Je ne pouvais pas imaginer une tâche plus fastidieuse pour l’instant.

« Nous savions à quoi nous nous engagions », avais-je dit. « Nous n’avons plus qu’à rester sur nos gardes et à avancer. Si nous avons de la chance, elles resteront à l’écart une fois que nous en aurons assommé quelques-uns, n’est-ce pas ? »

« Il n’y a pas de garantie, mais espérons-le. Nous ne pouvons rien faire avant d’y être. » Lorraine soupira et se mit à marcher à contrecœur, uniquement poussée par l’obligation professionnelle.

Alors qu’Augurey et moi nous apprêtions à la suivre, j’entendis une voix qui appelait depuis plus loin. « Attendez ! » Plus exactement, la voix familière avait appelé depuis le bas de la rue.

« Il y a Ferrici », observa Augurey.

C’était bien Ferrici, qui tenait quelque chose dans sa main.

Elle finit par nous rejoindre, essoufflée. Contrairement à la jupe épaisse adaptée à la vie au village qu’elle portait au bar, sa tenue était plus ajustée, ce qui lui permettait de se mouvoir avec aisance.

« Qu’est-ce qu’il y a ? S’est-il passé quelque chose ? » demandai-je. Nous ne savions toujours pas où était l’autre complice du Gobelin ni ce qu’il faisait. Je craignais qu’ils aient attaqué Ferrici, sa famille, ou d’autres personnes du village, d’une manière ou d’une autre.

Ferrici secoua la tête. « Oh, non. Je voulais juste… Tenez. » Elle sortit un panier tressé avec de la végétation séchée.

Augurey l’accepta et jeta un coup d’œil à l’intérieur. « Vous nous avez préparé un repas ? Il a l’air délicieux. » Il se tourna vers nous. « Regardez. »

Lorraine et moi nous étions penchés pour voir un éventail d’aliments frais que nous n’aurions pas rêvé d’emporter dans notre longue expédition : des sandwichs au jambon et au fromage rôtis, une salade de légumes si frais qu’ils avaient dû être cueillis le matin même, et des fruits parfaitement mûrs. Nous avions déjà une bonne ration de nourriture avec nous, mais la plus grande partie était conservée pour de longues durées. Nous ne pouvions pas garder de la nourriture fraîche dans nos sacs pendant des jours. Une partie était fraîche, mais nous sous-estimions toujours la quantité dont nous aurions besoin, car nous ne voulions pas gaspiller de nourriture. Une fois qu’il n’y en avait plus, nous nous nourrissions exclusivement d’aliments conservés. Avec un peu de cuisson, ils avaient un goût convenable, et un peu de recherche dans la forêt nous permettait d’obtenir des légumes verts comestibles. À ce stade, nous avions encore un peu de nourriture périssable avec nous, mais ce n’était rien comparé à un panier rempli de nourriture fraîchement préparée.

« Vous êtes sûre que c’est pour nous ? » demanda Augurey.

C’était évidemment le cas, mais Ferrici ne l’avait pas dit explicitement. Le risque qu’elle nous ait montré la nourriture pour nous rendre jaloux était nul. Il faudrait qu’elle soit très vindicative pour faire ça.

Ferrici répondit : « Bien sûr. Ce sont mes parents qui l’ont fait. En guise de remerciement. »

Augurey gloussa et marmonna : « Je leur ai dit qu’ils n’avaient rien à faire. »

« N’aurais-je pas dû l’apporter ? »

« Non, j’adore ça. N’est-ce pas, les gars ? » demanda Augurey.

« Sans cela, nous aurions dû nous contenter d’un ragoût de wyverne. Merci », dis-je.

« Le goût n’est pas trop mauvais, » expliqua Lorraine, « Mais c’est parfois trop gras, alors ce n’est pas ma tasse de thé. Nous avons rarement le luxe de profiter de notre repas pendant notre travail. Merci beaucoup, Ferrici. Transmettez également nos remerciements à vos parents. » Son grandiose discours de gratitude était probablement plus authentique qu’il n’y paraissait, étant donné qu’elle avait un appétit étonnamment grand.

« S’il vous plaît… » Ferrici secoua la tête. « Ce n’était rien. »

Je m’étais tourné vers Augurey. « Je vais garder ça. Je me sentirais mal si on se battait avec ça dans les mains et qu’on secouait tout. »

« Ton sac magique est un peu plus grand que le nôtre, n’est-ce pas ? Je vais te prendre au mot », répondit Augurey.

Avec un peu de finesse, mon sac pouvait contenir une tarasque, le panier ne posait donc pas de problème. J’avais approché le panier de l’ouverture du sac et il s’était glissé à l’intérieur, à la grande surprise de Ferrici. Je ne m’attendais pas à ce qu’elle ait déjà vu quelque chose de ce genre dans son village reculé, cela coûtait plus de deux mille pièces d’or, après tout. On pouvait acheter une maison avec autant d’argent.

« Nous devrions y aller », dit Augurey à Ferrici, mais elle l’avait saisi par la manche.

« Encore une chose ! »

Nous nous étions arrêtés, et Augurey avait demandé pour nous tous : « Oui ? Qu’est-ce qu’il y a ? »

Ferrici resta un moment la tête pendante, hésitante, puis elle parla avec détermination. En fait, elle s’adressait surtout à Augurey, mais peu importe.

« Vous voulez savoir comment passer les terrains d’accouplement des wyvernes mimétiques, n’est-ce pas ? Je vais vous dire comment faire. »

Son offre nous avait surpris. Nous savions qu’elle possédait très probablement ces informations, mais nous ne pensions pas qu’elle serait disposée à les partager en raison de leur importance et du danger potentiel qu’elles représentent. Il semblerait maintenant qu’elle ait changé d’avis. C’était une très bonne nouvelle pour nous — trop bonne, même.

