***Chapitre 9 : Piétiné
Partie 1
« R-Retraite ! Retraite ! Nous devons nous regrouper ! »
La force principale avait subi de lourds dommages à la suite de l’attaque de Rose et n’avait d’autre choix que de se replier. Toutefois, les chevaliers n’étaient pas encore hors d’état de nuire. Rose avait utilisé toute la puissance dont elle disposait, mais, en dehors des morts et des blessés graves, plus de la moitié de leur effectif était encore en mesure de se battre. Ils étaient plus de trente. Qu’ils soient humains ou non, ils méritaient leur nom d’élite parmi tous les chevaliers de ce monde. Il aurait été agréable qu’ils soient anéantis, mais les choses ne se passeraient pas ainsi.
Néanmoins, les chevaliers n’allaient pas charger à nouveau sans réfléchir. Ils ne pouvaient pas. Ils ignoraient le nombre de fois où Rose pouvait utiliser ses effets pyrotechniques — et ils ne comprenaient même pas comment ils avaient été attaqués en premier lieu.
L’attaque de Rose avait réussi à leur couper l’herbe sous le pied. Les chevaliers obéirent à leur officier et battirent en retraite. Mais ce retrait n’était que temporaire. Une fois qu’ils se seraient regroupés et qu’ils auraient renforcé leurs défenses, ils reviendraient à coup sûr. Ils pouvaient utiliser la magie de renforcement; on pouvait donc supposer qu’ils augmenteraient leur résistance à la magie. Ils allaient également guérir leurs blessures dans une certaine mesure.
Même si elle en était consciente, Rose n’avait toutefois pas attaqué alors qu’ils battaient en retraite. Son précieux feu d’artifice de combat devait être remis en place; elle ne pouvait donc pas les poursuivre. Et même si elle tentait de les atteindre depuis ici, la précision diminuerait avec l’augmentation de la distance. Il ne lui restait qu’une seule volée; il valait mieux l’économiser.
Elle devait également tenir compte de son propre état. Les outils magiques consomment en effet du mana à chaque utilisation, et Rose avait donc décidé que les faire reculer était suffisant.
De plus, dans ce cas, les faire charger sans réfléchir serait préjudiciable à sa cause. Elle devrait utiliser son dernier feu d’artifice de combat, qui infligerait de lourdes pertes sans pour autant les anéantir, puis abandonner les lieux peu de temps après.
Repousser temporairement les ennemis était donc plus que suffisant. Plus précisément, c’était le véritable objectif de l’utilisation par Rose de son attaque la plus puissante, mais limitée, à deux reprises au cours du premier acte de la bataille.
« Tout se passe comme prévu jusqu’à présent. »
Même s’ils revenaient, ils seraient plus prudents et ralentiraient leur avancée. C’était suffisant. De toute façon, ce n’était pas à elle d’anéantir l’ennemi. Son travail était déjà fait, il n’était donc pas nécessaire de se surpasser.
« En tout cas, c’est exactement ce que Lily a dit…, » prononça Rose en observant le dos des chevaliers qui battaient en retraite. Elle leva les yeux au ciel, se rappelant le sourire impudent et charmant de la sœur qu’elle idolâtrait.
« Ça ressemble un peu à un acte criminel. »
◆ ◆ ◆
Des éclairs blancs s’abattirent du ciel. C’était la seule façon de décrire la scène, car les chevaliers qui traversaient la forêt avaient rencontré un problème.
« Gaargh ! »
Le premier à crier fut le chevalier qui s’était moqué de ses camarades de la force principale il y a quelques instants. Les autres chevaliers autour de lui se figèrent. Après tout, une araignée blanche géante l’avait écrasé de tout son poids.
« Pourquoi avoir fait tout ce chemin jusqu’ici ? » marmonna l’un des chevaliers, effrayé par l’apparition soudaine de l’ennemi parmi eux.
Cette force devait entrer dans le village par un autre angle, pendant que la force principale attirait l’attention de l’ennemi. Ils devaient lancer une attaque-surprise. Ils ne s’attendaient pas à en être les bénéficiaires. Pourquoi cela se produisait-il ? La confusion et le choc dominaient leur esprit, puis une autre émotion prit le dessus.
