Chapitre 6 : Le médiateur des dragons
Table des matières
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Chapitre 6 : Le médiateur des dragons
Partie 1
Avec l’arrivée de Thaddeus, les dragons n’étaient plus sur l’offensive — pour l’instant, du moins. Le clan ne savait toujours pas pour nous, nous devions donc les informer de tout depuis la case départ. Nous avions décidé de laisser tout cela à Thaddeus.
En même temps, Thaddeus avait demandé aux dragons de partir pour l’instant. Le dragon errant s’était calmé et n’était plus déchaîné, mais je pouvais voir à travers le cheminement mental qu’il était extrêmement effrayé. Il était comme un enfant qui tremble. J’avais dû poser ma main sur son corps de temps en temps pour qu’il reste calme.
Compte tenu de son état de blessure, sa réaction était parfaitement normale. À l’inverse, les dragons qui étaient venus le capturer avaient également subi une contre-attaque sévère. Ils n’avaient pas l’intention de blesser l’errant, mais la situation avait évolué au point qu’ils n’avaient pas d’autre choix. Puisque les choses s’étaient tellement envenimées, il était préférable pour les deux parties de se retirer pour le moment. Thaddeus était du même avis, il avait donc immédiatement accepté ma demande.
Après que Thaddeus leur ait donné une explication rapide, les dragons s’étaient retirés avec lui et Fukatsu. Une fois qu’ils étaient partis, l’errant s’était calmé. Avec ça, nous pouvions enfin commencer à le soigner.
« Très bien. Lily, peux-tu le guérir ? » avais-je demandé.
« D’accord, » répondit Lily avec un hochement de tête.
Elle essaya d’approcher le vagabond, mais il montra ses crocs.
Lily me fit un sourire troublé. « Maître… »
L’errant ne semblait pas gêné de me voir à ses côtés, alors j’avais posé ma main sur sa grosse tête.
« Calme-toi. Lily est ma compagne. Tu peux le percevoir à travers le cheminement mental, n’est-ce pas ? »
Il tourna ses yeux de lézard vers moi, puis poussa un soupir. Il semblait mécontent. Compte tenu de son précédent carnage, ce n’était pas une surprise, mais l’animal errant semblait être plutôt turbulent de nature.
J’avais recommencé à caresser sa tête pour le réconforter. L’errant laissa échapper un ronronnement et se coucha tranquillement après avoir cessé d’être sur la défensive. Lily se rapprocha une fois de plus, et bien qu’il se soit clairement méfié d’elle, il ne grogna pas à nouveau. Lily déploya un glyphe blanc de magie curative dans sa main.
« Hmm, c’est assez horrible », marmonna-t-elle.
« Ne peux-tu pas guérir ces blessures ? », ai-je demandé.
« Oh, non. Je peux. C’est juste que, contrairement aux simples fractures et aux entailles causées par des coupures tranchantes, les blessures infligées par des morsures et les déchirures causées par des griffes sont difficiles à guérir. Il en va de même pour les brûlures. Celles-ci peuvent laisser des cicatrices. »
En ce sens, c’était la même chose que la guérison naturelle. J’avais encore des marques de brûlures sur mes bras. Dans une certaine mesure, on ne pouvait rien y faire.
« De plus, il semble que l’aile va prendre un peu de temps. Il manque des parties entières. Ce ne serait pas un gros problème avec la vitesse de récupération de Gerbera… De toute façon, je n’ai pas envie de recoller les choses bizarrement, donc je pense qu’on n’a pas d’autre choix que d’y aller gentiment et lentement. »
« Tant qu’il n’y a pas d’effets à long terme. Nous devrons faire un compromis sur ce point. De toute façon, il ne reste plus qu’à attendre que Thaddeus et les autres reviennent pendant que nous traitons… »
« Wh-Wôw ! »
Lily me coupa avec un glapissement de surprise. Le dragon errant s’était levé.
« Tu vas te calmer, espèce de simplet ? » En un rien de temps, Gerbera attrapa le dragon par la peau du cou et le ramena au sol. « Tu n’es pas encore guéri. Reste tranquille. »
L’animal errant essaya de se débattre, mais il ne pouvait pas réagir à la vitesse de Gerbera. Il se tortillait sur le sol, ne faisant pas le poids face à sa force physique. S’il avait été capable de bouger sa longue queue, il aurait pu résister, mais elle n’avait pas encore été guérie.
