Chapitre 6 : Le chevalier qui protège l’humanité
« Veuillez patienter un moment. »
Sa voix était pure. Elle possédait un côté rassurant qui chassait le désespoir ambiant. Lily et moi nous étions arrêtées juste avant de charger. Nous avions gardé notre attention sur Juumonji et avions jeté un coup d’œil sur le côté, où nous avions vu Shiran s’avancer avec son casque toujours enlevé. Mikihiko, qui s’était endurci pour faire face à la bataille comme nous, l’avait également regardée en état de choc.
« Shiran… ? » avais-je murmuré.
L’expression sur ses beaux traits était vaillante alors qu’elle fixait Juumonji. Je l’avais su en un instant. Contrairement aux autres chevaliers, son esprit de combat était à son maximum.
« Takahiro, Mikihiko, allez avec la commandante et poursuivez Sakagami Gouta qui s’enfuit, » dit-elle calmement. « Si c’est lui qui manipule les monstres, nous devrions pouvoir briser ce siège en le capturant. Si c’est le cas, nous pourrons créer une issue de secours pour les habitants de la forteresse. »
Elle était très concrète, mais son ton cachait une forte volonté. Shiran dégaina son épée et pointa un pan de mur effondré.
« Avec l’odorat aiguisé de Miho… Je veux dire, de Lily, un sens de l’odorat aiguisé qui peut même distinguer les sosies, vous devriez être capable de suivre son odeur. »
« C’est vrai, mais… »
C’était impossible. Il n’y avait aucune chance que Juumonji le permette.
« Oui, je comprends ce que vous voulez dire. » Shiran avait deviné la partie non dite de ma phrase et ses lèvres s’étaient courbées en un léger sourire. « Soyez à l’aise. Je vais m’occuper de tout ici, » dit-elle avec résolution.
« Quoi… !? »
« Je vais coincer Juumonji Tatsuya. Pendant ce temps, j’aimerais que vous capturiez Sakagami Gouta. »
Shiran avait pointé l’épée dans sa main en direction de Juumonji.
« Tu te moques de moi, » avait-il dit en ricanant. C’était logique. De son point de vue, quelqu’un comme Shiran n’était même pas sur son radar jusqu’à maintenant. Le fait qu’elle s’immisce ainsi dans sa vie ne pouvait que le faire rire un peu. « Laisse-moi juste vérifier. Es-tu sérieuse ? Un simple indigène qui me défie ? Ça ressemble à un suicide selon moi. »
« Je suis sérieuse. Je n’ai pas l’habitude de dire des bêtises. » Shiran ne s’énervait pas. Elle était très sérieuse. « Je vais vous arrêter ici. »
« Oh ? Vraiment ? » Juumonji avait pris cela comme une insulte. Son expression insouciante se crispa en un spasme. « Alors, meurs, » dit-il d’une voix si froide que j’en avais frissonné.
Juumonji avait quitté le sol d’un coup de pied. Il s’était rapproché de Shiran à une vitesse que j’avais eu du mal à suivre et avait déplacé son épée trempée de sang. Shiran avait bougé en réponse. Elle avait décidé que son grand bouclier destiné à affronter les monstres serait un obstacle contre lui et l’avait jeté sans hésitation.
« Ooooh ! »
Il s’était avancé d’un seul coup. Son épée tranchante, qui lui avait été offerte en tant que sauveur, s’abattit sur Shiran. C’était une lame robuste chargée du pouvoir de briser tout et n’importe quoi. Cette frappe du guerrier d’élite de l’équipe d’exploration pouvait couper en deux le corps robuste d’un monstre avec facilité. Même entièrement équipé d’une armure, le corps mince d’une femme serait déchiré comme du papier. J’avais senti un cri dans ma gorge, mais juste avant qu’il ne sorte, le bruit du métal frôlant le métal avait résonné dans l’air.
« Qu-Quoi — !? »
La voix complètement abasourdie venait de… Juumonji. Sa joue avait une égratignure et Shiran repositionnait son épée. Que s’est-il passé ? Bien que j’aie regardé toute la scène, je n’avais compris qu’un peu après. Shiran avait raclé la lame de Juumonji et l’avait frappé avec une contre-attaque. Juumonji avait réussi à pencher sa tête sur le côté avec ses réflexes étonnants, évitant de justesse d’avoir le visage coupé en deux. S’il avait pris le coup de front, même avec la ténacité d’un guerrier, il aurait été facilement tué.
« Argh… Comment oses-tu !? »
Sans montrer un seul instant d’hésitation, Juumonji avait déclenché un barrage de coups continus. Même un seul coup pouvait facilement couper un corps humain en deux. C’était comme une tempête de guillotines. Ils étaient bien trop rapides et bien trop forts. Cependant, Shiran les avait également repoussés.
