Chapitre 3 : Quelqu’un que je déteste
Partie 1
Nous avions commencé par nous raconter nos situations respectives, afin d’arriver à une compréhension mutuelle. Je lui avais raconté ce qui s’était passé au Fort de Tilia il y a deux mois, et ce que nous y avions fait. Vu que Katou et Rose n’étaient pas présentes, ce rôle me revenait entièrement. Iino avait eu l’air de vouloir intervenir à plusieurs reprises lorsque j’avais décrit ce que son collègue de l’équipe d’exploration, Juumonji Tatsuya, avait fait, mais elle m’avait au moins écouté jusqu’à la fin sans m’interrompre.
Ensuite, c’était son tour. Elle avait commencé par son voyage dans les Profondeurs pour sauver les élèves restants. Je n’étais pas vraiment intéressé par cette partie, alors je lui avais demandé d’être brève et de se concentrer sur les détails après son retour au Fort de Tilia.
« Je vois. Tu es passée par Serrata, » avais-je fait remarquer au milieu de son récit, puis j’avais penché la tête. « Tu nous as rattrapés très vite. »
Iino était revenue au Fort de Tilia un peu plus d’un mois après son départ pour les Profondeurs. Environ deux mois s’étaient écoulés depuis que nous avions nous-mêmes quitté la forteresse, alors compte tenu du temps qu’elle avait passé là-bas, Iino avait mis environ vingt jours pour nous rattraper. En plus de cela, elle s’était arrêtée à Serrata et était même retournée jusqu’au Fort d’Ebenus pour informer le chef de l’équipe d’exploration. Nous n’étions pas pressés nous-mêmes, mais il était quand même surprenant qu’elle nous ait rattrapés en seulement vingt jours.
Iino, d’un autre côté, n’avait pas vu ça comme un gros problème. Elle s’était moquée de moi avec désinvolture. « J’étais accompagnée par les Chevaliers Impériaux et les étudiants que nous avons sauvés dans les Profondeurs, mais après cela, j’étais seule. Mes jambes m’ont permis d’atteindre Serrata en deux jours. »
« As-tu couru ? Un cheval rapide est censé mettre quatre jours. »
« Aller de Serrata à Ebenus m’a aussi pris deux jours. »
« C’est bien approprié pour la Skanda…, » avais-je murmuré.
Le voyage entre le Fort de Tilia et les Profondeurs prenait normalement une semaine. Il aurait dû lui falloir au moins autant de temps pour revenir puisqu’elle était avec les membres de l’équipe d’origine qu’elle avait secourus. Donc, en déduisant la vingtaine de jours depuis son départ du Fort de Tilia, il ne restait que deux semaines. Iino avait dit qu’elle n’avait mis que six jours pour aller à Serrata, au Fort d’Ebenus, et revenir à Serrata. Si l’on considère qu’elle avait dix jours pour nous rejoindre ici, dans les montagnes de Kitrus, cela lui avait pris beaucoup plus de temps que l’on pourrait le penser.
J’en avais été étonné, mais j’avais tout de même fait avancer les choses. « Donc, quand tu es passée à Serrata, ce Louis t’a dit que je faisais partie des gens qui ont attaqué le Fort de Tilia ? »
Louis Bard était l’homme qui dirigeait l’armée territoriale du Margrave Maclaurin. Il était apparemment la cause de tout ce malentendu. Ou peut-être, vu sa position, c’était l’homme derrière lui.
Katou nous avait regardés avec curiosité. « La description du margrave Maclaurin que vous avez reçue est très différente de ce que nous avons entendu… »
« Quoi ? Veux-tu dire que je mens ? » dit Iino en jetant un coup d’œil à Katou.
