Chapitre 4 : Abandonner le Fort de Tilia
Table des matières
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Chapitre 4 : Abandonner le Fort de Tilia
Partie 1
J’étais arrivé au sommet des remparts extérieurs avec Lily. Les murs étaient encore profondément marqués par l’attaque de l’autre jour. La zone autour du Fort de Tilia, la forteresse enchâssée dans la zone nord des Régions forestières, avait été dégagée pour offrir une vue dégagée en cas d’approche de monstres. En regardant depuis les murs, la frontière entre le terrain dégagé et la forêt verte démontrait clairement l’existence de ce domaine humain.
Cette frontière semblait maintenant être empiétée par quelque chose. Ce n’était pas seulement mon imagination. Des arbres poussaient déjà sur ce qui était censé être un sol infertile. Même si je n’étais qu’un visiteur d’un autre monde, je pouvais dire que cette croissance n’était pas naturelle. C’était les Terres forestières, une forêt spéciale riche en mana. Les arbres y poussaient rapidement. Cela s’appliquait encore plus au territoire qui n’était plus humain.
Maintenant que la forteresse était perdue, la forêt était déjà en train de l’envahir. L’autre jour, Kei nous avait dit que c’était comme si la forêt savait que les humains avaient été vaincus et qu’ils allaient bientôt se retirer, alors elle avait accéléré la croissance de ses arbres pour reprendre le terrain. En voyant cela sous mes yeux, la forêt était devenue un monstre à part entière. Cela m’avait donné des frissons.
« C’est donc ici que vous étiez, Takahiro. »
Lily et moi nous étions tournés vers la voix qui m’avait interpellé. Se tenait là un grand chevalier à la carrure ferme, la femme qui dirigeait la troisième compagnie des Chevaliers de l’Alliance. À côté d’elle se trouvait Mikihiko.
« Je vais aller devant. Occupez-vous de l’arrière, » dit la commandante.
« Compris, » avais-je répondu.
La commandante était partie après m’avoir rapidement dit ça. Son dos large portait le poids de centaines de vies. C’est comme si chaque pas qu’elle faisait portait ce poids.
« La commandante a l’air un peu fatiguée. Est-ce qu’elle va bien ? » avais-je demandé.
Mikihiko fronça les sourcils. « Certaines personnes ont dit que nous devrions attendre le retour des gars qui sont allés dans les Profondeurs pour cette opération de sauvetage… Surtout Iino Yuna. Elle a fini par perdre beaucoup de temps à les convaincre du contraire. Elle est déjà super occupée avant ça, bon sang. »
La Skanda Iino Yuna avait conduit quelques Chevaliers Impériaux dans les Profondeurs pour secourir les survivants de la Colonie et de ces cabanes protégés par des pierres de barrière. Cela faisait dix jours qu’ils étaient partis.
Shiran avait déjà dirigé une force de Chevaliers de l’Alliance pour rassembler les survivants dans les cabanes relativement proches, alors Iino vérifiait celles qui étaient plus éloignées. Elle avait suggéré qu’ils visitent un grand nombre de cabanes en une seule fois et qu’ils s’arrêtent sur le site de la Colonie, donc ce qui devait initialement être un voyage de vingt jours s’était transformé en quelque chose qui prendrait probablement plus d’un mois.
J’étais désolé pour Iino et les Chevaliers Impériaux, mais la forteresse n’avait pas le loisir d’attendre aussi longtemps. Heureusement, ils étaient avec la Skanda, dont les capacités de combat se distinguaient même au sein de l’équipe d’exploration. Leur sécurité était à peu près garantie. Les chevaliers avaient transporté de précieux outils magiques qui ressemblaient à des sacs ordinaires, mais qui avaient une capacité bien plus grande que leur apparence le laissait supposer. Ils préservaient également leur contenu, donc les provisions n’étaient pas non plus un problème.
La décision de la commandante d’abandonner la forteresse était le choix approprié. Cependant, même si elle l’était, cela ne signifiait pas que tout le monde l’accepterait facilement. Iino était une visiteuse venue de loin, elle était considérée comme une sauveuse de ce monde. Il était naturel que certains veuillent attendre son retour, aussi la commandante avait-elle eu du mal à convaincre tout le monde.
