Chapitre 3 : Une cavité profonde dans le cœur
Table des matières
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Chapitre 3 : Une cavité profonde dans le cœur
Partie 1
La forêt débordait de dangers. La visibilité était mauvaise, les branches étaient partout et la place pour placer ses pieds n’était pas stable. Le simple fait de se déplacer demandait une certaine concentration. Je ne pouvais pas oublier que ce domaine n’était pas destiné aux humains. Mais le fait d’échouer, même en sachant cela, c’était ce que signifiait être un humain.
« Uwah !? »
Mon pied avait glissé. Ma vision était légèrement brouillée par l’épuisement, ce qui m’avait fait glisser sur un rocher recouvert de mousse. J’avais perdu mon équilibre en un instant. En panique, j’avais tendu le bras vers un arbre, mais il était un peu trop loin.
Un instant avant que je ne tombe pathétiquement à terre, quelque chose avait attrapé mon corps.
« C’était moins une. Fais attention, mon Seigneur. »
« … Merci. »
Gerbera s’était immédiatement mise derrière moi et elle m’avait empêché de tomber. Elle surveillait de près notre environnement tout en prêtant attention à moi. Résultat, ma tête s’était retrouvée à moitié enterrée dans sa poitrine généreuse. Mais Gerbera ne semblait pas se soucier de cela. Son visage, qui était maintenant à l’envers de mon point de vue, était rempli d’inquiétude.
« Vas-tu bien ? » demanda Gerbera.
« Oui, désolé de t’avoir causé des ennuis, » répondis-je.
« Tout cela n’est rien. »
Gerbera avait veillé à ce que mes pieds soient fermement posés sur le sol.
« … »
Elle m’avait alors serré la tête contre elle une dernière fois avant de me laisser partir.
Alors que je me retournais et la fixais, elle avait dit d’une voix stridente. « Qu’est-ce qu’il y a ? » Ses jambes s’étaient mises à gigoter. C’était apparemment un tic nerveux de sa part. « Je ne pensais pas vraiment aux avantages secondaires ou à quoi que ce soit. »
« Sais-tu ce que signifie l’expression “laisser le chat sortir du sac” ? »
« D’une manière ou d’une autre. »
« … Ah bon. »
Il était inutile de la harceler à ce sujet. J’avais décidé de la laisser tranquille et de poursuivre nos recherches. Gerbera semblait quelque peu soulagée lorsqu’elle avait commencé à avancer dans la forêt une fois de plus.
« … C’est problématique, » m’étais-je dit en marmonnant, tout en faisant attention à mes pas.
C’était un peu gênant, mais Gerbera avait apparemment des sentiments pour moi. Je n’étais pas si idiot que je n’ai pas remarqué une manifestation d’affection aussi claire. Bien que, si ce n’était pas Gerbera, je ne l’aurais peut-être pas remarqué. Je n’étais pas populaire auprès des filles. Je n’étais ni laid ni beau. On pourrait dire que j’étais tout à fait moyen et tout à fait sérieux. J’étais conscient que parler avec moi était ennuyeux, donc ce n’était pas amusant pour les filles d’être avec moi.
Il était hors de question que des membres charmants de l’autre sexe tombent soudainement amoureux d’un type comme moi. C’était ce que je pensais normalement. Cependant, le comportement direct de Gerbera ne permettrait pas une telle évasion.
J’étais honnêtement heureux des sentiments qu’elle avait à mon égard. Comment un garçon normal se sentirait-il face à de tels sentiments venant d’une fille au corps inférieur d’araignée, je me le demande ? Serait-il heureux ? Se sentirait-il dégoûté ? Je n’étais peut-être qu’un déviant de leur point de vue.
Qui s’en soucie ? Je me fous de ce que pensent les autres.
J’aimais Gerbera comme l’un de mes compagnons. Je n’avais aucune objection psychologique à ce que ces émotions se transforment en sentiments d’amour envers elle en tant que femme. Au moins, sa moitié inférieure ne me dérangeait pas le moins du monde.
Cela dit, j’avais déjà accepté l’amour de Lily. En tant que garçon normal né dans le Japon moderne, le bon sens voulait que je n’aime qu’une seule fille. Je ne pouvais donc pas répondre aux sentiments de Gerbera.
