Acte 3 : Emmène-moi sur la Lune
Table des matières
***
Acte 3 : Emmène-moi sur la Lune
Partie 1
« D’accord, à plus tard, Mitsuki, » dit Yuuto.
« Bonne nuit, Yuu-kun. » D’une voix douce tel un murmure, Mitsuki Shimoya avait dit au revoir à son ami d’enfance, et avait appuyé sur l’icône Terminer l’appel sur l’écran tactile de son smartphone.
La pièce s’était alors remplie de silence, ce qui avait saisi son cœur d’un sentiment inexprimable de solitude.
La chambre de Mitsuki était mignonne et propre, avec des murs beiges et des rideaux roses aux fenêtres. Plusieurs animaux en peluche, tous de mignons loups, étaient assis bien en vue sur son lit et sa commode.
Il y avait un objet dans la pièce qui était en désaccord avec l’atmosphère par ailleurs féminine : sur son bureau se trouvait un vieux miroir antique rouillé.
C’était le miroir divin qui avait été enchâssé dans l’autel du sanctuaire de Tsukimiya dans la forêt, le catalyseur du transport de Yuuto à Yggdrasil.
La plupart des parents ne permettraient pas à une fille du collège de sortir tard le soir, et les parents de Mitsuki ne faisaient pas exception, mais elle avait voulu pouvoir rester en contact avec Yuuto. Elle avait donc à la place emprunté le miroir divin du sanctuaire.
Bien sûr, elle ne l’avait pas volé ou quoi que ce soit d’autre.
« C’est vraiment une étrange coïncidence, » murmura-t-elle à elle-même, en ramassant le miroir.
Mitsuki avait essayé de retrouver la personne responsable du sanctuaire, dans l’intention de la supplier de lui prêter le miroir, pour découvrir que c’était son propre grand-père.
Il s’était avéré que la lignée de la famille Shimoya possédait une longue histoire dans la région en tant que famille de haut standing et d’honneur, et qu’elle était chargée d’administrer les rituels shinto locaux depuis très longtemps. Ainsi, de génération en génération, un Shimoya avait été le responsable et le prêtre en chef du sanctuaire de Tsukimiya.
Ce fait avait été une surprise totale pour Mitsuki. Son père était un employé de bureau tout à fait normal qui travaillait de longues heures jour et nuit, et n’avait jamais fait allusion à ce genre de milieu familial.
Selon son grand-père, le sanctuaire avait déjà été en déclin au moment de sa génération. Dans la période chaotique qui avait suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale, il n’avait pas réussi à joindre les deux bouts et avait été contraint de le fermer.
Cela n’enlevait rien au fait qu’il était le propriétaire légitime et unique du miroir. Et en tant que grand-père avec une seule petite-fille, il était prêt à accéder à sa demande sans poser de questions.
« Et il est vraiment fait à partir d’Álfkipfer…, » murmura-t-elle.
Elle avait déjà confirmé que lorsqu’il était exposé au clair de lune, le miroir s’entourait d’une très faible lueur. C’était imperceptible en ce moment parce que les lumières de sa chambre étaient allumées, mais si elle les éteignait, elle pourrait le voir.
Cela correspondait à la description des objets fabriqués à partir d’Álfkipfer, le métal magique dont Yuuto lui avait parlé.
« Je n’arrête pas de me demander d’où ça vient ! » s’écria-t-elle.
Elle posa le miroir et retourna dans son lit, où elle avait évacué sa frustration en prenant un oreiller et en le frappant plusieurs fois contre le matelas.
Même son grand-père n’avait aucune idée de la façon dont le miroir était devenu la propriété de la famille Shimoya, si ce n’est qu’il avait été transmis à la lignée familiale pendant des siècles.
Ce miroir était fait d’un matériau que l’on ne trouvait nulle part ailleurs sur la Terre moderne, un matériau qui semblait n’exister qu’à Yggdrasil, où se trouvait Yuuto aujourd’hui.
Comment une telle chose s’était-elle retrouvée au Japon, transmise de génération en génération au sanctuaire de Tsukimiya ?
La résolution de cette énigme ne contribuerait-elle pas à révéler la vérité sur le monde mystérieux d’Yggdrasil, dont l’époque et l’emplacement actuels étaient encore incertains ?
Mitsuki n’avait aucune preuve solide que c’était le cas, mais ces pensées et ces questions la préoccupaient beaucoup ces jours-ci.
***
Mitsuki Shimoya était en troisième année du collège municipale de Hachio.
Hauteur : 155 centimètres. Poids : 46 kilogrammes.
Elle n’appartenait à aucun club scolaire et ses résultats scolaires et sportifs étaient à peine au-dessus de la moyenne. Il n’y avait rien de particulièrement spécial ou de rédempteur en elle, c’était juste une fille parfaitement ordinaire que l’on pouvait trouver n’importe où.
C’est du moins ce qu’elle croyait.
« Oh, franchement, tu es la seule qui pense que tu es simple ! »
C’était la pause déjeuner, et la fille assise en face de Mitsuki avait fait une tête exaspérée. Elle ponctua son objection d’un mouvement de sa main telle une frappe, pointée droit sur la poitrine ample de Mitsuki.
« Kh ! Cela a rebondi… tout de suite !? Mitsuki, quelle fille terrifiante tu es ! » s’écria l’autre fille.
« Bon sang, ne fais pas ça, Ruri-chan ! » Mitsuki plaça une main sur sa poitrine, rougissant, tandis que son amie faisait une pose exagérée comme si elle avait été projetée à l’envers.
La fille s’appelait Ruri Takao. Elle et Mitsuki étaient des amies inséparables depuis leur troisième année d’école primaire.
Elle avait la poitrine plate.
Totalement et déraisonnablement plate.
Si plate que les garçons plus méchants de l’école l’avaient taquinée pour cela, l’appelant des surnoms sans cœur comme les « Petits seins dans les Prairies ».
Ruri avait une cousine plus âgée qu’elle admirait et qu’elle adorait, qui avait la chance d’avoir tout ce qu’il fallait : une intelligence supérieure, un talent athlétique supérieur et une beauté exceptionnelle — mais même elle manquait apparemment dans ce domaine. C’était probablement l’une de ces choses qui faisait partie de la famille.
« Grrr, ce n’est pas juste ! Donne-les-moi ! Allez, j’en ai juste besoin d’un peu ! Donne… moi… en un peu ! » Ruri s’était soudain précipitée sur les seins de Mitsuki, les saisissants et les frottants avec force.
« Ruri-chan, arrête — ahhh ! » s’écria Mitsuki.
Mitsuki poussa Ruri loin d’elle et croisa rapidement les deux bras au-dessus de sa poitrine pour se protéger du mieux qu’elle le pouvait.
Elle savait que Ruri n’avait fait qu’une blague inoffensive, mais elle savait que tous les garçons de la classe la regardaient droit vers cette zone. Elle était si embarrassée qu’elle avait l’impression d’avoir le visage en feu.
Ruri remarqua aussi les regards et s’excusa en se grattant maladroitement l’arrière de la tête avec une main. « … Ah. Désolée. Je n’ai pas pu m’en empêcher. »
Elle n’était pas une mauvaise fille ou quoi que ce soit d’autre. Mais de temps en temps elle avait l’habitude d’agir sur le moment sans réfléchir. Selon Ruri elle-même, ce trait de personnalité était exactement comme un autre de ses cousins, un garçon plus âgé.
Mitsuki s’était retrouvée à penser qu’il n’était pas bon d’excuser chaque trait de caractère comme étant dû à la génétique familiale.
« Non, c’est bon, Ruri, » dit gentiment Mitsuki. « Mais… ce n’est pas si génial que ça, tu sais ? Les regards que je reçois des garçons en ce moment sont vraiment inconfortables, et mon dos et mes épaules deviennent raides et douloureux. »
« Même ainsi ! Même ainsi… ! S’il te plaît, c’est le vœu désespéré de mon peuple ! » Ruri claqua les mains sur le dessus de la table pour ponctuer sa fervente pétition.
« Tu as un peuple !? » Ne sachant pas trop comment réagir, Mitsuki ne pouvait faire qu’un rire sec et nerveux.
C’était vrai que Ruri n’avait pas de seins, mais elle était quand même belle, avec un joli visage et une manière intelligente, amicale et facile à parler qui la rendait très populaire auprès des garçons. Pour autant que Mitsuki le sache, Ruri avait déjà reçu plusieurs confessions d’amour.