« Qu’est-ce qui te déplaît tant, au fait ? » demanda Gerbera en hochant la tête.
« Araignée, » dit Berta.
Elle avait amené Thaddeus et Fukatsu ici en suivant notre piste. Après cela, elle s’était couchée sur le sol et était restée spectatrice.
« C’est l’un des membres du clan de ce dragon, non ? » demanda-t-elle.
« Hrm ? »
« Il devrait avoir un ego maintenant. Tu peux simplement lui demander ce qui ne va pas après lui avoir fait prendre une forme humaine comme cet homme. »
« Oh, tu as raison. »
Voyant que Gerbera était convaincue, Berta soupira et ferma les yeux. Par ailleurs, Ayame était recroquevillée sur le ventre de Berta. Elle avait l’air d’être très déprimée, comme si elle pouvait se mettre à pleurnicher à tout moment. C’est parce qu’elle avait commencé tard tout à l’heure. Je n’avais pas eu le courage de lui prêter attention, mais en y repensant, Ayame avait essayé de sauter dans l’action avec moi quand je m’étais enfui. Je me souvenais l’avoir vue au bord de ma vision, tombant de la tête de Berta quand elle s’était réveillée en panique. Apparemment, elle avait trop mangé. J’avais décidé que je la réconforterais plus tard.
« Très bien. Et si tu prenais tout de suite cette forme humaine ? » dit Gerbera. Le dragon errant tourna ses yeux vers elle. « Hm ? Qu’est-ce qu’il y a ? »
« Grrr… »
« Dis-moi, mon Seigneur. Cet individu est-il incapable de se transformer en humain ? »
« Grr… » Le dragon grogna brièvement, confirmant sa question.
« Non, ça devrait être possible », avais-je dit en secouant la tête.
Sans ego, l’errant était resté sous cette forme tout ce temps. Je pouvais comprendre pourquoi il croyait ne pas pouvoir prendre une forme humaine, mais c’était une anxiété inutile.
« Si c’est une caractéristique du dragon en tant que monstre, alors tout ce que Thaddeus peut faire devrait être possible pour n’importe quel autre dragon. »
J’en étais convaincu. Si ma supposition était juste, ce serait plus étrange si l’errant ne pouvait pas le faire.
« Calme-toi et essaies, » avais-je dit.
Je m’étais agenouillé et j’avais posé ma main sur la tête du dragon errant. J’avais fermé les yeux et je lui avais tendu la main à travers le cheminement mental.
« Grrr… »
La tension qui liait le cœur du dragon s’était un peu relâchée. Puis son mana s’était mis à bouger. Dans ce monde, il y avait une loi qui dictait qu’un flux de mana spécifique générait un phénomène prédéterminé. En utilisant cette loi, les dragons pouvaient se transformer en humains. Le corps énorme de l’errant rétrécit, et en même temps, il commença à changer de forme. Sa carapace brisée se transforma en peau, ses crocs et ses griffes se rétractèrent, et sa silhouette devint de plus en plus humaine. Des cheveux roux semblables à une flamme brûlante poussèrent. Le corps qui mesurait autrefois sept mètres de long de la tête à la queue faisait maintenant à peu près ma taille, mais il continuait à rétrécir. Ensuite, il avait à peu près la même taille que Lily, puis Katou, et il continua jusqu’à être encore plus petit que Kei.
« Hein ? »
Devant nous se trouvait une petite fille qui semblait avoir une dizaine d’années, avec des cheveux roux aussi longs que grands. Des blessures non cicatrisées marquaient encore son corps décharné, et des ailes déchirées poussaient dans son dos. Elle avait une longue queue, dont l’extrémité était recouverte d’une masse d’os. Des écailles de dragon étaient encore visibles ici et là sur son visage et ses membres. Elle ne semblait pas aussi douée que Thaddeus pour se transformer en humain.
Malgré son air renfrogné, c’était une jolie petite fille. J’étais choqué. C’était complètement inattendu… mais peut-être que ça n’aurait pas dû l’être. Maintenant que j’y pense, le dragon errant était un peu plus petit que les autres. Il s’est avéré qu’elle était encore une enfant.