Je me demande si mes réflexions seraient aussi vaines avec une fille humaine ?
Cependant, je devais aussi me souvenir que je n’étais plus dans le Japon moderne. C’était un autre monde. Ces filles étaient mes servantes et j’étais leur maître. Elles étaient spéciales pour moi, et j’étais tout aussi spécial pour elles. Je m’en étais pleinement rendu compte après cette nuit calamiteuse où nous avions fait face à l’incarnation de la tyrannie.
Il n’est pas nécessaire de dire que notre type de relation n’existe pas au Japon. Mon sens des valeurs de l’époque ne s’appliquait pas vraiment ici, et il était clair qu’essayer de les appliquer serait quelque peu déraisonnable. J’avais besoin de repenser ma relation avec ces filles à partir de la case départ.
Il y a aussi la question de Gerbera et de Rose. J’ai mal à la tête à cause de tout ça…
Mais ces affaires concernaient les filles que je considérais comme les plus chères à mon cœur. Je devais y réfléchir sérieusement. Je voulais avant tout bien réfléchir et leur donner mes réponses. Avoir le loisir de se préoccuper de ces choses-là était en fait quelque chose dont on pouvait se réjouir.
« Qu’est-ce qui pose problème, mon Seigneur ? » demanda Gerbera, se retournant en avançant. Il semblait qu’elle avait entendu mon murmure.
Je lui avais souri maladroitement en réponse. Je ne pouvais pas lui dire honnêtement que j’étais troublé par la façon de faire progresser ma relation avec elle.
« Rien. Je pensais juste à combien il est difficile de trouver un nouveau serviteur. »
J’essayais de faire passer les choses sous silence, mais c’était en fait troublant. Trois jours s’étaient écoulés depuis que nous avions commencé à explorer la forêt ensemble. Bien que nous ayons poursuivi nos recherches dans la bonne humeur, nous n’avions toujours pas trouvé de nouveaux serviteurs.
Notre exploration n’avait cependant pas été vaine. Gerbera avait un monstre — que nous appelions dans la colonie un rampant à balles — enveloppé dans des toiles suspendues à son abdomen d’araignée dodu. Il s’agissait de monstres végétaux qui s’enlaçaient sur les arbres et tiraient des graines comme de la chevrotine depuis une fleur en forme de lis. Lily pouvait devenir plus forte en le mangeant, et Gerbera pouvait aussi récolter du mana, aussi minuscule soit-il, en le vainquant. En cela, nos trois derniers jours n’avaient pas été dénués de sens.
Nous avions parcouru un bon bout de chemin, mais les résultats étaient encore loin de ce que j’espérais. La raison pour laquelle je voulais sortir et commencer à explorer tout de suite, c’est que je ne pouvais pas rester là à ne rien faire. Mais la raison principale était que notre situation avait beaucoup changé. Notre combat contre Gerbera était assez acharné, mais après l’avoir surmonté, nous avions réussi à gagner une nouvelle alliée puissante.
Cette nuit-là avait été un tournant majeur. Notre avenir était incomparablement plus brillant maintenant. Gerbera était l’un des monstres les plus forts de toute cette forêt. Le combat désespéré de Lily et Rose contre elle avait en fait prouvé qu’il n’y avait pas beaucoup de monstres qui pouvaient la combattre à armes égales.
Le fait de ne pas avoir à craindre la menace de monstres normaux avait augmenté de façon exponentielle notre liberté de mouvement. De plus, je voulais cibler des monstres rares pour ma capacité d’apprivoisement, et ils n’étaient pas non plus des menaces. Un autre monstre de grande puissance pourrait soudainement apparaître, un peu comme Gerbera, mais ce n’était pas quelque chose que nous pouvions de toute façon prévoir.
Avant, nous n’avions pas d’autre choix que de procéder très prudemment, mais ce n’était plus le cas. Nous pouvions maintenant être un peu plus audacieux dans notre recherche de serviteurs. Par exemple, je pouvais fouiller la forêt avec seulement Gerbera comme garde, comme nous le faisions maintenant.
C’est pourquoi il était assez vexant que nous n’obtenions pas les résultats que j’espérais. Ce serait une chose dans des circonstances normales, mais mon autre objectif était d’améliorer la relation entre Gerbera et Rose.