Mitsuki ne pensait pas que Ruri devait s’en inquiéter. Mais peut-être que Ruri regardait les corps de toutes les filles autour d’elle commencer à mûrir et commençait à se sentir comme si elle était laissée pour compte. Peut-être que c’était ce qui l’énervait tant.
« Dis-moi, quel est le secret pour qu’ils soient si gros ? Je t’en supplie, Mitsuki, ma déesse ! » demanda Ruri.
Les autres filles qui déjeunaient autour de la table s’en étaient mêlées. « Oh, dis-le-moi aussi ! »
« Ouais, moi aussi, moi aussi. »
Après tout, il s’agissait de filles en dernière année de collège. C’était un sujet qui intéressait toutes les filles de leur âge.
« Vous dites tout ça, mais… Je n’ai rien fait de spécial, » dit Mitsuki, perplexe.
Ruri, cependant, ne semblait pas l’accepter. « Objection !! »
Elle avait montré Mitsuki avec ses baguettes.
« Nous en sommes à notre troisième année de collège, donc je ne peux pas considérer que c’est juste à cause de bons gènes ! C’est là que l’idée m’est venue : les gens disent toujours que nous sommes ce que nous mangeons, non ? » déclara Ruri.
« Euh, euh, d’accord. »
« Donc, sur cette note… Yoink ! »
« Ahh — ! »
C’était fini avant même que Mitsuki puisse exprimer une réaction. Avec des mouvements aussi rapides que l’éclair, les baguettes de Ruri avaient arraché l’un des petits pains d’omelette de sa boîte à lunch.
Ruri prit son temps à mâcher ses gains mal acquis, à savourer la saveur, puis, les yeux fermés, elle poussa un long soupir enchanté.
« Ahh, les déjeuners de Mitsuki sont vraiment les plus délicieux ! Tu t’es encore améliorée, » déclara Ruri.
« Oooh, vraiment ? Laisse-moi goûter. »
« Ah, je veux aussi essayer. »
« Moi aussi, moi aussi ! »
« Quoi — attendez, tout le monde, qu’est-ce que vous… !!? » s’écria Mitsuki.
Comme trois autres paires de baguettes arrivaient de différentes directions en même temps, Mitsuki ne pouvait rien faire d’autre que regarder, les larmes aux yeux, alors qu’on lui volait tous ses plats d’accompagnement.
« Mmm, tu as raison, c’est encore meilleur. »
« Whoa, qu’est-ce que c’est que ça !? Je n’ai jamais essayé celui de Mitsuki, mais c’est trop bon ! »
« C’est vraiment très bon. Mitsuki, tu l’as fait toi-même, non ? Pas ta mère ? »
« Eh, u-um, ou-oui, c’est vrai. Eheheheh, est-ce vraiment si bon que ça ? » Mitsuki bégaya, souriant timidement.
Quoi qu’il en soit, les entendre faire l’éloge de la nourriture qu’elle avait préparée et la qualifier de délicieuse était une sensation plutôt bonne.
Le simple fait d’entendre cela suffisait amplement pour lui pardonner d’avoir perdu quelques plats d’accompagnement de son déjeuner, même si elle trouvait que c’était probablement un peu trop gentil de sa part. Mais elle savait aussi qu’après, chacune de ces filles la rembourserait avec quelques plats d’accompagnement de leur propre boîte à lunch.
Ruri acquiesça d’un signe de tête. « C’est le pouvoir d’une jeune fille amoureuse. Mitsuki, quelle fille terrifiante tu es ! »
« Quoi — Ruri-chan!? » Mitsuki s’exclama.
Les autres camarades de classe s’étaient penchés en avant avec empressement.
« Ohhhh, cet ami d’enfance dont j’ai entendu parler ? Tu dois vraiment l’aimer. »
« Il a un an de plus, non ? »
« Tu travailles si dur pour l’amour d’un garçon qui est parti si loin… Mitsuki, tu es vraiment fidèle et dévouée, n’est-ce pas ? »
« Nnnh... »
Alors que les louanges se transformaient en taquineries ludiques, le visage de Mitsuki devint rouge vif et elle baissa les yeux, gênée et incapable de parler.
Un peu plus loin derrière elle, il y avait plus d’une douzaine de ses camarades de classe de sexe masculin qui brûlaient des flammes meurtrières de la jalousie, pour cet ami d’enfance qu’ils n’avaient même jamais rencontré. Mais ce sujet est une histoire pour une autre fois.
***
Partie 2
« Ruri-chan, je te l’ai déjà dit ! Ne parle pas de Yuu-kun à l’école. » Mitsuki gonfla ses joues avec frustration alors qu’elle s’offusquait contre son amie.
Les cours étaient terminés, et elles étaient sur le chemin du retour de l’école. Il n’était encore qu’un peu plus de quatre heures de l’après-midi, mais le soleil avait déjà commencé à se coucher. Maintenant que nous étions en décembre, la soirée arrivait rapidement chaque jour.
Alors que le soleil s’enfonçait dans l’horizon à l’ouest, il peignait d’une teinte rougeâtre les vastes champs et les toits de tuiles des maisons japonaises à l’ancienne. C’était un paysage typique de la campagne rurale.
Cela dit, on pouvait voir ici et là les signes d’un empiétement de la vie moderne : les routes étaient toutes pavées d’asphalte, de nombreuses maisons avaient des voitures personnelles et des camions stationnés à l’extérieur, et les maisons elles-mêmes avaient des climatiseurs et des antennes satellites.
« Ruri-chan, tu sais que ça me causera des problèmes s’ils me demandent plus de détails, » poursuit Mitsuki, sa colère cédant rapidement au malaise.
Son ami d’enfance, Yuuto Suoh, avait été transporté dans un autre monde connu sous le nom d’Yggdrasil, où il régnait maintenant comme une sorte de seigneur.
Bien sûr, une seule mention de cela suffirait pour que les autres à l’école la voient comme une de ces personnes grincheuses et délirantes qui croyaient en ses propres fantasmes, c’était clair. Cela lui avait déjà été douloureusement apparent il y a deux ans et demi.
La vie des filles était centrée sur le maintien d’une bonne image et d’une bonne réputation auprès de leurs pairs, beaucoup plus que celle des garçons. Mitsuki en avait déjà eu assez d’avoir à subir les regards étranges des gens qui l’entouraient.
« Alors, à propos de Tama-chan, tu savais qu’elle avait un faible pour Ikeda-kun ? » demanda Ruri.
« Hein ? » Mitsuki inclina la tête. « Pourquoi as-tu changé de sujet ? Par Ikeda-kun, tu veux dire celui de notre classe ? »
Il y avait un garçon avec le nom de famille Ikeda dans leur classe, et Tama-chan était le surnom d’une des filles de leur groupe d’amies. Mitsuki était un peu confuse par le sujet apparemment sans rapport.
« Oui, c’est celui-là, » répondit Ruri.
« Wooow, vraiment ? Je ne le savais pas. Euh… Eh bien, alors je suis avec elle ! » s’exclama Mitsuki.
« Mais il s’avère qu’Ikeda-kun a un faible pour toi, Mitsuki, » déclara Ruri.
« Quoi — Euh !? Eeeeehhhhhhhhh !? C’est un problème ! C’est un gros problème ! » s’exclama Mitsuki.
« C’est pourquoi j’ai pris l’initiative et je me suis assurée que tout le monde sache qu’il y a déjà quelqu’un pour qui tu as des sentiments, » déclara Ruri.
« Oh…, » les points s’étaient finalement connectés dans la tête de Mitsuki.
C’est pourquoi, pendant cette conversation à l’heure du déjeuner, Tama-chan avait été celle qui parlait le plus fort, en disant des choses comme « Ohhh, cet ami d’enfance dont j’ai entendu parler ? Tu dois vraiment l’aimer ! Tu travailles si dur pour l’amour d’un garçon qui est parti si loin… Mitsuki, tu es vraiment fidèle et dévouée, n’est-ce pas ? »
Elle l’avait fait pour s’assurer qu’Ikeda-kun l’entende et, espérons-le, abandonne Mitsuki.
Ruri avait continué. « Tu es un peu inconsciente parfois quand il s’agit de choses comme ça, Mitsuki. Je suis vraiment inquiète pour toi. »
« … Merci, Ruri-chan, » déclara Mitsuki.
« Il n’y a pas de quoi. Personne n’aime être rejeté, mais je sais qu’avoir à rejeter quelqu’un est aussi horrible, » déclara Ruri.