« En plus, en pensant à ce qui va arriver… » Mikihiko avait ajouté en ébouriffant ses cheveux. « Quand un incident majeur se produit, il faut bien que quelqu’un prenne ses responsabilités. Mais les responsables du Fort de Tilia ont été massacrés jusqu’au dernier… »
« Veux-tu dire que la responsabilité est rejetée sur la commandante ? »
« Le seul travail des chevaliers était de réprimer les monstres dans les Terres forestières, pas de défendre la forteresse. En fait, la commandante ne pouvait même pas parler de la façon dont la forteresse était gérée. Comme il ne reste plus personne, il est possible que cette responsabilité lui soit imposée. Je suis ici depuis plus longtemps que toi, alors je sais à quel point la position des Chevaliers de l’Alliance est précaire ici. »
Mikihiko avait poussé un soupir de lassitude, avait pris une grande inspiration et avait serré le poing.
« Je dois faire plus d’efforts pour que cela n’arrive pas, » avait-il poursuivi. « Il faut que j’y aille aussi. Oh oui, je passerai le soir, alors fais-le savoir à Rose et aussi, hum, à Katou. »
J’avais déjà discuté des pierres d’imitation avec Mikihiko. Il n’avait que brièvement écouté ce que Rose avait à dire jusqu’à présent, mais il semblait avoir déjà quelques idées. Elle allait discuter avec lui un peu plus, dès qu’elle en aurait le temps. Katou allait également assister à la conversation. C’était quelque chose qu’elle avait demandé, comme une forme de réhabilitation pour son androphobie pendant qu’elle aidait avec les pierres runiques. En tout cas, Katou ne s’était pas effondrée ce matin lorsque Mikihiko était dans la pièce pour parler à Rose. À ce rythme, je sentais qu’elle irait mieux avec le temps.
« Désolé de t’avoir fait supporter notre présence alors que tu es si occupé. »
« Ha ha. Pas besoin de dire des choses comme ça. D’ailleurs, je m’amuse bien. »
« Ah oui, tu aimes aussi fabriquer des choses, hein ? »
Mikihiko était un homme aux nombreux hobbies. Il avait souvent travaillé à temps partiel sans le dire à l’école afin d’économiser de l’argent pour acheter des modèles en plastique, entre autres choses. Les capacités artisanales de Rose avaient apparemment touché sa corde sensible. Il avait l’air complètement absorbé et avait même tremblé d’excitation lorsqu’il avait parlé avec elle.
« Eh bien, c’est vrai. Mais ce n’est pas tout, » dit Mikihiko en agitant la main avec un sourire. « Je pensais justement à l’aisance avec laquelle tu agis depuis le temps que je ne t’ai pas vu. »
« Est-ce à propos de Lily… ? Ou peut-être Gerbera ? »
J’avais évoqué le nom de l’autre fille qui était affectueuse avec moi, mais Mikihiko avait secoué la tête.
« Non. Enfin, il y a celle-là aussi, mais je parle plutôt de Katou. Je veux dire, elle est si douce, n’est-ce pas ? Elle se débrouille avec moi dans le coin parce que je suis ton ami, non ? Sa motivation à essayer de ne pas te retenir montre à quel point ses sentiments sont forts. »
« Eh bien… c’est vrai qu’elle a confiance en moi. »
Les mots de Mikihiko m’avaient rappelé comment Katou avait demandé si elle pouvait se joindre à nous pendant la consultation de Rose avec Mikihiko. Lorsque je lui avais demandé si cela lui convenait, elle avait répondu. « Si tu es là avec moi, Senpai, » en rougissant. La description que Mikihiko avait faite de sa douceur était tout à fait correcte.
« Mais ce n’est pas comme ça pour elle, » avais-je ajouté.
Katou était différente de Gerbera. Sans connaître les circonstances, il serait facile de se méprendre sur elle. Cependant, telle qu’elle était maintenant, elle n’avait pas le loisir d’être folle de joie. Elle luttait contre un cas sévère d’androphobie. Elle ne serait pas capable de voir un homme de cette façon.
Mikihiko ne connaissait pas tous les détails, il était donc normal qu’il se méprenne. Cela dit, c’était un moment difficile pour elle, et je ne voulais pas qu’il se moque d’elle à ce sujet… C’est ce que j’avais essayé de lui dire indirectement, mais Mikihiko avait eu une expression de doute exquise et s’était tourné vers Lily.
« Lily, j’ai de sérieuses questions à te poser. Comment as-tu fait tomber ce crétin ? »
« Se laisser porter par le courant en faisait partie… Mais voyons voir… Il répond à une approche sincère et sérieuse, tu sais ? »
« Hmm ? Hmmmmm ? Ahh… J’ai compris. En résumé, tu l’as poussé et tu l’as saisi ? » dit Mikihiko en claquant des doigts.