« … Il faut peut-être changer un peu notre approche. »
Si nous n’obtenions aucun résultat, nous devions élaborer un nouveau plan. Nous mettions à profit le temps que Lily et Rose avaient passé hors service, et nos progrès actuels n’étaient pas mauvais. Ce n’était pas mauvais, mais ce n’était pas différent d’avant. Nous avions réussi à trouver une nouvelle alliée en la personne de Gerbera, je voulais donc être plus efficace.
La première idée qui nous était venue à l’esprit avait été de changer notre zone de recherche. La principale raison de notre manque de progrès était le manque de monstres que nous rencontrions. En trois jours, nous nous étions opposés à huit monstres. Nous étions encore à portée des anciens terrains de chasse de l’équipe d’exploration, donc ce n’était pas un mauvais chiffre. Cependant, il était à peu près inévitable que nous ne trouvions pas de serviteur parmi eux. Cette zone n’était pas appropriée pour augmenter notre taux de rencontre. Nous avions besoin d’aller un peu plus loin.
« Y a-t-il un problème, mon Seigneur ? »
Gerbera me regarda avec curiosité alors que je sombrais dans le silence. Je voulais vraiment obtenir des résultats pour que Rose puisse commencer à lui faire confiance.
« … Gerbera, il y a quelque chose que je veux essayer. »
Ayant renouvelé ma détermination, j’étais allé droit au but.
◆◆◆
« Bref, tu souhaites que je t’emmène plus loin ? »
Je m’étais assis pour faire une pause et j’avais partagé mes réflexions avec Gerbera. « Eh bien, c’est l’essentiel. Ça ne me dérange pas si c’est une zone où il a plus de monstres. »
« Hmm…, » elle s’était enfoncée dans ses pensées et un pli s’était formé entre ses minces sourcils.
« J’aimerais aussi que ce soit toujours une excursion d’une journée si possible. » Rose pourrait s’y opposer si nous ne faisions pas l’aller-retour en une journée.
« Voyons voir… Il y a plusieurs endroits dans les environs qui devraient fonctionner. Par exemple, pourquoi pas un lac que la faune locale utilise comme source d’eau ? Je pense que ce serait un endroit où il serait facile de rencontrer des monstres. »
« Ooh. Ça a l’air bien. » C’était le genre d’information que je cherchais. J’étais assez excité d’avoir obtenu plus que ce que j’espérais. « Peux-tu me parler de tous les autres endroits que tu as en tête ? »
« Très bien. Laisse-moi faire. » Sa voix était vive, apparemment heureuse qu’elle soit utile.
« Il ne reste plus qu’à décider où aller. D’accord, Gerbera, j’aimerais avoir ton avis. »
Cependant, elle était soudainement devenue timide à ma demande. « L-Le mien ? »
« Est-ce trop difficile ? »
« N-Non. Pas du tout ! » Elle avait agité les deux mains devant elle dans la panique. « Mais n’y a-t-il pas quelqu’un de plus apte à donner ce genre de conseils ? »
« Tu es la seule ici. »
« C’est vrai, mais… Je veux dire, ne serait-il pas mieux de revenir pour la journée ? »
« Malgré cela… » Je m’étais gratté la tête. « Je ne veux pas ennuyer Lily avec trop de choses en ce moment. »
« Hm. Il n’est certainement pas question de faire porter le fardeau aux blessés. »
« Et je ne peux pas vraiment en parler à Rose. Tu comprends, n’est-ce pas ? »
« C’est vrai… » Gerbera regarda un peu en bas. Elle savait qu’il était probable que Rose soit contre. « … Cependant, je crois toujours que je ne suis pas apte à le faire. Je suis une femme qui a tout réglé par la force brute jusqu’à présent. Réfléchir n’est pas ma spécialité. »
« Je ne pense pas que ce soit le cas. »
Après avoir passé les derniers jours avec elle, je ne pensais pas que Gerbera était moins intelligente que mes autres serviteurs. Son cœur était tout simplement encore jeune. Elle était maladroite et avait beaucoup de mal à rencontrer les autres. Elle n’était certainement pas une imbécile, mais il était difficile de la convaincre du contraire.
