Nozomanu Fushi no Boukensha – Tome 10 – Chapitre 1

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Chapitre 1 : La capitale royale et l’église du ciel oriental

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Chapitre 1 : La capitale royale et l’église du ciel oriental

Partie 1

« Maalt a vraiment l’air chétif en comparaison », déclarai-je en jetant un coup d’œil au paysage de Vistelya, la capitale royale de Yaaran, depuis notre calèche. La nuit venait de tomber sur la ville.

Yaaran était un royaume reculé, mais même ainsi, la capitale était plus grande et plus prospère que les autres villes régionales. Ou peut-être que je la trouvais particulièrement éblouissante parce que je la comparais à une ville comme Maalt. Je veux dire, bien sûr, Maalt faisait de son mieux bien qu’elle soit en périphérie. Elle possédait son propre donjon et sa population était assez nombreuse. En somme, c’était un endroit agréable à vivre, mais comparé à la capitale…

« Cela va de soi, » fit remarquer Lorraine. « Mais je préfère Maalt à Vistelya. Vistelya est prospère, mais elle me rappelle trop la capitale impériale. »

« Tu as déjà dit qu’il t’était arrivé beaucoup de choses là-bas. Pourtant, Yaaran n’est pas aussi guindé que l’empire, n’est-ce pas ? »

Lorraine avait mentionné un jour que lorsqu’elle était dans l’empire, elle avait trouvé épuisante la politique constante qui accompagnait le fait d’être un membre de l’élite de la communauté des érudits. La recherche et l’érudition, en général, étaient beaucoup plus appréciées dans l’empire, mais à Yaaran, on n’entendait pas beaucoup d’histoires glorieuses sur la classe des érudits. Tout au plus, la Tour et l’Académie se chamaillaient-elles de temps à autre. C’était très stressant pour les gens de la Tour et de l’Académie, mais ce n’était même pas comparable à la politique des érudits de l’empire.

Lorraine acquiesça. « C’est vrai. Maalt est un bon exemple de l’atmosphère plus détendue qui règne à Yaaran. Il semblerait que ce soit la même chose dans la capitale. »

Pour moi, la capitale du Yaaran ressemblait à une gigantesque métropole, mais pour Lorraine, elle était encore un peu pittoresque. Mais si cela lui rendait la tâche plus facile, c’était probablement une bonne chose. Je remerciai silencieusement Yaaran d’être un pays reculé.

« Nous sommes arrivés », annonça notre chauffeur. « N’hésitez pas à aller dans votre logement. Je séjournerai dans un endroit séparé, contactez-moi lorsque vous serez prêts à retourner à Maalt », ajouta-t-il alors que nous descendions de la calèche.

Il convient de préciser que le chauffeur nous avait conduits directement à notre auberge, mais que lui et l’attelage devaient rester ailleurs. L’endroit où nous nous trouvions n’avait pas la place d’entreposer une calèche, et comme l’animal de trait était spécial, il devait être gardé dans un enclos spécialisé.

Tout compte fait, ce voyage était coûteux, mais Wolf — ou plutôt la guilde de Maalt — payait la note, ce qui n’était pas pour me déplaire. Étant donné que nous utiliserions la même calèche pour retourner à Maalt, cela devait coûter à la guilde un certain montant en frais d’hébergement supplémentaires. Wolf s’était mis en quatre pour nous traiter correctement.

« Viens, Rentt », dit Lorraine, et nous étions entrés dans l’auberge après ça.

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« Alors, cela sera un logement pour deux. Suivez-moi, s’il vous plaît », déclara la réceptionniste.

Après le départ de la réceptionniste, Lorraine murmura : « Ils n’ont pas pris la peine de demander et nous ont simplement donné une seule chambre. »

Nous n’étions plus que tous les deux. Quant à Edel, je l’avais laissé à Maalt. Ce n’était pas que je voulais l’exclure, mais la sécurité était beaucoup plus stricte à Vistelya. Comme nous allions au palais, j’avais pensé que la présence d’un monstre comme Edel pourrait poser problème. J’aurais pu prétendre que j’étais un dompteur de monstres, mais Vistelya était une ville digne de ce nom, contrairement à Maalt. Il y avait beaucoup de dompteurs de monstres dans la capitale, et s’ils avaient pris la peine d’y regarder de plus près, j’aurais pu commettre une erreur.

Si j’avais su que je serais à Vistelya, j’aurais demandé à mon père à Hathara plus d’informations sur le domptage des monstres, mais je pourrais toujours le faire la prochaine fois. De plus, il avait des monstres bizarres dans sa ménagerie, et je n’étais pas sûr que ses connaissances me feraient passer pour un dompteur normal. En fin de compte, j’étais sûr d’avoir pris la bonne décision en laissant Edel à la maison.

« Nous devions ressembler à des frères et sœurs ou à un couple marié », avais-je répondu.

Lorraine avait rit. « Un couple marié, peut-être, mais des frères et sœurs ? Nous ne nous ressemblons pas du tout. »

« C’est vrai. »

De mon vivant, nos visages ne se ressemblaient pas du tout, mais les différences étaient encore plus marquées maintenant que je portais un masque de crâne. En fait, je serais plus inquiet si un employé d’auberge disait que nous nous ressemblons. Il y avait de fortes chances qu’ils pensent que nous étions mariés.

« Agissions-nous comme un couple marié ? » avais-je demandé.

Lorraine marqua une pause, puis répondit calmement : « Je ne pense pas que ce soit le cas, mais c’est difficile à dire. On ne peut pas vraiment le dire à moins de le regarder de l’extérieur. »

« Veux-tu que je prenne des chambres séparées pour nous ? » avais-je proposé.

Lorraine fronça les sourcils d’exaspération. « Nous vivons dans la même maison. Rester dans la même chambre n’est pas un grand changement, n’est-ce pas ? »

Une partie de moi voulait lui demander si elle n’avait pas peur que je tente quelque chose, mais Lorraine était une puissante mage. Elle n’avait besoin que d’une baguette pour venir à bout de la majorité des hommes de ce royaume, moi y compris. Je pouvais probablement survivre à quelques coups maintenant, mais je ne pouvais toujours pas la battre. Et comme elle l’avait fait remarquer, nous vivions déjà dans la même maison. J’avais convenu avec elle que partager une chambre d’auberge n’était pas si différent.

« Il n’y a rien à redire. Je me suis dit que j’allais quand même demander. Alors, quel lit veux-tu ? »

Heureusement, il y avait deux lits dans la chambre. Lorraine avait choisi celui qui était le plus près de la fenêtre, ce qui fait que j’allais devoir regarder le mur en allant me coucher.

Quoi qu’il en soit, il était temps de se reposer pour la journée et de se préparer pour demain. Nous devions d’abord nous rendre à la guilde, mais… Peut-être devrions-nous d’abord acheter des souvenirs ? Je m’étais dit que je réglerais les détails avec Lorraine dans la matinée.

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Cela faisait longtemps que je n’avais pas visité la guilde de Vistelya, mais comme je m’en souvenais, elle n’avait rien à envier à celle de Maalt. Le bâtiment lui-même était plus solide et assez grand pour abriter le grand nombre d’aventuriers qui habitaient la capitale. La dernière fois que j’étais venu, je n’avais pas pu voir l’intérieur, mais cette fois-ci, j’avais repéré des portes d’ascenseur.

C’était logique. L’immeuble comptait cinq étages, et ce serait une sacrée tâche que d’emprunter les escaliers à chaque fois. Ce serait une chose si les étages supérieurs étaient rarement utilisés, mais j’étais presque sûr que le bureau du maître de la guilde se trouvait au dernier étage, ce qui rendrait un trajet quotidien sur cinq étages un peu pénible.

« On m’a dit que le Grand Maître de la Guilde de Yaaran est assez âgé », dit Lorraine. « Même s’il a déjà été un aventurier, il n’est sûrement plus actif à cet âge. »

Lorraine avait raison. J’avais entendu dire que l’actuel grand maître de la guilde occupait déjà ce poste lorsque Wolf avait été recruté dans la guilde. J’avais aussi entendu dire que le grand maître de la guilde était un ancien aventurier, mais j’étais sûr d’avoir aussi entendu dire que c’était il y a plus de cinquante ans. Même s’il avait pris sa retraite dans la trentaine, il devait avoir plus de quatre-vingts ans à l’heure actuelle. Les aventuriers étaient nettement plus résistants que les gens normaux en raison de leur physique et de leur réserve de mana, mais être un aventurier actif à quatre-vingts ans, c’était un peu exagéré.

« Mais il y a des exceptions à cette règle, comme Gharb. Ce n’est donc pas impossible », avais-je noté.

J’avais pensé à Gharb, la femme médecin et mage en chef de ma ville natale. Elle commençait à prendre de l’âge, mais elle était toujours aussi forte. Si elle décidait de devenir aventurière maintenant, elle commencerait à la classe Argent, et dans ce cas, elle me surpasserait instantanément. Elle était ma mentore, alors ça allait.

