
Chapitre 3 : Le sauvetage
« Celui qui tuera le misérable chevalier déchu. » J’avais déjà entendu le nom de l’homme qui avait fait cette déclaration : Travis Mortimer. Si ma mémoire était bonne, Iino l’avait rencontré dans la cité commerçante de Serrata. Son apparence correspondait à sa description, il s’agissait donc bien du même homme. De plus, Shiran m’avait déjà parlé du Saint Ordre.
Le Saint Ordre était entièrement composé de chevaliers de sang béni. Parmi eux se trouvaient les Bien-aimés de sang béni, ceux qui avaient hérité en partie des pouvoirs des anciens sauveurs. Travis du Saint Regard en faisait partie, et lorsque j’avais vu la puissance de la malédiction qu’il avait utilisée sur Gerbera, j’avais su avec certitude qu’il s’agissait bien du Saint Regard dont Shiran m’avait parlé.
J’étais également certain d’une autre chose. Je m’étais demandé qui pouvait bien attaquer ce village. L’armée et les chevaliers akériens, aussi appréciés du peuple soient-ils, n’attaqueraient jamais les citoyens qu’ils sont censés protéger. Les forces étrangères ne pouvaient pas non plus attiser inconsidérément les flammes de la guerre. De plus, si la Sainte Église, qui maintient l’ordre public dans le monde entier, considère l’agresseur comme un problème, son Saint Ordre pourrait être ruiné. Cependant, si le Saint Ordre lui-même attaquait, cela poserait un problème.
« Ces caractéristiques, la grande araignée blanche et une fille aux cheveux de lin… Je vois, tu es donc Majima Takahiro. Quelle chance que la répugnante goule Shiran et le méchant dompteur de monstres voyagent encore ensemble. »
En repoussant Gerbera, Travis avait gagné le temps nécessaire pour rassembler ses subordonnés, dispersés dans le village. Entouré de près de cinquante chevaliers, il continua de parler, sa voix devenant de plus en plus forte.
« Pensais-tu pouvoir t’enfuir pour toujours ? Si c’est le cas, je dois te décevoir. Ces sales oreilles pointues ont feint l’ignorance, mais il est impossible qu’elles puissent tromper mes yeux. »
Si le Saint-Ordre avait attaqué ce village, c’était parce qu’il cherchait à tuer Shiran et qu’il soupçonnait ses proches de l’abriter. Mais sa fière déclaration était complètement passée à côté de la plaque.
« Tu es fou…, » avais-je gémit.
J’avais été trop laxiste face à la situation. Je n’aurais jamais pensé que la haine et l’animosité envers un dompteur de monstres et une goule pouvaient être si profondément ancrées qu’elles obscurcissaient la vision de quelqu’un. Mais alors que je continuais à évaluer la situation, le faible sourire de Travis apparut, et j’avais instinctivement su que ce n’était pas le cas. Ce n’était pas une tragédie née de la haine et de l’animosité. Il n’y avait aucune émotion de ce genre dans le comportement de Travis.
« Nous, glorieux chevaliers de la quatrième compagnie, allons prendre vos têtes », cria Travis.
Sa voix sonore et chantante correspondait à son apparence. Il ressemblait presque à un acteur se tenant au sommet de la scène. Il avait qualifié Shiran de goule répugnante et moi de méchant dompteur de monstres, puis il s’était vanté de la façon dont il nous tuerait. Tout dans le ton de Travis témoignait de sa juste cause et de son mépris à notre égard, mais il n’y avait ni haine ni animosité. Tout ce que je pouvais percevoir, c’était une malveillance calculée. Preuve en est, Travis était totalement calme lorsqu’il annonça sa décision.
« Quoique… m’attaquer ici me mettrait dans une situation légèrement désavantageuse », dit-il en abaissant son épée.
« Quoi ? On ne s’y met pas ? » demanda l’un des chevaliers qui avait conduit ici quelques chevaliers éparpillés, le regard acéré.
