Chapitre 1 : Rencontre avec la Vanadis
Partie 1
« Tigre ! Tigre ! Monsieur ! » La voix d’une fille qu’il avait l’habitude d’entendre atteignit ses oreilles. Il sentit en même temps son corps se faire secouer.
En raison de la lumière éclatante qui brillait à travers la fenêtre, il savait que le matin était venu, cependant, il avait encore sommeil.
« Encore un peu plus… oui, juste un peu plus longtemps, » murmura Tigre.
« Combien de temps est-il “un peu plus longtemps”, puis-je le demander ? » répondit la femme
« Je n’ai pas prévu d’aller chasser aujourd’hui, alors jusqu’à midi, » répondit Tigre.
« Ça suffit ! S’il te plaît, réveille-toi ! » La fille avait rugi alors qu’avant, elle avait parlé bien plus faiblement.
Après ça, il avait été dépouillé de sa couverture, ses épaules avaient été saisies et il avait été violemment réveillé.
Au moment où il ouvrit les yeux, il vit que le visage rouge vif de la fille, bouillante de colère, était à proximité de lui et le fusillait du regard.
Elle avait un visage enfantin, ce qui faisait qu’elle n’avait aucune puissance intimidante en elle-même quand elle était en colère contre lui. Ses cheveux châtains étaient noués en queues jumelles. Son petit corps était vêtu d’un uniforme avec de longues manches noires, une jupe noire qui descendait jusqu’à ses pieds et un tablier blanc qui dégageait une sensation de propreté.
« Ah… bon matin, Titta, » d’une voix lente et somnolente, Tigre appela le nom de la servante.
Voyant qu’il semblait enfin réveillé, Titta lâcha finalement ses épaules.
« Les soldats ont déjà fini leurs préparatifs depuis longtemps et ils vous attendent tous ! » déclara Titta.
Tigre devint alors confus alors qu’il réfléchissait à ce qu’elle venait de dire. Le sang s’était alors immédiatement précipité dans son visage quand il réalisa finalement ce dont elle parlait.
« Oh, merde ! » cria-t-il.
Il sortit à ce moment-là de son lit et Titta lui tendit un ensemble de vêtements pliés avec soins. À côté de ses pieds se trouvait un petit seau rempli d’eau.
« Je te remercie. Comme toujours, tu as préparé tout ça à la perfection, » déclara Tigre.
« C’est parce que je m’attendais à ce que ça arrive. Je vais préparer le petit-déjeuner. Alors, s’il te plaît, lave ton visage et change-toi en attendant, » déclara Titta.
Après que la colère ait disparu de son visage, Titta eut un sourire enjoué et s’inclina, tirant légèrement l’ourlet de sa jupe vers le haut en une révérence, et quitta gracieusement la pièce.
Tigre lava son visage. La sensation froide et rafraîchissante avait gommé la somnolence persistante qui avait été jusqu’à maintenant présente en lui. Il se précipita hors de la pièce en enfilant ses vêtements, les boutonna tout en courant dans le couloir.
« Comme je n’ai pas de temps à perdre… je ne peux toujours pas me relâcher, » déclara Tigre.
Il avait l’intention d’aller directement à la salle à manger, mais il se dirigea vers la petite pièce au bout du couloir.
Il s’agissait d’une pièce assez petite pour que trois adultes ne puissent pas s’asseoir ensemble à la fois. Placé à l’extrémité opposée de l’entrée de la pièce se trouvait un présentoir décoré de façon exquise sur lequel reposait un arc. La corde était tendue et ferme, et il semblait qu’il soit prêt à être utilisé à tout moment. Si l’on devait décrire l’arc en un seul mot, ce serait le mot « noir ». La poignée, la corde de l’arc… l’arc tout entier était d’un noir pur, sans éclat ni brillance. Il ne serait pas incroyable de dire que cet arc avait été taillé et fabriqué à partir des ténèbres.
… La simple vue de cet arc vous faisait avoir un sentiment d’oppression…
Cet arc mystérieux était un héritage familial de la famille Vorn, et il aurait été utilisé par leurs ancêtres chasseurs.
Le père de Tigre avait laissé derrière lui une dernière requête concernant l’arc.