« Je n’ai pas dit ça. »
« Donc Louis ment ? Je n’ai parlé avec lui que pendant un court moment, mais c’est vraiment un homme sincère. »
« Pas besoin de nous casser les pieds, Iino, » avais-je dit en interrompant leur conversation. « La fille qui nous a parlé de lui, Shiran, n’est pas du genre à mentir. Qui sait laquelle des deux a raison ? Différentes personnes verront la même personne de différentes manières. »
Personnellement, j’avais envie de croire Shiran, mais Iino se montrait insistante. Il était possible que ce Louis soit un homme bien débordant d’intégrité et que la situation actuelle ne soit qu’un désastre né d’un simple malentendu. C’était probablement ce qui avait tant compliqué la situation. Ou peut-être était-il vraiment un ignoble escroc qui avait piégé Iino. Je n’avais aucun moyen de le savoir, mais ce n’était pas un gros problème.
Le vrai problème était que Louis… ou plus précisément, l’homme derrière lui, le Margrave Maclaurin, pensait que j’étais le coupable de l’attaque du Fort de Tilia. Comment ça s’est terminé exactement comme ça ?
La commandante des Chevaliers de l’Alliance, qui était au courant de ce qui s’était passé, était actuellement emmenée à la capitale impériale comme responsable de la chute du Fort de Tilia. Maclaurin avait été celui qui l’avait retenue. À en juger par ce que Louis et lui savaient sur Juumonji et Kudou — même s’ils traitaient cela comme des rumeurs irresponsables et sauvages — cela signifiait que la commandante avait informé le margrave de ce qui s’était passé.
Dans ce cas, cela signifiait-il qu’il ne la croyait pas ? Ce ne serait pas si étrange. La maison Maclaurin avait toujours été en désaccord avec les cinq royaumes du Nord, y compris Aker. Par-dessus tout, ma capacité à apprivoiser les monstres était difficile à accepter dans ce monde. C’était en fait assez inévitable, étant donné que le seul autre dompteur de monstres, Kudou, était en fait celui qui avait attaqué la forteresse.
Ou peut-être s’agissait-il d’une simple erreur de communication entre Maclaurin et Louis. Quoi qu’il en soit, il s’est avéré que ma décision de me rendre à Aker avec Shiran, qui serait en grand danger si elle était capturée, était en fait correcte.
Aussi vaste que soit l’influence de Maclaurin, sa portée ne peut s’étendre aux frontières d’un autre pays. S’il essayait de faire quelque chose d’aussi autoritaire, cela pourrait facilement mener à la guerre. Le Saint Ordre interviendrait alors, le conduisant à la ruine. C’est du moins ce que j’avais entendu auparavant. Tant que nous resterions à Aker, je serais hors de portée du margrave qui prétendait que j’étais l’assaillant du Fort de Tilia.
« Majima. Si tu n’as rien à te reprocher, alors tu devrais te rendre à l’Empire. »
La portée du margrave était exactement la raison pour laquelle la suggestion d’Iino était absolument hors de question.
« Mettons Louis de côté pour le moment, » continua-t-elle, « tu as dit avoir combattu le coupable de l’attaque du Fort de Tilia, n’est-ce pas ? Si c’est vrai, alors je crois que tu n’as pas fait le bon choix. »
« pas le bon choix… ? » avais-je répété avec une mine renfrognée.
« Oui, » répondit-elle en hochant la tête. « Donc, si c’est vrai, tu devrais retourner à l’Empire et nous aider dans notre enquête. En faisant cela, tu pourras prouver ta propre innocence. »
Elle avait certainement raison.
« Mais si tu mens, » avait-elle ajouté, « Alors je ne peux pas te laisser en liberté. Dans tous les cas, tu devras venir et faire face à un procès équitable. »
« Un procès équitable, hein ? » avais-je murmuré en réponse, en regardant son visage. Je sentais que je saisissais maintenant les principes qui l’animaient. « En bref, c’est ton travail de capturer toute personne suspecte. Tout jugement après cela, tu le laisseras à une autre autorité appropriée. »
Elle n’était pas irresponsable, loin de là. Elle avait agi selon ses propres critères, donc je ne pouvais pas dire que sa façon de faire était nécessairement mauvaise. Il n’y avait pas de flics qui prétendaient être des juges. Ils capturaient les personnes soupçonnées d’être des criminels, enquêtaient sur elles et rassemblaient des preuves. Iino pensait que c’était tout ce qu’elle avait à faire. En vérité, elle avait essayé de nous capturer, pas de nous juger. Cependant, il y avait juste un problème.