« Quel genre d’interprétation est-ce là ? » J’avais plaisanté en plissant les sourcils.
En fait, ça s’est passé… un peu comme ça… En fait, ça s’est passé exactement comme ça. En y repensant maintenant, je n’étais jamais passé à l’offensive de mon propre chef, n’est-ce pas ? Au contraire, c’était comme si j’étais toujours repoussé… ? J’étais resté là, choqué, car je venais de réaliser l’état de ma virilité.
« Ce sont toutes de bonnes filles, alors traites-les bien, d’accord ? Eh bien, je suppose que tu n’as pas besoin que je te le dise, » dit Mikihiko.
« Oui, bien sûr. »
Je lui avais fait un signe de tête, et Mikihiko m’avait fait un énorme sourire.
« Je vois. Bon alors, je dois y aller… Aah ! Bon sang ! Je veux la chaleur de la commandante ! » cria Mikihiko.
« Mikihiko ! » Un cri répondit de loin. « Quelle sorte d’absurdité cries-tu si fort !? »
« Merde ! Elle m’a entendu !? Désolé, Commandante ! Je déconnais, mais je suis sérieux ! »
Elle lui avait crié dessus, mais il avait continué à courir vers la commandante tout en débitant d’autres absurdités.
« Tiens bon, Mikihiko, » avais-je marmonné en regardant mon ami s’enfuir.
Mikihiko était au Fort de Tilia depuis plus longtemps que nous et était bien connu dans la forteresse. Sa situation n’était pas délicate comme la mienne, il pouvait donc utiliser sa position de sauveur pour soutenir la commandante.
La commandante s’était retrouvée dans une position de leader parmi les survivants du Fort de Tilia par circonstance. Elle était, tout au plus, la commandante de la troisième compagnie des Chevaliers de l’Alliance. Pour les impériaux qui constituaient la grande majorité des survivants, elle n’était rien de plus qu’une étrangère. Avoir Mikihiko à ses côtés avait fait une énorme différence dans la facilité avec laquelle elle avait pu agir. Il faisait du mieux qu’il pouvait. J’avais l’impression de ne pas vouloir perdre contre lui, peut-être parce que nous étions amis.
Nous avions regardé du haut des murs les lignes de soldats qui commençaient à marcher sur le pont temporaire devant la porte principale. Ils marchaient en colonnes avec un espace au milieu pour que les manamobiles puissent circuler sous surveillance.
Les chevaliers de l’Alliance, dans leur armure gris terne, menaient la marche. La moitié de leurs effectifs étaient présents dans cette avant-garde. Parmi eux se trouvait l’armure blanche de Shiran. Même si elle avait perdu sa capacité à détecter les ennemis, elle était toujours le chevalier le plus fort des Forêts du Nord.
Les autres chevaliers de l’ Alliance défendaient le centre du groupe. C’était la force que la commandante dirigeait. Déplacer environ cinq cents personnes sur une route conduisait naturellement à une ligne étendue. La route elle-même traversait la forêt et était entourée de monstres diaboliques. La force de la commandante supervisait l’ensemble du groupe tout en protégeant le centre de la colonne. Mikihiko était juste à côté d’elle, portant une armure de cuir par-dessus son uniforme scolaire.
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Partie 2
« On dirait que nous allons pouvoir partir sans retard, » avais-je fait observer.
J’avais surveillé tout le départ d’en haut, mais au moins, il n’y avait aucun signe d’un quelconque monstre. Il semblerait que l’enthousiasme de chacun resterait élevé au lieu d’être interrompu juste après le départ.
« OK, allons-y aussi. »
Nous avions pris le rôle de l’arrière-garde. Moins d’yeux seraient braqués sur nous dans cette position si le pire devait arriver et que mes serviteurs devaient agir. De plus, les véhicules dans lesquels se trouvaient les non-combattants étaient rassemblés à l’extrémité de la ligne. Leur position reposait sur nos forces, prouvant ainsi que la commandante nous faisait confiance. Tel était le plan qu’elle avait pris soin d’assembler pour garantir un maximum de survivants.
Nous avions traversé un bâtiment du haut du mur et nous nous étions dirigés vers la porte d’entrée. Toutes les manamobiles étaient à peu près parties à ce moment-là. Une seule d’entre elles ne bougeait pas. J’avais sauté sur ce dernier véhicule à la place du conducteur. J’avais attrapé Lily dans mon bras alors qu’elle sautait après moi, puis je m’étais retourné et j’avais ouvert la toile qui était en place pour que personne ne puisse voir à l’intérieur. Le reste de mon groupe et Kei avaient une discussion amicale à l’intérieur.