« Aaah ? »
Sa voix, encore difficile à distinguer de celle d’un garçon ou d’une fille, était franche. Elle baissa les yeux sur ses mains, hébétée. Elles n’étaient pas différentes des mains humaines, à part les écailles encore visibles ici et là.
« Pas possible… J’ai vraiment changé comme tout le monde… ? » dit-elle, la voix tremblante alors qu’elle tourna ses yeux châtains vers moi.
Des larmes s’étaient accumulées dans les coins de ses yeux, mais lorsqu’elle remarqua mon regard, ses yeux s’étaient fortement rétrécis. Son expression déjà grincheuse avait maintenant un air diabolique.
« Qu’est-ce que tu regardes comme ça ? » dit-elle, son choix de mots étant aussi brusque que je m’y attendais.
« O-Oh. Désolé. »
Mais quand même, c’était ma faute. Même si elle n’était qu’une enfant, c’était une fille nue. C’était impoli de la fixer, alors j’avais détourné les yeux.
« Ah… » marmonna la jeune fille, une pointe de regret dans la voix.
« Qu’est-ce qu’il y a ? » avais-je demandé.
« Rien… »
Cela m’avait intrigué, mais je ne m’étais pas retourné pour la regarder. De toute façon, nous devions lui trouver des vêtements. Nous pourrions parler après ça.
« Je pense que nous avons des vêtements de rechange dans nos bagages. Attendez ici une seconde, je vais aller chercher quelque chose. »
Comme nous nous étions soudainement éloignés de notre campement, Fukatsu nous avait apporté nos bagages pendant que Thaddeus négociait avec les dragons.
« Ah. Hey ! » Lily s’exclama d’un air paniqué alors que je commençais à chercher des vêtements dans nos bagages.
Je m’étais retourné, car j’avais senti que quelqu’un s’approchait de moi. Le dragon errant nu était juste derrière moi alors que Lily le poursuivait, toujours en train de lancer une magie de guérison. Le dragon errant me regarda avec une expression maussade.
« Quoi ? », avait-elle demandé sans ambages.
« Umm, c’est ma ligne. »
« Ce n’est pas comme si la magie de guérison cessait de fonctionner si je me déplace. »
Elle avait raison, mais ce n’était pas vraiment une bonne raison de me suivre partout. Pourtant, j’avais l’impression que ça détériorerait encore plus son humeur si je le lui faisais remarquer. Je ne pouvais pas comprendre les enfants. J’avais un petit frère, mais il n’était pas beaucoup plus jeune que moi, donc l’expérience ne semblait pas particulièrement utile pour quelqu’un d’aussi jeune. Mais vu qu’elle était un dragon, l’expérience que j’avais avec les enfants humains n’avait pas vraiment d’importance.
« Eh bien, » avais-je marmonné, ne voyant aucune raison d’y prêter attention.
J’étais retourné à la fouille dans nos affaires, quand soudain l’animal errant atteignit les bagages tout seul.
« H-Hey. »
« Je vais prendre ça », dit-elle après avoir attrapé quelque chose.
« C’est à moi. C’est un vêtement pour homme. »
« Peu importe. »
La dragonne enfila la chemise que Gerbera avait faite pour moi, semblant finalement légèrement satisfaite. À cause de ses ailes, elle ne pouvait pas la porter correctement, donc ses épaules osseuses restaient exposées. Si Lily ou ses semblables s’habillaient ainsi, cela leur donnerait un air érotique, mais ce n’était pas le cas pour un enfant maigrelet.
« Alors ? Pourquoi as-tu essayé de t’enfuir ? » avais-je demandé.
Ses compagnons dragons l’avaient poursuivie et avaient failli l’attraper, alors elle s’était battue. Elle n’avait pas d’ego à l’époque, donc il n’y avait pas grand-chose à faire. Cependant, maintenant, elle avait un bon sens de la raison. Elle pouvait au moins comprendre que les dragons ne lui en voulaient pas.
« Tu as essayé de t’enfuir quand on a parlé du retour de Thaddeus. Pourquoi ça ? » j’avais précisé ma question.