À ce moment-là, j’avais remarqué que quelque chose brillait au bord de ma vision. En regardant de plus près, l’esprit de Shiran diffusait une lumière jaune tout en dansant en rond. Quelque chose que Kei m’avait dit un jour m’était soudainement revenu à l’esprit.
« L’esprit qui est toujours aux côtés de ma sœur va utiliser la magie de terre et augmenter ses capacités physiques au combat. »
« Je vois, donc c’est le soutien d’un esprit — l’atout d’un spiritualiste. »
La magie de l’esprit avait amplifié la force physique de Shiran au point qu’elle pouvait faire face aux attaques de Juumonji. Cependant, ce n’était pas la seule raison pour laquelle Shiran était capable de faire jeu égal avec lui. Ses capacités physiques amplifiées par l’esprit étaient impressionnantes, mais même ainsi, elle n’était pas aussi rapide ou aussi forte que le guerrier Juumonji. Elle avait des compétences.
En tant que guerrier, Juumonji était terriblement athlétique et savait instinctivement comment se battre, mais cela n’équivalait pas à des compétences. L’accumulation d’entraînement de Shiran et son expérience du combat au péril de sa vie avaient comblé le fossé qui les séparait.
Juumonji était maintenant prudent. Même si elle n’arrivait pas à contrer comme avant, elle repoussait avec fiabilité sa tempête de coups incessante. Je ne pouvais même pas imaginer la concentration et la volonté qu’il fallait pour faire ça.
« Nous devons bouger tout de suite, Takahiro ! » hurla la commandante en m’attrapant de force le bras. Ses subordonnés étaient derrière elle. Tout comme Shiran, elle ne semblait pas non plus avoir le cœur brisé. « Shiran a ouvert une voie d’évasion ! Nous ne pouvons pas permettre qu’elle soit gâchée ! »
« Vous voulez la laisser derrière vous !? »
« Il n’y a pas d’autre moyen ! Elle accomplira son devoir ! Elle a le pouvoir de le faire ! Pour commencer, pourquoi pensez-vous qu’un elfe ait obtenu le grade important de lieutenant dans une compagnie de chevaliers !? »
La raison pour laquelle on a accordé à un elfe un rang parmi les chevaliers… ? Je n’y avais jamais pensé auparavant. Qu’est-ce que cela avait à voir avec la situation actuelle ? J’avais réfléchi à la signification des mots de la commandante quand une vision m’avait sauté aux yeux.
« On se dépêche, on se dépêche, on se dépêche ! Espèce d’emmerdeur ! » cria Juumonji.
Il avait sauté dans les airs. Son grand corps débordait d’une vague déferlante de mana. Il était sur le point de libérer la magie. Pas de la magie improvisée comme il en utilisait avant. C’était sa vraie magie. Au moment où il atterrit, Juumonji avait accumulé encore plus de mana et déployé son glyphe.
« Allez au diable ! »
Il libéra une magie de niveau 3. En quelques secondes, il avait rassemblé la plus grande force que les gens de ce monde pouvaient manifester. Des flammes avaient jailli de l’épée dans sa main, formant une énorme lame de feu.
« Oooooh ! »
L’épée enflammée s’était abattue en diagonale, frappant directement l’endroit où se tenait Shiran. Une énorme explosion éclata. Des débris avaient volé, l’onde de choc les avait transportés jusqu’à l’endroit où nous nous trouvions. Kei avait crié, je l’avais attirée vers moi et l’avais protégée avec mon bouclier. La vague de chaleur passa, et tout ce qui restait au centre de l’explosion… était une fille.
« Qu… à… ? »
Juumonji était resté complètement abasourdi, fixant Shiran, qui était toujours entièrement en armure et ne souffrait que de brûlures légères.
« Ce sont… » avais-je marmonné.
Elle se tenait là avec dignité, et autour d’elle… des esprits dansaient d’une manière quelque peu comique. Les elfes qui possédaient les qualifications pour le faire pouvaient se charger de l’épreuve d’un esprit pour passer un contrat avec lui, mais au péril de leur vie. C’était la carte maîtresse des elfes que seuls les plus grands spiritualistes pouvaient obtenir. Je le savais, mais je ne pouvais m’empêcher de douter de mes yeux. Il y avait quatre esprits au total autour de Shiran. Ils formaient un cercle autour d’elle en dansant.
« Juumonji Tatsuya. Vous feriez bien de ne pas vous moquer de nous. »
En plus de l’esprit jaune qui flottait toujours autour d’elle, il y en avait maintenant un rouge, un bleu et un vert. Tous les quatre avaient apparemment bloqué l’épée flamboyante ensemble. Ils avaient probablement aussi protégé les chevaliers de la magie de niveau 4 de Juumonji qui avait provoqué l’effondrement des remparts.