« Maintenant que tu le dis, je pense que c’est vrai », déclara Lorraine. « Mon mentor est similaire. Je suis sûre qu’il s’amuse dans l’empire. »

« La personne à qui tu as lancé ta baguette ? »

Lorraine fronça les sourcils. « J’étais jeune à l’époque. Je ne ferais pas ça maintenant. Je ne pourrais pas le faire maintenant. Je n’arrive toujours pas à oublier à quel point il était en colère… »

« J’aimerais le rencontrer. »

Il serait une excellente source d’histoires amusantes sur Lorraine, et ce serait bien de lui faire tourner la tête pour une fois. Après tout, les habitants d’Hathara lui avaient raconté toutes les histoires embarrassantes à mon sujet lorsque nous étions allés là-bas.

« Vraiment ? J’aimerais bien aller le voir, mais on ne peut pas entrer et le rencontrer comme ça. Je suis sûr que nous finirons par nous rendre à l’empire, alors nous pourrons nous y préparer le moment venu. »

Étonnamment, Lorraine s’était montrée plus réceptive à l’idée que je ne l’imaginais. Je pensais qu’elle ne voudrait pas que je rencontre son professeur, mais il semblerait que Lorraine éprouvait beaucoup de gratitude à son égard. Lorraine vivait à Maalt depuis longtemps, et même si elle retournait parfois dans l’empire, elle n’y restait jamais longtemps. Elle ne l’avait peut-être pas vu depuis une dizaine d’années, et je pouvais donc comprendre qu’elle veuille y aller.

« J’attends cela avec impatience, » avais-je dit en plaisantant. « Ah, la réceptionniste est libre. Je vais y aller. »

« Alors je vais attendre là-bas, » dit Lorraine en désignant le bar intégré à la salle des guildes.

Techniquement, il s’agissait d’une cafétéria qui proposait des en-cas légers et toutes sortes de boissons. Bien que tous les halls de guilde n’en soient pas équipés, la plupart d’entre eux en étaient pourvus. Le choix des menus et la taille des portions étaient un peu trop limités pour un vrai repas, c’était donc surtout un endroit pour faire une petite pause entre deux tâches ou pour attendre les membres d’un groupe — ce qui signifie que Lorraine l’utilisait exactement pour l’usage auquel elle était destinée.

« D’accord. Je te retrouve dans un instant », avais-je dit en me dirigeant vers la réception.

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Partie 2

« Il est sorti ? » demandai-je en regardant la réceptionniste d’un air perplexe.

La femme derrière le bureau répondit calmement : « Oui. Je crains que Jean Seebeck ne soit actuellement indisponible. Je pense qu’il sera de retour dans quelques jours. »

« Si j’attends qu’il revienne, est-ce qu’il me verra ? »

« Bien sûr. Si je négligeais un employé de la guilde que Maître Wolf Hermann de Maalt a envoyé directement, j’aurais moi-même des ennuis. Néanmoins, je ne peux rien faire pour l’absence du grand maître de la guilde. Je suis vraiment désolée. Pourriez-vous réessayer dans cinq jours ? »

Je trouvais qu’elle était un peu trop polie envers un collègue de la guilde, mais c’était logique. La guilde des aventuriers était une organisation unique, mais chaque branche régionale était indépendante. Pour un employé de la guilde de Vistelya, un membre de la branche de Maalt était un étranger.

Cela mis à part, elle avait été respectueuse envers Wolf, l’appelant même « Maître Wolf ». Méritait-il vraiment autant de respect ? Vraiment ? Mais, à bien y réfléchir, il n’y avait pas beaucoup de gens qui étaient d’aussi bons chefs de guilde que lui, et combiné à son sens du détail et à ses capacités d’aventurier, il était peut-être l’exemple même de ce que devait être un chef de guilde. Cela expliquerait le respect qu’on lui portait. Cela dit, Maalt se trouvait au milieu de nulle part, et il était donc surprenant qu’ils reconnaissent la valeur de Wolf. Cela faisait du bien, en fait, de connaître quelqu’un que l’on traitait avec autant de respect.

Quoi qu’il en soit, la seule chose que je pouvais faire maintenant était d’attendre. Ce n’est peut-être pas une si mauvaise chose, car j’avais encore une longue liste de courses à faire. J’avais prévu de les abandonner si je n’avais pas assez de temps, mais voilà qu’une bonne quantité de temps libres me tombe dessus.

J’avais fait un signe de tête à la réceptionniste et j’avais répondu : « C’est très bien. Dans cinq jours, alors ? »

« Oui. En ce qui concerne la documentation, nous la trierons et l’organiserons de notre côté, de sorte que votre rapport devrait se dérouler relativement facilement. »

La documentation en question était l’énorme pile de papiers que Wolf m’avait donnée pour que je la remette à la guilde de Vistelya. La plupart de ces documents décrivaient l’état actuel de Maalt, et on aurait pu penser que cela suffirait, mais il valait mieux que quelqu’un qui connaissait la situation fasse un rapport direct aux plus hauts responsables. C’était la raison pour laquelle Wolf m’avait envoyé ici, et c’est ce qui avait motivé la remarque de la réceptionniste.

« Merci. Je vous laisse le soin de le faire. Rendez-vous dans cinq jours. »

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« As-tu déjà terminé ? Que s’est-il passé à la réunion ? » me demanda Lorraine en m’approchant.

« Il semblerait que le grand maître de la guilde ne soit pas en ville. De toute évidence, il sera de retour dans cinq jours. »

« Pas en ville… Je suppose qu’il ne peut pas rester trop longtemps au même endroit. J’avais pourtant entendu dire qu’il ne pouvait pas quitter la capitale longtemps…, » déclara Lorraine d’un air perplexe.

J’acquiesçai en me rappelant ce que j’avais entendu à Maalt. « Wolf a mentionné cela, mais il voulait probablement dire que le grand maître de la guilde ne pouvait pas venir dans un endroit au milieu de nulle part comme Maalt. »

Le voyage de Vistelya à Maalt prenait environ une semaine en temps normal. Étant donné que le grand maître de guilde devait s’y rendre et en revenir, une visite prendrait au moins deux semaines. Il ne pouvait pas abandonner la capitale aussi longtemps. Les villes régionales plus proches de la capitale n’étaient cependant qu’à quelques jours de voyage aller-retour, il ne serait donc pas étrange qu’il s’y rende fréquemment.

« Ah, tu marques un point, » marmonna Lorraine. « De toute façon, tu ne peux rien faire contre son absence. D’ailleurs, c’est en quelque sorte fortuit. Nous avons maintenant le temps de nous occuper de nos diverses courses avant. »

« Oui, c’est aussi ce que je pensais. »

« Notre liste de choses à faire comprend la remise de la lettre de Sœur Lillian à l’Église du Ciel Oriental, la visite du palais pour une audience avec Son Altesse, et l’achat de souvenirs pour Alize et Rina. La première chose à faire est de… »

Lorraine m’avait regardé et m’avait demandé à quoi nous devions nous attaquer en premier.

« La lettre, je pense. Je n’ai aucune idée de la durée de notre séjour au palais, mais avec la lettre, tout ce que nous avons à faire, c’est de la livrer, » suggérai-je, pensant qu’il valait mieux s’acquitter d’abord de la tâche la plus simple.

« C’est vrai. Puisque sœur Lillian m’a donné la lettre, je pourrais la remettre moi-même, mais j’imagine qu’on me demandera aussi au palais. »

« Oui. De plus, il y a quelqu’un d’autre que nous devons emmener au palais avec nous. Nous devons entrer en contact avec lui, mais le seul moyen auquel je pense est de lui laisser un message ici à la guilde. À part ça, nous pourrions essayer son repaire habituel. »

Je faisais référence au bar où nous avions rencontré Augurey la dernière fois que nous étions venus ici. Nous pourrions le rencontrer là-bas si nous y allions, mais un message laissé à la guilde parviendrait à Augurey dès son arrivée. Inversement, il pourrait recevoir le message demain, mais il pourrait être en mission à long terme en ce moment et ne le recevrait qu’à son retour. Dans ce cas, Lorraine et moi devrions nous rendre au palais sans lui, mais nous traverserions ce pont en arrivant.

« Il serait peut-être plus facile de le trouver en demandant autour de nous si quelqu’un a vu un aventurier portant des vêtements étranges. »

Lorraine l’avait dit en plaisantant, mais elle n’avait pas tort. Le sens de la mode d’Augurey le faisait sortir du lot. Mais je préférais ne le faire qu’en dernier recours.

« Nous pourrons le faire si nous ne le trouvons pas », répondis-je, « mais pour l’instant, pourquoi ne pas nous rendre à l’Église du Ciel Oriental. C’est à l’est de la capitale, non ? »

« Oui, c’est bien cela », répondit Lorraine.

Lorraine et moi avions quitté la guilde et nous étions dirigés vers l’église.

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« L’église de Maalt ressemble à une cabane délabrée », murmurai-je devant l’édifice en question.