« Je ne…, » commença le dragon en fronçant les sourcils. « Je veux dire… »
Elle avait déjà fini par se taire lorsque j’avais essayé de l’encourager, alors j’avais patiemment attendu un moment. Avant longtemps, elle laissa lentement sortir des mots.
« Je ne veux pas retourner dans cette stupide colonie… »
« Pourquoi ça ? »
***
Partie 2
« Si Thaddeus vient ici, il va me ramener là-bas. Il n’est pas question que j’y retourne », répondit-elle. Ce n’était pas vraiment une explication, mais elle commença à préciser ses pensées petit à petit. « J’ai toujours été enfermée. Depuis toujours. Depuis le moment où je suis née. Je n’ai jamais eu de liberté. Même si tout le monde avait le droit de sortir, j’étais la seule enfermée à l’intérieur de cette satanée grotte. Je détestais ça… Mais je n’avais pas le choix… »
Cela m’avait fait me rappeler que Thaddeus avait dit que le clan détenait le dragon errant sans égoïsme dans la colonie. Je n’avais jamais vraiment essayé d’imaginer ce que cela impliquait. Des mesures appropriées devaient être prises pour garder une bête ailée confinée dans un village. Apparemment, ils l’avaient fait en utilisant une grotte.
« Mais tu n’avais pas d’ego à l’époque, non ? » demanda Lily avec curiosité tout en lançant sa magie de guérison. « Comment as-tu détesté ça ? »
« C’est simple, Lily, » dit Gerbera. « Elle est fondamentalement identique à ce que j’ai pu être par le passé. »
« Comment ça ? »
« Avant de rencontrer notre seigneur, j’avais quelque chose de proche d’une conscience. Cependant, ce n’était qu’une chose fugace que l’on ne pouvait pas vraiment appeler un ego. »
C’est exactement ce qui avait poussé l’araignée blanche à devenir sauvage. De même, le dragon errant avait probablement une faible conscience. C’est pourquoi elle s’était enfuie de la colonie. Jusqu’à présent, nous pensions qu’elle s’était échappée par accident, mais ce n’était pas le cas. C’était la raison pour laquelle elle était si désespérée de s’enfuir quand les autres étaient venus la capturer.
Maintenant que j’y pense, un certain temps s’était écoulé depuis son évasion, mais elle n’avait pas attaqué une seule colonie humaine. Ce n’était peut-être pas une simple coïncidence. Elle avait évité d’attaquer les humains précisément parce qu’elle avait une faible conscience.
« J’ai vécu presque éternellement dans un profond sommeil, » dit Gerbera. « Il en avait toujours été ainsi jusqu’au jour où j’ai rencontré notre seigneur. Et dans son cas… »
Gerbera baissa les yeux vers la petite fille, qui se mordait la lèvre.
« Pas question de rentrer… » déclara la dragonne. Le profond ressentiment et la morosité dans sa voix ne convenaient pas du tout à un enfant. « Je n’ai pas un seul bon souvenir de mon passage là-bas… »
Cela me faisait mal d’imaginer avoir été enfermé dans une grotte depuis sa naissance sans jamais avoir la possibilité de sortir. Son obstination était née de la peur d’avoir été forcée de vivre dans un environnement aussi déraisonnable.
Je commençais à comprendre. La fille aux cheveux roux devant moi était, en vérité, un énorme dragon. Elle avait une sale gueule et un air volontaire… mais en dessous de tout ça, elle était exactement ce qu’elle semblait être : une fillette de dix ans.
« Je n’y retournerai jamais. Qui diable voudrait le faire ? » murmura-t-elle, la voix tremblante.
« Cela ne peut pas être autorisé, » déclara une autre voix.
Les dragons étaient revenus avec Thaddeus à leur tête. Aucun d’entre eux n’était sous sa véritable forme. Tout comme Thaddeus, ils portaient des vêtements originaires du nord d’Aker et ne pouvaient pas être distingués des humains normaux. L’un d’entre eux s’approcha de Thaddeus. C’était une femme aux cheveux roux. Parmi les sept dragons qui accompagnaient Thaddeus, trois étaient des femmes.