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Partie 2

« Vous n’avez pas à partager cette information avec nous, Ferrici. N’est-ce pas un secret qui vous est cher ? » demanda Augurey avec inquiétude.

Si nous avions été moins communicatifs, l’un d’entre nous aurait pu se sentir vexé qu’il soit venu ruiner nos chances de réussir notre travail, mais nous étions toujours parvenus à un consensus lorsqu’il s’agissait de principes de ce genre. Si Ferrici ne voulait pas parler, nous ne voulions pas faire pression sur elle. Ni Lorraine ni moi n’avions donc vu d’inconvénient à ce qu’Augurey vérifie à nouveau auprès de Ferrici.

Ferrici acquiesça et répondit tranquillement : « C’est vrai. Mais, Augurey, vous m’avez sauvé la vie. Rentt, Lorraine… Vous n’avez non plus tué personne du village. Je sais qu’il aurait été plus facile pour vous de les tuer que de nous retenir tous sains et saufs. »

C’est vrai. Lorraine aurait pu brûler tout le village avant la fin de la nuit. Je suppose que j’aurais pu drainer le sang de toutes les âmes alentour. Augurey les aurait simplement tués un par un, je suppose. Pourtant, il aurait pu anéantir le village en moins d’une demi-journée. Nous serions partis sans rien perdre.

Mais nous n’étions pas des barbares, et il n’était pas certain que cela nous permette d’être vraiment tranquilles. Nous aurions pu nous en sortir sans laisser de témoins s’il n’y avait pas eu le Gobelin et sa bande, mais ils auraient fait en sorte de nous apporter plus d’ennuis que cela n’en valait la peine. Bref, si nous avions laissé les villageois sains et saufs, c’était en grande partie pour notre propre bien, et nous ne méritons donc pas tous ces remerciements.

« C’est pourquoi je voulais vous remercier d’une manière ou d’une autre, mais je ne suis pas une bonne cuisinière et je n’ai pas trouvé d’autre solution. Mais la façon de se faufiler à travers le terrain d’accouplement des wyvernes mémétiques… »

Elle avait dû penser que c’était la seule marque de reconnaissance qu’elle pouvait offrir. C’était attachant, et elle semblait sûre de sa décision.

Augurey avait vu la même chose que moi. « Nous aimerions l’entendre, si vous êtes sûre. Nous jurerons que le secret reste entre nous. Êtes-vous vraiment sûre ? » demanda-t-il encore une fois.

« Oui ! Je vous fais tous confiance ! » dit Ferrici.

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Le lieu de reproduction des wyvernes mimétique se trouvait sur les rives du lac Petorama.

« Il y en a quelques milliers, c’est facile », dis-je de derrière un buisson le long des bois près du lac. « Quiconque essaie de marcher tout droit à travers ça est plus bête qu’un sac de pierres. »

Lorraine roula des yeux. « Dis-le à un miroir. Bien que je sois d’accord, pour la petite histoire. Mais la vue est magnifique. Le bleu ciel des wyvernes mimétique se détache vraiment sur le bleu profond du lac. Et regardez ce fantastique ensemble de pierres flottantes. La théorie veut que de minuscules cristaux magiques contenus dans les pierres produisent cet effet. »

Directement au-dessus du lac Petorama et dans l’air qui l’entourait flottaient des pierres de toutes tailles, des cailloux aux rochers. Elles me rappelaient le quatrième niveau du donjon de la Nouvelle Lune. Celui-ci était aussi grand qu’une maison, et certains d’entre eux étaient aussi gros qu’elle.

Des wyvernes mimétiques s’accrochaient à chaque pierre flottante, façonnant des nids avec des matériaux tels que des branches, des rochers et ce qui ressemblait à des os de monstres. Il y avait sans doute des œufs dans beaucoup de ces nids, mais je ne pouvais pas les voir de là où nous étions. Je pourrais voler au-dessus avec mes ailes et vérifier, mais je serais alors envahi par des wyvernes mimétiques et je m’écraserais, pour devenir leur casse-croûte. Non, merci.

Les pierres flottantes étaient l’une des principales raisons pour lesquelles les wyvernes avaient choisi cette région pour se reproduire, en plus du lac. Tous les lieux d’accouplement confirmés des wyvernes mimétiques présentaient des conditions très similaires.

« La hauteur des pierres doit protéger les nids, » affirma Lorraine. « Comme elles flottent au-dessus du sol, rien ne peut y grimper. On pourrait ramper sur les lianes qui y pendent, mais on faciliterait le travail des wyvernes. »

C’était la sagesse de leur espèce. Toutes les créatures, des animaux aux monstres, savaient tant de choses sans qu’on le leur dise. Lorsque le cliché selon lequel l’espèce la plus stupide devait être l’homme me vint à l’esprit, je revins à la question qui nous occupait.

« Nous aurions fait cette mission suicide sans vous, Ferrici. Êtes-vous sûre que vous serez en sécurité ? » demandai-je en me tournant vers le côté où Ferrici s’était accroupie.

Elle nous avait suivis jusqu’ici, bien qu’elle n’ait aucune compétence en combat, mais elle l’avait fait parce que le moyen de se faufiler à travers les terrains d’accouplement des wyvernes mimétiques, c’était elle.

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« Oui. Je le fais tout le temps. Oh ! Assurez-vous de rester près de moi », dit Ferrici en se levant et en commençant à marcher.

