Chapitre 2 : Leitmeritz
Partie 1
Il faisait un cauchemar.
Nos forces étaient rassemblées sur une petite colline.
C’était l’heure du repas. Les soldats avaient placé un pot aussi profond qu’un tonneau sur un monticule, qui avait été transformé en un poêle. Ils préparaient un ragoût de poisson.
Il y avait une légère crête à l’avant des plaines de Dinant, qui atteignait un plateau dont on ne voyait pas la fin.
Il y avait vingt mille soldats de Brune, partageant un repas avec ses propres troupes. Des milliers de courants de chaleur flottaient vers le haut, et les soldats semblaient emprisonnés dans la vapeur.
Tigre et Mashas parlaient tout en remuant la nourriture dans le pot quand quelques jeunes hommes étaient apparus devant leurs yeux avec le bruit produit par leur armure.
« Alors Vorn, tu es aussi venu, » l’homme qui lui avait parlé avec un ton ouvertement moqueur était Zion Thénardier.
La maison Thénardier portait le titre de duc. Il s’agissait d’une longue et distinguée famille incomparable vis-à-vis de la maison Vorn. Il avait beaucoup d’aristocrates qui détenaient un pouvoir énorme, et le territoire qu’il possédait était vaste. Il était dit que le nombre de soldats mobilisés par leur famille pouvait atteindre les dix milles. Même dans cette guerre, qui avait été organisée à la hâte, ils commandaient une force de quatre mille hommes. Zion était le fils aîné et l’héritier de la maison Thénardier. Il avait actuellement 17 ans. Bien qu’il portait une armure décorée et possédait une splendide épée à sa taille d’une manière qui semblait digne de sa lignée, il affichait toujours une expression comme s’il regardait les autres de haut. Dans son dos se trouvait une troupe de jeunes hommes qui le flattait. Comme Zion, ils étaient des aristocrates nés dans des maisons ayant le rang de marquis ou de duc. Ils portaient des armures scintillantes avec le blason de leur maison respectif. Ils regardaient Tigre avec des grimaces et ne semblaient pas avoir de bonnes intentions.
Tigre ne pouvait pas simplement les ignorer, et se sentait obligé de faire preuve d’un minimum de courtoisie.
« … Je suis ici pour servir en tant que sujet loyal de Sa Majesté, alors je suis venu ici aussi vite que possible, » déclara Tigre.
« Bien qu’il soit admirable de dire cela, je ne suis pas sûr que tu seras d’une grande aide, » répliqua Zion.
Après que Zion ait ainsi ridiculisé Tigre, les rires des autres nobles s’étaient superposés au sien. C’était peut-être parce que leurs âges étaient semblables, mais Sion se moquait souvent de Tigre de cette manière.
« Je te l’ai déjà dit, ta famille de chasseurs n’existe que depuis quatre ou cinq générations. Je peux difficilement te reconnaître comme un noble, » il avait craché ses mots avec arrogance et avait immédiatement essayé de piétiner l’arc de Tigre, qui était placé sur le sol.
Tigre se déplaçait de façon réfléchie, ramassant son arc aussi vite qu’une bête sauvage.
« Uwah ! »
Zion avait trébuché, puis il avait perdu son équilibre et était tombé durement sur le sol, emmenant avec lui l’un de ses acolytes.
« Comment oses-tu faire ça à Maître Zion ! » s’écria l’un des partisans de Zion.
Face aux partisans enragés qui lui criaient dessus, Tigre avait répliqué en retour : « Je protégeais mon arc ! »
« Un arc ? Si c’est un arc, alors à quoi cela sert, espèce de lâche ! »
« C’est exact. Il n’y a rien de mal à casser cette merde. Tu devrais être sur la ligne de front avec une épée ! »
« Je suis sûr que le Dieu de la guerre, Trigraf, ne donnerait jamais ses bénédictions à quelqu’un comme toi ! »
Les autres partisans avaient exprimé leur approbation l’un après l’autre. Tigre avait alors fait grincer des dents dans la colère.
Dans le Royaume de Brune, leurs couplets étaient tout à fait acceptables.
« L’arc est l’arme d’un lâche qui n’a pas le courage d’exposer son corps devant une lame mise à nue. »
Un tel train de pensées était profondément enraciné dans l’Armée de Brune, qui utilisait peu d’archers. Non seulement les réalisations des archers n’avaient pas été prises en compte, mais en général, les archers étaient également considérés avec dédain.