« Ouais. » Mitsuki hocha la tête doucement. Elle avait compris que ce n’était pas tout ce dont il s’agissait.
Ruri n’avait pas seulement protégé Mitsuki des sentiments d’Ikeda-kun, mais aussi de ceux de Tama-chan. Par extension, elle avait protégé l’harmonie de l’ensemble de leur groupe.
Si Ikeda-kun avait effectivement avoué ses sentiments à Mitsuki, cela n’aurait pas eu d’importance qu’elle l’accepte ou le rejette, cela aurait quand même aggravé l’impression que Tama-chan avait d’elle, et aurait même pu ruiner l’atmosphère dans leur cercle.
Mitsuki avait frissonné à l’idée qu’elle marchait sur un champ de mines social sans même s’en rendre compte.
Il n’y avait rien d’aussi fragile et peu fiable que l’amitié d’une femme quand il s’agissait d’amour.
« Honnêtement, je n’arrive pas à croire que ce type ait laissé une amie d’enfance aussi mignonne, gentille et adorable dans cet état, » dit Ruri avec indignation. « Dépêche-toi et ramène ton cul ici ! » Ruri claqua son poing dans la paume de son autre main.
Elle n’avait pas mentionné son nom, mais cela allait sans dire de qui elle parlait. D’après son langage corporel, elle avait l’air plus que prête à lui en mettre une s’il y arrivait.
« Hé, Yuu-kun fait tout ce qu’il peut pour trouver un moyen de rentrer chez lui, alors ne dis pas des choses comme ça ! » s’exclama Mitsuki.
« Ouais, eh bien, je n’en suis pas si sûre. On dirait plutôt qu’il s’éclate entouré d’une bande de jolies filles qui se colle à lui. Hmph ! » Après ça, Ruri avait levé le nez en signe de mépris.
Ruri était la seule et unique personne avec qui Mitsuki partageait des informations sur la situation actuelle de Yuuto. Lorsque l’incident s’était produit pour la première fois, aucun des adultes ne voulait croire l’histoire de Mitsuki, mais Ruri l’avait écoutée sérieusement et avait confiance qu’elle disait la vérité.
À partir de ce moment, Ruri était devenue l’amie la plus proche et la plus fiable de Mitsuki.
« Ah ha ha ha… Je lui ai demandé de m’envoyer des photos de tout le monde, et… c’est vrai, tu sais, elles sont toutes vraiment jolies, » après un rire un peu sec, Mitsuki avait fait apparaître une expression sombre.
Yuuto insistait toujours sur le fait qu’ils n’étaient rien de plus que ses frères et sœurs assermentés et ses filles au sein du clan, mais pour une jeune fille amoureuse, c’était toujours une source d’inquiétude.
« Mais… Je crois en Yuu-kun ! » Mitsuki ajouta rapidement.
« Même si vous ne vous êtes pas confessés l’un à l’autre ? » demanda Ruri.
« Urk ! » Les mots de Mitsuki s’enfoncèrent dans sa gorge, alors que Ruri avait frappé un point douloureux.
Pour le meilleur ou pour le pire, Ruri était le genre de fille qui disait toujours exactement ce qu’elle avait en tête en ce moment.
« C’est parce qu’il me le dira quand il rentrera à la maison… J’en suis presque sûre, » déclara Mitsuki.
Même en parlant à Yuuto au téléphone, Mitsuki avait compris ce qu’il ressentait vraiment pour elle. Et elle pouvait aussi dire qu’il se retenait, évitant délibérément de dire quoi que ce soit de définitif à ce sujet.
Il était son ami d’enfance, elle savait combien son sens des responsabilités était fort. Il se retenait probablement pour elle, ne voulant pas l’attacher alors qu’il n’avait aucune garantie qu’il serait capable de revenir dans son monde.
Elle savait que c’était sa façon de faire ce qu’il croyait être la chose juste et responsable, mais elle se sentait frustrée et impatiente.
« Par contre, va-t-il te le dire ? » Ruri avait jeté un regard empli de doute sur Mitsuki. « Ce type a une mentalité très démodée, non ? Les Japonais à l’ancienne sont, genre, super timides quand il s’agit de leurs sentiments. Prends mon défunt grand-père, par exemple. Apparemment, il a seulement dit à ma grand-mère qu’il l’aimait la seule fois, et c’était sur son lit de mort. »
« Eh bien, je continue de penser que c’est comme s’ils formaient un couple très heureux à leur façon, » répondit Mitsuki. De son point de vue, le fait qu’ils soient restés ensemble pendant des décennies, capables de s’aimer jusqu’à la fin, était merveilleux et romantique.
« Je ne sais pas. Même maintenant, ma grand-mère s’en plaint encore beaucoup. Genre : “Si tu voulais le dire, dis-le plus tôt !” Des trucs comme ça. »
« O-oh, je vois. » Mitsuki était tendue, incapable de dire grand-chose d’autre.
En fin de compte, la réalité n’était pas si nette et ordonnée.
D’autre part, puisque la grand-mère de Ruri aurait aimé que son mari lui dise qu’il l’aimait davantage, on pourrait interpréter cela comme signifiant qu’elle l’avait toujours aimé, de sorte qu’à la fin, ils formaient encore un couple heureux.
« Et puis il y a cette histoire vraiment célèbre de l’auteur Natsume Sōseki, où un de ses étudiants a traduit la phrase anglaise “I love you” directement en japonais, et il… »
« Ohh, je connais celui-là ! Il a dit à l’élève de le traduire par “La lune est belle”, non ? » demanda Mitsuki.
« C’est vrai. Il disait en gros : “Tu crois qu’un Japonais dirait une chose aussi embarrassante directement ?” » demanda Ruri.
« Après tout, j’ai l’impression que Yuu-kun ne va pas se confesser à moi…, » une fois de plus, le visage de Mitsuki était éclipsé par la morosité et ses épaules se baissèrent en se sentant déprimées.
« Dans ce cas, pourquoi ne pas lui dire d’abord ? » demanda Ruri.
« Qu’est-ce qu’il y a ? » demanda Mitsuki.
« Est-ce que c’est quelque chose qui te surprend ? Noël, c’est après-demain. C’est l’occasion parfaite, non ? » demanda Ruri,
« Euh, ouais. Oui, tu as raison, mais, euh…, » Mitsuki commença à trébucher sur ses paroles, alors que son visage devenait rouge.
Maintenant que la situation était à l’envers, elle se demandait si elle pouvait attacher Yuuto quand il n’était pas certain qu’ils se reverraient un jour. Et elle se demandait si des filles comme Félicia et Linéa, qui pourraient être là avec lui, seraient de toute façon plus compatibles avec lui. Ces pensées intrusives avaient paralysé son cœur.
Comme il sied à des amis d’enfance qui avaient grandi ensemble, c’était l’un des points sur lequel Yuuto et Mitsuki étaient au fond assez identique.
« Bon sang de bonsoir. Si c’est comme ça que tu es, je pense que nous allons tous les deux passer un Noël solitaire cette année, » dit Ruri avec un sourire amer.
« Toutes les deux ? Mais Ruri-chan, tu es populaire. Tu pourrais avoir un petit ami si tu voulais, » déclara Mitsuki.
« Hmm, ouais, mais je ne trouve pas vraiment les garçons de notre âge très attirants, alors…, » avec un doigt pensif sur sa lèvre, le regard de Ruri avait dérivé dans l’espace, comme si elle regardait quelque chose dans son esprit.
Ces mots et ce langage corporel avaient suffi à faire réaliser quelque chose à Mitsuki.
Mitsuki s’approcha de Ruri et se pencha devant elle, se retournant pour la regarder avec un petit sourire espiègle. « Hmm. Je vois. »
« Qu-Quoi !? » s’exclama Ruri.
« Tu as déjà quelqu’un que tu aimes bien. Quelqu’un de plus âgé, » déclara Mitsuki.
« Urk. » Maintenant, c’était au tour de Ruri d’avoir sa voix coincée dans sa gorge. Merde, elle l’a compris ! C’était écrit sur son visage.
C’était dans la nature humaine de vouloir insister pour obtenir plus de détails dans une situation comme celle-ci. Partout, dans le monde, dans le passé et dans le présent, parler d’amour et de relations était une activité préférée des filles, et Mitsuki ne faisait pas exception.
***
Partie 3
« Je ne savais pas que tu avais quelqu’un comme ça dans ta vie, Ruri-chan, » se moquait Mitsuki.