Maintenant que j’y pense, lorsque Kei se vantait de sa sœur aînée, elle avait dit que Shiran avait des talents d’épéiste étonnants, qu’elle était une spiritualiste spectaculaire, et que ce n’était pas tout. Je ne pouvais qu’être d’accord après avoir vu la scène devant moi. Quelle que soit la position de faiblesse des Chevaliers de l’Alliance au Fort de Tilia, et quelle que soit la recommandation de la commandante, il devait y avoir une raison pour qu’un elfe, une race victime de discrimination, et une jeune fille de surcroît, soit nommé lieutenant. C’était à cause des prouesses de Shiran au combat.
« Ooh. Je vois. Tu ne le savais pas, Takahiro ? » Mikihiko parla, se tenant près de la commandante. « Le chevalier le plus fort des forêts du nord. C’est Shiran. »
J’avais dégluti. Le plus fort chevalier des forêts du nord. C’était la ligne de front de l’éternelle bataille contre les monstres, cela signifiait donc qu’elle faisait partie de la plus haute classe de chevaliers du monde entier.
Maintenant qu’il l’avait mentionné, quelque chose m’était venu à l’esprit. Quand l’opération de contre-offensive avait été décidée, la commandante avait fait tout son possible pour aller chercher Shiran. C’est aussi elle qui avait été choisie pour aller sauver dans les Profondeurs les visiteurs survivants d’autres mondes. Sachant l’importance que ces visiteurs avaient pour eux, il était logique que la force la plus puissante du Fort de Tilia soit envoyée pour mener à bien cette mission. C’était Shiran.
« Ce n’est pas suffisant. Pas avec ce corps. J’ai beau m’entraîner, les camarades que je suis incapable de protéger meurent les uns après les autres. »
Shiran avait fait tous ses efforts, mais elle regrettait toujours de ne pas avoir atteint son idéal. C’est précisément parce qu’elle s’était battue pour aller de plus en plus loin que sa dévotion sans faille s’était cristallisée en la position de chevalier le plus fort des forêts du nord. Et maintenant que Shiran pouvait dire qu’il importait peu que je sois un sauveur, un peu comme la commandante l’avait mentionné, elle avait la volonté de pointer sa lame vers un sauveur de ce monde. Face à un alien qui utilisait son pouvoir de briser les règles pour répandre des tragédies insignifiantes, le plus fort des chevaliers était maintenant le rempart qui lui barrait la route.
« S’il vous plaît, laissez-moi faire ! » Shiran avait crié, en nous tournant le dos. « Je retiendrai Juumonji Tatsuya ici jusqu’à ce que vous réussissiez à capturer Sakagami Gouta ! »
« Shiran… »
J’avais hésité. Contrairement aux autres chevaliers, avec leurs esprits écrasés, Lily et moi pouvions encore nous battre. N’était-ce pas mieux pour nous de travailler avec Shiran pour abattre Juumonji ? Cependant, tout espoir de le vaincre était encore maigre. Au pire, nous pourrions quand même la retenir. Cependant, Shiran était capable de faire face à Juumonji, donc lui laisser le rôle de faire quelque chose dont nous étions les seuls capables était raisonnable.
Comme elle l’avait dit, si nous pouvons capturer Sakagami, nous pourrions forcer les monstres qui assiègent la forteresse à se retirer. En faisant cela, les soldats encore ici pourraient s’échapper dans la forêt. Même Juumonji ne serait pas capable de massacrer à lui tout seul des centaines de personnes se dispersant dans les arbres.
Le problème des monstres pouvait être résolu en demandant à Shiran de retenir Juumonji pendant que nous poursuivions Sakagami. Shiran avait la capacité de détection des esprits. Si les monstres devaient disparaître, elle le sentirait certainement. Cela signifiait qu’elle pourrait se retirer quand le moment serait venu. C’était le meilleur choix qui soit. Même moi, je pouvais le voir.
Je pouvais le voir, mais… est-ce que ça justifiait vraiment de laisser Shiran toute seule ? Elle croyait en moi. Est-ce que je pouvais vraiment laisser une telle… non, même en faisant abstraction de ça, est-ce que je pouvais vraiment laisser une fille ici toute seule… ?
« Takahiro, » dit Shiran, remarquant mon hésitation. Sa voix était joyeuse. « Ne vous l’ai-je pas déjà dit ? Je suis impatiente de vous parler à nouveau, vous vous en souvenez ? »
« Shiran… »
« S’il vous plaît, partez, afin que nous puissions nous saisir d’un tel avenir. »
Ces mots avaient dissipé le dernier de mes doutes.
« Je vais capturer Sakagami aussi vite que possible ! Ne mourez pas ! »
J’avais tourné sur mes talons et j’avais couru. J’entendais les rugissements de Juumonji derrière moi ainsi que les bruits intenses de la bataille. Je réprimai mon envie de faire demi-tour et courus dans le couloir des remparts effondrés.
« C’est parti ! »
« Bien ! »
Lily avait hoché la tête et avait pris la tête. Pour l’instant, accompagnés par les chevaliers, nous avions simplement couru.
merci pour le chapitre