Chapitre 7 : Serviteur, maître
Partie 5
Cependant, nous n’étions plus dans les régions sauvages de la forêt. J’avais mis un pied en territoire humain. Il n’y avait aucune chance que ça se passe comme avant. J’étais conscient de cela tout le temps, et pourtant je n’avais jamais pensé à trouver quelqu’un pour nous aider. C’était en grande partie dû à ma méfiance envers les humains.
Mais je ne pouvais pas me permettre de faire du surplace ici. Rien ne changerait comme ça. Les humains étaient définitivement des créatures qui trahissaient les autres. Le terrible spectacle de la Colonie l’avait prouvé. C’était une tragédie née de la bêtise humaine. Mais cela ne signifiait pas que tous les humains étaient répugnants.
Katou Mana, par exemple. C’était la fille d’un an plus jeune que moi que je protégeais. Elle m’avait sauvé. Elle savait que je me méfiais d’elle, mais elle m’avait quand même prêté sa force. Son existence prouvait que le monde n’était pas seulement rempli de trahisons.
Les personnes qui vivaient dans ce monde n’avaient pas toutes besoin d’être soupçonnées dans tout ce qu’elles faisaient. C’était une réalité assez évidente qui ne méritait pas vraiment d’être mentionnée, mais c’était aussi quelque chose que je ne pouvais absolument pas admettre auparavant.
Dans l’état actuel des choses, je pouvais accepter la proposition de Lily. « Nous devrions essayer de compter sur quelqu’un d’autre. » Tant que nous ne pouvions pas résoudre notre situation par nous-mêmes, quelqu’un qui pouvait nous aider était indispensable.
Nous ne pouvions pas nier la possibilité qu’ils nous trahissent, bien sûr. C’est pourquoi il était de mon devoir, en tant que leader de notre groupe, de sonder les humains devant moi. Ce n’était pas mon travail de me méfier de tout le monde pour ne pas être trahi, c’était de découvrir quelqu’un qui ne nous trahirait pas.
Si je ne pouvais pas faire ça, alors je n’aurais pas dû quitter les terres forestières. J’aurais dû écouter les bruits de la ruine qui se rapprochait lentement de nous et vivre une vie courte, mais tranquille avec mes serviteurs.
Je comprends. Logiquement, je comprends. La vie serait bien plus simple si tout le monde pouvait transmettre ses sentiments aussi facilement. Dévoiler nos secrets pour trouver un coopérateur n’était pas différent que de leur faire confiance.
Rien que d’y penser, un sentiment détestable me parcourait l’échine. Une odeur de fer emplissait mes narines, des flammes entouraient ma vision, mon corps entier se tordait de douleur, et des sourires déformés assaillaient mon esprit. C’était le même flash-back que j’avais eu cette fois-là avec Gerbera. Mon cœur était sec. Toute ma chair avait l’impression de pourrir.
Cependant, je ne pouvais pas céder à cela. J’avais serré la mâchoire. Je devais surpasser cet abominable souvenir. C’était ma responsabilité en tant que chef.
Mais en suis-je capable ? Une maladie du cœur. Un traumatisme. Je ne pouvais même pas en parler à Mikihiko. Les réalités de la mort et de la trahison étaient restées profondément marquées dans mon cœur. C’était un peu banal de le dire comme ça, mais la malédiction qui s’enroulait autour de mon esprit comme une boue épaisse ne pouvait pas être retirée si facilement. Un humain faible comme moi avait besoin de quelque chose qu’il pouvait surmonter — .
« C’est bon. »
Ma vision avait été soudainement bloquée. La main sur ma joue avait bougé. La paume de Lily couvrait maintenant mes yeux. Ne pouvant plus voir, une voix qui semblait encore plus douce que d’habitude s’était infiltrée dans mes oreilles.
« Maître, te souviens-tu de notre première rencontre dans cette grotte ? »
J’étais déconcerté par cette question soudaine et inattendue, mais j’avais quand même répondu tout de suite.
« Oui. Je me souviens. Il n’y a aucune chance que je puisse oublier. »
En proie au désespoir et ayant renoncé à la vie, l’existence même de Lily m’avait sauvé d’une manière incommensurable. Je mourrais avant d’oublier ce moment.
« C’est un souvenir extrêmement important pour moi, » dit Lily. « C’est mon premier souvenir après ma naissance. À ce moment-là, tu as prié du fond de ton cœur pour que quelqu’un te sauve. Quand j’ai entendu cette voix, quand tu as souhaité que tu sois sauvé, quand tu m’as donné le nom de Lily, je suis née dans ce monde… »
La voix enthousiaste de Lily parlait de ses souvenirs comme si elle tenait un trésor précieux dans sa poitrine. Mais ses prochains mots étaient restés sur le bout de sa langue pendant un moment.
