Chapitre 2 : Compagnie des Dieux et ma vie en tant que NEET
Table des matières
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Chapitre 2 : Compagnie des Dieux et ma vie en tant que NEET
Partie 1
C’était le Dieu du Destin ? Je savais qu’elle travaillait pour l’entreprise, mais je n’aurais jamais imaginé que Sewatari… san soit le véritable Dieu du Destin, celui que j’incarnais. Je ne pouvais pas laisser tomber l’honorifique maintenant que je savais qui elle était, même dans ma tête. Peut-être que je ne devrais même pas penser à elle en tant que Sewatari-san mais en tant que Dieu du Destin.
C’était donc la personne avec qui j’avais parlé au téléphone auparavant, j’en étais soudainement sûr. Attendez, comment n’avais-je pas pu le remarquer avant ? Elle n’avait pas utilisé une sorte de changeur de voix.
« Tu te poses des questions sur ma voix, hein ? Eh bien, je suis un dieu. Bloquer ta conscience sur ce genre d’aspect est plutôt mineur. »
« Vraiment, ce n’est pourtant pas ton pouvoir. C’était un de nos collègues. »
Nattyan… san fit alors un clin d’oeil malicieux.
« Hé ! J’essaie d’avoir l’air impressionnant et divin. »
Sewatari-san, le Dieu du Destin, lui répondit en la frappant.
Je n’avais même pas parlé de l’appel téléphonique. Avait-elle lu dans mes pensées ? Je m’étais donc décidé à la tester.
« Tu penses que j’ai parlé de façon très informelle au téléphone ? Eh bien, je ne voulais pas me trahir. C’était uniquement pour ça. »
Oh mon Dieu, elle pouvait vraiment lire dans mes pensées. Elle avait parfaitement répondu à ma question silencieuse.
« Il y a cependant des limites à ma capacité. Je ne peux pas lire dans tes pensées où je veux. Notre pouvoir est plus fort lorsque nous sommes dans cette zone, c’est pourquoi c’est assez efficace. Ne trouves-tu pas cela un petit peu injuste, non ? Moi qui suis la seule à lire dans les pensées. Attends une seconde. »
Sewatari-san sortit son téléphone et tapota l’écran plusieurs fois.
« Ok, ça devrait le faire. J’ai emprunté le pouvoir du livre pour bloquer ma lecture des pensées. Ce serait mauvais si tout le monde au deuxième étage découvrait ma capacité. »
Selon l’annuaire, le deuxième étage appartenait à Isekai Connection. Ça ne voulait-il pas dire qu’ils étaient ses collègues ? D’autres dieux ?
Si Sewatari-san était un dieu, alors Nattyan-san devait en être un aussi. Je ne pouvais pas être informel avec elles comme je l’étais avant.
« Yoshio, qu’est-ce que Seri vient de dire ? », me demanda Carol.
Sewatari-san avait fait en sorte que Carol ne puisse pas la comprendre, hein ? Je lui avais lancé un regard. Cette dernière se gratta la tête maladroitement.
« Si Carol-chan découvre que je suis un dieu, elle ne me regardera plus de la même façon. »
Très juste. Dans l’autre monde, les dieux étaient très vénérés, et personne ne semblait douter de leur existence. Ils n’étaient pas comme moi, qui n’avais cru aux dieux que très récemment.
« On disait que nous aidions les dieux dans leur travail ici toutes les deux, et qu’on était désolés de l’avoir caché. »
« Vous aidez les dieux ? ! Wôw ! Tout ce que je peux faire, c’est aider les gens avec qui je vis. »
Carol leva les yeux vers Sewatari-san, les yeux brillants de respect.
Sewatari-san répondit un peu timidement : « Devrions-nous continuer à parler à l’intérieur ? Il fait froid ici. Il y a probablement une salle de réunion libre quelque part. »
« Je vais aller en réserver une et la faire déverrouiller. »
Nattyan-san s’élança dans les escaliers sans attendre la réponse du Dieu du Destin.
Le Dieu du Destin laissa alors échapper un petit soupir : « Allons-y. »
« Oui, Seigneur », dis-je.