« Tu ne peux pas quitter la colonie sans la permission de l’aîné. C’est la loi de Draconia. »
Ils avaient apparemment entendu une partie de notre conversation. Les épaules du dragon errant avaient été secouées, et sa bouche s’était ouverte et fermée. Elle ne pouvait pas parler. Son expression s’était raidie avec la peur. Je pouvais dire en un coup d’œil qu’elle était terrifiée. Ses yeux avaient parcouru la zone comme ceux d’un petit animal et s’étaient posés sur ma silhouette. Elle s’était levée d’un bond et s’était cachée derrière moi. Avec cela, elle réussit finalement à trouver la force de parler.
« Mais Thaddeus quitte la colonie tout le temps, » dit-elle. Elle avait choisi ses mots avec force, mais sa voix vacillait.
« Thaddeus est l’explorateur. Il a la permission de l’aîné, » dit la femme en regardant l’égaré. « Nous devons te ramener à la colonie. »
Voyant que le dragon n’était pas venu jusqu’ici pour s’amuser, elle était justifiée dans cette déclaration. À en juger par les émotions réprimées que je pouvais entendre dans sa voix, cette femme aurait pu compatir aux circonstances de l’errant, mais son sens du devoir avait fait oublier ces sentiments.
« Nous ne voulons pas être brutaux. Soit raisonnables », dit la femme sans ambages.
« Mais je ne…, » murmura l’errante en baissant la tête.
La main avec laquelle elle tenait mes vêtements tremblait. Ses respirations étaient courtes. Il était facile de deviner ce qui se passait dans sa tête. La majorité de ses blessures avaient déjà été soignées par la magie de Lily. Elle n’avait plus qu’à se retransformer en dragon, s’agiter imprudemment et s’enfuir. Elle devait ruminer. C’était un raisonnement hâtif et enfantin, mais je ne pouvais pas me moquer d’elle pour ça.
Elle avait été confinée pour maintenir le secret de la colonie cachée. Si elle avait eu de la volonté, il y aurait eu un autre moyen de gérer ça. Mais elle ne l’avait pas fait. Comme elle était maintenant, elle n’avait pas besoin d’être enfermée. Elle pouvait passer son temps normalement dans la colonie.
Cependant, Draconia — ou peut-être l’existence même de ses frères — était déjà l’incarnation vivante d’un cauchemar pour elle. On ne pouvait rien y faire, surtout si l’on considère qu’elle était encore une enfant. Elle ne pouvait pas contrôler ses émotions. C’était douloureux. Elle s’était sentie seule. Cela avait été si dur pour elle.
Les dragons de la colonie n’avaient presque pas eu d’autre choix que de la confiner. Pourtant, il avait probablement été difficile pour eux de prendre une décision aussi logique, d’autant plus qu’il était impossible de faire accepter de telles circonstances à un enfant de cet âge. Cela dit, les dragons ne pouvaient pas se retirer maintenant qu’ils avaient fait tout ce chemin pour accomplir leur devoir.
Aucun des deux camps ne pouvant céder, une rupture était inévitable — s’ils étaient les seules parties en présence, bien sûr.
« Pouvez-vous attendre une minute ? » Je l’avais interrompu. « J’aimerais dire quelque chose. »
« Très bien. Allez-y, Seigneur Takahiro. Nous avons entendu parler de vous par Thaddeus, » déclara courtoisement la femme, qui semblait être le chef du groupe.
Thaddeus avait apparemment dit beaucoup de bien de moi. Il avait probablement mentionné mon contrat avec Salvia. Je savais combien la Loge Brumeuse était importante pour les habitants de Draconia. Grâce à cela, ils m’écouteraient.
« Il est impossible pour elle de quitter la colonie sans permission. C’est ce que vous avez dit, non ? » avais-je demandé.
« Oui, c’est exact, » répondit Thaddeus. « Il est strictement interdit aux membres du clan de quitter arbitrairement la colonie afin de ne pas risquer d’exposer son existence au monde entier. »
« Mais vous avez le droit de partir. »
« Oui, mais c’est parce que… »
« Dans ce cas, il suffit d’obtenir la permission pour elle aussi, non ? » avais-je dit. Thaddeus avait l’air d’avoir été pris au dépourvu. « Les allées et venues fréquentes augmenteront certainement le risque d’exposer la colonie, mais si nous considérons soigneusement le risque et prenons les mesures appropriées, cela ne devrait pas être un problème pour elle de partir. Ai-je tort ? »
C’était, en fait, vrai que Thaddeus pouvait quitter la colonie. Ce n’était pas impossible.