« Cependant, le souhait que tu as formulé avant de perdre conscience, “sauve-moi”, n’était pas destiné à un monstre comme moi, n’est-ce pas ? Tu n’aurais jamais pensé qu’un monstre pourrait te sauver. Alors, qui était-ce que tu souhaitais voir te sauver… ? »
J’avais eu l’impression que Lily souriait comme si la réponse était parfaitement évidente. Cependant, avec sa main sur mes yeux, je ne pouvais pas confirmer si elle souriait vraiment.
« Maître. Tu dis que tu ne fais pas confiance aux humains, mais dans ton dernier instant, tu as fait confiance à un étranger. Je crois que c’est ta vraie nature. »
« Mon vrai… moi… ? »
« Hm. C’est précisément parce que tu es comme ça que nous sommes nées comme nous sommes. Donc, c’est bon. » La voix de Lily tremblait très légèrement en parlant. « Quand tu parles avec Kaneki, quand tu t’entraînes avec Shiran, tu as vraiment l’air de t’amuser. Rien qu’en te regardant, ça me rend aussi heureuse. »
« Lily… ? »
« C’était la même chose quand Katou s’est effondrée avant que nous venions ici. Tu n’as pas hésité à t’assurer qu’elle aille bien. Et pourtant, tu ne l’as peut-être pas remarqué toi-même… » Lily avait retiré sa main de mes yeux. « Tes blessures sont déjà guéries, Maître. Il ne te reste plus qu’à trouver le petit coup de pouce qui te permettra de faire un pas en avant. »
Ma vision était revenue, et devant moi se trouvait la fille que j’aimais plus que quiconque, qui me souriait. Mais si elle souriait pendant tout ce temps, elle n’avait pas besoin de me cacher les yeux.
« Désolée, Maître. J’aurais dû te le dire plus tôt, » avoua Lily, comme si elle avait honte. « J’étais inquiète. J’avais peur que tu te réconcilies avec les humains. Et si tu le faisais, le jour viendrait où tu n’aurais plus besoin de garder tes serviteurs à tes côtés. »
C’était la première fois que Lily me parlait de l’anxiété qu’elle portait dans son cœur. Malgré cela, en regardant son faible sourire et son expression triste, je pouvais dire que cela la tourmentait depuis longtemps maintenant.
« Il n’est pas question que j’abandonne l’un d’entre vous, » l’avais-je rassurée.
« Hm. Je sais ça… Mais j’étais quand même inquiète. »
Elle était anxieuse parce que c’était si important pour elle. En bref, c’était la preuve du désir qu’elle avait pour moi.
« La raison pour laquelle je peux être à tes côtés est que je t’ai rencontré au moment précis où tu as appelés. Mais comme je l’ai dit, tu ne cherchais pas à ce que ce soit moi, un monstre, qui te sauve… C’est pourquoi je me suis toujours demandé si tu n’aurais pas dû rencontrer quelqu’un d’autre là-bas. Où que j’aille, je ne suis rien de plus qu’un faux, alors peut-être que je n’étais qu’une imitation élaborée de ce que tu désirais vraiment… »
Lily n’était pas complètement et totalement à côté de la plaque. Disons, pour l’argument, que ce n’est pas Lily qui m’avait sauvé, mais un autre humain. L’énorme confiance que je plaçais actuellement en Lily aurait été dirigée vers celui qui m’avait sauvé d’une crise aussi désespérée.
C’était à ce point significatif d’être sauvé des profondeurs du désespoir. En fait, Mikihiko avait vécu une expérience similaire, qui était à l’origine de sa profonde affection pour la commandante des Chevaliers de l’Alliance. La seule différence était que nos positions étaient inversées.
C’était bien sûr une supposition sans intérêt. En réalité, j’avais été sauvé par Lily. C’était la seule et unique vérité. En soi, c’était important pour moi. Cependant, ce n’était pas suffisant pour régler le problème avec Lily. Le simple fait de penser à cette possibilité la faisait se sentir redevable de ce qui était arrivé. Et ce sentiment d’obligation donnait naissance à son anxiété, celle que ce n’aurait pas dû être elle qui était là. C’était ce qui causait ses inquiétudes sans fin.
Si, par exemple, elle était un humain, elle n’aurait peut-être pas ressenti une telle anxiété. Mais j’étais un humain et Lily était un monstre. Néanmoins, je l’aimais, et elle m’aimait en retour. Cependant, nous étions toujours des créatures différentes. C’était peut-être inévitable qu’elle commence à s’inquiéter.