« Arrête ça. Nous ne sommes rien d’autre que des païens dans ce monde, alors traite-nous comme des humains normaux. Ne t’embête pas non plus avec les titres honorifiques. »
« Ok, Sewatari...san. »
Je n’avais pas pu m’empêcher d’ajouter le « san » même après qu’elle m’ait dit d’arrêter. Celle-ci fronça les sourcils. Même cette petite expression semblait lourde de pouvoir.
Nous étions entrés par la porte vitrée que Nattyan-san avait laissée ouverte derrière elle. Le bâtiment était tellement plus chaud qu’à l’extérieur. Les escaliers étaient juste en face de nous, avec un ascenseur à notre droite. Sur la gauche, il y avait la porte de l’agence de voyages.
« Notre département est au troisième étage. Cela ne vous dérange pas d’utiliser les escaliers, n’est-ce pas ? Je peux vous expliquer un peu plus en montant. »
Sewatari-san prit la tête. Je l’avais suivi, en prenant Carol par la main. Destinée s’était accroché à mon dos et posa sa tête sur mon épaule.
« Cette agence de voyages au premier étage n’a rien à voir avec nous, nous ne parlons donc pas des jeux avec eux, même si nous sommes amicaux. Formater la mémoire des gens est ennuyeux. »
Oui, je m’étais demandé s’il y avait un lien.
Attendez, qu’est-ce qu’elle vient de dire ?
« Que voulez-vous dire par “Formater la mémoire” ? »
« Oh, un des autres dieux qui travaille avec nous a le pouvoir de manipuler les souvenirs. C’est ce qu’on utilise quand quelqu’un a un game over. »
C’était ce qui était arrivé à Yamamoto-san juste devant moi, il avait perdu tous ses souvenirs du jeu. Avec tout ce qui se passait, j’avais pris tout ça à la légère, mais c’était intéressant de savoir que c’était basé sur un miracle.
« Je sais que nous avons l’air ordinaires, mais nous sommes des dieux. J’ai d’autres pouvoirs, aussi, mais il y a des limites. »
« Des limites ? »
Elle avait aussi mentionné des limites quand elle avait parlé de son pouvoir de lecture des pensées.
« Oui. Mais je t’en parlerai plus tard. Pour faire court, nous avons perdu beaucoup de nos pouvoirs quand nous sommes venus au Japon. »
Quand ils sont venus au Japon ? L’expression de son visage me montra que c’était un sujet sensible. De plus, elle avait dit qu’elle entrerait dans les détails plus tard. Je pouvais attendre jusque là.
« Bon, c’est le deuxième étage. »
Ce palier avait une porte vers la section principale du bâtiment et un hall d’ascenseur, tout comme le premier étage. La porte principale était grande et en verre, flanquée de plantes d’intérieur. Au-delà, il y avait des bureaux avec des ordinateurs, disposés en lignes bien ordonnées. Cela ressemblait à n’importe quel autre bureau que j’avais visité pour mon travail de nettoyage, un espace ouvert tout à fait ordinaire. Une quinzaine de personnes travaillaient dur ou parlaient au téléphone. Seuls trois d’entre eux portaient des costumes, les autres étaient habillés de manière décontractée. Ce n’était pas ce que l’on attendrait d’employés de bureau.
« Il n’y a pas de code vestimentaire dans notre entreprise. D’habitude, je m’habille un peu plus décontracté que ça, mais je voulais être élégante pour le moment où nous viendrons te chercher, Yoshio-kun. Est-ce que ça me va ? »
Sewatari-san posa une jambe sur l’escalier au-dessus et prit la pose. Avec sa silhouette élancée et son joli visage, elle ressemblait à un mannequin tout droit sorti d’un magazine de mode.
« Oui, ça vous va incroyablement bien. »
« Je t’ai dit de ne pas être si formel ! Je comprends que tu sois nerveux devant un dieu, mais essaie d’être comme avant, d’accord ? »
« Je ferai de mon mieux. »
C’était une demande difficile. Je n’étais pas assez courageux pour traiter un dieu comme mon ami. Et même si son apparence n’avait pas changé, elle était différente. Divine. Je savais qu’elle me disait la vérité.
« N’essaie pas non plus de regarder sous ma jupe. Sauf si tu veux sentir ma colère. »
« Je ferai attention. », dis-je en gloussant nerveusement.
Était-ce une blague ? Étais-je censé sourire ou elle aurait trouvé ça impoli ?