« Nous allons bientôt partir, » leur avais-je dit tandis que Lily et moi prenions place côte à côte à la place du conducteur.
Les manamobiles étaient fondamentalement les mêmes que les calèches, sauf qu’elles utilisaient le mana comme source d’énergie au lieu des chevaux. Les sièges avant étaient suffisamment larges pour que trois hommes de taille moyenne puissent s’asseoir confortablement ensemble et étaient équipés d’un repose-pieds incliné pour aider à stabiliser le corps. Un garde-boue incurvé était installé à l’avant qui remontait jusqu’à la poitrine du conducteur, et il était garni d’une pierre runique grise de la taille d’un poing, juste à portée de main. Une sculpture représentant une tête de cheval était fixée au sommet du garde-boue, orientée vers l’extérieur comme la figure de proue d’un bateau.
J’avais touché la pierre runique apposée près de son cou. Faire fonctionner la manamobile était assez simple. Tout ce que j’avais à faire était de toucher la pierre runique et d’y canaliser mon mana. Cela fonctionnait comme un interrupteur d’allumage. Il utilisait le mana qu’il stockait dans l’environnement comme source d’énergie, il n’était donc pas nécessaire de lui fournir constamment le mien. J’avais demandé ce qui décidait du mouvement en avant ou en arrière, mais la pierre runique principale ne pouvait que faire avancer la voiture en ligne droite.
Une force magique tirait sur le cadre, mais cela n’avait pas affecté directement ce qui était chargé à bord. Le départ était un peu glissant. Les roues grinçaient et commençaient à bouger, s’entrechoquant contre le sol tandis que la manamobile s’agitait. Je ne peux pas dire que c’était confortable, mais vu l’état de la route, c’était plutôt inévitable. Il semblerait que ce serait difficile pour quelqu’un qui avait le mal des transports.
« Takahiro, comment va ma sœur ? »
Juste au moment où nous nous étions mis en mouvement, suivant la manamobile devant nous, Kei avait surgi de l’arrière entre moi et Lily. Quiconque l’aurait vue agir comme un gentil chiot en sourirait. Elle avait des cheveux courts, du même blond magnifique que ceux de Shiran, qui étaient attachés en tresses courtes aujourd’hui. C’était probablement l’œuvre de Katou. Elle avait l’habitude de changer la coiffure de Rose tout le temps.
« Shiran fait un travail splendide en dirigeant le groupe. De quoi parliez-vous tout à l’heure ? »
« À propos de ma ville natale. Gerbera a dit qu’elle voulait en entendre parler. »
« En effet. Après tout, je n’ai pas encore entendu de telles histoires. »
La fille en blanc avait ensuite surgi, m’attrapant les deux épaules par-derrière et plaçant sa tête à côté de la mienne. Elle m’avait regardé de côté. Je m’y étais habitué maintenant, mais sa beauté captivante était encore plus proche de moi que l’innocente petite Kei. On aurait dit qu’une petite secousse du véhicule aurait fait tomber nos joues l’une contre l’autre. Ses cheveux blancs et soyeux, qui ressemblaient à des fils d’araignée, frôlaient mon cou et me chatouillaient.
« Fais attention, Gerbera, » avais-je dit, en jetant un coup d’œil à ses joyeux yeux rouges. « Le bas de ton corps ressort. Ce sera mauvais si quelqu’un te repère par accident. Allez, regarde, Ayame est même en train de t’imiter. »
La petite renarde avait sauté et s’était posée sur mes genoux quand Gerbera avait jeté un coup d’œil. Ayame s’était installée confortablement. Son nez était agité, peut-être à cause de l’odeur qui changeait constamment dans l’air lorsque le véhicule se déplaçait.
« Je le sais. Avec seulement le haut de mon corps qui dépasse comme ça, je ne suis pas différente d’une humaine. Ayame ne peut pas non plus être vue quand elle est assise sur tes genoux. »
Apparemment, elle y avait au moins réfléchi. Ça me convenait tant qu’elle comprenait, mais Gerbera était une fille négligente. C’était mieux d’enfoncer le clou jusqu’au bout.