Lorraine acquiesça. « Comme on pouvait s’y attendre. Bien que l’Église du ciel oriental ne soit pas une organisation religieuse particulièrement riche, elle reste la principale religion de Yaaran. Il est donc logique que l’église principale de la capitale soit beaucoup plus imposante que celle de Maalt. »

Le bâtiment qui s’élevait devant nous, avec ses grandes tours, brillait au-dessus de nos têtes, comme pour corroborer les propos de Lorraine. J’avais également vu un grand nombre de fidèles qui s’affairaient, mais en silence, à entrer et sortir du bâtiment. C’était un lieu animé. Je ne veux pas dire que l’église du ciel oriental à Maalt n’était pas animée, mais elle était souvent éclipsée par l’église de Lobelia.

Même ici, dans la capitale, l’Église de Lobelia commençait à étendre son influence. J’apercevais leur église pas très loin. Nous avions dû passer devant en venant ici, mais ils avaient été si agressifs dans leur évangélisation que c’en était un peu trop.

« Si vous rejoignez l’Église de Lobelia, vous aurez la garantie d’être sauvé. »

« Nous comptons un grand nombre de saints dans nos rangs, ce qui vous permettra d’obtenir des bénédictions dans cette vie également. »

« Notre eau bénite est plus abordable que celle des autres religions ! »

Tous les dix pieds environ, nous avions droit à un discours de ce genre. J’aurais voulu leur demander s’ils essayaient de convertir les gens à une religion ou de conclure une affaire, mais je savais que si je le disais à haute voix, cela déclencherait un nouveau flot de paroles. J’avais préféré les ignorer.

Malgré le fait que Lorraine se trouvait à côté de moi, personne n’avait essayé de lui vendre de choses lié à l’église de Lobelia. Cela me parut étrange et je décidai de lui en demander la raison.

« Peut-être que tu avais l’air plus crédule que moi, » répondit Lorraine. « Ils n’arrêtaient pas de jeter des coups d’œil vers moi, mais au bout de quelques secondes, ils avaient tous tendance à se disperser. »

Avais-je vraiment l’air aussi crédule ? Peut-être qu’avant d’être dévorée par un dragon, c’était le cas. Quand j’étais humain, les gens m’avaient souvent dit que j’avais l’air digne de confiance et gentil. Je suis sûr que j’avais l’air plutôt louche aujourd’hui. J’avais plutôt l’air d’une personne qui s’en prendrait à des adeptes sincères d’une foi. Quoi qu’il en soit, personne ne me dérangeait vraiment lorsque j’étais à Maalt. Ce genre de recrutement aléatoire dans la rue était rare là-bas de toute façon.

En revanche, l’Église de Lobelia, ici dans la capitale, était particulièrement avide de conversions. L’Église du ciel oriental ne faisait pas grand-chose pour répandre sa foi, si bien que l’empressement de l’Église de Lobelia à évangéliser avait créé une situation où elle empiétait régulièrement sur le territoire de l’Église du ciel oriental à Yaaran. En tant que citoyen de Yaaran, j’aurais aimé que l’Église du ciel oriental se montre un peu plus active, mais je n’étais pas un fervent adepte et je ne me sentais pas très concerné par l’issue de cette affaire.

Alors que j’en étais là de mes réflexions, Lorraine déclara : « D’accord, continuons à avancer, Rentt. On a l’air suspect à rester là. »

Elle commença à marcher vers l’église et je le suivis. Nous nous étions ensuite engouffrés dans le bâtiment par les portes ouvertes de l’entrée géante.

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L’intérieur de l’église du ciel oriental, tout comme l’extérieur, était une œuvre architecturale impressionnante, mais peut-être en raison des enseignements de l’église, elle n’était pas décorée de façon criarde ou riche. Cela ne voulait pas dire qu’il n’était pas beau — ça l’était — mais sa beauté était sobre et discrète, et les statues et les peintures murales évitaient l’ostentation au profit de la piété.

Les décorations représentaient toutes des personnages et des événements tirés des Écritures de l’Église du ciel oriental, et les fidèles priaient devant chaque statue et chaque peinture murale. Au milieu de la grande salle, des rangées interminables de grands bancs conçus pour accueillir des dizaines d’adeptes étaient alignées. Entre les bancs, une allée de moquette violette s’étendait jusqu’à l’autel. Derrière l’autel, un grand vitrail représentant l’Anjie de l’Est que l’église vénérait éclairait la pièce d’une chaude lueur. Cependant, ni l’autel ni le vitrail n’avaient pour but d’afficher la grandeur de l’église, ils étaient destinés à créer une atmosphère calme et pieuse.

« Je n’ai pas l’intention de suivre une foi particulière, mais je ressens toujours quelque chose quand je suis dans un endroit comme celui-ci », déclara Lorraine en expirant doucement.

L’Église de Lobelia était très influente dans l’empire, mais Lorraine elle-même n’était pas très croyante. Je suppose que ce qu’elle essayait de dire, c’est que cet endroit donnait envie à quelqu’un comme elle de croire en une puissance supérieure, même si ce n’était que pour un bref instant.

 

 

Étant donné que les bénédictions des dieux et des esprits existent, je ne voyais rien de mal à croire en quelque chose, mais le fait est que les bénédictions sont souvent accordées à ceux qui n’ont pas un sens aigu de la foi. Comme Lorraine et moi possédions tous deux la divinité, nous étions tous deux des saints selon la plupart des institutions religieuses, mais si l’on me demandait si nous adorions l’esprit de ce sanctuaire, je devrais probablement répondre par la négative. J’étais reconnaissant, mais ce n’était pas la même chose que la fidélité.

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Partie 3

« Ce n’est pas que je ne comprenne pas pourquoi, » murmurai-je, « mais comme je m’y attendais, il ne m’arrive rien, même dans un endroit comme celui-ci. Je me suis dit que contrairement à la petite église de Maalt, il pourrait se passer quelque chose ici, dans la grande église. »

Lorraine s’était tournée vers moi et m’avait regardé attentivement.

« C’est vrai, tu n’es pas différent. Bon, c’est une église, mais ce n’est pas comme si elle débordait de divinité. D’ailleurs, même si c’était le cas, tu es une bizarrerie. Tu es un mort-vivant avec ta propre divinité, il n’est donc pas très surprenant que rien ne se soit passé. »

« Oui. Si j’avais pensé que le risque était si grand, je ne serais pas entré dans l’église. »

Avant d’entrer, j’avais eu l’impression qu’il s’agissait d’un grand bâtiment impressionnant, mais je n’avais ressenti aucun malaise ni aucune peur. Mon corps étant celui d’un mort-vivant, si l’église elle-même était dangereuse pour mon espèce, j’aurais ressenti une sorte d’effroi ou de dégoût en m’approchant de l’endroit. En réalité, je n’avais rien ressenti de tel en arrivant ici.

De plus, lorsque j’avais mis les pieds à l’intérieur, il ne s’était rien passé. C’était peut-être imprudent de ma part, car si quelque chose s’était produit, ma seule option aurait été de demander à Lorraine de me traîner hors de l’édifice. J’avais déjà visité un bon nombre de lieux de culte, dont la chapelle de l’orphelinat de Maalt. Ce n’était pas une grande chapelle, mais elle m’avait permis de tester ma réaction face aux structures sacrées. Ce n’était peut-être pas si imprudent de ma part d’entrer ici comme ça.

« Cependant, cela signifie simplement que tu n’as aucun de problème avec cette église en particulier. Il est possible que des églises d’autres confessions t’affectent. Tu dois tout de même être prudent. »

Lorraine veillait à ce que je ne sois pas trop confiant, et elle avait raison, bien sûr. J’avais déjà entendu dire que les relations entre les dieux pouvaient avoir un impact sur l’équilibre des pouvoirs entre un dieu et un détenteur de divinité. Par exemple, les saints pouvaient bénéficier d’un surcroît de puissance lorsqu’ils étaient confrontés à des disciples d’un dieu que leur dieu détestait. Après tout, les dieux choisissaient généralement les mortels non pas en fonction de leur moralité, mais en fonction de l’affection qu’ils leur portaient. C’est ce que Lorraine voulait dire lorsqu’elle indiquait que cela pouvait encore poser un problème dans une autre église, même si je me sentais bien dans l’Église du Ciel oriental.

« Oui, c’est vrai. Je ferai attention. Cela mis à part, qu’en est-il de la lettre ? À qui la donner ? »

Lorsque j’avais changé de sujet, Lorraine avait sorti la lettre de son sac. La lettre était scellée à la cire et, bien qu’elle ne soit adressée à personne à l’extérieur, on avait dit à Lorraine à qui elle devait être remise. C’est elle aussi qui avait accepté le travail.

