Chapitre 4 : La soirée du loup et du slime ~ Point de vue de Lily ~
Partie 1
Avant l’aube, alors que je pratiquais mon mimétisme partiel — que je ne maîtrisais toujours pas correctement — j’avais soudainement senti ma concentration se briser. J’avais regardé autour de moi et j’avais vu que tout le monde dormait profondément.
Mon maître dormait juste à côté de moi. Je pouvais sentir la chaleur de son corps s’infiltrer en moi à travers ses vêtements. J’avais essayé de toucher sa joue, sentant une texture légèrement rugueuse sous mes doigts. La peau d’un homme, avais-je pensé. Ce fait évident avait provoqué une légère douleur dans mon cœur, et mon souffle devint un peu chaud.
Je voulais qu’il me regarde, et je voulais aussi continuer à regarder son visage endormi pour toujours. Même si je n’avais aucune idée de ce que je devais faire avec ces sentiments, le temps passé à l’adorer ainsi était l’une de mes rares distractions pendant les longues nuits.
Je pouvais entendre Gerbera dormir de l’autre côté de notre maître. Ayame était recroquevillée sur mes genoux, profondément endormie avec son nez qui bougeait dans tous les sens. De l’autre côté du feu de camp, Thaddeus et Fukatsu étaient allongés sur le sol. Parmi tout ça, ce qui avait attiré mon attention, c’était Salvia, un peu plus loin, qui jouait avec Asarina.
« Maî — tre. »
« Allez, tu ne peux pas partir comme ça, d’accord ? »
Salvia était très proche d’un esprit. Elle flottait dans l’air, ses cheveux d’un brun doré et ses vêtements voletants se balançant comme sous l’eau. Asarina, qui s’étirait actuellement de la main de notre maître, s’enroulait autour de son corps voluptueux, comme si elle était vraiment attachée à elle. C’était comme une scène sortie d’un tableau.
« On dirait qu’Asarina s’est vraiment prise d’affection pour toi, Salvia, » avais-je dit.
« Nous sommes après tout comme des colocataires, » avait répondu Salvia en ricanant.
« Treee ! » Asarina avait ajouté en signe d’approbation tandis que Salvia lui caressait la tête.
« Il semblerait qu’Asarina veuille apprendre la magie de charme, » dit Salvia. « Elle veut être capable de parler avec notre maître. »
« Parler ? Est-ce possible ? » avais-je demandé, ne comprenant pas vraiment comment cela pouvait fonctionner.
« Oui. En utilisant la magie de charme, le lanceur de sorts peut faire voir à quelqu’un quelque chose qui n’est pas là et entendre des sons qui n’existent pas. C’est une application de cette technique. »
« Oh, je comprends maintenant. C’est vrai. Selon son utilisation, ça peut servir à la conversation. »
« C’est vrai. Elle a en fait réussi à lui parler dans le monde de la loge brumeuse. Asarina a une affinité pour la magie de charme, elle devrait donc pouvoir l’apprendre relativement vite. »
« Hmm. »
Juste à ce moment-là, Ayame s’était soudainement levée. Elle avait dû nous entendre parler. Elle avait regardé Asarina avec une expression choquée.
« K-Kuu… ? »
C’était difficile à dire, mais son visage semblait sous-entendre « J’ai été trahie ». Ses jolis yeux ronds étaient des cercles parfaits. Et puis elle sauta soudainement de mes genoux et s’enfuit.
« Kuuu ! »
« H-Hey ! Où vas-tu !? » J’avais crié en tendant la main.
Le petit corps d’Ayame avait disparu dans l’obscurité de la forêt alors qu’elle gémissait légèrement. Voyant qu’elle n’était plus en vue, j’avais baissé ma main.
« Bon sang, cette Ayame… »
« Ne devrais-tu pas la poursuivre ? » demanda Salvia.
J’avais regardé autour de moi. Les gémissements d’Ayame avaient aussi réveillé Gerbera, qui regardait dans ma direction.