Les wyvernes ne peuplaient pas seulement les pierres flottantes, mais aussi les rives du lac et la zone entre le lac et nous. D’après ce qu’on m’avait dit, elles se positionnaient de manière à pouvoir attaquer toute menace le plus rapidement possible. Nous aurions été la preuve de cette théorie, sauf que…

« Je n’en reviens pas. C’est comme s’ils ne nous remarquaient pas du tout », dit Lorraine, les yeux écarquillés, ce qui était rare.

Je partageais son sentiment. Tout ce que nous faisions, c’était de suivre Ferrici de près, et les wyvernes vaquaient à leurs occupations comme si nous n’étions pas là du tout — en battant des ailes, en se blottissant l’un contre l’autre, etc.

« Elles sont plutôt mignonnes quand on les voit comme ça », déclara Augurey. « On a l’impression que ce sont des oiseaux normaux. »

J’étais d’accord avec cela aussi. J’avais été tenté de tendre la main et de caresser l’un d’entre eux, mais je n’avais absolument pas pris le risque.

« Vous pourriez les toucher doucement, mais elles sont si grosses que vous pourriez vous blesser. Aucun d’entre vous ne le fera, j’en suis sûr », dit Ferrici. Peut-être avait-elle déjà essayé de caresser l’un d’entre eux.

J’avais hésité, puis j’avais demandé : « Ferrici, vous n’êtes pas obligé de répondre si vous ne voulez pas, mais pourquoi les wyvernes sont-elles si inconscientes ? Si nous faisons quelque chose de spécial pour être indétectables, je n’ai aucune idée de ce que c’est. »

« Je n’en suis pas vraiment sûre, » répondit-elle. « Je peux juste dire qu’elles ne m’attaqueront pas. Quand elles sont vraiment en colère, je sens qu’elles m’attaqueraient si je m’approchais d’elles. Mais quand elles sont toutes détendues comme maintenant, je peux sentir qu’elles n’attaqueront pas. »

Cela ressemble étrangement à de l’intuition aveugle. Notre vie à tous dépendait-elle de cette intuition ?

Lorraine interrompit mes pensées fatalistes en me faisant part de sa propre évaluation. « Il doit s’agir d’un autre exemple de capacité spéciale, comme celle du Gobelin ou de la Sirène. »

« Qu’est-ce qui te fait dire cela ? » demanda Augurey.

« J’ai rencontré des gens qui ont ce genre de pouvoirs, et j’ai entendu des histoires sur d’autres. Beaucoup d’entre eux décrivent leurs pouvoirs de la même manière. C’est l’une des principales raisons pour lesquelles la recherche sur la cause de ces pouvoirs est au point mort. Les gens naissent avec ces capacités spéciales et les utilisent principalement de manière intuitive. C’est pourquoi elles sont moins pratiques que la magie. D’ailleurs, la plupart d’entre elles sont inutiles. »

« Que veux-tu dire par “inutile” ? »

« Faire léviter un caillou pendant un court laps de temps, par exemple. La magie peut reproduire le résultat très facilement. De plus, la maîtrise de la théorie et de la technique peut améliorer votre lancer de sorts jusqu’à ce que vous puissiez soulever un rocher, mais ce n’est pas une garantie pour les capacités spéciales. En fait, la plupart des pouvoirs restent stagnants tout au long de la vie de l’utilisateur. D’autres exemples que je connais sont le changement de couleur d’un verre d’eau, ou le fait de léviter un tout petit peu… »

Je suppose qu’ils sont plutôt inutiles, surtout si la magie peut facilement s’y substituer. Si je devais trouver une utilisation efficace, je choisirais la cuisine. Changer la couleur de l’eau (ou éventuellement de n’importe quel aliment) sans aucun additif serait probablement populaire dans les restaurants. Même le pouvoir de faire léviter un caillou pourrait être utile pour casser des œufs tout en gardant les mains propres. Je m’étais demandé si quelqu’un utilisait leur capacité spéciale pour cuisiner. Peut-être que certains s’en servaient, mais ces pouvoirs étaient si rares qu’il n’y avait aucun moyen de les trouver.

« Une capacité spéciale…, » murmura Ferrici. « C’est ça, cette sensation ? Je ne l’ai jamais su. »

Ferrici regarde Lorraine, visiblement émue par son explication. Sa capacité venait d’être clarifiée et validée par quelqu’un d’autre. Je savais ce que cela faisait. Quand Lorraine avait analysé ce que j’étais et comment j’en étais arrivé là, j’avais trouvé cela réconfortant. Ne pas savoir est la chose la plus effrayante, surtout lorsqu’il s’agit de son propre pouvoir.

« Vraiment ? » demanda Lorraine. « Je suppose que c’est normal, quand ces pouvoirs sont rarement reconnus, même dans la capitale. J’ai entendu dire qu’une population plus nombreuse exerçait ces pouvoirs dans les temps anciens. »

« Il n’y en a plus beaucoup maintenant ? » demanda Ferrici en se penchant en avant.

« Pas depuis que la magie a fleuri. En fait, il existe une théorie qui définit la magie comme un système conçu à partir de capacités spéciales. Ce n’est pas une théorie très populaire, mais certaines personnes manifestent des sorts magiques naturellement. Néanmoins, les capacités spéciales n’utilisent pas de mana, mais je suis sûre que de nombreux mages ont essayé de recréer les effets de diverses capacités spéciales. La théorie selon laquelle il s’agit de deux compétences distinctes est plus répandue. »

« Wôw, je me sens comme si un brouillard s’était dissipé. Je me suis souvent demandé comment je faisais… » se souvient Ferrici, indiquant qu’elle ne considérait pas entièrement ce pouvoir comme une bénédiction. Au moins maintenant, Lorraine lui avait donné une étiquette claire pour cela.