Les dragons avaient tous échangé un regard.
Thaddeus m’avait soudain fait un sourire et avait dit : « Je vois. Qu’en penses-tu, Kath ? Je pense que c’est une bonne idée. »
« Si elle a la permission… alors oui, ce n’est pas un problème, » déclara la femme aux cheveux roux en hochant la tête.
« Tu les as entendus », avais-je dit en regardant le dragon égaré qui s’accrochait à moi. « Tant que tu as la permission, tu n’as pas à y retourner. »
« Hein ? Quoi ? » Ses yeux étaient confus, sa compréhension étroite l’empêchant de suivre notre conversation. « Mais comment puis-je obtenir la permission ? »
« Le seul moyen est d’en parler. À ce rythme, tu seras ramené contre ton gré. Si tu ne le veux pas, il faudra les convaincre. »
Il n’y avait pas d’avenir brillant pour elle là-bas, peu importe comment les dés étaient jetés. Mais que pouvait accomplir l’errante en fuyant la colonie comme ça ? Même si elle essayait de se jeter dans la société humaine, cela ne marcherait pas avec aucune connaissance du bon sens. Elle pourrait survivre dans la nature avec la puissance d’un dragon, bien sûr, mais en la voyant s’accrocher à mes vêtements comme ça, il était difficile de croire que vivre toute seule au fond des forêts serait bon pour une jeune fille comme elle.
Selon toute vraisemblance, les dragons la captureraient avant que cela ne se produise, mais cela ne va pas sans poser de problèmes. S’ils la ramenaient, l’errante deviendrait encore plus obstinée qu’avant et tenterait certainement de s’échapper à nouveau dans une lutte désespérée. Avec le temps, ses ailes guériront et elle pourra s’envoler. Même s’ils lui déchiraient les ailes pour l’en empêcher, elle pourrait toujours bouger ses jambes. Elle aurait d’innombrables occasions de tenter de s’échapper à nouveau.
Si elle s’échappait, lui casseraient-ils les jambes ? Ou l’enfermeraient-ils à nouveau dans une grotte ? Les choses s’étaient arrangées avec sa capture cette fois-ci, mais la prochaine fois, cela pourrait devenir un combat à mort. Ce qu’ils devaient faire maintenant, c’était de parler de tout ça.
« Par convaincre, tu veux dire retourner à la colonie !? » hurla l’errante, son visage devenant pâle.
Je lui avais gentiment fait un signe de tête. « Oui. Tu dois y retourner et parler des choses correctement. »
Son visage s’était crispé comme si elle avait été trahie. Je n’avais pourtant pas l’intention de faire une telle chose.
« Même si tu t’enfuis parce que tu ne veux pas faire ça, ça ne fera qu’empirer les choses. Tu dois avoir une vraie conversation avec ton aîné. Tu es maintenant enfin capable de le faire. »
« Mais ! Nous ne savons pas si elle m’écoutera vraiment ! En quoi est-ce différent de me traîner contre ma volonté !? »
« C’est différent », avais-je déclaré. Je n’essayais pas de la tromper, j’allais prendre mes responsabilités. « Si tu retournes y parler, nous t’accompagnerons. »
« Hein… ? »
« Si nous le faisons, au moins, ils t’écouteront. »
Je serais un médiateur, en un sens. J’étais l’entrepreneur de la Loge Brumeuse, et elle était spéciale pour le clan. De plus, avec l’aide de tous, nous pourrions exercer notre autorité et nous assurer que l’errante ne serait pas ignorée.
Il était possible que nous puissions les convaincre de laisser partir l’errante, et il était également possible qu’ils nous rejettent fermement. Le souhait de l’errante ne devait pas nécessairement être exaucé tel quel. Nous avions besoin d’un point de compromis que les deux parties pourraient accepter, peu importe la forme qu’il prendrait. Si je devais servir de médiateur à cette fin, alors j’avais l’intention de coopérer.
« Qu’est-ce que tu en dis ? » avais-je demandé, en me mettant à genoux et en suivant son regard.