« Sœur Lillian m’a demandé de remettre cette lettre à l’abbesse Elza de l’abbaye de Yaaran du ciel oriental. »

« Elle l’envoie donc à quelqu’un de très haut placé. »

Dans l’Église du ciel oriental, l’archimandrite est le premier grade, suivi de l’abbé, du prieur, du chanoine et ainsi de suite — dix grades au total. Il existe des séparations plus précises entre les rangs, mais il s’agissait là de la hiérarchie de base. L’équivalent du Grand Père de l’Église dans l’Église de Lobelia, ou d’un pape ou d’un patriarche dans d’autres religions, était l’archabbé, de sorte qu’un abbé dans l’Église du Ciel oriental était essentiellement un cardinal ou un évêque. Un abbé pouvait même devenir un jour archimandrite.

Lillian échangeait directement des lettres avec quelqu’un de ce rang, alors était-elle plus haut placée que je ne le pensais ? Elle s’était toujours présentée comme clerc et ne nous avait jamais dit son rang exact. D’ordinaire, quelqu’un en charge d’une église dans une ville de la taille de Maalt devrait être un chanoine, au mieux. Je suppose qu’il faudrait que je pose la question à Lillian à un moment ou à un autre.

« Cela signifie peut-être simplement que l’Église du Ciel oriental n’est pas aussi enfermée dans sa hiérarchie que l’Église de Lobelia. On m’a dit que pour envoyer une lettre au Grand Père de l’Église de Lobelia, il faut être de haut rang ou accompli pour qu’il prête attention à ta démarche. »

C’était un extrême dans la direction opposée.

« Ce n’est donc pas la peine qu’un petit enfant économise son argent de poche pour payer l’affranchissement, hein ? » avais-je dit.

« Ils peuvent toujours l’envoyer », répondit Lorraine, « mais les lettres sont d’abord lues par les subordonnés du Grand Père de l’Église, qui les trient ensuite. En fin de compte, seule une poignée d’entre elles arrive sur le bureau du Grand Père de l’Église. Cela dit, il est plus probable qu’une lettre d’un enfant comme celle que tu as décrite ait une chance décente. Si l’on apprend que le Grand Père de l’Église l’a lue et y a répondu, la réputation de l’Église s’en ressentira. Dans l’empire, si tu vas dans une église à la campagne, tu verras parfois une réponse du Grand Père de l’Église encadrée et affichée sur un mur. »

« Tu sais, ce n’est pas tout à fait une mauvaise chose… mais c’est un peu sale. »

« La réalité est que nous vivons dans un monde difficile. Quoi qu’il en soit, la lettre. J’aimerais m’assurer que l’abbesse la reçoive, je ne veux pas la remettre à un prêtre au hasard pour qu’elle ne soit jamais lue. »

Lorraine regarda autour d’elle, puis appela une femme qui passait par la et qui semblait être une religieuse. Elle allait lui demander de lui amener l’abbesse Elza. Le plus simple aurait été de donner la lettre à la religieuse et de lui demander de la remettre, mais Lorraine avait pris cette tâche comme une demande en bonne et due forme. Sa fierté professionnelle d’aventurière signifiait qu’elle devait s’assurer qu’Elza reçoive la lettre. Dans ce cas, il serait imprudent de la remettre à une religieuse de passage.

« Oui ? Que puis-je faire pour vous ? Souhaitez-vous faire une prière ? Ou acheter de l’eau bénite ? Ou peut-être souhaitez-vous faire un don ? »

La religieuse était probablement en train d’énumérer des demandes potentielles, mais je n’avais pas pu m’empêcher d’entendre un peu d’espoir dans sa voix à la dernière question. Même si la religion n’était pas une question d’argent, toutes les institutions religieuses avaient besoin d’argent pour survivre. C’est compréhensible.

D’ailleurs, d’après ce que j’avais pu voir des religieux qui passaient, ils portaient tous des vêtements simples. Les religieux les plus âgés avaient manifestement porté leurs vêtements pendant longtemps, car de nombreux rapiéçages recouvraient les déchirures et les lacunes du tissu. Il était clair qu’ils n’avaient pas l’habitude de dépenser de façon frivole pour le luxe. Cela montrait à quel point l’Église du ciel oriental se souciait peu de ce genre de choses, ce qui m’avait incité à faire un don.

« J’ai l’intention de faire un don avant de rentrer chez moi, » dit Lorraine, « mais ce n’est pas pour cela que je suis ici aujourd’hui. Nous venons de la ville de Maalt et nous avons une lettre d’une religieuse qu’on nous a demandé de remettre en son nom. J’aimerais la remettre directement à la personne à qui on m’a dit de la donner. Serait-il possible que vous fassiez venir le destinataire ? »

« Ah, vous avez vraiment parcouru un long chemin. Merci d’avoir pris le temps de le faire. Je serai heureuse de vous aider. Et à qui est adressée cette lettre ? Et si possible, puis-je savoir qui l’a écrite ? »

« C’est vrai, je m’excuse. La lettre est adressée à l’abbesse Elza. Elle a été envoyée par Sœur Lillian de Maalt. Pardonnez-moi, je ne connais pas le rang de Sœur Lillian, car je n’ai jamais eu l’occasion de le lui demander… »

Lorraine était en train de décrire la tâche qui lui avait été confiée, mais les yeux de la religieuse s’écarquillèrent de surprise en entendant son nom.

« U-Une lettre de Soeur Lillian à Mère Elza !? Je comprends. Je vais aller chercher l’abbesse immédiatement ! Si vous pouviez attendre dans le salon — Vous ! Montrez à ces deux-là le salon ! »

La religieuse, qui était maintenant très inquiète, avait arrêté une jeune femme, apparemment une novice, et lui avait donné des ordres avant qu’elle ne s’éloigne.

Lorraine la regarda partir avec perplexité. « Est-ce que c’est quelque chose que j’ai dit ? »

J’avais secoué la tête. « Non, je ne crois pas. Peut-être que la fille pourrait nous aider ? »

Je m’étais tourné vers la novice qui nous servait de guide, et Lorraine acquiesça.

« Pardonnez cette question étrange, mais connaissez-vous l’abbesse Elza et la sœur Lillian ? » demande-t-elle à la jeune femme.

« Oui, je connais l’abbesse Elza. Elle est responsable de l’abbaye d’Ephas, le siège de l’Église du ciel oriental à Yaaran. Mais, mes excuses, en ce qui concerne Sœur Lillian… Je crains de ne pas la connaître. D’où vient-elle ? »

« C’est une religieuse de Maalt. »

« Ah, Maalt. Je vois. Pour être une religieuse dans un pays aussi dur, elle doit être une sacrée personne, mais j’ai bien peur de ne pas la connaître. Je vous prie de m’excuser. Je suis désolée de ne pas pouvoir vous être utile. »

Lorraine m’avait jeté un coup d’œil, mais si la fille ne savait pas, elle ne savait pas. J’avais secoué la tête.

« Je vois… » dit Lorraine avec douceur. « Je suis désolée de vous demander quelque chose de si aléatoire. Veuillez nous conduire au salon. »

◆♥♥♥◆♥♥♥◆

« Si vous voulez bien m’excuser. Elle ne devrait pas tarder à arriver. »

Après nous avoir conduits au salon, la femme avait préparé du thé avant de nous laisser seuls dans la pièce. Lorraine attendit que nous entendions ses pas s’éloigner pour prendre la parole.

« Nous ne savons toujours pas pourquoi cette prêtresse a été si surprise, n’est-ce pas ? »

« Peut-être était-elle simplement surprise qu’une lettre soit adressée à l’abbesse Elza ? Il se peut qu’elle n’écrive pas beaucoup et qu’elle ne reçoive pas beaucoup de courrier. »

« Là, es-tu sérieux ? »

Lorraine fronça les sourcils et jeta un coup d’œil dans ma direction. Je plaisantais, bien sûr. Une abbesse de l’Église du ciel oriental n’était pas seulement une figure religieuse, mais aussi une figure politique. Il était impossible qu’elle n’écrive pas beaucoup, et qu’il soit rare qu’elle reçoive des lettres. Il était donc logique de supposer que la religieuse n’avait pas été surprise par le fait que l’abbesse Elza ait reçu une lettre, mais par le fait que Lillian ait envoyé une lettre à l’abbesse.

« Je plaisante. La supposition la plus logique est que Lillian est assez importante dans l’église, n’est-ce pas ? » avais-je dit.

« Alors pourquoi cette fille n’a-t-elle pas entendu parler d’elle ? »

« Je suis sûr que nous pouvons trouver un tas de raisons, mais elle est jeune. Il ne serait pas étrange qu’elle ne sache pas encore grand-chose sur l’Église. »

« Je suppose que tu as raison… »

Bien qu’elle ait acquiescé, Lorraine ne semblait pas particulièrement convaincue par ma logique. Lorraine était une érudite dans l’âme, elle n’aimait donc pas se fier à ses intuitions et à ses suppositions, sauf pour déterminer si c’était important ou non.