L’araignée blanche se mit à osciller à la verticale, dévoilant son visage. Gerbera était magnifique. Même si les chevaliers la considéraient comme un monstre épouvantable, ils se sentaient obligés de la vénérer. Elle incarnait la beauté à tel point que les humains ne pouvaient pas la comprendre. Son regard envoûtant leur faisait oublier la partie inférieure de son corps. C’est en pleine bataille que la grande araignée blanche brillait le plus.
Cependant, malgré sa beauté, elle avait l’air hagarde, comme si elle souffrait d’une terrible maladie. Des motifs violets marquaient sa peau comme des tatouages, de la base de son cou jusqu’à ses joues, sapant ses forces.
Sa condition était déchirante, ce qui lui donnait un air de beauté dégénérée et corrompue. Elle avait une allure qui donnait envie à certains hommes de la séquestrer, de la tourmenter et de la souiller. Malheureusement pour ces hommes, ils étaient tous plus ou moins de ce type.
« C’est la grande araignée blanche des profondeurs ! » hurla l’un des chevaliers, la voix empreinte d’une ferveur née d’une cruelle délectation. « Il n’y a rien à craindre ! Le commandant Travis a déjà jeté son regard saint sur elle ! »
Cette affirmation était une garantie absolue pour les membres de la quatrième compagnie. Ils avaient déjà vaincu des dizaines de monstres énormes que Travis avait affaiblis avec sa malédiction sacrée. La légendaire grande araignée blanche ne ferait pas exception. Cette attaque soudaine les avait pris au dépourvu. Ils se demandaient pourquoi elle était là, mais cela n’aurait plus d’importance une fois qu’ils l’auraient tuée.
Le chevalier ricana, brandissant son épée favorite avec brio, et…
« Hein ? »
Une patte d’araignée lui transperça l’abdomen alors qu’il avait négligemment avancé vers elle.
« Hak... » Il cracha du sang et laissa tomber son épée.
« Qu… à… ? »
La dernière chose qu’il vit, ce fut de nombreux fils d’araignée se répandant sur toute la zone.
« Waaaaah ! »
Les fils épars s’enroulèrent autour des chevaliers. Sans perdre de temps, Gerbera les tira. Grâce à sa force colossale et à la nature surprenante de l’attaque, ses fils précipitèrent nombre d’entre eux au sol de façon pitoyable. La formation des chevaliers était complètement brisée. Ceux qui avaient résisté à la force ou qui avaient sacrifié leurs boucliers pour bloquer les fils se délectaient de ce spectacle désastreux.
« Qu’est-ce que c’est que ça ? » se dirent-ils tous. Les chaînes du Saint Regard n’avaient-elles pas enchaîné la grande araignée blanche ? Le choc de l’attaque soudaine, le sentiment d’être captivé par sa beauté… Toutes ces émotions étaient maintenant dominées par une sensation entièrement nouvelle : la terreur totale.
« Hrk ! »
Gerbera passa une jambe à travers l’un des chevaliers qui dégringolaient sur le sol, puis balança le haut de son corps.
« Je l’admets. Tel que je suis maintenant, je suis indéniablement plus faible. »
Ses paroles étaient sans aucun doute la vérité. Dans son état normal, tous ceux qui auraient été capturés par ses fils auraient été écrasés dans une pluie de sang. C’est justement parce qu’elle était affaiblie qu’elle ne pouvait pas le faire.
« Mais qu’en est-il ? » demanda-t-elle aux chevaliers.
Son corps était alourdi. Elle avait du mal à respirer. Ses mouvements étaient si lents qu’ils provoquaient des bâillements et elle avait perdu tout éclat. Ce regard sacré et vexant se frayait toujours un chemin dans le corps de Gerbera. Mais même après avoir été maudite, elle avait déclaré à son seigneur qu’elle pouvait encore se battre. Elle ne lui aurait jamais menti.
« Vous êtes bien trop prétentieux si vous pensez que cela suffit à prendre ma tête, petits. »
Ses cheveux blancs tombaient sur son visage et ses yeux rouges, semblables à du sang gelé, regardaient à travers l’ouverture.
« Eep… » Les chevaliers étaient obligés de se souvenir, qu’ils le veuillent ou non. Devant eux se trouvait la grande araignée blanche dont parlent les légendes, le monstre le plus puissant des profondeurs des Terres forestières.
