Chapitre 4 : Abandonner le Fort de Tilia
Partie 1
J’étais arrivé au sommet des remparts extérieurs avec Lily. Les murs étaient encore profondément marqués par l’attaque de l’autre jour. La zone autour du Fort de Tilia, la forteresse enchâssée dans la zone nord des Régions forestières, avait été dégagée pour offrir une vue dégagée en cas d’approche de monstres. En regardant depuis les murs, la frontière entre le terrain dégagé et la forêt verte démontrait clairement l’existence de ce domaine humain.
Cette frontière semblait maintenant être empiétée par quelque chose. Ce n’était pas seulement mon imagination. Des arbres poussaient déjà sur ce qui était censé être un sol infertile. Même si je n’étais qu’un visiteur d’un autre monde, je pouvais dire que cette croissance n’était pas naturelle. C’était les Terres forestières, une forêt spéciale riche en mana. Les arbres y poussaient rapidement. Cela s’appliquait encore plus au territoire qui n’était plus humain.
Maintenant que la forteresse était perdue, la forêt était déjà en train de l’envahir. L’autre jour, Kei nous avait dit que c’était comme si la forêt savait que les humains avaient été vaincus et qu’ils allaient bientôt se retirer, alors elle avait accéléré la croissance de ses arbres pour reprendre le terrain. En voyant cela sous mes yeux, la forêt était devenue un monstre à part entière. Cela m’avait donné des frissons.
« C’est donc ici que vous étiez, Takahiro. »
Lily et moi nous étions tournés vers la voix qui m’avait interpellé. Se tenait là un grand chevalier à la carrure ferme, la femme qui dirigeait la troisième compagnie des Chevaliers de l’Alliance. À côté d’elle se trouvait Mikihiko.
« Je vais aller devant. Occupez-vous de l’arrière, » dit la commandante.
« Compris, » avais-je répondu.
La commandante était partie après m’avoir rapidement dit ça. Son dos large portait le poids de centaines de vies. C’est comme si chaque pas qu’elle faisait portait ce poids.
« La commandante a l’air un peu fatiguée. Est-ce qu’elle va bien ? » avais-je demandé.
Mikihiko fronça les sourcils. « Certaines personnes ont dit que nous devrions attendre le retour des gars qui sont allés dans les Profondeurs pour cette opération de sauvetage… Surtout Iino Yuna. Elle a fini par perdre beaucoup de temps à les convaincre du contraire. Elle est déjà super occupée avant ça, bon sang. »
La Skanda Iino Yuna avait conduit quelques Chevaliers Impériaux dans les Profondeurs pour secourir les survivants de la Colonie et de ces cabanes protégés par des pierres de barrière. Cela faisait dix jours qu’ils étaient partis.
Shiran avait déjà dirigé une force de Chevaliers de l’Alliance pour rassembler les survivants dans les cabanes relativement proches, alors Iino vérifiait celles qui étaient plus éloignées. Elle avait suggéré qu’ils visitent un grand nombre de cabanes en une seule fois et qu’ils s’arrêtent sur le site de la Colonie, donc ce qui devait initialement être un voyage de vingt jours s’était transformé en quelque chose qui prendrait probablement plus d’un mois.
J’étais désolé pour Iino et les Chevaliers Impériaux, mais la forteresse n’avait pas le loisir d’attendre aussi longtemps. Heureusement, ils étaient avec la Skanda, dont les capacités de combat se distinguaient même au sein de l’équipe d’exploration. Leur sécurité était à peu près garantie. Les chevaliers avaient transporté de précieux outils magiques qui ressemblaient à des sacs ordinaires, mais qui avaient une capacité bien plus grande que leur apparence le laissait supposer. Ils préservaient également leur contenu, donc les provisions n’étaient pas non plus un problème.
La décision de la commandante d’abandonner la forteresse était le choix approprié. Cependant, même si elle l’était, cela ne signifiait pas que tout le monde l’accepterait facilement. Iino était une visiteuse venue de loin, elle était considérée comme une sauveuse de ce monde. Il était naturel que certains veuillent attendre son retour, aussi la commandante avait-elle eu du mal à convaincre tout le monde.