« Ugh, c’est pour ça que je ne voulais pas que tu saches qu’on était des dieux jusqu’à la fin ! Je te l’ai dit, on est des païens ici ! Nous sommes seulement des dieux dans l’autre monde. Tu n’as pas à être si nerveux. »
Elle pouvait me le dire autant de fois qu’elle le voulait, je ne pouvais pas faire comme si je ne le savais pas. Ce n’était pas un événement quotidien. Comment étais-je censé réagir à cela ?
« Ok, je vais continuer à parler. N’allez pas dans le bureau du deuxième étage. Tu peux faire ce que tu veux au troisième étage, mais le deuxième est complètement interdit. », dit Sewatari-san en soupirant.
Sewatari-san posa ses mains sur ses hanches comme si elle s’attendait à ce que cela aide à faire passer le message.
Je n’avais pas compris. Le deuxième étage appartenait aussi à Isekai Connection, c’était donc ses collègues, non ?
« Le deuxième étage est un département différent. Pour être tout à fait honnêtes, nous ne nous entendons pas vraiment avec eux. Beaucoup de gens de notre étage ont des préjugés contre eux, et vice versa, mais je n’en fais pas partie. Restez juste à l’écart. »
Malgré son ton léger, un froncement de sourcils était gravé sur son front. C’était assez intimidant pour me faire frissonner étant donné que sa vraie nature divine était imprégnée dedans.
***
Partie 2
Carol, Destiné et moi avions hoché la tête.
« Vous êtes tous si raisonnables, cela me rend heureuse ! Et maintenant, nous sommes dans mon département ! », dit Sewatari-san en gloussant.
Elle s’était dirigée d’un pas rapide vers la porte. Le troisième étage était identique au deuxième, avec le hall d’ascenseur et le décor. La seule différence était le type de plantes d’intérieur.
« Entrez ! », dit Sewatari-san en faisant signe.
De l’autre côté de cette porte se trouvait un bureau rempli de dieux, avec moi maintenant, un ancien NEET. Je ne pouvais pas vraiment entrer là-dedans ?
Je m’étais arrêté net, vaincu par la peur. Carol, pendant ce temps, entra avec Destiné dans ses bras. J’avais admiré son innocence et sa curiosité d’enfant. Je ne pouvais pas la laisser m’impressionner. J’avais gonflé ma poitrine, j’étais entré à grandes enjambées. Ma confiance était bien sûr complètement fausse.
« Mon joueur vient d’envoyer une autre prophétie folle ! Bon sang, je ne peux pas juste confisquer ce livre ? »
« Es-tu sûr que tu veux utiliser autant de miracles ? Il ne te restera presque plus de points… »
« Mon écran est bizarre. Que quelqu’un appelle IT ! »
« Je jure que si ces dieux corrompus dépassent les bornes encore une fois… »
À l’instant même où nous étions entrés, des voix bourdonnèrent autour de nous. La pièce spacieuse était remplie de bureaux, chacun possédant trois cloisons afin de donner à son occupant son propre espace. Le plafond faisait un peu plus de quinze pieds de haut selon mon estimation, et il devait y avoir près d’une centaine de bureaux, dont la moitié était occupée par des gens… non, des dieux, qui travaillaient.
Leurs apparences étaient étrangement variées. Certains étaient manifestement asiatiques, tandis que d’autres semblaient scandinaves.
« Ce sont tous des dieux de l’autre monde ? »
« Oui. Il y a parfois des humains ici, mais aujourd’hui, il n’y a que des dieux. »
Leurs visages, leurs vêtements et leur discours leur conféraient à tous une apparence complètement humaine, mais les habitants de l’autre monde avaient aussi une apparence humaine. C’était donc logique, puisque beaucoup de nos dieux avaient aussi l’air humains.
Malgré leur apparence, je devais me souvenir de leur divinité et faire attention à ne pas leur manquer de respect. Je m’étais préparé du mieux que j’avais pu. Le fait que certains d’entre eux grignotaient en travaillant ou bâillaient et jouaient avec leurs téléphones n’aidait pourtant pas.
