Chapitre 15 : Une catastrophe
Partie 1
La forteresse, enchâssée dans la dense forêt, avait la forme d’une mosaïque de polyèdres hérissés d’une manière irrégulière. Pour le décrire en un mot, elle était austère. Le passage des années avait altéré sa surface rouge et cela s’était simplement ajouté à sa présence imposante. Depuis où je me tenais, seuls les murs extérieurs étaient visibles et cela suffisait à faire comprendre à quel point cette forteresse était massive. Je pensais que nous aurions été amenés dans un village ou une ville, mais si l’on y réfléchissait, il n’y avait aucun moyen d’établir une ville ou un village normaux dans un endroit que les autres mondes appelaient la « Mer des Arbres ». Il ne suffirait pas de vous armer de métal froid et dur. Les individus ne pourraient pas survivre dans un tel endroit, à moins qu’ils ne se cachent dans des structures robustes faites de milliers de briques.
« Personnes d’un autre monde, voici notre destination, le Fort Tilia, » le ton autrefois tendu de Silane était maintenant coloré par du soulagement. « Nos chevaliers chassent régulièrement les monstres dans le voisinage du fort, alors vous êtes maintenant en sécurité. Les préparatifs pour votre arrivée sont bien avancés dans le fort, et les autres devraient nous y attendre, alors allons-y. C’est juste devant nous. »
Les étudiants avaient commencé leur avance une fois de plus à un rythme léger. Avant qu’ils ne le sachent, le sol de la forêt sous leurs pieds avait cédé la place à un sentier bien tracé. Il s’agissait de quelque chose qui était assez travaillé pour être appelé une route.
« Y en a-t-il d’autres personnes comme nous dans le fort ? » Profitant de l’atmosphère excitée générée par les autres étudiants, j’avais posé une autre question à Silane.
« Oui. Une autre personne chanceuse a réussi à traverser la forêt toute seule, tout comme vous, » la voix de Silane s’était dissipée alors qu’elle répondait. « Malheureusement, cette personne était la seule autre que vous deux, qui avait traversé la forêt en utilisant sa propre force. »
« La seule personne autre que Li... Mizushima-san et moi ? » demandai-je.
« Oui, c’est bien ça, » répondit Silane.
« Mais, il y a beaucoup d’autres étudiants ici comme moi, » demandai-je.
J’avais regardé les autres étudiants, qui marchaient de bonne humeur. Si Silane ne mentait pas, alors où étaient les autres ?
« Contrairement à vous, ils n’ont pas traversé cette forêt en utilisant leurs propres moyens, » Silane avait répondu avec une sincérité constante.
« Le troisième ordre de nos chevaliers a plusieurs bases avancées dans la forêt dans le but de recueillir des informations. Vos compatriotes ont été trouvés cachés là-bas, alors nous avons voyagé à chacune des quatre bases avancées et avons rassemblé tous vos camarades de l’autre monde afin de les déplacer jusqu’au fort. »
« ... Je vois, » dis-je. J’avais hoché la tête en montrant que je comprenais.
Je pensais que c’était étrange depuis le tout début. Au moment où la colonie s’était effondrée, il y avait environ 800 étudiants. Parmi eux, combien avaient survécu et quitté la colonie ? 100 ? 200 ? Ou bien le nombre de survivants pourrait-il être deux fois plus élevé ? En tout cas, pour ceux qui s’étaient échappés de la colonie, la forêt infestée de monstres devait être un véritable enfer pour eux. C’était quelque chose que je pouvais dire sur la base de mes propres expériences, donc il n’y avait aucun doute à ce sujet. En fait, si je n’avais pas rencontré Lily, je serais déjà mort. À l’exception d’un irrégulier comme moi, ce ne serait pas étrange même s’ils étaient tous morts. Quand j’avais rencontré pour la première fois les étudiants qui étaient gardés par les chevaliers, j’avais été choqué de voir que tant de gens avaient survécu, puisque, franchement parlant, leur survie aurait dû être impossible.