« Vous, bâtards, avez mis la main sur quelque chose que vous n’auriez jamais dû toucher. Souffrez en périssant avec cette pensée à l’esprit. »
Il était impossible d’entraver la grande araignée blanche avec des liens aussi minables. Gerbera piétina ceux qui se trouvaient au sol avec ses huit pattes, puis sauta dans les airs.
« Shyaaah ! »
Ses pattes se heurtaient aux boucliers, transperçaient les armures, repoussaient les épées et envoyaient les hommes voler. Elle affrontait près d’une centaine de chevaliers du Saint Ordre; même elle aurait été submergée par le nombre de combattants compétents dans une bataille frontale. Néanmoins, malgré la malédiction du Saint Regard, elle tint facilement bon face à eux.
Il y a deux raisons à cela. La première est la maîtrise du combat de Gerbera. Elle avait vécu longtemps dans les profondeurs et avait acquis une grande expérience. Même si son endurance, sa force et son agilité avaient diminué, elle pouvait, dans une certaine mesure, retarder la détérioration de ses capacités de combat. De plus, Gerbera était spécialisée dans les combats en solo; elle n’était donc pas très douée pour protéger les autres. Mais cette fois, son travail consistait à se déchaîner. C’est là qu’elle pouvait montrer toute l’étendue de ses capacités.
« Merde ! Entourez-la ! Entourez-la tout de suite ! »
La deuxième raison pour laquelle Gerbera avait pu tenir bon était le terrain. Grâce aux arbres, Gerbera menait des attaques sous tous les angles possibles et imaginables. Chaque fois qu’ils tentaient d’utiliser leur nombre à leur avantage, elle les mettait en difficulté grâce à sa grande mobilité. La magie d’affaiblissement dans laquelle ils excellaient convenait bien dans un champ de bataille ouvert, mais ils ne pouvaient pas cibler quelqu’un qu’ils pouvaient à peine voir entre les arbres. Gerbera s’en était assurée.
C’était le terrain de jeu de la grande araignée blanche : les Terres forestières. Elle savait se battre dans ces lieux mieux que quiconque au monde, et elle se jeta à corps perdu dans cette bataille. Elle n’était d’ailleurs pas la seule à le faire.
« Gaaah ! »
Alors que l’attention des chevaliers était entièrement fixée sur Gerbera, une magie du vent de grade 3 balaya une partie de leur formation. Du sang gicla dans l’air tandis qu’une jeune fille aux cheveux blonds tombait parmi eux. Elle était charmante, mais aussi sinistre.
« Mimétisme partiel — Mode bras du diable. »
Son bras se transforma littéralement en quelque chose de cauchemardesque. Avec la force d’un ours, les lames acérées de mante qui sortaient de chacun de ses doigts tranchèrent net plusieurs chevaliers, os et tout. Ceux qui échappèrent aux blessures mortelles furent atteints par le poison qui recouvrait ses lames et pâlirent avant de tomber à genoux.
Même si leur attention était concentrée sur Gerbera, la mort d’une dizaine de chevaliers en un instant était quelque peu choquante. Mais c’était justice. Avec Gerbera affaiblie, cette fille était la plus forte de tous les serviteurs de Majima Takahiro.
« Pas possible ! »
Les chevaliers la connaissaient. Elle s’appelait Lily. Elle faisait partie du noyau dur des pions dont disposait Majima Takahiro. Et la voilà avec Gerbera dans la forêt. En d’autres termes…
« Ce n’est pas possible… Le dompteur de monstres a envoyé ses deux plus puissants défenseurs ici ! »
Les chevaliers écarquillèrent les yeux sous le choc.
« Impossible ! Qu’est-ce que Majima Takahiro peut bien penser ? »
Leur hystérie était compréhensible. La force principale était censée subir les attaques de ses serviteurs les plus puissants, et pourtant, c’est la force détachée qui se retrouva à subir le coup le plus mortel. Ils avaient pris la situation à la légère et ne savaient pas comment gérer cette nouvelle situation. Ils ne s’attendaient pas à cette rencontre et se retrouvaient désormais obligés de se battre dans des conditions très désavantageuses.
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