« Les archers sont tous des chasseurs enrôlés, des fermiers qui ne possèdent pas de terres, des gens qui ont commis un crime grave en tant que guerriers — ou ceux qui ne sont pas doués avec l’épée ou la lance, afin de remplir les rangs. »
En raison d’un tel statu quo, ceux qui utilisaient des arcs, même en tant que soldats professionnels, étaient considérés comme des criminels et des échecs inutiles qui étaient méprisés.
Bien que l’ancêtre de Tigre ait reçu un territoire de chasse et le titre de comte pour ses distingués services militaires, Mashas lui avait dit : « S’il n’avait pas été un chasseur, il aurait probablement été promu à un rang encore plus élevé. »
« Calmez-vous, les gars. » Avec un peu d’aide, Zion avait réussi à se lever et à mettre un terme aux actions de ses partisans. Même s’ils étaient réticents, ils avaient cessé de blâmer Tigre.
Zion avait joué la comédie en se débarrassant de la poussière sur son armure. Il avait croisé les bras et s’était moqué de Tigre.
« Si tu restes à l’arc, n’est-ce pas parce que tu ne sais pas manier une épée ou une lance ? Ne penses-tu pas que si tu te diriges sur les champs de bataille avec un arc, ce serait à peine suffisant pour prétendre être un soldat ? »
Tigre était resté silencieux. C’était vrai qu’il était faible quand il s’agissait de manier une épée ou la lance. S’il s’y opposait, Zion lui demandait de prendre une épée ou une lance et de démontrer ses compétences, pour ainsi pouvoir se moquer de lui. Cela s’était déjà produit une fois auparavant.
Zion n’avait pas cessé de se moquer de lui depuis cette époque.
« Pour commencer, tu es un comte du Royaume de Brune, mais tu ne peux pas utiliser une épée ou une lance pour te rendre sur les champs de bataille et le tout sans porter d’armure. N’as-tu pas honte ? Les gars, regardez son apparence misérable. Il a un plastron de cuir, des gants en cuir et même des pantalons en cuir. Tout son équipement est en cuir. Tout au plus, son manteau est décent, mais si c’est la seule partie présentable, alors je suis vraiment triste de la situation financière de son territoire. »
« Seigneur Zion, » Mashas, qui était resté silencieux jusque-là, s’était mis à parler d’une voix maussade. « Vos paroles ont été perspicaces. Cependant, puisque vous avez dit tant de choses à la fois, vous devez sûrement avoir soif. »
Il avait continué en pointant du doigt vers une certaine direction. « Il y a du vin de Rayon qui est distribué là-bas. Pourquoi ne pas essayer d’en boire un peu, afin d’étancher votre soif ? »
Sur un ton poli et humble, l’attitude de Mashas avait fait pression sur l’autre groupe.
La dignité de ce vieux chevalier, qui venait d’avoir 55 ans, était intimidante pour Zion.
Zion grogna et recula involontairement lorsqu’il se rendit compte qu’il avait oublié ses manières. Il avait ensuite reniflé et s’était retourné. « Hé, allons-y. »
Tigre regarda Zion et les autres s’éloigner, et remercia Mashas après avoir vérifié l’état de son arc. « Merci. Tu m’as sauvé. »
« Ce n’est rien. C’est moi qui devrais m’excuser. Il aurait mieux valu que j’intervienne plus tôt, mais je n’ai pas trouvé l’occasion de faire irruption, » répondit Mashas.
Du point de vue de Zion, Mashas était un noble de faible rang qui n’était pas bien différent de Tigre. S’il n’arrivait pas au bon moment, il reniflait simplement en riant, rejetant toute argumentation.
Tout en se replaçant pour remuer la casserole, Mashas avait regardé dans la zone au hasard.
Qu’ils soient soldats ou nobles, tous se concentraient sur leurs pots, ou prenaient soin de leurs armes tout en se divertissant avec des bavardages. Pas une seule personne n’avait regardé dans leur direction, et cette indifférence avait atteint un état contre nature.
Ils avaient tous peur de Zion, alors ils évitaient d’avoir des contacts avec Tigre.
« Je comprends maintenant que manier l’épée et la lance n’est pas une preuve de courage, » Mashas avait parlé ironiquement.
Tigre voulait lui dire quelque chose, mais il avait fermé sa bouche à la fin. Non loin de là, les voix à peine audibles des nobles réunis atteignirent ses oreilles.
« Au fait, avez-vous entendu parler de ce que le duc Ganelon a fait ? »
« Vous parlez d’augmenter les impôts, en utilisant les préparatifs de guerre comme excuse ? »
« C’est exact. S’il y a une jeune fille dans une maison qui ne paie pas d’impôts, elle sera emmenée. S’il n’y en a pas, la maison sera mise en feu. »
« C’est vraiment enviable. J’aimerais aussi avoir l’autorisation de placer une taxe temporaire. »
☆☆☆
L’aristocrate n’avait pas l’air rancunier. Il ne faisait que grogner dans son insatisfaction.