« Ça n’a pas d’importance ! Oublie-moi ! En ce moment, on parle de toi, donc…, » déclara Ruri.
« Aww, ne sois pas comme ça. On est amies, n’est-ce pas ? J’aimerais que tu m’en dises plus, » déclara Mitsuki.
« Écoute, ce n’est même pas assez intéressant pour qu’on puisse t’en parler, OK ? » déclara Ruri.
« Je déciderai quand tu me l’auras dit, » déclara Mitsuki.
« Urgh…, » Ruri était incapable de supporter la pression du regard persistant de Mitsuki, et alors qu’elle cherchait une excuse pour ne plus parler, elle avait fait un pas en arrière, puis un autre.
Sans rien rater, Mitsuki s’avança chaque fois.
Réalisant qu’elle ne pouvait pas gagner, Ruri détourna le regard et parla dans un murmure hésitant. « … C’est mon cousin plus âgé. »
« Ohh, c’est donc ça. Mais je ne vois pas pourquoi tu devrais garder ça secret. Les cousins peuvent après tout se marier au Japon, » répondit Mitsuki.
« Il a déjà une petite amie. Une très jolie, » déclara Ruri.
« Oh, je vois. Donc tu es un peu coincée à porter le flambeau en ce moment, » déclara Mitsuki.
« … Ouais. »
« Tu sais, Ruri-chan, tu m’écoutes toujours quand je me sens déprimée ou quand j’ai besoin de me plaindre de certaines choses. Alors si jamais tu as besoin de dire quelque chose, parle-moi, d’accord ? Je serai là pour écouter, » déclara Mitsuki.
« Ouais, d’accord. Merci. Merci. » Ruri sourit, mais c’était un sourire solitaire en contraste avec la fille brillante et énergique qu’elle était habituellement.
L’air entre les deux filles devint lourd et elles furent silencieuses pendant un moment, le seul bruit étant leurs pas sur le trottoir.
Soudain, Ruri leva les deux bras en l’air et cria vers le ciel. « Arrrghh ! Ce genre d’attitude noire est bien trop déprimante pour moi ! »
Elle tourbillonnait autour d’elle pour faire face à Mitsuki et criait. « Mitsuki ! Tu es libre pour Noël, non ? »
« Euh, euh, oui, je le suis. Je n’ai après tout personne avec qui être, » déclara Mitsuki.
« Très bien, alors, viens chez moi ! » déclara Ruri.
« Hein ? » s’exclama Mitsuki.
« Grande sœur Saya… c’est-à-dire que ma cousine aînée Saya rentre de l’étranger pour la première fois en un an. Et comme c’est juste à temps pour Noël, on va faire une grande fête. Alors tu devrais aussi venir ! » déclara Ruri.
« Mais si c’est un rassemblement pour ta famille, je ne suis pas sûre que ce serait approprié pour moi de…, » déclara Mitsuki.
« C’est bon. Grande sœur Saya amène aussi des amies à elle. Allez, viens ! Plus on est de fous, plus on rit ! » déclara Ruri.
« Hmm, mais, umm…, » Mitsuki hésita, délibérant sur ce qu’il fallait faire.
Pour commencer, elle n’était pas particulièrement sociable. Être entourée d’une bande d’étrangers à une fête, c’était quelque chose qui l’épuiserait.
Je suis reconnaissante de l’invitation, mais… Mitsuki avait déjà trouvé un moyen poli de refuser l’offre, mais au moment où elle s’apprêtait à prononcer les mots, une pensée errante lui vint à l’esprit, un peu comme un éclair d’inspiration.
« H-hey, Ruri-chan. Ta cousine Saya, c’est elle qui est très intelligente, non ? » demanda Mitsuki.
« Euh, oui, c’est vrai. Elle est incroyablement intelligente ! » déclara Ruri.
« Donc, je me demandais juste, mais, est-ce qu’elle saurait quelque chose sur l’archéologie ou l’histoire ancienne ? » demanda Mitsuki.
Mitsuki n’avait aucune logique ou croyance particulière pour poser sa question. C’était juste que la nuit précédente, elle s’interrogeait sur l’origine du miroir divin du sanctuaire de Tsukimiya, et c’était encore un peu dans son esprit, alors elle s’était dit qu’elle pouvait aussi bien demander.
Mais peut-être le mot « fatal » avait-il été inventé pour ce genre d’action instinctive.
Car, alors que cela s’ÉTAIT produit, cette question sans prétention allait façonner grandement le destin de Mitsuki et de Yuuto.
***
Le lendemain matin, Mitsuki était déjà en route pour visiter la maison de la famille Takao.
Elle pensait qu’il n’y aurait pas beaucoup de chance d’avoir une longue et sérieuse discussion au milieu d’une fête de Noël. Mais aujourd’hui, c’était l’occasion parfaite. C’était le 23 décembre, jour férié national célébrant l’anniversaire de l’Empereur.
Quand Mitsuki avait été conduite dans le salon, une belle femme aux cheveux blonds et aux yeux bleus l’avait saluée d’un geste amical. Son apparence était tout à fait en désaccord avec celle de la salle, qui était décorée dans un style classique de l’époque Showa japonaise.
« Bienvenue chez nous, Mitsuki-chan, » dit la femme. « Je suis Saya Takao. C’est un plaisir de vous rencontrer. »
Elle était une parente de Ruri, donc naturellement ses traits faciaux étaient assez semblables à ceux de sa cousine, mais comme on pouvait s’y attendre d’une femme de sept ans de plus, il y avait une aura d’allure adulte en elle, une aura qu’une jeune fille ne pourrait jamais espérer imiter. Elle était exactement le genre de femme à qui le terme « beauté cool » était destiné.
« U-um, c’est un plaisir de vous rencontrer, » déclara Mitsuki avec hésitation. « Je suis Mitsuki Shimoya. Merci de me recevoir aujourd’hui. »
Un peu nerveuse, Mitsuki inclina poliment la tête.
« Vous devez avoir froid. Placez-vous à côté du kotatsu et mettez-vous à l’aise. »
« O-Oui, merci, » répondit Mitsuki.
Acceptant l’hospitalité de Saya, Mitsuki enleva et plia son manteau, puis s’assit et mit ses jambes sous la couverture du kotatsu.
Saya regarda Mitsuki tranquillement pendant un moment, les yeux pétillants d’intérêt, avant de dire, presque avec désinvolture. « Alors, j’ai entendu dire que votre ami d’enfance a été envoyé dans un autre monde dans le passé ? »
« Ngh... ! » Mitsuki ne s’y attendait pas, et elle se tourna instinctivement vers Ruri, qui était assise à côté d’elle.
Ruri haussa les épaules, avec un rire un peu coupable. Il semblait qu’elle avait déjà raconté à Saya une partie de l’histoire.
« Ne me croyez-vous pas, hein ? » demanda Mitsuki en soupirant de tristesse.
Elle savait qu’il s’accrochait à un mince espoir, mais la possibilité d’avoir un indice l’avait convaincue de rassembler son courage et de venir ici aujourd’hui. Pourtant, ce courage était déjà sur le point de craquer.
On dirait que ce qu’elle recevait maintenant, c’était des yeux qui regardaient quelque chose d’intéressant… elle en avait fait l’expérience plusieurs fois depuis ce jour-là, il y a deux ans et demi, mais elle ne s’y était jamais habituée. D’après son expérience, un tel regard signifiait que l’autre personne n’allait pas la prendre au sérieux, et à la fin, elle n’aurait été blessée que par ses sentiments.
« Ahhhh, non, non, non, ne tirez pas de conclusions hâtives, » dit Saya rapidement.
« Non, ce n’est pas grave. Même moi, je sais à quel point c’est absurde, » déclara Mitsuki.
Après ces deux ans et demi, Mitsuki avait l’habitude de savoir que personne ne la croirait. La police, les adultes de son école, ses camarades de classe, ses parents et ses grands-parents… aucun d’eux ne la prenait au sérieux. Ruri, et une autre personne étaient les seules exceptions.
Demander à quelqu’un de croire l’histoire d’une fille qu’ils venaient juste de rencontrer était complètement déraisonnable, Mitsuki l’avait elle-même compris.
« Non, vous avez vraiment tout faux, » dit Saya. « C’est juste que je me disais : “Ahh, je dois avoir une affinité pour m’impliquer dans ce genre de choses”… C’est la seule raison pour laquelle j’ai réagi comme ça. »
« Une… affinité pour s’impliquer ? » Mitsuki fixa Saya d’un regard vide, qui riait d’elle-même comme si elle se souvenait de quelque chose d’il y a longtemps.