« Utilise cet arc seulement quand tu en auras vraiment besoin. Tu ne dois l’utiliser dans aucune autre circonstance. »
Après s’être souvenu de la volonté de son père, Tigre avait ressenti un sentiment indescriptible vis-à-vis de l’arc, et il décida de ne pas le toucher.
Tigre se redressa, calma sa respiration, plaça son poing fermé contre sa poitrine et le déplaça horizontalement. Puis il s’était incliné en mémoire de ses ancêtres. Après avoir terminé cette action, il quitta tranquillement la pièce et se dirigea vers la salle à manger.
Tigrevurmud Vorn avait eu seize ans cette année. Il était né dans la maison de comte dans le Royaume de Brune et avait succédé à la tête de la famille après la mort de son père à cause d’une maladie. Son nom avait été transmis par ses ancêtres qui avaient obtenu la position de comte. Mais parce que son prénom était difficile à prononcer, et que lui-même le trouvait trop long et gênant à dire, il demandait à ses proches de l’appeler par le diminutif de « Tigre ».
Tigre entra dans la salle à manger et à ce moment-là, il sentit un délicieux arôme planer dans l’air.
Il y avait du jambon avec des œufs frits, du pain de seigle, du lait, de la soupe aux champignons et aux légumes, et tout cela était assez chaud pour qu’une vapeur légère s’en échappe. Le tout était posé sur une simple table à manger. Titta se tenait en attente à côté de la table.
« Juste la soupe fera l’affaire, » déclara Tigre.
« Ça ne va pas ainsi, » répliqua Titta. Quand il s’agissait de nourriture, elle était extrêmement têtue. « Veux-tu que ton estomac gronde devant tout le monde ? Ce serait inesthétique si cela se produisait. »
Titta plaça ses mains sur ses hanches et regarda directement Tigre. Il s’agissait d’un regard intense qui était très différent de celle d’une servante. Et pour dire la vérité, il était bien plus effrayant que quand elle l’avait réveillé juste avant ça. Tigre savait bien qu’il ne pouvait pas gagner face à cet argument, alors il céda facilement.
Après avoir trempé le pain avec du lait, il attrapa l’assiette et engloutit l’œuf frit et finit la soupe en seulement grandes gorgées.
« Merci pour le repas, » dit-il en se levant. Titta s’approcha immédiatement de lui, un peigne et une serviette dans ses mains.
« Il en reste encore un peu sur ta bouche. S’il te plaît, essuie-le correctement, » elle parla comme si elle était un peu fâchée, alors qu’elle essuyait sa bouche avec la serviette. « Tu as aussi des cheveux dans tous les sens, » elle tendit la main qui tenait le peigne et brossa soigneusement les cheveux de Tigre. « Regarde, même ton col est mal placé. » Elle posa le peigne et la serviette sur la table et replaça soigneusement son col. Tigre avait tranquillement accepté tout cela pendant ce temps.
« Tigre, » déclara Titta.
« Qu’est-ce qu’il y a ? » demanda Tigre.
La voix de Titta avait soudainement perdu sa rigueur, devenant plutôt féminine. Elle appela Tigre avec douceur. Parce qu’elle avait un an de moins que lui, il avait toujours pensé à elle comme sa jeune sœur.
« Pourquoi dois-tu partir et aller te battre ? » demanda Titta.
L’expression de Tigre devint un peu troublée face à la question. Il passa sa main dans ses cheveux roux. Il y avait des moments où Titta posait ce genre de questions difficiles, et il se perdait à essayer de trouver une réponse appropriée.
« C’est à cause du projet militaire de Sa Majesté, » répondit Tigre. « Il est naturel que la maison du comte Vorn contribue à l’effort de guerre pour le Royaume de Brune. »
« M-Mais…, » Titta leva les yeux vers Tigre avec des yeux larmoyants, et elle se défendit avec véhémence : « Ce n’était pas facile pour nous de rassembler une centaine de soldats. »
Il y avait beaucoup de types différents de nobles. Parmi eux, la maison de Tigre, sans être « pauvre », pourrait être décrite comme « rustique ». D’autres adjectifs similaires ne seraient pas non plus loin de la vérité. Tel était l’état de la famille de noble de Vorn.