« Désolé, mais quand nous atteindrons le village, reste cachée. Tu es déjà très attirante comme ça. Attirer l’attention inutilement serait dangereux quand on garde des secrets. »
« Gerbera est super jolie, après tout. N’est-ce pas, Takahiro ? » ajouta Kei.
« Oui. »
« H-Hmm ? Vraiment ? » dit Gerbera en portant sa main à sa joue.
J’avais arraché mon regard de sa réaction mignonne et m’étais retourné vers Kei.
« Bref, tu parlais de ta ville natale ? Qu’as-tu à en dire ? »
« Euh, voyons voir… »
◆ ◆ ◆
La plus grande nation de ce continent était officiellement appelée l’Empire d’Eryx. C’était une nation féodale dirigée par un empereur, et des nobles gouvernaient ses territoires. L’Empire avait également vassalisé un groupe de petites nations désignées comme l’Alliance. Ce nom était une relique de l’époque où elles avaient uni leurs forces pour s’opposer à l’Empire. Cela s’était passé il y a des siècles, à peu près à la même époque que la Tragédie du Roi Mort-Vivant Carl.
Malgré ses vastes territoires, seule une petite partie de l’Empire bordait les Terres forestières. En revanche, les pays de l’Alliance donnaient tous sur la dangereuse forêt. Tel était le contexte historique de cette planète.
Chaque pays de l’Alliance avait évidemment son propre nom. Par exemple, la troisième compagnie des Chevaliers de l’Alliance était envoyée depuis un pays appelé Aker. Les pays de l’Alliance situés à la limite sud de l’Empire, face à la région nord des Terres forestières, étaient appelés les Cinq Royaumes du Nord. Ces pays étaient situés à l’ouest du Fort de Tilia. Les pays de l’Alliance situés à l’est étaient appelés les Trois Royaumes de l’Est. Incidemment, on disait que la forêt s’étendait jusqu’aux extrémités ouest et sud du continent, mais personne ne l’avait jamais confirmé.
Le pays où la commandante nous avait invités était Aker, l’un des cinq royaumes du Nord. Il n’était composé que d’une poignée de localités assez grandes pour être appelées villes. Le reste de la petite nation était constitué de villages.
Environ un tiers du territoire d’Aker était couvert de montagnes abruptes, et certaines parties de son territoire occupaient également des régions où les Terres forestières avaient été défrichées. La nation était pauvre, mais elle débordait d’esprit militariste comme forme de caractère national. Les enfants des villages de reconquête, comme celui d’où venait Kei, apprenaient à se battre à l’épée dès leur plus jeune âge. Ils n’auraient probablement pas été en mesure de survivre autrement.
Vu que leur petit territoire bordait les Terres forestières, la menace des monstres était sérieuse. C’est pourquoi l’organisation mère de la troisième compagnie, l’Ordre de la défense nationale, était dirigée par la royauté. Les chevaliers couraient d’est en ouest à l’intérieur de leurs frontières, combattant activement les monstres.
Ce genre de situation était censé être normal dans les cinq royaumes du Nord. L’image que j’avais des rois ressemblait davantage à la royauté dans les jeux, où un vieil homme était assis confortablement dans une vaste pièce avec un tapis rouge dans un grand vieux château. Les membres de la royauté des pays de l’Alliance, en revanche, étaient en fait plus proches des commandants militaires de la période Sengoku du Japon. C’est pourquoi une princesse comme la commandante allait sur les champs de bataille avec des chevaliers.
Les survivants du Fort de Tilia, menés par la commandante, suivaient la route vers le nord qui traversait les Terres forestières. Cette route menait au comté de Lorenz, dans le sud de l’Empire. La ville la plus proche du Fort de Tilia était la ville commerciale Serrata située au centre de ce territoire. Nous commencions par aller vers le nord jusqu’à ce que nous atteignions cette ville.
La commandante avait l’intention de rapporter les événements du Fort de Tilia à chaque région à partir de là. Serrata disposait d’un moyen de communication longue distance qui était relié au Fort de Tilia et au Fort d’Ebenus. Cependant, l’appareil du Fort de Tilia avait été perdu lors de l’attaque des monstres, ils devaient donc utiliser le plus proche disponible. Un cheval rapide avait déjà été envoyé à Serrata le lendemain de l’attaque, mais il n’y avait aucune garantie que l’information passerait sans encombre à travers les Terres forestières. De plus, le rapport aurait plus de poids s’il était transmis par une personne de haut rang.