« Cependant, je ne sais pas ce qu’ils ont dû traversé, » Silane déclara ça d’un ton sérieux. « Les chevaliers utilisent ces bases comme lieu de repos pour explorer les profondeurs de la mer des arbres. Bien que l’apparence de ces bases ressemble à de simples cabanes. »
« ... »
« Depuis que nous avons mis en place des pierres de barrière qui ont été minutieusement créées grâce à l’alchimie, les bases ont été protégées contre les monstres, » continua Silane. « Grâce à cela, toutes les autres personnes d’un autre monde ont pu survivre. Je suis sûre que vous pouvez comprendre à quel point elles sont utiles. »
Je m’étais tue sans le savoir, car je me rappelais l’époque où j’avais passé la nuit dans la cabane. Apparemment, elle appartenait aux chevaliers. Cette « pierre de barrière » avait dû être la pierre étrange qui avait empêché Lily et Rose de se rapprocher. Dans ce cas, afin de laisser Lily et le reste pouvoir aller à l’intérieur, j’avais dû détruire cette pierre.
Alors que je rappelais de cela, une pensée inquiétante avait traversé mon esprit.
J’avais donc posé une question qui me taraudait l’esprit. « Je suppose que vous utilisez les mêmes pierres de barrière dans le fort, n’est-ce pas ? »
Si c’était le cas, Lily ne pourrait pas s’approcher du fort. Une vague de panique me submergea à l’instant même où cette pensée me traversa l’esprit, mais heureusement, c’était une préoccupation inutile.
« Non, nous n’en utilisons pas, » répondit-elle. « Les pierres de barrière ont une portée limitée. Quand il s’agit de la taille du fort, la portée d’efficacité est tout simplement inadéquate. »
« Ah, vraiment ? » demandai-je.
« Non seulement elles sont rares, mais nous n’avons plus les connaissances pour en faire plus, » répondit-elle. « En plus de cela, leur portée d’efficacité est limitée. Donc, à la fin, elles ne peuvent que garder les monstres à distance. Ce n’est pas quelque chose qui peut complètement empêcher les intrusions. En premier lieu, les critères nécessaires pour l’établir sont trop difficiles à utiliser ici. »
J’avais poussé un soupir de soulagement et je lui avais donné une réponse appropriée. C’était une excellente nouvelle. Il ne semblait pas que les pierres de barrière seraient un problème pour nous dans l’avenir immédiat. Après avoir retrouvé mon sang-froid, j’avais regardé les étudiants qui marchaient gaiement.
« Je ne sais pas ce qu’ils ont dû traversé. C’est vrai, n’est-ce pas ? » J’avais répété les paroles de Silane il y a un moment, et j’avais soupiré.
« Ils ont eu de la chance, n’est-ce pas ? » demandai-je.
« Que voulez-vous dire, Takahiro-dono ? » demanda Silane.
« Eh bien, ce que je veux dire c’est que selon votre histoire, ils sont arrivés par hasard aux cabanes où les pierres de barrières ont été établies, » répondis-je. « Par coïncidence, vous êtes arrivée afin de les visiter et vous avez pu les aider. N’est-ce pas ainsi ? Est-ce que ce n’est pas un coup de chance incroyable ? »
À certains égards, leurs circonstances ressemblaient aux miennes. Après l’effondrement de la colonie, j’avais erré dans la forêt, avec l’esprit et le corps en lambeaux, et finalement, j’avais atteint cette grotte. Juste au moment où j’allais renoncer à la vie, Lily m’avait trouvé, et grâce à ça, j’étais toujours là maintenant. Il était probable que j’avais ressenti une légère sympathie pour les autres étudiants qui marchaient avec nous.
« Non, ce n’est pas tout à fait juste, » Silane avait réfuté ma conjecture. « Nous avons reçu des informations selon lesquelles il pourrait encore y avoir des survivants, et on nous a demandé de les protéger. Donc, ce n’était pas une coïncidence que nous les ayons sauvés. »
« Une demande ? Qu’est-ce que... ? » commençai-je. J’avais été déconcerté par ce que Silane venait de dire.
Ce n’était plus le Japon sur la Terre que nous connaissions. Même lors de rencontres fortuites, il était impossible d’aider quelqu’un sans avoir des motifs cachés. De telles choses naïves ne pouvaient pas être attendues. Pour commencer, qui aurait pu le demander ?