« Je ne peux pas non plus répondre à cette question », répondit Lorraine. « Mais ces capacités existent depuis longtemps. Elles ont permis aux humains de survivre avant qu’ils ne commencent à utiliser des armes ou la magie. Parfois, j’émets l’hypothèse que les légendes d’autrefois, qui parlent de héros, de mages et de dieux dotés de pouvoirs qui dépassent de loin les capacités humaines d’aujourd’hui, étaient basées sur des capacités spéciales. On a également dit que les capacités spéciales qui se manifestent à notre époque pâlissent en comparaison de leurs formes d’antan. Quoi qu’il en soit, votre pouvoir n’est pas infâme. D’ailleurs, il nous est d’une grande aide aujourd’hui. » Lorraine essayait d’apaiser les doutes de Ferrici à sa manière.

« Oui. Je me sens beaucoup mieux à ce sujet. Non pas que je puisse fièrement parler de mon pouvoir à tout le village. »

« Je suis d’accord avec vous. Vous devriez garder votre capacité secrète », déclara Lorraine.

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Partie 3

« L’une de nos tâches consiste donc à récolter des elatas de wyverne. Comment procédez-vous habituellement ? » avais-je demandé. Les cargaisons d’elatas de wyvernes qui étaient arrivées pendant la saison des amours des wyvernes mimétiques devaient être l’œuvre de Ferrici.

C’est là que le bât blesse : même si Ferrici parvient à s’approcher des wyvernes sans se faire attaquer, il ne sera pas facile d’atteindre l’endroit où se trouve l’elata. Les elatas de wyvernes poussaient près de leurs nids, qui se trouvaient exclusivement sur la face supérieure des pierres flottantes. Pourquoi étaient-ils si difficilement accessibles ? Parce qu’on disait que la plante poussait à partir des excréments des wyvernes, et que les wyvernes ne se posaient sur les pierres flottantes que pendant la saison des amours.

On trouvait parfois des elatas de wyvernes au milieu des bois, mais il s’agissait alors de crottes de wyverne tombées en plein vol et qui atterrissaient loin de la pierre flottante. Les elatas n’avaient jamais atteint une taille impressionnante, mais j’avais toujours ramassé ceux que j’avais trouvés. Dans cette zone, cependant, l’elata poussait exclusivement sur les pierres flottantes. D’autres végétaux poussaient également sur les pierres, si bien que grimper sur les lianes pouvait être un moyen d’atteindre notre objectif, mais je doutais que Ferrici y parvienne, d’où ma question.

Ferrici avait répondu : « En général, j’en choisis une pour qu’elle me les apporte. »

« Qu’est-ce que cela veut dire ? » demanda Lorraine, comme si elle ne voulait pas croire ce qu’elle avait entendu.

Ferrici décida de nous montrer ce qu’elle voulait dire. « Eh bien… Celle-là a l’air bien. Hé ! » Elle fit un signe de la main à une wyverne qui rêvassait, et la créature se tourna vers Ferrici avant de s’envoler. Elle atterrit à côté de nous et se blottit contre le visage de Ferrici.

« Sa capacité lui permet de faire plus que de s’approcher d’eux…, » murmura Lorraine.

« Elle convient parfaitement à un chevalier dragon ou à un cavalier-wyverne. Je l’embaucherais sur-le-champ », ajouta Augurey.

Ce serait sa vocation si elle pouvait connaître l’état d’une wyverne rien qu’en s’approchant d’elle et même lui donner des ordres de base sans avoir à la dresser. Les deux professions qu’Augurey avait énumérées étaient assorties d’un salaire et d’un statut assez élevés. Ferrici serait immédiatement embauchée pour l’une ou l’autre de ces professions recherchées.

« Je ne pourrais pas faire une chose pareille », déclara Ferrici. « Je peux juste leur demander une petite faveur. Oh, celle qui est là-bas a l’air bien aussi. » Ferrici rassembla bientôt quatre wyvernes en tout. « Maintenant, montez sur leur dos. Elles nous emmèneront là-haut. »

Elle désigna la plus grande pierre flottante que nous pouvions voir, ornée de tant de végétation qu’on aurait dit qu’une petite forêt se dressait à son sommet, surtout si on la compare aux autres pierres flottantes des environs. Nous pouvions voir des wyvernes voler vers et depuis la pierre, il y avait donc fort à parier qu’il y avait de l’elata à son sommet.

« Êtes-vous sûrs que nous pouvons les monter ? » avais-je demandé.

Ferrici acquiesça. « C’est sans danger. Sauf si vous volez trop loin de moi, mais certains de mes amis du village l’ont déjà fait. Vous vous souvenez des deux filles avec qui j’étais au bar ? »

« Ces deux-là. Ont-elles aussi monté une wyverne ? »

Cela signifiait qu’elles étaient au courant de la capacité spéciale de Ferrici. Je m’étais souvenu qu’aucune d’entre elles n’avait dit un mot à ce sujet lorsque nous leur avions posé des questions après que Ferrici eut quitté le bar. Elle avait de bonnes amies.

« C’est vrai. Et elles les ont emmenées jusqu’à cette île. Il n’y a pas de quoi s’inquiéter. »

Refuser cette offre me détruirait en tant qu’aventurier. Qui engagerait un aventurier plus lâche qu’une villageoise moyenne ? Je ne risquais pas de me retrouver au chômage, mais je ne vivrais jamais cette expérience. Rentt le lâche. Rentt le trouillard. Je pouvais entendre les surnoms moqueurs maintenant, et je n’étais pas prêt à en faire une réalité.

Je m’étais redressé et j’avais sauté sur le dos de la wyverne. C’était étonnamment confortable et je me sentais en sécurité. Je m’attendais à ce que les wyvernes soient plus visqueuses, mais je m’étais trompé. La peau de la wyverne était sèche et douce au toucher, mais pas au point de me faire glisser de son dos. J’avais l’impression d’être assis sur un canapé en cuir bien fait.