Après cela, elle allait laisser les soldats impériaux aux soins du noble impérial, le comte Lorenz. Puis elle devait ramener les chevaliers de l’Alliance dans son pays et faire un rapport à son père en personne. Notre plan était de l’accompagner. Aker était situé au sud-ouest de Serrata, ce qui signifiait que nous prenions une route quelque peu détournée pour y arriver, mais nous n’avions pas vraiment le choix.
De toute façon, l’important maintenant était de traverser les Terres forestières en toute sécurité. Nous devions rester concentrés.
◆ ◆ ◆
« Yaaah ! »
Un seul cri, une seule frappe.
Une lance noire avait traversé l’air comme une balle, se plantant dans l’une des six têtes d’un énorme serpent, une petite hydre. Le monstre avait tenté d’attaquer les soldats qui protégeaient la file de voitures. Une adolescente — ou plutôt un monstre qui en imite une, ma servante Lily — avait retiré la pointe ensanglantée de la lance. Elle avait facilement esquivé une autre tête qui essayait de planter ses crocs empoisonnés en elle, puis elle avait écrasé dans le sol la tête qui s’élançait.
« Taaah ! »
Elle utilisa son pied pour pivoter et tourner sur elle-même. Sa jupe blanche s’agita tandis que sa longue jambe décrivait un bel arc de cercle dans l’air, délivrant un coup de pied circulaire dans le cou de l’une des têtes de la petite hydre. L’impact fut bien plus dévastateur que son apparence délicate ne le laissait supposer. La tête du serpent s’envola dans l’obscurité de la forêt avec un craquement humide et disparut.
« Quel unilatéralisme… ! Ce n’est qu’un monstre des confins, mais quand même, » m’étais-je murmuré.
« N’est-elle pas géniale ? »
Je m’étais assis sur le siège du conducteur de la manamobile arrêtée. Gerbera tenait le tissu derrière moi, se penchant en avant avec amusement en me secouant les épaules.
Les mouvements de Lily étaient d’un niveau supérieur à ce qu’ils étaient auparavant. Non seulement elle avait gagné beaucoup de mana en mangeant la montagne de cadavres de monstres du Fort de Tilia, mais une partie de ses organes sensoriels étaient maintenant améliorés par le mimétisme, et il en était de même de son odorat après avoir mangé le premier croc de feu. En conséquence, non seulement elle avait une vue d’ensemble de la situation autour d’elle, mais elle connaissait même tous les détails de son propre corps, ce qui lui donnait un bien meilleur contrôle qu’auparavant.
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Partie 3
Ce n’était pas tout non plus. Un glyphe rouge avait pris forme dans la main gauche de Lily. C’était une magie de feu de niveau 2. La boule de feu jaillit et explosa, brûlant l’une des faces de l’énorme serpent. Il cria et se pencha en arrière alors qu’une lance s’enfonçait dans sa gorge.
Lily pouvait maintenant utiliser une nouvelle magie après avoir mangé des monstres comme les élémentaires de feu. Elle pouvait lancer des magies de feu et de terre de niveau 2. Elles étaient plus faibles que les magies d’eau et de vent qu’elle pouvait déjà utiliser, mais cela élargissait vraiment son arsenal tactique. Elle utilisait de manière proactive sa magie nouvellement acquise afin de s’y habituer.
La petite hydre avait touché le sol en un rien de temps. Mais avec tous ces yeux autour sur elle, elle ne pouvait pas vraiment la manger. Si Lily s’était battue seule, c’est parce que nous pensions que cela serait moins stimulant pour les soldats qui nous accompagnaient, vu son apparence humaine. Si elle devait agir comme un monstre, cela irait à l’encontre de nos intentions.
Lily avait déjà mangé une petite hydre pendant le nettoyage du Fort de Tilia de toute façon, donc il n’y avait pas vraiment de raison de manger celle-ci. C’était bien de la laisser. Elle était revenue vers nous en se prélassant dans les regards étrangement passionnés des soldats qu’elle avait sauvés. J’avais demandé à Gerbera, qui s’était cachée dans le véhicule, de transmettre la situation aux autres.
« Je suis de retour ! »
« Bon travail là-bas. »
Lily s’était assise à côté de moi à l’avant de la manamobile. J’avais essuyé le sang de serpent sur sa joue avec un chiffon, et Lily avait souri timidement, de bonne humeur. Je ne savais même pas combien de fois cela faisait maintenant que je l’avais dorlotée de cette façon.
