***Chapitre 9 : Piétiné
Table des matières
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Chapitre 9 : Piétiné
Partie 1
« R-Retraite ! Retraite ! Nous devons nous regrouper ! »
La force principale avait subi de lourds dommages à la suite de l’attaque de Rose et n’avait d’autre choix que de se replier. Toutefois, les chevaliers n’étaient pas encore hors d’état de nuire. Rose avait utilisé toute la puissance dont elle disposait, mais, en dehors des morts et des blessés graves, plus de la moitié de leur effectif était encore en mesure de se battre. Ils étaient plus de trente. Qu’ils soient humains ou non, ils méritaient leur nom d’élite parmi tous les chevaliers de ce monde. Il aurait été agréable qu’ils soient anéantis, mais les choses ne se passeraient pas ainsi.
Néanmoins, les chevaliers n’allaient pas charger à nouveau sans réfléchir. Ils ne pouvaient pas. Ils ignoraient le nombre de fois où Rose pouvait utiliser ses effets pyrotechniques — et ils ne comprenaient même pas comment ils avaient été attaqués en premier lieu.
L’attaque de Rose avait réussi à leur couper l’herbe sous le pied. Les chevaliers obéirent à leur officier et battirent en retraite. Mais ce retrait n’était que temporaire. Une fois qu’ils se seraient regroupés et qu’ils auraient renforcé leurs défenses, ils reviendraient à coup sûr. Ils pouvaient utiliser la magie de renforcement; on pouvait donc supposer qu’ils augmenteraient leur résistance à la magie. Ils allaient également guérir leurs blessures dans une certaine mesure.
Même si elle en était consciente, Rose n’avait toutefois pas attaqué alors qu’ils battaient en retraite. Son précieux feu d’artifice de combat devait être remis en place; elle ne pouvait donc pas les poursuivre. Et même si elle tentait de les atteindre depuis ici, la précision diminuerait avec l’augmentation de la distance. Il ne lui restait qu’une seule volée; il valait mieux l’économiser.
Elle devait également tenir compte de son propre état. Les outils magiques consomment en effet du mana à chaque utilisation, et Rose avait donc décidé que les faire reculer était suffisant.
De plus, dans ce cas, les faire charger sans réfléchir serait préjudiciable à sa cause. Elle devrait utiliser son dernier feu d’artifice de combat, qui infligerait de lourdes pertes sans pour autant les anéantir, puis abandonner les lieux peu de temps après.
Repousser temporairement les ennemis était donc plus que suffisant. Plus précisément, c’était le véritable objectif de l’utilisation par Rose de son attaque la plus puissante, mais limitée, à deux reprises au cours du premier acte de la bataille.
« Tout se passe comme prévu jusqu’à présent. »
Même s’ils revenaient, ils seraient plus prudents et ralentiraient leur avancée. C’était suffisant. De toute façon, ce n’était pas à elle d’anéantir l’ennemi. Son travail était déjà fait, il n’était donc pas nécessaire de se surpasser.
« En tout cas, c’est exactement ce que Lily a dit…, » prononça Rose en observant le dos des chevaliers qui battaient en retraite. Elle leva les yeux au ciel, se rappelant le sourire impudent et charmant de la sœur qu’elle idolâtrait.
« Ça ressemble un peu à un acte criminel. »
◆ ◆ ◆
Des éclairs blancs s’abattirent du ciel. C’était la seule façon de décrire la scène, car les chevaliers qui traversaient la forêt avaient rencontré un problème.
« Gaargh ! »
Le premier à crier fut le chevalier qui s’était moqué de ses camarades de la force principale il y a quelques instants. Les autres chevaliers autour de lui se figèrent. Après tout, une araignée blanche géante l’avait écrasé de tout son poids.
« Pourquoi avoir fait tout ce chemin jusqu’ici ? » marmonna l’un des chevaliers, effrayé par l’apparition soudaine de l’ennemi parmi eux.
Cette force devait entrer dans le village par un autre angle, pendant que la force principale attirait l’attention de l’ennemi. Ils devaient lancer une attaque-surprise. Ils ne s’attendaient pas à en être les bénéficiaires. Pourquoi cela se produisait-il ? La confusion et le choc dominaient leur esprit, puis une autre émotion prit le dessus.
