Chapitre 5 : Ce qu’il faut pour entrer dans la ville
Partie 2
« Le nombre de villes d’Aker qui abritent plus de mille personnes se compte sur les doigts d’une seule main, » dit Shiran, assise sur ses semelles.
Elle portait ses vêtements de voyage et avait étalé devant elle une carte simpliste indiquant les routes et les villes principales. La carte que nous avions reçue des Chevaliers de l’Alliance avait été emportée par la rivière lors de l’attaque de la Skanda, alors Shiran avait dessiné celle-ci à partir de rien. J’y avais noté les noms de chaque point de repère en katakana.
« D’après ce qu’on nous a dit avant de pénétrer dans les montagnes de Kitrus, cette route débouche près de la ville de Zaquo. Ce qui veut dire… »
Shiran avait tracé son doigt le long de la carte.
« Nous sommes probablement quelque part par ici. La grande ville la plus proche est Diospyro. C’est la plus grande ville de l’est d’Aker et le centre de distribution des marchandises pour les villages et villes environnants, donc je pense que ce sera une destination acceptable pour nos objectifs. »
« Combien de temps nous faudra-t-il pour atteindre Diospyro ? »
« Voyons voir… Je pense que nous devrions y arriver dans trois jours. Selon Berta, il y a une colonie à proximité. Nous pouvons demander des détails là-bas. »
Il nous avait fallu trois jours pour descendre la montagne, donc en tenant compte du temps nécessaire pour nous approvisionner en ville, un voyage aller-retour nous prendrait environ deux semaines. Cela correspondait largement à notre programme préexistant.
« Deuxième Roi. »
Peut-être en réaction à son propre nom, Berta, qui était couchée sur le sol près de nous, avait rejoint notre conversation. Elle avait levé ses deux énormes têtes de loup.
« Il y a des yeux humains dont il faut se méfier à partir de maintenant. Je n’irai pas plus loin. »
« Ah, oui. Merci Berta. »
« Je l’ai déjà dit plusieurs fois, mais je ne fais rien d’autre que de suivre les ordres de mon roi, » dit-elle en détournant ses deux paires d’yeux intelligents. « On m’a ordonné de vous protéger pendant un certain temps. C’est la seule raison pour laquelle je vous accompagne. Par conséquent, je n’ai pas besoin de vos remerciements. Je ne suis pas votre foutu compagnon ou quoi que ce soit d’autre. »
Elle était terriblement froide. Son comportement était le même que d’habitude, mais quelque chose m’avait paru étrange cette fois-ci. Depuis qu’elle était retournée à Kudou puis qu’elle était revenue, Berta se comportait étrangement. Je m’étais demandé si quelque chose s’était passé.
Parce qu’elle nous avait aidés à récupérer Lily, je ne pouvais pas détester cette énorme louve. Je n’avais pas oublié qu’elle avait trompé Sakagami Gouta et l’avait mangé, mais Kudou l’avait forcée à le faire. Quand je l’avais pressée de répondre à la question de savoir si elle avait trompé Sakagami, j’avais vu de la culpabilité dans ses yeux.
Maintenant que j’avais eu l’occasion d’interagir davantage avec elle, j’avais vu qu’elle était en fait assez douée pour s’occuper des autres, malgré son attitude brusque. Fondamentalement, elle avait un bon cœur. Cependant, je ne savais pas si c’était une bonne chose pour elle en tant que servante de Kudou.
« Nous devrions atteindre la colonie dans l’après-midi. Je vous garderai jusque là, » dit Berta à voix basse. « Après cela, je retournerai chez le slime et l’araignée. Après sept jours, je reviendrai ici et je vous attendrai. Est-ce tout ? »
« Oui. Merci. Tu es d’une grande aide. »
« Je n’arrête pas de vous dire… »
Berta avait commencé à dire quelque chose, mais s’était tue. Elle avait compris qu’il était inutile de me dire continuellement de ne pas la remercier. La voir agiter sa queue et ses tentacules d’un air boudeur m’avait fait sourire.
« Bon, c’est tout pour nos plans jusqu’à ce que nous atteignions le village, » avais-je dit en me retournant pour faire face aux deux elfes assises en face de moi. « Après cela, nous allons beaucoup compter sur vous deux. Nous pourrions finir par être une gêne, mais nous serons sous votre responsabilité. »
« Compris. »
« Laissez-nous faire ! »
« Tout ce qu’il reste à faire est… Hmm, Katou et Rose prennent vraiment leur temps. »
Après avoir déterminé nos plans, j’avais jeté un coup d’œil aux alentours. Je ne pouvais pas voir les deux filles quelque part.
« Elles se sont excusées après que nous ayons terminé le petit déjeuner. Je devrais aller les chercher ? » proposa Shiran en hochant la tête.
« Non, c’est bon. »
Je pouvais dire à travers le cheminement mental qu’elles n’étaient pas allées loin. Elles étaient sûres de revenir avant notre départ, donc il n’y avait pas besoin de sortir de notre chemin pour les chercher. Et juste au moment où je pensais cela, des pas étaient venus vers nous avec un timing parfait.
« Je suis revenue, Maître, » dit Rose.