« Il y en a d’autres que vous pouvez consulter, n’est-ce pas ? Par exemple… Bon, et cette petite fille terrifiante ? »
« Katou ? »
L’impression de Gerbera sur Katou était assez dure. Il était étrange que ma servante la plus forte soit terrifiée par la fille qui possédait le moins de force parmi nous, mais c’était justement l’impression qu’elle avait fait cette nuit-là.
« Cette petite fille est plutôt impressionnante. Je suis sûre qu’elle est bien plus apte à te conseiller que moi. »
Il était vrai que les conseils de Katou seraient probablement bons. Elle avait le talent pour soutenir de telles attentes. La suggestion de Gerbera n’était pas fondamentalement une mauvaise idée. Cependant, j’avais quand même secoué la tête.
« Demander conseil à Katou, c’est faire fausse route. »
« Comment cela ? »
« Comment, dis-tu… ? » J’avais été quelque peu déconcerté par sa réponse. Cela aurait suffi à convaincre Lily ou Rose. « Katou n’est pas mon serviteur. Elle est humaine. »
« Un humain ne fera-t-il donc pas l’affaire ? » Gerbera semblait de plus en plus confuse. J’avais l’impression de ne pas la comprendre. « Veux-tu dire qu’elle n’est pas une compagne digne de confiance parce qu’elle est humaine ? Mais si je ne me trompe pas, elle est venue avec les autres pour te sauver, n’est-ce pas ? »
« C’est… »
J’avais essayé de m’y opposer, mais je n’avais rien pu dire. Elle avait raison. Katou était humaine, mais elle s’était battue pour moi. Elle n’avait pas d’arme, mais elle avait risqué sa vie à sa manière pour la mienne. C’est ainsi qu’elle m’avait sauvé.
Alors… Et alors ? Non, arrête. Attends. Mes pensées ne vont-elles pas dans une direction bizarre ?
J’avais un mauvais pressentiment. Je ne savais pas ce qu’il y avait de mauvais… mais cette conversation devenait gênante.
Gerbera n’avait pas remarqué ma consternation et elle avait continué. « J’ai vraiment pensé qu’elle était aussi une de tes compagnes. Mais si c’est le cas, qu’est-elle exactement pour toi ? »
***
Partie 2
C’était une question très simple. C’était quelqu’un que je protégeais. Ni plus ni moins. Il était impossible qu’elle soit autre chose. C’était un être humain dont je devais me méfier. C’est ce que j’avais pensé quand je lui avais parlé pour la première fois. Cela n’avait pas changé, même maintenant. Donc, c’était une question très simple… Et pourtant, je n’avais pas pu y répondre. Je m’étais soudain rappelé le sourire réservé de Katou.
« Dieu merci, vous êtes sain et sauf, Senpai. »
« Avoir votre confiance, vous faire confiance, vous être dévoué et recevoir votre amour comme votre maître sont après tout les plus grandes formes de bonheur. »
« Et Gerbera ? »
« Super. C’est donc décidé. »
« … »
En fait, il y avait encore une chose qui me préoccupait à propos de Katou. Depuis cette nuit-là, l’impression que j’avais d’elle avait changé. C’était comme si… le malaise que je ressentais en parlant avec elle n’était plus vraiment là. Je pensais que c’était parce qu’elle avait réussi à se remettre mentalement après la bataille avec Gerbera, mais cela ne semblait pas non plus tout à fait normal. Elle parlait plus qu’avant, et par conséquent, elle souriait aussi plus. C’était certainement un changement, mais ce n’était pas énorme. Elle était toujours sans expression et lugubre. Ses yeux étaient vitreux et ses lèvres ne bougeaient que très légèrement lorsqu’elle souriait. Mais cela n’effaçait pas l’ombre noire qui pesait sur elle.
Elle n’avait pas beaucoup changé par rapport à avant, mais quelque chose en elle avait changé de façon décisive. Alors, ne serait-il pas normal de supposer que ce qui avait changé, c’était la façon dont je la regardais ?
La nuit où j’avais été enlevé, Katou s’était exposée au danger pour me sauver. C’est pourquoi je l’avais regardée différemment. C’est du moins ce que je pensais. En d’autres termes, j’avais mal interprété la fille nommée Katou Mana.