L’araignée blanche se mit à osciller à la verticale, dévoilant son visage. Gerbera était magnifique. Même si les chevaliers la considéraient comme un monstre épouvantable, ils se sentaient obligés de la vénérer. Elle incarnait la beauté à tel point que les humains ne pouvaient pas la comprendre. Son regard envoûtant leur faisait oublier la partie inférieure de son corps. C’est en pleine bataille que la grande araignée blanche brillait le plus.
Cependant, malgré sa beauté, elle avait l’air hagarde, comme si elle souffrait d’une terrible maladie. Des motifs violets marquaient sa peau comme des tatouages, de la base de son cou jusqu’à ses joues, sapant ses forces.
Sa condition était déchirante, ce qui lui donnait un air de beauté dégénérée et corrompue. Elle avait une allure qui donnait envie à certains hommes de la séquestrer, de la tourmenter et de la souiller. Malheureusement pour ces hommes, ils étaient tous plus ou moins de ce type.
« C’est la grande araignée blanche des profondeurs ! » hurla l’un des chevaliers, la voix empreinte d’une ferveur née d’une cruelle délectation. « Il n’y a rien à craindre ! Le commandant Travis a déjà jeté son regard saint sur elle ! »
Cette affirmation était une garantie absolue pour les membres de la quatrième compagnie. Ils avaient déjà vaincu des dizaines de monstres énormes que Travis avait affaiblis avec sa malédiction sacrée. La légendaire grande araignée blanche ne ferait pas exception. Cette attaque soudaine les avait pris au dépourvu. Ils se demandaient pourquoi elle était là, mais cela n’aurait plus d’importance une fois qu’ils l’auraient tuée.
Le chevalier ricana, brandissant son épée favorite avec brio, et…
« Hein ? »
Une patte d’araignée lui transperça l’abdomen alors qu’il avait négligemment avancé vers elle.
« Hak... » Il cracha du sang et laissa tomber son épée.
« Qu… à… ? »
La dernière chose qu’il vit, ce fut de nombreux fils d’araignée se répandant sur toute la zone.
« Waaaaah ! »
Les fils épars s’enroulèrent autour des chevaliers. Sans perdre de temps, Gerbera les tira. Grâce à sa force colossale et à la nature surprenante de l’attaque, ses fils précipitèrent nombre d’entre eux au sol de façon pitoyable. La formation des chevaliers était complètement brisée. Ceux qui avaient résisté à la force ou qui avaient sacrifié leurs boucliers pour bloquer les fils se délectaient de ce spectacle désastreux.
« Qu’est-ce que c’est que ça ? » se dirent-ils tous. Les chaînes du Saint Regard n’avaient-elles pas enchaîné la grande araignée blanche ? Le choc de l’attaque soudaine, le sentiment d’être captivé par sa beauté… Toutes ces émotions étaient maintenant dominées par une sensation entièrement nouvelle : la terreur totale.
« Hrk ! »
Gerbera passa une jambe à travers l’un des chevaliers qui dégringolaient sur le sol, puis balança le haut de son corps.
« Je l’admets. Tel que je suis maintenant, je suis indéniablement plus faible. »
Ses paroles étaient sans aucun doute la vérité. Dans son état normal, tous ceux qui auraient été capturés par ses fils auraient été écrasés dans une pluie de sang. C’est justement parce qu’elle était affaiblie qu’elle ne pouvait pas le faire.
« Mais qu’en est-il ? » demanda-t-elle aux chevaliers.
Son corps était alourdi. Elle avait du mal à respirer. Ses mouvements étaient si lents qu’ils provoquaient des bâillements et elle avait perdu tout éclat. Ce regard sacré et vexant se frayait toujours un chemin dans le corps de Gerbera. Mais même après avoir été maudite, elle avait déclaré à son seigneur qu’elle pouvait encore se battre. Elle ne lui aurait jamais menti.
« Vous êtes bien trop prétentieux si vous pensez que cela suffit à prendre ma tête, petits. »
Ses cheveux blancs tombaient sur son visage et ses yeux rouges, semblables à du sang gelé, regardaient à travers l’ouverture.
« Eep… » Les chevaliers étaient obligés de se souvenir, qu’ils le veuillent ou non. Devant eux se trouvait la grande araignée blanche dont parlent les légendes, le monstre le plus puissant des profondeurs des Terres forestières.