Alors que j’étais perdu dans le doute, une acclamation de joie avait atteint mes oreilles.
Regardant vers l’avant, j’avais remarqué une petite porte de fer qui ne pouvait pas se comparer à la magnificence de la forteresse. Il semblait que nous avions atteint notre destination pendant que nous parlions. La zone autour de la forteresse, bien que cachée dans la forêt, avait été nettoyée par les humains. Les arbres, que nous avions l’habitude de voir, avaient disparu de notre vue lorsque nous étions entrés dans la clairière. Le ciel était vaste. C’était comme si nous étions soudainement libérés de quelque chose qui nous avait enveloppés. C’était un endroit pour les humains. La sensation était tangible. Malheureusement, je ne devrais pas perdre mon objectif à cause de cela.
À une petite distance, devant la forteresse, des dizaines de chevaliers se tenaient avec leurs talons alignés. Il y avait aussi plusieurs hommes et femmes autour de la forteresse vêtus de vêtements d’étudiants.
J’étais confus. Ne devrait-il pas y avoir qu’un seul étudiant qui avait été jusqu’à la forteresse ?
Me tournant pour demander à Silane, qui avait marché à côté de moi, je m’aperçus qu’elle s’était arrêtée net dans ses traces.
« Silane-san ? » demandai-je.
« ... Ne me dites pas, » déclara Silane.
Quand je m’étais retourné, j’avais remarqué que Silane levait les yeux alors qu’elle gémissait. Le fait de voir sa réaction m’avait naturellement fait également lever les yeux, et mon regard avait atterri sur la lumière clignotante jaune. La créature mystérieuse qui flottait habituellement au-dessus de l’épaule de Silane se débattait et agitait ses membres courts alors qu’elle volait en rond. Elle semblait vouloir transmettre un certain message en utilisant ses gestes, mais malheureusement, je ne pouvais pas déchiffrer ce qu’elle essayait de dire. Cependant, c’était une histoire différente pour Silane, elle semblait parler couramment la langue composée de mouvement de la créature.
« À tous les chevaliers, dégainez vos épées ! » cria-t-elle.
Les bruits d’avertissement de Silane resonnèrent dans la forêt. Avant même que je puisse poser ma question, la situation avait commencé à se développer. Dans l’instant suivante, une énorme chenille verte avait fait son apparition, poussant à travers les arbres forestiers dont nous venions d’émerger.
« Uwaaaaaa!? »
« Kyaaaaaaaaaaa! »
Il s’agissait d’un monstre gigantesque avec un corps de plus de trois mètres de long. Ce qui était encore pire était qu’il y en avait cinq. Le petit groupe de monstres avait chargé vers nous, produisant comme des bruits de bavardage énervants. On pouvait entendre les étudiants crier tandis que les chevaliers se précipitaient pour dégainer leurs épées.
« P-Pourquoi il y a tant de chenilles vertes dans le voisinage de la forteresse !? » L’un des chevaliers, qui semblait secoué, avait crié.
En y repensant, Silane avait bien dit que les chevaliers éradiquaient régulièrement les monstres aux alentours de la forteresse. Donc, il était possible qu’ils n’aient pas rencontré autant de monstres avant.
Alors que ces pensées tourbillonnaient dans mon esprit, j’avais sorti l’épée en bois que j’avais dissimulée. À ce stade, c’était déjà un réflexe conditionné. Après avoir jugé que je n’avais pas le temps d’équiper le bouclier qui était porté sur mon dos, j’avais immédiatement échangé des regards avec Lily qui était à côté de moi. Le plus important était de confirmer la situation de mon entourage. Cependant, quand j’avais regardé autour de moi, j’avais été stupéfait par la scène qui s’était déroulée devant moi.
« ... Hein !? » m’exclamai-je de surprise.