Pourtant, je partageais sa curiosité au sujet de Lillian. C’était une nonne qui servait dans la campagne de Maalt, mais maintenant que j’y pense, sa présence était étrange. Après tout, elle pouvait utiliser la divinité, ce qui faisait d’elle une sainte. Il était facile d’oublier à quel point c’était impressionnant, étant donné que Lorraine, moi et même mes thralls pouvions l’utiliser s’ils le voulaient, mais c’était une capacité assez rare. Ceux qui pouvaient l’utiliser, quelle que soit l’étendue de leur pouvoir, étaient appréciés par toutes les institutions religieuses auxquelles ils appartenaient. Il était normal pour eux d’appartenir techniquement à une branche particulière de la foi mais de travailler en tant que prêtres, clercs et diacres itinérants, mais Lillian avait été assignée à une congrégation isolée. Il était facile d’imaginer qu’il y avait une histoire compliquée derrière tout cela.

***

Partie 4

« Si tu veux vraiment savoir, il faut lui demander en personne, ou peut-être demander à l’abbesse Elza que nous allons rencontrer. Mais il est difficile de dire si elles répondront à cette question ou non. »

« Hmm… Ce serait difficile. »

Lorraine croisa les bras et soupira. Étant donné que ces informations concernaient les affaires internes de l’Église du ciel oriental, il semblait peu probable qu’ils acceptent de les partager librement. Dans ce cas, nous ne pouvions pas faire grand-chose. Cependant, si nous demandions à Lillian, elle ne ferait peut-être pas d’histoires à ce sujet.

Nous avions un peu attendu, en sirotant notre thé, lorsqu’on frappa à la porte. Lorraine et moi nous étions levés et avions toutes deux dit : « Entrez. »

La porte s’ouvrit lentement et la prêtresse de tout à l’heure entra dans la pièce, suivie d’une prêtresse que je supposais être l’abbesse Elza.

La première impression que j’avais eue de l’abbesse Elza avait été qu’elle avait l’air beaucoup plus jeune que je ne l’aurais cru. Un abbé était l’équivalent des cardinaux et des évêques dans d’autres religions, et c’était l’un des postes les plus importants dans l’Église du ciel oriental. Lorsque le chef suprême décédait, son successeur était choisi parmi les détenteurs de ce titre.

Les personnes choisies pour ces fonctions devaient répondre à un grand nombre d’exigences allant du caractère personnel à l’éducation en passant par l’expérience et, par conséquent, elles devaient souvent avoir un certain âge. Malgré cela, l’abbesse Elza était extrêmement jeune. Comme je n’avais pas appris à identifier l’âge d’une femme au premier coup d’œil, je ne pouvais pas dire avec certitude quel âge elle avait, mais au moins, elle semblait assez jeune pour que certains disent qu’elle avait une vingtaine d’années, alors que d’autres diraient qu’elle était encore à la fin de l’adolescence.

Je m’étais dit que je ne risquais rien en disant qu’elle avait une vingtaine d’années. Ce n’était pas qu’elle avait perdu tous ses traits enfantins, mais elle faisait preuve d’une certaine intelligence et d’une maturité, ainsi que d’un calme qu’aucune adolescente ne pourrait posséder. Elle avait aussi des cheveux de jais, ce qui n’était pas si rare à Yaaran, ainsi que des yeux couleur obsidienne.

L’abbesse Elza s’inclina profondément lorsqu’elle entra dans la pièce. Lorraine et moi nous étions levées et lui avions rendu son salut.

« Je vous remercie d’être venu de si loin pour me remettre ceci », dit l’abbesse Elza. « On me dit que c’est une lettre de Sœur Lillian Jean. Je suis Elza Olgado, l’abbesse en question. »

« Merci pour cette présentation polie. Je m’appelle Lorraine Vivie, une aventurière de classe Argent, et voici mon compagnon, Rentt Vivie. »

C’était Lorraine qui avait accepté cette tâche et c’était donc elle qui avait répondu à l’abbesse. Je n’étais pour ainsi dire qu’un simple accompagnateur. Cependant, j’avais accompagné Lorraine depuis Maalt, et je pensais donc avoir le droit d’être ici. De plus, du point de vue de Lillian, c’était moins le fait qu’elle ait demandé à Lorraine seule que le fait qu’elle nous avait confié la lettre à tous les deux.

En apprenant que nous partagions le même nom de famille, Elza nous avait regardées tour à tour. Lorraine comprit ce que l’abbesse voulait demander, mais elle l’écarta et continua. Il n’était pas nécessaire de clarifier les choses, car il y avait plusieurs raisons pour lesquelles nous pouvions partager un nom de famille, que ce soit parce que nous étions mariées ou parce que nous étions de la même famille. Elza laissa également sa question sans réponse et reporta son attention sur Lorraine.

« Je suis venue aujourd’hui parce que Sœur Lillian m’a confié une lettre à vous remettre directement, Abbesse Elza. La voici. » Lorraine sortit la lettre de son sac magique et la tendit à Elza.

« Une classe d’argent ? Je vois. Cela vous dérangerait-il terriblement si je l’ouvrais ici ? Je crains d’avoir hâte de voir ce qu’elle a écrit. »

Si Elza mentionnait le rang de Lorraine, c’est parce qu’en temps normal, un aventurier de classe Bronze est largement suffisant pour distribuer le courrier en toute sécurité. Peu de gens se donneraient la peine d’engager un aventurier de classe Argent pour le faire. Dans certains cas, les riches engageaient un aventurier de haut rang pour livrer une missive importante, mais Lillian était la directrice de l’orphelinat de Maalt. Elle n’était pas particulièrement riche, et Elza devait se demander pourquoi elle avait demandé à un aventurier de classe Argent de livrer la lettre.

En fait, Lorraine avait accepté le poste non pas parce que Lillian recherchait spécifiquement un aventurier de classe Argent, mais parce que Lillian connaissait Lorraine personnellement. En ce qui concerne les honoraires, Lillian avait d’abord insisté pour payer le prix fort, mais Lorraine lui avait accordé une remise puisque nous venions de toute façon par ici.

Quant à savoir pourquoi Elza voulait l’ouvrir devant nous, il y avait probablement deux raisons. D’abord, comme elle venait de le dire, elle était impatiente de voir ce qui était écrit dans la lettre elle-même. Deuxièmement, elle voulait s’assurer qu’elle lui avait bien été remise proprement.

La première raison était simplement une déclaration faite par politesse, tandis que la seconde était probablement la vraie raison. Normalement, lorsqu’un aventurier était chargé de distribuer du courrier, il n’ouvrait jamais la lettre pour en vérifier le contenu. En fait, le faire sans la permission de l’employeur était un crime. Néanmoins, certains aventuriers moins honnêtes y jetaient un coup d’œil. Ils n’étaient pas nombreux à le faire, mais il était préférable de vérifier si rien n’avait été modifié, au cas où.

Lorraine acquiesça. « Bien sûr. S’il vous plaît, faites-le. »

« Alors… Oh, mes excuses. Je ne voulais pas vous obliger à rester debout. Je vous en prie, asseyez-vous. Je vais m’asseoir à mon tour. »

À la demande d’Elza, Lorraine et moi nous étions assis sur le confortable canapé du salon. Elza s’assit après nous avoir vues nous installer, mais la nonne qui l’avait amenée resta debout et se tint tranquillement derrière l’abbesse. La nonne se tenait probablement prête à faire des tâches si Elza le jugeait nécessaire. De plus, elle était probablement là pour servir de bouclier à Elza si quelque chose arrivait. Je sentais que la nonne avait reçu un entraînement martial, mais il était difficile de dire si elle serait capable de se battre contre nous. Elle ne pourrait pas faire grand-chose si Lorraine décidait de déployer toute la puissance de sa magie.

Mais si cela arrivait, nous serions certainement capturés. Même si nous nous échappions, nous deviendrions des criminels recherchés en cavale. Je souhaitais que la religieuse se calme, car il était hors de question que nous fassions une telle chose, mais comme la prudence était de mise dans ce genre de situation, nous ne pouvions rien faire pour la religieuse.

Alors que je réfléchissais à ces questions, les yeux d’Elza s’écarquillèrent lorsqu’elle ouvrit la lettre.

« Y a-t-il un problème ? » demanda Lorraine.

Elza secoua la tête. « Non. C’est juste que j’ai senti une vieille présence familière… »

Elza psalmodie soudain un mantra sacré de l’Église du ciel oriental, et une douce lumière bleue illumina l’air autour d’elle. Comme si elle réagissait à cette lumière, la lettre de Lillian se mit à briller d’une lumière similaire, mais légèrement différente.

C’était indubitablement la lueur de la divinité. Lillian, en tant que sainte, pouvait utiliser la divinité, et il semblait qu’Elza était également une sainte. Il n’était pas nécessaire d’être un saint pour devenir un membre de haut rang d’une institution religieuse, mais le fait de posséder cette capacité permettait généralement de commencer relativement haut dans la hiérarchie. En retour, cela vous permettait de gravir les échelons plus rapidement, ce qui, en général, facilitait l’obtention d’un poste plus élevé. Du moins, c’est ce que j’avais entendu dire. Il serait logique que le rang inhabituellement élevé d’Elza pour son âge soit dû à ses capacités.