« Ce n’est pas si mal… », avais-je fait remarquer.

« Je dirais que c’est le cas », déclara Augurey.

Lorraine et Augurey avaient l’air aussi amusés que moi.

Ces wyvernes n’avaient pas de rênes, bien sûr, et je me demandais où m’accrocher quand Ferrici parla : « Tout le monde ! Accrochez-vous à leurs cornes pour ne pas tomber ! »

Les cornes de chaque wyverne étaient assez grandes. Celles de ma wyverne étaient juste de la bonne taille, contrairement aux cornes de certaines des plus grandes wyvernes du coin.

En nous voyant tendre timidement les cornes de la wyverne, Ferrici sourit et s’écria : « C’est parti ! »

La wyverne de Ferrici s’éleva la première, et les nôtres suivirent. Elles n’étaient pas montés trop vite — un peu plus lentement que moi volant avec mes propres ailes — mais Lorraine et Augurey semblaient légèrement choqués par cette nouvelle sensation. Ils s’amusaient tout de même, mais d’une manière différente de celle à laquelle je m’attendais.

Augurey s’était écrié : « C’est génial ! »

« Ce serait très pratique pour la cartographie », se dit Lorraine.

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« Nous voici… »

Après un vol tranquille, nous avions atterri sur l’une des pierres flottantes. Par « nous », j’entends bien sûr les wyvernes. J’étais le seul d’entre nous qui aurait pu atterrir sans aide. Enfin, peut-être pas.

« Quelle expérience ! Je n’aurais jamais imaginé voler sur le dos d’une wyverne », dit Lorraine, l’air satisfait.

« Les wyvernes vont-elles nous attendre ici ? » demanda Augurey à Ferrici, apparemment plus préoccupé par notre situation que par l’importance de l’expérience.

Elle acquiesça. « Oui. Il faut juste que je leur demande. »

« C’est bien. Nous n’aurons pas à trouver nous-mêmes le chemin du retour. »

Si les wyvernes nous abandonnaient, notre seul moyen de quitter la pierre flottante serait de sauter. Lorraine pouvait très bien trouver quelque chose avec la magie, mais il était rassurant de savoir que notre voyage de retour se ferait par une méthode familière.

« Maintenant que nous avons notre plan de sortie, mettons la main sur des elatas de wyvernes. Savez-vous où elles poussent ? » demanda Lorraine à Ferrici.

« C’est le cas. Je l’ai recueilli à plusieurs reprises. Par ici. »

Ferrici s’était mise à marcher. Nous nous étions précipités à sa suite, sachant pertinemment que, que nous étions sur ou hors de la pierre flottante, nous serions envahis par des wyvernes dès que nous serions trop éloignés d’elle.

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« Un nid de wyverne… Je n’arrive pas à croire que nous en soyons proches », murmura Lorraine en le regardant avec grand intérêt.

Le nid, construit à partir des branches et des os de monstre, était assez grand pour qu’une personne ou deux s’y couchent. Il avait même semblé un peu petit considérant comment étaient les wyvernes, mais j’avais pensé qu’un plus grand nid pourrait être gênant en raison de combien de pierres flottantes étaient dans le secteur et combien de wyvernes avaient été rassemblés ici. Peut-être la nature avait une manière de maintenir l’équilibre avec ces choses.

Ce qui se trouvait à l’intérieur du nid avait piqué encore plus notre curiosité.

Lorraine s’exclama à voix basse. « Des œufs et des oisillons. C’est un spectacle que je n’aurais jamais cru voir un jour. »

Dans le nid se trouvaient des œufs de wyverne non éclos et de jeunes wyvernes qui semblaient n’avoir que quelques jours. Leur mère les nourrissait de bouche à bouche comme des oiseaux. Leur apparence était également celle d’un oiseau, les faisant ressembler à des poussins couverts de plumes bleues et douces. Leur taille, en revanche, était très différente de celle des autres oiseaux : les oisillons étaient déjà aussi grands que des poulets adultes. Même les œufs étaient trop gros pour être portés à bout de bras.

« J’aimerais bien casser un de ces œufs sur une plaque de cuisson », s’amusa Lorraine.

Ferrici lui lança un regard mauvais. « Non, Lorraine. » Il était clair que les wyvernes comptaient beaucoup pour elle. Elles seraient importantes pour moi aussi si je pouvais comprendre un peu leurs pensées et qu’elles obéissaient à mes ordres.

« Je suis désolée, c’était une blague », s’excusa Lorraine. « Même si j’étais affamée, je ne pourrais pas finir un œuf aussi gros. »

Le regard noir de Ferrici s’était quelque peu atténué.

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« Par ici », nous déclara Ferrici.

Nous l’avions suivie jusqu’à une clairière, après avoir dépassé le groupe de nids de wyvernes mimétiques. Elle nous avait dit que la plupart des elatas de wyverne se trouvaient à une certaine distance de leurs nids, et c’est vrai, nous avions poussé un soupir collectif de stupéfaction en arrivant dans un bosquet où se trouvaient plus de l’elatas de wyverne que je n’en avais jamais vus.

 

 

Les proportions des plantes étaient tout aussi impressionnantes que la quantité qui se trouvait devant nous. Elles étaient bulbeuses, avec des tiges épaisses et des fleurs sur le dessus et les côtés. La plupart des spécimens étaient considérés comme adultes si la tige était aussi épaisse que le pouce, mais chaque elata que nous avions pu voir avait des tiges plusieurs fois plus épaisses. Alors que la hauteur moyenne de la plante m’arrivait à la taille, plusieurs d’entre elles dépassaient nos têtes.