Tous les étudiants autour de moi étaient dans un état de panique. Ceux qui avaient essayé de fuir vers la forteresse avant eux étaient devenus inconscients de leur environnement à cause de leur panique, et avaient fini par s’écraser l’un sur l’autre, ce qui, à leur tour, les avait fait dégringoler en raison de l’impact. Les personnes tombées étaient en fait parmi les plus chanceux des étudiants. Il y en avait d’autres qui poussaient tous ceux qui leur barraient le chemin alors qu’ils tentaient de se mettre en sécurité, certains qui étaient complètement paralysés par la peur, d’autres qui s’accrochaient aux chevaliers, et même d’énormes idiots qui donnaient des coups de pied aux personnes voisines d’eux.
... Qu’est-ce que c’est que tout ça ?
En regardant cette scène, je m’étais demandé comment tous ces individus avaient réussi à survivre jusqu’à maintenant. Selon l’histoire de Silane, il était certainement vrai qu’ils n’avaient pas quitté la forêt par leurs propres moyens. Ils s’étaient cachés dans une cabane, et étaient restés là, jusqu’à ce que Silane et le groupe des chevaliers viennent à leur secours. Cependant, avant de s’être abrités dans un lieu sûr, ils auraient dû traverser l’enfer dans la forêt après l’effondrement de la colonie. Et pourtant, pourquoi...
À ce rythme, il nous serait difficile de nous échapper sans une bonne planification, et ces étudiants seraient aussi un obstacle pour la lutte des chevaliers. La panique était une chose contagieuse. En voyant comment les personnes réagissaient, les chevaliers devinrent visiblement agités. Ce désordre n’était pas simplement de retenir tout le monde. C’était clairement une action suicidaire.
« Ne paniquez pas ! » Silane, la seule personne parmi eux qui était restée calme, avait réprimandé ses subalternes.
Cependant, on pouvait en partie détecter un ton amer dans sa voix, probablement parce qu’elle comprenait à quel point la situation était grave à ce moment-là.
« Renforcez vos défenses ! Ils vont arriver ! » cria-t-elle.
Les sons grinçants, provoqués par le mouvement de leurs mâchoires, pouvaient être entendus pendant que les chenilles vertes s’avançaient vers nous. Même si elles ressemblaient à de grosses chenilles, la façon dont elles nous chargeaient ressemblait plus à de gros taureaux. Les chevaliers, qui avaient retrouvé leur sang-froid après avoir été réprimandés par Silane, tentèrent de former un mur défensif en tenant leurs boucliers devant les étudiants. Néanmoins, même s’ils essayaient comme ils le pourraient, ils ne pouvaient toujours pas me donner un sentiment de sécurité. Peut-être que je les comparais inconsciemment à Rose.
Pourraient-ils se défendre contre ces monstres ?
L’anxiété s’était accumulée dans ma poitrine en regardant les chenilles vertes s’écraser sur les chevaliers. Non, ils avaient failli s’écraser sur les chevaliers, mais ça ne s’était pas passé comme ça. Un développement inattendu avait pris effet avant que cette scène puisse se dérouler.
Une voix calme avait atteint mes oreilles. « Laissez-moi cela » et tout était arrivé à une fin abrupte et violente.
Les corps des chenilles vertes avaient été déchiquetés. Du liquide bleu avait été éclaboussé partout alors que leurs corps étaient soufflés dans des directions opposées. Tout ce que je pouvais ressentir était un choc alors que toute la scène se déroulait juste devant mes yeux. Le combat s’était terminé en un instant, ne laissant que le carnage à sa place. Je ne pouvais pas du tout comprendre ce qui s’était passé. La seule chose que je savais était qui l’avait fait.
Une fille vêtue d’un uniforme de marin avait atterri sur le sol avec un bruit sourd. Il n’y avait aucune trace de cette personne tout à l’heure. C’était comme si elle était apparue de nulle part. Comme elle s’était tenue debout devant les chevaliers comme si elle les protégeait, elle devait être celle qui devait être responsable de la scène incroyable qui s’était déroulée devant moi tout à l’heure.
« C’est bon maintenant, » la fille aux longs cheveux noirs et lustrés qui s’étendait jusqu’à sa taille avait fait un sourire agréable. Ce fut un sourire chaleureux qui avait dissipé le malaise présent chez tout le monde.
Merci pour le chapitre.
Merci pour le chapitre.