« Oui, c’était il y a environ quatre ans maintenant… Il s’est passé beaucoup de choses, » déclara Saya.
« Um, je vois…, » déclara Mitsuki.
« De toute façon, mon histoire n’est pas importante en ce moment. Nous sommes ici pour parler de votre ami coincé dans le passé, n’est-ce pas ? Alors, avez-vous déjà entendu le terme “OOPArts” avant ? » demanda-t-elle.
Mitsuki hocha la tête. « Oui, c’est un nom utilisé pour décrire des objets qui ne correspondent pas à la civilisation de l’époque à laquelle ils sont censés appartenir. Ils auraient dû être impossibles à créer en utilisant les connaissances ou la technologie de la culture de l’époque. Des choses comme ces fameux crânes de cristal. OOPArts est une abréviation du nom anglais “out-of-place artifacts”, non ? »
Depuis que Yuuto avait été envoyé à Yggdrasil, Mitsuki avait fait ses propres recherches. C’est un sujet qu’elle connaissait très bien.
Après tout, Yuuto avait été, et était toujours, continuellement en train de créer un tel phénomène dans ce monde du passé.
« Mm-hm, c’est vrai, » dit Saya. « C’est exactement ça. Donc, assez étonnamment, en archéologie, ces choses sont beaucoup plus courantes qu’on ne le pense. Prenons l’exemple des Sumériens de l’ancienne Mésopotamie. C’est comme s’ils étaient apparus de nulle part, seulement pour créer une civilisation de haut niveau qui était étrangement beaucoup plus avancée que la norme pour cette époque. C’est l’un des plus grands mystères de l’archéologie d’aujourd’hui. Bien sûr, si quelqu’un de plus loin dans l’avenir avait d’une façon ou d’une autre été poussé vers le passé, cela rendrait les choses cohérentes. »
« Alors, vous me croirez ? » demanda Mitsuki.
« Je ne peux pas garantir cela, car pour l’instant, ce serait malhonnête de le faire. Mais je peux vous dire tout de suite que je ne vais pas m’entêter à rejeter votre histoire d’emblée, simplement parce que la prémisse ne semble pas scientifiquement faisable. » La voix de Saya était sérieuse et sincère, et elle regardait Mitsuki droit dans les yeux tout en continuant. « Pouvez-vous m’en parler en détail ? Je ne pense pas que j’ai eu toutes les informations pertinentes juste en entendant parler de ça par Ruri. Après avoir entendu toute l’histoire de votre part, je déciderai si je peux le croire ou non. »
« Merci… merci beaucoup, » dit Mitsuki. La réponse sincère et honnête de Saya lui avait fait bonne impression.
Si Saya avait facilement proclamé qu’elle croyait à l’histoire, alors Mitsuki aurait supposé, en se basant sur ses expériences passées, que Saya disait simplement cela pour en finir avec la discussion. Bien sûr, Mitsuki savait que c’était injuste de sa part de penser comme ça.
« OK, donc d’abord… Hmm, oui, » dit Saya. « Commencez par me raconter ce qui s’est passé cette première nuit, quand vous avez fait ce test de courage. »
« D’accord. Cette nuit-là…, » déclara Mitsuki.
***
Partie 4
« Hmm, un monde à l’âge du bronze, appelé Yggdrasil. Hmm…, » Saya murmura cela pour elle-même, alors qu’elle était dans ses pensées, une main sur le menton.
Quant à Ruri, elle dormait, avec un coussin de sol comme oreiller et sa moitié inférieure sous le kotatsu chaud.
Il était un peu plus de midi lorsque Mitsuki arriva à la résidence Takao, mais le ciel bleu à l’extérieur devenait déjà d’un bleu plus foncé.
Fidèle à sa parole, Saya avait écouté toute l’histoire de Mitsuki avec sérieux pendant plusieurs heures — avec enthousiasme, même. Plusieurs fois, elle l’avait arrêtée pour poser des questions ou demander plus de détails.
Pour Mitsuki, c’était suffisant pour l’émouvoir jusqu’aux larmes.
Mitsuki s’était juré que même si elle ne trouvait pas l’indice qu’elle cherchait, elle remercierait correctement cette femme. Pas seulement en mots, mais avec quelque chose de bien pensé qui exprimait bien ses sentiments de gratitude.
« C’est trop détaillé et trop étoffé pour une simple histoire inventée par un collégien, » déclara Saya. « C’est particulièrement vrai pour tous les petits détails de la vie quotidienne des gens de ce monde. »
Juste après avoir juré de sa gratitude dans son cœur, Mitsuki avait soudain eu l’impression d’avoir été jetée d’une falaise. « Je ne l’ai pas inventé ! C’est vrai, alors croyez-moi ! » elle avait eu les larmes aux yeux.
Saya gloussa et haussa les épaules. « Oui, je sais. Je dis que je crois que vous ne l’avez pas inventé. »
« Oh… Merci beaucoup !! » La joie s’était répandue sur le visage de Mitsuki, et elle avait baissé la tête à Saya encore et encore. Sur le plan émotionnel, elle était prête à commencer à l’appeler « Grande Sœur ».
« Mais… Je suis désolée, » continua Saya avec un ton de remords. « Je ne peux toujours pas dire que je sais où et quand votre ami d’enfance a été envoyé. »
« Oh, je vois, » dit Mitsuki, ses épaules tombant. Elle avait l’impression que cette journée n’était qu’une montagne russe constante d’exaltation et de déception.
Saya tapota gentiment son doigt sur le dessus de la table du kotatsu. « Hmm ! Il y a beaucoup de mots qui apparaissent dans la mythologie nordique ancienne, mais dans beaucoup d’endroits, c’est assez “différent” de la mythologie nordique que je connais. »
« Yuu-kun m’a dit la même chose. Il a dit que lorsqu’il a essayé de faire des recherches à ce sujet, ce n’était pas utile du tout comme référence, » déclara Mitsuki.
« C’est vrai, mais il y a quand même certaines choses qui me dépassent, » déclara Saya.
« Vous déranges ? » demanda Mitsuki.
« Oui. Par exemple, votre ami s’appelle Hróðvitnir, ce qui signifie le “loup tristement célèbre”, comme une sorte d’alias, non ? » demanda Saya.
« Euh, oui, c’est vrai. Y a-t-il quelque chose d’important à ce sujet ? » demanda Mitsuki.
« C’est l’un des noms alternatifs pour Fenrir, » déclara Saya.
« … Hein !? » Même Mitsuki avait entendu parler de ce nom. C’était le loup monstrueux dont on avait prédit qu’il allait dévorer un jour le chef des dieux nordiques, Odin. C’était l’un des grands noms les plus connus de la mythologie nordique.
« Et puis, il y a ce chef du Clan de la Foudre, qui a des runes appelées Megingjörð et Mjǫlnir, respectivement la “Ceinture de Force” et “Anéantissement”. Cela évoque absolument le dieu nordique de la bataille, Thor. Votre ami l’a vaincu avec une crue soudaine en utilisant la vieille stratégie chinoise du “sac de sable”, non ? »
« Umm, je pense que c’est ça. Au moins, je me souviens qu’il a dit qu’il avait causé une grosse inondation pour le battre. » Mitsuki se souvient des détails de base de la tactique, mais pas de son nom historique.
« Dans la mythologie nordique, il y a un serpent géant appelé Jormungandr qui combat Thor trois fois. Dans Prose Edda de Snorri Sturluson, il y a un conte sur la façon dont au temps de la fin du monde, Ragnarok, Jormungandr couvrit la terre d’un grand déluge d’eau de mer. »
« Quoi ? » Mitsuki avait eu les yeux écarquillés à la mention d’un autre nom célèbre.
Dans son esprit, il était si difficile de relier son ami d’enfance qu’elle connaissait depuis toujours à des récits de dieux et de monstres aussi mythiques. Ça ne semblait pas réel.
« Ah, ça me fait penser que vous ne m’avez jamais dit son nom complet, n’est-ce pas ? » demanda Saya.
« Oh, je suis désolée ! » Mitsuki réalisa qu’elle ne l’avait pas appelé autrement que « Yuu-kun ».