Je m’étais retourné avec désinvolture. « Aah, bienvenue ba —»
Mon salut était resté coincé dans ma gorge. Ma bouche s’était ouverte et j’avais regardé la personne devant moi. C’était une fille que je ne connaissais pas. Ses cheveux argentés foncés se balançaient derrière elle en une tresse. Elle était grande pour une femme, et elle portait une robe bleu foncé avec un col.
La jupe de la robe se drapait gracieusement sur ses jambes, et à en juger par le tissu épais dont elle était faite, elle était à la fois pratique et belle. De plus, elle portait un grand tablier, ce qui rendait son expression plus posée que mignonne. Elle portait de longs gants qui couvraient ses deux bras, et ses chaussettes montaient jusqu’à ses cuisses. Sa tenue n’exposait que très peu de sa peau.
La seule partie de son corps qui ressortait vraiment était son visage anormalement beau et angélique. Ses traits étaient si délicats qu’ils ressemblaient presque à du verre forgé. Je n’avais jamais rien vu de tel auparavant.
Elle avait l’air complètement différente, mais j’avais immédiatement su qui elle était.
« Rose… ? »
« O-Oui. »
Rose avait souri maladroitement, peut-être à cause de la tension du moment. Mon cœur battait la chamade en la regardant faire de son mieux pour courber ses lèvres. Cela m’avait complètement déstabilisé et m’avait fait agir encore plus bizarrement.
À ce moment-là, Katou était sortie de derrière Rose et avait dit : « Allez, ne reste pas planté là. »
Ces mots m’avaient fait réaliser que nous étions debout, immobiles, face à face, comme si nous étions à une sorte d’entretien de mariage.
En me voyant comme ça, Katou avait souri de satisfaction et avait poussé le dos de Rose. Rose avait marché dans ma direction, mais ses mouvements étaient saccadés et raides. Katou l’avait probablement poussée comme ça jusqu’ici.
Une fois que Rose s’était approchée de moi, elle s’était assise, comme si un interrupteur s’était déclenché en elle.
« Wôw ! Tu es superbe ! Ça te va si bien, Rose ! » s’écria Kei avec un regard émerveillé. « C’est la tenue que tu as préparée pour pouvoir aller en ville, n’est-ce pas !? »
Avec les mots de Kei, j’avais finalement compris la situation. Rose avait apparemment préparé ces vêtements pour qu’elle puisse aller en ville. J’avais pensé que ce ne serait pas bien qu’elle se promène avec son masque et ses articulations exposés, alors quand j’avais demandé à Rose et Katou de m’accompagner en ville, j’avais aussi demandé si quelque chose pouvait être fait pour l’apparence de Rose. Elles m’avaient simplement répondu qu’elles se prépareraient elles-mêmes. Je leur avais fait confiance pour trouver une solution et les avais laissées faire, mais je n’aurais jamais pensé qu’elles feraient autant d’efforts. Il leur avait fallu beaucoup de temps pour préparer ce projet, et c’est maintenant qu’il était dévoilé.
« Ça te va bien, Rose, » dit Shiran.
« C’est vrai. Elle est si jolie, » avait ajouté Kei en signe d’approbation. Ses yeux brillaient d’admiration quand elle s’était tournée vers moi. « Pas vrai, Takahiro ? »
« Oui. J’ai finalement réalisé que je n’avais moi-même rien dit. Elle a raison. Je pense que ça te va bien. »
La plus ennuyeuse des phrases était sortie de ma bouche. Cela m’irritait de ne pas l’avoir félicitée d’une meilleure façon. Je ne pouvais pas vraiment exprimer ma perplexité en premier lieu.
« Tu es si jolie que ça m’a choqué. » C’est le mieux que j’ai pu faire.
L’instant d’après, toute expression avait disparu du visage de Rose. Elle ressemblait maintenant à une poupée inorganique. Le changement était si soudain qu’il m’avait fait sursauter. Ai-je dit quelque chose de mal ? Ou ne l’ai-je pas assez félicitée ? De nombreuses pensées avaient traversé mon esprit.
Avec le recul, je m’étais rendu compte que toutes mes suppositions étaient fausses. On m’avait dit plus tard que Rose n’était pas très douée pour les expressions faciales. Comme son visage était à l’origine sans traits, c’était parfaitement logique. Elle avait fait beaucoup d’efforts pour paraître moins inhumaine. Mais même maintenant, une partie de cette gêne subsistait. Chaque fois que son attention était dirigée ailleurs, tous ces traits disparaissaient entièrement, laissant une expression froide qu’aucun humain ne pouvait avoir.
C’était exactement ce qui s’était passé. Cependant, je ne l’avais pas trouvé disgracieux. J’étais peut-être un peu partial, mais les traits de Rose étaient si délicats que son expression inhumaine et froide lui allait plutôt bien. Elle était comme un ange.
Toujours sans expression, la Rose éthérée… s’était effondrée en arrière avec un bruit sourd.
« Uhhh… »
Pour commencer, pourquoi Rose avait-elle perdu son expression ? En bref, dès qu’elle avait entendu mes louanges enfantines, elle avait perdu sa présence d’esprit.
« R-Rose !? » cria Katou.
Shiran et Kei s’étaient levées d’un bond. Une des têtes de Berta avait bâillé et elle avait fermé les yeux comme si cela n’avait rien à voir avec elle.
Nous avions dû attendre un certain temps avant que Rose ne se remette de son « évanouissement », pour reprendre un terme humain, et que nous puissions partir.
merci pour le chapitre