La divinité se dissipa au bout d’un moment, et le cachet de cire de la lettre tomba en poussière. Comme je n’avais jamais vu cela auparavant, j’avais jeté un coup d’œil à Lorraine pour obtenir une explication, et elle commença à expliquer dans un doux murmure.

« Il s’agit d’un sceau de bénédiction utilisé principalement par le clergé de haut rang. Elle n’est pas connue ni utilisée par le grand public. Si quelqu’un qui ne connaît pas la bonne façon d’ouvrir le sceau — c’est-à-dire quelqu’un qui n’a pas la “clé” — essaie d’ouvrir la lettre, celle-ci laisse une marque indiquant qu’elle a été ouverte sans permission. Comme la marque est faite avec la divinité, elle révèle également qui a essayé de l’ouvrir. Cependant, on m’a dit que quiconque peut utiliser la divinité peut aussi effacer la marque. »

Ce n’était pas comme si Lorraine l’avait dit si doucement qu’Elza ne pouvait pas l’entendre, et d’ailleurs, elle avait entendu l’explication de Lorraine.

« Je suis impressionnée que vous en ayez connaissance. Vous avez raison. Lillian a perdu la capacité d’utiliser la divinité il y a quelque temps, cela fait donc des années qu’elle ne m’a pas envoyé de lettre de cette façon. »

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Lillian avait-elle perdu la capacité d’utiliser la divinité ? La première chose qui m’était venue à l’esprit est qu’elle avait développé la maladie de la malice accumulatrice, mais quand je repense à ces événements, Lillian elle-même n’avait appris qu’elle était atteinte de cette maladie que lorsqu’elle avait été soignée. Il serait étrange que l’abbesse Elza, qui n’avait pas eu de nouvelles de Lillian depuis longtemps et qui se trouvait dans la capitale depuis tout ce temps, soit au courant.

Cependant, il ne serait peut-être pas si étrange qu’Elza ait recueilli des informations d’une manière ou d’une autre que Lillian elle-même ne connaissait pas. Les mots d’Elza ne semblaient pas avoir cette connotation. Elle semblait plutôt insinuer que Lillian avait perdu la capacité d’utiliser la divinité avant de développer la maladie de la malice accumulatrice. Cela expliquerait pourquoi une sainte comme Lillian, qui avait la précieuse capacité d’utiliser la divinité, avait été nommée directrice d’un orphelinat à Maalt, un trou perdu parmi les trous perdus.

« Je ne sais pas si vous le savez, » poursuit Elza, « mais Lillian était religieuse à l’abbaye d’Ephas jusqu’à il y a une dizaine d’années. Elle est devenue religieuse à l’âge de quinze ans, et même à cet âge, elle avait un don puissant pour la divinité. Elle était considérée comme une sainte prometteuse qui porterait l’avenir de l’Église sur ses épaules. »

Aha, il y avait donc une bonne raison pour que Lillian ait été affectée à un endroit aussi rural que Maalt. Eh bien, non, Maalt n’était pas rural. C’était une ville frontalière relativement prospère. Et même si je voulais le souligner, ce n’était pas Elza qui avait qualifié Maalt d’arriéré, alors je ne pouvais rien dire.

« Et pourtant, elle a été affectée à Maalt ? » demanda Lorraine. « Je ne veux pas jeter l’opprobre sur ma propre ville, mais Maalt est une ville de campagne comparée à la capitale. Ce n’est pas l’endroit idéal pour une sainte qui a autant de talent. »

Une partie de moi était un peu blessée que même Lorraine soit aussi dédaigneuse à l’égard de Maalt, mais elle venait de l’empire et était une citadine née et élevée, alors je ne pouvais pas vraiment la blâmer. J’étais donc le seul campagnard ici. Je ressentis un léger sentiment d’infériorité et décidai de me tenir à l’écart de la conversation pour le moment.

Contrairement à mes réflexions intérieures fantaisistes, leur conversation s’était poursuivie sur un ton sérieux. J’étais peut-être un peu trop gaffeuse. Quoi qu’il en soit, tout cela se passait dans ma tête, on pouvait donc me pardonner de m’amuser un peu dans mon propre monde, n’est-ce pas ?

« Pas du tout », répondit Elza. « On m’a dit que Maalt est l’une des parties les plus prospères de la frontière. En particulier, depuis peu, elle est considérée comme une terre prometteuse avec la naissance d’un nouveau donjon. Beaucoup disent qu’elle ne sera plus considérée comme une frontière ou un arrière-pays à l’avenir. »

Elza avait fait l’éloge de Maalt avec l’assurance de quelqu’un qui vient d’une grande ville. J’avais du mal à retenir mes larmes, la façon dont elle avait formulé sa déclaration avec douceur et tact était un baume pour ma fragile fierté nationale. J’avais décidé à ce moment-là que j’accepterais volontiers toute tâche que l’abbesse Elza pourrait me confier.

***

Partie 5

Blague à part, j’étais presque sûr que la prédiction d’Elza était juste. Aujourd’hui encore, la Tour et l’Académie rôdaient autour de la ville. Je ne savais pas à quel point les découvertes du donjon seraient utiles, mais des observations seraient menées sur le long terme. De plus, un donjon nouvellement créé était une découverte extrêmement rare. Il nécessiterait un projet de recherche à grande échelle qui exigerait la construction de centres de recherche avancés et d’institutions académiques dans la ville elle-même. Il était facile d’imaginer que les aventuriers et les travailleurs afflueraient vers la ville dans le cadre de ce projet.

Il était clair que la ville serait en plein essor à l’avenir et que Maalt rejoindrait les rangs des grandes villes du monde. Je ne savais pas si cela irait aussi loin, mais j’espérais que ce serait le cas. D’un autre côté, si la croissance démographique qui résulterait de ces développements présentait des avantages, elle avait aussi des inconvénients. Il est difficile de dire que la croissance ne sera qu’une bonne chose. Les ruelles pourraient s’appauvrir et devenir des bidonvilles, ou bien il pourrait en résulter une augmentation des conflits et des crimes.

On en voyait déjà les signes. La querelle entre les étudiants de l’Académie et le marchand que nous avons vu précédemment, et les disputes entre les chercheurs de la Tour et les aventuriers que nous avons vus avant de partir, n’étaient sans doute que le début de la situation. Cela ne ferait que donner de plus en plus de travail à Wolf. Ce n’était pas mon problème, mais je devais pouvoir l’aider un peu.

 

 

« Comme vous l’avez dit, abbesse Elza, il est vrai que Maalt est en train de devenir prospère, » dit Lorraine. « Cependant, ce n’était probablement pas le cas lorsque Sœur Lillian y a été affectée. »

Elza acquiesça. « Oui, c’est exact. »

« Alors pourquoi... Non, je suis désolée, je ne veux pas être indiscrète… »

Lorraine se retint, estimant manifestement qu’elle pourrait s’immiscer dans les affaires privées de Lillian, mais Elza répondit à sa question non formulée.

« Non, j’en ai peut-être trop dit. Je devrais m’excuser auprès de Lillian plus tard. Mais j’ai l’impression de vous avoir donné une image incomplète. Pour donner un peu plus de détails, la raison pour laquelle Lillian est allée à Maalt n’était pas due à quelque chose qu’elle avait fait, mais à des conflits internes au sein de notre foi. »

C’était une histoire courante, mais elle n’était pas typique de l’Église du ciel oriental. Ou plutôt, ce n’était pas le genre de chose qui était rendue publique, même si elle se produisait. On en entendait plus souvent parler lorsqu’il s’agissait d’autres religions, mais…

Elza poursuivit : « C’est pourquoi je me suis toujours sentie coupable. J’ai essayé de rester en contact avec Lillian même après son départ pour Maalt, mais Lillian elle-même m’a dit que tout contact avec elle serait mauvais pour moi et, à un certain moment, elle a cessé de me contacter. Cette lettre est la première que je reçois d’elle depuis longtemps. Je lirai attentivement son contenu plus tard et, si possible, je lui écrirai une réponse. Bien que je ne veuille pas vous déranger, j’apprécierais que vous lui transmettiez directement la réponse. Nous pouvons en faire une demande officielle par l’intermédiaire de la guilde… »

La conversation avait pris une tournure inattendue. Il était naturel de vouloir écrire une réponse à une lettre que l’on venait de recevoir, surtout si elle provenait d’une connaissance dont on n’avait pas eu de nouvelles depuis longtemps. Il semblait que Lillian et Elza n’étaient pas seulement des connaissances ou des supérieures et subordonnées dans l’église, mais aussi des amies, et il était donc encore plus compréhensible qu’Elza veuille envoyer une réponse à Lillian.

Cela soulevait une question. Lillian et Elza avaient-elles à peu près le même âge ? Lillian était une femme corpulente d’âge moyen qui semblait avoir une quarantaine d’années, mais Elza parlait comme si elle avait connu Lillian lorsqu’elle était adolescente. J’avais lutté contre l’envie de demander à Elza : « Quel âge avez-vous ? » car je savais bien que la seule chose qui attendait une telle question était la douleur.