En y repensant, je me méfiais d’elle depuis que je l’avais rencontrée. Je la regardais comme si elle allait à tous les coups me trahir. N’importe quel paysage aurait l’air déformé quand on le regarde à travers une lentille aussi tordue. Maintenant, j’étais capable de la regarder sans ce genre de préjugés. C’est probablement ce que c’était. Mais qu’est-ce que j’étais censé faire maintenant que j’avais réalisé cela ?
Gerbera avait demandé ce que Katou était pour moi. C’était quelqu’un que je protégeais. Ni plus ni moins. Je n’avais jamais pris la peine de construire une relation humaine avec elle à cause de cela. Cependant, c’était une erreur. N’étais-je pas censé au moins lui rendre sa confiance après qu’elle ait risqué sa propre vie pour me sauver ?
Oui… La confiance… Un humain…
« … »
Le jour où la colonie avait été détruite, j’avais failli être tué par mes camarades de classe. Les humains étaient sales. Ils étaient tous de la racaille. On ne pouvait jamais savoir quand ils allaient devenir des traîtres. Cette conviction en moi n’avait toujours pas changé. Il n’y avait aucune chance que des humains aussi sales risquent leur vie pour me sauver. C’était impensable.
C’était le cas, mais il semblait que Katou, et seulement Katou, ne soit pas susceptible de me trahir. Mes sens me disaient qu’il était normal de lui faire confiance. Peut-être était-il bon de lui faire confiance une fois de plus.
Il est peut-être trop tard. Mais cette fois, je peux faire confiance… Je peux faire confiance…
« Hrk... !? » J’avais soudainement commencé à courir.
« Mon Seigneur ? »
J’avais entendu Gerbera paniquer derrière moi, mais je n’avais pas fait attention à elle. Je m’étais appuyé contre un arbre voisin et j’avais vomi. Dans mon esprit, je voyais distinctement d’innombrables yeux qui me regardaient de haut.
Tout m’était revenu depuis ce jour.
La douleur. La souffrance. Le chagrin. Mon cœur piétiné.
Se faire frapper, recevoir des coups de pied et se faire piétiner.
Les bruits étranges qui viennent de mes côtes.
Aie, aie. Ça fait mal. Je suis effrayé.
Lorsque j’avais ouvert les yeux, j’avais été confronté à des regards sans vie. Des cadavres. Des gens que je connaissais qui avaient vécu la même souffrance que moi, mais qui étaient déjà morts. Et ceux qui les avaient tués étaient aussi des gens que je connaissais.
Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir.
Ces mots se répétaient sans cesse dans ma tête. J’avais levé les yeux et j’avais vu une rangée de sourires fous qui me regardaient de haut.
« Guh… Hak... »
« V-Vas-tu bien, mon Seigneur ? »
Gerbera était venue derrière moi et avait mis ses mains sur mes épaules. Je pouvais sentir son cœur couler en moi à travers notre cheminement mental. Je sentais qu’elle se souciait de moi. Je sentais sa confusion quant à ce qu’elle devait faire. Et… Je pouvais sentir son chagrin. C’était tous les sentiments qu’elle, en tant que servante, avait pour son maître.
« … Hein ? » Avec ça, j’avais finalement réalisé que ce n’était pas la Colonie. La conscience de ce que j’étais exactement à ce moment-là avait servi de lien pour ramener ma psyché dans le monde réel. « Ger... bera ? »
« Mon Seigneur ! M’entends-tu ? »
Ma vision était floue. Des larmes coulaient sur mes joues. Cela aurait aidé de me faire caresser le dos, mais Gerbera ne semblait pas savoir quoi faire, vu qu’elle était un monstre. On aurait dit qu’elle était au bord des larmes.
« Ai-je dit quelque chose de mal… ? »
« Il n’y a aucune chance que tu… Hrk !? » J’avais essayé de la réconforter, mais j’avais vomi une fois de plus.
« A-Aah… Mon Seigneur ! »
« Je… je vais bien… Calme-toi un peu. »
J’avais retrouvé peu à peu mon calme. Voir Gerbera dans une telle panique m’avait fait prendre conscience que j’étais son maître, et cela avait fonctionné comme un tranquillisant pour moi. J’avais craché le vomi encore dans ma bouche. Mes lèvres tremblaient encore, mais j’étais au moins capable de parler un peu plus à l’aise comme ça.