Avant que la jeune fille agitée ne puisse dire un mot de plus, Saya leva la main pour l’arrêter, et sourit malicieusement. « Attendez un peu. Je vais faire une petite prédiction. Juste une supposition, mais dans l’ordre japonais, le nom de famille d’abord, commence-t-il par une syllabe en “S” et finit-il par une syllabe en “T” ? »
« Hein !? Oui, c’est vrai, c’est “Suoh Yuuto”, mais, comment le savez-vous ? » demanda Mitsuki.
« Ahhhh, oui, c’est juste le genre de nom que ce serait. » Saya acquiesça de la tête en signe de satisfaction.
« Euh… ? » balbutia Mitsuki.
« Oh, c’est juste qu’avec Fenrir, Jormungandr et Ragnarok sur la table, j’ai pensé que c’était peut-être le prochain nom qui devait apparaître, » déclara Saya.
« Euh, qu’est-ce que vous voulez dire ? » Mitsuki avait l’impression d’avoir été complètement laissée pour compte.
« Yuuto-kun est japonais, non ? Donc, à moins qu’il ne soit à moitié japonais comme moi ou quelque chose comme ça, ça veut dire qu’il a les cheveux et les yeux noirs, » déclara Saya.
« Oui…, » Mitsuki inclina la tête, ne sachant pas trop comment tout cela s’imbrique.
Saya avait gloussé. « Donc, selon la mythologie nordique, à la fin des temps de Ragnarok, il y a un certain géant qui se montre, avec un nom qui signifie “le Ténébreux”, ou le “Noir”. »
« Oh ! Quel genre de géant est-ce ? Est-ce l’un des noms les plus célèbres ? » demanda Mitsuki.
« Oui, ça l’est. Je crois qu’il est l’un des plus célèbres. Selon la prophétie, pendant Ragnarok, il arrivera à cheval à la tête des armées de Múspell, franchissant le pont sur les cieux connus sous le nom de Bifröst, envahissant le domaine des dieux, Asgard, et continuant à embraser les Neuf Mondes…, » expliqua Saya.
« Ah… ahhhh ! » Enfin, Mitsuki se souvient aussi du nom du géant. C’était un personnage mythique encore plus grand et plus puissant que Fenrir ou Jormungandr.
Voyant la compréhension dans les yeux de Mitsuki, Saya hocha la tête solennellement, et prononça le nom à haute voix.
« C’est vrai. C’est Surtr. »
***
Partie 5
« Peut-être qu’avec le temps, le nom “Suoh Yuuto” a été mal prononcé ou corrompu dans le récit, et est devenu Surtr, » dit Saya. « Hmm, et par le fait même, le nom de famille de Mitsuki-chan Shimoya ressemble au nom de la femme de Surtr, Sinmara, du moins dans son orthographe alternative de Sinmora. En y repensant, certains vers du poème Fjölsvinnsmál sont assez intéressants. “Lævatein est là, que Loptr avec des runes autrefois faites par les portes de la mort, dans la poitrine de Laegjarn de Sinmora se trouvant neuf serrures le rendant fermé.” Faut-il supposer que “Lævatein” fait référence à une épée, le nihontou, ou est-ce plus métaphoriquement face à la connaissance de la science moderne elle-même ? »
Saya marmonnait sans cesse pour elle-même, travaillant à travers quelques théories différentes.
Elle ressemblait beaucoup à une érudite typique, en ce sens qu’une fois immergée dans ses propres pensées, elle semblait ignorer tout le monde et tout ce qui l’entourait.
Ce qui n’allait pas aider Mitsuki.
« E-Excusez-moi ! » cria-t-elle à Saya, sa voix plus qu’un peu troublée.
« O-Oh, désolée pour ça. Qu’est-ce qu’il y a ? » Saya semblait revenir à la raison, et leva les yeux.
« Donc, euh, tout cela est un peu confus, et je ne suis pas sûre de comprendre totalement ce qui se passe, » confessa Mitsuki. « Yuu-kun est-il en train de vivre l’histoire de la mythologie nordique ? »
Franchement, pour elle, c’était hors de sa compréhension.
Malheureusement, elle ne pouvait nier qu’elle avait négligé de faire des recherches plus détaillées sur la mythologie nordique. Après tout, la découverte initiale avait été qu’il y avait de grandes différences entre le monde d’Yggdrasil et celui de la mythologie nordique, et cela l’avait découragé.
Et puis il y avait le fait que le temps de Mitsuki était assez limité pour commencer.
Pour obtenir l’autorisation d’exercer son emploi à temps partiel de livraison de journaux, l’une des conditions qu’elle devait remplir était de s’assurer que ses notes restent élevées et ne diminuent jamais. Et en troisième année, elle avait des examens d’entrée au lycée pour étudier en plus de ses devoirs normaux. C’est tout ce qu’elle avait pu faire pour trouver pour le soutenir dans ce dont Yuuto avait spécifiquement besoin.
Yuuto avait encore moins de temps, au plus trente minutes par jour. Pour qu’il puisse survivre dans cet autre monde rude, tous deux avaient dû se concentrer sur les questions les plus pratiques avec leur temps limité.
« Hmm… ce n’est pas tout à fait ça, » dit Saya. « On pourrait dire que c’est plutôt comme s’il créait la chose originale, les événements sur lesquels ces mythes et poèmes ont été basés par la suite. »
« L’original… ? »
« La théorie qui prévaut actuellement est que la mythologie nordique telle que nous la connaissons s’est développée en Europe du Nord entre l’an 1000 avant Jésus-Christ. Maintenant, à quelle époque avez-vous dit que Yuuto-kun était envoyé ? » demanda Saya.
« Nous n’en sommes pas certains, mais il a dit que c’était probablement plus ou moins vers 1500 avant J.-C... oh. C’était bien avant que les mythes ne se forment…, » déclara Mitsuki.
Mitsuki s’était rendu compte que c’était un autre angle mort pour elle. Les mythes et les légendes véhiculaient l’image d’être depuis des temps très anciens, bien qu’ils soient encore présents dans l’ère moderne en tant que savoir et en tant que partie intégrante de la culture pop. Cela donnait l’impression comme étant quelque chose qui avait toujours été là, alors elle n’avait pas réfléchi trop profondément à leur origine.
« Il y a un bon nombre de cas où les mythes et les contes de fées ont eu des événements historiques réels ou des personnes comme base pour des éléments de leur histoire, » dit Saya. « L’un des exemples les plus célèbres est la ville légendaire de Troie, qui apparaît dans la mythologie grecque. Et dans le folklore japonais, il y a l’histoire de Momotaro, non ? Si l’on remonte à la période Yamato, il y a une théorie qui veut qu’elle soit basée sur les événements de la période Yamato, lorsque l’administration Yamato s’est battue avec son rival le royaume de Kibi et l’a soumis. »
« W-w-wow, vraiment !? » C’était étonnant de penser que le conte de fées classique de Momotaro avait ce genre d’histoire derrière lui.
Pour une raison quelconque, Mitsuki se souvient d’une époque où Yuuto venait d’entrer au collège. Il lui avait dit. « Connais-tu l’histoire de Momotaro à l’époque d’Edo ? Il n’est pas né d’une pêche, il est né quand le vieil homme et la vieille femme ont mangé une pêche et fait l’arnaque, si tu vois ce que je veux dire. »
Elle se souvenait encore très bien à quel point elle était gênée et à quel point Yuuto avait aimé la faire rougir comme ça.
« Hmm, il est tout aussi probable que ce soit une coïncidence, mais je vois des similitudes entre cette histoire et ce qui se passe avec Yuuto-kun maintenant, » dit Saya. « Voyez-vous, il y a cette hypothèse sur la base des oni dans l’histoire de Momotaro : ces ogres qu’il part combattre pourraient être basés sur des étrangers venus d’outre-mer qui se sont installés dans la région et ont partagé avec le peuple du Royaume de Kibi des technologies avancées comme les armes en fer et la construction navale. Comme preuve, dans la région qui était autrefois la province de Kibi — aujourd’hui ce qui serait dans la préfecture d’Okayama — il y a des endroits où Ura, le roi des oni du conte, est un être vénéré. »
« W-w-wow, vraiment ? C’est vrai, ça ressemble un peu —, » Mitsuki s’était soudainement arrêtée, quand elle s’en est rendu compte :
Les oni avaient tous été vaincus à la fin. C’est ce qui s’était passé dans les contes de fées… et dans l’histoire sur laquelle ils étaient basés.
En un instant, les dents de Mitsuki se mirent à claquer, et elle se serra les bras autour de son propre corps pour essayer de réprimer sa terreur.