J’avais vu cela arriver trop souvent à mes compagnons d’aventure qui avaient posé la même question à des aventurières chevronnées à la taverne. Ils avaient reçu un ou deux poings en guise de réponse et s’étaient retrouvés avec une belle bouchée de terre pour accompagner leur ale. Après avoir vu cela se produire plusieurs fois, j’avais appris la précieuse leçon de ne pas demander leur âge aux femmes. Non pas que cela m’ait complètement empêché de le faire, même aujourd’hui. Peut-être que j’avais juste besoin de plus de discipline.

Quoi qu’il en soit, je devais lui donner une réponse… Puisque nous devions retourner à Maalt, cela ne devrait pas poser de problème. Lorraine devait être d’accord, car elle me jeta un coup d’œil pour vérifier avant de répondre à Elza.

« Dans ce cas, nous n’avons aucun problème à accepter votre tâche. J’ai l’intention de rester dans la capitale pendant un certain temps, ce qui signifie que toute lettre destinée à Sœur Lillian ne sera livrée qu’à mon retour. Si cela vous convient… »

« Oui. Ce n’est pas une affaire urgente, alors ça ira. Je vous contacterai par l’intermédiaire de la guilde une fois la lettre terminée. Merci d’avoir accepté ce travail. »

◆♥♥♥◆♥♥♥◆

Lorraine et moi avions ensuite fait chacun un don avant de quitter l’abbaye d’Ephas, la grande abbaye de la branche de Yaaran de l’Église du ciel oriental. Alors que Lorraine faisait des dons de temps en temps, il était rare que je fasse des dons, mais maintenant que j’avais enfin un peu d’argent, j’avais pu en faire un aujourd’hui. Je n’avais que quelques pièces d’argent à ma disposition, mais c’était suffisant pour subvenir aux besoins d’une famille pendant un mois, ce n’était donc pas un petit don. Bon, d’accord, c’était peut-être assez pour vingt pains.

Je n’avais aucune idée du montant donné par Lorraine, mais le don moyen d’un fidèle de l’église s’élevait tout au plus à quelques pièces de cuivre. Ce chiffre augmentait lorsque les aventuriers s’en mêlaient, mais les revenus de l’aventure coulaient comme de l’eau de roche, de sorte que c’était presque inévitable. L’aventure rapportait beaucoup d’argent, mais c’était aussi un travail coûteux à entretenir. Les armes, les armures et les outils suffisaient à me donner des maux de tête lorsque je devais établir mon budget. Même les aventuriers de rang inférieur gagnaient bien leur vie, mais pour beaucoup d’entre eux, une fois l’équipement et l’entretien pris en compte, ils avaient tendance à perdre des revenus plutôt qu’à en gagner. Le seul moyen pour les aventuriers de trouver une sécurité financière était de travailler dur et de devenir plus forts.

Peu après notre départ de l’abbaye, Lorraine déclara : « Il ne reste plus qu’à acheter des cadeaux pour les autres et à obtenir une audience avec Son Altesse. »

« C’est vrai, mais je pense que les cadeaux peuvent attendre que nous soyons prêts à partir. La liste de Rina contient surtout des choses qui se gâtent rapidement… »

« Pour les aliments, la magie peut aider à les conserver, mais même dans ce cas, il vaut mieux attendre. »

Elle ne parlait pas de manipuler le temps et l’espace, mais simplement d’utiliser la magie pour refroidir les choses ou enlever l’humidité. Ce n’est pas que la magie de manipulation de l’espace-temps n’existe pas, mais elle est beaucoup plus difficile à utiliser que d’autres types de sorts. Elle n’était pas destinée à un usage courant.

Peut-être serait-il plus facile de comprendre la difficulté de ces sorts si je disais que la téléportation était pour ainsi dire une forme de magie de manipulation de l’espace-temps. Même Lorraine ne pourrait pas l’utiliser pour conserver de la nourriture. Bien sûr, elle pourrait probablement le faire avec suffisamment de préparation, de ressources et d’aide, mais ce n’est pas le genre d’effort que l’on fait pour de simples souvenirs.

Une douzaine de mages réunis dans un gigantesque cercle magique en train de psalmodier tout en versant d’énormes quantités de mana dans un gâteau aurait de quoi faire réfléchir n’importe qui sur le gaspillage de magie de haut niveau que cela représenterait. Cependant, une partie de Lorraine aurait été ravie de faire une telle chose, et je ne pouvais donc pas affirmer avec certitude qu’elle ne le ferait jamais. En y réfléchissant, j’avais envie de le faire moi-même à un moment ou à un autre. Les expériences si ridicules que personne n’avait jamais été assez fou pour les tenter auparavant avaient quelque chose de cool.

Pendant que je rêvassais à ce ridicule gaspillage de magie, Lorraine poursuivait la conversation.

« Il ne nous reste plus qu’à écouter Son Altesse. Rentt, as-tu pensé à apporter cette médaille ? »

La médaille dont parlait Lorraine était celle que nous avait donnée Nauss Ancro, le capitaine de la garde royale de Yaaran, qui protégeait la princesse lorsque nous l’avions sauvée. Elle représentait une partie de la scène décorant l’armure de Nauss — une licorne poignardant un monstre avec sa corne — qui faisait partie de son héraldique. C’était un objet magique utilisé comme forme d’identification, et il nous l’avait donné pour que nous le montrions aux gardes à la porte du palais lorsque nous voudrions une audience avec la princesse. Techniquement, il ne nous l’avait pas donné, mais prêté, donc je ne risquais pas de le perdre. Et comme j’en avais besoin pour ce voyage, je l’avais bien sûr sur moi. Je le croyais, en tout cas.

« Ahem… Je suis sûr que je l’avais là-dedans… » J’avais plongé ma main dans mon sac magique et j’avais pensé à la médaille.

« Pourquoi as-tu l’air incertain ? » interrogea Lorraine, l’air un peu inquiet.

Je voulais dire que je savais que je l’avais mis là, mais il y avait toujours la possibilité que je l’aie oublié. En tout cas, j’étais sûr de l’avoir mis là — assez sûr, en tout cas. Alors que je m’inquiétais, j’avais senti le poids du métal dans ma main et une vague de soulagement m’avait envahi. J’avais sorti ma main du sac et la médaille était là, dans ma paume.

« Aha ! »

« Oh pour l’amour de… Tu m’as inquiétée pendant une seconde », dit Lorraine avec un léger air exaspéré, mais je fis semblant de ne pas le remarquer.

« Quoi qu’il en soit, ce sceau… Il donne la chair de poule, peu importe le nombre de fois qu’on le regarde, hein ? Je suppose qu’une famille qui produit un capitaine de la garde royale doit montrer ses prouesses martiales jusque dans son héraldique. »

« Oui, c’est probablement vrai. Les nobles doivent se préoccuper des apparences. Bien sûr, ceux qui n’ont pas les moyens d’étayer ces apparences par de la substance tombent rapidement en disgrâce. Quoi qu’il en soit, grâce à cela, nous pouvons entrer dans le palais, mais nous devons encore nous inquiéter que ton identité soit découverte. »

Lorraine faisait référence au filet de détection qui vérifiait l’entrée des monstres dans la capitale. J’avais pu entrer dans la ville grâce à un objet magique de la famille Latuule, mais quand il s’agissait du palais...

« Mais es-tu sûre que tout ira bien, n’est-ce pas, Lorraine ? »

« Oui. J’ai vérifié le type d’appareils de détection qu’ils utilisent au palais et j’en ai même testé un sur toi. Aucun d’entre eux n’a réagi à ta présence, il n’y a donc pas lieu de s’inquiéter outre mesure. Mais il est toujours important d’être préparé, juste au cas où, c’est pourquoi j’ai emprunté un sous-fifre à Edel. »

Cela m’avait surpris. « Quand as-tu fait cela ? » avais-je demandé.

« Quand nous étions à Maalt, bien sûr. Il m’accompagnait dans la voiture. Ne l’as-tu pas remarqué ? »

« Maintenant que tu en parles, je me souviens d’avoir vu un seul puchi suri à cet endroit, mais j’ai supposé qu’il s’agissait d’un puchi sauvage. »

Les passagers clandestins Puchi suri sont fréquents lors des voyages en calèche, et je n’y avais donc pas prêté attention à l’époque. Comme je n’avais plus senti sa présence lorsque nous étions arrivés aux portes, j’avais supposé qu’il avait sauté quelque part en cours de route.

« Cela va sans dire, mais même un puchi suri, contrairement à toi, est manifestement un monstre, et nous ne pouvions pas entrer dans la capitale avec l’un d’entre eux dans la calèche. De plus, je voulais confirmer l’efficacité du dispositif de la maison Latuule, alors je lui ai donné l’objet et je l’ai fait se faufiler dans la capitale en premier. Il se promène maintenant dans le quartier des nobles pour s’assurer qu’il est possible d’aller aussi loin avec l’objet. Une fois que nous en serons sûrs, je lui ferai essayer le palais. »

Cela semblait être un plan assez précis, mais comment Lorraine avait-elle pu communiquer si bien avec Edel et les puchi suris sans que je le sache ?