« Je suis juste un peu fatigué. Ce n’est rien de grave. »
« Vraiment ? Tu es blanc comme un linge. »
« Je vais bien. Ça passera avec un peu de repos. Tu ne le sais peut-être pas, mais les humains sont des créatures délicates. » J’essayais de faire abstraction de certaines choses, mais la deuxième partie n’était pas vraiment une blague.
Bon sang. Comme c’est pathétique…
« … Désolé, pourrais-tu m’apporter ma flasque ? Ma bouche est dégoûtante. »
Ma flasque en bois était posée sur le sol où nous faisions une pause. Je n’étais même pas sûr de pouvoir marcher dans mon état actuel.
« D’accord. Attends un instant. »
Gerbera s’était précipitée vers le flacon. En la regardant, j’avais aperçu la cavité profonde de mon cœur et j’avais été complètement étonné. Je ne pensais pas être aussi anormal. Ma méfiance envers l’humanité était apparemment quelque chose qui avait pris racine à un niveau très physiologique. Le fait que je ne m’en sois même pas rendu compte avant montre à quel point mes symptômes étaient graves.
Le terme SSPT m’était venu à l’esprit. Il s’agit d’une forme de trouble mental qui peut être causé par une blessure profonde au cœur déclenchée par une expérience désastreuse qui a failli causer la mort. Les cœurs humains étaient si fragiles que lorsqu’ils étaient confrontés à la forme ultime de la peur, leur propre mort, le cœur s’effondrait beaucoup trop facilement. Il a été dit que cela pouvait aussi se produire à la suite d’un incident qui faisait perdre à quelqu’un sa dignité en tant que personne.
Les personnes souffrant de SSPT prenaient des mesures d’évitement contre tout ce qui est lié à la source de leur traumatisme. Elles avaient des flash-back de ce qui s’était passé et tombaient dans la panique, et elles se retrouvaient en mauvaise santé physiques.
Dans mon cas, c’était assez simple. La source de mon traumatisme était d’avoir été trahie par mes camarades de classe et d’avoir failli être tué. C’était la première fois que je paniquais à la suite d’un flash-back, et c’était vraiment le pire des sentiments.
J’avais réussi à me rétablir parce que Gerbera était tout près, mais si elle n’était pas là, il était possible que je m’évanouisse sur place. J’étais maintenant conscient d’un problème dans mon propre esprit.
Et aussi, j’avais dû reconnaître une autre vérité. Je n’avais pas pu faire confiance à Katou du fond du cœur. Par exemple, j’étais probablement incapable de lui donner une arme. Je ne pouvais pas lui confier ma sécurité. Ce n’était pas un problème de savoir si je devais le faire ou non. C’était juste ce que cela signifiait de faire confiance à quelqu’un. Le fait que j’étais incapable de le faire était un assez gros problème en soi.
« Mon Seigneur ! J’ai apporté ton eau ! »
« … Merci. »
J’avais pris le flacon de Gerbera et je m’étais rincé la bouche. J’avais réussi à me calmer, mais je n’avais toujours pas la force de me tenir droit. J’avais fait quelques pas instables pour m’éloigner de l’arbre sur lequel j’avais vomi et je m’étais assis par terre.
Ce qui m’était venu à l’esprit, ce sont les « yeux de Katou ». Ce regard qui, lors de notre première rencontre, apparaissait de temps en temps. Il y avait une ténacité sans limites en eux… Non, ce n’était pas tout à fait juste. Comme j’étais maintenant, j’avais vu autre chose dans ces yeux. C’était des yeux qui ne faisaient rien d’autre que me regarder sincèrement comme un humain.
Jusqu’à présent, je m’étais toujours demandé ce qui lui passait par la tête. Je doutais d’elle. Cependant, après avoir ouvert le couvercle et jeté un coup d’œil à l’intérieur, cela me semblait complètement idiot. Ses intentions étaient d’une clarté aveuglante.
Katou n’avait personne d’autre que moi sur qui elle pouvait compter dans ce monde. Il était évident qu’elle voudrait compter sur moi. Il y avait un aspect calculateur à cela, mais ayant vécu quelque chose de si cruel que ça ne pouvait même pas être exprimé en mots, c’était en fait son côté sentimental qui voulait compter sur les autres.
C’était si simple, et pourtant je ne pouvais pas comprendre ses sentiments à l’époque. Et parce que je ne les comprenais pas, j’avais fini par trouver son attitude sinistre. Plus précisément… J’étais obsédé par l’idée qu’elle complotait quelque chose.