« Vous, bâtards, avez mis la main sur quelque chose que vous n’auriez jamais dû toucher. Souffrez en périssant avec cette pensée à l’esprit. »
Il était impossible d’entraver la grande araignée blanche avec des liens aussi minables. Gerbera piétina ceux qui se trouvaient au sol avec ses huit pattes, puis sauta dans les airs.
« Shyaaah ! »
Ses pattes se heurtaient aux boucliers, transperçaient les armures, repoussaient les épées et envoyaient les hommes voler. Elle affrontait près d’une centaine de chevaliers du Saint Ordre; même elle aurait été submergée par le nombre de combattants compétents dans une bataille frontale. Néanmoins, malgré la malédiction du Saint Regard, elle tint facilement bon face à eux.
Il y a deux raisons à cela. La première est la maîtrise du combat de Gerbera. Elle avait vécu longtemps dans les profondeurs et avait acquis une grande expérience. Même si son endurance, sa force et son agilité avaient diminué, elle pouvait, dans une certaine mesure, retarder la détérioration de ses capacités de combat. De plus, Gerbera était spécialisée dans les combats en solo; elle n’était donc pas très douée pour protéger les autres. Mais cette fois, son travail consistait à se déchaîner. C’est là qu’elle pouvait montrer toute l’étendue de ses capacités.
« Merde ! Entourez-la ! Entourez-la tout de suite ! »
La deuxième raison pour laquelle Gerbera avait pu tenir bon était le terrain. Grâce aux arbres, Gerbera menait des attaques sous tous les angles possibles et imaginables. Chaque fois qu’ils tentaient d’utiliser leur nombre à leur avantage, elle les mettait en difficulté grâce à sa grande mobilité. La magie d’affaiblissement dans laquelle ils excellaient convenait bien dans un champ de bataille ouvert, mais ils ne pouvaient pas cibler quelqu’un qu’ils pouvaient à peine voir entre les arbres. Gerbera s’en était assurée.
C’était le terrain de jeu de la grande araignée blanche : les Terres forestières. Elle savait se battre dans ces lieux mieux que quiconque au monde, et elle se jeta à corps perdu dans cette bataille. Elle n’était d’ailleurs pas la seule à le faire.
« Gaaah ! »
Alors que l’attention des chevaliers était entièrement fixée sur Gerbera, une magie du vent de grade 3 balaya une partie de leur formation. Du sang gicla dans l’air tandis qu’une jeune fille aux cheveux blonds tombait parmi eux. Elle était charmante, mais aussi sinistre.
« Mimétisme partiel — Mode bras du diable. »
Son bras se transforma littéralement en quelque chose de cauchemardesque. Avec la force d’un ours, les lames acérées de mante qui sortaient de chacun de ses doigts tranchèrent net plusieurs chevaliers, os et tout. Ceux qui échappèrent aux blessures mortelles furent atteints par le poison qui recouvrait ses lames et pâlirent avant de tomber à genoux.
Même si leur attention était concentrée sur Gerbera, la mort d’une dizaine de chevaliers en un instant était quelque peu choquante. Mais c’était justice. Avec Gerbera affaiblie, cette fille était la plus forte de tous les serviteurs de Majima Takahiro.
« Pas possible ! »
Les chevaliers la connaissaient. Elle s’appelait Lily. Elle faisait partie du noyau dur des pions dont disposait Majima Takahiro. Et la voilà avec Gerbera dans la forêt. En d’autres termes…
« Ce n’est pas possible… Le dompteur de monstres a envoyé ses deux plus puissants défenseurs ici ! »
Les chevaliers écarquillèrent les yeux sous le choc.
« Impossible ! Qu’est-ce que Majima Takahiro peut bien penser ? »
Leur hystérie était compréhensible. La force principale était censée subir les attaques de ses serviteurs les plus puissants, et pourtant, c’est la force détachée qui se retrouva à subir le coup le plus mortel. Ils avaient pris la situation à la légère et ne savaient pas comment gérer cette nouvelle situation. Ils ne s’attendaient pas à cette rencontre et se retrouvaient désormais obligés de se battre dans des conditions très désavantageuses.