« Je n’ai jamais rien vu de tel », marmonna Lorraine, émerveillée. Elle se tourna vers Ferrici et lui demanda : « Vous les vendez ? Je m’attendais à ce que quelqu’un s’en aperçoive. Tous ceux qui les verront demanderont où elles poussent, et j’imagine que n’importe quel herboriste ou alchimiste cherchera à s’en procurer à tout prix. »

Ferrici répondit : « Je vis peut-être dans un village isolé, mais j’y ai déjà pensé. Je ramasse et je vends toujours les plus petits, comme ceux qui se trouvent dans le coin. » Elle pointa du doigt la lisière du fourré où les spécimens en question étaient plus petits — comme ceux que l’on trouve au marché, ou peut-être un peu plus petits.

« Comment font-ils pour grandir autant ? » demanda Augurey.

« Je pense que c’est parce que les wyvernes qui nichent sur cette pierre n’y laissent que leurs excréments. J’ai entendu dire qu’elles fertilisent l’elata, et il y a beaucoup de wyvernes sur cette pierre. J’ai vérifié beaucoup d’autres pierres flottantes, mais aucune d’entre elles ne pousse autant que celle-ci. »

Lorraine acquiesca. « La nature trouve un moyen. Les résultats devraient être similaires dans d’autres environnements où l’on trouve des pierres flottantes de cette taille. Je chercherai peut-être d’autres endroits un jour », marmonna-t-elle, probablement sérieuse. Les sites d’accouplement des wyvernes étant difficiles à trouver, la tâche devrait s’avérer pour le moins ardue.

« Rassemblons-en quelques-uns », avais-je dit. « Les petites, celles qui passent inaperçues, bien sûr. Mais cela ne vous dérange pas si je prends quelques-uns des plus grands pour mon usage personnel ? »

« Pas du tout », répond Ferrici. « Si vous savez garder un secret. »

***

Partie 4

« Nous y voilà », marmonnai-je, comme un vieil homme qui se lève de sa chaise, et je descendis de la wyverne.

Après avoir récolté l’elata de wyverne, nous étions retournés à pied vers nos wyvernes garées et les avions chevauchées jusqu’au niveau du sol.

« La terre ferme est rassurante au bout d’un moment », fit remarquer Augurey. « Non pas que nous serions morts si nous étions tombés de là. »

La pierre flottante sur laquelle nous avions récolté l’elata se trouvait juste au-dessus du lac, si bien que nous ne serions pas morts en entrant dans l’eau. Mais nous aurions été trempés et obligés de nager jusqu’au rivage. De plus, sans Ferrici à nos côtés, nous aurions pu être attaqués par des wyvernes. Un aventurier ordinaire n’aurait peut-être pas survécu à un tel sort. J’aurais pu voler avec mes propres ailes, mais je n’avais jamais essayé de voler avec un essaim de wyvernes à mes trousses. Bref, j’étais heureux que nous ayons pu atterrir en toute sécurité.

« Une quête de plus, qui s’est déroulée encore plus facilement que nous l’espérions. Quelle est la prochaine étape ? On continue sur notre lancée ? » demandai-je.

Je m’attendais à ce que cette tâche prenne plus de temps, car nous aurions dû éviter des wyvernes en colère et trouver nous-mêmes les buissons d’elata. Ferrici nous avait permis de surmonter tout cela, c’était énorme. Tout cela était arrivé non seulement parce que Ferrici vivait dans ce village, mais aussi parce que la Sirène avait hypnotisé ces villageois, nous donnant l’occasion de les sauver, ce qui nous avait valu la gratitude de Ferrici. Peut-être aurions-nous dû être reconnaissants envers le Gobelin et son équipe. Comme nous nous attendions à ce qu’il se passe quelque chose, nous avions l’impression d’avoir arrangé le match nous-mêmes. Mais bon…

« Il nous faut juste capturer un aqua hathur et récupérer de la boue ou de l’argile d’un golem luteum, » nota Augurey, « mais nous ne savons pas où trouver l’un ou l’autre. Je suppose que nous n’avons qu’à nous promener dans le lac. »

Ces créatures, contrairement aux wyvernes, n’avaient pas d’habitat spécifique.

« Je sais où se trouve un aqua hathur », déclara Ferrici.

« Quoi ? » s’écria Lorraine, surprise que Ferrici ait dit cela si calmement.

Même les aventuriers devaient passer du temps à chasser un aqua hathur, et cette fille normale d’un village savait simplement où il y en avait un ? Bon, elle avait ses capacités spéciales et tout, mais je pensais que le qualificatif « normal » s’appliquait encore ici. Elle n’était pas particulièrement musclée, même si elle avait prouvé en chemin qu’elle était bien plus endurante que les filles de la ville.

« Ce n’est pas une garantie », avait-elle ajouté. « J’en ai vu un l’autre jour. Il est peut-être encore là. »

« C’est essentiel », répondit Lorraine. « Une fois qu’un aqua hathur s’est installé à un endroit, il ne s’en éloigne plus. »

« C’est vrai ? Je croyais que les monstres de type félin pouvaient parcourir des dizaines de kilomètres par jour », avais-je demandé.

C’était la théorie acceptée et c’était aussi la raison pour laquelle les alarmes étaient souvent déclenchées lorsqu’un monstre de type félin était repéré à proximité d’une ville. Ils pouvaient facilement se déplacer d’un village à l’autre en l’espace d’une nuit.