Elle détourna les yeux, fronça les sourcils et baissa la tête. Elle n’était pas habituée à un contact visuel aussi direct, c’est pourquoi elle se comportait comme un chien errant maladroit. Pourtant, elle avait bien compris que les choses ne pouvaient pas continuer comme ça. Elle tourna ses yeux châtains vers moi et fixa mon visage pendant plusieurs secondes. Puis elle hocha légèrement la tête.
« Bien… »
« Bien », dis-je en lui caressant la tête avant de me lever et de me tourner vers Thaddeus. « C’est l’idée générale. Et vous ? »
« Cela signifie-t-il que vous allez visiter Draconia ? » demanda-t-il.
J’avais hoché la tête. « Oui. Je veux dire, dès le départ, j’ai promis à Salvia que je le ferais. »
« Une promesse avec la Dame de la Loge Brumeuse… ? »
La surprise se répandit parmi les membres du clan.
« Je ne pensais pas que ça finirait comme ça », avais-je dit. « De toute façon, c’est, bien sûr, seulement si vous êtes d’accord avec ça. »
« Qu’en penses-tu, Kath ? » demanda Thaddeus en se tournant vers la femme aux cheveux roux. « Telles sont les paroles de la Dame de la Loge Brumeuse. Nous ne pouvons pas les ignorer. »
« Confirmons d’abord avec l’aîné. Est-ce que ça ira ? » me demanda-t-elle.
Je lui avais répondu d’un signe de tête. « D’accord. Tout de même, jusqu’à ce que nous ayons une réponse, je vais m’occuper du dragon errant. »
« Cela fera l’affaire. J’ai cependant une requête. Thaddeus pourrait-il vous accompagner ? Ce n’est pas que je ne fasse pas confiance à l’entrepreneur de la Dame de la Loge Brumeuse, mais nous avons besoin d’un minimum d’assurance de notre côté. »
« Ça te va ? » avais-je demandé, en me tournant vers le dragon errant.
« Peu importe. »
« Vous l’avez entendue. Nous avons un accord. »
Sur ce, la femme aux cheveux roux avait souri pour la première fois. Il y avait du soulagement dans son expression, sûrement une démonstration de ses vrais sentiments.
◆ ◆ ◆
Après cela, tous les dragons, à part Thaddeus et l’errante, étaient partis en vitesse. Ils s’étaient immédiatement dirigés vers la colonie pour parler avec l’aîné. La petite fille errante regarda ça d’un air hébété pendant que je posais ma main sur sa tête. Elle reprit finalement ses esprits et me regarda. Elle serra les lèvres et balaya rapidement ma main. Elle agrippa ensuite l’ourlet de mes vêtements et fit la moue d’un air mécontent. J’avais vraiment du mal à comprendre les enfants. Mais je pouvais au moins voir qu’elle ne me détestait pas, alors je lui avais fait un sourire en coin.
« Quoi !? »
Immédiatement après, la fille glapit. C’était parce que Lily l’avait soudainement enlacée par-derrière.
« On va s’entendre, d’accord ? » dit Lily.
« Qu’est-ce qui se passe avec toi !? Lâche-moi ! »
« Allons, allons. Je n’ai pas fini de te traiter. Ne te débats pas. »
« T-Tu n’as pas besoin de me faire un câlin, bon sang ! »
« C’est bon de te voir si énergique », dit Gerbera en s’approchant de la petite fille, qui était maintenant toute rouge et qui se débattrait. « Eh bien, nous allons être ensemble pendant un certain temps. Allons-y, d’accord ? »
« Arrête de me frotter la tête, espèce d’idiote ! Et lâche-moi ! »
« Hmm. Maintenant que je la regarde comme ça, son impertinence a un certain charme », fit remarqué Gerbera.
« Je pense qu’elle est juste normalement mignonne, » ajouta Lily.
« Kuuu ! »
Voyant Lily la serrer dans ses bras et Gerbera lui ébouriffer la tête, Ayame ne voulait pas être laissée de côté et se jeta sur elle. La petite fille avait crié et gémi.
« Takahiro, » Thaddeus m’avait appelé alors que je les regardais. Heureusement, il n’avait pas utilisé le titre de « seigneur ».
« Hm ? »
« Merci. »
Je lui avais donné un haussement d’épaules. Il n’y avait personne ici pour arrêter cette scène joyeuse qui se poursuivait encore un moment.