« Allons-nous dans la salle de réunion ? »
« O-oui, madame. »
J’avais suivi Sewatari-san avec raideur. Je jetais des coups d’œil autour de moi, mais je ne pouvais pas distinguer cet endroit d’un bureau ordinaire. J’avais pourtant remarqué que certains employés me fixaient durement. Je ne pouvais pas les blâmer, n’importe quel humain, surtout un aussi quelconque que moi, aurait semblé déplacé ici.
J’avais essayé de ne pas établir de contact visuel. Même avec plus de cent personnes travaillant, le bureau semblait spacieux. Il semblait certainement beaucoup plus grand que de l’extérieur, à tel point que j’avais du mal à le croire. D’après la taille du bâtiment, il ne devrait même pas faire un dixième de cette taille. Je ne pouvais pourtant pas nier ce que je voyais. Normalement, je serais resté bouche bée de surprise, mais après tout ce que j’avais vécu, ce serait une réaction excessive. Ce bureau abritait un tas de dieux. Manipuler l’espace n’était probablement rien pour eux.
Une porte à notre gauche s’était ouverte, et le visage bronzé de Nattyan-san apparu derrière elle.
« Oh, hé, vous avez réussi. Venez, entrez là ! »
Son sourire amical me rassura. Même en sachant qu’elle était un dieu d’un autre monde, son attitude me mettait à l’aise.
« Merci, Nattyan ! Par ici ! »
Sewatari-san nous fit signe d’avancer.
J’avais accéléré le pas et m’étais glissé dans la pièce derrière elle, soulagé d’être à l’abri des regards de tous.
La salle de réunion contenait une longue table entourée de chaises pliantes et d’étagères remplies de dossiers. Un grand aquarium grouillait de poissons tropicaux multicolores. Un tableau blanc était accroché au mur de droite, vierge à l’exception de quelques taches, comme si quelqu’un avait effacé quelque chose à la hâte. J’avais plissé les yeux, me demandant si je serais capable de lire quelque chose.
« Réponse à la corrup… tion. Microtransactions… Prix plus bas… »
« Arrête ça. Ce sont des secrets commerciaux ! »
Sewatari-san effaca le reste du tableau et se retourna.
Elle tapa sa main contre le tableau blanc et sourit.
« Il est temps d’entrer dans le vif du sujet ! »
Je m’étais assis sur l’une des chaises. Une boisson chaude fut placée devant moi. Je levais les yeux et constatais qu’une femme avec des cheveux noirs jusqu’à la taille se trouvait là. Enfin, j’avais supposé que c’était une femme parce qu’elle portait une robe bleue, mais ses cheveux cachaient complètement son visage.
« Merci », dis-je.
Elle tint le plateau contre sa poitrine et me fit un rapide signe de tête. Je ne savais même pas à quel moment cette personne était entrée. Je ne me souvenais même pas avoir entendu la porte s’ouvrir. Quand j’avais levé les yeux de mon verre, elle était partie.
« Huh ? »
J’avais cru qu’elle était repartie en silence, mais je remarquais rapidement qu’elle était assise seule dans un coin. Avec sa façon de regarder et d’agir, elle me faisait penser à un fantôme. Peut-être que c’était impoli de penser ça. Quoi qu’il en soit, elle semblait être ici pour participer à la réunion.
Elle brandit alors un petit panier de snacks et fit signe à Carol et Destiné. Ces derniers s’étaient approchés avec hésitation, envoûtés par la promesse de bonbons. Si elle les divertissait, je pourrais me concentrer sur ce que Sewatari-san disait. J’avais incliné ma tête, mais elle rejeta rapidement mes remerciements. Je ne pouvais pas voir son visage, mais je dirais qu’elle était embarrassée. Mais comme ni Sewatari-san ni Nattyan-san n’avaient réagi, j’avais décidé de laisser tomber.
« D’abord, je veux m’excuser de vous avoir menti sur nos identités. Je suis désolée. »
« Oui, désolée. »
Les deux femmes baissèrent la tête. Je m’étais levé d’un bond, incapable de faire face à cette situation.
« S’il vous plaît, ne vous excusez pas ! LE fait que vous m’ayez menti ne me dérange pas ! »
C’était beaucoup trop pour moi. Qu’est-ce qui pouvait pousser deux dieux à s’excuser auprès d’un NEET ?!
« Nous arrêterons de nous excuser si tu cesses de nous parler si poliment ! »
Sewatari-san leva alors les yeux vers moi, toujours penchée en avant.
