Chapitre 1 : Cœur pur et émotions contradictoires
Partie 2
« Vous avez raison. Je vais arrêter d’être obsédé par ça. Il est plus important de se concentrer sur l’arrivée à bon port. », dis-je.
« Tu as tout compris ! Maintenant, allons prendre un dessert ! »
« Oui ! »
Carol jeta un poing triomphant en l’air. Geste qui fut aussitôt repris par Nattyan. Et bien qu’elles ne se connaissent que depuis une demi-journée, elles étaient totalement à l’aise ensemble. Je ne serais pas surpris si elles étaient proches en âge, du moins, mentalement.
J’avais regardé Carol sourire, laissant Nattyan et Sewatari la tenir par les mains. J’avais eu l’envie soudaine de tendre la main et de la tirer en arrière. Carol allait bien, mais elle était encore une enfant. Sa mère devait lui manquer, ce qui la poussait à s’habituer très vite à toute présence féminine. Je le comprenais, mais je me sentais quand même un peu exclu.
« Je me demande si nous allons bientôt terminer ce voyage. »
Si tout allait bien, nous devions rencontrer les développeurs demain.
C’est peut-être la dernière soirée que je passe avec Carol.
La solitude serra mon cœur, mais, pour son propre intérêt, je ne pouvais pas le laisser paraître.
J’avais fini ma bouteille de thé, m’étais levé et étais allé les rejoindre.
Au moment où je m’étais réveillé à l’hôtel, je trouvais une femme qui dormait à côté de moi.
Je plaisantais. Je m’étais réveillé avec Destinée. Il roupillait confortablement dans mes bras, mais n’offrait pas beaucoup de chaleur. Destinée dormait habituellement avec Carol, mais Nattyan et Sewatari lui tinrent compagnie la nuit dernière. Je m’étais assis pour m’assurer qu’elles étaient toutes présentes. Et fort heureusement, ce fut le cas. Elles dormaient même encore profondément. Comme Sewatari et Nattyan avaient porté leur yukata au lit, j’avais eu des aperçus séduisants de leurs poitrines et de leurs jambes. Et même si j’aurais aimé continuer à regarder, je m’étais forcé à détourner mon regard.
Les laisser dormir me paraissant bizarre, j’avais ainsi pris mon téléphone et mis l’alarme. Elles s’étaient réveillées en sursaut. J’avais attendu dans le hall le temps qu’elles se changent, puis j’étais entré pour me changer moi-même, avant que nous ne nous dirigions tous vers la réception pour régler nos comptes.
Le ciel était clair aujourd’hui. D’après les prévisions météorologiques, nous allions avoir des conditions de conduite parfaites toute la journée. J’espérais qu’elles étaient exactes.
Nous avions quitté l’hôtel en pensant atteindre notre destination avant midi, mais lorsque j’avais regardé le paysage, l’anxiété m’envahit. Nous n’avions vu que des arbres depuis un certain temps déjà. La route que nous avions empruntée n’était même pas goudronnée, et c’était un miracle que notre voiture soit arrivée jusqu’ici. Et malgré le temps qu’il faisait, l’épais feuillage bloquait la lumière du soleil, rendant le monde lugubre. La route était si cahoteuse que je n’arrêtais pas de me cogner la tête contre le plafond de la voiture.
« Tu es sûr que c’est le bon chemin ? », avais-je demandé.
« Bien sûr ! C’est plus rapide que l’autoroute. »
« Oui. C’est ce que je voudrais dire, mais Senpai n’a aucun sens de l’orientation. Ça ira tant qu’on suit le GPS. Technologie moderne, non ? »
L’assurance de Nattyan a eu l’effet inverse de celui escompté. Aujourd’hui, c’était Sewatari qui conduisait, et si elle avait l’air confiante, je ne l’étais pas.
J’avais jeté un coup d’œil sur le GPS. La route de montagne sur laquelle nous nous trouvions n’était même pas indiquée. Pourquoi aucune des deux n’était-elle inquiète ? Mais comme c’était elle qui vivait dans la région, et pas moi, je devais donc leur faire confiance. Je n’avais même pas de permis de conduire.
J’essaierai peut-être d’en obtenir un une fois de retour chez moi…
Je m’étais accroché à ma ceinture de sécurité et j’avais regardé par la fenêtre. La voiture tanguait tellement qu’on avait l’impression qu’on allait sortir de la route à tout moment. Oh, avais-je mentionné qu’il y avait un gros précipice à gauche du chemin ? C’était si raide que la probabilité qu’on en sorte vivant en y tombant n’était pas totale.
« Ah, oups. J’ai failli déraper un peu là ! »
« Bordel, c’est intense ! »
J’allais à tous les coups obtenir mon permis si je rentrais à la maison sain et sauf. Je l’avais ajouté à ma liste de moyens pour remettre de l’ordre dans ma vie.
« Il y a tellement d’arbres ici ! C’est comme au village ! », dit Carol avec enthousiasme.
Elle avait le visage collé à la fenêtre et regardait la nature abondante qui défilait.
Je n’avais pas fait le lien avant, mais elle avait raison. Le village était entouré d’arbres comme celui-ci.
Je me demande comment vont mes villageois…
J’avais vérifié l’application. Mes points de destin continuaient à augmenter. Je m’étais décidé à prendre ça comme une indication que mes villageois étaient en vie. J’avais pourtant besoin de les voir de mes propres yeux avant que cela ne devienne autre chose qu’une spéculation pleine d’espoir. J’évitais autant que possible de parler du village, afin de ne pas contrarier Carol. La tristesse assombrit ses yeux alors qu’elle regardait par la fenêtre. Il était clair que ce qu’elle avait à l’esprit.