***
Partie 2
Cela dit, il s’agissait de la situation telle qu’elle apparaissait a posteriori. Cet endroit était quelque peu éloigné du village. Majima Takahiro était fou d’envoyer ses meilleurs combattants, qui devaient renforcer les défenses du village, errer jusqu’ici à la place. Ils étaient probablement en patrouille, mais la région autour du village était vaste. En réalité, tomber sur cette force détachée n’était qu’une coïncidence, et si Travis n’avait pas rassemblé cette force dès le départ, cela aurait été un véritable gaspillage de ressources. Les défenses du village étant à ce point affaiblies, la force principale ne pourrait-elle pas percer et en finir d’elle-même ?
Oui, même s’ils avaient réussi à trouver la force détachée, cela ne changeait pas grand-chose à la situation. Avec l’absence des combattants les plus forts, le village serait contraint de mener une bataille défensive acharnée. C’est du moins ce que pensaient les chevaliers présents. Naturellement, séparés de la force principale, ils n’avaient aucun moyen de savoir que Rose avait tout donné et les avait contraints à une retraite temporaire.
« Pourquoi fait-il cela ? »
Les chevaliers n’avaient aucun moyen de le savoir. Selon eux, Majima Takahiro avait commis une erreur en envoyant ses deux pions les plus forts ici, mais par une malheureuse coïncidence, ils avaient trouvé la force détachée et engagé le combat sur un terrain désavantageux. De plus, Rose avait arrêté de façon inattendue la force principale, qui était censée faire sortir Lily et Gerbera.
Si tout cela n’était qu’une coïncidence, alors la certitude n’existait pas dans ce monde. C’est pourquoi Lily pensait qu’il s’agissait d’un acte criminel. Cela ne l’empêchait pas de tout donner pour autant.
« Tuez-les ! Tuez-les, bon sang ! »
Les chevaliers crièrent de désespoir. Après plusieurs autres pertes, ils parvinrent enfin à se mettre en formation. Ils s’organisèrent immédiatement en une avant-garde et une arrière-garde, se préparant à intercepter un éventuel attaquant.
Cependant, vingt soldats étaient morts et dix autres étaient hors d’état de nuire, soit à cause de blessures graves, soit à cause d’un empoisonnement sérieux. Cela représentait environ un tiers de la force détachée à terre.
« Ce n’était pas prévu ! »
« Je parie que ce n’était pas le cas. »
Lily pouvait comprendre leur peur. Ce n’était pas leur plan. Comment cela aurait-il pu être le cas ?
Son maître bien-aimé avait été le premier à réfléchir sur le plan des chevaliers. Il avait trouvé étrange que Travis batte en retraite l’autre jour. Le chevalier avait reculé si facilement. À l’époque, Travis avait cinquante chevaliers avec lui, mais cela n’avait pas suffi à tuer le groupe de Majima. Comme Gerbera l’avait dit, Lily et elle auraient pu les affronter.
Si ses autres serviteurs, cachés dans la forêt — en particulier Lobivia —, s’étaient joints à la bataille, Travis se serait retrouvé dans une situation désastreuse. Le maître de Lily n’avait pas donné cet ordre, car tous les autres se cachaient ailleurs, mais Travis n’en savait rien à ce moment-là.
Par conséquent, le calme apparent de Travis était suspect, et la seule explication qui venait à l’esprit de Lily était la suivante : ils croyaient sérieusement en leur supériorité. C’était l’erreur de calcul majeure dont Takahiro avait parlé à Helena.
En y repensant maintenant, ce n’était pas si étrange. Travis avait clairement des informations sur Majima Takahiro, mais elles étaient incomplètes. Il n’avait par exemple aucun moyen de savoir pour Lobivia, qui n’avait rejoint leurs rangs que récemment. En fait, Travis avait parlé comme s’il ne s’attendait pas du tout à ce que Majima Takahiro se présente au village. Avec ça, ils pouvaient supposer que ses informations étaient obsolètes.
Travis n’avait pas prévu que Takahiro gardait Lobivia en réserve tout en faisant attaquer Lily et Gerbera avec audace. Il ignorait également que Lily avait presque atteint le niveau de la légendaire grande araignée blanche. Ils ne s’attendaient pas non plus à ce que Gerbera soit encore capable de se battre.
« Gaaah ! »
Un autre cri retentit. Un autre chevalier tomba sous la lance de Lily. Les chevaliers expérimentés de l’arrière-garde ne laissèrent pas passer cette ouverture et tirèrent de la magie du vent de grade 2 sous forme de boules. Cependant, les projectiles s’évanouirent dans la gueule aux dents déchiquetées de la paume du bras du diable.