Le duc Ganelon était l’un des nobles les plus influents du Royaume de Brune, au même titre que Thénardier. Il y avait aussi beaucoup d’aristocrates puissants parmi ses parents. Son pouvoir, aussi, était quelque chose que même le roi ne pouvait ignorer.
Lorsqu’il s’agissait de territoire, les nobles de Brune étaient autorisés à gouverner des parcelles de terre, mais pour certains privilèges, comme l’établissement des taxes, la permission du roi était nécessaire.
Non seulement le duc Ganelon était allé à l’encontre de cette règle et avait imposé des impôts sans consulter le roi, mais il avait également fait ces choses inhumaines sur son territoire. Pourtant, le roi le tolérait encore.
« Pour de telles histoires, le duc Thénardier n’est pas inférieur. Il a ordonné à son peuple d’arrêter de boire tant que la guerre durera. Ils ont dû remettre tout leur alcool tel un serment aux dieux. »
« Je vois. Mais il n’est pas difficile de se cacher ou de fabriquer de l’alcool. Qu’arrive-t-il à ceux qui sont reconnus coupables d’avoir violé l’interdiction ? »
« L’histoire sur l’enlèvement des filles de la famille est semblable à la méthode de Ganelon, mais comme avertissement, j’ai entendu dire que les épées sont données au mari et à la femme ou au père et au fils, et qu’on les oblige à s’entretuer avec eux. Il semble qu’ils parient même sur qui gagnera. »
Tigre avait serré le poing après avoir entendu ces conversations.
Mashas avait placé une main ridée sur le genou de Tigre alors qu’il était sur le point de se lever. « Calme-toi. »
« Comment puis-je rester calme ? » demanda Tigre.
« Même si c’est dur de ma part de dire ça, rien ne changerait, même si tu disais quelque chose, » déclara Mashas.
Il avait raison. Tigre s’était de nouveau assis, mais sa rage bouillonnait encore à l’intérieur de lui.
Il avait désespérément rectifié ses dents et avait tenu sa langue afin de se retenir d’agir par impulsion.
Il était en colère parce que Ganelon et Thénardier ne considéraient pas les individus au sein de leur domination comme des humains. Ils n’avaient pas hésité dans leur cruauté. Il était en colère contre les hommes qui parlaient à la légère de sujets aussi cruels et ceux qui ignoraient de telles choses sans aucun scrupule. Finalement, il était en colère contre sa propre impuissance, car il savait qu’il ne pouvait rien faire.
« L’histoire… est-elle vraie ? » demanda Tigre.
« Bien qu’il s’agisse d’une rumeur, il y en a eu beaucoup d’autres semblables à celle-ci. Pourtant, les personnes en question ne l’ont pas nié. Tu viens rarement dans la capitale, donc ce n’est pas étonnant que tu ne le saches pas, » répondit Mashas.
Peut-être qu’on ne pouvait vraiment rien y faire.
Tigre quittait à peine son territoire, la terre d’Alsace.
Il n’avait aucun désir de s’élever dans le monde et d’obtenir la gloire ou la richesse, et n’avait aucune ambition. C’est pourquoi il ne s’intéressait pas à son statut de noble.
De plus, dans son esprit, il n’avait aucune intention de traiter avec Zion, qui était l’un des fils des nobles.
« Sa Majesté, tolère-t-elle encore un tel comportement… ? » demanda-t-il avec crainte.
Il ne voulait pas le croire.
« Certainement, Sa Majesté ne leur a rien dit pour le moment, » répondit Mashas.
Le corps trapu de Mashas tremblait alors qu’il secouait la tête d’un air grincheux.
Il avait alors continué. « Je crois que Sa Majesté a ses propres affaires à régler. Un jour, si Sa Majesté ne peut plus les contrôler, au moins le Prince Regnas devrait… »
Les yeux de Mashas s’accrochaient à ce mince espoir. Soudain, il leva les yeux et fixa Tigre. Distrait, Tigre vit le doigt de Mashas s’approcher de lui, visant sa bouche, et la bloquer.
« Fue... ? »
C’était trop abrupt. Aucun mot ne pouvait sortir de la bouche de Tigre.
De plus, la main qui bloquait sa bouche était un peu froide et avait un goût indescriptible de fer.
Les Tenardier de ce monde sont aussi méprisable que le couple des Misérables de Victor Hugo 😈