Par conséquent, je n’avais pas pu lui donner ce qu’elle voulait. C’était vrai aussi pour l’avenir. Je savais maintenant que mon corps et mon esprit la rejetaient en tant qu’être humain. J’avais été bien trop peu sincère après lui avoir sauvé la vie.
Par-dessus tout, la fille connue sous le nom de Katou Mana était pitoyable. Je pouvais imaginer sa solitude. Ses sentiments étaient parfaitement clairs pour moi après l’avoir moi-même vécu. Mais je ne pouvais rien y faire.
« Si tu souhaites que quelqu’un te fasse confiance, tu devras te bâtir une réputation pour la mériter. Quel tas de conneries hypocrites... »
« Mon Seigneur ? »
C’est ce que j’avais dit à Gerbera il y a quelques jours. Et maintenant, ils me poignardent en plein cœur. C’était au-delà de l’hypocrisie. Ce sont des mots que je ne pourrais jamais dire. Katou avait même risqué sa vie pour me sauver, mais elle ne pouvait toujours pas gagner ma confiance.
« Mon Seigneur… »
Gerbera s’agita pendant un certain temps. Elle n’avait sûrement aucune idée de ce qu’il fallait faire dans des moments comme celui-ci. C’était inévitable. Je n’avais moi-même aucune idée de ce qu’il fallait faire. Elle avait fini par s’asseoir à côté de moi. Ses jambes repliées s’étaient alors installées près de moi. Attiré par elles, je m’étais appuyé sur sa jambe. C’était la patte d’une araignée, mais je n’avais pas du tout trouvé cela désagréable. La sensation de ses poils blancs était en fait confortable.
« Désolée, mon Seigneur. »
« Hm ? »
« Cela s’est produit à cause de ma déclaration négligente, n’est-ce pas ? »
Je ne pouvais vraiment pas la décevoir, vu mon état de détresse. Gerbera avait l’air de se sentir coupable. Une ombre planait sur elle.
« Je ne comprends pas ce que tu ressens. Je ne comprends pas non plus ce qu’il y a entre toi et Katou. J’ai sûrement pris trop de temps avant de te rencontrer… »
Tous mes serviteurs avaient été influencés par mon cœur à travers le processus de gain d’un ego. Cependant, Gerbera ne partageait pas mon animosité envers les humains. Elle était devenue ma servante après que les cicatrices sur mon cœur aient quelque peu guéri. Je devais maintenant faire face à de profondes cicatrices qui n’étaient pas encore cicatrisées. Gerbera ne pouvait rien y faire. De plus, elle les avait touchées par inadvertance. C’était vrai. Cependant, je secouais la tête.
« … Ne t’excuse pas. Je devrais plutôt te remercier. »
« Huh …? »
« Après tout, si tu n’avais pas été là, je n’aurais pas remarqué mon propre malentendu. »
Cela ne serait probablement pas arrivé avec Lily ou Rose. Elles comprenaient les sentiments que je ressentais envers les humains et faisaient bien plus attention à les prendre en considération. Mais Gerbera n’avait absolument pas l’intention de ruiner mon humeur. Et je suis sûr que ce n’était rien d’autre qu’un échec à ses yeux. Cependant, son échec avait de la valeur.
« Désolé, peux-tu me laisser comme ça un moment ? » avais-je demandé.
Gerbera me regarda avec une expression inquiète et hocha la tête à plusieurs reprises.
« Merci. »
J’avais fermé les yeux et je m’étais enfoncé dans mes pensées. J’avais mal compris Katou. J’avais donc fini par l’isoler. Et pourtant, elle s’était battue avec sa vie en jeu pour mon bien. Je devais donc répondre à sa bonne volonté.
En ce moment, suis-je vraiment capable de surmonter les blessures de mon cœur et de faire quelque chose pour elle en retour ? Cela prendrait sûrement du temps. C’était peut-être impossible. Mais même ainsi, je devais faire un effort. Je pensais que c’était une responsabilité que je devais assumer.
Je me demande ce qu’elle fait en ce moment… ?
Et alors que cette pensée me traversait l’esprit, la douleur dans mon cœur refusait de s’apaiser.