Je n’avais pas réalisé qu’il s’agissait d’une négociation.
« Mais j’essaie juste d’être respectueux ! »
« Je croyais que les Japonais n’étaient pas vraiment religieux ? C’est ce qu’on entend dans les milieux d’affaires divins. »
Il y a des milieux d’affaires divins ?
Mais elle avait raison. Il y avait bien des Japonais qui fêtaient Noël ou qui allaient visiter un sanctuaire le jour de l’an, mais nous avions toujours un pourcentage élevé d’athées et étions considérés comme un pays plus laïque que la moyenne. Mais cela ne signifiait pas que toute personne raisonnable serait assez courageuse pour agir avec indifférence face à un vrai dieu. Il n’y avait vraiment aucune raison de tenir bon si elles ne voulaient pas que je le fasse.
« O-ok, je le ferai… J’essaierai d’être plus décontracté. »
« Super ! Nous allons donc continuer ! »
Sewatari et Nattyan se redressèrent à nouveau. Bien que Sewatari ait dit qu’elle ne pouvait plus lire mes pensées, j’avais pris soin de ne pas ajouter d’honorifiques à leurs noms dans mon esprit.
« Tout d’abord, tu dois savoir que nous ne nous attendions pas non plus à ce que Carol-chan se retrouve dans ce monde. Le système n’était pas censé laisser passer des humains ou d’autres offrandes vivantes. »
« C’est vrai. Les humains ne devraient pas pouvoir passer par le portail. »
Les êtres vivants ne pouvaient pas être envoyés ? Et qu’est-ce qu’ils voulaient dire par « portail » ? Elles allaient trop vite pour moi. Je devais recevoir des explications.
« Puis-je poser une question ? »
« Vas-y, Yoshio-kun. »
Sewatari, qui portait à présent une paire de lunettes à monture noire, je n’avais d’ailleurs pas vu à quel moment elle les avait mises, me lança un pointeur. Je ne savais pas non plus d’où cela venait. Elle essayait probablement de m’injecter de la confiance, mais on aurait dit qu’elle jouait le rôle d’un professeur.
« Tu as dit que les êtres vivants ne pouvaient pas être envoyés en offrande, mais qu’en est-il de Destiné ? »
« Ah, c’est vrai. Comme c’était encore un œuf, le système l’a probablement reconnu comme de la nourriture. C’est aussi notre faute. »
Il avait pensé que c’était de la nourriture ? Comment ce système fonctionnait-il exactement ?
« Que voulais-tu dire à propos des portails ? »
« Oh, oui, le portail ! Pour expliquer cela, je pense qu’il faut revenir sur la façon dont nous, les dieux, sommes arrivés dans ce monde et avons commencé à développer le jeu. »
***
Partie 3
Apparemment, j’avais posé une question pertinente. Je m’étais redressé, prêt à écouter chaque mot.
« Tu dois savoir que le monde d’où nous venons existe sur un plan légèrement supérieur à celui de la Terre. Imagine que notre monde et la Terre soient deux aquariums différents. Le réservoir de notre monde est situé plus haut que celui de la Terre. Du moins d’un point de vue géographique. »
Sewatari prit son verre et se dirigea vers l’aquarium, celui où des poissons tropicaux flottaient tranquillement. Elle s’accroupit devant lui et tendit sa tasse légèrement en dessous.
« Il y a longtemps, dans notre monde, le monde du jeu, les dieux corrompus ont affronté les principaux dieux. Ce fut une bataille féroce qui a fini par ouvrir une fissure dans le monde. Une fissure invisible qui recouvrait tout. Penses-y comme à un petit trou dans le côté de cet aquarium. »
Sewatari tapota son pointeur sur la partie inférieure de l’aquarium. S’il y avait un trou à cet endroit, toute l’eau s’écoulerait.
« Nous, les dieux, avons essayé désespérément de boucher ce trou, ou portail, mais le réparer s’est avéré bien plus difficile que prévu. Comme ce n’était qu’un petit trou, il n’avait aucun effet sur les dieux majeurs puissants ou corrompus, mais les dieux mineurs plus faibles ont commencé à être aspirés à travers et à tomber dans l’autre aquarium. »
Sewatari agita le pointeur, mimant l’eau qui s’écoulait dans sa tasse.