« Non. Ayame n’est pas si négligente, » dis-je. « En fait, c’est la norme pour elle de se promener à proximité. De plus, elle n’a pas l’air de s’être lancée à l’aveuglette. »
« Que veux-tu dire ? »
« Berta est allée par là ce soir. On dirait qu’Ayame va la suivre. »
Berta était partie depuis un moment, mais Ayame pouvait facilement la suivre à l’odeur. J’avais montré mon propre nez pour le faire comprendre. Salvia semblait maintenant convaincue, et Gerbera avait fermé les yeux une fois de plus.
« Tu connais si bien tes petites sœurs, » dit Salvia en riant, mettant sa main sur sa bouche. « Oh, c’est vrai, Lily. C’est une bonne occasion, alors permets-moi de te remercier. »
« À propos de quoi ? »
« Pour avoir mis en place le plan pour rattraper le dragon errant. »
Comme l’avait dit Salvia, au cours des deux derniers jours de recherche, nous avions réussi à trouver un indice concernant le dragon errant. Il semblait être blessé, et il était certainement caché et se reposait quelque part dans cette zone. Il essayait probablement de passer inaperçu, mais le fait qu’il reste caché m’avait permis de le suivre plus facilement à l’odeur. Il ne nous faudra pas longtemps pour le trouver.
« Merci, Lily. »
« C’est bon. Je n’ai pas vraiment fait quelque chose qui mérite d’être remercié. Tu devrais plutôt remercier notre maître. »
C’est lui qui avait décidé d’aider Thaddeus. Les dragons comme les humains voulaient éviter toute tragédie, et notre maître avait répondu aux sentiments forts de Thaddeus, Shiran et Kei à ce sujet. Il n’était pas du genre à apprécier les effusions de sang inutiles, et il voulait respecter sa promesse à Salvia. Cependant, j’avais senti qu’il y avait plus que cela.
« Nous devons faire quelque chose avant que ça ne devienne trop mauvais… »
Je m’étais souvenue de son expression sincère lorsqu’il avait prononcé ces mots, comme si cela le concernait directement. À mes yeux, il semblait que mon maître voulait éviter de tuer le dragon errant par tous les moyens. Peut-être ressentait-il une empathie particulière pour le clan de Thaddeus. C’est ce que je croyais, et si c’était le cas, c’était probablement à cause de la nature du clan. En d’autres termes, c’était un clan de dragons qui possédaient des volontés. Ils étaient liés à celui qui connaissait le passé dont Salvia avait parlé. C’était aussi des monstres avec lesquels mon maître ne pouvait pas se connecter avec le cheminement mental. Je pouvais moi-même largement deviner leur véritable identité. Ce serait bien si mon intuition était juste.
Je peux même dire que j’avais de l’espoir. C’est précisément pour cette raison que j’avais gardé cet espoir au fond de moi. Je ne pouvais pas commencer à paniquer. Mon maître tiendrait sa promesse à Salvia dans un avenir proche, après tout.
◆ ◆ ◆
Après avoir joué avec Asarina pendant un moment, Salvia s’était retirée une fois de plus dans notre maître. Quelque temps après, j’avais vu un loup à deux têtes s’approcher du feu de camp. J’avais passé mon temps comme d’habitude, à pratiquer le mimétisme partiel et à regarder le visage endormi de mon maître de temps en temps, donc j’étais encore éveillée.
« Oh, bon retour parmi nous, Berta. »
Berta, la servante de Kudou Riku, nous accompagnait dans notre voyage en tant qu’escorte. Maintenant que j’étais guérie, nous n’avions plus vraiment besoin d’elle comme garde, mais comme elle n’avait pas d’autres ordres de son maître, elle avait quand même continué à nous accompagner. La raison en était qu’elle ne pouvait pas entrer en contact avec Kudou pour le moment. Kudou lui avait cependant dit à l’avance que cela pouvait arriver.
Une situation où elle ne pouvait pas contacter son maître… Cela signifiait-il que Kudou était si occupé par quelque chose qu’il ne pouvait pas s’occuper d’autre chose ? Penser à ce qu’il pouvait bien être en train de faire était un peu inquiétant. J’avais déjà essayé d’interroger Berta à ce sujet, mais elle m’avait dit qu’elle ne savait pas. Elle n’aurait probablement pas répondu même si elle le savait, mais d’après ce que j’avais pu voir, elle n’avait pas menti.