Lorraine acquiesça. « C’est vrai, mais un aqua hathur est plus proche de la fée que du félin. Tu sais que les créatures féériques de l’élément eau sont attirées par l’eau claire. »

« C’est vrai, » marmonna Augurey. « Une fois qu’ils auront trouvé une source d’eau qui leur plaît, ils n’iront pas loin. »

« Oui. C’est pourquoi les informations de Ferrici nous sont précieuses. Pouvez-vous nous montrer le chemin ? »

Lorraine avait demandé une confirmation parce que nous étions sur le point de nous aventurer au-delà de la zone où la capacité de Ferrici la mettait à l’abri des wyvernes. En tant qu’aventuriers, nous devions faire passer le bien-être de Ferrici avant tout, mais même les meilleurs aventuriers du monde ne pouvaient pas garantir une sécurité absolue, et nous ne pouvions donc pas insister sur la coopération de Ferrici. Je m’étais dit qu’elle nous indiquerait son emplacement général et que nous partirions à sa recherche.

« Bien sûr. C’est par là », dit Ferrici en commençant à marcher.

Nous nous étions à nouveau précipités à sa suite.

« N’êtes-vous pas inquiète du danger que vous courez ? » demanda Lorraine.

« Elle a fait l’aller-retour l’autre jour. Je pense qu’elle sait que ce n’est pas si dangereux », avais-je dit. C’était ma meilleure hypothèse.

Augurey renchérit : « Ça aussi, mais elle doit nous faire confiance. Sinon, elle n’aurait pas accepté sans réfléchir. »

« Nous devons la protéger si les choses tournent mal », avais-je insisté. « Surtout après ce qui s’est passé. »

Lorraine accepta. « Je vais mettre en place un solide bouclier magique. Elle doit rester indemne, même au prix de notre propre sécurité. »

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« C’est vraiment ici », avais-je murmuré.

Il était là, un véritable aqua hathur sous mes yeux. Son apparence était celle d’un chat transparent, dont tout le corps était fait d’eau. Sur le plan comportemental, il était impossible de le distinguer d’un chat ordinaire. Il était en train de se laver le visage.

De plus, il y avait de multiples hathurs aquatiques. Ils étaient placés autour d’une petite source créée par une formation rocheuse. Elle était légèrement surélevée par rapport au lac, et de l’eau s’infiltrait par les fissures. Il devait s’agir d’un des nombreux plans d’eau qui alimentaient le lac.

Les personnes qui aiment les chats auraient pu se contenter de regarder ces félins liquides se prélasser dans la source toute la journée, mais nous avions un travail à faire. Même si ce monstre était inoffensif, nous devions en capturer un. Et comme je l’ai dit, ils étaient plutôt inoffensifs.

« Mettons-nous au travail, comme nous l’avions prévu », avais-je suggéré.

Augurey désigna un point sur une carte qu’il tenait à la main. « Nous les accostons là-bas. »

« Vous pouvez le faire ! » s’exclama Ferrici alors que nous nous dirigeons vers les hathurs d’eau.

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Le hathur aquatique avait senti notre approche et s’était tourné vers Augurey et moi comme l’aurait fait un chat. Le problème était venu de son prochain mouvement. J’avais senti le mana se contracter dans l’air et j’avais vu une fine lame d’eau se former devant le monstre, mais pas parce que l’aqua hathur avait soif ou quoi que ce soit d’autre.

« Augurey ! »

« Oui, je sais ! »

Nous avions échangé un regard et avions plongé sur les côtés. Dès que nous l’avions fait, la lame d’eau avait creusé un gouffre à travers le sol et avait coupé en deux les arbres qui se trouvaient à l’extrémité de ce gouffre, avant de s’abattre sur le sol avec fracas.

Ce petit projectile d’eau aurait pu être notre guillotine. Les humains pouvaient lancer un sort appelé Yidle Swiffof qui produisait un effet similaire, mais beaucoup plus lentement et à une échelle beaucoup plus petite. De plus, un mage humain avait besoin d’un intervalle de quelques secondes à une demi-minute entre deux sorts, alors qu’un aqua hathur pouvait lancer la magie de l’eau aussi facilement que nous utilisions nos membres, ce qui lui permettait de répéter rapidement le sort.

Une série de lames liquides mortelles volèrent dans notre direction. En les esquivant toutes, nous gagnâmes du terrain en direction de l’aqua hathur. Heureusement pour nous, ce n’était qu’un animal stupide. Cela peut paraître insensible, mais il n’était pas assez intelligent pour voir une direction dans nos mouvements et utiliser ses sorts pour nous barrer la route. Cette créature aurait été un ennemi terrifiant si elle avait eu l’intelligence d’un humain moyen. Elle n’en restait pas moins mortelle. C’est juste que, peu importe la fatalité d’un sort, il ne servirait à rien s’il n’atteignait jamais son but.

« Maintenant ! Je l’ai ! »

J’avais sauté devant l’aqua hathur avant qu’Augurey n’en ait l’occasion et j’avais tendu la main vers le petit monstre. Bien sûr, l’aqua hathur était composé d’eau, donc je ne pouvais pas l’attraper par des moyens normaux, mais le mana maintenait son corps ensemble, tout comme le mana maintient les os d’un squelette en place.

Tant que l’on contenait le mana de l’aqua hathur, on pouvait le ramasser, soi-disant. Grâce à leurs recherches, nous disposions désormais d’objets magiques qui nous permettaient de toucher et d’interagir avec des monstres moins solides comme l’aqua hathur. Augurey et moi avions chacun une paire de ces objets magiques en main, grâce à Lorraine. Notre premier plan était de les manier et d’attraper le hathur si nous le pouvions.

« Wôw ! Pas de chance ! »

J’avais réussi à l’attraper, mais l’aqua hathur m’avait échappé en se tortillant. Il s’était enfui, s’éloignant tant bien que mal et dispersant ce qui était un groupe de plusieurs aquas hathurs. Lorsque notre cible originale passa devant Augurey, il tendit la main vers la créature, mais ne put même pas la toucher. Ce n’était pas qu’Augurey était incompétent, mais l’aqua hathur était tout simplement très rapide.