« En plus, en pensant à ce qui va arriver… » Mikihiko avait ajouté en ébouriffant ses cheveux. « Quand un incident majeur se produit, il faut bien que quelqu’un prenne ses responsabilités. Mais les responsables du Fort de Tilia ont été massacrés jusqu’au dernier… »
« Veux-tu dire que la responsabilité est rejetée sur la commandante ? »
« Le seul travail des chevaliers était de réprimer les monstres dans les Terres forestières, pas de défendre la forteresse. En fait, la commandante ne pouvait même pas parler de la façon dont la forteresse était gérée. Comme il ne reste plus personne, il est possible que cette responsabilité lui soit imposée. Je suis ici depuis plus longtemps que toi, alors je sais à quel point la position des Chevaliers de l’Alliance est précaire ici. »
Mikihiko avait poussé un soupir de lassitude, avait pris une grande inspiration et avait serré le poing.
« Je dois faire plus d’efforts pour que cela n’arrive pas, » avait-il poursuivi. « Il faut que j’y aille aussi. Oh oui, je passerai le soir, alors fais-le savoir à Rose et aussi, hum, à Katou. »
J’avais déjà discuté des pierres d’imitation avec Mikihiko. Il n’avait que brièvement écouté ce que Rose avait à dire jusqu’à présent, mais il semblait avoir déjà quelques idées. Elle allait discuter avec lui un peu plus, dès qu’elle en aurait le temps. Katou allait également assister à la conversation. C’était quelque chose qu’elle avait demandé, comme une forme de réhabilitation pour son androphobie pendant qu’elle aidait avec les pierres runiques. En tout cas, Katou ne s’était pas effondrée ce matin lorsque Mikihiko était dans la pièce pour parler à Rose. À ce rythme, je sentais qu’elle irait mieux avec le temps.
« Désolé de t’avoir fait supporter notre présence alors que tu es si occupé. »
« Ha ha. Pas besoin de dire des choses comme ça. D’ailleurs, je m’amuse bien. »
« Ah oui, tu aimes aussi fabriquer des choses, hein ? »
Mikihiko était un homme aux nombreux hobbies. Il avait souvent travaillé à temps partiel sans le dire à l’école afin d’économiser de l’argent pour acheter des modèles en plastique, entre autres choses. Les capacités artisanales de Rose avaient apparemment touché sa corde sensible. Il avait l’air complètement absorbé et avait même tremblé d’excitation lorsqu’il avait parlé avec elle.
« Eh bien, c’est vrai. Mais ce n’est pas tout, » dit Mikihiko en agitant la main avec un sourire. « Je pensais justement à l’aisance avec laquelle tu agis depuis le temps que je ne t’ai pas vu. »
« Est-ce à propos de Lily… ? Ou peut-être Gerbera ? »
J’avais évoqué le nom de l’autre fille qui était affectueuse avec moi, mais Mikihiko avait secoué la tête.
« Non. Enfin, il y a celle-là aussi, mais je parle plutôt de Katou. Je veux dire, elle est si douce, n’est-ce pas ? Elle se débrouille avec moi dans le coin parce que je suis ton ami, non ? Sa motivation à essayer de ne pas te retenir montre à quel point ses sentiments sont forts. »
« Eh bien… c’est vrai qu’elle a confiance en moi. »
Les mots de Mikihiko m’avaient rappelé comment Katou avait demandé si elle pouvait se joindre à nous pendant la consultation de Rose avec Mikihiko. Lorsque je lui avais demandé si cela lui convenait, elle avait répondu. « Si tu es là avec moi, Senpai, » en rougissant. La description que Mikihiko avait faite de sa douceur était tout à fait correcte.
« Mais ce n’est pas comme ça pour elle, » avais-je ajouté.
Katou était différente de Gerbera. Sans connaître les circonstances, il serait facile de se méprendre sur elle. Cependant, telle qu’elle était maintenant, elle n’avait pas le loisir d’être folle de joie. Elle luttait contre un cas sévère d’androphobie. Elle ne serait pas capable de voir un homme de cette façon.