Lorraine avait dû remarquer ma confusion, car elle avait ajouté : « J’ai beaucoup réfléchi à cette visite, et j’ai marmonné que je voulais m’assurer à l’avance que c’était sans danger. Edel m’a apparemment entendue parler toute seule, et il a fait venir son sous-fifre auprès de moi. J’ai eu l’impression qu’Edel me disait d’en profiter. Ce n’est pas que nous puissions parler, mais il peut hocher la tête en réponse à ce que je dis, alors quand j’ai pu confirmer que nous pouvions communiquer, je l’ai fait venir pour m’aider. »

C’était un peu trop d’indépendance, n’est-ce pas ? Ou peut-être que c’était bien parce que c’était pour mon bien.

« Mais Edel ne rate jamais une occasion », poursuit Lorraine, « et il n’a pas manqué de demander une récompense. »

« Une récompense ? »

« Oui. Tu sais, l’objet magique qui permet de régler la température à la maison ? Il en veut aussi un pour le sous-sol de l’orphelinat. C’est un petit prix à payer pour leur faire faire un travail dangereux. »

Edel était resté silencieux parce qu’il avait d’autres motivations, hein ? Ce n’est pas comme si ça me coûtait quelque chose, alors je m’étais dit que c’était bon.

« Je comprends ce qui s’est passé », avais-je dit. « Mais même si c’est réglé, c’est nous trois qui devons rendre visite à Son Altesse. »

Lorraine acquiesça. « Oui. Nous devons contacter Augurey. Je connais l’emplacement de son auberge. Pourquoi ne pas commencer par là ? »

***

Histoire parallèle : Pendant ce temps, à Maalt

« Hrrrm… »

Rina — l’apprentie de Rentt et Lorraine — se tenait debout, fronçant les sourcils, gémissant de concentration et se concentrant sur la tâche à accomplir. Elle se trouvait dans la cour du domaine de Latuule, situé dans un coin de la ville de Maalt. Non loin de là, Alize, Rentt et l’autre apprentie de Lorraine observaient Rina tandis qu’elle rassemblait du mana dans la baguette magique qu’elle tenait à la main. Lorsque la concentration de Rina atteignit son maximum, elle ouvrit les yeux et entonna un chant.

« Gie Vieros ! »

Un instant plus tard, une matière brune ressemblant à de la terre s’accumula dans l’espace vide à l’extrémité de la baguette, se transformant lentement en une flèche flottant dans les airs. Rina fit alors un geste comme si elle poussait vers l’avant. La flèche traversa l’air presque aussi vite qu’une flèche ordinaire, vola vers une cible composée de plusieurs anneaux concentriques et frappa l’anneau le plus à l’extérieur.

 

 

« Wow », marmonna Alize après que la flèche de Rina frappa.

Isaac, qui se tenait à côté d’Alize, hocha la tête en signe d’approbation. « Si l’on tient compte du fait que c’était la première fois que vous essayiez un sort accéléré, vous vous êtes bien débrouillée. Si je devais pinailler, je dirais que j’aurais aimé que vous frappiez un peu plus près du centre. »

Rina et Alize étaient en train de pratiquer leur magie. Lorraine leur avait donné une liste de tâches à accomplir pendant son absence et celle de Rentt, et sur cette liste figurait une note disant de demander à Isaac de les instruire si elles voulaient pratiquer la magie offensive. Elles avaient suivi les instructions de leur mentor et s’étaient rendues au domaine de Latuule pour demander la tutelle d’Isaac.

De façon quelque peu inattendue, Rina et Alize avaient pu entrer dans le domaine sans problème. Normalement, il fallait passer par un donjon de haies que même Rentt avait eu du mal à franchir, mais le duo avait été autorisé à sauter cette étape. Cela signifiait également qu’elles n’avaient pas reçu la récompense pour avoir traversé le Donjon — un objet magique de leur choix — mais comme aucune d’entre elles ne le savait, elles n’allaient pas s’en plaindre.

De plus, Alize étant une enfant de l’orphelinat, il aurait pu être mal vu qu’elle soit ici seule parmi les vampires et les morts-vivants, mais heureusement elle n’en avait pas conscience, elle n’avait rien remarqué d’anormal lorsqu’elle avait rencontré Isaac et les autres serviteurs qui travaillaient au domaine. C’était normal, vu que les vampires avaient passé des années, des décennies, voire des siècles à Maalt sans que personne ne découvre leur véritable identité. Même en pénétrant au cœur du manoir, il fallait être un observateur particulièrement perspicace — ce qui n’était certainement pas le cas d’Alize — pour percer leur façade.

Du point de vue d’Alize, elle était simplement entrée dans un beau domaine avec une magnifique roseraie et un personnel composé de serviteurs élégants et raffinés. Si les mères du monde entier pouvaient protester contre le fait qu’un orphelin soit en compagnie de vampires, il n’y avait aucune mère présente et donc personne pour s’y opposer.

La seule « bonne » personne qui connaissait la vérité était Rina, et elle était elle-même une pseudovampire, pas si éloignée des habitants morts-vivants du domaine. Alize était essentiellement une cible facile — une friandise que les vampires pouvaient grignoter à leur guise — mais personne ne se nourrissait d’elle.

« Monsieur Isaac, est-il aussi possible pour moi de le faire ? » demanda Alize.

Isaac sourit de ce sourire à la fois effrayant et élégant qui aurait pu le faire passer pour un vampire en compagnie de personnes plus prudentes et répondit : « Oui, éventuellement. Mais il serait difficile de le faire immédiatement. »

« Pourquoi cela ? »

« Ce que fait Mlle Rina n’est pas de la magie chantée ordinaire, mais de la magie accélérée. En général, la magie se divise en magie chantée, magie accélérée et magie silencieuse, mais les deux dernières deviennent progressivement plus difficiles. Mlle Alize, vous n’avez appris que la magie chantée jusqu’à présent, n’est-ce pas ? »

« Oui. Est-ce que c’est parce que je n’ai aucun talent de mage ? » marmonna Alize d’un air inquiet.

Isaac secoua la tête et lui sourit d’un air rassurant.

« Non, ce n’est pas du tout cela. Le problème est plutôt que si vous ne prenez pas soin et ne faites pas attention à votre chant lorsque vous apprenez la magie pour la première fois, vous finirez par développer des habitudes étranges en tant que lanceur de sorts. En d’autres termes, la magie chantée est l’équivalent des formes dans le maniement de l’épée. Le style d’un épéiste dépend en grande partie du fait qu’il commence par maîtriser ces formes ou qu’il les abandonne complètement. Dans le premier cas, il s’agit d’un épéiste d’une école particulière, tandis que dans le second cas, il s’agit d’un combattant totalement autodidacte. Ce n’est pas comme si l’un des deux processus aboutissait toujours à un guerrier plus fort, mais le premier est une façon plus efficace d’apprendre, n’est-ce pas ? »

Alize acquiesça, la description lui rappelant quelque chose.

« Cela me rappelle que Rentt est très doué pour manipuler le mana, mais le professeur Lorraine a dit qu’il y avait quelque chose d’effrayant là-dedans. »

« Héhé. Je comprends ce qu’elle veut dire. Rentt est comme le combattant autodidacte dont j’ai parlé. Cependant, Rentt a l’intention de réapprendre les bases, de sorte que tout en conservant les avantages de son propre style autodidacte, il obtiendra également une certaine cohérence en les apprenant. Il comprend la valeur de la maîtrise des bases. »

« Vous avez raison. Il apprend avec le professeur Lorraine tout comme moi. »

« En ce qui concerne la magie que Mlle Rina vient d’utiliser, elle maîtrise déjà la magie chantée. Elle essaie la magie accélérée pour passer à l’étape suivante de son entraînement. Comme elle semble trouver la magie de terre particulièrement difficile, le Gie Vieros lui est également utile pour pratiquer ce type de magie. Quant à vous, Mlle Alize, vous avez le temps. Allez-y doucement et concentrez-vous d’abord sur le perfectionnement de votre magie chantée. Je serai là pour veiller à ce que vous ne tiriez pas de mauvaises leçons de votre pratique, alors ne vous inquiétez pas de faire des erreurs en cours de route. »

« Oui, monsieur ! »

Alors qu’Isaac semblait enseigner à la paire comment utiliser la magie, tout ce qu’il faisait en réalité était de veiller à ce qu’aucune d’entre elles ne fasse quelque chose de trop dangereux, offrant de petits conseils en cours de route. Elles apprenaient toujours selon les instructions de Lorraine, qui restait donc leur professeur pour ce qui était de la théorie et des fondements.

Les deux femmes avaient donc poursuivi leur entraînement…

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