Quand elle avait commencé à voyager avec nous, j’avais envisagé d’essayer d’obtenir d’elle des informations sur les mouvements de Kudou Riku, mais dernièrement, j’avais abandonné cette idée. Pour l’instant, Berta n’était rien de plus qu’un gentil compagnon de voyage.
« Désolée, Berta. On dirait qu’Ayame t’a embêtée. »
La petite renarde était recroquevillée sur une des têtes de Berta. Comme je m’y attendais, elle avait couru directement vers Berta.
« Hein ? Ayame n’a-t-elle pas l’air plus pulpeuse que d’habitude ? » avais-je demandé. Elle n’avait pas l’air d’avoir aspiré de l’air pour se gonfler, mais son corps semblait trois fois plus gros que d’habitude.
Berta avait regardé Ayame de son autre tête, puis avait laissé échapper un soupir d’exaspération très humain.
« Elle a simplement trop mangé…, » avait-elle dit.
« Aah. C’est pour ça qu’elle s’est endormie… »
Elle était apparemment sortie manger sous le coup du stress. Je m’étais demandé ce qui l’avait choquée au point de ressentir le besoin de le faire.
« Nous étions en train de manger un monstre que j’ai chassé, » expliqua Berta, « et puis alors qu’elle râlait à propos de quelque chose, elle s’est soudainement endormie. Ça a été un sacré choc. »
« Haha. Elle n’est qu’une enfant. »
« Pendant un moment, j’ai cru qu’elle avait attrapé une sorte de maladie étrange. »
Berta avait l’air d’en avoir assez, mais elle continuait à marcher prudemment pour ne pas réveiller Ayame. C’était adorable à regarder. Elle était passée devant moi, puis s’était recroquevillée sur le sol à une petite distance de tous les autres. Berta était toujours comme ça.
« Hé, Berta ? » avais-je dit, un sentiment de douceur dans mon cœur.
« Quoi ? »
« Me caches-tu quelque chose ? »
« De quoi parles-tu ? »
Il y avait un léger tremblement dans sa voix. C’est ce que je pensais. Berta avait toujours gardé ses distances avec nous. La seule exception était Ayame, qui avait comblé l’écart entre elles avec son insouciance.
Parmi nous tous, Berta était la plus froide avec moi. D’après mon maître, après l’incident avec Takaya Jun, Berta était retournée vers Kudou pour quelque temps. Quand elle était revenue, quelque chose en elle était étrange. J’avais deviné que Kudou avait découvert quelque chose en rapport avec moi… ou peut-être avec Miho Mizushima.
Le fait que Berta ne puisse pas garder cela caché était un signe de sa personnalité honnête. C’était une de ses vertus, mais c’était aussi un défaut puisqu’elle ne pouvait pas garder de secrets. En ce sens, Kudou avait fait une erreur de jugement en nous envoyant Berta.
En y repensant, c’était un peu étrange. Pourquoi Kudou avait-il choisi Berta ? Y avait-il une sorte de plan derrière tout ça, ou était-ce un simple caprice ? Cela aurait aussi pu être un processus d’élimination. Tout de même, même si c’était une erreur de la part de Kudou, c’était une opportunité pour nous.
« Hé, Berta ? » avais-je dit une fois de plus. « Ton maître… Kudou Riku ne s’arrêtera pas, n’est-ce pas ? »
Berta s’était un peu mise sur ses gardes, pensant peut-être que j’allais poser la même question que précédemment, mais elle avait ensuite légèrement ouvert les yeux.
« En quoi cela te concerne-t-il ? », demanda-t-elle.
« Hmm. Il m’a prêté main forte pour me sauver de Takaya Jun, donc il y a ça aussi… Eh bien, je suppose que c’est parce qu’il est similaire à mon maître. »
Kudou et mon maître étaient tous deux attentifs l’un à l’autre, bien que pour des raisons différentes. Tout le monde autour d’eux le savait aussi. J’avais aussi un certain intérêt pour Kudou.
« Kudou Riku est le Roi-Démon né du côté faible et disgracieux de l’humanité », avais-je dit. « En un sens, il est la façon dont mon maître aurait pu devenir. Si Kudou peut s’arrêter, j’aimerais qu’il le fasse. Par-dessus tout, c’est ce que mon maître souhaite. »
merci pour le chapitre