C’était le sixième jour depuis que nous avions quitté le Fort de Tilia. Nous avions rencontré des monstres à plusieurs reprises depuis lors. D’après ce que Mikihiko avait dit lors de notre dernière conversation, nous tombions sur plus de monstres que prévu. C’était presque une évidence, vu que les chevaliers n’avaient pas été capables de nettoyer les environs des monstres depuis le siège.
Les capacités de détection de Shiran étant actuellement indisponibles, nous étions les seuls à pouvoir prendre des mesures préventives contre les monstres en utilisant l’odorat de Lily et Ayame. Comme Lily n’avait pas l’air différente d’un humain et que sa force de combat était excellente, elle finissait par sauter de notre véhicule plusieurs fois par jour.
Elle ne pouvait cependant couvrir que l’extrémité arrière de la ligne. Je n’avais pas pu le constater moi-même, mais Shiran faisait manifestement le travail d’une centaine de personnes à l’avant. Il y avait quand même une limite à ce qu’elles pouvaient couvrir toutes les deux. Les chevaliers de l’ Alliance et les soldats repoussaient les monstres restants. Chaque fois que des monstres apparaissaient, les soldats formaient des colonnes de part et d’autre des véhicules et préparaient leurs boucliers.
Ils avaient essentiellement adopté une politique défensive. Leur seule tâche consistait à protéger les manamobiles transportant les blessés. La participation directe à la bataille était le travail des chevaliers de l’ Alliance les plus expérimentés. Ils chargeaient avec leurs grands boucliers prêts à l’emploi, protégeant leurs camarades à l’arrière tandis qu’ils cherchaient des ouvertures et sortaient leurs armes.
Une fois qu’ils avaient immobilisé un monstre avec cette approche, les soldats le bombardaient continuellement de flèches et de magie. L’armée impériale n’était pas faible. Même si elle n’avait pas la force d’affronter directement les monstres, sa capacité à les affaiblir et à les tuer à distance était un avantage qu’elle avait sur les Chevaliers de l’Alliance. Leur nature était de travailler en grandes formations comme celle-ci, ce qui était difficile à faire dans les Terres forestières. Cela contrastait avec les chevaliers, qui privilégiaient la force de combat individuelle.
Les soldats préféraient tirer des flèches et de la magie de loin quand ils le pouvaient. S’ils devaient s’engager dans un combat rapproché, ils formaient un mur de lances pour terrasser les monstres. Leur style de combat était basé sur l’hypothèse qu’ils mènent des batailles défensives à l’intérieur d’une forteresse ou dans des champs dégagés. Ils pratiquaient la tactique digne de confiance de la violence par le nombre. C’était simplement la façon dont ils étaient formés.
Une grande armée de monstres, comme celle que Kudou avait envoyée, était le pire ennemi de l’armée impériale. Contrairement à ce qui s’était passé lorsqu’ils avaient combattu la première vague du siège et avaient échoué, les soldats avaient été capables d’opposer une résistance significative dans les couloirs de la forteresse, où ils pouvaient être plus nombreux que leurs ennemis.
Peut-être que si toute la garnison de la forteresse avait affronté directement Juumonji, ils auraient pu le vaincre. Mais cela aurait entraîné de lourdes pertes, et Juumonji n’aurait jamais accepté un tel combat. De toute façon, les soldats n’auraient pas été capables de tirer leurs flèches contre un sauveur.
En tout cas, les forces armées de ce monde étaient plus puissantes que je ne le pensais. Grâce à cela, nous pourrions limiter les pertes au minimum et traverser la région boisée. Une fois que les soldats qui avaient été blessés pendant la bataille contre la petite hydre avaient été soignés, la ligne de manamobiles qui s’était arrêtée s’était remise en marche.
Nous avions dû attendre que tous les autres véhicules partent, car nous étions les derniers dans la file. Voyant que je n’avais rien à faire, Asarina avait sorti sa tête. Je lui avais tenu compagnie tandis qu’elle m’interpellait comme si elle disait. « Joue avec moi ! Joue avec moi ! » Peu de temps après, j’avais entendu un gémissement à côté de moi.
« Quoi de neuf, Lily ? »
« Je pensais juste au fait que ça ne se passe pas aussi bien que je l’avais espéré. »
Lily baissait les yeux sur sa main droite sur ses genoux avec une expression sérieuse. Je n’avais aucune idée de ce dont elle parlait. Juste à ce moment-là, un changement soudain s’était produit au bout de ses doigts.