Mikihiko ne connaissait pas tous les détails, il était donc normal qu’il se méprenne. Cela dit, c’était un moment difficile pour elle, et je ne voulais pas qu’il se moque d’elle à ce sujet… C’est ce que j’avais essayé de lui dire indirectement, mais Mikihiko avait eu une expression de doute exquise et s’était tourné vers Lily.
« Lily, j’ai de sérieuses questions à te poser. Comment as-tu fait tomber ce crétin ? »
« Se laisser porter par le courant en faisait partie… Mais voyons voir… Il répond à une approche sincère et sérieuse, tu sais ? »
« Hmm ? Hmmmmm ? Ahh… J’ai compris. En résumé, tu l’as poussé et tu l’as saisi ? » dit Mikihiko en claquant des doigts.
« Quel genre d’interprétation est-ce là ? » J’avais plaisanté en plissant les sourcils.
En fait, ça s’est passé… un peu comme ça… En fait, ça s’est passé exactement comme ça. En y repensant maintenant, je n’étais jamais passé à l’offensive de mon propre chef, n’est-ce pas ? Au contraire, c’était comme si j’étais toujours repoussé… ? J’étais resté là, choqué, car je venais de réaliser l’état de ma virilité.
« Ce sont toutes de bonnes filles, alors traites-les bien, d’accord ? Eh bien, je suppose que tu n’as pas besoin que je te le dise, » dit Mikihiko.
« Oui, bien sûr. »
Je lui avais fait un signe de tête, et Mikihiko m’avait fait un énorme sourire.
« Je vois. Bon alors, je dois y aller… Aah ! Bon sang ! Je veux la chaleur de la commandante ! » cria Mikihiko.
« Mikihiko ! » Un cri répondit de loin. « Quelle sorte d’absurdité cries-tu si fort !? »
« Merde ! Elle m’a entendu !? Désolé, Commandante ! Je déconnais, mais je suis sérieux ! »
Elle lui avait crié dessus, mais il avait continué à courir vers la commandante tout en débitant d’autres absurdités.
« Tiens bon, Mikihiko, » avais-je marmonné en regardant mon ami s’enfuir.
Mikihiko était au Fort de Tilia depuis plus longtemps que nous et était bien connu dans la forteresse. Sa situation n’était pas délicate comme la mienne, il pouvait donc utiliser sa position de sauveur pour soutenir la commandante.
La commandante s’était retrouvée dans une position de leader parmi les survivants du Fort de Tilia par circonstance. Elle était, tout au plus, la commandante de la troisième compagnie des Chevaliers de l’Alliance. Pour les impériaux qui constituaient la grande majorité des survivants, elle n’était rien de plus qu’une étrangère. Avoir Mikihiko à ses côtés avait fait une énorme différence dans la facilité avec laquelle elle avait pu agir. Il faisait du mieux qu’il pouvait. J’avais l’impression de ne pas vouloir perdre contre lui, peut-être parce que nous étions amis.
Nous avions regardé du haut des murs les lignes de soldats qui commençaient à marcher sur le pont temporaire devant la porte principale. Ils marchaient en colonnes avec un espace au milieu pour que les manamobiles puissent circuler sous surveillance.
Les chevaliers de l’Alliance, dans leur armure gris terne, menaient la marche. La moitié de leurs effectifs étaient présents dans cette avant-garde. Parmi eux se trouvait l’armure blanche de Shiran. Même si elle avait perdu sa capacité à détecter les ennemis, elle était toujours le chevalier le plus fort des Forêts du Nord.
Les autres chevaliers de l’ Alliance défendaient le centre du groupe. C’était la force que la commandante dirigeait. Déplacer environ cinq cents personnes sur une route conduisait naturellement à une ligne étendue. La route elle-même traversait la forêt et était entourée de monstres diaboliques. La force de la commandante supervisait l’ensemble du groupe tout en protégeant le centre de la colonne. Mikihiko était juste à côté d’elle, portant une armure de cuir par-dessus son uniforme scolaire.