« Je suis désolée de l’avoir caché jusqu’à maintenant. »
J’avais secoué la tête. « Ne t’excuse pas. L’important ici n’est pas que tu te sois tu. C’est que lorsque c’était nécessaire, tu m’as sincèrement fait part de tes sentiments. »
« Maître… »
« Lily, même si tes soucis t’étouffaient, tu m’as remonté le moral avec tes mots. Je devrais te remercier. »
Lily se battait avec les anxiétés de son cœur. Elle s’était battue et après les avoir vaincues, elle avait prononcé les mots que j’avais besoin d’entendre. Il n’y avait aucune chance que je me plaigne de ça et que je veuille des excuses.
« Tu es vraiment forte, Lily. »
« Ce n’est pas vrai. »
Les cheveux de lin de Lily avaient tremblé alors qu’elle refusait mes louanges. Elle m’avait regardé dans les yeux, puis avait parlé d’un ton comme si elle dévoilait ses secrets.
« Si je peux parler ouvertement de mes soucis comme ça, c’est parce que tu as compté sur moi, tu sais ? »
« … Ah. »
Je m’étais souvenu des larmes que j’avais vues une fois chez Lily et j’avais été soudainement surpris. C’était à l’époque où j’avais été pris en embuscade par des renards souffleurs et que j’étais revenu au bord de la mort. Grâce aux pleurs de Lily qui me disait : « Ne porte pas tout sur toi » et « Je veux que tu comptes sur nous, » j’avais appris comment je devais faire face à ces filles et j’avais appris à compter sur elles.
Et cela soutenait Lily maintenant. La réalité quant au fait que je dépendais d’elle lui donnait de la force et lui apportait un sourire. Elle était fière que ce soit son mode de vie en tant que servante. J’étais complètement charmé par son sourire fier. J’avais soudain réalisé que les entraves qui m’attachaient avaient perdu beaucoup de leur force.
Ces sourires déformés, motivés par la folie, étaient encore gravés dans ma mémoire.
Et puis il y avait le sourire rassurant que cette fille m’avait montré malgré ses propres angoisses.
Je n’avais pas besoin de comparer les deux pour savoir lequel avait le plus d’impact sur moi.
En bref, j’étais tout comme Lily. La chose la plus importante pour moi en ce moment était d’être leur maître. Et quel genre de maître serais-je si j’agissais avec une telle faiblesse d’esprit alors que mes serviteurs faisaient tant d’efforts pour moi ? Cette simple pensée m’avait conduit à une vérité qui avait toujours été là. Son existence même soutenait mon faible moi.
Je suis vraiment heureux d’avoir rencontré Lily dans cette grotte. Au moment où j’avais pensé cela, l’amour que j’avais pour la fille devant mes yeux avait éclaté.
« Lily. »
Sans m’en rendre compte, j’avais tendu la main que j’avais sur la joue de Lily et je l’avais attirée dans mes bras. Cela poussait un peu les choses avec notre position actuelle, mais Lily avait docilement rapproché son visage du mien alors que je l’embrassais.
Alors que nous pressions nos lèvres l’une contre l’autre, nos mouvements devenaient de plus en plus intenses. Je voulais lui transmettre ce sentiment que j’avais dans mon cœur. Si je le souhaitais d’une seule traite, il se réaliserait. Nos sentiments s’étaient fondu l’un dans l’autre en parcourant notre cheminement mental à l’aide de nos lèvres. La frontière qui nous séparait devenait progressivement de plus en plus vague.
« … Maître. »
Lily m’avait appelé affectueusement alors que nous prenions toutes les deux une respiration. Tout sens de la raison qui lui restait était complètement engourdi. La pointe rouge vif de sa langue avait léché mes lèvres, mais son regard enchanté s’était détourné sur le côté pendant un instant.
« Désolé, Asarina. Pourrais-tu me laisser avoir notre maître pour moi toute seule pour une seule nuit ? »
J’avais suivi ses yeux. Sans que je m’en rende compte, l’un de ses bras avait repris sa forme gluante et plusieurs antennes s’étaient déployées. Elles s’étaient enroulées autour du corps externe d’Asarina, semblable à une vigne, et l’avaient doucement poussée dans ma main gauche. Un palpeur s’était ensuite étiré jusqu’au mur et avait éteint la lumière.
Maintenant drapés dans l’obscurité, nos souffles s’étaient rapprochés une fois de plus et s’étaient entrelacés. À partir de là, nous avions simplement confirmé notre amour l’un pour l’autre.