« Nous allons bientôt rencontrer les dieux, Carol. Ils seront en mesure de t’aider. »
« Oui ! Je sais que tout le monde est en sécurité ! »
« C’est vrai. Ils sont sains et saufs. »
J’avais injecté autant de certitude dans ma voix que je le pouvais. Ils allaient bien. J’en étais sur.
« Nous serons bientôt hors des montagnes ! On va bientôt arriver. », annonça Nattyan.
Carol et moi avions redressé le dos. Une brèche s’était ouverte entre les arbres sur la route devant nous, laissant passer la lumière du soleil.
« Après ça, nous serons à l’air libre », dit Sewatari.
Soulagé par le fait que nous ayons enfin laissé ces routes terrifiantes derrière nous, j’avais regardé à travers le pare-brise la clarté qui nous attendait. J’avais instinctivement serré mes paupières, et quand je les avais rouvertes, je vis alors une ligne de chemin de fer. Nous roulions sur une route parallèle à la voie ferrée qui s’incurvait sur la droite. Au lieu des vastes champs typiques d’Hokkaido, cette zone était dominée par plusieurs grandes usines.
« Cette voie ferrée longe la zone industrielle. Beaucoup de grandes entreprises ont leurs lignes de production ici, c’est donc une zone assez animée même si elle est éloignée de toute grande ville. », expliqua Sewatari.
« Oui, il y a une zone résidentielle non loin des usines. », acquiesça Nattyan.
J’avais repéré une petite gare en amont, avec un rond-point devant elle, et quelques magasins et restaurants sur une bande à proximité. J’avais également vu quelques chaînes de magasins, mais la plupart d’entre eux ressemblaient à des magasins locaux. Il y avait peut-être même plus de magasins ici que là où je vivais à la campagne.
« Avoir tous ces restaurants et magasins autour doit être pratique », avais-je dit.
« Oui ! Tu dois seulement conduire quelques minutes pour trouver la plupart des choses. »
C’est vrai, ça… attendez. Comment Nattyan pourrait-elle savoir ça ?
« Ow ! »
J’avais inhalé brusquement quand la voiture s’arrêta, me cognant la tête contre le siège du conducteur devant moi. J’avais levé les yeux pour me plaindre, mais j’avais constaté que les deux avaient défait leur ceinture de sécurité et me regardaient avec impatience.
« Nous sommes arrivés, Yoshio-kun. »
« C’est la société qui développe Le Village du Destin : Isekai Connection », dit Nattyan.
J’avais suivi leurs regards. Un immeuble de quatre étages à occupation mixte se tenait à côté de nous. Je l’avais reconnu sur l’image satellite que j’avais vue en cherchant l’adresse. Il était encore plus miteux dans la réalité qu’il ne l’était en ligne. Les murs extérieurs étaient d’un gris terne, et le bâtiment semblait vieux de plusieurs décennies. Cela ne ressemblait peut-être pas à la demeure des dieux, mais qu’est-ce que les promoteurs pouvaient bien être d’autre ?
« Est-ce ici qu’ils ont fait le jeu ? »
J’étais sorti après Nattyan et Sewatari. L’immeuble à côté d’Isekai Connection abritait une petite boutique et un café, dessinés à partir du même design ancien. Les piétons déambulaient dans les rues.
Incapable de croire que la société à l’origine d’un jeu aussi impossible se trouvait juste à l’extérieur, j’avais consulté le répertoire à l’extérieur du bâtiment. Le premier étage abritait une agence de voyage. Les deuxième, troisième et quatrième étages appartenaient tous à Isekai Connection. Maintenant que j’étais enfin là, ma nervosité augmentait.
Si on comparait mes expériences actuelles à un jeu vidéo, tout ce qui s’était passé jusqu’à présent n’était que le prologue. C’était ici que le vrai jeu commençait. Il était temps de parler avec les développeurs et de trouver un moyen de renvoyer Carol chez elle.
« Tu as l’air un peu raide », remarqua Sewatari.
« Je deviens nerveux en pensant à ce qui nous attend. »
« Oh, à propos de ça. Nous devrions probablement nous excuser. »
Sewatari se gratta la tête maladroitement et détourna son regard.
« La vérité est que… »
« Vous travaillez ici, non ? En tant que développeurs. »
Ses yeux s’arrondirent et elle me fixa. Elle ne s’attendait clairement pas à ce que je dise ça. Nattyan, qui jouait avec Carol à côté, entendit et regarda avec surprise.
« Tu… le savais ? »
« C’était évident. Je veux dire, vous n’arrêtiez pas de me faire des allusions, non ? »
D’après la conversation qu’on avait eue dans la voiture, ce n’était pas trop dur à comprendre. Elles connaissaient trop bien la région, elles parlaient comme des gens du coin. Tout le monde pouvait s’en rendre compte.
« Eh bien, oui, tu as raison. On a pensé que ce serait plus facile pour toi si tu le découvrais au lieu qu’on te le dise tout d’un coup. »
Je devrais être reconnaissant pour ça. C’était comme elle avait dit. Puisque j’avais déjà tout compris, je pouvais accepter cette révélation sans broncher.
« Attends, vraiment ?! »
Nattyan avait l’air choquée. Apparemment, elle n’avait pas été dans le plan de Sewatari.
Carol et Destinée avaient l’air de s’en moquer, regardant à travers la grande fenêtre de l’agence de voyages au premier étage. Ils remarquèrent alors que je regardais, je leur avais fait signe de revenir vers nous.
Sewatari attendit que nous soyons tous regroupés, puis sourit : « Bienvenue, joueur Suenaga Yoshio. Bienvenue, villageoise de l’autre monde, Carol. Et bienvenue, Destinée le basilic. Je suis l’un des développeurs du jeu. Je suis le Dieu du destin. »
merci pour le chapitre