« Hein… ? »
Ses doigts minces s’étaient agrandis, et des poils avaient recouvert la peau. C’était la patte d’un ours. Je pouvais dire que c’était la main d’un lapin rugueux, un monstre des Profondeurs.
« Argh, » Lily avait gémi. Sa main d’ours commença à s’agiter comme si quelque chose en elle était en train de s’emballer. Lily se mordit légèrement la lèvre et fronça les sourcils, apparemment incapable de le contrôler. « Ah !? »
L’instant d’après, la main de Lily avait repris sa forme gluante.
« Vas-tu bien ? »
« Hm. Je vais bien, je vais bien. »
J’avais attrapé son poignet en panique. Une masse gluante avait gonflé, mais avait repris la forme d’une main de fille après un petit moment. J’avais tenu sa main avec les deux miennes et j’avais poussé un soupir de soulagement.
« Qu’est-ce que c’était ? » avais-je demandé.
« Une… expérience ? Oh, Maître, la manamobile devant nous bouge. » Lily avait attendu que je fasse bouger le véhicule, puis elle avait commencé à expliquer. « Il semble que mon mimétisme ait une limite. »
« Une limite ? »
« Mhm. Je ne peux imiter qu’un seul type de monstre à la fois. »
« N’as-tu pas déjà été mi-slime, mi-humain ? »
« Maître. Le slime est mon corps réel, pas une imitation. »
Lily avait levé sa main et avait transformé ses doigts en palpeurs gluants.
Maintenant qu’elle en parle, je n’avais jamais vu Lily changer une partie de son corps en autre chose qu’un slime en imitant une fille humaine. Ce n’était pas un acte de mimétisme, elle en défaisait simplement une partie. C’est ce qui rendait cela possible. Je l’avais regardé remuer ses palpeurs pour m’en convaincre.
« J’ai, bien sûr, utilisé les capacités d’autres monstres sous cette forme. C’est de là que vient l’odorat du croc de feu, et j’ai aussi utilisé la force physique d’un lapin rugueux. Même la magie de feu et de terre que je peux utiliser maintenant est faite de cette façon. Mais peu importe ce que je fais, les capacités se détériorent à cause de cela. »
« Elles se détériorent ? »
« Oui. Je peux faire ressortir environ 80 % des capacités d’un monstre lorsque j’utilise sa forme. Si je le fais sous une autre forme, ça peut aller jusqu’à 60 %, mais en général, je suppose que ça tourne autour de 40 %, non ? Il y a aussi des capacités spécialisées que je ne peux pas du tout utiliser sous cette forme. »
Le mimétisme de Lily ne pouvait pas reproduire parfaitement les capacités des monstres qu’elle copiait. Je le savais d’avance.
« Le mimétisme n’est pas la vraie chose. Il y a un gouffre entre le faux et le vrai qui ne peut être franchi, » dit Lily d’une voix feutrée. « Mais je ne peux pas abandonner juste à cause de ça, n’est-ce pas ? Si je ne peux pas franchir cette frontière, je dois simplement trouver un moyen de faire en sorte que ça marche sans avoir à le faire. »
« Et c’est pour ça qu’il y avait ce mimétisme partiel ? »
C’était logique maintenant. Je n’avais pas demandé pourquoi elle pensait soudainement à de telles choses. Rose n’était pas la seule à se sentir en danger après avoir été témoin du pouvoir des tricheurs. Lily réfléchissait également aux moyens de s’améliorer. Rose avait suggéré d’apprendre les arts martiaux, tandis que Lily pensait à tirer parti de sa spécialité de monstre. Je ne pouvais pas être négligent alors que mes serviteurs faisaient de gros efforts. Je devais fournir plusieurs fois plus d’efforts en tant que leur maître.
« Hé, Maître ? » Lily murmura, presque comme si elle se parlait à elle-même. « En suivant cette logique… Pourquoi ne puis-je pas utiliser de triches ? »
« Hein ? »
« Je suis vraiment juste une… » Au milieu de son discours, Lily remarqua quelque chose et se mit soudain à cligner des yeux. « Maître. Là-bas. »
Lily avait montré du doigt le changement abrupt de paysage. Des lignes d’arbres interminables nous avaient entourés pendant tout ce temps, mais nous étions maintenant arrivés devant un solide mur de pierre. Un profond fossé et une digue l’encerclaient. Ce n’était pas tout à fait la taille du Fort de Tilia, mais cette apparence de fort n’était pas ce à quoi je m’attendais. Nous étions enfin arrivés au village de récupération le plus proche du Fort de Tilia.