« Comme c’est malheureux », dit Lily en souriant. « Qu’est-ce que vous allez faire ? À ce rythme, vous serez anéantie, vous savez ? »
Elle avait l’air adorable, mais cette scène devait être cauchemardesque pour eux.
« A-Aaah ! La fille à l’avant ! Visez-la ! » cria l’un d’eux. « Scellez son agilité ! Chargez comme un seul homme ! » Bien que poussé par la peur, le chevalier commandant donna des ordres précis.
À ce rythme, la situation ne ferait qu’empirer. Leurs forces diminuaient peu à peu. Le bras du diable de Lily était particulièrement diabolique.
Elle déployait une force brute que même les chevaliers, renforcés par le mana de leurs alliés, ne pouvaient égaler. Ses griffes étaient aussi tranchantes que des rasoirs et ne pas réussir à les repousser signifiait se faire couper en deux. D’un autre côté, les bloquer laissait de profondes entailles dans leurs boucliers, et si elle touchait leur armure, ses griffes atteignaient leur peau et leur injectaient du poison.
Il était déjà difficile d’encercler quelqu’un dans une bataille en forêt, et Gerbera se mettait également en travers de leur chemin. Comme le disait Lily, à ce rythme-là, ils n’avaient plus rien à faire.
Que faire alors ? S’ils étaient si sur la défensive, c’est parce qu’ils avaient deux adversaires. S’ils n’en avaient qu’un, ils pourraient se battre. Telle était la décision du commandant.
Contrairement à Gerbera qui sautait d’arbre en arbre, Lily devait rester au sol. Il semblait qu’elle pouvait dévorer les attaques magiques avec la bouche sinistre de sa paume du diable, mais cela ne fonctionnerait pas contre la magie de débilitation et de renforcement — en théorie, du moins.
« Pourquoi ? L’affaiblissement n’est pas mon fort — Krgh ! »
Une lance noire s’enfonça dans la gorge du chevalier qui hurlait. Une magie débilitante frappa Lily, mais celle-ci ne ralentit pas pour autant. Pour une raison ou une autre, elle fit disparaître son bras du diable et commença à se battre avec sa lance, ses mouvements étant vifs et agiles.
Même s’ils ne pouvaient pas égaler la brutalité du Saint Regard de Travis, capable de percer la résistance magique de sa cible, une accumulation de magie débilitante pouvait produire un effet comparable. Quant à savoir pourquoi cela ne fonctionnait pas…
« J’ai compris ! Elle n’est pas compatibilité ! »
L’un des chevaliers comprit ce qui se passait. La magie ne produit pas toujours ses effets. S’il existait une centaine de types de monstres différents, il n’y avait pas de magie qui fonctionnait sur tous. Par exemple, la magie sacrée était efficace contre les morts-vivants, mais elle n’avait pratiquement aucun effet sur les autres créatures. La magie de débilitation, qui affaiblit les capacités physiques d’une personne, n’avait pas non plus beaucoup d’effet sur certains monstres inorganiques.
« Utilisez autre chose ! Une magie différente ! »
Selon les circonstances, certains monstres pouvaient repousser toutes les formes de magie débilitante. Heureusement pour eux, Lily était un slime, et cette règle ne s’appliquait donc pas à elle. Par conséquent, les chevaliers estimèrent qu’une autre magie serait efficace.
« Ils s’adaptent vraiment vite… »
Elle savait qu’ils allaient immédiatement se rendre compte du problème de compatibilité. Elle resta toutefois calme. Les chevaliers n’avaient pas tort, mais ils n’avaient pas tout à fait raison non plus. Ils auraient dû y réfléchir davantage.
Qu’est-ce qui n’était pas compatible avec quoi ? La magie de débilitation physique n’était pas compatible avec elle ? Ce n’est pas techniquement correct. Les chevaliers du Saint Ordre sont spécialisés dans les tactiques de groupe. Des tactiques de groupe bien organisées et coordonnées, voilà ce qui ne fonctionnerait pas contre elle. C’est ce qu’ils n’avaient pas compris.
« Prends ça ! »
Ils déclenchèrent la magie de débilitation à base de feu en même temps. Il s’agissait du même type de magie de débilitation à base de feu que Léa avait utilisée lors de la bataille contre l’ours rubis, pendant l’élimination des lièvres azurés.