« Non, Edgar. Nous allons nous replier pour l’instant. »
« Oh, allez. Nous avons enfin trouvé notre putain de proie. »
Edgar pointa son menton dans ma direction. Il avait la langue bien pendue et se comportait de façon belliqueuse, mais je ne percevais aucune haine ni colère en lui. Les autres chevaliers étaient tous pareils, ce qui les rendait encore plus terrifiants. Autrement dit, ce n’était pas la haine des monstres qui avait motivé cette attaque, mais la violence de la pure méchanceté qui avait piétiné le village.
Je m’étais soudainement rappelé le temps que j’avais passé avec les Chevaliers de l’Alliance. Je m’étais souvenu de ce que la commandante m’avait dit un soir, dans un village de récupération. Même parmi les chevaliers, dont le devoir était de brandir leurs épées pour la justice et le salut des faibles, certains étaient désespérément en quête de gloire, d’autres étaient dépravés et d’autres encore assoiffés de sang. Maintenant, je comprends. C’est ainsi que je décrivais les hommes qui se trouvaient devant moi.
« Je ne tolérerai pas l’insubordination, Edgar Guivarch », dit Travis en secouant la tête.
« Je vais faire marche arrière… pour l’instant. »
Le ton de Travis ne laissait place à aucune discussion. Sa voix froide inspirait peut-être la peur à ses subordonnés. Les chevaliers qui regardaient Lily d’un air dégoûté pâlirent. Sans se soucier de savoir si elle était juste, la peur était une forme de commandement valable. Même Edgar, qui avait l’air mécontent, obéit et commença rapidement à battre en retraite. Ils étaient rapides. J’avais seulement eu un aperçu des normes élevées qu’ils appliquaient au renforcement physique par le mana.
« Vous ne vous échapperez pas. » Par réflexe, Gerbera essaya de les poursuivre, mais ils s’y attendaient.
« Ottmar. Marionnettes des anges », dit brièvement Travis.
« Affirmatif », répondit catégoriquement l’un des chevaliers en lançant une sorte de pierre. Au moment où elle toucha le sol, une lumière jaillit dans les airs.
« Hrm ! »
Gerbera cria lorsque vingt humains nus apparurent dans la lumière. Non, Travis les avait appelés les marionnettes des anges. Ils avaient l’air humain, mais ils ne l’étaient pas. Aucun n’avait le moindre poil, ce qui indiquait qu’ils étaient artificiels. Ils n’avaient aucune caractéristique physique distincte, si bien que je ne pouvais pas les distinguer comme étant des hommes ou des femmes. Ils avaient tous le même visage et maniaient une lance.
Les marionnettes des anges pointèrent leurs armes vers l’avant et chargèrent comme un seul homme.
« Encore une fois, ces étranges folies ! »
Gerbera s’arrêta. Elle était sans doute en train de réfléchir à l’attaque mystérieuse dont Travis l’avait frappée. Des motifs violets couraient toujours sur son visage, soulignant son expression vigilante. La prudence l’empêchait d’ignorer ces marionnettes et de poursuivre les chevaliers.
De plus, pour témoigner de la personnalité horrible de Travis, les yeux de verre des marionnettes des anges étaient fixés sur Shiran et moi. Comme Shiran ne pouvait pas bouger, nous devions les intercepter. Heureusement, la charge sinistrement synchronisée n’était pas si rapide.
« Lily, la magie. Gerbera, coupe-leur la route. »
J’étais resté en arrière pour protéger Shiran pendant que Lily s’avançait et lançait une attaque préventive avec de la magie. Ceux qui avaient continué à charger malgré tout avaient été la proie des jambes de Gerbera. Lorsqu’elles avaient été frappées, les marionnettes s’étaient brisées comme de la porcelaine, leurs fragments se dissolvant dans l’air.
Nous étions sur nos gardes, mais ces marionnettes n’étaient apparemment rien d’autre — enfin, elles étaient un peu trop spéciales pour cette tournure de phrase — que des pions jetables. Le temps qu’il nous avait fallu pour les terrasser tous, les chevaliers avaient battu en retraite et étaient maintenant loin.