« Mais quelle garantie y a-t-il que ce sera un procès équitable ? » avais-je demandé.
« Hein ? »
« On n’est pas au Japon. Il n’y a pas de garantie, n’est-ce pas ? »
« C’est… Cela peut certainement être vrai, » dit-elle avec hésitation.
Iino avait agi en supposant que je serais traité équitablement. Elle avait baissé son regard vers le sol sans objecter. Mystérieusement, je m’étais senti légèrement déçu en la voyant comme ça. Est-ce qu’Iino était venue ici simplement parce qu’elle n’avait pas assez réfléchi ?
« Bien. » Trahissant complètement mes attentes, Iino avait immédiatement relevé la tête et m’avait lancé un regard perçant. « Dans ce cas, je t’accompagnerai et te protégerai jusqu’à ce qu’un jugement équitable puisse être rendu. Cela te convient-il ? »
J’étais resté silencieux. Son ton impliquait qu’elle était complètement sérieuse.
« D’ici là, peu importe qui c’est, je ne permettrai pas qu’il pose la main sur toi, » poursuit-elle. « Si ton jugement est irréfutablement suspect, alors je te protégerai de mes propres mains. Je te le promets. »
« Est-ce que tu comprends au moins ce que tu dis ? » avais-je demandé.
« Ne me regarde pas de haut. J’ai dit “peu importe qui”. Ça veut dire n’importe qui, » déclara Iino.
Il n’y avait rien pour elle, mais elle n’avait pas montré la moindre hésitation. Je ne pouvais pas sentir de tromperie dans son comportement. Cependant, cela ne concernait que sa demande elle-même. Même si elle était sérieuse, elle pouvait se dégonfler le moment venu.
Cependant, je m’étais rappelé ce qui s’était passé pendant l’éboulement. Iino avait immédiatement essayé de sauver Katou. Cela prouvait qu’elle n’était pas du genre à perdre son sang-froid en réfléchissant aux avantages et aux inconvénients de ses actions.
Il y avait aussi une autre chose. J’avais jeté un coup d’œil à Katou. À l’époque, elle avait utilisé l’imitation de la pierre runique de flash pour voler la vision d’Iino et la poignarder dans la cuisse. Iino n’avait pas riposté. Au contraire, elle n’avait même pas essayé de se débarrasser de Katou par réflexe. Elle était tombée de la falaise et s’était jetée dans la rivière avec Katou toujours dans ses bras.
Si la célèbre Skanda de la Colonie l’avait secouée violemment, le corps de Katou aurait été brisé comme une brindille. Iino n’avait pas riposté précisément parce qu’elle le savait. Son comportement sur un coup de tête avait démontré sa nature d’humaine. Au moins, les intentions d’Iino n’étaient pas fausses.
Il serait injuste de ma part de traiter sa déclaration comme un simple service de pure forme. Katou avait dit pendant leur affrontement sur la route de montagne. « Même si nous n’étions pas traités comme des sauveurs ici, je suis sûre que vous auriez agi exactement de la même manière. »
Selon toute vraisemblance, même si Katou n’avait pas réussi à vaincre Iino grâce à son esprit vif, nous aurions eu exactement la même conversation. Si je faisais alors part de ma méfiance à l’égard de l’Empire, je la verrais bien faire la même suggestion de prendre la responsabilité et de m’escorter jusqu’au bout.
Iino Yuna était plutôt simple d’esprit et un fardeau gênant pour moi… mais ce n’était pas quelqu’un qui se laissait emporter par le cours des événements. Elle avait de la conviction. Je ne pouvais pas non plus la critiquer pour ça. C’est parce que…
merci pour le chapitre