Le feu blesse la plupart des êtres vivants. La magie n’avait pas assez de puissance pour être efficace, mais c’était différent quand plusieurs personnes l’utilisaient. D’innombrables flammes virevoltaient autour de la fille qui dansait au milieu de la bataille contre l’avant-garde.
« Hein… ? »
Juste à ce moment-là, l’un des chevaliers de l’avant-garde remarqua quelque chose d’étrange : des oreilles. Des oreilles d’animaux dépassaient de sa tête à travers ses cheveux blonds. Elles étaient rondes et ressemblaient à celles d’un ours. Elles étaient plutôt mignonnes. L’homme pensa qu’il devenait fou à cause de l’intensité de la bataille, mais l’hallucination ne disparut pas.
« Merci », lui répondit la jeune fille.

« Ahh ! »
Le charmant sourire de la jeune fille lui donna la chair de poule, mais il n’eut pas le temps de réagir. L’instant d’après, la terre s’enflamma et Lily se retrouva au centre de la masse de feu.
« Aaargh ! »
Lorsqu’on aborde la question de la compatibilité de la magie de débilitation, il faut envisager quelque chose de bien plus terrifiant que son manque d’efficacité : le risque de renforcer sa cible au lieu de l’affaiblir. Que se passerait-il, par exemple, si l’on lançait une débilitation à base de feu sur un monstre qui manipule le feu ? Les flammes pourraient devenir plus puissantes et l’ennemi pourrait les retourner contre l’attaquant. C’est exactement ce qui se passe en ce moment.
« Non, non, non. Vous ne pouvez pas utiliser la magie du feu contre un ours rubis. »
Des flammes s’élèvent alors tout autour du corps de Lily. Elle utilisait la capacité inhérente à l’ours rubis, le monstre le plus redoutable originaire de l’ouest d’Aker, capable de brûler tout ce qui l’entoure. En reproduisant cette capacité par mimétisme, Lily était alimentée par toute la puissance de ses ennemis réunis.
Comme l’avait dit Lily, les chevaliers n’auraient jamais dû avoir recours à la magie du feu. Mais cela ne signifie pas pour autant que les autres magies n’auraient pas donné le même résultat. Vent pour vent, eau pour eau, terre pour terre, elle pouvait reproduire les pouvoirs des monstres pour faire face à tous.
Tant qu’il n’existait pas de magie pouvant affecter tous les monstres, la magie de débilitation n’avait aucun effet sur Lily, grâce à sa capacité à imiter la nature de nombreux monstres différents. L’existence même de Lily constituait un obstacle de taille aux tactiques de groupe de la quatrième compagnie. La seule chose qui pouvait fonctionner sur elle était leur atout majeur, le Regard sacré de Travis, mais il avait choisi de l’utiliser sur quelqu’un d’autre.
Baignés dans les flammes comme s’ils avaient versé de l’essence sur une flamme nue, les chevaliers hurlaient et couraient dans toutes les directions. Il n’y avait aucune chance qu’ils puissent continuer à se battre dans de telles conditions. Chaque fois que la lance noire de Lily plongeait dans l’air, un chevalier en feu tombait au sol. Gerbera passa également à l’offensive.
Lorsque le feu se calma, il ne restait plus que quarante des cent chevaliers, presque tous brûlés. Dans un tel état, le bras du diable de Lily les faucha et les jambes de Gerbera les transpercèrent. Leur formation était brisée, ils étaient moins nombreux et leur moral était en lambeaux.
Quoi qu’il en soit, Lily et Gerbera ne ménagèrent pas leurs efforts. Après tout, elles avaient pour mission d’anéantir la force détachée le plus rapidement possible. Rose, qui protégeait l’entrée du village, savait qu’elle ne pourrait pas anéantir l’ennemi seule. Elle pouvait au moins les retenir un peu jusqu’à ce que Lily et Gerbera en aient fini avec la force détachée et reviennent.
Pour que ce plan réussisse, elles devaient terminer leur travail dans le peu de temps qu’il leur restait, alors Lily et Gerbera se battirent avec toute la force dont elles disposaient. C’était comme marcher sur une corde raide, mais jusqu’à présent, tout se passait bien.
Pour un spectateur non averti, cela devait ressembler à une chance inouïe. La vérité était cependant différente.
« C’est vraiment un acte criminel », dit Lily en souriant ironiquement en pensant à son bien-aimé. « N’est-ce pas, Maître ? »
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