« Grr… Ils se sont échappés. Devons-nous nous lancer à leur poursuite, mon seigneur ? » demanda Gerbera, semblant sur le point de bondir à tout moment. « Je peux m’occuper de ce groupe. »
Même après avoir affronté le regard sacré de Travis, Gerbera restait inébranlable. Nous avions fait preuve de prudence à cause de l’attaque unique dont Travis avait fait preuve dès le début, mais il ne semblait pas que les autres chevaliers aient des capacités aussi puissantes. Shiran en avait vaincu quatre, même s’il s’agissait d’une attaque surprise; il était donc peu probable que beaucoup d’entre eux soient au niveau de Travis.
Il y avait une cinquantaine de chevaliers. Si c’était tout, Lily et Gerbera pourraient…
Pendant un instant, une envie féroce de me lancer à leur poursuite sans penser aux conséquences m’envahit. Je m’étais même déconcerté par ces pensées. Heureusement, juste avant de passer à l’action, j’avais réussi à me maîtriser.
« Non, ne le fais pas », avais-je dit.
« Pourquoi ? » demanda Gerbera.
« Il y a encore des survivants ici. »
« Mh. »
Gerbera s’en était également rendu compte en observant les villageois tombés au combat. Certains d’entre eux respiraient encore. Grâce à la magie de perception de la brume, j’avais pu compter avec précision le nombre de villageois et leur état. Plusieurs d’entre eux allaient certainement mourir s’ils ne recevaient pas de soins. Pour certains, il était déjà trop tard. Je ne pouvais pas abandonner ces villageois qui avaient été attaqués pour un crime qui n’existait pas. De plus, comme Shiran était inconsciente, quelqu’un devait rester avec elle.
Lily devait soigner les villageois et je devais rester avec Shiran. Gerbera était la seule à pouvoir agir, mais elle était encore sous le choc de l’attaque de Travis; il était donc bien trop risqué de la laisser partir seule. Nous devions donc les laisser en paix. Je sentais que tous les chevaliers quittaient le champ d’action de la loge brumeuse.
« Ils se sont enfuis… », marmonnai-je, impuissant.
« Non, c’est l’inverse, maître. »
« Lily ? »
« Ils ne se sont pas enfuis. Nous les avons chassés. Je suis sûre que cela signifie quelque chose », dit-elle en serrant fermement ma main. « Alors faisons ce que nous pouvons, d’accord ? »
« Tu as raison », avais-je dit après une courte pause.
C’est exactement ce que Lily avait dit. En repoussant les chevaliers qui attaquaient le village, nous pouvions maintenant sauver certains des villageois, même si ce n’était que quelques-uns. Nous avions accompli quelque chose en venant ici, alors nous ne pouvions pas laisser ces vies nous échapper.
Je m’étais mis en marche.
« Lily, commence à soigner les blessés. Gerbera, va appeler les autres. J’utiliserai la brume pour garder un œil au cas où les chevaliers de Travis reviendraient pendant que nous secourons les survivants. »
Après avoir donné mes ordres, je m’étais mis au travail. J’avais utilisé la magie de perception pour localiser les survivants et déterminer l’ordre de priorité de leur traitement. En même temps, j’avais gardé un coin de mon esprit concentré sur la possibilité que le Saint-Ordre ait feint une retraite et revienne. Si c’est le cas…
Pendant un instant, une pulsion vicieuse avait grondé au fond de ma poitrine. Je m’étais rappelé la scène de ces chevaliers, censés protéger le peuple, qui pointaient leurs lames sur les villageois. Mes ongles s’étaient enfoncés dans mes paumes; j’avais inconsciemment serré les poings.
« Maître ? » demanda Lily.
« Ce n’est rien… »
J’avais soupiré pour évacuer la chaleur qui s’accumulait en moi. Pour l’instant, je devais sauver le plus de vies possible. Je m’étais remis au travail, mais la douleur lancinante dans mes paumes ne disparaissait pas.
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merci pour le sorcier