« Qu’est-ce qui ne va pas, Mitsuki-chan !? » demanda Saya.
« F-Fenrir et Jormungandr, ne sont-ils pas tous les deux tués à la fin !? » Mitsuki ne se souvenait pas comment ils étaient morts ou qui les avait tués, mais elle se souvenait qu’au moins, ils n’étaient pas parmi les survivants après le Ragnarok.
Paniquée, elle avait allumé son smartphone et fait une recherche en ligne pour « Surtr ». Dans le récit de Ragnarok détaillé dans le poème Gylfaginning, son nom ne figurait pas sur la liste des survivants.
Cette lecture avait fait frissonner son corps de façon incontrôlable et cela avait encore empiré.
« Il va mourir ! Yuu-kun va mourir à ce rythme ! Je dois l’aider ! Je dois faire quelque chose… ! » s’écria Mitsuki.
Avec un cri, Mitsuki se leva, incapable de rester assise en raison de sa panique. Mais une fois qu’elle s’était levée, elle avait réalisé qu’elle n’avait aucune idée de ce qu’elle devait faire, et elle était restée là, figée sur place.
Des vagues de peur avaient continué à la traverser et, incapable de résister, elle avait commencé à s’agripper et à tirer sur ses propres cheveux.
« M-Mitsuki-chan, calmez-vous ! » cria Saya.
« Mais… mais… mais… ! Mais il est… ! »
« Calmez-vous ! Calmez-vous maintenant ! Vous l’avez dit vous-même tout à l’heure, n’est-ce pas !? Il y a d’énormes différences entre les mythes et la réalité ! » déclara Saya.
« Ah… C’est vrai ! C’est vrai que ce n’est pas comme si c’était gravé dans la pierre que Yuu-kun allait mourir ! Ouais, ce n’est pas gravé dans la pierre. Ce n’est pas gravé dans la pierre. Ce n’est pas gravé dans la pierre…, » Mitsuki a continué à répéter ces mots encore et encore, essayant de se rassurer.
Mais l’anxiété qui s’était emparée de son cœur ne montrait aucun signe de disparition.
***
Partie 6
« Hey, je suis vraiment désolée. » Saya inclina la tête devant Mitsuki pour s’excuser. « J’étais censée vous aider, mais on dirait que je vous ai juste donné plus de soucis. »
Le soleil s’était couché alors qu’elles étaient en pleine conversation. À l’extérieur de la maison, il faisait complètement noir, à l’exception de la petite zone éclairée par les lumières de l’entrée et le peu de lumière qui sortait par la fenêtre du salon.
« Alors, euh, écoutez-moi, » dit Saya. « La mythologie nordique était principalement une tradition orale, de sorte que presque tous les documents écrits que nous possédons à son sujet aujourd’hui ne peuvent être retracés que jusqu’au 13e siècle. De plus, à partir du XIe siècle, la conversion au christianisme s’est généralisée dans la région, ce qui a beaucoup affecté tout le reste. Il y a toutes sortes de choses qui ont changé au fil du temps, et ce que nous avons maintenant ne peut plus correspondre à ce qu’était l’original, non ? Personne ne peut plus savoir avec certitude ce qui est bien et ce qui est mal. C’est pourquoi vous ne devriez pas perdre espoir. »
« Vous avez raison, » dit Mitsuki avec reconnaissance. « Merci beaucoup. »
« Quand les mythes parlent de Ragnarok, ils disent que c’est un temps où tous les sceaux, les chaînes et les liens disparaîtront, et ceux qui ont été retenus ou emprisonnés seront libérés. On pourrait interpréter cela comme signifiant qu’il s’échappe et qu’il rentre chez lui, » déclara Saya.
« … C’est vrai, » Mitsuki hocha la tête profondément, prenant ces mots à cœur.
Elle savait que ces paroles visaient en grande partie à la consoler, mais elle comprenait aussi que rien de tout cela n’était non plus un mensonge. Comme le disait Saya, il y avait encore de l’espoir. Mitsuki avait essayé de s’y accrocher et de se remonter le moral.
C’était vrai que ses soucis avaient grandi, et que maintenant les frissons qui la troublaient ne venaient pas seulement du froid de décembre, mais elle était toujours heureuse de ce qu’elle avait entendu aujourd’hui, du fond de son cœur.
Il était préférable de savoir ce qui pourrait se produire à l’avenir, car il sera plus facile de planifier en conséquence.
Il était fort probable que dans un avenir proche, dans celui de Yuuto, une crise dangereuse l’attendait, plus que tout ce qu’il avait connu jusqu’alors. Cependant, le savoir maintenant donnerait à Yuuto le temps de trouver une sorte de contre-mesure, et être mentalement préparé à la crise devrait améliorer sa capacité à réagir et à s’y adapter.
« Je vais aussi me pencher sur certaines choses de mon côté, » déclara Saya. « Après tout, nous ne connaissons toujours pas son emplacement exact ni la date. »
« Je vous en suis reconnaissante, » déclara Mitsuki.
« Hmm-hm. Alors, faites attention en rentrant chez vous, d’accord ? » déclara Saya.
« Je vais le faire. Merci beaucoup d’avoir pris le temps de me parler jusqu’à si tard dans la nuit. » Mitsuki s’inclina profondément et se retourna pour quitter la résidence Takao.
« Ah, attends, Mitsuki ! » cria Ruri. « J’irai avec toi une partie du chemin. Je veux te parler un peu. »
Ruri suivit en toute hâte Mitsuki.
Elles marchèrent côte à côte le long de la sombre route nocturne.
Ici, à la campagne, les soirées étaient remplies de bruits d’insectes au printemps et à l’automne, et de grenouilles en été. Mais en hiver, c’était beaucoup plus silencieux. La seule interruption du calme était le cri occasionnel et faible d’un oiseau nocturne des forêts provenant des montagnes avoisinantes.
« Je comprends pourquoi tu te vantes tant d’elle, Ruri-chan, » dit Mitsuki, brisant le silence. « Saya-san est incroyable. Lui parler m’a vraiment aidée. »
« Euh, ouais, n’est-elle pas géniale ? » Ruri sourit, mais d’une façon qui semblait un peu maladroite et raide.
Elle était censée avoir dormi profondément pendant tout ce temps et avait manqué la conversation de Mitsuki et Saya, mais apparemment elle avait été capable de comprendre que l’atmosphère entre elles n’était pas heureuse.
« Hmm ? Oh…, » Mitsuki sentit quelque chose de froid toucher sa joue, et tandis qu’elle levait les yeux, elle vit d’innombrables flocons blancs et duveteux flotter de l’obscurité du ciel, une vue majestueuse à perte de vue. « Il neige… »
« Whoa, tu as raison. À ce rythme, c’est peut-être la troisième année consécutive que nous avons un Noël blanc. » Ruri gloussa et tendit la main pour attraper les flocons.
Par le passé, la région avait reçu beaucoup de neige en hiver, mais peut-être en raison du changement climatique mondial, les chutes de neige étaient devenues beaucoup moins fréquentes ces dernières années.
Ruri ajouta. « Oh, en parlant de Noël, je viens de recevoir un texto de Tama-chan. »
« Oh ? »
« Elle a avoué à Ikeda-kun et lui a demandé de sortir, et il a dit oui, » déclara Ruri.
« Huuuhhhh !? » Mitsuki ne pouvait s’empêcher d’être surprise.
Tama-chan était son amie, donc bien sûr le succès de sa romance était quelque chose que Mitsuki voulait sincèrement célébré.
Cependant, on lui avait dit hier encore qu’Ikeda-kun avait des sentiments pour elle. N’était-ce pas trop rapide et facile pour un tel changement d’avis ?
Elle n’avait aucun sentiment pour Ikeda-kun, bien sûr. En fait, l’impression qu’elle avait de lui s’était effondrée. Mais les sentiments d’affection envers quelqu’un étaient-ils vraiment quelque chose qui pouvait changer si facilement ? Mitsuki se retrouva avec ce doute persistant suspendu comme un nuage au fond de son esprit.
« Assure-toi d’une manière subtile qu’il apprenne que Mitsuki a déjà quelqu’un qu’elle aime bien, puis dès qu’il a le cœur brisé et qu’il est vulnérable, tu te glisses dedans et fais ton geste. Tu es une vraie femme, Tama-chan. » En revanche, Ruri semblait préoccupée par les sentiments d’admiration. « Ouais ! Tu sais, l’amour est une question de tempo ! »
Ruri avait serré le poing pour souligner son point. Plus que probablement, c’était une réplique qu’elle avait lue dans un magazine, ou entendue d’une de ses amies. Après tout, elle n’avait jamais eu de petit ami.