Le territoire dominé par la Maison des Vorn s’appelait l’Alsace, qui était située à la campagne loin des zones centrales du royaume. Non seulement c’était une petite parcelle de terrain, mais elle était aussi dominée par les forêts et les montagnes, et il n’y avait donc pas grand-chose à en tirer. En conséquence, le mode de vie de Tigre était loin de ce que l’on pouvait attendre d’un noble. Il manquait à la fois de luxe et de grandeur. La maison dans laquelle il vivait n’était pas très grande. Le fait que Titta puisse à elle seule gérer toutes les corvées domestiques de la maison en était la preuve.
« En outre, » continua Titta. « J’ai entendu dire que l’ennemi est le Royaume de Zhcted. Si c’est le cas, ne devrais-tu pas rester ici ? Après tout, Zhcted et l’Alsace ne sont séparés que par une montagne. »
« C’est peut-être vrai, mais c’est ici un endroit aussi rural que possible. Même Zhcted ne penserait pas à envahir ici. Cela n’en vaut pas la peine, » répondit Tigre.
Pour Tigre, le fait que l’Alsace ne soit pas transformée en champ de bataille était une bonne chose.
« Q-Qui plus est… ne te prennent-ils pas tous pour un imbécile en raison de tes compétences de tir à l’arc ? » demanda Titta.
« Après tout, il est impossible de réaliser quelque chose d’équivalent à une chanson de geste [1] avec l’arc, » répondit Tigre.
« C’est bon selon moi, même sans chanson de geste ! » Titta insista bruyamment, avant d’enfouir son visage contre la poitrine de Tigre. « Mon seul… souhait est que tu ne te forces pas trop, qu’aucune blessure ne te soit infligée, et que tu me reviennes en bonne santé, s’il te plaît. »
La svelte servante enlaça légèrement Tigre.
« Ne t’inquiète pas trop, » dit-il. « Ne suis-je pas revenu indemne de ma première bataille il y a deux ans ? »
« Cette fois, Monseigneur Urs était…, » la voix de Titta s’était éteinte à mi-chemin. Urs était le défunt père de Tigre.
Afin de calmer le cœur de Titta, Tigre lui caressa légèrement la tête.
« Dans cette bataille, mon unité sera située derrière les forces principales, » déclara Tigre. « C’est un endroit sûr au milieu de la bataille. Et quoi qu’il arrive, je penserai à tout cela. »
Tigre leva la main pour essuyer les larmes se trouvant aux coins des yeux de Titta.
« J’ai compris, » acquiesça-t-elle. Puis elle avait dit. « É-Écoute bien, Tigre. S’il te plaît, ne dors pas sur le champ de bataille. »
« La façon dont tu dis ça donne l’impression que je suis toujours en train de dormir, » répliqua Tigre.
« Mais c’est la vérité, » réfuta Titta. « Les seules fois où tu te réveilles à l’heure, c’est quand tu vas à la chasse, n’est-ce pas ? »
Malgré ses paroles, Tigre savait que Titta l’encourageait de tout son cœur. Tigre la serra de nouveau dans ses bras tandis que Titta détendait son corps et laissait Tigre la tenir contre lui. Il pouvait sentir la chaleur de son corps même à travers ses vêtements, et ses cheveux châtains dégageaient un léger parfum. Bien qu’il aurait aimé rester comme ça un peu plus longtemps, il n’avait pas le temps. Tigre l’avait libérée à contrecœur.
« Titta, je compte sur toi pour garder la maison, » déclara Tigre.
Titta essuya ses larmes avec sa manche et lui déclara en souriant : « S’il te plaît, Tigre, laisse-moi me charger de ça. Et prends également soin de toi. »
Notes
- 1 chanson de geste : Une chanson de geste est un récit versifié (un long poème) le plus souvent en décasyllabes ou, plus tardivement, en alexandrins, assonancés et regroupés en laisses (strophes présentant la même assonance, de taille variable), relatant des exploits guerriers appartenant au passé.
Ce type de récit apparaît à l’aube de la littérature française, vers la fin du xie siècle (elles sont chantées entre 1050 et 1150). Les dernières ont été produites au cours du xve siècle. Les chansons de geste sont caractéristiques de la littérature médiévale et prennent la suite des grandes épopées de l’Antiquité. Elles sont rédigées en ancien français et en ancien occitan. Elles diffèrent d’un autre grand genre littéraire médiéval : la poésie lyrique, dont la langue cette fois-ci est uniquement l’occitan.