Même en courant, ils continuaient à tirer leurs lames d’eau. Il était impossible d’esquiver ces lames et d’attraper un aqua hathur. Il y avait bien quelques solutions pour tuer le monstre, comme des sorts qui ciblaient une zone plutôt qu’un monstre en particulier, mais… Je suppose que c’est probablement la raison pour laquelle ce travail avait pris la poussière jusqu’à ce qu’Augurey le prenne.

Lorsqu’un aventurier acceptait un travail, il se devait de le mener à bien. Augurey et moi n’avions pas réussi à attraper un aqua hathur, mais ce n’était que notre première tentative. Notre meilleure chance restait à venir. Nous nous étions concentrés sur l’un d’entre eux qui avait fui dans la bonne direction pour que nous puissions commencer notre approche.

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« Qu’est-ce que vous faites ? » demanda Ferrici à Lorraine, visiblement déconcertée par le travail de cette dernière.

Elles se trouvaient dans une impasse formée par des rochers, sur lesquels Lorraine dessinait des cercles magiques d’une grande complexité. La façon dont ses doigts fins brillaient et scintillaient sur les rochers était digne d’un chef-d’œuvre d’artiste. Pour l’instant, les cercles magiques n’avaient pas encore fait effet, à ce qu’il paraît, et c’était donc tout naturellement que Ferrici se montra curieuse.

Lorraine expliqua : « Je suis en train de tisser un filet pour entourer un aqua hathur. Je pourrais faire apparaître un filet par la magie seule, mais il va le remarquer et il va trop vite. J’aurais pu le lancer au bon moment, mais c’est plus sûr. Avec les cercles magiques, je peux l’activer dès qu’un aqua hathur passe par ici. Après avoir investi tout mon mana dans ces cercles, je ferais bien de faire une sieste. »

La paresse effrontée de Lorraine mise à part, tout ce qu’elle avait dit à Ferrici était vrai, même si elle avait omis une chose : elle ne voulait pas risquer de créer et de contrôler un filet magique tout en jetant un bouclier sur Ferrici pour la protéger, de peur de ne pas réussir à le faire. Et si Lorraine pouvait lui faciliter la tâche avec un travail préparatoire supplémentaire, elle choisissait cette option à chaque fois plutôt que d’attendre et de s’inquiéter de ce qui pourrait mal tourner.

« Cela devrait suffire », dit-elle en se levant. « Les cercles sont prêts. Prenons du recul et profitons de la comédie mettant en scène Rentt et Augurey. »

Si l’un d’entre eux avait entendu cette remarque, il aurait pu en être scandalisé.

Lorraine et Ferrici se placèrent à une certaine distance, mais suffisamment près pour observer le piège. Peu après, un aqua hathur surgit, suivi d’un homme portant un masque de squelette et agitant sa robe noire, et d’un autre homme vêtu d’une tenue à motifs de paon qui faisait mal aux yeux après une exposition prolongée.

L’aqua hathur ne se contentait pas de fuir la paire, il tirait continuellement des lames d’eau à l’arrière, forçant ses poursuivants à les esquiver.

« Arrête tout de suite, petit… ! »

« Abandonne maintenant ! »

 

 

La scène était pour le moins comique. Cependant, le spectacle atteignit son apogée lorsque la créature arriva dans l’impasse où travaillait Lorraine. Dès que l’aqua hathur posa le pied dans la zone, les cercles magiques émirent des lumières qui ressemblaient à une décharge électrique, formant une cage autour de l’insaisissable chat d’eau. La créature tenta néanmoins de s’échapper et entra en contact avec le fil électrique. Les lumières clignotèrent et l’aqua hathur s’effondra sur place.

Les aventuriers auraient pu craindre qu’il soit mort s’ils n’avaient pas su que les aqua hathurs ne conservaient pas leur forme lorsqu’ils mouraient. Lorsqu’ils retournaient à la nature, ils devenaient simplement une masse d’eau et s’enfonçaient dans le sol. Par conséquent, le groupe avait pu constater que cet aqua hathur était inconscient, mais vivant.

« Ça a bien marché. Allons les rejoindre. Rentt et Augurey ne peuvent rien faire sans cage », dit Lorraine en portant une cage qui semblait s’être matérialisée de toutes pièces. Elle était manifestement destinée aux aquas hathurs, car elle était visiblement différente d’une cage ordinaire conçue pour accueillir des animaux normaux. Le haut et le bas étaient ornementés, et les barreaux n’étaient pas en métal, mais constitués des mêmes stries électriques qui avaient piégé l’aqua hathur dans la formation rocheuse.

En fait, Lorraine s’était approchée de l’aqua hathur inconscient, l’avait saisi avec sa main gantée et l’avait placé dans la cage. La créature se réveilla, poussa un grand cri et chargea les barreaux électriques. Après une décharge crépitante, elle céda et s’installa.

L’électricité de la cage à main était certes moins puissante que celle du piège sur les rochers, mais l’aqua hathur avait tout de même l’air assez pitoyable dans son état actuel. Même si le monstre venait de déchaîner des lames d’eau mortelles contre le groupe, quelque chose dans son apparence attirait une sympathie inconditionnelle.

Lorraine le vit sur le visage de Ferrici et ajouta : « Cet aqua hathur sera gardé par une noble de la capitale. Il portera un collier magique qui l’empêchera de jeter des sorts, mais il ne sera pas maltraité. Ne vous inquiétez pas. »

Ferrici semblait visiblement soulagée.

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