Pourtant, ça sonnait vrai pour Mitsuki.
« Ouais… tu as raison. » Avec une main sur le cœur, Mitsuki hocha lentement la tête, comme si elle tournait les mots avec précaution dans son esprit. « Je le pense aussi. »
Mitsuki avait déjà pris conscience de ses sentiments au moment où elle était entrée au collège. Et Yuuto était son ami d’enfance, quelqu’un avec qui elle avait été ensemble aussi longtemps qu’elle pouvait se souvenir, elle avait aussi une idée de ses sentiments pour elle.
Elle avait supposé qu’il n’y aurait pas d’événements surprenants ou dramatiques comme dans une émission de télévision ou un manga. Au lieu de cela, leurs affections chaudes se développeraient lentement et naturellement, et ils finiraient ensemble. Peu à peu, les choses progresseraient, jusqu’à ce qu’avant qu’elle ne s’en rende compte, elle devienne la fiancée de Yuuto.
C’était l’avenir ennuyeux, sans histoire, mais paisible que Mitsuki avait espéré, et cette nuit-là, il s’était brisé et avait disparu dans les airs.
Ils étaient maintenant séparés par une distance impossible, ne pouvant entendre que les voix de l’autre, et leur relation était figée, coincés dans un état de plus qu’amis et moins qu’amants.
« Tempo…, » murmura-t-elle. « C’est vrai. Je ne devrais pas laisser passer une occasion. »
***
« Joyeux Noël, Yuu-kun, » dit Mitsuki au téléphone.
« Mais c’est la veille de Noël. » La voix de Yuuto à l’autre bout du récepteur était assez endormie.
Il était minuit et la date venait d’être changée pour le 24. Il va sans dire que Yuuto dormait encore il y a un instant.
Mitsuki se sentait un peu mal de l’avoir réveillé, mais elle avait aussi l’impression que ce soir elle méritait d’être pardonnée pour ça. Après tout…
« Yuu-kun, tu es trop pointilleux sur les détails, » déclara Mitsuki.
« Non, je ne le suis pas, » dit-il. « C’est important, » déclara Yuuki.
« Ohhhh, ça l’est, hein ? D’accord. »
Apparemment, il l’avait aussi compris. Alors même qu’elle essayait de ne pas se soucier de sa voix, elle pouvait voir que les coins de ses lèvres se levaient vers le haut.
Elle ne savait pas comment c’était dans les pays occidentaux, mais au Japon, le jour de Noël était un jour habituellement passé en famille, alors que la veille de Noël était considérée comme un jour férié spécifiquement pour passer du temps avec son amoureux.
C’est pourquoi c’est elle qui l’avait appelé ce soir.
Yuuto n’avait qu’un temps de batterie très limité pour utiliser son téléphone, donc normalement Mitsuki attendait toujours qu’il l’appelle, pour qu’elle ne se mette pas en travers de ce qu’il devait faire.
Mais cette fois, même si cela signifiait lui causer quelques ennuis, Mitsuki voulait s’assurer qu’elle soit la première personne à qui Yuuto aura parlé la veille de Noël. Elle ne voulait pas abandonner cette place à quelqu’un d’autre, quoi qu’il arrive.
« Alors, qu’est-ce qu’il y a ? » demanda Yuuto. « Tu ne vas pas me dire que tu m’as appelé et réveillé au milieu de la nuit pour pouvoir dire ça, hein ? »
« Eh biennnn, en fait…, » déclara Mitsuki.
« Hé ! » Il avait crié d’une voix qui semblait un peu fâchée, mais le ton qui allait avec n’était pas du tout fâché.
Mitsuki pouvait lire ces nuances délicates comme le dos de sa main.
« Ça me rappelle qu’un truc. Hier soir, je t’ai appelée, mais ça n’a pas marché, » déclara Yuuto.
« Ah, je suis allé chez mon amie pendant un moment, alors j’avais éteint mon téléphone, » déclara Mitsuki.
« … Cette amie est une fille, non ? » demanda Yuuto.
« Uh huh huh, Ruri-chan. J’ai traîné avec elle et une autre personne de sa famille, un peu plus âgée, et nous avons fini par avoir une conversation très animée jusqu’à tard dans la nuit, » déclara Mitsuki.
« … Et cette personne est aussi une fille, non ? » demanda Yuuto.
« Cette personne est trop cool, Yuu-kun ! Et très intelligente, aussi, » déclara Mitsuki.
« Ça ne répond pas à ma question, Mitsuki, » déclara Yuuto.
Beeep-beep-beep ! Beeep-beep-beep ! À travers le récepteur, Mitsuki pouvait faiblement entendre le son provenant du téléphone de Yuuto — une tonalité d’avertissement mécanique d’une froideur impitoyable.
« Tch, déjà en manque de batterie, » grogna Yuuto. « Merde. C’est parce que j’ai cherché trop de choses hier soir. Hé, Mitsuki, dépêche-toi et dis-moi si cette personne est un homme ou une femme ! » Il y avait quelque chose dans la frénésie de sa voix qui était désespérément réconfortante.
Mitsuki sentit soudain une tension incroyable dans sa poitrine. C’était peut-être aussi en partie à cause de ce dont elle avait parlé avec Saya tout à l’heure.
Elle voulait tellement le voir.
Elle voulait l’enlacer.
Elle voulait qu’il l’enlace.
Elle voulait l’embrasser.
Elle voulait qu’il l’embrasse.
Les sentiments s’accumulaient en elle, débordant.
Mais… ils ne pouvaient toujours pas surmonter l’hésitation qui l’empêchait de lui dire. Quoi qu’il arrive, elle ne voulait pas que ses sentiments et elle-même devient un fardeau pour lui.
Mitsuki embrassa doucement l’écran LCD de son téléphone et chuchota dans le micro : « Tu sais, Yuu-kun : “La lune est vraiment belle”. »
« Hmm ? Ouais, c’est vraiment joli ici aussi. Le ciel d’hiver rend l’air vraiment clair… Hey, plus important encore — ! » déclara Yuuto.
Yuuto n’avait pas l’air de le savoir.
Bien sûr, il n’avait jamais été très intéressé par la lecture ou la littérature avant même d’entrer au collège, il n’est donc pas étonnant qu’il ne sache pas. Et pendant ces deux dernières années et demie, il avait passé chaque instant de son temps limité à étudier sur l’apprentissage de choses qui lui seraient utiles à Yggdrasil, de sorte qu’il n’aurait eu aucune chance d’en apprendre davantage.
Mitsuki le savait. Elle le savait, mais quand même…
« Stuuupide. Stupide, stupide, stupide, stupide. »
« C’est quoi ce bordel, Mitsuki !? C’est quoi ton problème !? » demanda Yuuto.
« Eh bien, c’est que tu es stupide, c’est pour ça que je te traite de stupide, de stuuupide, » déclara Mitsuki.
« Toi… ! Il ne nous reste que quelques secondes ! Combien de temps vas-tu gaspiller à m’appeler Stu ? » Sa voix avait été soudainement coupée.
Bip, bip, bip, bip…
Il ne restait plus que le son indiquant une incapacité à se connecter.
Son téléphone avait dû être à court de batteries. Elle l’avait vu venir, bien sûr.
« Je suis toujours, toujours en train de m’inquiéter pour toi, » murmura-t-elle. « Tout le temps. Donc j’ai tous le droit de le dire. Je ne peux pas gérer ces sentiments si je ne… Espèce d’idiot ! »
Avec sa voix affaiblie et étouffant ses larmes, elle murmura ces derniers mots au téléphone silencieux, puis prit le miroir sacré du sanctuaire, la source de la connexion entre elle et Yuuto.
L’une après l’autre, ses larmes tombèrent sur la surface du miroir. Alors qu’elles le faisaient, le miroir sacré avait commencé à émettre une lueur phosphorescente très faible, comme la lumière d’une luciole.
Pourtant, le miroir était couvert de rouille, et il ne pouvait donc pas montrer à Mitsuki son reflet.
C’est pour ça qu’elle ne l’avait pas remarqué.
Comme en réponse à la douce lueur du miroir, des symboles dorés, petits, mais distincts, en forme d’oiseaux, brillaient dans ses deux yeux.