« Donc vous, les dieux mineurs, êtes tombés dans la tasse, autrement dit, la Terre ? »
« Exactement ! Tu as compris. »
C’était logique. Enfin, ça l’était si j’oubliais momentanément tout ce que je savais être vrai sur le monde.
« Quand tu dis Portail, tu ne veux pas dire quelque chose de physique, hein ? C’est plus quelque chose de… spirituel ? »
« Je pense que les principaux dieux ont dit que c’était, comme une sorte de barrière entre les mondes. Quelque chose d’invisible qui transcende le temps et les dimensions, euh… »
Nattyan traîna alors en longueur.
« Oui, c’est ça. », dit Sewatari en hochant la tête.
Une barrière ? Je crois que j’ai compris.
« Bref, notre pouvoir divin a commencé à s’échapper de ce trou petit à petit. C’était comme de l’eau, coulant vers le bas, et comme notre monde est au-dessus du vôtre, c’est là qu’il est allé. Ce pouvoir divin a coulé sur la Terre. »
« Attends, une puissance mystérieuse invisible… comme ton aura, a donc commencé à se déverser sur Terre ? »
« Oui. Oui, c’est ça. D’ailleurs, “Aura” est un bon mot pour le décrire. »
Vraiment ? C’est le premier mot qui m’est venu à l’esprit.
« Comme nous, les dieux mineurs, sommes constitués de cette aura divine intangible, on a commencé à glisser du portail vers la Terre. Comme ça. »
Nattyan leva les bras et remua son corps en signe de démonstration.
« Nous avons essayé de revenir depuis, mais il est difficile de nager contre une cascade constante d’aura divine. Pire encore, nous avons perdu la plupart de nos pouvoirs lorsque nous sommes tombés sur Terre. »
Les épaules de Sewatari et Nattyan s’affaissèrent et elles soupirèrent. Je ne saurais dire s’il s’agissait d’une véritable manifestation de déception ou si elles exagéraient pour faire passer le message à un humain comme moi.
« C’est tout ce que nous pouvions faire pour garder des formes physiques comme celle-ci, et il n’y avait aucune chance que nous soyons assez forts pour retourner dans notre monde. Tous les dieux mineurs qui sont tombés ici ont fini par s’unir pour survivre. »
Ces dieux s’étaient soudainement retrouvés perdus dans un monde inconnu. Je sais que ce n’était pas très gentil de ma part de penser ça, mais cela avait probablement été assez drôle.
« On était en mode panique totale. Nous avons utilisé le dernier de nos pouvoirs pour fixer la mémoire du type qui possédait le terrain où l’aura tombait, en le prenant sous notre aile ainsi que la structure construite dessus. Puis on a créé la société de jeux là où tu te trouves. »
« Pourquoi des jeux ? »
« Je savais que tu demanderais ça. Nous, les dieux mineurs, avons besoin d’un apport constant d’aura divine, sinon nous ne pourrons pas survivre. On peut s’en éloigner pendant quelques jours, mais on ne peut pas utiliser nos pouvoirs quand elle n’est pas à proximité. »
S’ils pouvaient utiliser leurs pouvoirs, nous aurions probablement eu plus de facilité à nous échapper de ces joueurs dieux corrompus.
« Nous étions donc coincés à Hokkaido, où l’aura se déversait. Nous devions trouver quelque chose à faire sans quitter ces bureaux, et il se trouvait qu’il y avait déjà une société de développement de jeux dans ce bâtiment. Je suppose qu’on peut appeler ça le destin, hein ? »
Était-ce une blague ? Je ne savais pas si je devais rire ou non. Et qu’était-il arrivé aux personnes qui avaient travaillé ici auparavant ? Une partie de moi ne voulait pas le savoir.
« L’aura divine est générée par la foi des gens vers les dieux. Sans cela, nous disparaîtrions tout simplement. On a créé notre jeu à la fois pour s’assurer des adeptes et pour gagner l’argent dont on a besoin pour survivre dans ce monde. »
Logique.
Pourtant, je voulais avoir le temps d’assimiler toute cette absurdité. Je ressassais tout ça dans mon esprit, en essayant de lui donner un sens, mais cela n’avait produit au final qu’une génération de multitude de questions.
« Je suppose que c’est tout pour le moment. Tout autre chose ne ferait que t’embrouiller à ce stade. Nous t’expliquerons plus tard, donc c’est ton tour maintenant, Yoshio-kun. Des questions ? Inquiétudes ? », dit Sewatari.
« Est-il possible de renvoyer Carol et Destiné dans leur monde d’origine ? »
J’avais demandé sans hésiter. Carol, Destiné et la femme dans le coin s’étaient tous tournés vers moi à la mention de leurs noms, des bonbons à la main.
« C’est vrai, c’est la plus grande préoccupation ici. Je pense que c’est possible. »
Un soulagement m’envahit. J’avais échangé un regard avec Carol. Celle-ci rayonna.
« Je sais que cela semble être une bonne nouvelle, mais j’ai peur qu’il y ait un “mais” à venir. », dit Sewatari.
Carol et moi avions fait une pause à mi-course pour regarder Sewatari. Elle s’inclina, les mains jointes.
« Ce n’est rien de grave, nous ne pouvons simplement pas les renvoyer immédiatement. Donne-nous un peu de temps, et ça devrait être possible. », nous promit-elle.
« Vraiment ? »
Je ne voulais pas être pris au dépourvu par un autre « mais ».
« Comme je l’ai dit, l’aura divine s’écoule de notre monde comme une cascade. C’est facile de laisser tomber quelque chose dans la piscine en dessous, cela s’écoule simplement avec l’eau. Mais essayer de faire remonter quelque chose de la piscine au sommet de la cascade est pratiquement impossible. »
Sewatari fit un geste vers l’aquarium et se lança à nouveau dans des explications.
« Les offrandes étaient faciles à amener dans ce monde, puisqu’elles suivaient le flux de l’aura divine. Essayer de renvoyer les choses, par contre… Je veux dire, si nous étions capables de le faire, nous ne serions pas nous-mêmes coincés dans ce monde. »
Évidemment. Pourquoi resteraient-ils dans un autre monde s’ils n’y étaient pas obligés ? Si c’était si facile de revenir en arrière, ils n’auraient pas pris la peine de créer toute une société de jeux juste pour survivre.
« Et même si nous pouvions lutter contre le flux d’aura et atteindre le sommet, le portail est trop petit pour que nous, dieux mineurs, puissions le franchir. Il était plus grand avant, mais on dirait que les dieux majeurs l’ont rafistolé pour empêcher trop d’aura de sortir. »
« C’est bien trop étroit pour qu’on puisse le franchir. »
Nattyan le démontra en faisant un anneau avec son poing et en passant son doigt à travers. Elle ne semblait pas réaliser que ce geste pouvait être sauvagement mal interprété.
« Cela ne veut-il pas dire que renvoyer Carol et Destiné est impossible ? », avais-je demandé.
« L’aura divine nous affecte, nous les dieux, bien plus qu’elle ne touche les humains et les monstres. Comment pourrais-je le dire… ? »
Sewatari se tourna alors vers Nattyan pour avoir son avis.
Nattyan s’était montrée du doigt comme pour confirmer que Sewatari voulait qu’elle explique, puis elle commença à balancer la tête d’avant en arrière dans ses pensées.
« Euh, voyons voir… et bien, comme nous sommes constitués d’aura, ce serait pour nous comme nager contre un courant boueux et puissant. Comme les humains et les monstres n’ont pas vraiment d’aura, ils pourraient par contre nager dans une piscine calme. »
« Oui ! C’est ça ! Bon travail ! »
Nattyan grimaça faiblement devant les louanges de Sewatari.
« En d’autres termes, il est plus facile pour les humains et les monstres de lutter contre le courant que les dieux. Le portail est d’une taille parfaitement adaptée pour toi. Nous devons juste faire quelques ajustements, ce qui prendra un peu de temps. Pas beaucoup, cependant ! »
« OK. S’il vous plaît… renvoyez-les chez eux ! »
J’avais baissé la tête si fortement qu’elle faillit claquer contre le bureau.
« S’il vous plaît ! », ajouta Carol.
Je devais juste leur faire confiance, et attendre, et être satisfait qu’elles fassent de leur mieux.
« Laisse-nous faire ! Oh, et je voulais te demander quelque chose. Pendant qu’on répare le portail, veux-tu faire un peu de travail pour nous ? »
« Euh, excusez-moi ? »